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« Une amitié stellaire : Arp et Tzara en leur atelier », dans Arp en ses ateliers d’art et d’écriture, actes du colloque de Strasbourg, publiés par Aimée Bleikasten, Musées de Strasbourg, 2011, p. 218-232.

4e de couv.

Si les reliefs, collages et sculptures de Hans Arp occupent une place incontestée dans l’histoire des avant-gardes, on néglige parfois le lien indissociable que l’artiste a tissé toute sa vie entre son œuvre littéraire et son œuvre plastique.
L’ouvrage aborde ainsi ces deux aspects, s’attachant à révéler des similitudes dans les processus de création. Il met également l’accent sur ses collaborations avec Sophie Taeuber-Arp mais aussi Tristan Tzara, Hugo Ball, Theo Van Doesburg, Sonia Delaunay… Le catalogue propose en outre diverses approches transversales, tout comme des témoignages d’artistes contemporains sur leur filiation avec l’œuvre arpienne.
Sous la direction d’Aimée Bleikasten et de Maryse StaiberAssociation Jean Hans Arp

Rcension sur Cairn :

https://www.cairn.info/revue-etudes-germaniques-2011-3-page-785.htm :

« C’est une très belle réussite que ce volume qui conjugue les fruits d’une exposition au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg et les résultats du Colloque tenu à l’Université « réunifiée » de la capitale alsacienne en 2009. Le long travail de recherche sur Arp qu’elle a conduit sur le sculpteur-poète, enfin reconnu dans sa ville (comme elle se plaît à le souligner dans son Avant-propos), a fait d’Aimée Bleikasten la spécialiste d’un artiste au talent multiforme et original devenu l’une des figures exemplaires de la modernité, des deux côtés du Rhin, dans les deux langues, mais aussi outre-Atlantique. Elle prolonge ici son apport à la connaissance d’Arp, qu’elle a par ailleurs traduit, en regroupant, autour de ses projets (tous les spécialistes ont en mémoire les journées de 1986 sur « Arp, poète, plasticien »), des conservateurs de musée, des historiens d’art et esthéticiens, des germanistes poéticiens, des philosophes… Elle fait se croiser ainsi une multitude d’éclairages sur une œuvre qui demeure actuelle dans son appréhension verbale et plastique du monde moderne.

Les contributions (23 en tout) sont regroupées en 5 sections. Si la première (« Arp en son pays ») s’acquitte de la révérence (justifiée !) due au genius loci, les autres, conformément à ce qu’annonce excellemment le titre retenu, pénètre profondément dans l’œuvre, sa genèse (qui rejoint la question du « fond originel » – Urgrund –, que l’on retrouve aussi dans Schopenhauer à propos de la musique comme il est déjà présent chez les présocratiques), sa « fabrique », pour reprendre cette fois le terme utilisé par un autre moderne capital, Carl Einstein. Voyez les deux grandes notions autour desquelles le livre se structure : celles de « travail » (« travail d’écriture », « travail en commun ») et d’« atelier » (« fables d’atelier », « ateliers d’art »). La vision et la recréation sont revendiquées comme labeurs impliquant le concret, ce matériau dont l’utilisation, sensuelle et plastique, fait penser aussi à ce qu’expérimente de son côté Max Ernst, en Ardèche, en Touraine ou aux États-Unis. Contrairement à ce que l’art contemporain nous offre parfois à voir, les œuvres d’Arp ne culminent ni dans l’entassement ou les déchets, ni dans l’assemblage d’objets tout faits opposés, depuis Duchamp, à l’élaboration formelle qui ouvre à des sens nouveaux. À cet égard, l’étude de Bäbel Reetz (« Dada n’était pas une farce », p. 233-247) circonscrit bien l’essence de ce qui fut tenté et que l’on peut aussi essayer d’intégrer à une « cosmologie ». Le livre lui-même vise à la réalisation de la forme : les deux articles sur lesquels il se clôt reviennent, en complément à l’ouverture, sur « les décors de l’Aubette à Strasbourg » et « les ateliers et chantiers strasbourgeois » conçus et exécutés sous l’égide commune d’Arp et de Sophie Taeuber. In fine, une courte bibliographie des écrits arpiens (p. 290-291) donne la liste des publications et traductions en langue française. En somme, un ouvrage qui s’insère pleinement dans une des voies majeures, actuelles et futures, de la germanistique française : l’alliance de la littérature et des arts.

— J.-M. VALENTIN

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Tzara et Arp, dans sa villa de Meudon


« Dada, un centenaire heureux », Europe, n° 1049-1050, sept.-octobre 2016, p. 302-305.

  • 8 février 1916, naissance de Dada au Cabaret Voltaire, à Zurich.
  • 21 février 1916, les Allemands lancent leur offensive sur Verdun.

Coïncidence telle qu’on a pu se demander, sérieusement, si Dada était né de la guerre, ou la guerre de Dada. Il est certain que les premiers protagonistes, et non des moindres, voulaient surmonter le conflit international au profit de leur propre liberté de création. Ainsi Hugo Ball, écrivant dans Cabaret Voltaire, premier numéro d’une revue qui annonçait l’avènement de Dada et d’une revue du même nom qui devait : « préciser l’activité de ce Cabaret dont le but est de rappeler qu’il y a, au-delà de la guerre et des patries, des hommes indépendants qui vivent d’autres idéals. »

Pourquoi « Dada » ? Que signifiait ce terme d’allure enfantine ? Qui l’a « inventé » ? Abandonnons toute recherche de paternité, qui n’a plus aucun sens aujourd’hui, mais observons que, par-delà les mots, dans ce contexte historique, c’est l’acte, le geste qui compte, exprimant le ras-le-bol de la jeunesse de tous les pays.

Cent ans après, la commémoration de la bataille de Verdun vient à point nous rappeler ce que fut l’enfer sur terre. Qu’en France, la droite, fidèle à elle-même, en ait profité pour gesticuler, n’a rien de surprenant. En revanche, on reste sidéré de l’accueil fait aux diverses manifestations consacrées à Dada aujourd’hui, ne serait-ce que par la ville de Zurich, la centrale banquière de l’Europe, qui ne nous avait pas habitués à tant de prévenance.

***

On connaît, en gros, les différentes phases de ce mouvement qui vécut dans plusieurs pays, plus précisément dans plusieurs villes (Zurich, Berlin, Cologne, Paris, etc.) entre 1916 et 1923. Étrangement, il répond exactement au principe d’incertitude d’Heisenberg, selon qui, plus la position d’une particule est déterminée, moins sa vitesse sera mesurée avec précision, et réciproquement. Autrement dit, plus on a de détails sur l’un des groupes se réclamant de Dada, moins on perçoit ses relations avec le noyau central, et plus on perd de vue ses objectifs. On l’a souvent dit, Dada prouvait le mouvement en marchant.

Énumérons, brièvement, quelques-unes de ses caractéristiques majeures. Le Mouvement, par définition, est un collectif d’artistes et de poètes. Il regroupe, à l’origine, des apatrides, des réfugiés, des déserteurs fuyant la guerre vers un pays neutre et paisible. Tous ont un point commun : ils avancent dans la vie la rage au cœur. Quelles que soient leurs opinions politiques et leur position par rapport à la Révolution bolchevique d’octobre 1917, ils se définissent comme des révoltés, des anarchistes, tendance autiste. Leur éducation politique est rarement approfondie, à l’exception peut-être des berlinois, dont on dit que certains firent le coup de feu au côté des spartakistes.

Opposés à la guerre, ils ne sont pourtant pas des pacifistes, ne mesurant pas leurs sarcasmes contre Romain Rolland (« Au-dessus de la mêlée ») et ses thuriféraires tels qu’Ivan Goll, qui s’en plaint publiquement.

Une chose est certaine : ils étaient tous internationalistes, ce qui explique, par la suite, leur peu de goût pour la thèse stalinienne du socialisme dans un seul pays. En anticipant un peu, on pourrait dire que Dada met en pratique la thèse opposée, puisqu’il se répand sur plusieurs continents, jusqu’au Japon !

À la différence de tous les autres groupements littéraires ou artistiques, il n’y a pas de centrale de commandement. Pas de leader, pas de « Président », ou plutôt, « tout le monde est président », comme l’indique Tzara à Man Ray lorsque ce dernier lui demande l’autorisation d’intituler New York Dada la revue qu’il souhaite fonder aux États-Unis en compagnie de Marcel Duchamp.

Pas de Bureau central, disais-je, pas d’organisation structurée, mais des hommes-source, et des passeurs. Tzara, qui se fait fort d’organiser des expositions à Zurich pour des artistes apparte­nant à des pays belligérants (et il y parvient !), qui peut en­trer en contact avec des Allemands, des Français, des Italiens et même des Américains… Huelsenbeck, rentré fin 1916 à Berlin, communique la bonne nouvelle à la jeunesse d’avant-garde et finit par organiser le Club Dada… Picabia, qui saute par dessus les méridiens et met les uns en contact avec les autres.

En dépit de son enthousiasme pour les cultures allogènes et pour les implantations les plus curieuses, Dada se définit, malgré tout, comme Européen. Je dirais même plus européen que ne l’étaient, à l’époque, les organisations militant pour une Europe transcendant les nations qui la composent. Ce lui était facile, dans la mesure où il voulait ignorer toute frontière, virtuelle ou réelle.

En tout état de cause, où qu’il sévisse, Dada fait partie de l’avant-garde. Il est lui-même l’avant-garde, puisqu’il souscrit au principe politique constitutif de toute avant-garde depuis Baudelaire. Non pas en se ralliant à un parti politique existant ou à venir, mais en reprenant à son compte (et en la gauchissant à son profit) la formule baudelairienne selon laquelle « pour être juste, c’est-à-dire pour avoir sa raison d’être, la critique doit être partiale, passionnée, politique, c’est-à-dire faite à un point de vue exclusif, mais au point de vue qui ouvre le plus d’horizons. » (Salon de 1846)

Cela commence par la contestation radicale des institutions et de tous les académismes. Pensons à la célèbre Fountain de Marcel Duchamp (1917), ce ready-made exposé à la Société des artistes indépendants de New York au nom des principes même de cet organisme, comme il avait fait à Paris en 1912 pour le Nu descendant un escalier, refusé par la Société des artistes indépendants.

Pas de programmes, mais des textes-clés, des proclama­tions-manifestes, qui drainent tout un public, tel le célèbre « Manifeste Dada 1918 » de Tzara. Il y affirme qu’il ne veut rien, mais le dit si bien qu’il entraîne l’adhésion de Breton et avec lui tout le groupe Littérature. De même pour le Mani­feste Dada en allemand, proclamé par Raoul Hausmann, parodie des treize points du Président Wilson, où Louis Janover perçoit néan­moins quelques options positives : « Sous le credo aux accents ubuesques, les mesures et ‘abolitions’ proposées, émaillées d’exigences franchement cocasses, peuvent s’entendre comme une exagération limite de revendications nullement délirantes en soi : ‘association internationale et révolutionnaire des créa­teurs et intellectuels du monde entier sur la base du commu­nisme radical’, introduction ‘progressive du chômage par la mé­canisation généralisée de toutes les activités’, ‘abolition im­médiate de toute propriété’, lutte contre ‘l’esprit bourgeois caché’ mais encore actif dans les milieux culturels, de l’expressionnisme notamment, ‘abolition du concept de propriété dans le nouvel art’, etc.1 ».

Dada redonne sa primauté à l’individu, ce qui n’exclut pas l’action collective. En refusant l’institution au profit de l’action directe (tout de même médiati­sée par la presse), il court le double risque :

1- d’épuisement dans le renouvellement constant pour reconsti­tuer un réseau aux contours indéfinis ;

2- de figement dans la répétition, ce qui l’aurait conduit à deve­nir une institution par lui-même.

Dada a connu les deux dangers. Il a vite compris qu’il courait à sa perte, d’où sa brièveté et sa mort volontaire.

Auparavant, il avait atteint son objectif premier, qui était d’instaurer, à sa façon, la Tabula rasa comme principe méthodologique : faire le vide pour donner libre cours à la nouveauté ; supprimer le passé afin de penser librement. En ce sens, on comprend l’apparition de Descartes sur la première page de Dada 3. Descartes par-dessus Kant, au moyen d’un confusionnisme intégral et assumé. En somme, Dada n’est jamais plus heureux que lorsqu’il a trompé tout son monde, comme le lui prouve la réaction du public exacerbé, furieux d’avoir été berné.

Le plus souvent, le public est trompé par le fait que l’artiste qu’il connaît pour faire partie d’un groupement esthétique donné, se retrouve sous la bannière Dada. Ainsi, à Berlin, on peut affirmer qu’il y eut des dada-marxistes aussi bien que des dada-expressionnistes ; et le même Van Doesburg, tenant du constructivisme, signera I.K. Bonset ses contributions à dada !

À la différence de ce que nous faisons d’habitude lorsque nous parlons littérature ou art, il faut, en l’occurrence, prendre en compte les dissemblances individuelles plutôt que les ressemblances : c’est ce qui fait l’originalité du Mouvement, sa richesse. Dans son journal, La Fuite hors du temps, Hugo Ball observe avec intérêt, pour marquer la productivité d’un tel processus, que, selon les jours, des rapprochements s’opèrent tantôt avec les uns, tantôt avec les autres, l’essentiel étant que tous maintiennent un mi­nimum d’entente entre eux, une volonté commune de s’identifier à dada, lequel, en retour, s’identifie à eux : « Nous sommes cinq et le fait remarquable est que nous ne sommes jamais réel­lement en parfait accord, même si nous nous entendons sur les objectifs principaux. Les constel­lations changent. Tantôt Arp et Huelsenbeck s’accordent et sem­blent inséparables, tantôt Arp et Janco réunissent leurs forces contre H., puis H. et Tzara contre Arp, etc. Il existe un mou­vement perpétuel d’attraction et de répulsion. Une idée, un geste, une certaine nervosité suffisent pour modifier la constellation sans pour autant bou­leverser le petit groupe.2 » Le même va-et-vient se reproduit au niveau international, constituant un ensemble de nœuds de re­lations par-dessus les frontières, en d’autres termes un ré­seau, aux mailles lâches et mobiles.

Certains groupes vont se reconnaître en dada, a posteriori : les « nitchevoki » russes, Iliazd et son 41°, Clément Pansaers avec la revue Ça ira, les Espagnols Guillermo de Torre, RafaelLasso de la Vega, Jacques Edwards… Mieux, on signale la présence de centrales tardives à Anvers, Amsterdam, en Hongrie avec la re­vue Ma, en Pologne, etc.

Les historiens se demandent s’il est légitime d’apposer, aujourd’hui, une étiquette qui n’était pas revendiquée à l’époque. Mais, il faut tenir compte, je pense, de la grande confusion entretenue et voulue par dada, qui fait que nous avons bien du mal à catalo­guer, à désigner les invariants de tel ou tel mouvement. Au point que cette confusion, chaque fois que nous la rencontrons, associée à d’autres constantes, légi­time l’appellation Dada.

Proclamant la dictature de l’esprit, ce mouvement incarne le soulèvement de la vie, de la jeunesse, désireuse de vivre après s’être débarrassée des forces mortifères. J’ai déjà signalé l’individualisme de ces artistes que l’amitié seule peut unir, le temps d’une action d’éclat. On n’est donc pas surpris de les voir se quereller pour des raisons mesquines, se réconcilier aussitôt pour ce qui, la plupart du temps, les dépasse.

C’est l’humour (avec ou sans H, si l’on est ami de Jacques Vaché) qui transcende leurs propos et leurs actions. Tzara déclarera d’ailleurs que, sans humour, la poésie, qui est la vie, ne vaut pas la peine d’être vécue.

La fin de Dada est relativement indéterminée, selon les chronotopes envisagés. Les uns ont éclaté littéralement, chacun de leurs membres adoptant la solution de son choix : la foi, l’épicerie ou le suicide. D’autres se sont réfugiés dans le silence, quand ils ne s’y sont pas perdus à jamais. D’autres ont reparu sous l’hypostase surréaliste. Outre qu’il offrait une porte de sortie honorable à ces révoltés lassés de se répéter, il faut bien reconnaître que le surréalisme s’est véritablement livré à une OPA sur ce qu’il restait de son prédécesseur !

Ailleurs, n’oublions pas le contexte politique, les Italiens se tournèrent vers le fascisme ou l’anti-fascisme, les Allemands durent entrer dans des organismes sérieusement organisés pour éviter l’autodafé généralisé, etc.

Que restait-il alors de cette explosion de la jeunesse ? S’il n’y avait que le rire et l’humour, ce serait déjà un bilan positif, surtout quand on le compare à celui des politiques, ou encore au « retour à l’ordre » prôné par les bien pensants ! Mais il y a bien davantage : la pratique systématique et raisonnée de l’incohérence leur a ouvert les portes de l’inconscient. Je veux dire qu’ils ont su déjouer la censure toute puissante du surmoi pour mieux plonger dans le fleuve noir. Ce sont bien les scientifiques qui ont exploré, avec des techniques appropriées, les méandres de ce cours d’eau, qu’ils ont considéré individuellement ou collectivement. Mais, comme l’a prouvé Gaston Bachelard une décennie après, il a fallu que les poètes et les plasticiens se livrent à l’aventure pour que les savants puissent en tirer leurs leçons.

Enfin, il ne faudrait pas minimiser la toute puissance du hasard, qui est à l’origine de tant d’œuvres et de pratiques nouvelles, systématisées, telles que les rayographies de an Ray, ou les schadographies de Christian Schad, et tant de collages ou de montages innombrables, plus désorientants les uns que les autres.

***

C’est sur un tel fonds qu’il faut apprécier la raison d’être et la qualité des manifestations du centenaire de Dada.

Alors que la manie commémorative tend à s’estomper collectivement, on n’est pas peu surpris de voir se constituer des associations vouées à célébrer la machine infernale qu’était Dada. Qui plus est, sur les lieux mêmes où il a surgi, alors que les édiles de Zurich ne s’étaient pas distingués, auparavant, par leur zèle en faveur de Dada !

Sans énumérer toutes les présentations du Mouvement depuis son décès plus ou moins constaté, il convient de mentionner l’exposition du cinquantenaire, à Zurich et à Paris, en 1966-67, qui, la première, démontra, contre les anciens dadaïstes, qu’il valait la peine de recueillir les morceaux épars de leur explosion initiale. Plus près de nous, l’exposition du Centre Pompidou, en 2005, ne prétextait aucune justification historique, ce qui lui permit de montrer, par un parcours labyrinthique, le plus vaste ensemble d’œuvres textuelles, plastiques ou sonores, jamais rassemblé.

L’année 2016 n’a pas démarré en fanfare pour Dada. Mais les attachés de presse s’étaient chargés d’informer leurs interlocuteurs de tout un programme d’activités qui devaient débuter en février, et se produire à Zurich, son foyer de naissance, à Berlin ou à Paris. Parallèlement, militaires et politiques se focalisaient sur le centenaire de Verdun, champ de bataille où périrent 700.000 soldats des deux camps. Le contraste reste saisissant entre cette atmosphère morbide de la commémoration de Verdun, malgré la mise en scène juvénile du vieux cinéaste Volker Schlöndorff, et celle de Zurich, vigoureuse, pleine de vitalité, véritable hymne à la joie.

Dans l’impossibilité de commenter chacun de ces événements, j’en distinguerai trois, parmi les plus représentatifs et les plus significatifs.

En premier lieu, je détacherai cette lecture, à l’aube, et durant 165 jours, d’œuvres dada par le directeur du Cabaret Voltaire. Il se trouve qu’un auditeur anonyme, pris aux tripes par la cérémonie matinale dans la forêt, en fut si bouleversé qu’il décida de transformer sa vie, désormais intégralement vouée à Dada. Il m’a confié, à moi parlant, ce bouleversement dans sa manière de vivre et d’agir avec ses semblables. Mis à part cet investissement personnel, il faut préciser que le local du Cabaret Voltaire, récemment réhabilité par la ville, est devenu à la fois un lieu de mémoire et le bistro culturel le plus vivant du quartier, avec ses conférences et ses spectacles qui tournent autour de Dada, parce qu’il est fréquenté par la jeunesse des écoles.

Autre événement remarquable : la tentative de reconstitution de l’anthologie dada que devait être Dadaglobe. Elle avait été confiée à Tzara par les éditions de la Sirène, sur le modèle de l’Anthologie nègre réalisée par Blaise Cendrars en 1921. En raison des trop nombreuses illustrations confiées par les dadaïstes, le projet échoua, faute de moyens. Mais les documents n’avaient pas disparu : un bon nombre de textes ou poèmes s’est retrouvé à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet, que nous avions publié auparavant dans la revue Dada-Surréalisme, n° 1. Américaine, l’historienne d’art Adrian Sudhalter se mit en tête de rassembler le maximum de documents complémentaires en vue d’une exposition à Zurich puis à New York. Une fois de plus, la thèse exprimée par Max Ernst, selon laquelle il était inutile de recueillir les débris dada, a été mise en échec.

En troisième lieu, je retiendrai l’exposition « DADA Afrika » abordant, pour la première fois dans un tel contexte officiel, un sujet peu étudié jusqu’à présent : la découverte des cultures et des « arts primitifs » par les dadaïstes. Des matériaux, formes, textes et musiques provenant d’Afrique, d’Océanie, d’Asie et d’Amérique ont servi de source d’inspiration et de référence pour les deux tendances coexistantes du mouvement, l’abstraction d’une part, le « primitivisme » d’autre part. Fruit de la coopération du Musée Rietberg de Zurich et du musée berlinois Berlinische Galerie, on y perçoit surtout la touche des conservateurs de Berlin, fort avertis des contacts de civilisations Nord-Sud.

Je ne saurais quitter ces actes de mémoire sans mentionner les efforts considérables des Roumains pour ramener l’enfant prodigue, tant Tzara que Dada, au giron de Bucarest. On sait à quoi s’en tenir pour ce qui concerne Tristan Tzara, lequel n’a pas composé plus d’une quintaine de poèmes en roumain, confiés avant son départ à l’ami Ion Vinea, chargé de les valoriser au mieux parmi les revues d’avant-garde. L’exposition, sous le titre Tzara, Dada, etc., de ses œuvres plastiques et poétiques détenues par le collectionneur Emilian Radu n’en demeure pas moins émouvante. Pour la Roumanie redevenue une démocratie, il s’agit bien de se réapproprier ce qui, à son sens, n’aurait jamais lui échapper. De là la multiplication des colloques, expositions, éditions, ayant pour objectif de montrer les racines roumaines des œuvres qui se sont épanouies à l’extérieur.

J’ai gardé pour la fin l’événement le plus important, l’exposition consacrée au seul Tristan Tzara. Elle se produisit au Musée d’art moderne de Strasbourg, du 24 septembre de l’an passé au 17 janvier 2016. Son titre exact était : Tristan Tzara, l’homme approximatif, poète, écrivain d’art, collectionneur. À partir du clin d’œil à son épopée majeure, on mettait l’accent sur les trois lignes de force de son activité. Le fait est d’autant plus notable qu’il s’agissait de la première exposition d’envergure nationale consacrée au poète.

L’usage d’expositions monographiques pour les peintres est parfaitement établi depuis plus d’un siècle : il suffit d’accrocher leur production picturale sur un mur, de la façon la plus appropriée à l’œuvre en question. Mais qu’en est-il pour les poètes ? On peut, au maximum, présenter les différents états d’une œuvre, du manuscrit à la réalisation finale, au livre pour tout dire. Un peu limité en matière visuelle, n’est-ce pas ? Sauf à détourner le problème en pointant sur la biographie, à l’aide de photographies et de documents d’époque, ou bien en s’appuyant sur des ensembles parfaitement visibles, des tableaux élaborés par les amis peintres. Par chance, Tzara, qui fut peintre à ses heures (on ne le savait pas puisque rien de cette activité plastique n’avait paru à ce jour), publia une cinquantaine de plaquettes ornées d’une œuvre gravée par un ami, choisi parmi les plus connus de l’époque. Outre la présentation de ces livres, ouverts à la page ad hoc, il était justifié de montrer les tableaux s’y rapportant, d’une manière ou d’une autre.

Les commissaires ont opté pour un parcours suivant l’ordre chronologique, sans doute le plus acceptable aux yeux d’un public, il faut en convenir, généralement ignorant de l’œuvre de Tzara, quand il ne le réduit pas à sa période Dada (1916-1923) ! D’autres choix étaient possibles, d’ordre thématique par exemple, mais n’allons pas gâcher notre plaisir ! Enfin Tzara parlait seul, à l’avant de tous et pour tous. À en croire la presse, le public accueillit très favorablement cette exposition, accompagnée d’animations diverses. Tardivement, mais sûrement, le poète revient sur le devant de la scène, comme autrefois au temps de Dada.

Henri BÉHAR

1. Louis Janover, La Révolution surréaliste, op. cit. p. 43.

2. Hugo Ball : La Fuite hors du temps, 24-V-1917.

André Breton chronologie numérique (4)

1922-1924

1922

1922-1924 Littérature, nouvelle série, n° 1 à 13.

Janvier, installation du couple Breton au 42, rue Fontaine.

3 janvier : appel d’AB pour le Congrès de Paris.

Février  : projet bibliothèque de J. Doucet, AB avec Aragon : (OC I, 631-36).

1er mars  : Littérature, nouvelle série, n°1. (texte numérisé). Directeurs : AB et Philippe Soupault. Administration Au Sans Pareil.

Contributions AB : « Récit de trois rêves » ; « André Gide nous parle de ses Morceaux choisis » ; « Interview du professeur Freud à Vienne ». « L’Esprit nouveau ». Reproduction du Cerveau de l’enfant de Chirico, toile qui restera au-dessus de son bureau jusqu’en 1956.

2 mars  : AB : « Après Dada », Comoedia, n° 3364.

30 mars  : Échec du « Congrès pour la détermination des directives et la défense de l’Esprit moderne », dit « Congrès de Paris » suscité par AB aux artistes novateurs et aux directeurs de revues : R. Delaunay, F. Léger, A. Ozenfant, J. Paulhan pour la NRF, AB pour Littérature, R. Vitrac pour Aventure. « Le Congrès de Paris est foutu, Francis Picabia en fait partie » déclare Picabia. Invité pour Dada, T. Tzara se récuse.
Voir dossier coupures de presse : http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb38736782v

1er avril  : Littérature, n.s., n° 2. AB : « Lâchez tout » : AB quitte Dada.

Avril : T. Tzara publie Le Cœur à barbe 4 p. en réponse à AB.

6 mai : AB, Fraenkel, Rigaut à la Foire du Trône.

9 mai, conseillé par AB, J. Doucet achète La Charmeuse de serpents du Douanier Rousseau (50 000 FF), à Robert Delaunay, sous réserve qu’à sa mort le tableau ira au Louvre.

21 mai : réponse de AB à l’enquête du Figaro : « La poésie écrite perd de jour en jour sa raison d’être » (OC I, 267)

4 juillet  : 3e vente Kahnweiler, se procure un Léger et trois Braque.

12 août : AB à Lorient, chez ses parents. Développe pour Doucet ce qu’il entend par « esprit nouveau », et se tourne vers Marcel Duchamp.

Septembre-novembre : Période des sommeils provoqués (inspirés de la technique des médiums, sans leurs présupposés), à l’initiative de R. Crevel, qui se livre à la 1re séance devant témoins. Une phrase revient constamment : « On vend à l’encan les robes de la princesse de Lamballe, mais on ne vend pas ses chapeaux ».

Relation de l’événement par AB dans « Entrée des médiums », (Littérature, n° 6, nov. 1922). Voir dossier Archives AB, lot 2 026.

AB consigne un dialogue entre B. Péret et Crevel dans « Comme il fait beau ! » (OC I, 439).

1er septembre : à partir de cette date, G. Gallimard prend en charge l’édition de Littérature dirigé par AB seul (et le soutien financier de Doucet).

1er septembre : « AB : « Clairement », Littérature, n.s., n° 4.

27 octobre : AB à J. Rivière : « l’intérêt de ces séances… ne va pas croissant, au contraire ». Sollicité depuis le début du mois, Man Ray photographie Desnos en plein sommeil provoqué. Voir la sténographie intégrale de la séance.

Mussolini

29 octobre : Mussolini prend le pouvoir à Rome.

30 octobre : Picabia conduit AB à Barcelone dans sa voiture , avec Germaine Everling et Simone.

Étape à Marseille : visite de l’Exposition coloniale. « le plus triste jardin zoologique de ma connaissance », dit Breton. Voir : « Souvenirs de voyage : l’exposition coloniale de Marseille », Littérature, n. s. n° 8, 1er janvier 1923, pp. 3-4

Exposition de Picabia Galerie Dalmau, 18 octobre-8 décembre 1922, catalogue préfacé par AB.

2 novembre : AB envoie une carte postale de La Sagrada familia, de Gaudi, à Picasso : « Connaissez-vous cette merveille ? »

17 novembre : à l’Ateneo de Barcelone, Conférence AB : « Caractères de l’évolution moderne et ce qui en participe ». « Il n’y a qu’une chose qui puisse nous permettre de sortir, momentanément au moins, de cette affreuse cage dans laquelle nous nous débattons et ce quelque chose c’est la révolution, une révolution quelconque, aussi sanglante qu’on voudra, que j’appelle encore aujourd’hui de toutes mes forces. » (OC I, 305)

1er décembre : AB propose à différents artistes (Brancusi, Cendrars, Picasso) d’organiser un nouveau salon, dans le prolongement de sa conférence. Échec.

1er décembre : « Les mots sans rides », Littérature, n°6, à propos des jeux verbaux de Marcel Duchamp : « Et qu’on comprenne bien que nous disons : jeux de mots quand ce sont nos plus sûres raisons d’être qui sont en jeu. Les mots, du reste, ont fini de jouer. Les mots font l’amour. » (OC I, 286)

11 décembre : intervention d’AB et ses amis à la représentation de Locus Solus de Raymond Roussel, adaptation de Pierre Frondaie, sifflée par les invités au théâtre Antoine lors de sa création (le 8 décembre). Le lendemain, AB fait remettre un exemplaire des Champs magnétiques à l’auteur, ainsi dédicacé : « À Raymond Roussel pour Locus Solus, le seul spectacle auquel il m’ait été donné d’assister. »

1923


15 février : mise en vente de Littérature, n° 9, sous la seule responsabilité d’AB désormais.

18 février : AB : « La Confession dédaigneuse » La Vie moderne, XLVe année, n° 6, n° 7 (25 février 1923) ; n° 8 (4‑11 mars 1923) et dans les numéros des 18 et 25 mars. OC I, 1222).

28 mars : AB signe un contrat avec Gaston Gallimard pour la publication d’un recueil d’articles, Les Pas perdus.

4 avril  : J. Rivière déclare à AB qu’il fera désormais le silence sur ses activités.

7 avril  : « André Breton n’écrira plus », interview par Roger Vitrac dans Le Journal du peuple. Desnos prend la même décision. Duchamp qui, dans le même temps, abandonne son Grand Verre.

14 avril : « Tristan Tzara va cultiver ses vices », interview par Roger Vitrac, Le Journal du peuple.

6-7 mai : 4e et dernière vente Kahnweiler AB, Desnos, Éluard et où seront bradés nombre de papiers collés de Braque et de Picasso.

3 mai : AB rompt avec Picabia et lui fait connaître ses réserves.

4 mai  : Aragon, Breton, Morise et Vitrac imaginent de parcourir la France à pied, durant une dizaine de jours, en dormant à la belle étoile, et de voir ce qui en ressortirait, sur tous les plans. Le tirage au sort les fait partir de Blois, pour parcourir la Sologne, ses marais, ses sables insalubres, etc. à la gare d’Argent, Morise s’attaque à un christ qui n’avait rien à y faire. Au cours de la marche, Aragon et Vitrac se chamaillent. Ce dernier à évoqué l’expérience sous le titre de « voyage magique », de caractère initiatique. Déambulation écourtée, décevante sur le plan formel, d’où naquirent pourtant de beaux textes automatiques, où les femmes, absentes du quatuor, sont très présentes.

15 mai : élection du « cartel des gauches ».

15 mai : recréation de L’Étoile au front de Raymond Roussel. Réplique de Desnos : « Nous sommes la claque et vous êtes la joue ».

20 juin : G. Gallimard présente son compte à AB. Il lui doit 3.000 FF pour Littérature (3 415,16 Euros en 2022 ), qui n’a que 20 abonnés ; les libraires refusent d’en prendre le dépôt, etc. AB décide de publier sa revue sous forme de numéros spéciaux. Gallimard accepte de poursuivre sa gestion.

6 juillet : Soirée du Cœur à barbe, organisée au Théâtre Michel par le groupe Tcherez. Sabotage par AB et ses amis, au prétexte que la pièce de Tzara a déjà été jouée. En 1re partie ; Pierre de Massot vient déclamer une provocante litanie des morts. AB s’insurge, monte sur la scène et le frappe de sa canne, lui cassant le bras. Chahut.

14 août : AB prend son congé d’été. Séjourne à Lorient avec Simone.

22 août : AB compose une vingtaine de poèmes dont il se déclare satisfait (lettre à J. Doucet, (OC I, 1 185)
Visite surprise à Lorient d’Éluard et Marcel Noll.

7 septembre : AB et Simone se rendent au manoir de Camaret pour rencontrer le poète Saint-Pol Roux, qui les accueille chaleureusement. Il offre Anciennetés, accompagné de cette dédicace : « À André Breton “le verbe doit parler autrement et dire autre chose”, en souvenir de sa visite et de celle d’enchantement de sa jeune dame, Saint-Pol Roux, manoir de Coecilian, 7 septembre 1927 » (7 au lieu de 3) Le recueil Clair de terre lui est dédié.


Le manoir de Saint-Pol-Roux vers 1925 – photo Georges Arlaud.

9 octobre : Picasso lui offre son portrait qui figurera dans le recueil Clair de Terre, publié à compte d’auteur par AB, achevé d’ipmrimer le 15 nov.

Portrait d’André Breton par Pablo Picasso. Clair de terre.

14 octobre : AB à Valvins pour hommage à Mallarmé.

Paul Nadar, Stéphane Mallarmé au châle, photographie, 1895© YVAN BOURHIS

20 octobre : Les Feuilles Libres publient un inédit de Rimbaud, « Poison perdu ». AB dénonce aussitôt le faux.

11 novembre : AB n’apprécie pas la maison d’Eluard à Eaubonne : « La décoration de Max Ernst dépasse en horreur tout ce qu’on peut imaginer. On se prend à regretter Boucher, à quoi rêvent les jeunes filles, les petits Saxes. » (Lettre à Simone)

8-24 décembre : Procès aux assises de Germaine Berton (1902-1942). Ouvrière, anarchiste libertaire. Elle est jugée pour l’assassinat, le 22 janvier 1923, de Marius Plateau, membre de l’Action française et chef des Camelots du Roi. Simple accident du travail, ironise Aragon. AB déclare :« l’opinion de Germaine Berton est infiniment plus considérable que celle de Monsieur Gide ».

À l’issue de son procès, AB et ses amis Aragon et Max Morise lui portent une corbeille de roses rouges avec ces mots : « À Germaine Berton, qui a fait ce que nous n’avons pas su faire. » (lettre de Simone à Denise, 24 décembre 1923).

1924

28 janvier : AB à Félix Fénéon :« Je vous dois un très grand plaisir, qui a fait l’enchantement de toute une journée. Est-ce à la révélation de Seurat, est-ce à votre charmant accueil et à celui de Mme Fénéon que j’ai éprouvé le plus de joie – je ne saurais le dire, mais je me promets bien, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, de ne pas en rester là avec vous. »

1er février 1924 : « La confession dédaigneuse », [extrait], Paris-Journal.

5 février 1924 : AB : Les Pas perdus, essais 1918-1923. Paris, Gallimard, coll. Documents bleus, 212 p.

Mars : la librairie Gallimard, Bd Raspail, consacre une vitrine à : Les Pas perdus, avec les ouvrages auxquels il est fait référence, de pages manuscrites, etc.

8 mars : Simone absente, Desnos dîne chez AB, puis ils se livrent à des exercices d’écriture et notent « la voix qui se cache après avoir parlé et qui se tait et qui abuse ».

24 mars, Éluard disparaît. Le lendemain, son recueil Mourir de ne pas mourir paraît avec cet exergue « Pour tout simplifier je dédie mon dernier livre à André Breton ». Celui-ci est très affecté. Il écrit : « Quel est‑il ? Où va‑t‑il ? Qu’est‑il devenu ? […] N’a‑t‑il pas suivi le chemin qui se perd dans les cerveaux de l’idée, ne faisait‑il pas partie du glouglou de la bouteille de la mort ? » (OC I, 381).

Éluard fera un long voyage autour du monde, et sera de retour en octobre, au Cyrano, comme si de rien n’était.

18 avril : AB rédige une définition du surréalisme qui ne doit rien à Apollinaire.

17 juin : AB informe Simone qu’il projette d’écrire un manifeste avec Aragon et Soupault ; pour définir leur conception du surréalisme.

Fin juin : AB achève sa présentation de Poisson soluble :  C’est vivre et cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires. L’existence est ailleurs. » (OC I, 346)

Juillet : AB et Simone en vacances à Lorient.
Rencontre des amis éparpillés en Bretagne.
AB transforme sa préface en Manifeste du surréalisme.

13 juillet : AB et Simone viennent en aide à Clara Malraux, dont le mari est condamné à la prison pour vol de pièces sacrées en Indochine.

22 juillet : AB vient au secours de Limbour , impliqué dans un incident à Mayence.

3 octobre : AB fait la connaissance d’André Masson en son atelier. Amitié décisive.

3 octobre : Antonin Artaud refuse de se lier à un groupe, quel qu’il soit, mais il accepte de rencontrer les futurs surréalistes au café Cyrano, « beau comme une vague, émouvant comme une catastrophe », dit de lui Simone ».

7 octobre : retour d’Éluard : «  « Alors, il m’a mis un petit mot, qu’il m’attendait hier à Cyrano, ni plus ni moins. / C’est bien le même, à n’en pas douter. / Des vacances, quoi. » AB à Marcel Noll.

10 octobre : décision de fonder une revue, La Révolution surréaliste, dirigée par Pierre Naville et Benjamin Péret (1924-1925) pour les numéros 1 à 3.

Manifeste du surréalisme et fiche pédagogique sur le surréalisme

10 octobre : ouverture du Bureau de recherches surréalistes, 15 rue de Grenelle. Dirigé par Francis Gérard puis Antonin Artaud.

Le Bureau est ouvert chaque après-midi à tout public. Un registre consigne l’activité.

Voir les Archives du Cahier du Bureau des Recherches surréalistes paru en 1988, présentées et annotées par P. Thévenin.

11 octobre : Maurice Martin du Gard : « André Breton », Les Nouvelles littéraires. Compte rendu du Manifeste du surréalisme lu sur épreuves.

15 octobre : Manifeste du surréalisme, Poisson soluble. Paris, éd. Du Sagittaire chez Simon Kra, 1924, 194 p.

Parmi bien d’autres, un envoi de l’auteur à un grand penseu: « à Henri Bergson, / très humble hommage / d’admiration / André Breton / 42 rue Fontaine Paris IXe »

18 octobre 1924 : Un Cadavre, pamphlet après la mort d’Anatole France ; Aragon et Breton renvoyés par Jacques Doucet (qui ne se séparera d’eux que progressivement).

8 novembre 1924 : AB propose à Jacques Doucet d’élaborer une bibliographie de sa collection littéraire pour en déterminer la valeur bibliophilique.

3 décembre : AB, Aragon, Naville à l’imprimerie où sort La Révolution surréaliste.

12 décembre 1924 : J. Doucet acquiert enfin Les Demoiselles d’Avigon. AB le félicite : « Pour moi c’est un symbole pur, comme le tableau chaldéen, une projection intense de cet idéal moderne que nous n’arrivons à saisir que par bribes » (Lettres).

Surréalistes confinés ?

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Les mesures gouvernementales et notre santé l’exigent: nous voilà tous confinés, pour bien des jours encore.

Mais cela ne veut pas dire que les recherches concernant nos plus chères études le soient. Les textes surréalistes peuvent être lus et relus ; les travaux à leur sujet peuvent se développer autant qu’il le faudrait puisque les bases de données sont encore accessibles, ainsi que le réseau internet pour y accéder. Aussi puis-je satisfaire la curiosité légitime de mes lecteurs, dont certains me demandent quelle était l’attitude des surréalistes à l’égard du vocable “confiné”.

Pour ma part, je n’en ai aucune idée. Je vais tout simplement me mettre à lire les œuvres des auteurs surréalistes qui sont à ma disposition.

N’ayant pas les ouvrages sous la main (les bibliothèques ne me sont pas accessibles), je vais me contenter d’interroger mon golem, lequel conserve les œuvres complètes numérisées d’Aragon (jusqu’en 1932), d’André Breton (du début à la fin), de René Crevel, de Robert Desnos, de Paul Éluard (jusqu’en 1938), de Julien Gracq, de Michel Leiris (seulement La Règle du jeu), de Benjamin Péret, de Prévert et de Tristan Tzara. Par acquis de conscience, je confronterai mes données avec celles que me fournira Frantext, qui contient les mêmes textes puisque j’ai moi-même fourni les bandes numériques (c’est ainsi qu’on parlait alors !) à cette plus grande banque de langue franaise.

J’ai donc constitué une liste de mots, de la famille du verbe confiner (confiné/és/ée/ées, confinement/s) et demandé à la machine de men fournir les attestations dans les œuvres indiquées précédemment, auxquelles j’ai ajouté, pour finir, les deux principales revues du surréalisme, La Révolution surréaliste et Le SASDLR.

On en trouvera le résultat classé par auteur, avec une présentation différente pour Éluard et Gracq ( la vérité est que le logiciel Hyperbase dont je me servais autrefois n’est plus accepté par Windows 10, et que je n’ai pas voulu déranger l’ami Etienne Brunet pour qu’il me fournisse une version actualisée de cet outil).

Bien entendu, je laisse le soin aux lecteurs de se faire l’idée qu’ils voudront de l’emploi du vocable recherché. Il me semble, néanmoins, que la quantité de textes examinés montre un sous-emploi du terme en question, ce qui concorderait avec l’expression de la liberté chez nos auteurs.

29 mars 2020. HB 

I. ARAGON Louis : 2 occ.

1. Le Paysan de Paris (1926)

LE PASSAGE DE L’OPéRA (1924) (p. 716)

Dire que derrière ces carreaux se confine une double existence passive, aux limites de l’inconnu et de l’aventure! Depuis des années et des années le couple des portiers

se tient dans cette taupinière à voir passer des bas de robes et des pantalons grimpant à l’échelle des rendez-vous.

2. Le Paysan de Paris (1926)

LE SENTIMENT DE LA NATURE AUX BUTTES-CHAUMONT (1925) (p. 864)

LONGUEUR TOTALE DES RUES,

QUAIS, BOULEVARDS, ETC.

52 KILOMes 383 Mes

Le 19e ARRt CONFINE Aux

18e, 10e et 20e ARRts

LES PORTES DE ROMAINVILLE,

DES PRéS St GERVAIS ET DE PANTIN,

DE FLANDRE ET D’AUBERVILLIERS,

LES LIGNES DE L’EST, LES CANAUX

DE L’OURCQ ET DE St DENIS,

LE METTENT EN COMMUNICATION

AVEC L’EXTéRIEUR DE PARIS

BâT. DE LA DOUANE, Bd DE LA VILLETTE

BASSIN ET DOCKS DE

II. BRETON, André : 2 occ.

1. SITUATION DU SURRÉALISME ENTRE LES DEUX GUERRES, p. 715

Valéry s’était confiné à des exercices poétiques d’un caractère inactuel très appuyé, Proust à des études de milieux sociaux que les événements ne semblaient pas même avoir pu toucher  ; paradoxalement ils n’allaient pas tarder à en être payés par les plus grands honneurs.

2. p. 1172 Anthol.

 Il s’agit, en effet, de vieux peuples qui, sous la pression de races jeunes en puissance d’instaurer un nouveau mode de vie qui implique une évolution continue, ont été, soit acculés aux extrémités des continents, soit confinés dans les régions les plus ingrates de la terre.

III. CREVEL René, 3 occ.

1. La Mort difficile (1926)

LE DîNER AVEC DIANE (p. 163)

Dès qu’elle l’avait quitté, les jours où il s’était confiné dans sa propre douleur, sans avoir un mot affectueux pour elle, Diane laissait tomber le masque et du sourire qu’elle avait singé durant des heures, une glace soudain lui montrait qu’il ne restait plus que deux petites rides. Deux petites rides.

2. La Mort difficile (1926)

III, LE DîNER AVEC DIANE (p. 166)

Or durant le dîner, les couleurs qui soudain ont embelli les joues trop pâles du jeune

garçon, le silence où il s’est confiné, son appétit aussi, ont donné à Diane notion d’une

force dont Pierre, sans doute, dans son désarroi, n’avait lui-même pas encore pris conscience.

3. Les Pieds dans le plat (1933)

VII, LE QUATORZIÈME CONVIVE (p. 254)

cette inconnue qualifiée de fin de siècle s’étendit dans mes rêves, aussi belle, aussi grande, aussi gaie, aussi folle d’amour et d’attendrissantes rengaines que toute la ville de Paris, la ville dont un petit garçon confiné à Passy, alors presque la campagne, tentait d’imaginer les danses et les rires sous une pluie de confettis, au temps de Mi-Carême.

IV. Desnos = 0

V. Éluard = 3

Poésie ininterrompue :

Je respire souvent très mal je me confine Moralement aussi surtout quand je suis seul Dans ce rêve

 de raisonne confiné   Vitres brisées feu dispersé

où les rayons confinent   l’ ennui dans l’ esprit où

VI. GRACQ Julien

confinée              5   RS  31b   RS 184c   FV  79b   SC 102a   CC 268e  

confinées             2   CC  68a   CC 269a  

confinement           9   RS 196f   EC 269c   EC 269c   FV  13b   SC  25a   SC 121b   SC 134b   CC  33a   CC 138e  

confinés              1   SC  24b  

confine                               1

SC  10b|  pas beaucoup . Et qui d’ ailleurs confine souvent à l’ indifférence . Je                                     

confiné  8

Au château d’Argol (1938)

LA CHAPELLE DES ABÎMES (p. 106)

il semblait que ce lieu fût si parfaitement clos que l’air confiné n’y pût circuler davantage que dans une chambre longtemps fermée, et, nageant autour des murs en un nuage opaque, et pénétré depuis des siècles des parfums persistants de la mousse et des pierres desséchées, devînt comme un baume odorant où plongeaient ces précieuses reliques.

André Breton (1948)

III BATTANT COMME UNE PORTE (p. 102)

Bien loin de filer de ses sécrétions mentales un cocon douillet, d’étouffer en l’isolant dans cet air confiné l’impossible chrysalide de l’homme en soi, il ne souhaite plus être

qu’empreinte en creux des hasards de la grande aventure

RS 282f|  . L’ inertie n’ aurait – elle pas confiné à la légèreté ?   Pressentant  

RS 300g|   eût dit , plutôt qu’ il n’ était confiné par eux , que cet air conserva 

BF 181d|   Une nausée lui venait de cet air confiné , de ce jour plâtreux , vieill 

PR  65d|  miliers autour de lui , de l’ air confiné qu’ il a respiré , de cette es 

SC 122c|  s d’ un lazzaronat mendicitaire , confiné dans ses ruelles , ses placett                                         

confinée 5

RS  31b|  re , et le jour douteux , eussent confinée dans l’ étude de quelque disc 

RS 184c|  on si aiguè de cette tranquillité confinée , pareille à celle d’ un herb 

FV  79b|  rdait en plein soleil l’ humidité confinée , et presque encore la pénomb 

SC 102a|  olée , enclose et encolonnée , et confinée dans un dialogue codé sans su 

CC 268e|  int – Germain l’ énergie Verdurin confinée jusque – là dans la plaine Mo                               

confinées  2

CC  68a|  , et d’ où l’ haleine des plantes confinées déferle sur la route aussi i 

CC 269a|   fortes pressions emprisonnées et confinées , et d’ espaces libres capri                                         

confinement 9

RS 196f|   et poudreuse , pareille dans son confinement et sa douceâtre odeur de p 

EC 269c|  montagne , c’ est le sentiment de confinement qui en vient à dominer : c 

EC 269c|  finement qui en vient à dominer : confinement douillet , ouaté , protégé 

FV  13b|   m’ a toujours paru être celui du confinement : son site mesquin , chois 

SC  25a|  veillement — un peu comme dans le confinement d’ un musée sans fenêtres  

SC 121b|   autres , c’ est l’ impression de confinement . Ville aux trésors , cert 

SC 134b|   Florence est surtout sensible au confinement provincial , au renfermé d 

CC  33a|   un sentiment de stagnation ou de confinement comparable à celui qui me  

CC 138e|  atisme figé de mes habitudes , le confinement dans un cercle de relation                                         

confinés  1

SC  24b|   ses collines , des compartiments confinés , pareils aux caissons dorés                                               

VII. LEIRIS Michel : 5 occ.

1. La Règle du jeu p.91

On s’étonnait, l’écoutant, que le diaphragme ne se brisât pas en miettes ou, tout au moins, qu’il ne s’étoilât pas; de même, il pouvait sembler singulier que les carreaux des fenêtres ne finissent point par céder, sous les pulsions inquiétantes de l’air, dans tous les endroits confinés où il advenait que se produisît le dentiste à la voix caverneuse, ce géant dont la taille était si exactement appariée au volume de son chant.

2. La Règle du jeu p.113

Mais l’image que je me faisais, enfant, de la vieillesse m’apparaît comme difficilement séparable des lieux confinés, des chambres closes, alourdies de housses, de tentures, de rideaux et de carpettes.

3. La Règle du jeu : 1 : Biffures (1948)

IL ÉTAIT UNE FOIS… (p. 164)

Celui-ci [l’ancien temps] continuait, certes, d’exister dans le fond des campagnes, plus fidèles aux vieilles choses que les villes, mais il avait déserté ces dernières et se chauffait maintenant frileusement dans l’âtre des masures enfumées, confiné dans les endroits perdus où il avait dû autrefois prendre naissance, quelque part en Gaule romanisée, du côté des premiers roitelets francs.

4. Or, cette journée que j’escomptais la plus ouverte à tous venants et la moins confinée ne fut pour moi, en vérité, pas même une journée de plein air puisque je restai jusqu’assez tard dans la soirée chez des commerçants levantins qui fêtaient la Victoire avec mes hôtes de midi et quelques-unes de leurs connaissances.

5. La Règle du jeu : 3 : Fibrilles (1966)

LA FIÈRE, LA FIÈRE…, I (p. 60)

Pour le jeune citadin habituellement confiné, le jardin de la maison qu’on occupe en été ou de celle qu’habite en permanence tel membre du cercle de famille n’est pas seulement un lieu à police moins étroite, mais – aussi familier qu’il soit – un territoire aux multiples replis toujours à explorer et propice à la manifestation de bien des choses singulières.

VIII. PERET : 1 occ.

tome III, p. 216

Il s’arrêta, écoutant sa voix que les échos répercutaient jusqu’aux confins du monde, puis il lança sa gouttière sur le portail de Notre-Dame, qui s’enfonça dans les ténèbres. La gouttière traversa toute la nef et vint remplacer le crucifix qui dominait le maître-autel.

IX. PREVERT = 0

X. SOUPAULT = 0

XI. TZARA Tristan = 5 occ.

1. Personnage d’insomnie (1934)

VIII RAPPORTS ENTRE LA FEMME ATTENDUE,, LA VIE ERRANTE ET LE DéPEUPLEMENT D’UNE îLE (p. 193)

elle alterne avec les heures misérables et se confine dans la chaleur des ruches et des nids chevelus elle manque de dimensions et lorsqu’elle se disperse et prend part au mouvement des cils vibratiles le jour et la nuit se mélangent au vin

2. Grains et issues (1935)

DES RÉALITÉS NOCTURNES ET DIURNES (p. 54)

Vus à travers l’air raréfié des mirages, dans leurs anneaux qui lèvent à la hauteur des meurtres le sens ventripotent des mondes affinés, le calme des montagnes se confine dans les branchages sous-marins des frayeurs instantanément immobilisées et des villages entiers rampent

3. Grains et issues (1935)

DES RÉALITÉS NOCTURNES ET DIURNES (p. 67)

De nouveau la fleur se confine dans la chaleur maussade des carniers. Aucune fenêtre ne se réveille dans la tête. Aucun désir n’assume la responsabilité du vent.

4. Le Surréalisme et l’après guerre,

Note IV: p.125

Si les mots ne naissent que lorsque l’idée qui les désigne s’est confinée en une image assez limitée et stable pour que le déclenchement d’un mécanisme minimal de la représentation les affecte, les formes mêmes de la phrase par lesquelles les possibilités de la pensée arrivent à s’exprimer sont incluses en miniature dans le procédé de la formation des mots et reproduisent sur une plus grande échelle la somme globale des expériences vécues et concluantes.

5. Les brumes de sa Bretagne natale ont fait beaucoup de tort à Corbière. Elles ont pendant longtemps confiné son souvenir dans le pittoresque d’un régionalisme quelque peu conventionnel.

XII. COLLECTIF – La Révolution surréaliste. N° 2, première année. 15 janvier 1925 (1925)

1. LEIRIS,, Michel, Le pays de mes rêves (p. 27)

Si je trace autour de moi un cercle avec la pointe de mon épée, les fils qui me

nourrissent seront tranchés et je ne pourrai sortir du cachot circulaire, m’étant à jamais séparé de ma pâture spatiale et confiné dans une petite colonne d’esprit immuable, plus étroite que les citernes du palais.

COLLECTIF – La Révolution surréaliste. N° 3, première année. 15 avril 1925 (1925)

2. MANIFESTES, Adresse au Pape (p. 16)

Nous ne sommes pas au monde. Ô Pape confiné dans le monde, ni la terre, ni Dieu ne parlent par toi.

Le monde, c’est l’abîme de l’âme, Pape déjeté, Pape extérieur à l’âme, laisse-nous nager dans nos corps, laisse nos âmes dans nos âmes, nous n’avons pas besoin de ton couteau de clartés.

COLLECTIF – La Révolution surréaliste. N° 9-10, troisième année. 1er octobre 1927 (1927)

3. ARAGON, PHILOSOPHIE DES PARATONNERRES (p. 45)

Il n’est pas sans intérêt d’évaluer le champ restreint dans lequel se confine aujourd’hui un homme en possession des moyens essentiels d’une civilisation dont on fait grand bruit.

Henri BÉHAR