MÉLUSINE

Tristan Tzara, fourrier du futurisme, Futurismi

« Tristan Tzara, fourrier du futurisme », Futurismi, a cura di Giuseppe Barletta, Bari, ed. BA Graphis, 2012, p. 69-89.

Invité par Bruno Pompili, fin connaisseur du surréalisme, je dois dire l’intense plaisir que j’ai eu à faire la connaissance des divers connaisseurs du futurisme italien et, plus globalement, européen. À nouveau, une intervention au cours d’un colloque à l’étranger, où le français était entendu et pratiqué par tous, alors que je ne pouvais saisir dans le détail les propos des orateurs... Heureusement pour moi, ils avaient de sérieuses critiques envers la personne que visait mon propos.

Certes, le temps passant, je conviens qu’il eût été plus important de traiter le sujet que j’avais annoncé, et qui demande toujours une mise au point. Mais il me fallait auparavant rappeler les exigences de la recherche.

Programme du colloque :

programme du colloque

Texte de mon intervention :

TRISTAN TZARA FOURRIER DU FUTURISME

Mesdames, Messieurs, illustres collègues,

Je vous dois des excuses : bien que j’aie préparé tous les matériaux pour l’intervention annoncée, « Futurisme, Dada, Surréalisme, pourquoi tant de haine ? », je ne pourrai la traiter. Ce n’est pas seulement une question de temps, car je suis persuadé que l’on peut toujours réduire à quelques minutes un propos d’ordre général. La vérité est qu’en reprenant la question depuis le début, je me suis aperçu que la critique d’inspiration futuriste, si je puis dire, colportait des propos inexacts et malveillants à l’égard de l’un des protagonistes de l’affaire, de sorte qu’il m’a paru nécessaire de me livrer à une mise au point aujourd’hui.

En effet, le catalogue de l’exposition Dada e surrealismo riscoperti, qui se tient en ce moment à Rome, contient cette affirmation de Paola Decima Lombardi, qui me semble accumuler à vitesse accélérée toutes les contrevérités caractéristiques dès que l’on touche à l’histoire des avant-gardes :

A propos de la paternité de Dada, et de l'importance exercée par le futurisme, nombre de gens ont démenti Tzara, à partir de Huelsenbeck, et d'ailleurs au moins deux lettres à Marinetti, témoignent que si Tzara en 1915 lui a demandé des vers pour l'Anthologie dada, et s’il a invité en 1917 les artistes futuristes à la première Exposition Dada Galerie Corray à Zurich. Mais vainement, parce qu'ils sont tous au front. Sa précision à propos de Dada, en tout cas est la première d’une série de revendications de son rôle, contradictoire avec son attitude, et qui sera la raison de futurs conflits.

Loin de discuter cette exécution lapidaire, j’en prendrai prétexte pour monter combien Tristan Tzara fut le fourrier du futurisme, c’est-à-dire, en bon français, celui qui l’annonça à Zurich pendant la guerre, avant de s’en détourner pour des raisons essentiellement poétiques. Mais auparavant, je voudrais revenir sur des questions de principe :

  1. qu’il apprécie les productions du futurisme, de dada ou du surréalisme, le critique, l’historien des avant-gardes n’a pas à prendre parti pour l’un ou pour l’autre mouvement ;
  2. s’agissant justement de « mouvements » et non d’esthétiques figées, déterminées une fois pour toutes, il doit tenir compte, plus scrupuleusement qu’ailleurs, des variations, voire des contradictions assumées par ces mouvements au cours de leur évolution ;
  3. ici plus que jamais, il faut s’appuyer sur des documents irréfutables, soumis à la critique matérielle la plus rigoureuse ;
  4. enfin, on ne saurait suffisamment mettre les chercheurs en garde contre l’anachronisme, ce « pêché irrémissible », condamné par Lucien Febvre.

I. Une mauvaise querelle

Un document mal interprété

Il y aura bientôt quarante ans, paraissait à Paris un article d’un auteur, « de cuyo nombre no me quiero acordar », comme disait Cervantès, qui nous apportait une révélation surprenante, destinée à bouleverser l’histoire de l’avant-garde, et singulièrement des rapports de Dada et du Futurisme. Il s’agissait de rien moins qu’une lettre de F.T. Marinetti à Tristan Tzara, révélant des relations insoupçonnées entre les chefs de ces deux mouvements devenus rivaux. Très discret sur ses sources, l’auteur dudit article ne disait pas de quelles archives provenait cette missive manuscrite datée du 5 juillet 1915. Si, parmi les témoins encore vivants et les spécialistes, nul ne doutait que le Mouvement Dada, dès avant son avènement, connaissait le Futurisme et s’y référait tant dans sa pratique artistique que lors de ses manifestations publiques, personne n’avait en effet songé que Tzara ait pu correspondre si tôt avec Marinetti, un an avant la publication de Cabaret Voltaire, deux ans avant celle de la revue Dada, alors que le nom-écrin du « mouvement cheval d’enfant » n’avait pas encore été trouvé !

Deux remarques me vinrent immédiatement à l’esprit, dont je fis part à l’auteur de l’article après m’être rendu moi-même à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet, où se trouve ce document, pour une rapide vérification :

  1. à la date en question, le jeune Tristan Tzara, dont le nom de plume n’était encore jamais apparu sous cette forme (il ne sera imprimé qu’en octobre 1915 dans la revue Chemarea), demeurait encore en Roumanie, où il étudiait la philosophie et les mathématiques.
  2. L’enveloppe accompagnant cette lettre manuscrite autographe, à en-tête du Mouvement Futuriste, apparemment adressée à Tristan Tzara à Zurich, était pour le moins surprenante. Matériellement, son papier, ses dimensions ne convenaient pas au support du message (l’erreur provenant des conservateurs du Fonds Doucet ; elle a été depuis réparée).

Le polémiste ne cachait pas ses intentions. S’indignant du mouvement d’opinion favorable à Dada depuis la soutenance en Sorbonne d’une thèse sur le sujet (1), il voulait rappeler à l’opinion publique française qu’elle devait se nourrir du Futurisme, d’où provenait toute avant-garde, et notamment Dada, qui, hormis le photomontage, lui devait absolument tout. Quel meilleur argument pouvait-on trouver à l’appui de cette thèse qu’une lettre du fondateur du Futurisme adressée à celui de Dada ?

Davantage, dans son ardeur de néophyte, le défenseur marinettien allait jusqu’à dénier toute personnalité à Tristan Tzara, écrivant ceci, qui valait condamnation définitive : « Tzara était sincère quand il disait que dada n'avait pas de programme. Lorsqu'il en aura un en propre, c'est encore avec le verbe futuriste qu'il fera système. Soit en adoptant les impératifs marinettiens, soit en se dressant contre eux, c'est toujours du futurisme que Dada s'est nourri. » et, plus loin : « C'est toujours à l'aide du futurisme que Tzara a travaillé à sa gloire. (2) »

En bonne logique, personne ne devrait rien ajouter à cela. Toutefois, on pouvait espérer que les archives des futuristes, et particulièrement celles de Marinetti, permettraient d’étayer ce jugement sans appel. Car, enfin, la seule preuve matérielle du contact épistolaire entre les deux meneurs des deux mouvements désormais opposés provenait des seules archives de Tristan Tzara. C’est comme si, voulant faire l’histoire des relations diplomatiques au moment de l’entrée en guerre de l’Italie, en 1915, on s’en tenait aux seuls documents fournis par les Anglais ! N’y aurait-il pas, en Italie ou ailleurs, la contrepartie de cette correspondance marinettienne, que notre inventeur à tout crin se serait fait un devoir de publier avec le même luxe d’épithètes ?

Le centenaire du Futurisme a sonné, et je n’ai toujours rien vu arriver. Curieusement, rien n’est sorti des archives de Marinetti ni de ses compagnons qui puisse préciser la teneur des lettres que lui adressa Tristan Tzara, et surtout le ton employé à son égard. Nul doute qu’il était très déférent, comme c’était l’usage épistolaire de l’époque.

Explication de texte

Force est de s’en tenir aux faits : les lettres de Marinetti conservées par Tzara, et de les lire méthodiquement, je veux dire avec la méthode que nous ont enseignée nos maîtres dans le domaine de l’histoire littéraire, et non l’hagiographie.

D’abord, voici le document brut tel qu’il nous est parvenu grâce à Tristan Tzara lui-même, qui a pris soin de le conserver, en dépit des aléas de sa propre existence, jusqu’à ce qu’il entre dans les collections de la Bibliothèque de l’Université de Paris.

À ce propos, moi qui ai procuré les œuvres complètes de Tzara, je dois dire, non seulement combien je lui en suis redevable, pour son souci de l’archive, mais surtout pour son objectivité, puisqu’il a conservé toutes les pièces que l’on retrouve au Fonds Doucet, qu’elles lui soient favorables ou non. Le même libéralisme caractérise son fils Christophe, scientifique internationalement reconnu, qui a toujours favorisé les travaux sur l’œuvre paternelle, sans la moindre exclusive, sans jamais faire la moindre objection aux thèses les plus farfelues !

Sur papier à en-tête du Movimento Futurista, voici donc la pièce manuscrite autographe signée de F.T. Marinetti, cotée TZR C 2531, datée de Milan, le 5 juillet 1915 :

Mon cher confrère, Voici donc des poésies futuristes parmi les plus avancées. Nous ne pouvons pas vous donner des vers libres, étant donné que le vers libre n’a plus aujourd’hui raison d’être pour nous. Je vous envoie donc des mots en liberté (parole in libertà), lyrisme absolu, délivré de toute prosodie, de toute syntaxe. Je tiens absolument à ce que le futurisme soit représenté dans votre intéressante anthologie lyrique par des œuvres vraiment futuristes.

Toute ma gratitude anticipée et l’expression de ma vive sympathie.

F. T. Marinetti

Qui était donc ce destinataire à qui Marinetti s’adressait avec tant de civilité, en un français de qualité, comme à son habitude ? Le document se trouvant dans les archives Tzara, et faute de suscription plus précise, il nous faut bien admettre qu’il lui était destiné.

Tzara avait exactement vingt ans de moins que Marinetti (mais je doute qu’il ait fait part de sa jeunesse à son interlocuteur : en général, on aime bien se vieillir quand on entre dans la vie active). Certains de ses poèmes avaient paru en novembre et décembre 1912 dans la revue Simbolul [Le Symbole] qu’élève au lycée Milhai-Viteazul il avait fondée avec ses condisciples Ion Vinea et Marcel Janco. Il venait d’atteindre seize ans ! Si l’année fatidique 1914 fut consacrée à la préparation du baccalauréat, la suivante le vit s’adonner à nouveau à la poésie, et se mettre en quête des moyens de publier une revue de plus large audience.

À la fin juin, il venait de publier un poème roumain [Cousine, interne au pensionnat] dans la Noua Revista Romana à Bucarest, signé « Tristan », tout simplement. Il cherchait encore son nom, sinon sa voie. Il allait opter pour le pseudonyme « Tristan Tzara », porté sur un projet de maquette pour la traduction, à sa façon, d’un Hamlet d’allure très laforguienne.

Où demeurait-il en juillet 1915 ? Comme je l’ai dit ci-dessus, ce ne pouvait être qu’à Bucarest, où, au grand dépit de ses parents, il s’occupait davantage de littérature que de ses études universitaires, en l’attente des examens de fin d’année. Une fois qu’elle étreint son homme, la poésie ne le lâche pas. Tous ceux qui ont animé une publication artistique savent comment on procède : on commence par solliciter quelques personnalités de renom, qui parraineront, en quelque sorte, la première livraison, en lui donnant le ton et en attirant le chaland, du même coup. Il fallait viser large, pour montrer son ouverture d’esprit et pour gagner le public favorable aux idées nouvelles.

Tout porte à croire qu’en juin, Tzara s’est adressé à un certain nombre d’écrivains célèbres, en Roumanie et à l’étranger, pour leur annoncer qu’il préparait une anthologie de la poésie la plus avancée, des vers libres par exemple, et qu’il y recevrait leurs contributions avec plaisir.

C’est du moins ce que laisse entendre la lettre de Marinetti répondant d’autant plus volontiers à un poète qu’il est le citoyen d’un pays ayant réservé le meilleur accueil au futurisme, depuis son avènement. Faut-il rappeler, en effet, que le 20 février 1909, à Craiova, la revue Democraţia a publié le Manifeste du Futurisme, le même jour donc que Le Figaro à Paris ? Et depuis, les échos sur son mouvement n’ont cessé de se multiplier dans la presse roumaine, de même que ses œuvres et celles de ses disciples y ont circulé, tant en italien qu’en français et en roumain, comme le montre fort bien la récente compilation d’Emilia David (3).

Le fondateur du futurisme en profite pour remettre un peu les pendules à l’heure : le vers libre n’a plus cours, puisque la bataille est gagnée depuis beau temps. En revanche, il faut désormais rompre des lances pour les « mots en liberté » (son livre sur la question a paru en 1913, en français, aux éditions Poesia), soigneusement définis et illustrés par les pièces jointes.

Les pièces jointes

Malheureusement, celles-ci ont été disjointes de la correspondance. Il n’est pas besoin d’une lanterne sourde pour les situer dans la collection Tzara. Elles ne sont pas dans Chemarea [L’Appel], la nouvelle revue animée par le même trio que [Le Symbole], avec Ion Vinea à la barre, qui y formule des idées assez vigoureuses, et qui, en octobre, s’y retrouve bien seul puisque Marcel Janco est allé poursuivre des études à l’Institut polytechnique de Zurich, bientôt rejoint par son ami Tzara. [L’Appel] n’a donc que deux livraisons, le 4 et le 11 octobre 1915. Puisque ces contributions voulues représentatives du futurisme n’y sont point publiées, c’est que Tzara les aura emportées avec lui. Elles se retrouvent, en effet, dans Cabaret Voltaire, « recueil littéraire et artistique » lancé par Hugo Ball le 25 mai 1916, annonçant une revue internationale qui portera le nom de DADA. Or, d’où peuvent provenir les contributions de Marinetti, Cangiullo, Buzzi, sinon des documents confiés par Tzara à Hugo Ball, reçus depuis l’année précédente ? Il suffit de parcourir la table des matières de cet unique numéro pour se convaincre que, loin de s’en cacher, le mouvement en gestation se réclame de toute l’avant-garde européenne, tant de l’Expressionnisme que du Futurisme et de l’Esprit nouveau. La même observation vaut pour les deux premières livraisons de la revue Dada, parues à Zurich et juillet et en décembre 1917.

Il faut être aveugle ou d’une singulière mauvaise foi pour ne pas constater, comme l’ont fait tous les historiens et tous les commentateurs, sauf l’agent exclusif de Marinetti, que Dada est, à ses débuts, un melting pot, qu’il entend accueillir dans ses rangs tous les représentants des diverses tendances de l’art moderne, qu’ils résident dans un pays neutre comme la Suisse ou qu’ils appartiennent à l’une des nations belligérantes. C’était d’ailleurs là son principal objectif aux yeux d’Hugo Ball, déclarant au seuil de Cabaret Voltaire : « Aujourd’hui et avec l’aide de nos amis de France, d’Italie et de Russie, nous publions ce petit cahier. Il doit préciser l’activité de ce Cabaret dont le but est de rappeler qu’il y a, au-delà de la guerre et des patries, des hommes indépendants qui vivent d’autres idéals. »

II. Une stratégie éditoriale

La conquête du monde par les revues

L’affaire est entendue : pas plus que ses comparses, Tzara n’a voulu occulter la présence d’œuvres futuristes lors des premières manifestations dada, bien au contraire. C’est lui-même qui a publié en langue originale les poèmes de ses correspondants italiens dans la revue qu’il dirigeait seul désormais, par ordre d’entrée en scène : Franceso Meriano, Alberto Savinio, Nicola Moscardelli, Maria D’Arezzo, Gino Cantarelli, Bino San Miniatelli. C’est lui aussi qui rédigeait des notes publicitaires sur les nombreuses revues qu’il recevait, où il était d’ailleurs lui-même publié : Le Pagine, La Brigata, La Diana, Italia Futurista, Noi, Procellaria...

Tout ceci se faisait dans l’esprit de l’art moderne, jeune, d’avant-garde, avec le souci de faire connaitre l’activité créatrice des uns et des autres dans l’espace le plus large d’une Europe qui, rappelons-le, était à feu et à sang, au sens le plus concret des mots. Le futur n’avait rien de réjouissant pour les jeunes roumains exilés qui se mirent aussitôt en tête de se faire réformer.

Tzara était donc désigné par ses compagnons pour mener une campagne de correspondance tous azimuts, comme le prouve, entre autres, une lettre que Ball lui adressa le 16 août 1916, lui expliquant pourquoi la revue Neue Jugend ne pouvait imprimer son manifeste Dada en français, et lui proposant, en revanche, d’y publier ainsi que dans Die Aktion, quelques-uns de ses poèmes qu’il se chargerait de traduire, à charge de revanche pour une publication des siens en France (4). La même stratégie se déploie vers les futuristes italiens (ou assimilés) dès l’automne 1916, Pour faire bref, je ne mentionne ici que les correspondances du dernier trimestre 1916, et, parmi les lettres reçues et conservées par Tzara, celle-ci, qui semble avoir échappé aux annotateurs. Manuscrite, en français, elle est de Giorgio de Chirico (5) :

Ferrare 17-12-1916

Cher Monsieur,

J’ai reçu hier votre express, auquel je m’empresse de répondre. À mon grand regret il m’est impossible de vous envoyer des xilographies [sic], moi-même je n’en fais pas et suis d’ailleurs contraire à cet art, je trouve que pour la peinture vraiment moderne ce qu’il y a de mieux pour la reproduction c’est la photographie. Je vous remercie tout de-même d’avoir pensé à moi et suis enchanté d’avoir fait votre connaissance. Je connais vos revues, votre enthousiasme pour l’esprit nouveau, vos originales et profondes poésies. Je suis très content que vous reproduisiez de mes peintures dans « l’Anthologie ». Savinio est allé pour quelques jours à Florence. De là il vous enverra des photographies de tableaux futuristes et modernes en général. Il parlera aussi de vous et de vos revues aux jeunes de là-bas et surtout à Papini et à Soffici qui sont les meilleurs. Merci pour ce que vous me dites pour mes tableaux. Il faut que j’ajoute que j’ai des engagements avec Paul Guillaume qui m’empêchent d’une certaine façon d’exposer pour mon compte. Il faudrait vous adresser à lui : 16 avenue de Villiers, Paris. J’espère que maintenant vous avez reçu mon dessin. S’il ne s’abîme pas trop je vous prie de le garder en souvenir de moi. Écrivez-moi quand vous pouvez. Je vous serre la main. Merci courage et en avant !

G. de Chirico

Grand lecteur des Soirées de Paris d’Apollinaire, Tzara sait parfaitement comment situer son correspondant dans l’avant-garde. De ce message, il ressort qu’il lui a demandé à la hâte sa collaboration tant pour la revue Dada, en préparation, que pour les expositions annoncées à Zurich sous la même enseigne. Ayant déjà publié une plaquette de poèmes illustrée de bois de Marcel Janco, La Première Aventure céleste de M. Antipyrine (vraisemblablement jointe à sa missive), c’est pour lui, comme pour les expressionnistes et un bon nombre de ses camarades, une technique ancienne parfaitement éprouvée et remise au goût du jour dans les publications artistiques d’avant- garde (d’ailleurs Dada 1 contiendra un bois de Prampolini). On voit qu’il est ici dépassé par De Chirico, pour des raisons à la fois techniques et idéologiques, celui-ci souhaitant s’adapter à l’objet reproduit, de même qu’il entend le mettre en contact avec la véritable jeunesse artistique italienne, en l’espèce les animateurs de la revue Lacerba. S’il décline l’offre d’exposer ses tableaux à Zurich, dans la mesure où son contrat d’exclusivité avec Paul Guillaume ne l’y autorise pas, il ne lui en a pas moins offert un dessin, en témoignage de l’estime où il le tient pour son activité et ses productions poétiques (6).

Comme dans la lettre de Marinetti, on voit reparaitre la notion d’anthologie, qui semble plaire énormément à Tzara. Que désigne-t-il par là ? Par définition, il s’agit d’un recueil de poèmes de qualité, représentatifs des tendances nouvelles que Dada, en tant que « mouvement », pourrait fédérer, sans que quiconque y perde sa personnalité. C’est, me semble-t-il, ce qui ressort des diverses sollicitations épistolaires de Tzara, aussi bien que de l’annonce faite dans Cabaret Voltaire. Je ne donnerai qu’une seule preuve de ce qu’ici j’avance : la carte (inédite) reçue par Tzara le 24 février 1917. Elle est adressée spontanément « Au directeur du ‘‘Cabaret Voltaire’’ », ce qui signifie qu’à l’époque il a bien pris la relève d’Hugo Ball, qui s’est éloigné de Dada pour des raisons tenant à son propre mysticisme.

Mantova 24-2-1917

J’ai appris de la revue italienne Avanscoperta (de Rome) l’édition du « Cabaret ». Je vous serais très obligé si vous m’envoyerez un numéro, m’indiquant aussi le prix d’association : si vous pouvez, envoyez l’anthologie des poètes modernes contre remboursement, ne connaissant pas à présent son prix. Je suis ami intime de G.F.T. Marinetti et j’appartiens au mouvement futuriste. J’attends (7)

Annonce prématurée, qui sera reprise dans Dada 1 : « L’ANTHOLOGIE DADA paraît en automne sous la direction de Tr. Tzara. », tandis que ladite anthologie verra le jour seulement le 15 mai 1919, à Zurich. Elle sera suivie d’un certain nombre d’autres, Tzara ne se lassant pas de ce type de recueils.

De fait, il répondra à cette sollicitation, en envoyant la nouvelle revue dès sa parution, pour laquelle il recevra Procellaria, inaugurant un échange permanent de revues et de textes qui seront publiés dans les deux pays.

Tout cela relève bien d’une véritable stratégie éditoriale, particulièrement adaptée en temps de guerre puisque Zurich restait une plaque tournante des échanges entre pays belligérants ou non, et que la revue Dada, dirigée par Tzara, eut simultanément une édition allemande et une française. Le malheur est que nul n’a encore songé à en faire l’étude du point de vue médiologique. Le comble est qu’on puisse reprocher à Tzara son activisme internationaliste, lui qui aurait pu se contenter, comme tant d’autres, de cultiver ses vices ! Qu’il en ait tiré avantage sur le plan de la notoriété me semble une contrepartie naturelle.

Gloire personnelle

Le fait est que le jeune poète roumain a tout juste atteint sa majorité quand il publie, en moins d’un an, dans les revues poétiques italiennes de Naples (Le Pagine, La Diana, Crociere barbare), Mantoue (Procellaria, Bleu), Rome (Noi, Cronache d’attualità), Ferrare (Arte nostra), Catane (La Fonte). Ce qui lui procure incontestablement une notoriété toute personnelle (dont Dada profite au passage), sans pour autant l’aliéner au futurisme. Au fond, c’est parce qu’ils le veulent bien, et parce qu’ils y éprouvent un certain plaisir, que les responsables de ces organes, poètes eux-mêmes, donnent à lire ces exemples de la déconstruction dadaïste, là encore en langue originelle.

Au passage, cela nous laisse entendre que le lectorat (réel ou supposé) était favorable à la langue française, et que, séduit ou non par ce qu’il lisait, était friand de ce genre de poésie nouvelle, puisqu’on lui en redonnait ! Que cela ait suscité quelques réactions hostiles, telle celle de Mario de Leone rendant compte de La Première Aventure..., n’a rien de surprenant : on trouve ce genre de vers dans les plus vieilles comptines, déclare-t-il (8) !

Les échanges de conversation avec les Italiens, et surtout de poèmes ou de tableaux, la perspective de publier cette anthologie qui portera le titre « Manifestations d’art et de littératures nouvelles » (sic) en un volume abondamment illustré de 160 pages au format du Cabaret Voltaire exaltent suffisamment Tzara pour le conduire à demander à Meriano de lui trouver un imprimeur pour un volume de poèmes nègres en préparation, qu’il souhaiterait voir imprimer dans la même collection que son Equatore notturno (9). C’est dire jusqu’où va sa confiance, sans parler des formules épistolaires par lesquelles il se met à la disposition de ses interlocuteurs pour diffuser leurs œuvres futuristes. En cela, il avait bien du mérite, car ses compagnons zurichois ne lui ménageaient pas les mises en garde.

Bien du mérite

Ne soyons pas manichéens : si Dada naissant tient la contradiction pour un principe vital, il ne faut pas lui refuser de défendre certains arguments du Futurisme tout en rejetant ses thèses globales concernant l’avenir. Cette cohérence dans l’incohérence conduisit Tzara à maintenir longtemps encore ses contacts avec les Italiens dont il pouvait apprécier les œuvres plastiques et poétiques sans pour autant souscrire à leur idéologie. Sur ce plan, il avait fort à faire car ses propres amis, acquis à l’expressionnisme ou au cubisme, n’étaient pas très favorables au futurisme, à l’instar d’Apollinaire ou de Cendrars. Une réflexion de Marcel Janco, quelques jours après la première soirée dada, donne le ton. Il rend compte à Tristan Tzara de son activité à Zurich, tandis que son correspondant, recru de tension nerveuse, est allé prendre du repos à la montagne : « J’ai eu ici plusieurs fois des discussions effroyables dans lesquelles je me défendais moi mais avec plus de difficulté pour toi car il s’est trouvé des Français qui disaient que le futurisme est un malheur (10). » Entendons qu’il était relativement facile au plasticien de défendre la présence, sur les murs du cabaret, de peintures futuristes, tandis que les arguments en faveur des mots en liberté et surtout des thèses marinettiennes sur la guerre « seule hygiène du monde » et autres propos de même farine passaient fort mal.

Cela ne les empêcha pas de maintenir, sinon de rechercher le contact avec les Italiens car, encore une fois, la stratégie commandait de recevoir des informations et des œuvres de tous les belligérants et de leur faire parvenir, en retour, Dada 1.

À ce propos, un des rares billets de Marcel Janco à son complice nous informe sur la nature véritable des rapports entre les différents artistes de Zurich :

Jules t’a écrit que deux futuristes m’ont cherché. J’étais à peine arrivé hier et ils sont de nouveau venus chez moi. Seul un d’entre eux est futuriste. C’est un certain Bino ami de Prampolini. Il t’envoie ses compliments. Il est resté peu de temps. Il m’a raconté qu’ils ont publié une revue « de avanguarda » et avec des artistes d’avant-garde. Il me l’a montrée et là tu publies toi aussi « Froid lumière » il me semble, mais ils l’ont publié avec beaucoup de fautes. Un bois de moi est de nouveau très mal reproduit. J’y apprends que j’ai exposé quelque chose à Palerme. Toute la revue est mélangée format avantscoperta avec un texte, 2 colonnes comme les romans à sensation, et des collaborateurs comme Pramp., Bino, Galante, Meriano, Tzara etc. étc. Je ne crois pas que tu sois si friand de la voir et avec raison. Bino est un type de futuriste qui « justement parce qu’il est futuriste enseigne nécessairement. » Bavard, un jour il injurie tout le monde, même Prampolini, il ne connaît même pas Meriano et il n’aime pas le cubisme. Enfin je me comporte avec lui de façon hautaine et lui ai donné à comprendre qu’il est encore un petit garçon. Nous nous voyons encore au café Vendredi, d’où je t’écrirai avec lui une carte postale.

Suit, à la date prévue, la carte annoncée : Nous voilà au milieu des discussions ferventes sur le futurisme comme jadis à Paris. Je te salue hardiement. Ton M. Janco, Bino Miniatelli, V. Berardi (11).

De ce rapport, il résulte que les futuristes (outre leur représentant permanent à Zurich qu’est Alberto Spaini) circulent en Suisse, même pendant la guerre et qu’ils tentent toujours d’établir la supériorité de leur mouvement sur l’ensemble des manifestations d’avant-garde. Ils exécutent rapidement les promesses faites à leurs correspondants, sas leur envoyer d’épreuves, ce qui les rend plutôt suspects. Peut-être est-ce ce comportement désinvolte qui fit écrire à Tzara, dans sa lettre facétieuse à Jacques Doucet pour accompagner la vente du manuscrit des Vingt-cinq Poèmes : « Je fus bombardé de lettres de toutes les contrées d’Italie. Presque toutes commençaient avec ‘‘caro amico’’, mais la plupart de mes correspondants me nommaient ‘‘carissimo e illustrissimo poeta’’. Cela me décida vite de rompre les relations avec ce peuple trop enthousiaste. » (OC I, 642) Tous les mots n’y sont pas à prendre au pied de la lettre. Et si un poète ne ment pas, il dit sa propre vérité ! Du moins exprime-t-il une tendance : comparées aux relations avec les artistes Allemands de Die Aktion, par exemple, celles des Italiens, éparpillées, diverses, voire contradictoires, devenaient lassantes. D’autant plus qu’il fallait s’opposer à un certain sentimentalisme, comme on le verra plus bas.

III. La poétique personnelle de Tzara Tzara rejette le futurisme dès avant Dada

Il est donc clair que Tzara n’agissait pas pour son propre compte, associant Marcel Janco à ses missives, et, quand il le pouvait, Hugo Ball, Hans Arp ou Mopp, cherchant surtout à répandre les œuvres d’avant-garde en Suisse et, par ce biais, à toute l’Europe. Il y avait bien du mérite puisque lui-même avait mis en doute les principales thèses futuristes, dès 1916 et non seulement à partir du « Manifeste Dada 1918 » (paru en décembre 1918) que tout le monde s’accorde à considérer comme un acte de rupture absolue avec toutes les écoles précédentes.

C’est dans le premier « Manifeste de M. Antipyrine », déclamé lors de la première Soirée Dada le 14 juillet 1916 (notez la date symbolique pour les Français) et publié aussitôt après dans La Première Aventure céleste de M. Antipyrine, que l’on entend cette réfutation des proclamations de Marinetti : « Dada est la vie sans pantoufles ni parallèles ; qui est contre et pour l'unité et décidément contre le futur [...] Nous déclarons que l’auto est un sentiment qui nous a assez choyé dans les lenteurs de ses abstractions... » (OC I, 357) Bien après, Tzara lui-même expliquera aux auditeurs de la radio française, en 1950 : « Le manifeste [...] prend position contre le modernisme futuriste qu'il met sur le même plan que le sentimentalisme bourgeois et aussi contre le dogmatisme des doctrines voulant enfermer l’art dans des catégories étroites » (OC V, 508). Fondée sur sa propre expérience, la critique porte aussi bien sur les proclamations théoriques trop connues pour que j’y revienne ici (la vitesse, la beauté nouvelle de l’automobile) que sur la pratique poétique. Très explicitement, Tzara se verra dans l’obligation de refuser d’insérer dans la revue Dada un poème de Binazzi qu’il trouve fort beau mais dont le pathétique et le ton d’ensemble ne conviennent pas à la ligne générale du recueil en préparation. Il écrit alors à Meriano : « Si vous voulez donc m’envoyer de petits poèmes d’auteurs qui ont vraiment surpassé la monochromie scientifique futuriste, le moment sentimental, ou l’étalage romantique et affairé dans les conjectures, je les publierai avec grand plaisir (12)... »

En somme, la rupture de Tzara avec les futuristes s’effectue sur des bases strictement poétiques, puisqu’en 1919 il se déclare toujours disposé à publier des poèmes venant d’Italie, pourvu qu’ils rejoignent ses options vitalistes. C’est l’éternel conflit de l’art pour la vie ou de la vie pour l’art qui rejaillit ici. Et l’on sait de quel côté penchait Dada. Quelques mois plus tôt, Tzara avait signifié magnifiquement : « Nous avons assez des académies cubistes et futuristes, laboratoires d’idées formelles ».

Il n’y avait plus lieu d’y revenir.

Sa poésie ne doit rien au futurisme

Et si, de 1916 à 1919, Tzara avait œuvré pour une large représentation des œuvres futuristes, en avisé directeur d’une petite revue de poésie, si même les manifestations Dada n’ignoraient pas la dramaturgie futuriste, sa propre poétique relevait-elle du futurisme, d’une manière ou d’une autre ? Il y faudrait des lunettes d’une teinte particulière (celle de l’obsession paranoïaque) pour le montrer.

Avis de recherche

Toutefois, je ne saurais conclure cette intervention sur les relations de Tristan Tzara avec les futuristes italiens sans lancer un avis de recherche !

En effet, le redresseur de torts mentionné au début fait état d’un mystérieux voyage que Tzara aurait effectué à Ferrare et Rome durant l’été 1916. Il s’appuyait sur un témoignage vivant et aussi sur une affirmation d’un critique d’art contemporain.

Dans la série d’articles « Dada a Roma. Contributo alla partecipazione italiana al dadaismo », Enrico Crispolti écrivait, au début de la section intitulée « Prampolini e la prima serie di Noi » : « Prampolini conosce Tristan Tzara a Roma, nell’estate del 1916 (13) », sans pour autant citer aucune source attestant cette information. Puis il ajoutait : « Tzara si era recato a Ferrara, ed era di passaggio per Roma. Cercava a Ferrara Savinio e De Chirico ? Certo i suoi interessi erano anche per l’area futurista, almeno in poesia » (ibid.).

Allégation pour le moins surprenante : outre l’imprécision et l’absence de tout document concernant la date de ce voyage, il convient de noter qu’il se serait produit au moment même où la Roumanie, par un brusque renversement d’alliances, avait déclaré la guerre à l’Allemagne, le 28 août 1916 !

Or, je n’ai rien trouvé qui fasse allusion à ce voyage. Non qu’il fût impossible à un citoyen roumain de franchir les Alpes en cette période (les Italiens venaient bien en Suisse !), mais il lui aurait fallu faire des démarches qui auraient laissé des traces dans les documents administratifs, ou encore dans sa correspondance. François Buot, son biographe, non plus (14). Il est tout de même surprenant que son ami le plus proche alors, Marcel Janco, n’y ait jamais fait allusion !

Davantage, je citerai, pour finir, deux pièces inédites d’Alberto Savinio (parmi les huit conservées à la Bibliothèque Doucet) de cet été 1916. Elles montrent que le contact s’est établi très chaleureusement, mais qu’il n’y est jamais question d’une visite prochaine.

La première est une carte postale autographe en français, datée du 11-07-1916 :

Monsieur (15), J’ai reçu votre aimable lettre ; je vous remercie pour votre très beau cahier « Cabaret Voltaire ». Je vous mettrai en rapport avec mes amis de Florence de Bologne et même de Ferrare ! Ils pourront lancer Dada en Italie. Je vous enverrai de nos manuscrits. Sont-ils pour le Cabaret V. ou bien vont-ils attendre la naissance de Dada ? Vous aurez bientôt de mes nouvelles : sitôt qu’il y aura quelque chose de fait. Très heureux d’avoir lié connaissance avec vous, je vous serre la main avec beaucoup de cordialité.

Un mois et demi après, la deuxième est encore une carte postale expédiée de Ferrare le 26-8-1916 :

Cher Monsieur Tzara (16), J’ai tardé à répondre à votre aimable carte, car j’ai été assez souffrant en ces derniers temps, et j’ai eu d’autre part à me débattre entre mille difficultés que la vie militaire me fait endurer. J’ai eu le plus grand plaisir à lire l’aventure céleste de Mr Antipyrine. Je trouve votre poème gros d’une poésie toute nouvelle, fraiche, pleine de clarté et de finesse. J’en ai retenu par cœur plusieurs passages. Certains épisodes et certains personnages – tels le prêtre photographe – sont particulièrement exquis. Envoyez-moi donc la deuxième plaquette. Très joli le dessin de Janco. Dites-lui de ma part ma joie d’être entré en relation avec des artistes si vaillants. Je me néglige pour le côté utile : j’ai écrit un jour dernier à plusieurs de mes amis. Vous aurez prochainement les adresses que vous m’avez demandées ; vous pourrez de la sorte entrer en relation avec eux. J’espère vous envoyer bientôt quelque chose pour votre anthologie art moderne. Je vous serre la main très amicalement.

Comme pour la lettre initiale de Marinetti, il faudrait se livrer à une analyse textuelle montrant l’état exact des rapports entre les deux artistes qui se plaçaient alors sous le signe de la modernité et non d’une étiquette partisane. Il y aurait encore beaucoup à dire sur l’ensemble de leurs relations, jusqu’à l’odieux article nationaliste, raciste, antisémite, que Savinio allait consacrer au Dadaïsme dans Il popolo d’Italia trois ans après. Mais je m’en voudrais de lasser votre attention et de vous empêcher d’entendre les surprenantes révélations de notre ami Bruno Pompilli, en italien, bien sûr.

Appendice

Voici, prouvant que Tzara a bien reçu, conservé et accru les envois des futuristes italiens mentionnés au cours de cette intervention, un extrait du catalogue de la vente de sa bibliothèque à Berne le 12 juin 1968 par les soins de Kornfeld & Klipstein (transcription française) : 114 — Futurisme, lot de 8 manifestes :

  1. MARINETTI. Manifeste du Futurisme. Publié par le Figaro le 20.2.1909.
  2. PRATELLA. Manifeste des musiciens futuristes. 15.5.1911.
  3. BOCCIONI. Manifeste technique de la sculpture futuriste. 11.4.1912.
  4. MARINETTI. Manifeste technique de la littérature futuriste. 11.5.1912.
  5. MARINETTI. Supplément au Manifeste technique de la littérature futuriste. 11.8.1912. 6. JOLY. Le Futurisme et la philosophie. (français et italien). Juillet 1912.
  6. RUSSOLO. L'art des bruits. I I. 3. 1913.
  7. MARINETTI. L'imagination sans fils et les mots en liberté. 11.5.1913. 115 — Lot de 9 manifestes.
  8. APOLLINAIRE. L'antitradition futuriste. Manifeste-synthèse. Paris, 29.6. 1913.
  9. CARRA. La peinture des sons, des bruits et des odeurs. 11.8.1913.
  10. MARINETTI. Le Music-Hall. 29.9.1913.
  11. MARINETTI. A bas le Tango et Parsifal ! 11. 1.1914. 2 p.
  12. MARINETTI. La splendeur géométrique et mécanique et la sensibilité numérique. 11.3.1914. 6. MARINETTI. Contre l'art anglais. Lu à la Doré Galerie. London, 11.6.1914. 2 p.
  13. MARINETTI. La danse futuriste. Juli 1917.
  14. MARINETTI, SETTIMELLI, CORRA. Le théâtre futuriste synthétique... 11.5.1919.
  15. MARINETTI. Le Tactilisme. Lu au Théâtre de l'Œuvre, Paris... 11.1.1921. avec le Manifeste d’Apollinaire « L'antitradition futuriste ». 116 — Marinetti, F. T. «Dune. Parole in libertà». Poèmes futuristes, Tinte, 7 p., 31x21 cm, vom Dichter auf Auflagebogen, 93,5x65 cm, montiert. Contient le manuscrit de la version italienne originale du poème « Dune », composé en 1912. Publié en français dans : Marinetti, Les mots en liberté futuriste, 1919. Les pages 1-6 et 9 (fin) du poème. La p. 9 du poème, "signé F. T. Marinetti futurista ", en bas à gauche de nouveau grand crayon bleu, signé « F. T. futuriste Marinetti ». Les pages 7-8 manquantes ont été réimprimées dans : Cabaret Voltaire, 1916, p.22-23. Ainsi que: BUZZI, Paolo. «L'Ellisse. Libération conditionnelle in libertà ». Arch, 65:50 cm, avec 4 bords relevés (4 Calligrammes futuristes) à partir de son livre L'Ellisse e La Spirale, 1915, p. 234, 330, 332, 342. Govoni, Corrado. Arches, 50x65 cm. Avec 3 calligrammes futuristes signés. Ainsi que 3 documents futuristes. Unique. 117 — Les Mots en liberté futuristes. Milano, Edizioni futuriste di Poesia, 1919, 19,3x12,8 cm, 114 p.... L’article, remanié, a été publié dans: Futurismi édition en Italien de Giuseppe Barletta, Bari, B. A. Graphis,2012, 592 p. Repris dans H. Béhar, Ondes de choc, p. 23-35.

  1. Voir : Michel Sanouillet, Dada à Paris, Pauvert, 1965. Nombreuses rééditions.
  2. G. Lista, « Prampolini, Tzara, Marinetti, inédits sur le futurisme », Les Lettres nouvelles, op. cit., p. 123 et p. 126.
  3. Emilia David, Futurismo, dadaismo e avanguardia romena : contaminazioni fra culture europee (1909-1930), L’Harmattan Italia, 2006, notamment le chapitre II, « Riviste italiane futuriste e moderniste ricevute nelle redazioni romene ».
  4. Hugo Ball, lettre manuscrite autographe signée à Tzara, BLJD, TZR C283, publiée par R. Sheppard puis par Marc Dachy, Tristan Tzara dompteur des acrobates, L’échoppe, 1992.
  5. TZR C863, carte postale adressée à M. Tzara, Fraumünsterstrasse 21. Centralhof. Zurich partant le cachet « verificato per censura ».
  6. Daté et signé, ce dessin au crayon intitulé « Le Printemps géographique » a fait partie de la vente de la collection Tzara à Drout, le 20 novembre 1988. Il a été enlevé pour la somme de 1.150.000 F.
  7. Gino Cantarelli, Via Calvi 4, Mantova. Carte postale à Tristan Tzara, Fraumünsterstrasse 21, Centralhof. Zurich partant le cachet « verificato per censura ». BLJD, TZR C676.
  8. Voir le texte cité par G. Lista, « Tristan Tzara et le dadaIsme italien », Europe, n° 555-556, juillet-août 1975, p. 178.
  9. Lettre manuscrite autographe de Tristan Tzara à F. Meriano, Zurich, le 8 décembre 1916. Fondation Primo Conti.
  10. Marcel Janco : carte postale avec message autographe en roumain, signée à Tristan Tzara. Fraumünsterstrasse 21, Zurich, 22 juillet 1916 (cachet postal), 2 pp. 90 x 140 TZR C 2162.
  11. Marcel Janco : carte-lettre avec message autographe, signé à Tristan Tzara, poste restante, Hertenstein, Vierwaldstätersee, Zurich, 25 août 1917, avec de nombreuses signatures 90 x 139, TZR C 2166.
  12. Tristan Tzara, lettre manuscrite autographe signée à Meriano, Zurich, le 6 mars 1919, archives de la fondation Primo Conti.
  13. Palatino, Roma, du n° 3-4, juillet-décembre 1966, au n° 3, juillet-septembre 1968. La citation est extraite de la première livraison, p. 243.
  14. François Buot, Tristan Tzara, L'homme qui inventa la Révolution Dada, biographie. Grasset, 2002.
  15. TZR C 3592, Carte postale à : Herrn Tristan Tzara, Fraumünsterstrasse 21, Centralhof. Zurich, Svizzera, signée : Savinio, Via Montebello 24, Ferrara.
  16. TZR C 3593, Carte postale à Herrn Tristan Tzara, Fraumünsterstrasse 21, Centralhof. Zurich, Svizzera ; signée Savinio, Via Montebello 24, Ferrara.





Ondes de choc

ondes de choc

Ondes de choc, nouveaux essais sur l’avant-garde. Lausanne, L’Age d’Homme, 2010, 344 p.

En complément à cet article, voici mon compte rendu de l’exposition sur le futurisme au Centre Pompidou, publié le 23 septembre 2008 dans : Universalia 2009, p. 365-66.

Le Futurisme à Paris, une avant-garde explosive

À Paris, le Centre Georges-Pompidou présente, du 15 octobre 2008 au 26 janvier 2009, une exposition consacrée au Futurisme à Paris, significativement sous-titrée, d’après Mikhaïl Larionov, « une avant-garde explosive ». Elle se transportera ensuite à Rome (Scuderie al Quirinale) puis à Londres (Tate Modern). Son objectif est de célébrer le centenaire de ce premier mouvement d’avant-garde du XXesiècle qui se fit connaître, sur le plan littéraire, par le manifeste de F. T. Marinetti, lancé à Paris dans _Le Figaro le 20_février 1909. Elle propose notamment la reconstitution quasi intégrale de la première exposition futuriste qui, à l’instigation de Félix Fénéon, eut lieu dans la capitale, à la Galerie Bernheim Jeune, en février 1912. La qualité plastique des œuvres présentées, la nouveauté des positions théoriques, la contribution majeure du mouvement à l’essor des avant-gardes sont désormais indiscutables. En effet, les futuristes utilisèrent les ressources de la provocation et jouèrent de tous les registres expressifs, exaltant le monde moderne, la civilisation urbaine, les machines et la vitesse. Prétendant à un art total, ils ambitionnèrent de rapprocher l’art et la vie.

Pourtant, le propos de l’exposition reste ambigu, puisqu’il entend en effet réévaluer la place et le statut du «premier» futurisme, tel qu’il se présentait à Paris; tout en évoquant la réaction parisienne, souvent hostile, à ce mouvement nationaliste.

La démarche se veut pourtant didactique et dialectique. Elle pourrait se résumer ainsi: les nouvelles théories scientifiques pénètrent le monde artistique, tant le pointillisme que le cubisme; les futuristes font «exploser» la peinture tant par les couleurs que par les thèmes; dans un troisième temps, il en résulte la tentative de synthèse opérée par la Section d’or et l’Orphisme (Apollinaire) qui regroupent Delaunay, Francis Picabia et Marcel Duchamp, dont les tableaux transportés à l’Armory Show de New York (1913) vont par la suite irradier l’avant-garde européenne. De cette synthèse participent les œuvres des cubofuturistes russes et celles des vorticistes anglais, en dialogue avec les Italiens.

La controverse, suscitée par le commissaire de l’exposition, Didier Ottinger, n’a pas manqué d’éclater. Ne prétendait-il pas que le cubisme représentait l’académisme, la tradition face au futurisme, au moment même où il demandait un réexamen dépourvu de toute passion? Or, en réduisant l’exposition à la seule peinture (des livres étaient aussi montrés), il était loin de présenter la totalité que voulaient embrasser les futuristes. Ses catégories relevaient d’un découpage qui ramenait à l’habituelle opposition entre cubisme et futurisme. On soulignait aussi l’absence de l’Allemagne et de la Pologne, et enfin on reprochait à l’ensemble d’être trop sagement ordonné.

Plus radicalement, et en s’appuyant cette fois essentiellement sur les manifestes du mouvement, d’autres s’appliquèrent à réduire considérablement l’intérêt du futurisme. En France, les artistes qui ne lui avaient nullement prêté attention ne pouvaient donc avoir subi son influence. De même en Russie, où le cubofuturisme n’avait pas attendu la visite de Marinetti, d’ailleurs fort mal reçu, pour avancer dans le domaine artistique et littéraire. Il est vrai que l’accueil parisien fut alors plus que réservé: de Gide et Claudel aux divers groupes artistiques, tous se gaussaient de la jactance de Marinetti. Quant à l’avant-garde européenne (Dada, puis le surréalisme), elle lui fut rapidement hostile. Dans un tel contexte, même le ralliement d’Apollinaire restait suspect.

Cette exposition avait néanmoins le mérite de montrer des œuvres dignes d’être reconsidérées. On reste ébloui par cet extraordinaire foisonnement en un si bref délai: Les Funérailles de l’anarchiste Galli (Carlo Carrà, 1911), La Rivolta (Luigi Russolo, 1911), La Risata (Umberto Boccioni, 1911), La Danse du «Pan-Pan» au Monico (Gino Severini, 1909-1911, réplique de 1959-1960). La disparition prématurée de Boccioni et d’Antonio Sant’Elia, pour l’architecture, fut préjudiciable au mouvement futuriste et à l’art en général.

De plus, les propositions du futurisme dans diverses branches esthétiques furent souvent révolutionnaires. Qu’on songe à la sculpture, à la typographie, à la photographie, à la musique et à l’art des sons (Luigi Russolo, 1913), à la danse (Valentine de Saint-Point, 1914), et surtout au cinéma et au théâtre où la synthèse futuriste éclate. Plus que d’un art total, il s’agissait bien alors d’embrasser la totalité de l’art, jusque dans la mise en scène des manifestations...

Même si, prudemment, elle ne montre que la première époque du futurisme, avant la Première Guerre mondiale, cette rétrospective aurait demandé un éclairage historique. S’agissant des rapports du mouvement avec le fascisme, on s’accorde désormais à distinguer deux périodes, la première, foisonnante, indemne de toute idéologie, la seconde liée au fascisme par la volonté de Marinetti. Or,

la première, même si elle était belliciste, surtout dans ses écrits, correspondait à une revendication d’indépendance et d’unité nationale. Peut-on aller plus loin en prétendant, comme d’aucuns l’ont fait, que le futurisme, dès le début, contenait en germe le fascisme? Ce serait là commettre un péché d’anachronisme, d’autant plus que certains futuristes chassaient alors sur les terres de l’anarcho- syndicalisme et de l’anarchie.

Il est clair que par sa foi en l'avenir, le futurisme a inventé un nouveau rapport de l'homme au monde moderne, et préfiguré bien des avant-gardes.

Bibliographie

  1. M. Dachy, «Une avant-garde ridicule», Critique, n° 404, janvier 1981
  2. G._Lista, Futurisme: manifestes, documents, proclamations, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1973
  3. D. Ottinger dir., Le Futurisme à Paris, une avant-garde explosive, catal. expos., Centre Georges-Pompidou, Paris, 2008
  4. A. Sola, Le Futurisme russe, P. U. F., Paris,1988
  5. Universalia 2007: «L’Œuvre d’art totale à la naissance des avant-gardes, 1908-1914, de M._Lista», P._Junod