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Ci falt la geste du centre de recherches sur le surréalisme

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Ci falt la geste du centre de recherches sur le surréalisme

C’est tout naturellement que me revint à la bouche la fin de la Chanson de Roland quand j’annonçai la fermeture dudit Centre de recherches. Non par inflation verbale, mais simplement parce que, quarante ans après l’avoir fondé, il me semblait nécessaire de le clore par un acte volontaire, en lui épargnant une déchéance dont il ne se relèverait plus. D’autres que moi, s’appuyant sur ses productions, conteront la geste de ce centre. Pour ma part, je voudrais ici m’arrêter sur le dernier moment, celui où j’ai dit « ça suffit ! »

En cherchant dans mes archives, celles du moins qui sont restées chez moi, puisque la plus grande partie en est désormais à l’IMEC, je me suis rendu compte qu’aucun arrêté administratif du président de l’université (encore moins du Ministère) n’avait enregistré sa création en 1971 (il s’agissait alors de Raymond Las Vergnas). J’en conclus, par conséquent, qu’il est inutile qu’aucune instance prenne la responsabilité de déclarer officiellement la cessation de ses activités à la date du 31 décembre 2012.

Mais, me dira-t-on, pourquoi teniez-vous à liquider cet institut de recherche, si l’on peut s’exprimer ainsi ?

Voici : depuis que j’ai pris officiellement ma retraite, le 1 er octobre 2003, ni l’UFR de Langue et littérature françaises et latines de Paris III, ni les conseils de l’université, ni sa présidente, n’ont trouvé le moyen de pourvoir à mon remplacement par un enseignant-chercheur de rang magistral susceptible de prendre la relève. Plus, divers maîtres de conférences qui œuvraient dans l’équipe sont eux aussi partis en retraite ou dans une autre université ou encore en congé de longue durée sans être davantage remplacés de façon à maintenir un minimum des activités caractérisant ce centre. D’année en année, il a été de plus en plus exsangue, au point qu’à la date de ma décision, il ne comptait plus qu’un seul titulaire.

J’accuse les divers conseils de l’université de n’avoir ni pu, ni voulu, pérenniser un centre de recherche de valeur nationale et de réputation internationale, par défaut de vision et par manque de responsabilité.

Ce n’est pas faute d’avoir averti les instances dirigeantes, ni d’avoir attiré l’attention sur les besoins de la recherche en ce domaine. J’ai même poussé l’abnégation (puisque chacun sait que cette qualification n’offre aucun avantage, ni matériel ni même symbolique) jusqu’à solliciter par trois fois le titre de professeur émérite, ce qui laissait largement le temps de nommer un remplaçant. Mieux même, ayant à régler un conflit interne, le Conseil scientifique de Paris III a envisagé de prendre des dispositions contre l’éméritat, évidemment contraires à la loi. Il a fallu que je les menace d’un recours en tribunal administratif pour que ces fantoches soient remis à leur place.

Soyons clairs : il n’y a plus désormais, en France, de centre de recherche universitaire chargé de coordonner et de mener l’investigation dans le domaine du surréalisme, considéré comme un ensemble, alliant à la fois la création littéraire et artistique, la philosophie, l’histoire des idées, l’expression en toutes langues.

À qui la faute ?

Aux instances dirigeantes du CNRS qui, trop préoccupées de leur propre survie, se sont même réjouies de voir disparaître une unité propre (le GDR que j’avais réussi à maintenir pendant quatre ans), ce qui leur permettait de montrer qu’elles étaient capables de se réformer puisqu’elles fermaient une unité, au programme clairement déterminé, au profit d’un ensemble flou.

Aux instances dirigeantes de l’université Paris III, je l’ai dit, qui n’ont même pas levé le petit doigt en apprenant ma décision.

A l’Agence Nationale de la Recherche qui n’a aucune vision des besoins de la collectivité, et qui, sous prétexte de « jouvence », favorise avec des moyens considérables (le quadruple du fonctionnement annuel d’un labo) n’importe quel programme, du moment qu’il est présenté par un individu (et non une équipe), sans se préoccuper de sa formation au sein d’une équipe solide et chevronnée. Qu’on ne s’y méprenne pas, je ne critique pas l’idée de favoriser le travail des jeunes chercheurs, ni le souci légitime de préparer la relève. Je constate simplement qu’on s’y est pris à l’envers : au lieu de dresser un tableau des besoins du pays en matière de recherche et de faire des appels d’offres cohérents, on saupoudre et dilapide les crédits. Je me réjouis d’apprendre que les jours de cette instance sont comptés. Mais cessera-t-on pour autant de former des institutions sans légitimité démocratique, sans compétence scientifique ?

Aux multiples instances d’évaluation, du genre de l’AERES, qui, changeant leurs règles à chaque cession, demandent un bilan tous les quatre ans, un bilan intermédiaire au terme de deux ans, lequel ne coïncide jamais avec la durée des contrats, si bien que les équipes consacrent chaque fois six mois à élaborer des bilans qui ne seront jamais lus. Au prétexte qu’il ne faut pas, dans ses bilans, trouver deux fois plus de chercheurs qu’il n’y a de titulaires en France (on oublie que tout individu normalement constitué est capable de mener une recherche de qualité simultanément au sein de deux unités, je l’ai prouvé en fondant et animant l’équipe Hubert de Phalèse parallèlement au Centre surréalisme) elles décident un jour qu’on ne doit pas comptabiliser dans l’équipe les enseignants-chercheurs extérieurs à l’université de rattachement. Or ce centre, je l’ai, dès l’origine, conçu comme un réseau, comprenant aussi bien des collègues des universités d’Île de France que de la province et même de l’étranger. Ces mêmes instances décident, d’autorité, d’effacer de nos bilans les collègues du secondaire qui, leur service accompli à plein-temps et même davantage, entendent poursuivre des recherches au sein d’une équipe et nous apportent une aide considérable.

Soyons francs jusqu’au bout : le centre lui-même porte quelque responsabilité dans cette autodissolution. Non le centre, mais ceux qui, s’inclinant devant les oukases ministériels ont peu à peu effacé leur nom de la liste des membres actifs, ceux qui l’ont fréquenté pour autant qu’il pouvait favoriser leur « plan de carrière », ceux qui tout en le fréquentant assidûment, recevant avec délectation les informations hebdomadaires, n’ont jamais écrit une ligne de compte rendu.

J’ai autrefois dirigé l’université Paris III pendant cinq années. Je mesure le poids des forces de frottement, des résistances de tous ordres, et ce n’est pas ici que je ferai le procès d’une institution en principe dirigée par ses propres enseignants-chercheurs. Tout de même ! À côté d’admirables dévouements, rien n’a changé depuis que j’ai quitté mes fonctions par une décision volontaire. Que dire des lourdeurs administratives, du poids de la gestion, de l’absence d’un service d’informatique de recherche, etc. ? Le problème n’est pas individuel, il est systémique. Trop tard pour y remédier.

Je ferme la porte en préservant l’image d’un centre qui a formé de très nombreux chercheurs, publié des travaux en de multiples domaines, qui a créé des banques de données, un site Internet de référence, une liste de discussion en français, etc. Comme il est dit au cœur du Manifeste du surréalisme : « Ce que j’ai fait, ce que je n’ai pas fait, je vous le donne. »

13 mars 2013

Henri BÉHAR