« Celle qui lit » et celle qui écrit entre deux cultures
par Henri Béhar, le 10 avril 2006
PASSAGE EN REVUES« “Celle qui lit” et celle qui écrit entre deux cultures », Les Mots la vie, n° hors série, printemps 2006, p. 131-143.
Outre le très émouvant Baiser papillon, j’ai eu l’occasion de rendre compte d’un roman de Colette Guedj, par ailleurs Professeur à l’Université de Nice, animatrice du groupe de recherche sur Paul Eluard. C’était dans une note de la revue Europe, que voici. Elle date de janvier 2005 :
Colette Guedj, L’Heure exquise, JC Lattès, 216 p., 2005. On connaît la définition du pull-over juif : « c’est le pull que je mets quand ma mère a froid ». Je n’ai pu m’empêcher de penser à cette histoire universelle tout au long des dix-huit tableaux (peut-être faudrait-il écrire prises de son) de ce roman. La narratrice, qui décidément ne saurait s’accommoder du sort fait à sa mère âgée, s’emploie à adoucir la fin de sa vie, dans la dignité et le respect. Or c’est visiblement une dimension humaine que les autorités et même le personnel des maisons de retraite ignorent le plus, sans doute parce qu’elle n’a pas de prix. D’où l’humour grinçant de ces instantanés où, selon la formule consacrée, « toute ressemblance avec un quelconque établissement pour personnes âgées ne peut être que pure coïncidence ». Non qu’il n’y ait, au passage, des comportements admirables, un dévouement méritoire, mais parce que, en isolant la personne âgée de son milieu habituel pour la mettre dans une demeure spécialisée, en découpant la société en classes d’âge sans communication entre elles, la société moderne ne fait qu’accroître l’isolement des uns et des autres, en hâtant leur course vers l’inéluctable. Il serait temps, avec Colette Guedj, de redonner aux mots les plus usuels, les plus usés, leur sens primitif et leur charge émotionnelle, comme dans cette pièce où Madeleine Renaud, la reine-mère, achevait doucement la représentation en chantonnant « l’heure exquise » : Fin de partie.
J’ai su par les amis de la revue que ma note avait beaucoup plu, particulièrement le pull-over de ma mère. Il faut croire qu’elle fit aussi plaisir à Colette Guedj, qui me fit parvenir son Journal de Myriam Bloch, afin que je puisse contribuer au numéro que la revue Les Mots La Vie que ses partenaires habituels entendaient consacrer à ce roman, notamment sur l’identité culturelle et la transmission de la mémoire. Dans la ligne de ce que je venais d’écrire, je composai un article détaillé sur la complexité culturelle de son récit.
4e de couv. : Ouvrage de Colette Guedj : Le journal de Myriam Bloch, J.C. Lattès, 2004 Tout commence à partir d'un livre lu dans la petite enfance, Le Journal de Myriam Bloch dont une page marquera à jamais la narratrice. C'est l'histoire de ce livre, perdu et retrouvé, qui va déclencher, par un effet de miroir, le processus d'écriture de cette histoire de vie. La narratrice retrace son parcours de femme dont l'enfance a été baignée par les traditions juives et orientales, auxquelles elle se sent lié par une sorte d'alliance charnelle ; enfance relativement protégée en Algérie, dans l'harmonie d'une identité métissée, alors qu'en France on déportait les Juifs. Mais l'indicible catastrophe va la rattraper, d'abord à travers les récits des camps de la mort qui arrivent jusqu'à elle et vont lui faire une « seconde peau », ensuite par l'histoire tout court qui d'une certaine façon continue. Deux motifs courent tout au long du livre, renvoyant au thème de la mémoire : celui du palimpseste, notre vie n'étant faite que de couches successives qui pour se recouvrir ne sont jamais totalement effacées ; ensuite celui de la cage d'escalier qui orchestre, comme en une caisse de résonance, les allées et venues de nos destins toujours semblables et toujours différents.
Lire : Les Mots la Vie, n° Hors-série : Ecrire l’identité, écrire la mémoire ; ouvrage collectif autour du roman de Colette Guedj, Le journal de Myriam Bloch, JC Lattès, 2004 N° hors série printemps 2006 de Les Mots La Vie, Revue sur le surréalisme Nice, Éditions du Losange, 2006. 4e de couv. : « L’enjeu de ce numéro est, plus que jamais, celui du rapport entre les mots et la vie » écrivait naguère Colette Guedj en ouverture d’un numéro de la revue Les Mots la vie intitulé L’Autobiographie : du désir au mensonge. C’est encore vrai, ô combien, de celui-ci, à ceci près que ce qui est à l’œuvre dans le Journal de Myriam Bloch sous la plume de Colette Guedj, c’est le désir flagrant de dire vrai, d’écrire du moins au plus juste, et l’identité, et la mémoire… C’est ce que soulignent ici, chacun à sa façon, mais très unanimement, les différents contributeurs » auxquels la revue a choisi de donner carte blanche autour du roman de Colette Guedj, dans le cadre de leur spécialité.
Sommaire : Avant-propos de Paul Léon Première partie : Rencontre pluridisciplinaire – Ali Benmakhlouf, Identité et fiction, sur Le Journal de Myriam Bloch Jean-Pierre Zirotti, La question de l’identité dans Le Journal de Myriam Bloch Paul Léon, Les livres de vie de Colette Guedj Marie Virolle, L’Algérie de Colette Guedj : les mots, le corps, les rites ou la charnelle alliance Tristan Hordé, Le nom de liseuse – Arlette Chemain, D’Anacolette à Myriam Bloch, mouvances et reliances Joël Candau, Mnémotectonique – Arnaud Beaujeu, De la perte au passage, palimpsestes de vie Henri Béhar, « Celle qui lit » et celle qui écrit entre deux cultures Deuxième partie : Notes de lecture et d’amitié – Serge Gaubert, L’escalier et la cage – Albert Bensoussan, Ceux qui ont gardé la clef – Robert Fillon, Traces de mémoire Maurice Adjiman, Comme dans les sagas Éveline Caduc, « Léhaïm, À la vie », la petite musique du Journal de Myriam Bloch Troisième partie : De Tiaret à Pfastatt Une tombe dans les airs, un récit inédit de Guy Dettmar À voix nue par Colette Guedj.
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Texte figurant dans : H. Béhar, Essai d’analyse culturelle des textes, Classiques Garnier, 2023, pp. 229-238 : Essai d’analyse culturelle des textes - Celle qui lit et celle qui écrit entre deux cultures (classiques-garnier.com)