MÉLUSINE

Le cinéma de Roger Vitrac

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RÉSUMÉ

Le cinéma de Roger Vitrac

Concurrencé par le cinéma vite devenu parlant, le théâtre traverse une importante crise dans les années trente. Dramaturge d’avant-garde, Roger Vitrac se tourne vers le cinéma pour gagner sa vie. Il y est appelé autant par ses capacités de dialoguiste que par son intérêt permanent pour l’art des images animées. Il travaille avec des cinéastes réputés comme Jean Grémillon, Pierre Chenal, Jean Dreville, Jacques Becker, Jean Delannoy, Léonide Moguy. Par ailleurs, il élabore de nombreuses adaptations cinématographiques, qui n’ont pas été tournées et des scénarios personnels. L’étude de trois d’entre eux souligne ses préoccupations communes au théâtre et au cinéma. Les critiques de cinéma qu’il livre à L’Écran Français après la guerre, ses diverses collaborations reprennent et approfondissent une esthétique du cinéma qu’il avait mise à l’épreuve au théâtre. Elle porte sur trois points : actualité du mythe, la vie comme elle est, un vaudeville métaphysique, que je caractérise dans cette étude. Dans les années trente, l’essor du cinéma, l’avènement du parlant, amena une certaine désaffection à l’égard du théâtre, dont fut indirectement victime la seule entreprise révolutionnaire de l’époque, le Théâtre Alfred Jarry, animé par Artaud et Vitrac, qui, le fait mérite d’être signalé, avait programmé un film au cours de son deuxième spectacle, La Mère de Poudovkine, pour protester contre la censure. Ce n’est donc pas un hasard si Roger Vitrac, dont l’œuvre dramatique illustre au mieux, et sans concession, les possibilités du genre dans le sens de l’avant- garde, a dû, essentiellement pour des raisons alimentaires, se tourner vers le 7e art, où il a assuré des fonctions de scénariste, de dialoguiste et de critique. Y a-t- il pour autant perdu son âme ? À travers ce qui n’était à ses yeux qu’un succédané à ses ambitions créatrices, n’a-t-il pas trouvé le moyen d’exprimer ce qui lui tenait à cœur, sa propre vision de l’existence ou, à défaut, certains de ses thèmes favoris ?

I. Du théâtre au cinéma

A. LE REGARD CINÉMATOGRAPHIQUE

J’ai dit ailleurs combien Vitrac avait, dès ses premières compositions, le sens du théâtre, qui l’avait marqué depuis sa petite enfance. Mais il n’avait pas moins celui du cinéma, comme en témoignent certaines poésies et surtout ses premières propositions de scènes, plus ou moins muettes. L’un de ses poèmes surréalistes de La Lanterne noire postule la réalisation des images suivantes : « Il me vient à l’esprit de proposer l’impossible. De bâtir un drame lyrique où véritablement chaque image serait traduite dans son sens immédiat. Je veux dire que l’Azur devrait être l’Azur en vérité au-dessus du décor. Je ne ferais aucune concession. Si je parlais d’une rivière d’émeraude, quitte à recueillir toutes les émeraudes de la terre, je voudrais sur la scène les y voir briller toutes (1). » Il est clair que seul le cinéma pourrait en fournir de semblables sans effort. Auparavant, il avait publié dès décembre 1921 dans Aventure, un article, « Photographies animées », suggéré par le film Zénit de Jean Epstein, où il faisait l’éloge du cinéma comme moyen lyrique de changer de peau sans se déplacer de son fauteuil (2) ; et puis en avril 1922 dans la revue Littérature une suite de séquences qui relèvent autant du théâtre que du cinéma (3). La continuité des scènes suggère un faisceau de sensations et d’idées, un embryon de diégèse, tant l’esprit humain est apte à jeter un pont au dessus de ce qui n’a pas nécessairement de lien. Il est clair ici que les limites techniques imposées par le théâtre se trouveraient subsumées par la pellicule.

B. UNE ACTIVITÉ D’APPOINT ?

Ayant dû relire les œuvres de et sur Vitrac qui touchent de près ou de loin au cinéma, j’ai pu constater combien j’avais fait école, sans le savoir. En d’autres termes, les informations que j’avais pu recueillir, à grand peine, dans ma première thèse, en 1966, se trouvaient reprises, sans mention de provenance. Pillage, dites-vous ? Non, vulgate. C’est pourquoi je me permets aujourd’hui de reprendre, in extenso, mon propos initial. « Vitrac songea au cinéma lorsque, au début de l’été de 1934, la Metro Goldwyn Mayer de New York lui demanda la communication de son manuscrit du Coup de Trafalgar pour en tirer un film. L’affaire n’eut pas de suite. En revanche, il fut appelé l’année suivante à travailler à Berlin à la U.F.A. avec Raoul Ploquin pour qui il écrivit les dialogues du film Cavalerie légère, et fit une adaptation des Pattes de mouche de Victorien Sardou pour Jean Grémillon avec qui il était très heureux de collaborer : « Tout va bien et je suis ravi de mon travail, du séjour, de Grémillon, du temps, du ciel, de la vie », écrit-il (4). En 1937, il adapte à l’écran L’Homme de nulle part de Pirandello pour le réalisateur P. Chenal. Puis il se trouve à Nice pour rédiger les dialogues de ce qui aurait été le premier film de Jacques Becker, L’Or du Cristobal, sous l’autorité morale de J. Renoir, si au milieu du tournage, les producteurs n’avaient fait faillite, payant leurs collaborateurs avec des pièces de bronze qui devaient figurer l’or du vaisseau pirate. « En 1939, il séjourna encore à Nice pour transposer à l’écran l’ouvrage de Maurice Dekobra : Macao, enfer du jeu, mis en scène par Jean Delannoy. Pour ce dernier, il fit aussi les dialogues de L’Assassin a peur la nuit de Pierre Véry, toujours à Nice, en 1942, la même année qu’il achevait Feu Sacré avec Viviane Romance comme interprète. « Grâce à l’obligeance de M. Delannoy, nous avons pu lire les dialogues que Vitrac rédigea pour Macao et l’Assassin. On peut y remarquer que la liberté d’écrire ce qu’il pense lui est très limitée. Le rôle de dialoguiste, très important dans l’ensemble d’une réalisation, est cependant conditionné par des impératifs prépondérants. Vitrac tentait de composer un dialogue vivant, émaillé de jeux de mots, de réflexions spirituelles, mais il n’est pas toujours facile d’adapter ce ton à des films d’action ! « En 1945, à court d’argent, Vitrac forme divers projets, en particulier celui d’une adaptation cinématographique de l’Éducation sentimentale (5) et un scénario original, Les Femmes ne mentent jamais (6), qui rappelle le vrai Vitrac, humoristique et fantaisiste, gentil, tendre et cruel à la fois. C’est l’aventure d’un beau jeune homme misogyne. Il ne peut souffrir les femmes parce qu’elles mentent. Ses amis lui fabriquent une jeune fille faussement muette et il tombe dans le piège. On retrouve ces situations inexplicables qui font l’attrait intellectuel de son théâtre, et même une Isabelle Mortemard qui ressemble quelque peu à son homonyme Ida, dans Victor ou Les Enfants au pouvoir. « Il va sans dire qu’il faut ranger ces projets, pourtant bien séduisants, au nombre des échecs qui ont souvent été le lot de Vitrac. Il faut leur ajouter un autre scénario original, Passage de l’Opéra (7) qui recrée l’atmosphère surréaliste de ce lieu, sous le prétexte d’une petite intrigue : deux jeunes amis sont amoureux de la même femme. Regrettons que l’idée n’en ait pas été poursuivie, nous aurions pu avoir le pendant cinématographique de l’ouvrage d’Aragon, Le Paysan de Paris. « En 1947, il compose les dialogues de Bethsabée, roman de Pierre Benoît, pour le réalisateur Léonide Moguy. La presse (8) se plaît à constater la rencontre ironique de Vitrac et d’un membre de l’Académie française dont il sabote l’œuvre discrètement en glissant ça et là des répliques-canulars, telle celle-ci : « je ne crois pas à ton roman de quatre sous », que les journalistes s’empressèrent d’appliquer à P. Benoît. Si le film ne fut guère prisé par la critique, Vitrac en tira du moins l’avantage de faire un voyage au Maroc. « En 1948, paraît sur les écrans Si ça peut vous faire plaisir, film qui n’est retenu que parce qu’il fait appel à Fernandel. Vitrac en avait terminé l’adaptation dès le mois d’avril 1946. « Voilà à peu près l’ensemble des films auxquels Vitrac a prêté un grain de son esprit. Répétons que lui-même ne voyait dans cette activité rien d’autre qu’un gagne-pain assuré. Il ne faudrait pas chercher le génie là où il ne peut se trouver. »

C. UN DIALOGUISTE REMARQUÉ

Plus que tout autre art, le cinéma est une activité collective où la part de chacun est bien difficile à déterminer. C’est là un truisme inévitable quand on s’intéresse au travail d’un dialoguiste tel que Vitrac. Dans la pratique cinématographique d’avant-guerre, et même s’il a mis la main au scénario, le dialoguiste n’intervient qu’en dernier lieu, pour donner un peu plus de brillant aux échanges verbaux, rivalisant avec le théâtre depuis que la technique a trouvé la parole. Quel rôle Vitrac a-t-il assuré dans la quinzaine de films auxquels il a collaboré (dont on trouvera le détail en annexe) ? Il a pu suggérer le choix de l’œuvre au producteur ou au réalisateur, mettre la main au scénario, indiquer tel ou tel jeu de scène, et surtout apporter son esprit, ses jeux de mots, ses calembours, à des œuvres souvent ternes. Vitrac n’avait pas gardé trace de ses contributions. Il faudrait alors pouvoir consulter tous les états préparatoires d’un film, de l’œuvre adaptée au scénario puis au découpage final, rarement conservés par les réalisateurs. Je l’ai fait pour certains titres. Cependant, même quand on a la chance de lire un scénario intégral, on n’est jamais assuré qu’il soit entièrement de sa main, et qu’il ait été conservé au tournage. Je m’en tiendrai donc à deux exemples concrets, falsifiables comme on dit dans les sciences, puisque relativement disponibles en vidéo. D’abord, l’adaptation par Pierre Chenal d’un roman de Pirandello, Feu Mathias Pascal, projetée sous le titre L’Homme de nulle part en raison d’un précédent tourné par Marcel L’Herbier. Dans un entretien tardif, Pierre Chenal a précisé le rôle exact qu’a joué Vitrac dans l’élaboration de ce film: « J’avais commencé avec Salacrou et malheureusement, on ne s’entendait pas parce qu’il tirait le scénario vers la tragédie. Et moi, je voyais de l’humour noir. Ça n’a pas collé entre lui et moi. On s’est séparés. Et j’ai pensé à Vitrac parce que Victor ou Les Enfants au pouvoir était une pièce qui m’avait beaucoup marqué à l’époque. Alors je l’ai contacté. Je lui ai raconté le bouquin, et puis ça a tout de suite collé entre nous. On s’est trouvé des atomes crochus. [...] J’ai donc fait l’adaptation tout seul. J’avais mis des dialogues provisoires, et j’en avais pris dans Pirandello. C’est ça ma méthode de travail. C’était ensuite à Vitrac de faire des dialogues. Quand il a eu fini son travail, ça a amené quelques changements dans le script. Alors je l’ai remanié de telle façon que j’ai eu des dialogues impeccables et un script absolument terminé (9). » Chenal parle ici le langage des années quatre-vingt. Même si le syntagme « humour noir » n’avait pas cours à l’époque du tournage, il signifie par là que la virtuosité de Vitrac à faire sortir le tragique du comique et du trivial lui était connue. Pour ma part, en visionnant ce film, j’ai retrouvé la griffe de Vitrac non seulement dans l’ensemble des dialogues, mais encore dans la séance de spiritisme (vraisemblablement l’une de celles qui ont conduit à modifier le script), où l’on évoque le grand Max, et dans les répliques, toujours en situation. Ainsi, Mathias s’exclamant « La vie est belle ! » sa tante lui réplique « La vie est belle ? Imbécile ». À l’adresse du vieux bibliothécaire sourd comme un pot il s’écrie « Vous êtes sourd ! » et celui-ci de répondre : « J’entends, j’entends ! » Pierre Blanchar sait jouer la rupture, le contraste entre son attitude soumise du début et la dureté du parvenu à la fin. Réalisé en Italie, en décors naturels, le film respire une atmosphère méditerranéenne, non sans évoquer un milieu très proche du Souillac cher à Vitrac. La réception initiale de l’œuvre ne fut pas des plus chaleureuses, si l’on en croit ce commentaire d’Henri Langlois : « Durant tout le film, tout en usant du maximum d’accessoires possibles et imaginables (ainsi la barbe de Blanchard-Mathias), Chenal ne cultive que l’effet sous toutes ses formes et toujours la moins subtile, la plus utilisée ; l’effet dramatique (un éclat de rire douloureux de Mathias), comique (la crise de nerfs de la veuve Paleoni), scénarique (l’éclat de rire des deux jeunes gens au début ou la présentation de la note d’un fournisseur le jour même de la noce), effets de situation (l’enterrement du faux Mathias en présence du vrai), de dialogues (monologue de Blanchard au public) enfin effets cinématographiques. [...] Non, il ne suffit pas d’être tenace et de marquer de l’ambition dans le choix des sujets. Il faut être ambitieux dans la manière dont on les traite. (10) » Justice lui sera rendue une cinquantaine d’années après, lors d’une diffusion à la télévision. Ici, le nom de Vitrac servait de caution aux brusques transformations de l’action et aux répliques cinglantes : « Un film baroque, extravagant, aux limites du fantastique, où le vérisme est bafoué. [...] Il y a dans L’Homme de nulle part un humour anarchiste qui bafoue avec allégresse le mariage, la famille et toutes les valeurs. Le dialogue (Roger Vitrac renchérissant sur Pirandello) pète le feu... (11) » Ou encore : « Les jeux pirandelliens de Pierre Chenal, relevés par les dialogues poétiques et sarcastiques de Roger Vitrac, constituent, pour qui ne les a pas connus, une fameuse surprise (12)... »
Deuxième exemple, où le dialoguiste semble s’effacer, Le Joueur d’échecs tourné par Jean Dreville, d’après un roman bien oublié. Je ne sais dans quelle mesure Vitrac peut être à l’origine de ce film, auparavant tourné par Raymond Bernard en 1926, mais le fait est que, grand lecteur d’Edgar Poe dans la traduction de Baudelaire, il avait tenu à mettre en tête du premier article important sur Raymond Roussel, paru en février 1928 dans la NRF, la reproduction du Turc automate et joueur d’échecs publiée en tête, ce qui montre qu’il était fort préoccupé par les robots, le jeu du réel et de son double mécanique, et ce qu’on peut en tirer sur le plan fantastique. Selon Dreville lui-même, « le scénario et les dialogues sont assez faibles, au point que Françoise Rosay n’a accepté de jouer qu’à la condition de faire réécrire ses scènes. Roger Vitrac, écrivain de grand talent, se trouve au générique car il a dû participer, étant sous contrat, à un stade ou à un autre, plutôt de loin que de près, à l’élaboration du scénario. Il a vu ça de façon un peu superficielle (13). » Dreville fait comme si Vitrac était absent du tournage. En tout cas, j’ai relevé dans le découpage dactylographié, un ajout qui lui revient sans nul doute, daté du 26 mars 1938 : « Potemkine : C’est vous baron qui construisez des marionnettes qu’on croit savantes ? Je vous trouve bien grand pour jouer encore à la poupée... » Voici enfin, tirés du découpage technique de L’Assassin a peur la nuit, quelques exemples du dialogue vitracien. Le premier sort en droite ligne de Victor : « Le Directeur : Je vous remercie.
Vullen : Il n’y a pas de quoi.
Directeur : Je vous remercie, vous entendez. Ça veut dire je vous flanque à la porte. »
Le deuxième repose sur un calembour proche du Camelot : « Pourquoi chiffonnez-vous les billets ? — Je méprise l’argent, alors il se froisse. » Enfin, une réplique dans le droit fil du Coup de Trafalgar : « Mais mon cher, si vous nous donnez, vous savez bien que vous vous donnerez vous-même. Donnant, donnant, comme vous dites. » J’ai déjà dit, plus haut, la manière dont Vitrac, dans sa dernière contribution au cinéma, s’est détaché du roman de Pierre Benoît. Il semblerait, en somme, qu’il n’ait accepté de participer au cinéma que pour des raisons matérielles. Toutefois, ses choix, dans la mesure où il pouvait les exprimer, le portaient vers des situations insolites, dans l’esprit de ce qu’il avait tenté de porter à la scène avec des personnages tels que Victor ou son alter ego, le petit Simon, ou bien une Flore Médard qui s’était rasé la moitié de la tête.

II. Vitrac scénariste

Sans m’attarder sur les films tournés, dont j’ai tenté de montrer ce qui revient à l’humour de Vitrac ou à ses propres thèmes obsédants, je vais maintenant considérer trois scénarios qu’il a lui-même élaborés. Tous trois étaient restés inédits de son vivant, et, faut-il s’en étonner ? n’ont pas été réalisés.

A. LES CYCLADES

C’est le 18 juin 1931, alors que les animateurs du Théâtre Alfred-Jarry n’ont pas perdu toute espérance de le voir renaître contre l’hostilité publique, qu’un hebdomadaire annonce, sous la plume de Nino Frank, que Roger Vitrac a tourné un film sur les Cyclades, avec pour opérateurs Eli Lothar (1905-1969), le fils du grand poète roumain Tudor Arghezi, photographe, assistant de Man Ray, futur assistant de Buñuel pour Los Hurdes, et Jacques-B. Brunius (1906-1967) acteur de Renoir et Prévert, qui sera membre du groupe Octobre, lui aussi assistant de Buñuel, réalisateur de films surréalistes expérimentaux, auteur à venir de En marge du cinéma français (1947). On pouvait, à bon droit, s’étonner de voir l’auteur des Mystères de l’amour passer du théâtre au cinéma, mais surtout devenir témoin de son temps, en tournant un documentaire. Aussi Nino Frank lui donnait-il la parole. Il s’exprimait en ces termes : « Mon but, en partant, avait été de tourner un documentaire sur la Grèce ; mais ne vous y trompez pas, ce n’est nullement les ruines que j’allais chercher là-bas. L’archéologie me passionne jusqu’à un certain point... Nous tenions à faire une œuvre vivante : il ne fallait pas que les ruines y occupent plus de place qu’elles n’en occupent dans le territoire même du pays. Nous avons trouvé là-bas un accueil fraternel, une lumière étonnante, une belle personnalité. Mon film — qui s’intitulera les Cyclades tout court — commence sur l’Olympe : c’est, avant tout, au milieu de la neige, la région des dieux ; je le dis... mais, aussitôt après, je montre une descente en ski, qui nous mène, directement à l’Acropole. C’est ici qu’apparaît l’ombre de Renan : il est encore jeune, mais il a les cheveux blancs. Et il marmotte paisiblement son illustre prière... Nous avons poussé à l’extrême le souci du détail exact : je suis moi-même fier de me déclarer le disciple de Raymond Roussel et de sa scrupuleuse précision lyrique. Pour filmer le passage de la Prière sur l’Acropole, où il est question des briques et des plâtres de Byzance, nous avons fait exprès le voyage à Constantinople, et nous y avons trouvé en abondance briques et plâtres... Maintenant, n’allez plus croire que je m’en suis complètement tenu à cette sorte de commémoration de Renan. Je vous ai dit que la vie de la Grèce moderne m’a intéressé davantage. « Après, Crète, où le palais de Cnossos s’est prêté à toutes nos exigences ; vous y verrez la silhouette hoffmannesque d’un bibliothécaire et le Palais reconstitué dans une manière de style Luna-Park, que d’ailleurs je trouve excellent ; le volcan éteint de Santorin, les marbres de Paros, la vie politique de Scyra et mystique de Délos. À Scyra, nous avons vu fabriquer le rahat-loukoum ; à Délos, Vénus Amphitrite a surgi de l’onde, par une nuit lunaire, aux sons du jazz. Vous reconnaîtrez, tout le long de notre film, des acteurs bénévoles : Mmes Édouard Bourdet, Haardt, Kogéosinas-Averoff et MM. Jacques de Lacretelle, Gabriel Boissy, Charensol. Vous y verrez même, dans son château, à Naxos, la petite-fille de l’Akricie Phrangopoulo de Gobineau... Enfin, pour terminer, l’inauguration, à Schéros, d’un monument récalcitrant, par les soins de Venizelos et d’autres officiels de moindre importance. De nombreuses et curieuses réflexions de touristes serviront de commentaires à ce film, qui devrait être, à mon avis, le premier d’une série où la vie de la Grèce moderne et surtout des Cyclades, si peu connues, serait étudiée poétiquement. Moi-même, je vais donner, outre cette bande, un livre qui n’aura point un caractère documentaire et qui s’intitulera également les Cyclades. (14) » La réaction d’Antonin Artaud ne se fit pas attendre : il demanda, et obtint, un rectificatif, paru la semaine suivante, pour préciser que le Théâtre Alfred-Jarry avait été fondé par Robert Aron, Roger Vitrac et lui-même, et qu’il était d’ailleurs propriétaire du titre ! L’étonnant est que nul n’ait retrouvé trace de ce film, qui, à mon sens, avait été commandité par le propriétaire de l’agence Le Voyage en Grèce, Hercule Joannidès, également promoteur d’une revue culturelle du même nom, qui avait le bon sens de convier artistes et personnalités pour animer ses croisières. Ce qui explique la mention d’acteurs bénévoles appartenant au monde du théâtre, de la littérature, de la politique. Pour préparer son voyage, Vitrac avait pris soin de relire Les Pléiades de Gobineau (1874), qui reviendra souvent sous sa plume par la suite, dans sa correspondance intime comme dans son théâtre. À l’époque, on ne pouvait évoquer l’Acropole sans songer à la fameuse prière composée par Ernest Renan dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse (1883) qui aurait donné lieu à une rapide mise en scène. Vitrac reprendra cette magnifique allégorie opposant l’orient et l’occident dans La Bagarre. On retiendra de cette notule l’esthétique para-surréaliste dont se réclame Vitrac au cinéma, en faisant référence à l’extrême précision lyrique de Raymond Roussel.

B. PASSAGE DE L’OPÉRA

En 1966, je mentionnais le scénario intitulé Passage de l’Opéra, publié depuis et présenté par les soins d’Alain Virmaux. Prenant le contre-pied de ma trop brève analyse, celui-ci signale tout ce que Vitrac effaçait du récit d’Aragon. « En résumé, écrit-il, le scénario de Vitrac se présente presque comme un anti-Paysan de Paris, un reflet déformant du Passage de l’Opéra selon Aragon, ou plutôt une variation délibérément inversée (15). » D’après lui, tout se passe comme si l’auteur de Victor voulait surmonter un passé condamné. Cela me paraît excessif. Pour en trancher, le plus simple, me semble-t-il, est de reproduire ici l’argument : « On connaît ces passages vitrés à la lumière d’aquarium, qui unissent d’un trait à la fois poétique et sordide certaines rues obscures de Paris aux Grands Boulevards. On ne les traverse pas sans éprouver un mélange de curiosité, de nostalgie et de malaise. C’est qu’il est difficile de ne pas y évoquer cette époque fin de siècle où les Grands Boulevards étaient un salon permanent dont les galeries de verre étaient les éclatants vestibules et les alcôves discrètes. Les restaurants, les coiffeurs, les théâtres, aujourd’hui défraîchis et décolorés, y rappellent les élégantes, les artistes et les grandes coquettes qui les traversaient en riant. Car, il faut bien le dire, un passage est fait pour être traversé, et non pour s’y installer. Aussi n’est-ce pas sans une certaine mélancolie qu’on y retrouve ceux qui, moins doués, n’ont pas eu la chance d’accomplir brillamment la traversée. Les malchanceux, les aigris, les désabusés, les indécis, ceux enfin qui s’y sont fixés, y ont vieilli et y sont encore. Ils y mènent dans ses bureaux poudreux et dans des chambres tristes une vie aux occupations médiocres, douteuses et sans éclat. Tel était le Passage de l’Opéra vers 1925 au moment où le boulevard Haussmann, ayant déjà éventré tout un quartier de Paris, le menaçait de destruction. » On le voit, la nostalgie n’est pas mesurée, et dans le détail du synopsis, les emprunts sont manifestes. Mais, outre que Vitrac, ayant lui-même fréquenté ce passage avant sa démolition (ne serait-ce qu’au moment de la préparation du Congrès de Paris (16)), en connaissait les aîtres, il me semble que s’il ne mentionne pas l’auteur du Paysan de Paris, c’est qu’à la date présumée de la rédaction, alors que la France est occupée sur l’ensemble de son territoire, il n’y a aucun intérêt à prononcer son nom. D’autre part, l’intrigue, extrêmement ténue, qu’il bâtit autour de ce lieu mythique, ne doit effectivement rien à son illustre aimé. Il faudrait aussi dire la dette du scénariste à l’égard de Balzac (Illusions perdues), d’Alexandre Dumas (Les Trois Mousquetaires), etc. Les quatre jeunes gens qu’il imagine illustrent davantage le mal d’une éternelle jeunesse (qu’il aurait voulue incarnée par les jeunes premiers de l’heure : Jean Marais, François Périer, Jean Parédès, Marcel Herrand) que l’époque dada-surréaliste, et leur amour commun pour la belle Clarisse, leur ascension sociale, l’heureuse issue, sacrifient aux lois du genre cinématographique. Le ton de Vitrac est surtout optimiste : « Car le Passage de l’Opéra, comme la bohème, mène à tout à condition d’en sortir. Mais encore faut-il choisir la grande porte, celle qui s’ouvre sur le boulevard des Italiens, sur le grand Paris, et non la petite, l’issue honteuse, celle de la rue Chauchat, qui aboutit à la Salle des Ventes où se liquident les faillites de la vie et des rêves. » dit-il pour terminer l’argument.

C. PHÈDRE

Absolument inédit, le scénario de Phèdre n’a jamais été signalé à ce jour. Une copie m’en avait été confiée par Anne Guérin, la dernière épouse de Roger Vitrac. Il date de l’après-guerre, à un moment où l’auteur avait perdu le chemin des studios ; où, par un de ces mouvements cycliques dont elle a le secret, la création française, dans son ensemble, se tournait vers un certain classicisme. Depuis longtemps déjà Vitrac avait souligné l’actualité de la tragédie grecque (17). Seulement, ce serait se méprendre que de croire qu’il veuille rivaliser avec Racine ou même le moderniser. Pour lui, les mythes sont éternels, comme il l’avait déjà démontré dans Les Demoiselles du large, et rien ne servirait de vouloir en esquiver les conséquences. Ici, il entend traiter l’inceste du deuxième type (pour parler comme les anthropologues), celui qui affecte les éléments rapportés de la famille, dans un esprit populaire, à travers la notion de « monstre sacré ». Si le destin de Phèdre était de tomber amoureuse de Thésée, celui de Delphine, grande comédienne du Théâtre Français passée au Boulevard, sera d’aimer le fils de son mari. Avertie par un signe, un premier accident tragique, elle aura eu beau abandonner une carrière de premier plan, rien ne pourra la détourner de la fatalité. Elle jouera le rôle de Phèdre que son mari, entrepreneur de spectacles, lui destinait. Au soir de son triomphe, partie à la recherche de son beau-fils, elle mourra écrasée par son propre mari... Portant habilement le théâtre à l’écran, le scénariste retient les phases essentielles du mythe, tout en l’incarnant à notre époque, parmi des êtres vraisemblables. Reprenant l’esthétique de « la vie comme elle est » qu’il avait définie pour son théâtre (dont je traiterai plus bas pour le cinéma), il invente une scène dans un bistro de la Place Maubert où l’héroïne reçoit une injonction du destin de la part d’un de ses anciens camarades du Conservatoire tombé dans l’ornière. Sous les apparences les plus quotidiennes d’un clochard, les Dieux antiques se manifestent. Mais, le plus intéressant, qui rejoint le sujet de ce colloque, c’est le traitement que Vitrac aurait voulu pour ce film. Je cite intégralement la dernière page du projet : « Le scénario a été conçu en vue d’une réalisation axée sur l'idée que le public se fait du « monstre sacré ». « C'est ainsi que la photographie devra s'inspirer des clichés artistiques (17) reproduits dans les journaux hebdomadaires du type Samedi-Soir. Et que les « liaisons et les passages » emprunteront le style des informations de journaux et des potins publiés par les hebdomadaires. Ces derniers confirmant ou même infirmant les faits réels. Le film se déroulera donc rapidement comme un journal parcouru à la hâte. Comme une de ces histoires que la presse d’aujourd’hui nous raconte comme un crime ou un conte de fées. Par exemple on voit très bien le film s’achevant sur Phèdre écrasée par la voiture de son mari. Celui-ci se dressant épouvanté au volant, l’image restant fixe un instant, devenue le cliché d’un journal. Et l’appareil ayant reculé découvrant ure ligne de 1’information indique la fin du scénario. »

III. Esthétique cinématographique

A. VITRAC CRITIQUE DE CINÉMA

On découvre un Vitrac très personnel dans les courts billets qu’il donne à peu près chaque semaine à L’Écran Français, hebdomadaire de cinéma qui gravitait alors dans l’orbite communiste (18). Sous le titre général « Retour de manivelle », il y défend pendant l’année 1946, l’esprit qu’il décèle dans les films de son goût : les Charlot, bien sûr ; les Marx Brothers ; Nosferatu le vampire, et les grands films sortis durant l’Occupation, les Carné-Prévert : Les Visiteurs du soir, Les Enfants du paradis, un Cocteau : L’Éternel retour ; en dépit de ses maladresses, Les Démons de l’aube d’Yves Allégret ; Un couple idéal de Raymond Rouleau ; enfin un film de Jacques Becker, Falbalas. Mais il prend bien soin de répéter qu’il n’est pas un critique professionnel ! Dans cette perspective, je retiendrai plutôt cette analyse de l’ironie en France, où entre toute son expérience personnelle : « L’ironie se manifeste par le rire intérieur. L’ironiste se moque de lui-même et se propose en exemple au spectateur et au lecteur. « Or le lecteur ou le spectateur français prend cela pour lui... il préfère se fâcher et feindre de croire qu’on se moque de lui. (19) » Pourtant le français aime à rire, il apprécie l’humour anglais. C’est qu’il veut être dépaysé historiquement et géographiquement afin de ne pas se sentir concerné. En somme, Vitrac soutient dans ses chroniques cinématographiques des thèses applicables aux arts plastiques comme à la littérature, considérant que le septième art tient des deux. La démarche qui l’a conduit à s’occuper de cinéma, si elle a été déterminée par des considérations financières, paraît donc très logique. Elle prolonge deux de ses concepts favoris au théâtre : « la vie comme elle est » et le « vaudeville métaphysique ».

B. « LA VIE COMME ELLE EST »

Dans son premier article, qui expose en quelque sorte son programme, il demande au public d’« Y voir clair (20)» en cette époque troublée où les esprits se précipitent vers les extrêmes. « Êtes-vous pour le tout-à-l’égout ou le tout-au- ciel? », demande-t-il. L’égout, c’est l’existentialisme, le naturalisme, le réalisme, tandis que le chemin du ciel passe par le rêve, l’idéalisme, le surréalisme, la poésie absolue. Mais en fait, ces deux tendances ne sont ennemies qu’en apparence, comme le démontrent les plus beaux films produits pendant la guerre. Cela lui permet de mettre en valeur la recherche de « cette pénombre où la vie quotidienne s’achève et où le rêve commence », qui favorise une réconciliation de la poésie et du réel, en partant toujours du réel, car l’art est à sens unique. La littérature se nourrit de la vie, et non le contraire, comme l’écrivait Marcel Proust. Mais cela ne signifie pas qu’il faille, sous prétexte de réel et d’actualité, s’inspirer des événements trop récents. Les films de guerre sont comme les œuvres dramatiques qui, après 1914, essayaient de restituer les événements et qui tombèrent dans l’oubli. Pour Vitrac, l’histoire n’est jamais à la mode (il a cette belle formule : « L’histoire, c’est la folle de Chaillot ») ; aussi revendique- t-il des œuvres nouvelles, de la même façon que le Théâtre Alfred Jarry autrefois : « Restons actuels sans faire l’actualité. Être actuel, c’est résister à l’actualité pour lui permettre de se métamorphoser un jour. (21) » En somme, le cinéma devrait être comme le peintre de la vie moderne chez Baudelaire, capable de dégager l’éternel de ce qui est contingent, mortel. Il imagine à ce propos le développement de la bande dessinée si la caméra n’était intervenue. Deux ans après, ayant à défendre son adaptation de Bethsabée, il s’en justifie ainsi : « Actuellement, si nous voulons représenter la vie telle qu’elle est, nous sommes obligés de tricher, c’est-à-dire de voiler cette part du réel qu’on est convenu d’appeler choquante. Si l’on ne trichait pas, les gens crieraient ‘au feu’ ou ‘au fou’. Avant d’arriver à cet idéal d’une vérité qualifiée de surréaliste, il faudrait que nous puissions nous dépouiller du tact et de la mesure qui faussent le réalisme de l’art. (22) »

C. UN VAUDEVILLE MÉTAPHYSIQUE

Comme au théâtre, Vitrac défend l’humour et l’ironie. À longueur de chronique il regrette que le cinéma français soit incapable de produire des films comiques, à la différence du cinéma américain en passe d’envahir les écrans. Et de regretter qu’on n’ait pas l’équivalent du gag. Il s’en prend par exemple à un film composé de sketches, Au cœur de la nuit, qu’il juge vulgaire, lui opposant « le rêve, les prémonitions, le mystère, l’humour, le dédoublement de la personnalité : autant de thèmes qui nous étaient chers aux temps héroïques du surréalisme (23) ». Il considère que le vaudeville au cinéma est une erreur, puisque, pour réussir, il lui faudrait, selon la définition de Feydeau, se dérouler en un seul lieu comme au théâtre, s’enfermer entre quatre murs, ce qui est inconcevable à ses yeux, puisque le cinéma est l’opposé du théâtre filmé. C’est ici qu’il convient de rappeler sa définition du vaudeville métaphysique : « drame où les personnages se rencontrent et s’aiment au point précis où ils se ressemblent dans le temps et en tous lieux. Drame réciproque de la personnalité dont l’amour est la sanction inéluctable (24). » Le malheur est que le public français ne soit pas réceptif au comique résultant d’un tel propos.

CONCLUSION

Vitrac a très vite compris les possibilités qu’offrait le cinéma, sur tous les plans. Dans ses activités cinématographiques, comme dans l’ensemble de sa production théâtrale, il reste attaché à un certain surréalisme de sa jeunesse, vers lequel il a toujours les yeux tournés. Que ce soit par ses scénarios ou ses critiques de films, il creuse au cinéma les deux concepts complémentaires qu’il avait mis au point dans son théâtre : la notion de vaudeville métaphysique et la représentation de la vie comme elle est. Autrement dit, d’un sur-réalisme, d’un réalisme dont il recherche le principe supérieur. Pour alimentaire qu’il soit, son travail n’en demeure pas moins exigeant et fidèle à l’esthétique que lui-même a contribué à définir dans les années vingt. Je terminerai par une anecdote qui, à mes yeux, dépeint à la fois le personnage et le milieu dans lequel il devait évoluer. Un jour qu’un producteur se plaignait devant Vitrac de n’avoir pas de bon sujet (cela n’a pas changé, ils se lamentent toujours autant), « j’en ai un » lui dit Vitrac, « mais je vous connais, vous allez me prendre l’idée, et ne paierez rien ». Piqué, l’autre protesta de sa bonne foi, et accepta le marché que Vitrac lui proposait : il glissa trois billets de 100 FF dans une enveloppe qu’il remit en échange d’une enveloppe contenant le projet de Vitrac. Il l’ouvrit, et put lire « Jeanne d’Arc ». Furieux d’avoir été floué, il voulait reprendre son argent. « Ben quoi, lui dit Vitrac toujours aussi nonchalant, c’est pas une bonne idée ? »

Henri BÉHAR

ANNEXE : FILMOGRAPHIE COMMENTÉE

Cavalerie légère (1935) Réalisateur : Raoul Ploquin, Werner Hochbaum, Roger Vitrac co-réalisateur, d’après l’œuvre de Heinz-Lorenz Lambrecht. Dialogues : Roger Vitrac. Avec Mona Goya, Line Noro, Gabriel Gabria, Constant Rey.

Les Pattes de mouche (1935) Réalisateur : Jean Grémillon. Producteur : Raoul Ploquin. Adaptation, dialogues de Roger Vitrac, d’après un drame de Victorien Sardou. Avec Pierre Brasseur, Renée Saint-Cyr, Claude Maya.

L’Homme de nulle part (1936) Réalisateur : Pierre Chenal. Scénario: Armand Salacrou, Pierre Chenal, Christian Stengel, d’après la nouvelle de Luigi Pirandello, Feu Mathias Pascal. Dialogues : Roger Vitrac. Musique : Jacques Ibert. Acteurs : Pierre Blanchar, Robert Le Vigan, etc. Mathias Pascal épouse Romilda. Il doit subir le caractère insupportable de sa belle-mère et à la mort de sa mère, il disparaît quelques jours. Une erreur fait croire à son suicide et on enterre un noyé sous le nom de Pascal. Mathias revient à son village pour assister, caché, à ses propres funérailles. Il s'enfuit alors, gagne une fortune au jeu et s'éprend de Louise Paléari. Or, celle-ci est fiancée à Papiano, qui recourra à tous les moyens, même déshonnêtes, pour se débarrasser de Mathias, qui a pris un faux nom. Désespéré de cette situation, Mathias revient au pays. Il trouve Romilda, mariée et mère d'un enfant. S'étant fait attribuer un nouvel état-civil, il revient vers Louise et l'épouse malgré Papiano. (D’après Les fiches du cinéma 2001.)

Le Joueur d’échecs (1938) 90 minutes. Tourné à Berlin. Réalisateur : Jean Dreville Scénario et dialogues : Roger Vitrac et Jean Dreville, d’après le roman d’Henry Dupuy-Mazuel. Avec Conrad Veidt, Françoise Rosay, Micheline Francey. Un épisode de la lutte de la Pologne contre la Russie : un jeune patriote, Boleslas, dont la tête est mise à prix, est enfermé dans un des automates du baron de Kempelen pour tenter de lui faire passer la frontière. Nicolaïeff, agent de l’impératrice Catherine II, qui a surpris la supercherie, achète l'automate et le présente à l'impératrice. Au cours d'une partie d'échecs, l'automate se trahit. Catherine décide de le faire fusiller. Mais Boleslas a pu fuir avec sa fiancée Sonia, tandis que le baron de Kempelen a héroïquement pris sa place (25).

Alerte en Méditerranée (1938) Réalisateur : Léo Joannon Dialogues : Roger Vitrac Avec Pierre Fresnay et Nadine Vogel. Les commandants de trois torpilleurs, français, allemand et britannique, faisant partie d’une escadre internationale de contrôle, fraternisent au cours d’un repas et s’entendent pour éviter tout incident. Or, au cours d’une rixe à terre, un homme est assassiné. Deux matelots français, un anglais, un allemand, sont arrêtés. La tension monte entre les chefs. Il apparaît que l’armateur d’un bateau chargé d’un gaz mortel est l’assassin. Il s’enfuit, menaçant de lancer les gaz sur un cargo de passage. Poursuite héroïque des trois officiers, au risque de leur propre vie. « Film empreint de pacifisme mais qui est aussi un documentaire guerrier sur la puissance (réelle) de notre flotte qui devait sombrer à Toulon (26). »

La Vierge folle (1938) Réalisateur : Henri Diamant-Berger. Scénario: Roger Vitrac, Pierre Rocher, Charles de Peyret-Chappuis, Jean Nohain, d’après la pièce d’Henry Bataille. Dialogues de Jean Nohain et Pierre Rocher. Avec Annie Ducaux, Victor Francen, Juliette Faber, Gabrielle Dorziat. « Un avocat parisien célèbre, marié et arrivé au seuil de l’âge mur, rencontre en vacances une jeune fille et s’en éprend. L’idylle se poursuit à Paris jusqu’au jour où la mère de la jeune fille découvre l’aventure et provoque un scandale. L’avocat fuit avec sa complice. Un drame inattendu et brutal termine cette triste histoire. Le frère de la jeune fille rattrape les fugitifs à Marseille, veut tuer le séducteur qui se défend ; le coup frappe la vierge folle. » (Les fiches du cinéma 2001)

Macao, enfer du jeu (1939) 90’ Réalisateur : Jean Delannoy. Adaptation et dialogues : Roger Vitrac, d’après le roman de Maurice Dekobra. Avec Erich von Stroheim, Sessue Hayakawa, Mireille Balin, etc. Voici le résumé d’après le découpage dactylographié conservé à la Bifi. Krull, un aventurier, se dit prêt à livrer des armes à la Chine. Il se rend à Macao en compagnie de sa maîtresse, une actrice, Mireille. Il y prend contact avec Ying 25. Résumé d’après Les fiches du cinéma 2001 et le guide de Jean Tulard. La BIFI possède, dans la série des Cahiers jaunes, deux états tapuscrits relatifs à ce film : le scénario (Cjo 790 B 106) et le découpage technique avec des variantes (Cjo 791 B 106), mais aucun des deux ne mentionne Roger Vitrac, qui n’a dû intervenir que pour les dialogues. 26. Jean Tulard dans son Guide du cinéma, Laffont/Bouquins. Tchai, patron d’une maison de jeux, en réalité le chef de la mafia locale. Sa propre fille, Jasmine, découvre ses activités et se réfugie sur le bateau de Krull avec son amoureux, le journaliste Pierre. Ying Tchai tente de couler le bateau, et, croyant avoir tué sa fille, il se suicide. Jean Delannoy connut là son premier succès populaire. De bons comédiens, dont deux vedettes internationales, prêtaient leur talent à un film fort bien réalisé, avec de belles images (le corps flottant au milieu des billets de banque). Le tournage venait de se terminer quand la guerre éclata. Le film fut interdit. Le rôle d’Erich von Stroheim fut alors doublé par Pierre Renoir et le film put sortir en 1942. Mais c’est la première version qui est exploitée en salle depuis la Libération. Lors d’une programmation au ciné-club de la télévision (FR 3) en 1982, le critique de Libération, signalant l’adaptation et les dialogues de Vitrac, notait : « Cette importante caution surréaliste [...] n’est sans doute pas étrangère aux télescopages internationaux qui ne cessent de chambouler l’argument (27). »

Le Paradis des voleurs Réalisation : L. C. Marsoudet Supervision : Léo Jouannon Dialogues de Roger Vitrac, d’après le film de Gérald A. Foster. Avec Roland Toutain, Fernand Charpin, Paulette Dubost, Julien Carette... Deux artistes amoureux sont amenés à cambrioler malgré eux, ils se déguisent en équilibristes. Fantaisie marseillaise commencée dans une baraque foraine marseillaise qui s’achève en une farce endiablée au Théâtre de la Gaîté.

Sixième étage (1940) Réalisateur : Maurice Cloche Scénario et dialogues : Roger Vitrac, d’après une œuvre d’Alfred Gehri. Avec Florelle, Janine Darcey, Pierre Brasseur, Julien Carette et Pierre Larquey. « Au sixième étage vivent familièrement des gens simples. Un beau garçon loue l’atelier de peinture et apporte le trouble sur le palier. Il séduit Edwige, une jeune fille malade. Celle-ci va avoir un enfant ; son père ne sait rien, mais les voisins de palier sont au courant et s’indignent contre le séducteur qui a d’ailleurs une maîtresse dans la maison. Le beau garçon épouserait, s’il y était contraint, la jeune fille, mais celle-ci accepte la main d’un brave garçon qui l’a toujours aimée. Elle renvoie le sinistre personnage, à la satisfaction de tout le monde. » (Les fiches du cinéma 2001)

Feu sacré (1941) Réalisateur : Maurice Cloche Adaptation et dialogues : Roger Vitrac. Avec Viviane Romance. 27. Gérard Lefort, « Tintin à Macao », Libération, 10/07/1982. La carrière de Mme Viviane Romance où l'on peut voir toutes les difficultés, les avanies qu'a eu à traverser l'artiste pour arriver à devenir étoile. Scénario un peu heurté mais plein de bonne volonté. Milieu de coulisses, dialogue gênant. (Les fiches du cinéma 2001) « L’ascension d’une jeune femme dans le monde du music-hall et ses amours avec un boxeur. Une suite de clichés sentimentaux. Le film commençant par la fin, il n’y a pas de suspense. Mais c’est entraînant et finalement sympathique. » (Jean Tulard)

L’Assassin a peur la nuit (1942) 100’ Réalisateur : Jean Delannoy, d’après le roman de Pierre Véry. Dialogues : Roger Vitrac. Avec Mireille Balin, Jean Chevrier et Jules Berry. « Un cambrioleur, Olivier, décide de se ranger dans le Midi et se lie à un ouvrier dont la sœur n’est pas pour lui déplaire. Mais il est contraint de tuer un antiquaire véreux. Remords et angoisse. Tout s’arrangera. Un scénario habile de Pierre Véry ne sauve pourtant pas ce film tourné dans des conditions difficiles qui expliquent les défaillances de la mise en scène. » (Jean Tulard).

Le Mort ne répond plus (1943) ou Le Mort ne reçoit plus. 90’ Réalisateur : Jean Taride. Scénario : René Jolivet, Roger Vitrac Dialogues : Roger Vitrac. Photo: Fred Langenfeld Avec: Raymond Aimos (Raymond le raccourci), Jules Berry (Jérôme Armandy), Roger Caccia (Auguste Vidal), Marcel Dieudonné (Ernest Marchal), Thérèse Dorny (Mademoiselle Verdelier), Lucienne Galopaud (Cécile), Jacqueline Gauthier (Jeanne Dumont), Gérard Landry (Claude Desbordes), Georges Lannes (Le procureur), Jacques Louvigny (Firmin), Janine Merrey (Madame Bonnemain), Félix Oudart (Alexandre), Simone Paris (Madame Armandy), Simone Signoret (La maitresse de Firmin), Madeleine Suffel (Madame Marchal), Jacques Tarride (Le juge Armandy) Querelle autour de l’héritage de Jérôme Armandy. Mais est-il bien mort ? Film policier typique de l’époque de l’Occupation. (J. T.)

Bethsabée (1947) Réalisateur : Léonide Moguy, scénario de L. Moguy et Jacques Rémy d’après le roman de Pierre Benoit. Dialogues : Roger Vitrac. Dans un poste au Maroc, tenu par des spahis, arrive Arabella (Danielle Darrieux), fiancée du capitaine Dubreuil (Georges Marshall). Cette femme, qui se dit divorcée, a eu un passé agité. Un officier du régiment, Sommerville (Paul Meurisse), le connaît : il a été son amant. Envoyé en reconnaissance à la place de Dubreuil par le colonel sensible au charme d’Arabella, Sommerville est mortellement blessé. Évelyne, la fille du colonel et la maîtresse de Sommerville, qui a surpris la vérité, parle. Dubreuil, qui a demandé à remplacer Sommerville, s’apprête à partir sans vouloir écouter les protestations d’Arabella. Grâce à l’intervention du colonel, tous deux se réconcilient. Sommerville trouve la mort dans une embuscade. Désespérée, Évelyne, dans un accès de folie, blesse Arabella qui meurt dans les bras de celui qu’elle aime. La notice de l’Index de la cinématographie française précise: « de bons dialogues accompagnent les images », tandis que le chroniqueur du Figaro, à la sortie du film, écrivait : « Je crains que Roger Vitrac, qui possède pourtant des dons réels de dialoguiste, ne se soit laissé entraîner lui-même vers le côté roman populaire et poésie facile. Ses personnages disent à tout bout de champ : ‘La vie est injuste. C’est trop injuste’. L’a-t-il bien voulu ainsi28 ? »

Si ça peut vous faire plaisir (1948) Réalisateur : Jacques Daniel-Norman. Adaptation : Jean Manse, Roger Vitrac, Jacques Daniel-Norman. Scénario : Pierre Benard, Robert Danger. Avec Fernandel. Sortie : 1er septembre 1948 à Paris. Viala et sa femme sont marchands de couronnes mortuaires à Cassis. Viala partage avec son amie Ginette un billet de loterie. Le billet gagne, mais c’est avec Gonfaron que Viala prétend avoir partagé sa chance. Ce dernier, employé de la salle des ventes, accepte de jouer le rôle de faux millionnaire puis de faux amant de Ginette. Viala, qui avait projeté de passer quelques jours à Aix avec Ginette est obligé de s’y rendre avec sa femme et Gonfaron. Ginette appréciant Gonfaron l’épousera. « Si ça peut vous faire plaisir... » lui répond le bon garçon.


  1. Publication posthume dans Dés-Lyre, Gallimard, 1964, présentation d’Henri Béhar, p. 146.
  2. Roger Vitrac, « Photographies animées », Aventure, n° 2, décembre 1921, pp. 28-29.
  3. Voir le texte dans la section Documents de mon essai, Vitrac, Théâtre ouvert sur le rêve, Bruxelles, Labor, Lausanne, L’Age d’homme, p. 177-179.
  4. Lettre à Jean Puyaubert, de Berlin, 6-11-1935. Dans Roger Vitrac, Lettres à Jean Puyaubert, présentées par A. et O. Virmaux, Rougerie, 1991, p. 67.
  5. Lettre à Jean Puyaubert, 12 février 1945, ibid., p. 77.
  6. Dont le manuscrit nous a été communiqué par Mme A. Guérin.
  7. Qui nous a été communiqué par M. J. Puyaubert. Publié depuis par A. et O. Virmaux dans Histoires littéraires, n° 12, décembre 2002, pp. 12-21.
  8. Cf. recueil de coupures de presse au fonds Rondel, R sup. 2442.
  9. Eric Le Roy, L’Homme de nulle part de Pierre Chenal, mémoire de DEA, Université Paris III, 1987, pp. 34- 35. Chenal parle aussi de l’alcoolisme de Vitrac, et précise que celui-ci s’est fait payer un séjour en Italie pour s’imprégner de l’atmosphère nécessaire à son travail.
  10. Henri Langlois, critique du film dans Cinématographe, mars 1936.
  11. Michel Mardore, « Un anarchiste glouton », Le Nouvel Observateur, 27/01/1984.
  12. Jacques Siclier, « Pierre Chenal, autour d’un film », Le Monde, 31-01/1984.
  13. Jean Dreville, Quarante ans de cinéma.
  14. Nino Frank : « Roger Vitrac a fait un film sur les Cyclades », Pour vous, 28 mai 1931.
  15. Alain Virmaux, « Vitrac sur les sentiers du Paris surréaliste », Histoires littéraires, n° 12, 2002, p. 13.
  16. Dans un article de L’Intransigeant (17 mars 1931), partiellement reproduit dans mon essai, Vitrac, Théâtre ouvert sur le rêve, Bruxelles, Labor, Lausanne, L’Age d’homme, p. 191, il évoque l’échec du « Congrès international pour la détermination des directives et la défense de l’esprit moderne », dit Congrès de Paris, dont les réunions de préparation avaient lieu au café Certa du passage de l’Opéra.
  17. Voir : Roger Vitrac, « Actualité du théâtre grec », Le Voyage en Grèce, n° 7, été 1937, pp. 15-17.
  18. Roger Vitrac, Re-tour de manivelle, édition établie par Jean-Pierre Han, Rougerie, 1976, 104 p. 19. Roger Vitrac, « Rire dans sa barbe », L’Écran français, 4e année, n° 50, 12 juin 1946.
  19. Roger Vitrac, « Rire dans sa barbe », L’Écran français, 4e année, n° 50, 12 juin 1946.
  20. L’Écran français, 4e année, n° 27, 2 janvier 1946. 21. L’Écran français, 4e année, n° 28, 9 janvier 1946. 22. Roger Vitrac, « À propos de Bethsabée », cité dans Vitrac, théâtre ouvert sur le rêve, p. 196.
  21. L’Écran français, 4e année, n° 28, 9 janvier 1946.
  22. Roger Vitrac, « À propos de Bethsabée », cité dans Vitrac, théâtre ouvert sur le rêve, p. 196.
  23. L’Écran français, 4e année, n° 48, 29 mai 1946, Re-tour de manivelle, p. 55.
  24. Roger Vitrac, « Le voyage oublié », Les Feuilles libres, janvier 1938.
  25. Résumé d’après Les fiches du cinéma 2001 et le guide de Jean Tulard. La BIFI possède, dans la série des Cahiers jaunes, deux états tapuscrits relatifs à ce film : le scénario (Cjo 790 B 106) et le découpage technique avec des variantes (Cjo 791 B 106), mais aucun des deux ne mentionne Roger Vitrac, qui n’a dû intervenir que pour les dialogues.
  26. Jean Tulard dans son Guide du cinéma, Laffont/Bouquins.
  27. Gérard Lefort, « Tintin à Macao », Libération, 10/07/1982
  28. Louis Chavet, « Bethsabée », Le Figaro, 26/11/1947.