André Breton, chronologie numérique, 2
par Henri Béhar, le 24 mai 2023
CHRONOLOGIE NUMÉRIQUEAndré Breton, chronologie numérique, 2
1915 – 1918 AB mobilisé
1915
26 février : la classe classe 1916 est appelée sous les drapeaux par anticipation dès 1915. Matricule militaire n° 4617. (Voir archives de la Seine)
12 avril-29 juin 1915 : AB fait ses classes au 17e régiment d’artillerie de campagne à Pontivy (Morbihan). T. Fraenkel est au Crotoy (AB à T. F. jeudi 22 avril 1915, M. Bonnet p. 70).
Citant Rimbaud « Je meurs, je me décompose dans la platitude, dans la mauvaiseté, dans la grisaille. » N’est-ce pas cela « l’école des bons travaux abrutissants ? » demande-t-il à Fraenkel.
Les appels patriotiques de Bergson ou de Barrès le laissent indifférent (OC III, 436).
Lit Les Jours et les Nuits, roman d’un déserteur, d’Alfred Jarry, les premiers recueils poétiques de Pierre-Jean Jouve, et surtout Guillaume Apollinaire.
7 juin 1915 : AB demande l’aide de Valéry pour le sortir de cette situation : « J’entrevois le monde très lointain des poètes que j’aimais ; je retrouve en souvenir, avec incrédulité, ma vie sentimentale d’hier. Un instant, je déjoue le complot des choses d’ici. »
Juillet 1915-juin 1916 Nantes
AB affecté 2ᵉ section d’infirmiers militaires, comme interne à l’hôpital bénévole, ambulance municipale n° 103 bis, 2 rue Du Boccage à Nantes. C’est le lycée de jeunes filles, Lycée Guisthau, alors en construction.
Octobre 1915 : Théodore Fraenkel est affecté à Nantes dans le même hôpital que AB.
Son affectation d’interne en médecine est très prenante, mais elle le change du sac au dos !
Lectures de Jarry, Apollinaire, René Boylesves, Francis James, Jules Laforgue, René Ghil, Paul Fort, Pierre Louÿs et les maîtres : Baudelaire, Mallarmé et Valéry.
30 août 1915, AB est promu soldat de 1ère classe.
10 octobre 1915, première nuit platonique à l’hôtel avec sa cousine Manon, Madeleine Le Gouguès (née le 18 février 1894). Il lui avait dédié en septembre 1913 un poème manuscrit sur un éventail (OC I, 36).
24 octobre 1915, seconde nuit, couche avec Manon. Déception totale, AB se déclare tenant de l’agynisme (indifférence à l’égard de la femme) auprès d’André Paris.
27 octobre 1915 : AB fait part de cette liaison à son camarade André Paris (étudiant en pharmacie, connu durant son service à Nantes, alors à Paris) : « aventure sentimentale terrible ».
Décembre 1915 : début des relations épistolaires avec Apollinaire. Voir dossier numérique et : correspondance
Décembre 1915 : AB et Théodore Fraenkel font la connaissance de Jacques Vaché, dans son lit d’hôpital rue Du Boccage, où il avait été admis le 22 novembre, puis opéré le 7 décembre. Ils s’y verront jusqu’au 8 février 1916, date de son transfert dans un autre hôpital militaire nantais, 10, rue Arsène-Leloup.
La logique temporelle et les recherches des éditeurs des récentes Lettres de guerre 1914-1918 de Vaché, présentées et annotées par Patrice Allain et Thomas Guillemin (Gallimard, 2018), fondées sur son livret militaire, nous conduisent à avancer de deux mois, par rapport à notre livre, cette rencontre, capitale pour AB.
Usant des permissions, AB et Vaché iront ensemble dans l’unique cinéma et fréquenteront les bouges du quai de la Fosse. Ils se reverront trois fois à Paris, en 1917 et une dernière fois en octobre 1918, avant le décès prématuré de celui qu’AB désignait comme son émancipateur.
Lorsqu’il publiera ses Lettres de guerre en 1919, AB reconnaîtra la forte influence qu’il exerça sur lui : « Il a déjoué en moi ce complot de forces obscures qui mène à se croire quelque chose d’aussi absurde qu’une vocation », confessera-t-il (OC I, 194).
« Avare de confidences sur sa vie passée » selon AB, Vaché était né à Lorient le 7 septembre 1895 d’un père militaire de carrière, assez dur avec lui, et d’une mère très sensible. Dès le lycée, à Nantes, il avait fait partie d’un groupe de jeunes anarchistes épris de littérature nouvelle, dénigrant le bourgeois, et se donnant des pseudonymes burlesques. Il avait composé des poèmes symbolistes, qu’il livrait à d’éphémères revues. AB notera son « Umour » sans h (hérité de Jarry), son détachement et son refus des valeurs établies. Relatant leurs aventures nantaises, il dira : « Nous fûmes ces gais terroristes, sentimentaux à peine plus qu’il était de raison, des garnements qui promettent » (OC I, 229).
Voir ses Lettres de guerre (1919) publication numérique.
(Voir le site officiel de Jacques Vaché)
1916
9 janvier 1916 : « Les poètes contemporains nous prêtent mystiquement compagnie » déclare AB à André Paris, lui expliquant comment il peut, grâce à eux, dominer le mouvement moutonnier de ses compagnons.
Il bénéficie d’une chambre pour lui seul à l’hôpital, qu’il décrit à Paul Valéry ce dimanche, lui nommant les peintres : Gauguin, Toulouse-Lautrec, Matisse, Van Dongen, dont il s’est procuré des reproductions.
9 janvier 1916 le poème « À vous seule », suscite ce diagnostic de Valéry : « Quand le Rimbaud, le Mallarmé, inconciliables, se tâtent dans un poète », c’est ce que les physiciens nomment « l’état critique »
Compose le poème « Décembre » (OC I, 10), où apparaît pour la première fois le thème épique ; le soumet simultanément (par correspondance) à Valéry, Apollinaire et à Francis Vielé-Griffin (1864-1937).
10 janvier 1916 : AB écrit au Dr Bonniot, médecin-major dans le même hôpital auxiliaire, demeurant à Nantes avec son épouse, Geneviève, la fille unique de Mallarmé. Il passera chez eux de délicieuses soirées, où il lui sera donné de lire le manuscrit d’Igitur, encore inconnu du public. Voir : (Lettres publiées par J.-L. Steinmetz, Mélusine XV, 1995, p. 253-265).
8 février 1916 : naissance de Dada au Cabaret Volaire, à Zurich (AB en aura connaissance par Apollinaire à qui Tristan Tzara écrivit en octobre 1916. La 1ère lettre de Tzara à Breton est datée du 6 janvier 1919).
14 février 1916 : Apollinaire lui écrit : « Je ne vous donne pas le détail de toutes mes lectures. Les anthologies des classes y jouent un grand rôle. »
19 février 1916 : AB achève le poème « Âge », dédié à Léon-Paul Fargue (1876-1947).
6 mars 1916 : AB s’interroge sur sa vocation poétique. Il en entretient ses correspondants.
« Je voudrais, délivré de l’obsession poétique, me persuader que le cinéma, les pages de quotidien ne recèlent pas ce qu’une mythologie me refuse à présent. » « Raffinement, banalité… Il importe de purger son esprit de ces catégories. Vous sentez le pourquoi » lui répond Valéry.
12 mars : « Il faut être naturel et ne pas avoir peur de fantômes ni des choses simples. […] Je crois que Rimbaud pressentit bien des choses modernes. Mais ni Valéry ni d’autres raffinés ne les ont senties » lui écrit Apollinaire.
22 mars : Vaché versé au 65ᵉ R.I. (Compagnie du Port de Nantes). Breton dit l’avoir vu « décharger le charbon de la Loire ».
19 avril : AB prend contact épistolaire avec Léon-Paul Fargue. « « L’heure que j’ai choisie pour lire Tancrède n’a su gâter mes joies. » lui écrit-il en lui adressant le poème « Âge » qui, faute de réponse, paraîtra sans dédicace.
24 avril : « Br. en rimbaldisme. Crises passionnelles successives dont l’objet varie, de force inégale. » (TF, Carnets, p. 25)
30 avril 1916 : AB à TF : « Annie me sait noble et décline expressivement le verbe tromper. Les euphorbes s’amusent dans l’îlot de l’innocence qui répugne à mentir ». Dans le parc de Procé, AB a été accosté par une jeune fille qui lui récite du Rimbaud : « ce qui m’a valu, un jour où je me promenais seul sous une pluie battante, de rencontrer une jeune fille, la première à m’adresser la parole, qui, sans préambule, comme nous faisions quelques pas, s’offrit à me réciter un des poèmes qu’elle préférait : Le dormeur du Val. » écrira-t-il dans Nadja (OC I, 676). Notons, au passage, que mentionner un soldat mort devant un militaire n’est pas du meilleur goût ! Ce qui n’empêcha pas ce dernier de l’embrasser à minuit, sous l’égide d’une statue de Vénus ou, plus exactement, de la Loire. Par jeu, T.F. accepte de se substituer à Breton dans cette relation sentimentale avec la jeune nantaise éprise de littérature, Annie Padiou. Ils se reverront à Paris et auront une liaison intermittente. « L’ami poursuivait Annie, Annie le poète, le poète son ombre. Aucun d’eux n’atteignit son but » écrira Georges Gabory, le secrétaire de Gaston Gallimard, en relatant ce marivaudage quelques années après (« Soirées perdues », NRF, oct. 1921, p. 416-417). Gabory reparaît dans un rêve d’AB, OC I, 49). Lire l’article de Patrice Allain « Nantes. Qui me hante ? », accompagné des fac-similé des lettres d’AB et d’Annie (Mélusine n° XXXVII, p. 85-102).
10 mai : permission à Paris, 1ère visite à Apollinaire (blessé à la tête le 17 mars 1916, au Bois des Buttes), opéré à l’hôpital du Gouvernement italien, 41 quai d’Orsay : « La première fois qu’il devait m’apparaître physiquement, c’est sur son lit d’hôpital, le 10 mai 1916, soit le lendemain de sa trépanation, ainsi que me le rappelle la dédicace de mon exemplaire d’Alcools. A partir de là, je devais le revoir presque chaque jour jusqu’à sa mort. » (OC III, 437).
Trépanation d’Apollinaire, hôpital italien apollinaire trépanation – Bing images
18 juin : lettre d’AB à André Paris au sujet d’Alice.
23 juin : « La belle, belle vie ! Qu’on vive, ô quelle délicate merveille ! », écrit AB à Fraenkel, pour qui Alice est une femme perverse et stupide (Carnets, p. 36).
7 juillet : AB écrit aux époux Bonniot, s’excuse de n’avoir pu passer la soirée chez eux, retenu à son poste par des tâches indignes. Il demande au docteur de le faire affecter à des activités médicales. Joint 2 poèmes : « A vous seule » (OC I, 43) et « Façon » (OC I, 5)
10 juillet : Fraenkel témoin privilégié de la crise rimbaldienne que Breton traverse à Nantes : Selon lui, Breton serait « Hanté de découvrir le sens moderne, il le cherche, parmi ceux qui vivent, parfois même en lui. ».
AB conviendra que l’envoûtement rimbaldien cessa brusquement lorsqu’il se trouva muté à l’hôpital psychiatrique de Saint-Dizier (Haute-Marne).
Réservé devant le 7ᵉ art naissant, TF constate : « Le cinéma attire Br. Incapable de se justifier par l’affirmation d’une seule belle œuvre parmi tous les films qu’il ait vus, il admire le moyen moderne d’expression en soi. » Puis vient la sentence : « La décrépitude de Br. me navre ».
24 juillet 1916 : AB écrit à P. Valéry : « Je suis conquis par l’espoir du front vu aux lueurs des tirs de G. Apollinaire ou à la faveur du feu d’artifice de sa Nuit d’avril » en lui adressant ce distique à propos de la préfecture où il fait étape deux semaines : « Chaumont : ses bâches, – d’une Aulis / Ayant peu, – sèvrent nos lis. »
26 juillet : a demande, affecté au centre neuropsychiatrique de Saint-Dizier, dirigé par le Docteur Raoul Leroy (1868-1941), spécialiste des hallucinations, ancien assistant de Jean-Martin Charcot (1823-1893).
2 août 1916 : de Chaumont, où il est caserné avant de se rendre à Saint-Dizier, AB écrit aux Bonniot. Il a dû quitter Nantes précipitamment, sans leur dire adieu. Ému des soirées passées à entendre parler de Mallarmé au quotidien, rappelle les relations communes avec Valéry ; Pierre Louys et Apollinaire. Les informe de son affectation à l’hôpital neuropsychiatrique de Saint-Dizier. Joint le poème « Coqs de bruyère » (OC I, 9), composé le dimanche précédent.
3 août : R. Leroy accueille AB avec bienveillance. Il lui confie une tâche d’assistant, et lui accorde un entretien quotidien, très familier. AB le décrit ainsi à TF : « C’est une figure étrange, avec ses cheveux bleus en vieille brosse, ses yeux d’azur clair, sa tête en cube, ses creux sillons nasolabiaux, sa vareuse défraîchi. Il est doux, superbement lucide, blasphème avec élégance et lit La Croix. »
AB est chargé d’interroger les soldats commotionnés, évacués du front, mais aussi ceux qui sont passibles du conseil de guerre. Sa tâche consiste à rédiger une observation, en posant des questions très simples et répétitives.
Leroy lui révèle les pratiques discutables de Charcot, voire sa naïveté : « Charcot ? La perversité des hystériques ? Bast, toutes les femmes ne sont-elles pas putains ? Et Luys ?… Clarisse, Rachel, très bien connues : elles se foutaient de lui. Moi je les ai…’’ Non »
Début août, AB à André Paris : « Je laisse fermenter en mon esprit des penchants contradictoires et je me désintéresse passablement du match », écrit-il à André Paris, prévoyant un arbitrage par les faits ».
Début août, à TF : « Une crise intellectuelle très douloureuse brise mes forces. Elle est connue sous le nom de psychopathophobie ! Je me suis consacré un peu trop exclusivement ces derniers jours à l’examen des malades. C’est rouvrant les Illuminations que j’ai pris peur. Ne trouvant plus sacré le désordre de l’esprit, je m’agitais sur l’aboutissement de la méthode littéraire : faire venir sur quelque sujet de multiples idées, choisir entre cent images. L’originalité poétique y réside. “Ma santé fut menacée. La terreur venait”, dit Rimbaud. Je viens de connaître le même ébranlement sous le coup de ces nouveautés. Des phrases comme : ‘’Ma jeunesse, – M. Le Major – je viens d’absorber du lait qui, j’espère, vous la fera paraître blanche’ ou : “depuis vingt-trois mois, je prostitue ma peau au canon de l’ennemi “, ne voilà-t-il pas des images étonnantes, à des échelons plus haut que celles qui nous viendraient ? Cependant je ne puis trouver pour cela d’admiration. L’anormalité des crânes, les fameux prognathismes de ces gens s’y opposent. Je me borne à leur jalouser quelques fonctions intellectuelles, parfois. Souvent aussi, je me vante nos différences et à l’encontre de mon dessein poétique je tends encore à m’éloigner d’eux. Comprends-tu, je crains que cette dernière réaction exécute en moi la poésie… Pardon si déjà je ne sais plus parler ».
Le sujet d’études me passionne. Enfin : je pourrai rire des psychologues amateurs, en sachant bien plus qu’eux ! »
7 août : AB à Valéry : « Mon service entier revient à un interrogatoire continu avec qui la France est-elle en guerre et à quoi rêvez-vous la nuit ? »
19 août : « Br. dans son hôpital de fous s’émeut et s’épouvante de voir des aliénés plus grands poètes que lui ». Fraenkel, Carnets.
30 août : TF s’interroge : « Br. évolue vers le plus terrible drame : abandon de sa jeunesse, abjuration de l’art. Pourquoi ? » Carnets.
31 août : résumant ses nouvelles lectures scientifiques AB à TF : « Démence précoce, paranoïa, états crépusculaires. / O poésie allemande, Freud et Kraepelin ! »
Il lit le manuel de E. Régis et A. Hesnard, La Psychoanalyse des névroses et des psychoses (1914), qui le fait s’enthousiasmer pour la théorie freudienne, pages rédigées par le seul Henard à qui il adressera cet envoi sr Nadja : « Au Dr Hesnard qui, presque seul en France, promène une lampe non éteinte dans les châteaux en ruine de l’esprit, respectueux hommages ». Il recopie des pages entières pour Fraenkel, qu’il tente de convertir à cette méthode de traitement. Il en parlera aussi à Valéry et Apollinaire (15 août 1916), leur suggérant de s’y intéresser pour leur propre activité poétique.
25 septembre : AB précise à TF les ouvrages de psychiatrie qu’il pratique, et qui lui font conjurer l’amour et la poésie : E. Régis, Précis de psychiatrie ; Gilbert Ballet, Traité de pathologie mentale, Leçons de clinique médicale sur les psychoses et les affections nerveuses ; Maurice de Fleury, Introduction à la médecine de l’esprit ; Magnan, Leçons cliniques sur les maladies mentales ; Charcot, Leçons sur les maladies du système nerveux ; Constanza Pascal, La Démence précoce…
Simultanément, il s’initie à la neurologie, à laquelle le Dr Babinski consacre une part spécifique, à l’écart de la psychiatrie. Il prend goût à ses études, au point de penser à devenir psychiatre dans un asile !
10 octobre : AB écrit à Annie Padiou : « Les années du voyage, je compte, Annie, te retrouver souvent. Je ferai attention à ne point m’attendrir, tu sauras ne jamais me détourner du but. J’arriverai ! (…) En route ! » (copie pour servir d’observation à TF)
11 octobre : AB écrit à TF : « Je m’occupe un peu d’hystérie, je me procurerai de nouveaux bouquins ». « J’attends de te revoir en un cadre quelconque, aussi bien Paris, tout en craignant pour ma volonté. Dame, elle ne se raffermit pas, subit maint contre-coup ! Ce sont encore ces lettres déchirées et récrites, ce flottement, l’autre phobie du temps perdu, la dépréciation du rendement. Qu’on me donne un psychiatre viennois : je paierai. Moi qui dis tout de suite de ce monsieur, cultivateur ou grand-duc : un débile, un dégénérescent, je suis impuissant à traiter mon psychique propre. Sédol, bromure, douches froides ? »
11 octobre : Vaché interroge : « Vos illuminés ont-ils le droit d’écrire ? – je correspondrais bien avec un persécuté ou un “catatonique” ». (Lettres de guerre)
27 octobre : AB compose le poème « Soldat » : « Je m’éclaire aux lampres d’Aladin » OC I, 44). Il écrit à TF : « J’éprouve un malaise physique incaractérisable, nullement localisable. Mentalement c’est trop de complaisance à la pluie, au froid, une souffrance comme de facultés rétractées. […] Je répondais par monosyllabes à Leroy, toute la visite ».
29 octobre : au cours d’une permission, TF est allé voir AB dans son hôpital : « La transformation d’A.B. est effrayante. Il me contraignit toute la soirée à l’écouter sur la démence précoce, et m’intéressa, moi passif ! comme toujours… » (Carnets, p. 61)
8 novembre : « Je suis peut-être à la veille d’éprouver une admiration bizarre et, comme d’ordinaire, bruyante pour le docteur Babinski. J’examine avec complaisance les progrès de ma volonté : je fais occuper par un ami la place d’externe vacante à la clinique neurologique de la Pitié. Je saurai ainsi ce qui me plaira ».
12 au 19 novembre : permission à Paris. AB revoit Valéry. Apollinaire lui reprochera de ne pas lui avoir rendu visite.
À son retour, directement envoyé au front, dans un groupe de brancardiers divisionnaires, en dépit des protestations du Dr Leroy.
AB ému par un soldat d’une bravoure démente, qu’il a fallu ramener de force de la ligne de feu où il prétendait commander aux obus. Il compose « Sujet » (OC I, 24) qui paraîtra dans Nord-Sud, n° 14, avril 1918.
18 novembre : AB à RF, à propos de La Jeune Parque dont Valéry lui a soumit le manuscrit : « Il y a donc abdication. Monsieur Teste fut un fantoche […] musique autour d’un tombeau, camaïeu gris ». (OC I, 1 434)
Conclusion, en 1952, sur son affectation à Saint-Dizier : « Le séjour que j’ai fait en ce lieu et l’attention soutenue que j’ai portée à ce qui s’y passait ont compté grandement dans ma vie et ont eu sans doute une influence décisive sur le déroulement de ma pensée. C’est là (…) que j’ai pu expérimenter sur les malades les procédés d’investigation de la psychanalyse, en particulier l’enregistrement (…) des rêves et des associations d’idées incontrôlées. On peut déjà observer en passant que ces rêves, ces catégories d’associations constitueront, au départ, presque tout le matériel surréaliste. » (Entretiens, OC III, 442)
Fin novembre : « profit et déficit, j’ai quitté Saint-Dizier pour une formation sanitaire de l’avant. J’emporte Rimbaud dans mon sac, un livre en cas de recours sur la Démence précoce et j’attends l’Ecce Homo de Nietzsche. Je suis très malheureux, l’absence de TF au groupe m’eut fait agonisant. Figure-toi : je rentrais de Paris, méditant sur un entretien rue de Villejust et me souvenant du charme de vers inattendus. Cela peut paraître et tu seras surpris. Je te recommande Le Poète assassiné […] Merveilleux de couleur et de sens moderne. Inquiétudes mentales persistantes, inhibition prolongée de la faculté créatrice. » (Lettre AB à René Hilsum, Catalogue de la vente Drouot-Richelieu, 17 mars 1994).
18 décembre : participe comme brancardier à l’offensive de la Meuse.
19 décembre 1916 : fin de la bataille de Verdun (depuis le 21 février 1916).
20 décembre : AB envoie le poème « Soldat » à Apollinaire.
30 décembre : AB à Valéry : durant dix jours, il campe dans une cave parmi les ruines, faisant le tri des blessés à la lumière d’une lampe à acétylène. Les fusées éclairantes détachent, un instant, la silhouette des troncs d’arbre fracassés, et c’est à nouveau la nuit. (OC I, 1116). Voir « Je m’éclaire aux lampes d’Aladin… » (OC I, 44). Pour Valéry il commente : « Je ne sais pas combien les impressions ressenties là peuvent être estimées. Il me semble à présent avoir éprouvé quelques heures de vertige assez agréable. Ainsi par exemple advient‑il de ce beau minuit où j’ai traîné jusqu’à la péniche d’évacuation, sous le bombardement, à plusieurs kilomètres, « la chignole » porte-brancard – dans l’argot de mes compagnons. Je compare cela à la volupté de nager, de galoper. La muse d’Apollinaire un certain temps me soutenait. »
30 décembre 1916 : lettre aux Bonniot. AB relate ses épreuves comme brancardier lors de l’offensive de Verdun, à 500 m des lignes ; évoque les soirées passées à Nantes, critique son style poétique. Vœux. Prochaine permission, espère relire « Un coup de dés ». Joint : « Décembre » remanié.
1917
8 janvier : après sa permission, AB est affecté à la 22ᵉ section d’infirmiers militaires à Paris, afin de suivre des cours au Val‑de‑Grâce pour devenir médecin-auxiliaire. Tous les après-midi, de 14 à 18 heures, il se morfond « dans les cours les plus intérieures » écrit-il à Valéry.
Fin février, AB est attaché comme externe au Centre neurologique de la Pitié, dans le service du Professeur Babinski. AB l’assiste et il admire la fièvre du chercheur. Ce dernier lui dédicace son Hystérie-Pithiatisme et troubles nerveux d’ordre réflexe en lui prédisant un grand avenir médical. Rencontre régulièrement Apollinaire, Valéry, Royère.
20 février au 30 août 1917 : officiellement alité dans le service du Pr Aron à la Salpétrière pour une crise d’appendicite.
15 mars 1917 : Reverdy crée la revue Nord-Sud.
23 mars : « André Derain » (OC I, 11) son unique poème de l’année.
24 mars 1917 : Apollinaire lui demande d’écrire à son sujet : « Je ne connais personne qui puisse aussi bien parler de ce que j’ai fait que vous. »
1ᵉʳ avril : début d’une correspondance avec Pierre Reverdy : « Votre poème « André Derain » passera dans Nord-Sud après avril, le numéro de ce mois étant prêt… » De fait, le poème sortira dans le n° 12, février 1918. (voir 32 lettres inédites à AB publication numérique).
4 avril : AB chez Apollinaire « par un temps impossible et, pour une première sortie, rester plus d’une heure à genoux en train d’exhumer de merveilleuses gravures, me redonne la fièvre » confie-t-il à André Paris le lendemain.
26 avril : subit une intervention chirurgicale à la Pitié.
29 avril : Vaché propose à Breton deux définitions de l’« Umour » : « Il est dans l’essence des symboles d’être symboliques » et « Je crois que c’est une sensation – J’allais presque dire un SENS – aussi – de l’inutilité théâtrale (et sans joie) de tout. »
3 mai : AB à André Paris : « Rien de menaçant, que mélancolie de blanche station, et du malade égoïste : je suis bien incapable d’écrire, vous en jugez… »
5 mai : TF retour de sa mission en Russie.
18 mai 1917 : Parade de Cocteau, créé au Châtelet, dans sa préface, Apollinaire crée le mot « sur-réaliste »
13 mai : AB à A. Paris : « L’admirable poème de Paul Valéry La Jeune Parque, vient seulement de paraître. Vous l’aimerez, je crois, infiniment. »
19 mai : AB à Valéry : « Que j’ai aimé votre Jeune Parque ! Je ne me lasse point de la relire et c’est un enchantement sans fin, auquel je suis voué pour bien des ans. Cette poésie a les traits miraculeux de l’éternel ».
26 mai : TF va le voir à Moret, lui apporte L’Éducation sentimentale dont la lecture le met de mauvaise humeur.
Juin 1917 : TF part en mission en Russie.
19 juin : au Café de Flore, Apollinaire lui présente Philippe Soupault : « Il faut que vous deveniez amis ». Celui-ci lui apparaît « comme sa poésie, extrêmement fin, un rien distant, aimable et aéré ». Son recueil de poèmes, Aquarium, paraîtra le mois suivant. Depuis février, il est à l’hôpital auxiliaire 47, au 121 boulevard Raspail une bronchite récurrente ; ce qui ne l’empêche pas de courir les rues, tout comme Apollinaire qui reçoit ses amis au Flore tous les mardis de 15h à 17h !
24 juin 1917 : création des Mamelles de Tiresias, « drame sur-réaliste » de Guillaume Apollinaire, mis en scène par Pierre Albert-Birot au Conservatoire Renée Maubel, rue de l’Orient (à Montmartre). Le spectacle commence avec un retard considérable, et le public est prêt à exploser. AB est dans la salle, avec son « légendaire ami » Jacques Vaché. Il forge sa légende, assurant qu’il était en tenue militaire, prêt à tirer à balle sur le public. Il soupçonnait Apollinaire, dont il n’appréciait pas la poésie, de « faire de l’art trop sciemment, de rafistoler du romantisme avec du fil téléphonique, et de ne pas savoir les dynamos » (Jacques Vaché, lettre à AB, 18 août 1917). Réjoui de la pièce, AB estime qu’elle n’annonçait pas une révolution théâtrale.
« Mon légendaire ami Jacques Vaché voulait tirer à balles sur le public » (Aragon, « Le 24 juin 1917 », SIC, n° 27, mars 1918).
26 juin 1917 : « Rencontre à Paris de Jacques Vaché, que nous avions aimé à Nantes ; l’ironiste, l’humouriste, le mystificateur féroce, menteur aristocrate et dédaigneux » note Fraenkel dans ses Carnets, p. 83.
Juillet 1917 Tzara crée la revue Dada à Zurich.
11 juillet : Reverdy lui écrit : « J’avais justement l’intention de faire paraître dans le prochain Nord-Sud votre poème « L’an suave ». Mais pour établir librement et en temps voulu ma mise en pages, il faut que je puisse sans restrictions disposer des manuscrits qui me sont confiés. » Ce poème paraîtra dans le n° 6-7 en sept. 1917.
22 juillet : Musidora (1889-1957), l’inoubliable interprète des Vampires de L. Feuillade, se produit à Bobino. Spectateur actif, AB lui lance un bouquet de roses et lui écrit « Quel poète ne s’honorerait aujourd’hui de vous avoir pour interprète » (OC I, 1 745).
5 août : envoi « À André Breton / en souvenir de sa visite le / lendemain de ma trépanation / le 10 mai 1916 / Guillaume Apollinaire / le 5 août 1917 » sur un exemplaire d’Alcools, poèmes 1898-1913, Paris, Mercure de France, 1913, coll. Part. (voir Potlatch André Breton)
18 août : Vaché reproche à Apollinaire de « faire de l’art trop sciemment, de rafistoler du romantisme avec du fil téléphonique, et de ne pas savoir les dynamos ».
1ᵉʳ septembre : AB quitte à regret la Pitié. Affecté au Val-de-Grâce pour y suivre les cours préparant l’examen donnant accès aux fonctions de médecin-auxiliaire.
6 septembre 1917 : premier emploi du mot « surréalisme » : « Je puis dire que j’ai collaboré à la préface des Mamelles. L’homme, en voulant reproduire le mouvement, crée la roue pleine, sans rapport avec l’appareil des pattes qu’il a vu courir. L’appareil moteur de la locomotive retrouve ce jeu d’articulation dont la pensée de l’inventeur est partie. Le surréalisme comporte cette invention et ce perfectionnement. » (AB à TF).
6 septembre 1917 : tandis qu’Apollinaire le reçoit dans son pigeonnier du Bd Saint-Germain, AB confie à A. Paris qu’il préfère se promener le long des quais, chez les bouquinistes, à la recherche de Fantômas ou d’un Naz‑en‑l’air.
19 septembre : AB informe TF qu’il a reçu d’Annie Padiou « une lettre inattendue, équivoque et fâcheuse. »
Septembre : 7 rue de l’Odéon à Paris, AB découvre la Maison des amis du Livre d’Adrienne Monnier : « Nous eûmes tout de suite de grandes conversations. Je crois bien que nous ne fûmes jamais d’accord. Même sur les sujets où nous aurions pu nous entendre : Novalis, Rimbaud, l’occultisme… il avait des vues exclusives qui me dépaysaient tout à fait. Il était beaucoup plus “avancé” que moi. Je lui paraissais certainement réactionnaire. […] Il était si fasciné par Mallarmé qu’il écrivait ses lettres en adoptant le ton courtois et précieux du maître, qui était très vieille-France. » (A. Monnier, Rue de l’Odéon, Albin Michel, 1960, p. 96).
Fin septembre 1917 : rencontre d’Aragon au Val-de-Grâce. Leur coup de foudre a été conté par Aragon dans l’article « Lautréamont et nous » des Lettres Françaises, n° 1185, 1ᵉʳ juin 1967, p. 5-9, et n° 1186, 8-14 juin 1967, p. 3-9, repris en volume aux éditions Sables, 2003. (L’hebdomadaire n’est pas numérisé par Gallica-BnF au-delà des années 50).
De fait, AB et Aragon se sont entrevus à la librairie d’Adrienne Monnier.
AB le décrit à TF : « Mais vraiment un poète, avec des yeux levés très haut, sans rien dans le geste de contenu, et si mal adapté ! Tout à fait jeune, avec une joie peut-être un peu moins terrible que la nôtre. » (in M. Bonnet, p. 120-121). Aragon n’a que dix-huit mois de moins qu’AB, mais il se considère aussitôt comme son « instrument » (jusqu’à son émancipation brutale en 1932). Ils occupent la même chambrée, qu’ils décorent de reproductions de Picasso, Braque, Matisse, Chagall et Cézanne, partagent les tours de garde et prennent le café ensemble puis ils parcourent le Boul’Mich’ en évoquant leurs auteurs préférés. Si le précoe Aragon a tout lu, c’est tout de même Breton qui est le plus avancé en matière de ploésie, puisqu’il fréquente Valéry et Apollinaire.
Octobre 1917 : Aragon et Breton achètent à A. Monnier le stock du numéro de Vers et Prose (1ᵉʳ trim.1914) contenant le premier Chant de Maldoror.
19 octobre 1917 : en remontant au front, Vaché passe par Paris où il rencontre Breton. Attablés au café, ils tentent de mettre au point une conférence de Vaché sur l’umour (sans h) : « Je crois que c’est une sensation – j’allais presque dire un sens aussi – de l’inutilité théâtrale (et sans joie) de tout. QUAND ON SAIT. » (lettre du 29 avril 1917). Cependant, Vaché n’est pas d’humeur à discuter, ce jour-là, et il s’en va seul le long du canal de l’Ourcq.
25 octobre : Révolution d’octobre en Russie.
26 novembre 1917 au Théâtre du Vieux-Colombier : conférence d’Apollinaire : « L’esprit nouveau et les poètes », AB a fait le choix des lectures. Cf. Henri Béhar, « La jambe et la roue », Que Vlo-ve ?, 31ᵉ A., n° 21, p. L’organisateur de la conférence, le comédien Pierre Bertin (1891-1984), qu’AB à rencontré au Val-de-Grâce où il est élève en médecine, lui propose d’intervenir sur la poésie nouvelle.
1918
2 janvier : AB à Valéry : « Vous me feriez convenir de mille choses à mon détriment. Je ne me retrouve qu’après vous avoir quitté. C’est vous reconnaître sur moi un grand pouvoir. Je saisis quelques uns des moyens de votre action. Mais la plupart sont mystérieux et infaillibles. (L’occulte me ravit et m’effraie). »
4 janvier 1918 : du Val-de-Grace, AB au Dr Bonniot. Compte sur lui pour le rapprocher de Valéry, n’écrit pas de poèmes mais plusieurs articles critiques. Annonce sa causerie sur Jarry au théâtre du Vieux-Colombier (OC I, 216-226), dit son attachement à Barrès.
6 janvier : 1ᵉʳ envoi lettre Tzara à AB par l’intermédiaire de P. Reverdy, Nord-Sud…
10 janvier : lettre de P. Reverdy : « … Je trouve que vous avez un métier sans défaut et qu’on ne saurait guère trouver à redire à vos poèmes quand on les envisage sans aucun parti pris de tendances. Mais mes efforts, mes recherches ne sont pas dans le même sens que les vôtres et ce disant je ne vous apprends rien. C’est pourquoi vous ne figurez pas tous les mois au sommaire de Nord-Sud. Pourtant je n’ai pas cessé de vous considérer comme collaborateur de ma revue et vous le prouverai… »
22 janvier : en vue d’une conférence prévue au Vieux-Colombier en février ou mars, AB enquête sur Jarry auprès de Valéry, L.-P. Fargue n’a pas répondu, AB devra consulter Rachilde, l’épouse du directeur du Mercure de France, la seule amie et protectrice de Jarry. Conférence annulée en raison des tirs de la Grosse Berta sur le nord de Paris, elle paraîtra dans Les Écrits nouveaux, n° 13, janvier 1919.
Mars : Nord-Sud n° 13, définition de l’image par Reverdy : « « L’image est une création pure de l’Esprit. Elle ne peut naître d’une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées. Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte – plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique. » AB la discute. Il la reproduira en la modifiant.
Mars – avril : AB rend régulièrement visite à Apollinaire, au 202 Bd Saint-Germain, « entre les rayons de livres, les rangées de fétiches africains, des tableaux : Picasso, Chirico, Larionov… ». Il y découvre les deux premiers numéros de la revue Dada.
En mars, les 3 amis rendent visite à P. Reverdy le dimanche : « « Vous êtes tous trois, avec Aragon et Soupault, des amis que je suis fier et heureux d’avoir gagnés. Votre jeunesse, votre sincère pureté me donnent une satisfaction que l’on a bien rarement en art… » Reverdy à AB, 30 mai 1918.
Mars-avril 1918 : selon Aragon, au dernier étage du Val-de-Grâce, où sont enfermés les malades mentaux, le « 4e Fiévreux », Aragon et Breton se portent volontaires pour l’assistance médicale. Ils lisent à haute voix le 5ᵉ chant de Maldoror, dans l’exemplaire acheté par Soupault dans une librairie du Bd Raspail.
8 avril 1918 : Reverdy regrette d’avoir manqué les 3 amis (AB, Aragon, Soupault) venus le voir chez lui. Il lui écrit à propos de « Sujet » composé à Saint-Dizier : « Je crois que l’orientation qui se dessine dans votre dernier poème serait heureuse et donnerait de bons fruits. Votre talent trouvera mieux par là sa libre discipline. »
15 avril 1918 : achevé d’imprimer Apollinaire, Calligrammes, Mercure de France.
23 avril-1ᵉʳ mai : AB hospitalisé à Saint-Denis, hôpital auxiliaire n° 3.
Fin avril : échec somation médecin-auxiliaire.
7 mai : AB envoie « Sujet » à Valéry qui commente ainsi : « Savez-vous que cette espèce de prose m’a fort intéressé ? Quelques procédés rimbaldiques, peut-être certaines longueurs alourdissent ou désaxent ce monologue du poilu mental. Essayez de ne plus trop penser au grand Arthur. Il suffit d’y avoir pensé. Mais au travail il ne faut penser qu’à son affaire. Enlevez ce qui concerne les torpilles. Ce morceau vaut d’être repris. C’est un homme qui parle tout seul, à demi-voix, et tient des propos ni pour quelqu’un ni pour soi-même… À quand ce prosateur ? »
16 mai : AB affecté comme infirmier dans un régiment d’artillerie.
18 mai : rayé du registre des inscriptions en médecine à Paris (motif : inscrit à Nantes).
Les parents d’AB quittent Pantin pour résider à Lorient.
L’été à Moret
21 mai au 21 septembre 1918 : AB affecté comme infirmier auprès d’un régiment d’artillerie lourde à Moret‑sur‑Loing (Seine et Marne). Y passe un été « normal » écrit-il à Valéry le 19 juillet. Intrigué par le recueil de Jean Paulhan sur les Hain‑teny Merinas, poèmes-devinettes de tradition populaire malgache. Entreprend une correspondance avec l’auteur.
Juin 1918 : Tristan Tzara : Vingt-cinq Poèmes, Zurich. Recueil signalé par P. Albert-Birot en sept. à Aragon qui en informe AB
6 juin : AB informe Aragon : « Il semble qu’on va me rappeler à Nantes en juillet. »
9 juin : Aragon emprunte à Soupault Les Chants de Maldoror pour AB cantonné en qualité d’infirmier à Moret/Loing auprès d’un (confirmé par une lettre de Reverdy du 16 juin).
10-14 juin : Aragon lui écrit de Paris : « Je vais t’envoyer Poe, Soupault t’envoie Maldoror et à TF Paludes. (Lettres à Breton, Gallimard, p. 108)
12 juillet : AB communique à Aragon la trame de son article sur le lyrisme (promis à Reverdy au début de l’été, qu’il n’achèvera jamais) : « Tous les moyens d’expression lui sont bons. Confusions : de plan, de temps, de ton […] Mille autres péchés adorables contre la langue, (tu passes à une autre) la syntaxe (d’abord l’ellipse première celle du verbe) […] le mot faible ou usé en désespoir de cause, Beau comme Lautréamont, fautes d’orthographe comme dans les lettres d’amour, rimes soudain pauvres si tu te sers couramment des rimes, les indéfinis, près du ruisseau où tout se tient. Toutes les autres façons de donner sa langue au chat. Finalement les blancs comme la vie de Rimbaud après 1875 » (Fonds Aragon CNRS)
17 juillet 1918 : s’inscrit à la faculté de médecine de Nantes (cf. Le Rêve d’une ville. Nantes et le surréalisme. Musée des beaux-Arts de Nantes, 1994, p. 215-229).
20 juillet 1918 : AB à Aragon qui est sur le front : « Attention tout de même au canon ».
25 juillet : Valéry, qui a reçu ses 3 poèmes de l’année, exige un sonnet : « C’est à prendre ou à laisser ». Réponse d’AB : « je laisse ».
26 juillet 1918 : AB à Jean Paulhan : «« Vous trouveriez sans doute impertinent que je vous dise : Vous êtes précisément l’ami que j’attendais à cette époque de ma vie. J’ai vingt-deux ans. Il me semble, après cet aveu, que vous allez changer avec moi. » (Correspondance AB-Paulhan, Gallimard, 2022)
29 juillet 1918 : Lettre à TF : projet (non abouti) d’un livre sur des peintres contemporains, avec Aragon et Soupault. « Soupault, Aragon et moi nous allons entreprendre en collaboration un livre sur des peintres. J’ai proposé et fait adopter cette liste : Henri Rousseau, Henri Matisse, Picasso, André Derain, Marie Laurencin, Georges Braque, Juan Gris, Georges de Chirico. » (O.C I, 1083) Il pense aussi écrire un roman, en alternant les chapitres avec Aragon.
5 août 1918 : dédicace : « à André Breto(n) Guillaume Ap(ollinaire) août 1916 ». (Atelier AB)
Envoi d’Apollinaire : « A mon ami André Breton / très cordialement, / Guillaume Apollinaire. » Les Mamelles de Tirésias, drame surréaliste en deux actes et un prologue, avec la musique de Germaine Albert-Birot et sept dessins hors-texte de Serge Férat, ÉO, Paris, Éditions SIC, 1918, In-8°, 108 p.
Apollinaire lui écrit en août : « Quoi ! Le poète n’aurait ni le droit de se récréer, ni celui de se délasser, quand au contraire je crois que les travaux et les jours du poète ne doivent être que récréations et délassements. La souffrance, la passion n’y ont pas moins de part »
De même, il signe les épreuves dernières de : Calligrammes. Poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916), Paris, Mercure de France, 1918 : « À André Breton/ cette dernière épreuve / de Calligrammes / très amicalement / Guillaume Apollinaire »
juillet‑août 1918 : dans sa correspondance avec Aragon et Soupault, AB recopie les passages des Chants de Maldoror qu’il préfère.
Début août : permission, pour Lorient où vont désormais ses parents.
Pratique l’écriture automatique : Usine (Champs magnétiques) ???
14 août : AB écrit à Aragon : t‑il arrivé ? ». Celui-ci a été enseveli par des obus trois fois la même journée, le 5 août, à Couvrelles.
12 septembre : définit ce qu’il entend par « lyrisme » : « Les invariables : locutions toutes faites, lieux communs, papiers peints ou faux bois. Et le lyrisme en peinture ce sera le Journal collé dans le Portrait de Chevalier X, la nacre de l’enseigne Café Bar chez Braque ». (Fonds Aragon, CNRS). Sa lettre se termine par un tableau, « Ceux que j’aime encore » : « Rimbaud, Derain, Lautréamont, Reverdy, Braque, Aragon, Picasso, Vaché, Matisse, Jarry, Marie Laurencin. »
16 août : le projet d’ouvrage sur l’esprit moderne est restreint à Rimbaud, Lautréamont, Jarry, Cézanne, Henri Rousseau, Matisse, Derain, Picasso. Provisoirement écartés : Apollinaire, Marie Laurencin, Reverdy, Braque, De Chirico.
20 août-1ᵉʳ septembre : permission pour la Bretagne : Carnac, Lorient, Nantes. « Une assez jolie résurrection du passé » (à TF).
2 octobre : AB a revu Annie Padiou. A TF : « Elle part en Nouvelle-Zélande à la fin du mois. Vous savez qu’elle se marie. Je fais peut-être une gaffe. A un Américain, un simple soldat. Il n’est pas joli, joli, vingt-huit ans, il porte des lunettes. Sa photo est sur la cheminée, venez voir. : Mais non elle a pris le chéri avec elle. Partir si loin, une enfant, vous savez, par certains côtés. Elle pleure ces temps-ci quelquefois, elle est bien décidée. Là-bas, il serait avocat, pourtant il n’a pas l’air bien riche. Il ne lui a encore rien offert. » De fait, Annie s’est effectivement mariée à Wellington. (cf. fac-simile, Mélusine, n° XXXVII, 2017, p. 105)
15 octobre 1918 : article de AB sur Apollinaire dans L’Éventail, n° 10, Genève : « « Si l’enchanteur m’avait dévoilé tous ses secrets, je l’eusse enfermé déjà dans un cercle magique et fait entrer au tombeau » ? (OC I, 215)
À la demande d’Apollinaire, se rend chez Vlaminck pour juger des décors qu’il peint pour Couleur du temps. Texte : Couleur du temps – Wikisource
Octobre 1918 : AB fait la connaissance de Modigliani sur un banc du Bd du Montparnasse. Lui achète un dessin qui, dit-il à Aragon, lui plaît de plus en plus.
1ᵉʳ novembre : rend visite à Picasso (cf. deux lettres à Aragon, datées du 1ᵉʳ novembre 1918).
8 novembre : AB écrit à Aragon qu’il va voir Apollinaire malade.
9 novembre 1918 Mort d’Apollinaire.
10 novembre : « Apollinaire est au plus mal… Mais Guillaume / Apollinaire / vient de mourir ».
13 novembre : enterrement d’Apollinaire au Père Lachaise. AB porte un bouquet de fleurs blanches : Jacqueline Apollinaire lui remet un objet du défunt, ce « terrible encrier en bronze doré, effigie et souvenir de la Basilique du Sacré-Cœur », vers lequel il avait vu souvent aller et venir son porte-plume en forme de rame ». (désormais conservé à la BLJD).
Huit plumes et porte-plumes d’Apollinaire. © www.andrebreton.fr 14 novembre : Vaché : « je sortirai de la guerre doucement gâteux, peut-être bien, à la manière de ces splendides idiots de village ».
19 décembre 1918 J. Vaché à AB : « J’ai reçu votre lettre en multiples découpures collées, qui m’a empli de contentement – C’est très beau, mais il y manque q[uel]qu’extrait d’indicateur de chemin de fer. »
Dada, n°3. Dada archive Iowa Décembre 1918 : Tristan Tzara, « Manifeste Dada 1918 », Dada, n° 3, Zurich. Voir : http://sdrc.lib.uiowa.edu/dada/dada/3/cover.htm