MÉLUSINE

Le surréalisme, mauvais genre, Formules n° 11

PASSAGE EN REVUES

« Le surréalisme, mauvais genre », Formules n° 11, Actes du colloque « Surréalisme et contraintes formelles », 2007, p. 119-182.

La question se pose depus la naissance du surréalisme : s’il privilégie l’automatisme et la spontanéité, n’est-il pas, cependant, tributaire d’un certain formalisme ? Or, l’étude — et la pratique — des formes convenues dans la littérature française est justement le travail de la revue Formules, qui a de belles réalisations à son actif. C’est ainsi qu’un jour Bernardo Schiavetta et Alain Chevrier sont venus me voir pour faire un tour d’horizon sur le sujet. D’où il a résulté le colloque de la Sorbonne Nouvelle donnt je tiens à souligner le travail d’Alain Chevrier qui s’est ensuite occupé de publier les actes. Il était entendu entre nous que ces actes devaient paraître dans un numéro conjoint de la revue Mélusine et de Formules. Malheureusement, les éditons l’Age d’Homme n’ont pas suivi mes indications, si bien que seul le nom de Formules apparaît sur la couverture. Mais l’important est que toutes les interventions ont bien été publiées, en d’excellentes conditions, et qu’il est toujours possible de les lire et de les appécier.

Annonce et programme du colloque (format texte seul) :

COLLOQUE « SURRÉALISME ET CONTRAINTES FORMELLES »

Université Paris III, 13-14 octobre 2006 en Sorbonne (17 rue de la Sorbonne, Paris V°) Organisé par le Centre de recherches sur le surréalisme (Paris III-CNRS) et la revue Formules

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Argument Interventions Inscription/Contact

Argument

Comme ultime avatar de la tourmente romantique, l’écriture surréaliste s’est voulue une libération par rapport aux formes traditionnelles jugées contraignantes. Une contrainte littéraire peut être définie comme une règle supplémentaire, distincte des lois de la langue et des règles du discours, ainsi que des règles définissant les divers genres littéraires canoniques. (Cf. Bernardo Schiavetta, « Définir la Contrainte » Contrairement au déclencheur futuriste et à certaines manifestations de poésie visuelle ou sonore qu’on peut trouver dans le modernisme et chez Dada, le mouvement institué par André Breton a respecté ces lois et ces règles. Mais n’a-t-il pas introduit, d’une façon très voyante, de nouvelles contraintes à visée créatrice comme celles des « jeux surréalistes », du cadavre exquis au jeu de « l’un dans l’autre » en passant par le dialogue surréaliste, — contraintes elles-mêmes issues de certains jeux de société, comme la notation, les préférences, les petits papiers, l’énigme, etc. ? Les jeux sur le son et le sens des mots de Robert Desnos anticipent-ils ceux de l’Oulipo ? Peut-on périodiser ces différents jeux, sans omettre ceux des surréalistes belges, à commencer par Paul Nougé ? Plus profondément, l’écriture automatique, le « parler surréaliste », n’est-elle pas, elle aussi, une contrainte en visant à interdire aussi bien l’usage ordinaire du discours que son usage poétique traditionnel ? Son échec ne semble pas avoir été relevé par l’imitation des différents types de discours correspondant aux maladies mentales. Quel rapport la recherche d’une spontanéité affective a-t-elle avec la poésie intellectuelle du nonsense ? Le récit de rêve a-t-il été un genre nouveau en prose ? Le poème en prose a-t-il connu à ce moment une période d’efflorescence ? Le récit poétique ou le théâtre surréaliste annonce-t-il la libération de certaines formes nouvelles de roman ou de théâtre ? La maxime poétique chez Robert Desnos et chez René Char, ou la maxime morale chez Louis Scutenaire, n’ont-t-elles pas été renouvelées ? La présentation de la théorie littéraire, sous la forme de manifestes, et celle de la critique elle-même n’a-t-elle pas été modifiée ? Dans le domaine de la métrique, la disparition de la charge musicale du vers symboliste, au nom de la quête de l’image, voire de l’expression des idées, n’a-t-elle pas renforcé l’hégémonie d’un vers libre des plus platement « syntaxiques » dans la poésie française ? Ne convient-il pas néanmoins de reconsidérer le vers blanc chez Éluard, l’alexandrin chez Desnos, le vers oral d’Aragon ? Quelles formes poétiques cachées peut-on déceler chez ces deux derniers poètes ? Le surréalisme a-t-il engendré les « grands poèmes » qui se faisaient attendre depuis la constriction parnassienne ? L’Ode à Charles Fourier d’André Breton peut-elle encore être définie comme un poème surréaliste? La similarité de résultat entre texte surréaliste et texte oulipien dans les détournements de proverbes ou de textes classiques, ou dans certains textes à base combinatoire, comme ceux de Péret ou de Jean Arp, amène à poser la question des critères de reconnaissance de la contrainte dans un texte, qu’elle ait été explicitée ou non. Faut-il rapprocher ou distinguer les productions de « l’automatisme mental », inconscient ou préconscient, qu’il soit personnel ou issu d’un travail collectif, et l’automatisme aléatoire, comme celui de la méthode S + 7 ou des procédures informatiques actuelles ? Quelle est la part de chacun des deux automatismes dans les jeux alphabétiques d’E.L.T. Mesens, les variations phoniques de Ghérasim Luca ou la composition rousselienne à partir de jeux syllabiques de Guy Cabanel ? Pour le surréalisme, il ne sera pas inutile de revoir les liens avec les contraintes des arts plastiques, ou même les contraintes de l’intervention culturelle ou politique, comme les papillons, les tracts, mais aussi l’art de l’insulte et les manifestations à scandale. Dans quelle mesure l’Oulipo a-t-il été et reste-t-il une image en miroir du surréalisme, tant en ce qui concerne son découplage des avant-gardes politiques révolutionnaires en faveur d’un escapisme souvent ludique d’allure postmoderne, qu’en ce qui intéresse son fonctionnement interne qu’il affiche comme non conflictuel ? Son art conscient de la prestidigitation, avec le dévoilement de ses tours, que d’autres écrivains peuvent reprendre, n’est-il pas l’opposé de l’invocation à la magie, forme affaiblie de religion séculière, d’où est partie et sur laquelle s’est terminée l’activité surréaliste ? Quelle est la part du surréalisme, et de « l’ angoisse de son influence », dans l’œuvre de Raymond Queneau ? Comment comprendre la trajectoire de Noël Arnaud ? Et des poètes à la frontière du surréalisme comme Henri Michaux, ou Jean Tardieu, ou André Frédérique, n’ont-ils pas exploré également des contraintes littéraires ? Autant de questions auxquelles il nous paraît que le moment est venu de tenter d’apporter des réponses.

Interventions

Henri Béhar (Université Paris III) : « Le surréalisme : mauvais genre »

En prolongement de mon article sur l’éclatement des genres au XXe siècle : « Il n’y a que deux genres, le poème et le pamphlet », dans L’Éclatement des genres au XXe siècle, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2001, pp. 61-80, et reprenant le corpus d’ouvrages sur lequel était construit le chapitre « Lieux-dits, les titres surréalistes », dans Les Enfants perdus, essai sur l’avant-garde, Lausanne, L’Age d’Homme, 2002, j’entends montrer comment les surréalistes travaillent la notion de genre : présence et contestation.

Willard Bohn (Illinois State U.) : Poésie critique de Benjamin Péret

Examen de la poésie critique de Benjamin Péret, poésie contrainte à répondre à d’autres œuvres d’art (y compris la poésie) en utilisant l’imitation, la citation, la traduction, la transposition et d’autres principes littéraires. Trois textes en particulier : publié dans Les Feuilles Libres en avril 1922, le premier traite de Calendrier cinéma du cœur abstrait de Tzara ; paru dans Littérature en septembre 1922, le deuxième évoque la peinture de Giorgio de Chirico. Intitulé « Les Cheveux dans les yeux » ; le troisième a servi de préface pour le catalogue d’une exposition de Joan Miro en juin 1925. Dans chaque cas, je propose d’analyser les rapports entre l’œuvre originale et le texte de Péret qu’elle a engendrée.

Bernard Bosredon (Université Paris III) : Les peintres surréalistes : des titreurs libérés?

L'intitulation des toiles surréalistes participe-t-elle de la libération des formes langagières spécifiques du mouvement surréaliste ? Le statut du titre de peinture est-il lui-même l'objet d'un déplacement ou d'une transformation, voire d'une interrogation spécifique ? En utilisant l'analyse linguistique, nous nous proposons d'examiner la nature, le périmètre et les limites de l'action surréaliste dans l'invention des titres. Nous mesurerons l'impact de la relation image/texte dans cette production. Nous observerons également la variété des choix selon les peintres, analyserons les jeux sémiotico-linguistiques auxquels ils se livrent et apprécierons la possible libération dont ils témoignent. Nous essaierons enfin d'identifier l'unité discursive et sémiotique de cette intitulation au-delà même des choix des titreurs.

Alain Chevrier (Rouen, Formules) : Les sonnets surréalistes

Le sonnet joue le rôle d’un révélateur dans l’histoire des formes poétiques. La subversion revendiquée des valeurs de la culture classique, maintenue par ailleurs par les fossiles vivants de la poésie traditionnelle, mais aussi l’ignorance regrettable de la place du sonnet dans les littératures des pays voisins, comptent au nombre de ses principaux facteurs. À partir d’un corpus constitué des trois petits « sonnets surréalistes » publiés par Breton, Éluard et Aragon dans la revue La Vie des lettres et des arts en 1921. Ces poèmes font s’interroger sur la notion de contrainte littéraire : se situe-t-elle alors du côté de la forme-sonnet ou du côté du style surréaliste ? Et quels problèmes soulève cette coexistence avec l’écriture automatique ? En quoi celle-ci peut-elle être qualifiée d’« automatique » ?

Frédérique Joseph-Lowery (Emory) : La contrainte par corps, dans l’œuvre écrite de Salvador Dalí

Salvador Dalí présente trois sortes de contraintes : la première prend la forme de chaussures noires vernies trop serrées. C’est une contrainte formelle en ceci que la prise ferme du pied est la condition de la prise de parole à l’ouverture de son Journal d’un génie. La chaussure trop serrée est strictement l’incipit du texte. La seconde nous invite à envisager la question sur un plan organique. Au cours d’une longue métaphore performative, Dalí montre que la force appelée coaction exerce sa contrainte sur le motif antique de la feuille d’acanthe dont il suit les variations plastiques jusqu’à nos jours au gré d’interprétations délirantes. Enfin vient la méthode paranoïaque-critique. C’est une contrainte physique : la langue, le muscle dans la bouche doit repousser les poils qui lui poussent par en-dessous. Ainsi du pied à la langue, à la boule du fœtus, le corps forme boucle et offre une image d’écrivain surréaliste pour qui la contrainte littéraire est inséparable de l’enveloppe charnelle qu’elle s’efforce de contenir. Le plus surprenant de ce dispositif est que la contrainte œuvre avec et contre ce qui semble le moins approprié à sa tâche : le délire.

Caroline Lebrec (Université de Toronto) : Découpage, collage et “décollage” : OuLiPo, Surréalisme et Dada

Entre puzzle, jeu d’échec, jeu de go et cadavre exquis, nous voulons démontrer la différence des deux approches, oulipienne et surréaliste, et ainsi tordre le cou au concept de « gratuité » qui entoure les pratiques oulipiennes. L’approche du ludique nous permet d’embrasser la pratique oulipienne de la contrainte formelle dans toute sa potentialité : jeu avec les mots, jeu avec la langue, jeu avec la littérature, et enfin jeu avec le lecteur. Cette approche nous permet également de faire un lien entre ce qui a été publié sur papier, mais aussi sur le Net.

Delphine Lelièvre (Université Paris XII) : Noël Arnaud, Dictionnaire analytique

Cette communication s’appuiera sur un fonds manuscrit totalement inédit, conservé au Musée de la Résistance Nationale de Champigny sur Marne : quelques tracts publiés par le groupe La Main à plume, et des pages du Dictionnaire analytique, ouvrage né d’une collaboration entre Noël Arnaud et André Stil. Les articles définitifs y portent l’empreinte surréaliste et cachent dans le même temps une contrainte de type mathématique dans leur élaboration manuscrite, mais sans jamais envisager de rendre visible ni même connue cette démarche d’automatisme raisonné. Il semble que les contraintes d’ordre matériel aient été utilisées à des fins créatrices, avec jubilation et plaisir, par certains membres de la Main à plume, opposés en cela à plusieurs de leurs compagnons qui choisirent plutôt de garder le silence, refusant de se soumettre à des obligations extérieures perçues alors comme des freins à la création.

Sophie Lemaître (Université de Cergy) : L’usage de la forme du dictionnaire par les surréalistes

Dans la conception surréaliste, le dictionnaire détermine un code intolérable, et ne présente qu’une succession dérisoire d’équivalences sémantiques restrictives, de contenus figés. Il paraît donc étonnant que des auteurs surréalistes aient publié des ouvrages sous la forme de dictionnaires, s’astreignant à couler leur grande liberté langagière dans un des moules les plus normés qui soient. Nous proposons d’étudier l’usage de la forme du Dictionnaire par les surréalistes, notamment dans le Glossaire j’y serre mes gloses de Michel Leiris et dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme d’André Breton et Paul Eluard. Ces dictionnaires surréalistes, où les mots sont arrachés à l’ornière du sens, mettent en œuvre une pratique extravagante de la forme dictionnairique et révèlent, selon la formule de Julien Gracq, « l’énergie latente en puissance dans le vocable ».

Jean-Claude Marceau (Université Paris VIII) : Les anagrammes d’Unica Zürn et Hans Bellmer

La pratique des anagrammes tient un rôle essentiel au sein du couple Hans Bellmer-Unica Zürn. Pour Bellmer, « le corps est comparable à une phrase qui nous inviterait à la désarticuler, pour que se recomposent à travers une série d’anagrammes sans fin, ses contenus véritables ». Serait-ce là la cause de l’intérêt majeur qu’Unica porte aux anagrammes ? Nous interrogerons plus avant cette pratique de la lettre chez ces deux artistes à partir de cette autre remarque de Lacan dans Lituraterre : « Entre savoir et jouissance, il y a littoral qui ne vire au littéral qu’à ce que ce virage, vous puissiez le prendre le même à tout instant ».

Ioanna Papaspyridou (Université d’Athènes) : Récit de rêve

Le corpus établi par Frédéric Canovas (Narratologie du rêcit de rêve dans la prose française de Charles Nodier à Julien Gracq) nous permet, désormais, d'intégrer définitivement et de façon systématique le récit de rêve surréaliste dans un ensemble de textes. Se pose alors la question des contraintes narratives introduites par les surréalistes. Qu'est-ce qui distingue les récits de rêve bretoniens dans Clair de terre, par exemple, ou dans La Révolution surréaliste, d'autres récits pré-surréalistes? s'agit-il de bribes, de débris, de pur automatisme mental? Enfin, qu'en est-il des interprétations, du rôle de l'allégorie ou de la présence de l'archétype tel que Lacan l'a défini ?

Gérald Purnelle (Université de Louvain) : Le vers régulier chez les surréalistes : dedans ou dehors ?

Approche globale de l’inscription de la métrique régulière dans le parcours esthétique et dans la pratique de plusieurs surréalistes. Cela permettrait de comparer ceux qui la pratiquent d’abord pour la rejeter, ceux qui l’excluent totalement, ceux qui l’intègrent à leurs premières œuvres, le passage de l’alexandrin au vers libre, les fonctions spécifiques du vers régulier chez tel poète ; mais aussi de comparer français et belges, et, chez les français, les deux générations de surréalistes. Plus précisément, il s’agira de tester plusieurs des questions suivantes : de quelle esthétique provient-on lorsqu’on intègre (même provisoirement ou discrètement) la métrique régulière dans la pratique naissante du surréalisme ou quand on la rejette d’emblée ? comment cette pratique se combine-t-elle avec d’autres formes (prose, vers libre, jeux surréalistes) ? comment peut-elle sous-tendre l’évolution d’un poète vers son esthétique post-surréaliste propre ? comment la pratique peut-elle être confrontée au discours sur la forme ? chaque poète a-t-il « son » vers régulier ? ces différences font-elles sens sur le plan formel ou poétique ? les Belges diffèrent-ils des Français ? Cette étude se fondera sur des cas d’espèces : Breton, Éluard, Aragon, Desnos, Artaud, Leiris, Queneau, Tzara, Goemans, Colinet, Chavée, Scutenaire.

Christophe Reig (Université de Perpignan) : Leiris/Roubaud – Règles des jeux, Jeux dans les Règles

À quelques décennies d’intervalles, Roubaud l’oulipien partage avec Leiris – dont le nom reste attaché au surréalisme de la première moitié du XXe – le souci autofictionnel. A priori, on se trouve face à deux écritures fort dissemblables, deux écrivains issus de deux groupes littéraires antagonistes. Le traitement réservé au rêve (n’oublions pas que le ‘projet’ « grand incendie » est un rêve) se révèle ainsi exemplaire des différences entre nos auteurs ; alors que chez l’un, l’activité onirique, la prépondérance accordée au désir, permettent de faire surgir l’étincelle des mots, de repousser les limites édictées au « je » par les contraintes sociales, chez l’autre, les ressorts oulipiens semblent à la fois se resserrer autour des chiffres et des lettres, afin de dessiner en creux le moi conjugué au passé. Dans les deux cas, la recherche du moi n’est pas forcément et absolument opposée au formalisme – terme à prendre dans tous les sens. L’ombre de l’entreprise de Leiris ne saurait être absente du « traité de mémoire » qu’est Le Grand Incendie. Chez Roubaud, comme chez Leiris, on va ainsi retrouver le goût du détour, du chiffre et bien des points communs : une méfiance avouée face au récit autobiographique, une réticence envers ses codes et ses conventions… D’où l’intervention de « contraintes », lesquelles seront sujettes aux changements. « Autobiographie critique », « autobiographie sous contraintes », l’un comme l’autre se sont lancés, pour des raisons différentes, peut-être dissymétriques, dans la fabrication de dispositifs, de montages logomachiques qui ne peuvent – plus ou moins volontairement – qu’échouer, d’écritures qui vivent de leurs traces et qui parfois meurent de revenir sur elles.

Effie Rentzou (Princeton University) : Contrainte et poétique : le proverbe dans le Manifeste du surréalisme et L’Immaculée Conception

Si d’un point de vue stylistique et rhétorique, la forme proverbiale est proche d’autres formes sentencieuses brèves, comme l’aphorisme, l’apophtegme, le slogan, et même la définition lexicographique, d’un point de vue sémiotique le proverbe se trouve plus proche des mythes et des contes. Dans la poétique surréaliste la perte d’intérêt pour les proverbes est contrebalancée par un intérêt croissant pour le mythe, qui devient une des préoccupations centrales du surréalisme pendant les années trente. Cette double fonction du proverbe en tant que langage miniaturisé et distillé d’une part, et en tant que discours oral de cohésion d’une communauté donnée, tel le mythe, de l’autre, semble être reflétée par l’usage du proverbe dans la dernière partie de L’Immaculée Conception. Ce texte se présente à la fois comme la dernière grande œuvre automatique, dans la veine des Champs Magnétiques, et comme une ouverture à la grande envergure des années trente. L’Immaculée Conception peut être lu comme un long commentaire sur l’écriture et l’éthique surréalistes. Si « Les possessions » « remplacerai(en)t avantageusement la balade, le sonnet, l’épopée, le poème sans queue ni tête et autres genres caducs », formant ainsi un inventaire des « genres » surréalistes possibles, la dernière partie, « Le jugement originel », forme un manuel d’éthique surréaliste.

Jacques Roubaud : le vers formaliste des surréalistes

On défendra l’hypothèse suivante : Le rejet de la versification traditionnelle, particulièrement de l’alexandrin, par les Surréalistes, et tout spécialement par André Breton, n’a donné au vers qu’une liberté très relative. Il est la marque d’une poétique rigide et formaliste.

Gabriel Saad (Université Paris III) : Usage surréaliste du langage et écriture sous contrainte chez A.P. de Mandiargues

Comme je l'ai déjà démontré à propos du Fantôme de la liberté, de Luis Buñuel, il existe un lien précis entre l'usage surréaliste du langage et la contrainte choisie pour bâtir une poétique (voir G. Saad, « Un fantôme parcourt la langue, c'est le fantôme de la liberté », La Licorne, Université de Poitiers, 1993). J'aimerais, à présent, montrer que ce rapport est déterminant dans les œuvres en prose d'André Pieyre de Mandiargues. Les trois couleurs du drapeau italien régissent le discours de « Marbre », par exemple. À cela viennent s'ajouter des contraintes issues de la traduction, de la réécriture ou du choix de certaines formes géométriques (l'ellipse, la spirale, p.ex.) et, surtout, d'une attention particulière portée à la matérialité de l'écriture. Le mot "blanc", p.ex., est constitué de quatre consonnes et d'une seule voyelle. Cela en fait un mot exceptionnel dans notre langue. Il introduit ainsi une contrainte : l'utilisation de monovocalismes en « a » (Safara, Barbara Bara) et d'un réseau sémantique autour du blanc. Cette contrainte régit clairement le discours d’« Armoire de lune » et, associée au jeu de la traduction (« Ropero de luna ») permet à Mandiargues de construire un récit érotico-thanatique dans lequel la quête du point suprême résulte, précisément, de la contrainte choisie. « La marge », « Le lis de mer » et bien des nouvelles de Mandiargues permettent de mettre en évidence cette utilisation particulière de l'écriture sous contrainte.

Bernardo Schiavetta (Paris, Formules) : « "Les plaisanteries pas drôles" »

Le XIXe siècle a produit des caricatures des « modernes » d’alors, qui ont parfois été mises en parallèle avec les œuvres sérieuses de la modernité postérieure (surréalistes, dadaïstes ou d’avant-garde). À tort, car ces exemples (dus aux Incohérents, Scapigliatti et autres facétieux) ne sont pas historiquement des « précurseurs » du surréalisme au même titre que le sont, par exemple, les œuvres d’art primitif. Toutefois, les similitudes évidentes entre ces caricatures et des œuvres sérieuses postérieures ne sont pas, à notre avis, fortuites ; elles gagnent à être abordées comme des possibilités esthétiques structurelles de certaines sous-catégories du comique. (et du grotesque). Ces détournements gagnent à être abordés comme des possibilités esthétiques actualisées par un changement des horizons d'attente et donc dépendantes des avatars historiques de la réception esthétique. Depuis l’Antiquité, elles ont connu très épisodiquement des actualisations partielles, mais leur actualisation effective au XXe siècle, et leur hégémonie, nous semblent être liées à une problématique historique de la réception du sérieux et du sublime.

Paolo Scopelliti (Rome) : M. Jourdain surréaliste, ou les contraintes de la prose

Breton affiche toujours le respect « naturel » de la syntaxe : comme M. Jourdain, les surréalistes font de la prose (automatique) à leur insu. D'un autre côté, c'est bien au mètre poétique qu'ils jaugent leurs propres textes. Or, si cette dernière ambiguïté peut se ramener à la définition « classique » de contrainte, qui rattachait celle-ci essentiellement à la poésie, les deux ambiguïtés prises ensemble renvoient à l'idée d'un rythme inhérent au langage et lié à une notion d'écoulement qui précède celle de mètre. Cette définition, convenant parfaitement pour le flux de l'automatisme surréaliste, mais tirée d'une réflexion sur le langage en soi, montre que l'analyse de la relation du surréalisme à l'idée même de contrainte formelle ne saurait se départager de celle portant sur la théorie surréaliste du langage. Celle-ci, inspirée non seulement de Freud, mais encore de Vico et de Rousseau, établit une primauté chronologique de la poésie sur la prose : dans le même temps qu'elle attribue à celle-là les règles, c'est bien à celle-ci qu'elle rattache la notion de contrainte.

Hans T. Siepe (Université de Düsseldorf) : La contrainte de la récursivité dans la poésie surréaliste

Par « récursivité » je comprends : qui peut être répété un nombre indéfini de fois par l'application de la même règle. Je me réfère donc aux contraintes syntaxiques de ce type:

Migraine (à suivre) La carie c’est le sol Le sol c’est la patrie La Batterie c’est le mol Le Khol c’est la jolie L’embolie c’est le col (R. Vitrac, dans: Littérature, n.s. 11/12)

Intérêts Le rat crevé qu’on a dans la cervelle et la cervelle de l’estomac Les étoiles du Zambèze et l’oiseau des lèvres La vertu américaine L’alcool de peau et le pain des yeux La richesse du riche et le vice d’hiver Le rire tiède et l’algue d’urine L’eau des genoux tristes Les petits os cariés Et les demoiselles des roseaux du sang Tamtam du biberon et bonbon du cœur (G. Ribemont-Dessaignes)

Ce poème sans verbes repose sur un principe de structure syntaxique très simple de substantifs et d’attributs ou appositions. On pensera à beaucoup d'autres comme « Union libre » de Breton, « Allô » et d'autres poèmes de Benjamin Péret, etc. Vittorio Trionfi (Université de Colorado) : Le modèle automatique dans la théorie cinématographique d’Antonin Artaud À travers une analyse de la théorie cinématographique d’Antonin Artaud (qui va de l’enthousiasme de 1927 au rejet du cinéma vers 1932) je me propose de mettre en évidence sa critique du modèle automatique tant comme processus associatif formel que dans son recours à des formes accomplies (verbales ou visuelles). Ce modèle donne lieu, selon Artaud, à une pratique signifiante tout aussi contrainte et limitée que celle soumise à la logique de la parole. L’échec de ce cinéma s’annonce ainsi dès les premiers textes de 1927. Mais ce n’est qu’au début des années trente qu’il se rendra à l’évidence de cet échec. Et c’est à partir de cette réflexion qu’il va mener alors que peut être appréhendée le plus clairement sa pensée sur les limites — du cinéma tel qu’il le concevait, certes — mais aussi de l’automatisme.

Télécharger Formules, n° 11 : (PDF) Formules revue nº 11 (complet) "Surréalisme et contraintes formelles" | Bernardo Schiavetta – Academia.edu

ou bien mon article repris dans le recueil : H. Béhar, La Littérature et son golem, tome II, pp. 57-71 : Classiques Garnier Numerique (classiques-garnier.com);

Prolongements :

cf : (PDF) Roman et surréalisme : histoire d’un (mauvais) genre | Marie Baudry — Academia.edu