MÉLUSINE

Le ladino : tradition et invention

PASSAGE EN REVUES

« Le ladino : tradition et invention », Les Nouveaux Cahiers, n° 12, hiver 1967-68, pp. 32-41.

Bien qu’il ne soit, en somme, que l’un de mes premiers comptes rendus d’un ouvrage en espagnol, je tiens beaucoup à cet article. Indirectement, il porte trace à la fois de mes études en espagnol classique et de mes exploits dans la traduction française de la Fable de Polyphème et Galaté (1612) de Luis de Gongora, dont mon maître Robert Jammes, à l’université de Grenoble, était le spécialiste, et de mes investigations en Espagne, fort timides à l’époque où le dictateur Franco (1892-1975) manifestait encore sa violence obscurantiste. Je menais de front une licence en espagnol et une autre en français, m’imaginant que je pourrais mener une carrière internationale hors de la fonction publique (alors interdite aux anciens tuberculeux). Curieusement, ce travail en espagnol sur la littérature en ladino n’a pas été soutenu en Espagne mais en France, par un prêtre étudiant à la Faculté catholique des Lettres de Paris. Damian Alonso Garcia, passa une quinzaine d’années à enseigner sa langue natale aux jeunes français. Il était d’ailleurs l’auteur d’une série de manuels fort prisés. J’assistai donc à la soutenance de sa thèse et fis ainsi la connaissance d’un chercheur enthousiaste, chaleureux et amical. Il était devenu non seulement un parfait connaisseur de la lengua de mosotros, mais aussi un diffuseur passionné de cette littérature orale. Il me remit un exemplaire de son travail (qu’il m’adressa par la suite sous la forme du livre que je signale ci-après). C’est la raison pour laquelle mon article fut si étoffé. Il était temps, me semblait-il, de faire connaître, tant aux Espagnols qu’aux Français, cette activité créatrice d’un peuple exilé, maintenant vivante sa langue d’appartenance. Chassé d’un pays qu’il avait contribué à construire et enrichir, il gardait son propre parler, ses chants et ses contes comme il conservait la clé de sa maison, où qu’il soit allé par la suite. Je précise que la traduction des textes cités est de mon seul fait, à une époque où le dictionnaire du judéo-espagnol n’existait pas encore.

Tout le monde connaît le Voyage en Espagne de Théophile Gautier, pour la définition qu'il y donne de l'auberge espagnole, où l'on ne trouve que ce qu'on y apporte. Mais l'origine qu'il accorde à Tolède, l'ancienne capitale des rois catholiques, est sans doute moins célèbre. Notre voyageur romantique rapporte que certains attribuent l'honneur d'avoir posé sa première pierre aux juifs « qui entrèrent en Espagne avec Nabuchodonosor, s'appuyant sur l'étymologie de Tolède qui vient de Toledoth, mot hébreu signifiant générations, parce que les douze tribus avaient contribué à la bâtir et à la peupler ». Et là, nous ne sommes pas loin de la thèse récemment soutenue à la Faculté des Lettres de l'Institut catholique de Paris par un prêtre espagnol, le Frère Damian Alonso Garcia. Examinant la littérature orale du - ladino » (ou judéo-espagnol), parmi les sephardim d'Orient, à travers le Romancero espagnol, il en est venu à exposer devant le jury que les juifs se seraient installés en Espagne à partir du IIe siècle, puisqu'on a découvert à Malaga une dalle funéraire qui l'atteste. Il est certain qu'au IVe siècle, les juifs étaient déjà répandus dans la péninsule. Pour lui, les juifs, loin d'avoir constitué un élément séparé et mineur de la littérature espagnole, en seraient plutôt à l'origine, conjointement avec les Arabes et les Chrétiens. Des recherches récentes montrent que la lyrique populaire espagnole ne viendrait pas de la lyrique provençale, mais de la lyrique arabe, de caractère populaire, renforcée par la lyrique juive, tout aussi populaire. En somme, le premier poète lyrique espagnol, dont on connaisse le nom, ne serait pas Gonzalo de Berceo (mort en 1268) mais Juda Levi, ou Yehuda Halevy, né vers 1070, et dont voici une jarcha (chanson d'amour dont la forme est héritée des Arabes) :

Vayse meu corachon de mib. Ya, Rab, si se me tornarad ? Tan mal meu doler li-l-habib ! Enfermo yed, cuando sanarad ?

Mon cœur se sépare de moi. Dites, Rab, me reviendra-t-il ? Si forte est ma douleur pour mon aimé ! Il est malade, quand guérira-t-il ?

L'intérêt de cette chanson, outre les sentiments religieux, quasi mystiques qu'elle exprime, est surtout dans ce mélange de castillan médiéval, d'arabe et d'hébreu qui en fait tout le charme intraduisible (1). Il est à noter que déjà apparaissent les rimes, au lieu de la simple assonance des poèmes castillans ou français de même époque, ce qui tendrait à confirmer l'hypothèse d'une origine sémitique de la versification rimée.

Mais surtout pour Damian Alonso Garcia, la littérature espagnole n'aurait pas atteint les sommets auxquels elle est parvenue autrefois sans l'apport des juifs d'Espagne. On sait le rôle important qu'a pu jouer Rav. Don Santo de Carrion (Dom Sem Tob) tant dans la littérature que dans le mouvement des Idées de son époque. Le marquis de Santillane a dit à son sujet : — il y eut à cette époque un juif nommé Rabi Santo qui écrivit de très bonnes choses, entre autres des Proverbes moraux de propos, en vérité, très recommandables. Je l'ai compté parmi de si nobles personnes en sa qualité de grand poète, car, comme il le dit lui-même :

« No vale el Azor menos Por nascer en vil nio, Nin los extemplos buenos Por los decir Judío. »

L'autour ne vaut pas moins Parce qu'il est né dans un nid vil, Ni les sentences morales, Parce que c'est un juif qui les dit.

Ce quatrain est l'une des 476 strophes dont se compose l'œuvre de Don Sem Tob intitulée : Consejos y documentos del ludio Rabi don Santo al Rey Pedro. [Conseils et indications du juif Rabi Don Sem Tob au Roi Pierre]. Il s'agit, bien entendu, du roi de Castille Pierre Ier le Cruel, à qui notre auteur donne de sages conseils pour qu'il gouverne chrétiennement, l'exhortant à imiter le roi son père. Dans ce poème, Don Sem Tob déclare qu'il est juif, et qu'il était déjà vieux quand il l'écrivit. Alonso Garcia nous rappelle aussi que le chapitre IV de la Galatée de Cervantés est entièrement emprunté à Léon Hebreo (qui s'appelait Abrabanel), que Fernando de Rojas, l'incomparable auteur du chef-d'œuvre dramatique de tous les temps et de tous les pays qu'est La Célestine ou la tragi-comédie de Calixte et de Mélibée était juif, et jusqu'à sainte Thérèse d'Avila, née dans une famille juive, son père, Juan Sanchez, s'étant converti au catholicisme mais en fait continuant les pratiques de son ancienne religion, et pour cela condamné à porter le San Benito. Toute cette recherche des origines juives de chacun des grands noms de la littérature espagnole pourrait prêter à sourire si elle n'était menée par un prêtre qui, avec le seul souci de la vérité, en arrive a regretter le cruel déchirement. Pour mieux exalter la présence vivifiante de tout un groupe qui, parce qu'il était différent de l'ensemble de la population mais se sentait chez lul en Espagne, a pu faire que la Renaissance s'y déroulât un siècle avant tous les autres pays européens. Parce que, aussi, il servait de point de contact avec la civilisation arabe, elle-même porteuse de la pensée et des textes grecs.

Après ce préambule général, qui montre dans quel esprit et avec quelle ferveur l'enquête a été menée, examinons la thèse manuscrite (rédigée en espagnol) que lauteur a bien voulu nous confier pour les Nouveaux Cahiers. Son but précis était de comparer le Romancero espagnol à la littérature orale transmise de génération en génération par les juifs émigrés d'Espagne à partir de 1391 (date du premier exode massif, faisant suite aux persécutions provoquées par la population) et réfugiés tant à Salonique qu'à Constantinople ou Monastir. Pour ce faire, les sources ne manquent pas : depuis un siècle déjà, les érudits juifs et non juifs se sont préoccupés de transcrire cette abondante littérature orale, en voie de disparition. Parmi les premiers citons, entre autres, Yaacob Abraham Yona, de Salonique, Rabi Abraam Danon, Galante, Hemsi et, pour les plus récents Michael Molho et Moshé Attias ; parmi les seconds Marcelino, Menendez Pelayo et Menendez Pidal, certainement les plus érudits et qui ont le plus fait pour que des recherches s'orientent dans cette voie.

Dès l'abord, une série de questions nous vient à l'esprit :

  • comment les juifs espagnols ont-ils conservé la langue depuis leur expulsion ?
  • de quelle manière l'attachement des juifs envers l'Espagne s'est-il traduit dans la littérature ?
  • Comment se fait-il que la civilisation espagnole s'attache aux gens qui ont traversé le pays, d'une façon si impérative ?

Soyons certains que ces problèmes ont guidé l'investigation d'Alonso Garcia, qui n'avait cependant pas à les traiter, et qu'ils ont souvent maintenu son optimisme dans les moments difficiles de son travail ; car l'auteur ne s'est pas contenté de compiler les ouvrages des bibliothèques de Madrid, de Lisbonne, de Rome, de Paris, il a aussi mené une enquête parmi les juifs orientaux à Paris, confirmant ainsi les transcriptions de ses prédécesseurs. Nous aurions souhaité qu'il en profitât pour faire un dénombrement plus vaste peut-être, avec un magnétophone, pour enregistrer non seulement les paroles, mais aussi la mélodie de ce précieux folklore qui, nous ne cesserons de le répéter, est en train de disparaître. Ceci est d'autant plus important que, bien souvent, ces chansons populaires, ces romances dont nous allons voir qu'ils sont purement espagnols, ne sont plus chantés ni récités dans leur pays d'origine. Nous appelons de tous nos vœux celui qui viendra, tel Federico Garcia Lorca en Espagne, ou Bela Bartok en Hongrie, enregistrer la mélodie de ces vieux cantares qui ont bercé notre enfance, qui accompagnaient chacun de nos gestes quotidiens : lorsqu'il faisait trop chaud à la maison, il fallait ouvrir portes et fenêtres : « Abrid puertas y ventanas » ou bien lorsque nous allions nous baigner :

« Fuérame à bañar » A orias del rio etc.

Alonso Garcia, après avoir défini les termes Sepharad (de l'hébreu « Occident », désignant l'Espagne) et Ladino (langue « latine », par opposition à l'hébreu, qui sert maintenant, dans le vocabulaire scientifique, à désigner le judéo-espagnol), examine le système phonétique et grammatical de cette langue, pratiquement assimilable à celui de Nebrija, le premier grammairien de la langue castillane. Nous ne reviendrons pas, à ce sujet, sur les motifs d'étonnement dont nous avons déjà fait part à nos lecteurs (cf. Nouveaux Cahiers, n° 6, juin 1966), mais disons franchement que nous ne partageons pas l'exaltation du professeur Baiche qui, lors de la soutenance, dans son élan philosémite, pensait que le mot ladino était un témoignage de supériorité rendu aux juifs par les chrétiens et qu'il s'employait aussi bien, au sens noble, pour juifs et chrétiens. Certes, les témoignages du dictionnaire de Covarrubias comme du Trésor de César Houdin sont probants : on appelait « ladinos » ceux qui travaillaient sur la langue latine, qui étaient savants et sages et, en somme, experts en langues étrangères, mais on ne nous contestera pas que, malgré Covarrubias, le mot a pris un sens péjoratif, comme d'ailleurs tout ce qui s'attache aux juifs en Espagne, et que souvent il signifie « sournois », « rusé », « avare », même « méchant ».

L'auteur regroupe les Romances recueillis en trois grandes catégories. Tout d'abord ceux qui viennent d'Espagne et présentent une identité stupéfiante avec les Romances espagnols : ainsi « Très falcones van bolando » appartient au folklore de tous les pays, « Las altas mares » est le Romance de « Don Bueso », « En el vergel de la Reina » est le Romance du Conde Olinos. Parfois même l'identité des versions ladina et castillane sert à prouver l'authenticité contestée de certains Romances espagnols : par exemple « Por los palacios del Rey ». Ce sont toujours les thèmes du Romancero espagnol qui réapparaissent, sans aucune modification. Ils font appel à des notions de civilisation purement espagnoles, introuvables dans les pays d'accueil. L'escarino (nostalgie) de Sepharad était-il si fort qu'il se soit transmis jusqu'à nos jours ? Imaginons des Français expatriés, réciteraient-ils encore la Chanson de Roland, le Couronnement de Louis ? C'est pourtant ce qui s'est passé à Constantinople, où les Sephardim se sont transmis oralement des Romances historiques, des chansons de geste, comme celles de Bernardo del Carpio, des Siete infantes de Lara, de Gaifers aussi où l'on retrouve un personnage bien connu de la tradition épique française. Ce n'est pas le moindre mérite d'Alonso Garcia de les avoir rapprochés de l'originial, d'avoir révélé leur « authenticité ».

Car la tâche n'était pas facile : souvent les noms de lieux ou de personnages ont changé. Ainsi se constitue un groupe de Romances d'attribution douteuse, qui sont vraisemblablement hérités de l'Espagne, mais qui peuvent avoir été composés en exil, avec des références aux thèmes traditionnels, ce qui leur conférait une « ancienneté respectable ». A ce propos, je soumets à sa sagacité le poème suivant, que je viens de recueillir et que je transcris comme je l'ai entendu, avec les octosyllabes irréguliers que transmet la tradition orale. Il est impossible qu'il ne fasse pas allusion à un fait divers qui s'est autrefois déroulé en Espagne, une reconnaissance extraordinaire comme il a pu y en avoir à l'époque des grands aventuriers qui allaient faire route vers le Nouveau Monde, c'est le retour du fils prodigue, dramatiquement conté :

Dos hijicos tengo lloran y demandan pan me meti a la ventana vide al capitan. « Asi biva el capitan de qué mares venid Pedri a mi hijo capitan en la mare.» — Yo lo vi al vuestro hijo vuestro hijo capitan de la mar la piedra por cavecera la tierra por cuvierta — Si es verdad que ya lo viteis que signas mos vais a dar ? — Debaxo del braso siedro ya tiene un buen lunar. Esto qu'oyo la su madre a la mar se fue a echar. « Non vos eches la mi madre ni vos dexo yo echar yo so el vuestro hijo vuestro hijo el coronal. »

J'ai deux petits garçons ils pleurent et demandent du pain je me suis mise à la fenêtre j'ai vu le capitaine. « Dites-moi sur votre foi capitaine de quelles mers venez-vous ? J'ai perdu mon fils capitaine de la mer. — J'ai vu votre fils votre fils capitaine de la mer la pierre pour oreiller la terre comme couverture — S'il est vrai que vous l'avez vu quels signes allez-vous nous donner ? — Sous le bras gauche il a un bon grain de beauté. Quand elle entendit cela la mère à la mer est allée se jeter « Ne vous jetez pas, ma mère et je ne vous laisserai pas vous jeter je suis votre fils votre fils le colonel, »

La même difficulté se retrouve pour les Romances bibliques, que les Espagnols ont pu composer, tout lorsqu'ils Royaume catholique.

Puis vient le troisième groupe, celui des Romances élaborés en exil, et qui obéissent aux règles de structure du Romance (et parfois même à sa thématique traditionnelle). Certains sont purement originaux, tout en faisant appel à une conception de la vie typiquement espagnole. D'autres procèdent de contaminations, témoin « Se pasea el pastor fiel » qui reprend une prière à la Vierge en y ajoutant une prière au Dieu, d'Israël lequel, finalement, est le seul à sauver les navires en perdition. Le souci d'édification est incontestable. Parfois, un rabbin éprouvant le besoin d'élever le niveau moral de son troupeau, a composé des Romances qui rappellent les Dix Commandements ou les devoirs qu'impose la charité. Et ceci est important : pour mieux communiquer son enseignement, l'auteur anonyme a dû recourir à une forme poétique et populaire en même temps qu'il s'exprimait en langue vulgaire, c'est-à-dire en ladino. Prenons pour exemple le début du Romance Cualos son estos pecados :

Cualos son estos pecados, los pecados qu'hice yo; de matar a padre y madre y un hermano más mayor, y'a una hermana que tenía yo le hice traición. Que me hagan todas las penas las penas que merezco yo, que m'arrastren por los campos, que todo lo merezco yo, que aciendan un pavil de cera el de dientro seria yo.

Quels sont ces péchés, ces péchés que je fis : j'ai tué mes père et mère, et mon frère ainé, et une sœur que j'avais, je l'ai trahie. Que l'on m'inflige toutes les peines, les peines que je mérite, qu'on me traine à travers les champs, j'ai tout mérité, qu'on allume une chandelle de cire, j'en serai la mèche.

Mais l'Inspiration n'est pas toujours aussi sérieuse, on trouve aussi une veine humoristique et populaire, qui nous fait songer aux juifs des bords du Rhin tels qu'Apollinaire les a vus dans la Synagogue, poème d'Alcools, nous permettant ainsi de rapprocher l'ashkenaz de son frère sephardi par l'intermédiaire de Noé : Hacino estaba Apatuso.

Hacino estaba Apatuso hacino por murir. Si te mueres, mi haber que me dejas de herencia ? Una manta y una estera y un cujin de cabecera Ya se muería Apatuso Ya le llevan a enterrer Por el medio del camino Sintió vino apregonar : — Esperad mis haberim, Cuando lo iré á gostar. Los haberim que esto oyeron Lo dejaron y se fueron Lo dejaron y se fueron Y a reir se mitieron. — Qué vos reís hijos d'un perro Que borracho n'osto yo !

Apatuso était malade, Malade à en mourir. Si tu meurs, mon camarade, Que me laisseras-tu en héritage ? Une couverture et une natte, et un oreiller. Apatuso est mort, On le porte à la fosse, A mi chemin il entend vendre du vin à la criée : « Attendez, mes compagnons, que j'aille y goûter ». Les compagnons qui entendirent ceci, Le laissèrent et s'en furent, Le laissèrent et s'en furent, Et se mirent à rire. Pourquoi riez-vous, fils de chien, Je ne suis pas ivre, moi !

Dans cette troisième section, des Romances composés en exil, Alonso Garcia consacre plusieurs chapitres aux Romances d'inspiration religieuse (épisodes de la Bible et de la Haggada, poèmes pour les fêtes religieuses, lamentations pour le 9 AV., etc.). Remarquons bien que tous les poèmes en ladino ne sont pas des Romances, dont ils ne conservent ni le contenu, ni la structure poétique. Certains sont simplement des traductions de l'hébreu, d'autres ont assurément une allure poétique précise. C'est que l'hébreu, langue sacrée réservée à l'étude de la Torah, cessait d'être compris par tous, les femmes particulièrement ; ainsi s'est développée une poésie en ladino sur des thèmes bibliques : Josué arrête le soleil, Judith et Holopherne, David et Goliath, David et Absalon. David et Thamar, Triste est le Roi David, le Roi David a un fils. La plupart de ces romances ont d'ailleurs été déjà publiés en Espagne par Augustin Duran dans son Romancero general et furent, selon cet érudit, composés au XVIe siècle et sans doute emportés aux Balkans par les marranes (faux convertis) à leurs départs successifs. Cela conduit Alonso Garcia à une hypothèse séduisante, qu'il propose pour expliquer l'origine des Romances sur Moise, chantés les jours précédant Pesah par les femmes, au moment du grand nettoyage. Ces chants n'avaient pas lieu d'être pour ceux qui avaient à leur disposition la Haggada en hébreu et en espagnol, mais les marranes, particulièrement surveillés par l'Inquisition au moment des fêtes, devalent se dissimuler, c'est pourquoi on chantait ces Romances sur Moïse les jours précédant Pâques, mais non la veille ni pendant la semaine commémorative. Ce seraient alors les marranes qui auraient introduit leurs chants dans les communautés sephardites du Levant.

Voici un exemple de Romance biblique, l'un des plus répandus et des plus beaux :

Se pasean las doces flores

Se pasean las doce flores entre medio una conjá. Dijo la conjá a las flores : a Hoy es día de pasear. » Se pasea la linda Dina por campos del rey Hamor; con favor de sus hermanos caminaba sin temor. Arrimose en una tienda pensando que no hay varon. Visto la hubiera visto Sekem, el hijo del rey Hamor; con favor de sus hermanos, caminaba sin temor. Arrimóse en una tienda pensando que no hay varón. Visto la hubiera visto Sekem el hijo del ray Hamor, allegóse para ella tres palabricas l'habló : — Linda sois, la linda Dina, sin afeite y sin color, lindos son vuestros hermanos, vos enrriba lleváis la flor. — Son lindos o no son lindos ainsi me los guadre el Dió. Allegose para ella, hizo lo que no es razón. Ya se parte la linda Dina ya se va ondi su señor, a la sombra del tejado, que no la empañara el sol. Por en medio del camino sus doce hermanos topó : — Quién vos demudó la cara y la vuestra linda color o vo la demudó el aire o vo la empaño el sol ? — No me la demudó el aire ni me la empaño el sol me la demudó un muchachico Sekem hijo del rey Hamor. Estas palabras diciendo, casamenteros le mandó. Ella le mandó a decir, si es que se hace jidió. Ya se parten los doce hermanos ya se van a estruir Hebron.

Les douze fleurs se promènent, Parmi elles une coquille. La coquille dit aux fleurs : « Aujourd'hui, c'est jour de promenade ». La belle Dina se promène, A travers les champs du Roi Hamor; Avec l'aide de ses frères, Elle marchait sans crainte. Elle s'approcha d'une tente, Pensant qu'il n'y avait pas d'homme. Vue, il l'aurait vue Sekem, fils du roi Hamor. Avec l'aide de ses frères, Elle marchait sans crainte. Elle s'approcha d'une tente, Pensant qu'il n'y avait pas d'homme. Vue, il l'aurait vue. Sekem, fils du roi Hamor, Il se dirigea vers elle, Trois petits mots lui dit : « Vous êtes belle, Dina la belle, Sans parure et sans fard, Vos frères sont beaux, Mais vous emportez la palme sur eux. Beaux ou pas, Que Dieu me les garde tels. Il s'approcha d'elle, Fit ce qui n'est pas raison. La belle Dina s'éloigne, Elle s'en va chez son père, A l'ombre des toitures Pour que le soleil ne l'attaque pas. A mi chemin Elle rencontra ses douze frères : « Qui a changé votre visage Et votre belle couleur, L'air vous l'a changée, Ou le soleil l'a ternie — L'air ne me l'a pas changée, — Le soleil ne me l'a pas ternie, C'est un jeune homme qui me l'a changée : Sekem, fils du Roi Hamor. En disant ces paroles Lui envoya les marieurs. Elle lui fit demander De se faire juif. Ils s'en vont les douze frères, Ils s'en vont détruire Hébron.

Les chants concernant Moïse sont très nombreux : en voici un qui relate sa naissance miraculeuse :

Contar vos quiero un mahase

Contar vos quiero un mahasé de el Siñor de Mosé. Parhó como era estrellero, una noche salió al cielo; vido que iba nacer Mosé; el regmidor de Israel. Ya mandó por las cumadres cuantas en Aifto son, las juró y las aconjuró : Todo hijo que naciá al rio lo echarian, toda hija que nacia en saray de Parho entraria. Entre medio nació Mosé, el rigmidor de Israel. Salga la luna y entre el sol ! salga el mal de las jidiós. Su madre la hasida, su hermana la nebia mandaron por una arquita el Siñor de Mosé guadrar; la encalaron y la empezaron la mandaron a echar a la mar. La hija de Parhó Bitya, salió a lavar su maka, un arca vido pasar. Des que la arca tocó la maka ya la solto. — De que la maka solti, quiero ver lo que hay aqui. Des que la arquita abrió, el mundó s'arelumbró. Ya mando por lecheras cuantas en Aifto son; Mosé como era nabí, non quiso leche de mizrit; de su madre la hasidá, de su hermana la nebia.

Je veux vous dire un conte sur le seigneur Moise. Comme il était astrologue, Pharaon une nuit regarda le ciel, Il y vit que devait naitre Moïse, Le rédempteur d'Israël. Il envoya chercher les sages femmes, Toutes autant qu'il y en avait en Egypte, Il les adjura et leur fit jurer De jeter à la rivière Tout garçon qui naîtrait, De faire entrer au palais Toute fille qui naîtrait. Entre temps naquit Moïse, Le rédempteur d'Israël. Que la lune disparaisse et que vienne le soleil ! Que le mal des juifs disparaisse. Sa mère la pieuse, Sa sœur la prophétesse, Firent fatre une petite arche, Pour protéger le seigneur Moïse, Elles la recouvrirent de chaux et de poix, Et l'envoyèrent Jeter à la mer. La fille du Pharaon, Bitya, sortit laver sa plaie En lavant sa plaie Elle vit passer l'arche. Dès qu'elle toucha l'arche, Sa plaie disparut Puisque ma plaie est partie Je veux voir ce qu'il y a ici. Quand elle ouvrit l'arche, Le monde s'éclaira. Elle envoya chercher des nourrices, Autant qu'il y en a en Egypte. Moïse étant prophète, Ne voulut pas de lait d'Egyptienne, Mais de sa mère la pieuse, De sa sœur la prophétesse.

Nul n'ignore les Romances sur le sacrifice d'Abraham que l'on chante encore en ladino (rarement il est vrai) dans certaines synagogues de rite sephardi, qui font pleurer nos mères, et le Had Gadya, intitulé tantôt « un cavrerillo », tantôt « un cavritico », chanson allégorique sur laquelle s'achève en famille le repas de Pesah, qui met en scène le chevreau que m'acheta mon père pour deux blanchets, puis vint le chat qui mangea le chevreau, puis vint le chien qui mordit le chat, puis vint le bâton qui frappa le chien, puis vint le feu qui brûla le bâton, puis vint l'eau qui éteignit le feu, puis vint le bœuf qui but l'eau, puis vint le shohet qui égorgea le bœuf, puis vint l'ange de la mort qui tua le shohet, puis vint le Saint Béni Soit-il qui tua l'ange de la mort qui avait tué le shohet qui avait égorgé le bœuf qui avait bu l'eau qui avait brûlé le bâton qui avait frappé le chien qui avait mordu le chat qui avait mangé le chevreau que mon père m'avait acheté pour deux blanchets. Moins connues peut-être, parce que faisant plus véritablement partie de la tradition orale, n'ayant bénéficié que d'une transcription tardive, sont les chansons de fiançailles et de mariage. Elles scandaient chacun des épisodes marquants : fiançailles, préparatifs de la fête, invitations transmises par les « combidadores », bain de la mariée, veillée, noce elle-même et lune de miel. Que l'on relise un chapitre bien délaissé de la Mare au Diable, l'appendice que George Sand consacre aux noces de campagnes en pays berrichon, où l'auteur se donne la peine de transcrire les dialogues rituels, les chansons prononcées en cette occasion, on verra combien le folklore sephardi, dans sa particularité mème, est parent du folklore de tous les pays. Si les sentiments sont partout identiques, si les usages différent quelque peu, les paroles elles, n'ont pas d'équivalent. Voici le début d'une chanson ou le marié s'adresse à la nouvelle épouse et qui n'a pour but que de détailler et d'exalter la beauté de ses traits :

Del novio a la novia

El novia a la novia : — Como se llama esta cabeza ? Esto no se llama una cabesa, sino una linda pertucal A mi linda pertucal, A mi campo espacioso, A mi lindo namoroso, Biva la novia con el novio ! El novio le dice a la novia : — Como se llaman estos cabellos Estos no se llaman cabellos sino cirma de lavrar A mi cirma de lavrar A mi linda pertucal...

Le marié à la mariée : comment s'appelle cette tête Ceci ne s'appelle pas tête, mais plutôt belle orange, Ah ma belle orange, Ah mon vaste champ Ah mon bel amoureux, Vive le marié et la mariée ! Le marié dit à la mariée : comment s'appellent ces cheveux, Ceci ne s'appelle pas cheveux mais fil à broder. Ah mon fil à broder, Ah ma belle orange...

Autre chanson, d'un vocabulaire plus proche du castillan, qui poursuit sans doute la tradition des cantares de zagala (chansons de bergères) chantée à la noce, sans doute pour son symbolisme significatif plutôt que pour sa morale :

Una hija tiene el reyes

Una hija tiene el reyes, una hija regalada, mitiola en altas torres por tenerla bien guadrada. Un día por las calores aparóse à la ventana, vido venir segadore segando trigo y cebada. La chapa tiene de oro y la pala fina plata. Presto lo mandó a llamare con una de sus esclavas. — Ven aquí, tú, segadore que te quiere la mi ama. — Que me quiere la ti ama que me quiere, qué demanda ? — Quiere que l'asembres trigo, que l'acojgas la cebada; — Onde que l'asembre trigo, que l'acoiga la cebada ? — En su puerpo l'asembres trigo y en su seno la cebada.

Le roi a une fille, Une fille bien aimée, Il l'a mise dans une haute tour, Pour bien la garder. Un jour à cause de la chaleur Elle se mit à la fenêtre, Vit venir un moissonneur, Fauchant le blé et l'orge, Sa bêche est en or, Sa pelle en argent fin. Vite elle le fit chercher, Par une de ses esclaves. « Viens ici, toi, le moissonneur, Ma maitresse t'appelle ». — Que me veut ta maitresse, Que me veut-elle, que demande-t-elle ? « Elle veut que tu lui sèmes du blé, Que tu lui ramasses de l'orge. — « Où sèmerai-je le blé, Où ramasserai-je l'orge ? » Dans son corps tu sèmeras le blé, En son sein l'orge.

Instants de joie, moments de douleur, toujours la chanson est là pour aider à vivre. Après la noce vient l'accouchement, lui aussi avec son lot de chansons, dont nous détachons l'une des plus significatives.

Cuando la parida dolores tenia

Cuando la parida dolores tenía mando por la cumadre por ver si venía. Le corren las sudores por su cara villuda, l'alimpia la su madre con la su camisica. Cuando la cumadre dice, dale dale, aresponde la parida : « Oh Dió escápame » dice el bienvenido : « A salvo quitame ». Bivo y florido, el cuerpo bien venido, mos biva el parido tambien la parida, que mos parió un hijo. Parida, parida ! Dicia, que parteis toda la sala toda, de luz mo la henchiteis, loores al Dió del cielo que tal dia vitéis. Bivo... Que mos pario un hijo de cara de fiores, en la su vida bueno diez hijos varones. Abolteis parida de cara al varandado vereis al parido con los convidados, sintireis de su boca, dicir sehianu Bivo...

Quand l'accouchée Avait des douleurs, Elle fit venir la sage-femme, Pour voir si l'enfant venait. La sueur coule Le long de son visage duveté, Sa mère l'essuie Avec sa petite chemise. Quand la sage-femme Dit vas-y, vas-y, L'accouchée répond : « Mon Dieu, délivre-moi ». Le bienvenu dit « sort moi sauf ». Que vive le nouveau-né, Vif et vigoureux, le corps bien fait, Et aussi l'accouchée Qui nous a donné un fils. Femme, femme, Qu'as-tu mis au monde ? Tu as empli de lumière La salle entière. Loué soit le Dieu du ciel Qui vous a fait voir un tel jour. Vif... Qui nous a donné un fils Au visage de fleur, En sa bonne vie, Dix garçons vigoureux Tournez, femme Le visage vers la ruelle, Vous verrez l'enfant Avec les invités, Vous l'entendrez de sa bouche Dire sehianu Vif...

On regrettera que l'auteur n'ait pas cru devoir consigner un certain nombre de chants funèbres que pourtant les pleureuses (il en existe encore à Paris même) connaissent bien, dont la diffusion est extraordinaire dans tout le monde sephardi, et dont les liens sont évidents avec les « llantos » ou « plantos » d'Espagne. Ceux-ci furent interdits par l'Eglise espagnole au Concile de Tolède et le roi Alphonse X ordonna aux prêtres de se retirer de l'enterrement s'ils entendaient des cris ou des « endechas » (complaintes) qui évidemment avaient un certain relent de juiverie. Mais on ne sera pas étonné d'apprendre que le roi Alphonse X lui-même fit une complainte pour son fils mort en 1252 ! La plupart de ces « endechas » ont été recueillis par Manuel Alvar (Endechas judeo-espanolas, Grenade, 1953). Il eût été utile de les collationner, d'en faire un relevé autant que possible exhaustif et d'en rapprocher forme et contenu de certaines poésies d'auteurs connus en Espagne, et surtout du Romancero, puisque tel était l'objet de la thèse.

A défaut de ces lamentations, Alonso Garcia en étudie d'autres, beaucoup plus récentes. Il s'agit de ces chants composés par les émigrants qui se rendaient en pélerinage en Terre Sainte, ou pour y mourir.

Ir me quiero madre

Ir me quiero madre, a Yerusalayim comer de sus tierras comer y hartarme. La noche anochece, el dia amanece, miran de las partes por donde aclarece. A Yerusalayim La veo d'enfrente, la luna en creciente. A Yerusalayim es una muntaña, con diez hacamines, esta rodeada. El Bet Hamigdas mo lo estan fraguando, con piedras preciosas mo lo estan labrando. El Bet Hamigdas mo lo estan lavando con agua rosada lo estan enjuagando. Al Bet Hamiqdas hay una almenara, siete brazos tiene el mundo entero arelumbrara. Al Bet Hamigdas tres palomas bolan con la sekina hablan boca a boca. A Y erusalayim es una locura, para los pecados es una gran cura En El me arrimo yo, En el m'enfecio yo en El de las alturas.

Je veux m'en aller, mère, à Jérusalem manger les fruits de sa terre manger et me rassasier. La nuit tombe, le jour se lève, on regarde du côté où il fait jour. Jérusalem, je la vois d'en face, la lune en croissant. A Jérusalem il y a une montagne par dix murailles elle esi entourée. On nous construit le Bet Hamiqdas, avec des pierres précieuses on nous le décore. Le Bet Hamigdas on le lave avec de l'eau de rose on le rince. Dans le Bet Hamiqdas il y a un chandelier il a sept branches, il éclairera le monde entier. Dans le Bet Hamigdas trois colombes volent, avec la Divinité elles parlent bouche à bouche A Jérusalem c'est une folie, pour les péchés c'est un grand recours Sur Lui je m'appuie, en Lui j'ai ma foi en Lui qui est dans les hauteurs.

Voilà donc un travail fort sérieux, soigneusement documenté, qui montre que les juifs espagnols n'ont pas cessé de créer des poèmes, et plus exactement des Romances (compositions en octosyllabes assonancés) tant en Espagne, qu'après leur expulsion. Maintenant encore, après de nouvelles persécutions, après avoir traversé plusieurs pays, c'est encore au ladino que certains font appel pour dire leurs angoisses et leurs espoirs. Il était important que cette thèse fût soutenue par un Espagnol et aussi par un prêtre, témoignant ainsi, symboliquement, que l'Espagne, attachée à l'Eglise catholique apostolique et romaine, est une terre où se mélèrent extraordinairement les trois grandes religions monothéistes, et qu'elle n'a pas oublié les enfants qu'elle a rejetés autrefois (j'allais dire naguère, comme si ce fût hier, et il est de fait que lorsqu'il pense à l'Espagne, le juif séphardi a l'impression de l'avoir quittée le jour de sa naissance) et que maintenant, il nous plait à l'imaginer, elle rappelle tendrement. Certes, tous les poèmes que nous avons cités, tous ceux qu'Alonso Garcia a collationnés, n'atteignent pas aux plus hauts sommets de l'art lyrique. Mais ils ont l'avantage d'être une création populaire, d'être un acte de foi à l'égard de cette belle langue chantante qu'est le ladino. On souhaite donc que cette thèse trouve un généreux mécène qui la fasse imprimer et qu'aussi elle soit traduite en français. Dans cette perspective, nous ne saurions trop conseiller à l'auteur de compléter soigneusement sa bibliographie et son glossaire, de ne pas hésiter à faire des renvois aux textes, car tous ses lecteurs ne sauraient avoir sa science et son amour du judéo-espagnol. Peut-être aurait-il eu intérêt à suivre de plus près les modifications introduites dans la tradition orale, il nous aurait apporté de grandes lumières sur ce phénomène collectif méconnu et encore mal étudié de nos jours. La mémoire collective est extraordinairement fidèle, nul doute que chaque variante traduise une brusque modification du devenir historique du peuple exilé. Par ailleurs, le Romancero ladino exprime-t-il tout un peuple, dans ses aspirations les plus générales, ou seulement les sentiments de quelques individus particulièrement doués et que l'on appelle poètes, quand bien même ils se consacreraient à des tâches non Intellectuelles? Ce sont les rapports de la poésie savante et de la poésie populaire qu'il faudra bien aborder, dans ce domaine privilégié, qui n'a rien de comparable avec les échecs (sur le plan de la reprise collective) d'Agricol Perdiguier et autres artisans poètes. On souhaite enfin que le récent Docteur ne se rebute pas devant l'immense tâche qui l'attend, et que dans un proche avenir il nous donne une anthologie présente (et autant que possible sonore) de la poésie en ladino, respectueuse de la tradition mais riche en inventions lyriques car y a-t-il rien de plus enchanteur que cette courte chanson, qui nous vient du fond des temps et du souvenir :

Debajo del limon Dormía la niña, Y sus pies en el agua fria. Su amor por aí vendría : « Qué hases, mi novia garrida ? — Asperando a vos, mi vida, Lavando vuestra camisa Con xabon y lexia. » Su amor por al vendría. Debajo del limon, la nina, Sus pies en el agua fria :

Sous le citronnier dormait la jeune fille Et ses pieds dans l'eau froide. Son aimé passerait par là : " Que fais-tu, ma belle promise ? — Je vous attends, ma vie Avec du savon et de la lessive. Son aimé passerait par là. Sous le citronnier, la fille, Ses pieds dans l'eau froide :

Henri BEHAR.

Voir le pdf du texte paru dans le Nouveaux Cahiers

GARCIA, Damian Alonso, Literatura oral del ladino entre los sefardies de oriente a través del romancero, Artes Graficas Soler, Madrid, 1970, in-8, rel. pl. toile éd., XVII - 267 p.

Voir : en français, Lior éditions fournit une bonne base de livres anciens et contemporains de littérature judéo-espagnole : Catalogue | Lior (lioreditions.com)


(1) Nous citons cette poésie d'après : D. Alonso y J.M. Blecus : Antologia de la poesia espanola. Madrid, Gredos 1956. Les citations,suivantes seront empruntées à la thèse de D. Alonso Garcia que nous remercions ici. Dans les traductions, nous nous sommes limité au mot à mot, laissant au lecteur soin de retrouver l'origine de chaque mot, et l'enchantement produit par la juxtaposition de vocables appartenant a plusieurs systèmes linguistiques.