Le merveilleux dans le discours surréaliste, Mélusine n° 20
par Henri Béhar, le 28 mars 2000
PASSAGE EN REVUES« LE MERVEILLEUX DANS LE DISCOURS SURRÉALISTE, ESSAI DE TERMINOLOGIE », MÉLUSINE N°XX, 2000, PP. 15-29.
Actes du colloque de Cerisy, 2-12 août 1999
Claude LETELLIER, Nathalie LIMAT-LETELLIER (dir.)
Le premier Manifeste du surréalisme réhabilite le merveilleux dans l’espoir de mettre fin au règne du rationalisme absolu. Pourquoi un mouvement d’avant-garde du XXe siècle, porteur d’un potentiel de rupture, exalte-t-il un vivier de l’imaginaire, héritage des contes et des mythes ? Faut-il interpréter cette quête de la merveille comme la défense et illustration d’un art magique, dont témoignent aussi certaines influences médiumniques ou hermétiques ? Cependant, en quoi le sentiment du “merveilleux moderne”, selon l’expression d’Aragon, diffère-t-il du merveilleux traditionnel ? Il appartient en effet aux pratiques expérimentales et aux théories du groupe de faire intervenir le grand ressort nouveau de la surprise, l’esprit de révolte, ou encore le hasard objectif, de sorte que le dépaysement coïncide avec l’invention subversive d’un autre rapport au monde. Ces questions ont conduit le colloque du CERMEIL, qui s’est tenu au château de Cerisy, du 2 au 12 août 1999, à analyser les sources culturelles, les références majeures et un répertoire varié d’activités créatrices, littéraires ou plastiques, où se manifesterait, dans sa spécificité relative, le merveilleux surréaliste. Les contributions réunies dans le présent volume se proposent ainsi de déterminer les contenus d’un concept, ses liens avec d’autres données, et le devenir d’une valeur fondamentale, dont les divergences entre les surréalistes constituent historiquement plusieurs versions possibles.
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Prolongements :
Tania Collani, Le Merveilleux dans la prose surréaliste européenne, Hermann Editeurs, 2010
Résumé : Le surréalisme a prêté une attention particulière à la vaste problématique du merveilleux. En raison de la transcendance présupposée par le sujet même, l’analyse du merveilleux à l’intérieur du surréalisme doit être particulièrement rigoureuse pour être vraiment significative, surtout en ce qui concerne les limites de la problématique. Nous avons donc jugé indispensable d’analyser le sujet selon trois axes méthodologiques complémentaires : un axe historique (premier chapitre), un axe théorique (deuxième et troisième chapitres) et un axe analytique (quatrième et cinquième chapitres). L’approche historique, dans un premier temps, nous a permis de cerner les frontières d’un surréalisme plus spécifiquement européen par rapport aux foyers surréalistes internationaux successifs. En ce qui concerne les données générales, nous nous sommes fréquemment référés aux œuvres de Maurice Nadeau, Marcel Raymond, Carlo Bo, David Gascoyne, ainsi qu’à une série d’ouvrages antérieurs et postérieurs à ceux-ci, qui abordent le surréalisme d’un point de vue surtout historique. À la lumière de ces études, nous avons pu mettre en évidence l’émergence d’un surréalisme principalement européen dans la période de l’entre-deux-guerres, et ce dès 1922, car Aragon, Breton et Soupault, en prenant comme plateforme de divulgation la revue Littérature, travaillent déjà sur les thèmes et les idées qui caractériseront le Manifeste de 1924. Cette période spécifiquement européenne perdure jusqu’en l940, année qui marque le début d’une émigration massive des intellectuels vers les États-Unis et l’Amérique du Sud. En outre, cette date s’avère particulièrement significative pour notre étude sur le merveilleux, car l’année 1940 coïncide avec celle de la publication du Miroir du merveilleux, ouvrage qui rend compte du changement théorique dans l’approche du merveilleux au sein du surréalisme. Pendant cette période d’une vingtaine d’années, le mouvement surréaliste consacre de nombreux articles théoriques et essais au merveilleux. En tenant compte des différentes problématiques sous-jacentes au sujet, nous nous sommes intéressé à la définition du merveilleux surréaliste en considérant les définitions qui proviennent intrinsèquement du surréalisme, d’une part (le « merveilleux visqueux » de Limbour, le « merveilleux quotidien » d’Aragon, le « merveilleux cérébral » de Desnos, le « merveilleux moderne » de Leiris), et d’autre part, en considérant les contributions critiques sur le merveilleux datées du début du XXe siècle et avant, étant donné qu’elles peuvent avoir influencé la définition surréaliste de merveilleux, ou encore qu’elles peuvent avoir subi historiquement les mêmes influences que les surréalistes – les ouvrages de Hubert Matthey, d’Alice MacKillen, de Sucher, par exemple, se font dans un contexte historique et culturel fortement similaire. Ce qui nous semble être immédiatement évident, c’est que la définition surréaliste du merveilleux dépasse de loin la sphère spécifiquement littéraire, pour toucher au domaine de l’existence. C’est dans cette perspective qu’il faut lire les définitions de René Passeron – selon lequel le merveilleux est la « catégorie esthétique suprême du surréalisme […] l’essence même de la beauté » – et de Breton – qui, dans le Manifeste du surréalisme, déclare son amour inconditionnel pour le merveilleux et qui, dans l’article « Le merveilleux contre le mystère », plaide pour « l’abandon pur et simple au merveilleux, […] la seule source de communication éternelle entre les hommes ». Le merveilleux est donc la seule alternative possible à la réalité, la seule dimension transcendante accordée à l’homme moderne, privé du secours de Dieu. La formulation de ce merveilleux est aussi lisible au niveau fictionnel, où il se manifeste moins comme un expédient voué à provoquer un effet d’émerveillement que comme une véritable question heuristique pour l’homme moderne. Pour le cas particulier des ouvrages narratifs surréalistes, la question qui se pose est celle de l’homogénéité : d’une part, nous reconnaissons un « véritable » merveilleux surréaliste, qui se manifeste principalement au cours des années vingt dans les récits des surréalistes français ; de l’autre, un merveilleux plus « traditionnel », c’est-à-dire dépourvu des références à la modernité, qui s’exprime de préférence au cours des années trente, dans les récits des écrivains surréalistes provenant du reste de l’Europe. Il devient ainsi évident que pour le choix du corpus, il a fallu croiser les deux approches, historique et théorique. À cet égard, nous avons choisi les auteurs du corpus en utilisant comme critère de référence l’adhésion, et la signature qui en découle, aux différents manifestes surréalistes européens (à Paris en 1924 et 1930, à Prague en 1935, à Santa Cruz de Tenerife et à Bruxelles en 1935 et à Londres en 1936), ou la participation active et assidue aux revues du groupe dans la période indiquée de l’entre-deux-guerres. Anicet ou le Panorama, roman d’Aragon sera, chronologiquement, le premier roman de notre corpus de référence, tandis qu’Arcane 17 de Breton (rédigé en 1944, achevé et publié en France en 1947) en sera le dernier. Entre ces deux dates, nous avons retenu d’autres ouvrages de la période surréaliste particulièrement révélateurs pour un discours sur le merveilleux surréaliste : nous pensons surtout aux récits d’Aragon, Alexandre, Desnos, Crevel, Lecomte et Déry. À ces volumes, il faut ajouter les ouvrages narratifs surréalistes dans lesquels se manifeste un type de merveilleux plus traditionnel ; il s’agit de récits, qui se forment, en général, plus tardivement que les œuvres précédemment citées, comme les textes d’Embiricos, Carrington, Prassinos Nezval, Sykes Davies, Read, Gascoyne et Luca. Le groupe surréaliste est animé par la conviction que la réponse doit être recherchée directement en l’homme ; par la volonté de donner son juste poids à l’imagination humaine. Le merveilleux, et cela est vrai pour toutes les activités du mouvement guidé par Breton, représente un lieu de refuge sûr et un moyen efficace permettant, dans le quotidien, de dépasser la réalité tangible des choses et d’aspirer à l’infini. Nous rejoignons ici ce qu’écrit Mabille, puisqu’au-delà de l’agrément, de la curiosité que nous donnent les récits ou les contes, « le but réel du voyage merveilleux est […] l’exploration la plus totale de la réalité universelle ». (Le Merveilleux dans la prose surréaliste européenne, Hal)
L’homme merveilleux – Exposition, 21 mars-31 août 2008, Château de Malbrouck à Manderen
Après la vision méditative et automnale de Merveilleux ! D’après nature proposée au château de Malbrouck – édifice classé Monument Historique, à proximité de l’Allemagne et du Luxembourg – pendant l’hiver 2007, vient le temps printanier et estival 2008 du dynamisme et de l’épanouissement : celui de la rencontre avec cet être controversé, L’Homme merveilleux. ” Le merveilleux n’est pas le même à toutes les époques ” écrivait André Breton. Entre surréalisme et âge contemporain, le visiteur est invité à se soumettre à l’épreuve du miroir, entre ce qu’il croit et ce qu’il voit, entre ce qu’il vit et ce qu’il imagine, car l’Homme merveilleux est celui qui ne se laisse pas déposséder de son expérience : capacité à produire des rêves puissants, nostalgie ambiguë à l’égard de l’enfance, érotisme comme sommet de l’esprit humain et, enfin, cette vérité : ce que le merveilleux montre est au fond l’homme lui-même.
Carole Boulbes : Surréaliste et merveilleux