MÉLUSINE

En belle page, Mélusine n° 4, 1983

PASSAGE EN REVUES

« EN BELLE PAGE », MÉLUSINE, N° IV, 1983, PP.11-13.

TABLE DES MATIÈRES

Allocution de M. MOREL au nom du Conseil scientifique de Paris III 9
Henri BEHAR : En belle page
Roger NAV ARRI : Institutions – Mouvement – Groupe – Revue : le cas des revues surréalistes après 1945
Viviane COUILLARD : Une revue (presque surréaliste) des années 28-30 : Le Grand Jeu
Anna BALAKIAN : Réception du surréalisme dans la poésie latino-américaine
Patrick IMBERT: Réception des surréalistes québécois
Henri BEHAR : Lieux-dits: les titres surréalistes
Stéphane SARKANY : Nadja ou la lecture du monde objectif
Suzanne LAMY : Breton-Duras. B.D. – Ma bande dessinée ou lecture d’une confluence
Jean ARROUYE : La photographie dans Nadja
Marie-Claire DUMAS : Les rendez-vous graphiques de Robert Desnos
Nicole BOULESTREAU : Le photopoème Facile: un nouveau livre, dans les années 1930
Arturo SCHWARZ: L’amour est l’érotisme
Mary Ann CA WS : Lecture contrariée des rapports illustrés
Jean-Charles GATEAU: Découper, se couper, se recouper
Renée RIESE HUBERT: Miro et le livre surréaliste
Pierre LAURETTE: Alfred Pellan et le texte surréaliste
Anne-Marie AMIOT : Nouvelles Impressions d’Afrique : texte, blanc et image
Fernand DRIJKONINGEN : La fonction du narrataire dans Le Paysan de Paris
Karlheinz BARCK : Lecture de livres surréalistes par Walter Benjamin
Danielle BONNAUD-LAMOTTE et Jean-Luc RISPAIL : Ré- édition du S.A.S.D.L.R. sur ordinateur ou le calvaire d’un texte
Boris RYBAK : L’itérateur surréaliste
Michel LAUNAY : Physique du livre : petite suite Eluard-Char-Butor
Les « fabricateurs» du livre surréaliste, table ronde dirigée par Michel DECAUDIN
Catalogue de l’exposition : Livres surréalistes

EN BELLE PAGE

En 1975 s’est tenu un colloque intitulé : «Le Surréalisme dans le texte ». Nous nous inscrivons dans son prolongement en organisant ces manifestations sur le livre surréaliste. Nos amis grenoblois partaient du postulat : «Prenons une page précise d’un des grands surréalistes» et proposons notre lecture. Pour les besoins de leur propos, ils feignaient de croire que les livres auxquels emprunter cette page existaient une fois pour toutes. Pour ma part, j’ai pensé qu’il serait nécessaire de commencer par donner à voir, non plus une page, mais l’ensemble du recueil et, s’il se pouvait, la totalité des livres surréalistes.

A défaut de tous les rassembler, nous avons pu, grâce à l’hospitalité de la B.P.I., à la diligence de Pascaline Mourier et de son équipe, à la bienveillance de nombreux prêteurs, en montrer quelques-uns, parmi les plus caractéristiques, nous limitant dans le temps et dans l’espace pour des raisons… d’espace restreint.

Et maintenant, il s’agit de réfléchir sur l’objet livresque. Trois orientations s’offrent à nous d’emblée. Elles marquent les étapes de ces trois journées.

(1) Du manuscrit à la réédition, le livre vit, il a une histoire. Que se passe-t-il entre le manuscrit et sa version imprimée? Que peut-on lire dans l’épaisseur des notes et des ratures, dans ce que J. Belle-min-Noël a nommé l’avant-texte ? Que nous indiquent les protestations de fidélité au texte initial et les modifications· par souci du bien dire qu’introduit Breton d’une édition à l’autre de ses livres ? Naguère Claude Martin a indiqué quelques pistes fructueuses.
Mais ce livre, que nous l’entendions au sens large d’assemblage de feuillets imprimés (comprenant brochure, plaquettes, revues) ou, plus restreint de volume broché, demande à être caractérisé quantitativement, qualitativement. Quelle est l’importance de la production surréaliste par rapport à l’époque ? Qui publie le plus ? Quelles années sont fastes, quelles néfastes ? En 1936 et 1937 je relève, dans les catalogues français, 15 titres chaque année : c’est le point maximum d’une courbe de Gauss en forme de chapeau de gendarme. Quels sont les éditeurs préférés (ou résignés) des surréalistes ? Dans mon comput, sur 280 volumes, 40 sont publiés par Gallimard, 22 par Kra, 17 par G. Lévis-Mano, 13 par Corti. Mais les surréalistes eux-mêmes ont financé 43 recueils sous le label des Éditions surréalistes ou plus ouvertement à compte d’auteur. Que savons-nous de la vente, de la diffusion de ces livres ? En 1965, Eric Losfeld me disait qu’il n’avait jamais gagné un sou sur ce secteur de sa librairie; mais les actuelles réimpressions me semblent un appoint non négligeable pour les éditeurs ! Il aurait fallu parler de ces rééditions et surtout de la publication en cours d’œuvres complètes (Aragon, Eluard, Tzara, Breton…) qui ne sont pas sans poser de nouveaux problèmes et bien des questions de principe aux présentateurs.
Sur le plan sociologique, il faudrait faire la part du mécénat, très actif, dans les années 30. Peut-être l’échange de vues suivant les communications en précisera-t-il la fonction.
Quant à l’aspect proprement matériel du livre, à sa « fabrication », elle fera l’objet d’une table ronde, ce soir, à laquelle nous avons convié des techniciens, des praticiens, qui sont en même temps des historiens et des théoriciens, autour de Michel Décaudin.

(2) La seconde phase de nos entretiens devrait aborder l’accueil, la fortune et la réception du livre surréaliste. Ce ne sont pas, à mon sens, trois synonymes, les implications de chaque type d’études étant très différentes. Reste qu’ils supposent des investigations nouvelles, du moins dans le domaine francophone. Quel lecteur implicite les œuvres surréalistes postulent-elles, quel lecteur réel ont-elles rencontré? Comment s’organise la dialectique de la lecture qui devrait conduire à une transformation du lecteur ? Quels publics le surréalisme a-t-il touché par ses publications, dans quelles régions, de France et du monde, dans quels secteurs de la culture, à quel âge ?
Autant de questions pour lesquelles la réponse ne nous vient pas immédiatement.
Peut-être en saurons-nous davantage à travers la lecture des critiques, de la presse, et des surréalistes eux-mêmes en tant qu’agents de la presse ou bien public interne, privilégié, de ses propres productions.

(3) La troisième orientation de nos travaux, qui n’est évidemment pas indépendante des deux autres, porte sur la sémiotique du livre, et, puisqu’il faut être bref, nous conduit à mettre en évidence la physique particulière de l’objet matériel et plastique dénommé livre. On insistera, du moins le résumé des communications me le laisse-t-il supposer, sur cette relation anormale qui s’établit, dans des récits, entre la photographie, le cliché extrait de la presse, de la lettre environnante, et le texte lui-même. Et, bien sûr, la part royale reviendra à ce qu’on a appelé l’écriture à plusieurs mains, le dialogue qui s’instaure entre la surface typographiée et la surface illustrée, entre le noir et le blanc dans l’espace de la page, entre le titre et le corps de l’ouvrage, etc.
La question est donc posée, clairement je l’espère : y a-t-il un livre surréaliste ou seulement un conglomérat de livres produits par des surréalistes, que par métonymie on nomme livres surréalistes (au pluriel) ? En d’autres termes, quels seraient les critères permettant de dire, d’emblée, ceci est, ceci n’est pas, surréaliste ? Il y a de fortes présomptions pour penser que certains livres deviennent surréalistes, se rangent dans la classe en question, non par évolution naturelle mais par une suite de coups de force et de détournements, qu’il nous appartiendra d’évaluer. D’où cette hésitation assumée entre le pluriel et le singulier pour désigner l’entreprise qui nous réunit. Le surréalisme n’est-il pas, en lui-même, un pluriel singulier ?