L'effet Maldoror chez Tristan Tzara
par Henri Béhar, le 3 décembre 2005
PASSAGE EN REVUES« L’effet Maldoror chez Tristan Tzara », La Littérature Maldoror, actes du septième colloque international sur Lautréamont, Cahiers Lautréamont, livraisons LXXI-LXXII, 2005, p. 130-137.
L’avantage de ce « passage en revues » est que je peux fournir les données qui ont présidé à la naissance de cet article. Comme l’indique la notice bibliographique, c’est d’abord un texte composé pour une intervention orale, au colloque international organisé par les amis belges de Lautréamont, qui l’ont ensuite publié dans les actes de cette rencontre. En voici donc le programme, suivi de la table des matières de ce numéro des Cahiers Lautréamont. J’y ajoute un document inédit : le relevé intégral des passages consacrés à Lautréamont par Tristan Tzara dans ses œuvres complètes.
I. Programme du 7e colloque Lautréamont
La littérature Maldoror
Liège/Bruxelles, 4-6 octobre 2004
Sous la direction de Paul Aron, Jean-Pierre Bertrand et Pascal Durand
Avec la collaboration de Frans de Haes
Conseil scientifique : Michel Pierssens, Henri Scepi, Naruhiko Teramoto
Si le chantier en reste ouvert, l’étude des sources du texte ducassien a connu, ces dernières années, de considérables avancées. Le temps est sans doute venu aujourd’hui de passer de l’amont à l’aval et de soumettre à exploration intensive le champ de sa réception, entendue non seulement comme l’ensemble des relais littéraires par lesquels ce texte « énergumène » a transité avant de s’inscrire – mais à quelle place, dans quelle mesure et avec quels effets ? – dans ce qu’il est convenu d’appeler la poésie moderne, mais entendue également comme l’ensemble sédimenté des appropriations théoriques et critiques dont il a fait l’objet depuis ses premières lectures jusqu’à nos jours. Un texte, si déviant qu’il soit, ne naît pas de rien. Un texte, aussi bien, ne reste pas égal à lui-même, identique à soi, à mesure qu’il est reçu, relayé, réactivé, réactualisé par de grands lecteurs ou de grandes lectures (qui peuvent, au reste, apparaître comme des lectures faibles au regard de la complexité ou de la labilité que leur oppose le texte en question). L’objet du colloque est de prendre la mesure de ces effets de lecture et des transformations successives que le texte ducassien a subies ou auxquelles il a su résister pendant plus d’un siècle.
Programme
4 octobre 2004 : Université de Liège
9h20 : Accueil des participants. Allocution du Doyen de la Faculté de Philosophie et Lettres
1 - Beau comme Maldoror
La psychanalyse, la linguistique, la sémanalyse, la pragmatique, la rhétorique de la lecture ou encore la sociologie littéraire ont tour à tour tenté d’arraisonner le texte ducassien pour en rendre raison autant que pour en faire la bannière de différents paradigmes en lutte sur la scène intellectuelle. Il ne s’agira pas seulement de dresser le bilan de ces appropriations théoriques. Il s’agira bien davantage d’évaluer la capacité de résistance des Chants de Maldoror et des Poésies au double effet de réduction et de radicalisation exercé par de telles appropriations. Dans quels lieux du texte, sous quelles formes cette résistance opère-t-elle ? Comment la dimension pulsionnelle du texte s’exerce-t-elle jusque dans sa compulsion déconstructrice ? Dans quelle mesure son efficace proprement poétique demeure-t-elle en deçà ou au-delà de son pouvoir de démantèlement des illusions littéraires ? De quelle étoffe indéchirable, indéchiffrable est faite la « beauté » de ce texte ?
Président de séance : Pascal Durand
9h30 : Jean-Pierre Goldenstein (France), « Le retour du référent »
9h50 : Philip G. Hadlock (USA), « Beauté et monstruosité »
10h10 : Yojiro Ishii (Japon), « Le corps de Maldoror »
Discussion
10h30 : pause café
Président de séance : Yojiro Ishii
11h : Pascal Durand (Belgique), « Le texte et ses grilles »
11h20 : Henri Scepi (France), « Le romanesque dans Les Chants de Maldoror »
11h40 : Peter Nesselroth (Toronto), « Beau comme tout ; ou plutôt, comme n’importe quoi »
Discussion
12h30 : déjeuner
Président de séance : Henri Scepi
14h : Constanze Baethge (Allemagne), « Ton et diction : le discours Maldoror »
14h20 : Laurent Dubreuil (France), « Une lecture hypnagogique »
14h 40 : Christophe Hanna (France), « La littérarité des Chants »
Discussion
Président de séance : Jean-Pierre Goldenstein
15h30 : Jean-Luc Steinmetz (France), « Maldoror et ses incipits »
15h50 : Michel Pierssens (Québec), « Les Poésies de l’avenir »
16h10 : Jean-Pierre Bertrand (Belgique), sujet à définir
Discussion
En soirée : exécution du Maldoror de Michel Fourgon
5 octobre 2004 : Université de Liège
2 - Les effets Maldoror
Machine à récrire, à déposer et à démonter les moteurs de la chose littéraire, le texte ducassien s’est lui-même prêté à reprises, récritures, travestissements, de Léon Bloy à Michel Houellebecq, de Tzara à Debord, de Henri Michaux à Le Clézio, parmi d’autres. La carte de ce paysage reste à établir, comme des effets et des enjeux dont ces réappropriations littéraires ont été porteuses. Qu’arrive-t-il, tant au texte repris qu’à celui qui le reprend, lorsque de telles opérations ont lieu ? Avec quels effets – de sens, de légitimité ? En quoi la position à l’égard du texte ducassien constitue-t-elle l’un des enjeux de la production littéraire contemporaine, l’un de ses marqueurs ?
Président de séance : Jean-Pierre Bertrand
9h : Alain Chevrier (France), « La résistible réception d’Isidore Ducasse dans les anthologies de poètes »
9h20 : Eric Walbecq (France), « Maldoror dans les manuels scolaires »
9h40 : Guy Laflèche (Québec), « L’hispanisme des Chants de Maldoror »
10h : Jean-Pierre Lassalle (France), « La réécriture des Chants dans Térandros de G. Julliot de la Morandière »
Discussion
10h30 : pause café
Président de séance : Jean-Luc Steinmetz
11h : Henri Béhar (France), « L’effet Maldoror chez Tristan Tzara »
11h20 : Leonor L. de Abreu (Belgique), « Ducasse-Péret, une conjonction d’imaginaires »
11h40 : Petr Kral (Tchèquie), « Lautréamont à Prague »
12h : Ricard Ripoll (France), « L’univers de Lautréamont dans la culture espagnole et catalane »
Discussion
12h40 : déjeuner
Président de séance : Henri Béhar
14h : Naruhiko Teramoto (Japon), « Lautréamont-Ducasse et Le Clezio »
14h20 : Murielle Lucie Clément (Belgique), « Lautréamont et Houellebecq. Une rencontre »
14h40 : Laurence Brogniez & Frédéric Claisse (Belgique), « Live at Bar Maldoror : les chants magnétiques de Lautréamont »
15h : Jean-François Perrimond (France), « Debord déférent envers Ducasse »
17h : départ pour Bruxelles
20h : Dîner à Bruxelles. Allocution de Jean-Jacques Lefrère (France), « L’Association des Amis passés, présents et futurs d’Isidore Ducasse (APPFID) et son histoire ».
6 octobre 2004 : Bruxelles, Archives et musée de la littérature
3 - Maldoror en Belgique
Chacun sait combien a été déterminante la prise en charge des Chants de Maldoror par Max Waller et l’équipe de la Jeune-Belgique. Les conditions et les modalités de ce relais belge n’ont cependant pas encore été étudiées de près, non plus que le rôle intermédiaire joué par Léon Bloy ou encore par Remy de Gourmont. La journée conclusive du colloque entend soumettre à analyse les formes qu’a prises la première réception du texte ducassien et évaluer dans quelle mesure cette réception permet d’éclairer d’un jour nouveau non seulement ce texte, mais encore le champ littéraire belge en formation et, au-delà, ses inflexions contemporaines.
Président de séance : Frans de Haes
9h : René Fayt & Emile van Balberghe (Belgique), « Rozez, Waller, Bloy, Verhaeren et les autres : de la cave au Cabanon »
9h20 : Nicolas Malais (France), « Remy de Gourmont et l’invention de la littérature Maldoror »
9h40 : Liliane Durand-Dessert (France), « Gerard van Bruane 1891-1964, le “Cabinet Maldoror” et “La fleur en papier dorée”, un temple ducassien à Bruxelles »
Discussion
10h15 : pause café
Président de séance : Jean-Jacques Lefrère
10h30 : Geneviève Michel (Belgique), « Lautréamont et Nougé »
10h50 : David Vrydaghs (Belgique), « Henri Michaux : invocation de Lautréamont »
11h10 : Paul Aron (Belgique), Lautréamont et Vaneigem
Discussion
12h : déjeuner
14h30 : Table ronde d’écrivains belges au sujet de Lautréamont (animée par Jean-Pierre Verheggen)
17h : Synthèse et clôture du colloque
II. Cahiers Lautréamont
2e semestre 2004, Livraisons LXXI et LXXII (La Littérature Maldoror, Actes du septième colloque international sur Lautréamont, Liège, 4-5 octobre 2004/Bruxelles, 6 octobre 2004)
ARON, Paul, BERTRAND, Jean-Pierre, DURAND, Pascal, « Les Champs de Maldoror », pp. 9-11.
SOMVILLE, Pierre, « “ Lautréamont ” », pp. 13-14.
I. Beau comme Maldoror
DURAND, Pascal, « Le Texte, ses grilles et leurs grues », pp. 17-23.
GOLDENSTEIN, Jean-Pierre, « Le retour du référent ou le tombeau du lisible inconnu », pp. 25-37.
NESSELROTH, Peter, « Beau comme tout ; ou plutôt, comme n’importe quoi », pp. 39-49.
HADLOCK, Philip, « Beauté et monstruosité dans Les Chants de Maldoror », pp. 51-57.
ISHII, Yojiro, « Le Corps de Maldoror », pp. 59-64.
LAFLÈCHE, Guy, « L’Hispanisme des Chants de Maldoror », pp. 65-74.
DUBREUIL, Laurent, « Blanchot et l’araignée : hantise et magnétisme », pp. 75-84.
PIERSSENS, Michel, « Les Poésies de l’Avenir », pp. 85-94.
II. Effets Maldoror
MALAIS, Nicolas, « Remy de Gourmont et l’invention de la littérature Maldoror », pp. 97-104.
CHEVRIER, Alain, « La résistible réception d’Isidore Ducasse dans les anthologies », pp. 105-121.
WALBECQ, Éric, « Lautréamont dans les dictionnaires et les encyclopédies », pp. 123-130.
BÉHAR, Henri, « L’effet Maldoror chez Tristan Tzara », pp. 131-137.
LASSALLE, Jean-Pierre, « « La réécriture des Chants de Maldoror dans Térandros de Gabriel Julliot de La Morandière », pp. 139-149.
LOURENÇO DE ABREU, Leonor, « Ducasse-Péret, un intertexte dynamique », pp. 151-161.
KRAL, Petr, « Lautréamont à Prague », pp. 163-167.
RIPOLL, Ricard, « L’univers de Lautréamont dans la littérature espagnole et catalane », pp. 169-182.
PERRIMOND, Jean-François, « Debord déférent envers Ducasse », pp. 183-190.
TERAMOTO, Naruhiko, « Lautréamont-Ducasse et Le Clézio. La métamorphose en tant qu’ “ extase matérielle ” », pp. 191-201.
CLÉMENT, Murielle Lucie, « Lautréamont, Houellebecq : une rencontre », pp. 203-211.
BROGNIEZ, Laurence, CLAISSE, Frédéric, « Live et Bar Maldoror : les Chants magnétiques de Lautréamont », pp. 213-233.
III. Maldoror en Belgique
VAN BALBERGHE, Émile, « Rozez, Wittmann, Waller, Bloy, Verhaeren et les autres : de la cave au cabanon », pp. 237-252.
DURAND-DESSERT, Liliane, « Gérard van Bruaene, le Cabinet Maldoror et la Fleur en Papier doré », pp. 253-260.
MICHEL, Geneviève, « Nougé et Lautréamont : Le “ cas ” du Disque vert », pp. 261-274.
VRYDAGHS, David, « Henri Michaux : invocation de Lautréamont », pp. 275-284.
ARON, Paul, « Ducasse en mémoire(s) », pp. 285-291.
FOURGON, Michel, « Allez-y voir vous-mêmes, si vous ne voulez pas me croire (chroniques d’une expérience musicale en compagnie d’Isidore Ducasse) », pp. 293-301.
IV. Interventions
VANEIGEM, Raoul, « Isidore Ducasse dans la clarté du jour », pp. 305-306.
LEFRÈRE, Jean-Jacques, « L’AAPPFID et les Ducassiens d’hier et d’aujourd’hui », pp. 307-330.
« Présentation des auteurs », pp. 331-333.
III. Complément : Lautréamont dans les OC de Tzara
I. Ne suffit-il pas de dire : Rimbaud + Lautréamont + Jarry : la plus pure et complexe expression de l’art français ? Je ne crois pas qu’on aboutisse à ranger les plus cosmiques-divers écrivains dans un tiroir. Leur richesse, dont la place est parmi les grandes apparitions et événements de la nature, la diversité cosmique, suprême pouvoir d’exprimer l’inexplicable simultanément, sans discussion logique précédente, par sévère et intuitive nécessité, les mettent au-dessus des classifications et des formules. (OC I, 412)
II. NOTE SUR LE COMTE DE LAUTRÉAMONT OU LE CRI
On sait maintenant que Lautréamont sera le Rimbaud de la poésie d’aujourd’hui. La dictature de l’esprit, présentation sans souci d’amélioration et de ménagement est l’affirmation de l’intensité, dirige toutes les préoccupations vers la force noble, précise, fastueuse, seule digne d’intérêt, la destruction.
Mal d’or or de douleur.
Mal d’or l’or a brisé la mort.
Sa folie ne fut pas belle, c’est pourquoi elle vit encore.
Qui ose combattre une réalité parce qu’on la sert sous forme de reproche ?
VOIR : nécessité d’un déclic cérébral.
Ceux dont l’incertitude s’étale en prétentions et l’orgueil monte sous forme de salive cérébrale, ceux pour qui les marécages et les excréments ont déterminé la règle de pitié philosophique, verront un jour ou l’autre l’incommensurable malédiction déchirer leurs muscles sales et faibles. Le Comte de Lautréamont a dépassé le point de tangence qui sépare création et folie. Pour lui la création est déjà médiocrité. De l’autre côté c’est l’inarticulable solennité. Les frontières de la sagesse sont inexplorées. L’extase les dévore sans hiérarchie et sans cruauté. La douleur qui glace les méninges, broie le cristal de son sang, conduit sur un étrange canal de regrets pathétiques le désordre des doublures des vieux bateaux, des vieux manteaux. Imaginaire ou exagérée, la douleur boit le silence, accompagne la force suraiguë qui tente constamment à se résoudre dans le delirium tremens féerique et universel. La liberté de ses facultés, que rien ne lie, qu’il tourne de tous les côtés et surtout envers lui-même, la force de s’abaisser, de démolir, de s’accrocher à toutes les tares, avec une sincérité beaucoup trop intime pour nous intéresser, sont la plus haute attitude humaine parce que, transformées, en actions, elles devraient aboutir à l’anéantissement de cet étrange mélange d’os, de farine et de végétations: l’humanité. L’esprit de cet homme négatif, prêt à chaque instant à se laisser tuer par le carrousel du vent et piétiner par la pluie des météores, dépasse l’hystérie douceâtre de Jésus et d’autres moulins à vent infatigables, installés dans les somptueux appartements de l’histoire. N’aimez pas si vous voulez mourir tranquillement. Mal d’or or de douleur.
Mal d’or l’or a brisé la mort
par son éclat et la musique des grenouilles de zéphyr. (OC I, 414)
III. L’œuvre du Comte de Lautréamont, que je ne tiens pas à vulgariser ici, eut à souffrir des louanges malicieuses de Rémy de Gourmont et de Léon Bloy qui, avec leur air de supériorité, la classèrent parmi les curiosités littéraires et déclarèrent que son auteur était fou. Ceux qui connaissent Les Chants de Maldoror savent pourtant que rien ne compte à côté de cette merveilleuse épopée antihumaine. Sur tous les tons, de l’assassin illuminé, du petit bourgeois agaçant, du prophète conscient de sa position ridicule, avec cette grandeur qui admet et emploie le bon et le mauvais, Lautréamont a formulé la plus considérable accusation contre l’espèce humaine. Vous savez bien que cette espèce ne se distingue des autres que par la manie d’écrire et de lire des livres. (OC I, 418)
IV. Dès le second numéro, Littérature semble s’être ressaisi. De plus en plus sa volonté de renouvellement s’affirmera en se précisant. Précédé d’une note d’André Breton, la « Préface aux Poésies » du Comte de Lautréamont, copiée sur l’unique exemplaire de la Bibliothèque Nationale, est publiée pour la première fois dans Littérature. Lautréamont prend désormais, dans la galerie des grands précurseurs, la place de première importance qu’il a gardée depuis. L’influence de l’auteur des Chants de Maldoror se prolongera bien au-delà des frontières que lui assignait jadis Verlaine dans ses Poètes Maudits. (OC V, 524)
V. Interview par Roger Vitrac :
— Mais Rimbaud ?... Lautréamont ?...
— La spontanéité, chez Rimbaud est, à mon sens, très minime. Sa poésie est celle d’un esthète borné par les formules artistiques. Quant à Lautréamont, il semble avoir eu un certain sens de la relativité. Mais le parti pris intellectuel me le gâte un peu. (OC I, 624)
VI. Picasso et la poésie
Depuis Baudelaire, qui a reconnu leur existence contradictoire, la poésie moderne, à travers Rimbaud, Lautréamont, Apollinaire et les Surréalistes, s’applique à réduire l’antinomie entre le rêve et l’action. (OC ?? 385)
VII. Essai sur la situation de la poésie. (1931)
Si la sensibilité tournée vers le réel de Baudelaire fait prévoir l’apparition de Lautréamont dans l’évolution de la poésie et pour le rôle capital qu’il y joue, la figure de ce dernier prend pour nous qui avons lie nos vies à son oeuvre, à la lumière de toutes les révélations que, successivement chacun de nous lui doit, une importance qu’il n’est pas aise d’analyser froidement. Ne dépasse-t-il pas toute méthode critique cet être fabuleux et pourtant familier, pour qui la poésie semble avoir surmonté le stade de l’activité d’esprit pour devenir véritablement une dictature de l’esprit? Son oeuvre fait fonction de levier dans l’évolution qui se dessine, car, bien mieux que Hugo, il démontre que par une sorte de magie verbale ou de verbalisme incantatoire, la raison est capable de dépaysement et la logique de dissolution. (OC V, 12)
Mais déjà auparavant et plus explicitement que chez Lautréamont qui, entre les Chants et la Préface, ne nous permet de voir dans le temps qu’un trop court cheminement quoique très différencié, nous pourrions dans l’œuvre de Rimbaud parcourir une reproduction réduite et mimétique de la poésie dans son ensemble, à partir du moyen d’expression jusqu’à l’activité de l’esprit et cela non seulement dans les limites de son époque mais dépassant celle-ci et préfigurant, par l’abandon de la poésie, la destinée de la poésie telle que l’avenir aura à l’envisager sous l’angle du changement de la qualité en quantité. (ibid., OC V, 14)
De même que le travail dans un état socialisé n’est plus ce qu’aujourd’hui nous nous représentons comme tel, de même que le prolétaire, n’étant plus l’exploité, perd le sens que nous lui accordons, peut-on prédire que la poésie, qui perdra jusqu’à son nom, en poursuivant son devenir historique, se muera en une activité de l’esprit collective suivant la loi de la ligne nodale des rapports de mesure et que sous cette forme la proposition de Lautréamont par tous, non par un » deviendra une réalité ? (ibid., OC V, 22)
le rôle historique du surréalisme. Il consiste à définir le sens du loisir dans la société future, à donner un contenu à la paresse en préparant sur des bases scientifiques la réalisation des immenses possibilités que contient la phrase de Lautréamont : la poésie sera faite par tous, non par un ». (ibid., OC V, 28)
VIII. Le surréalisme et l’après-guerre.
En dehors de la tradition idéologique révolutionnaire, il existe chez les poètes d’aujourd’hui une tradition révolutionnaire spécifiquement poétique. Je veux parler de celle qui tire sa source des novateurs, des poètes, de leur esprit presque héroïque en face des conformismes de la bourgeoisie et qui, à travers Nerval, Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Mallarmé, Jarry, Saint-Pol-Roux et Apollinaire, réunit les différentes tendances allant du merveilleux à l’humour, en une vision du monde que, aujourd’hui encore, la poésie ne saurait renier. Toute acquisition valable dans le domaine de l’esprit doit être niée et assimilée à la fois. Le retour pur et simple à des formes périmées est un démenti à la loi de progression et doit être considéré comme réactionnaire. (OC V, 63)
L’absurde devient une valeur poétique, comme la douleur et l’amour. Ce n’est qu’en approfondissant l’absurdité du monde qu’une clarté nouvelle apparaît, infiniment plus éclatante que celle qui, donnée de prime abord, ne résiste pas à la critique rigoureuse. Lautréamont, Mallarmé et Saint-Pol-Roux nous apprennent qu’il faut peiner longuement pour aboutir à cette clarté, à la conscience. Celle-ci ne s’apprend pas. C’est à chacun de la découvrir dans les profondeurs de son être, avec tous les risques que cette aventure comporte, dans des sphères où le danger est grand. Telle fut pour Gérard de Nerval, aux confins de la folie, la leçon de sa recherche d’un absolu. Tel est le prix de la raison, au sortir du tunnel où elle trouve sa récompense dans la sagesse et la lumière. (ibid., OC V, 64)
Notre horreur du bourgeois et des formes dont il habillait sa sécurité idéologique dans un monde qu’il voulait figé, immuable et définitif, n’était pas à proprement parler une invention de Dada. Baudelaire, Lautréamont et Rimbaud l’avaient déjà exprimée; Gérard de Nerval avait construit aux antipodes de la bourgeoisie son monde particulier, dans lequel il sombra après avoir atteint aux limites mêmes de la connaissance la plus universelle; Mallarmé, Verlaine, Jarry, Saint-Pol-Roux et Apollinaire nous avaient montré la voie. Mais notre impertinence alla peut-être encore plus loin. (ibid., OC V, 66)
Dada, qui avait rompu non seulement avec la traditionnelle succession des écoles, mais aussi avec les valeurs les plus apparemment indiscutables dans l’échelle des valeurs établies, prolonge la lignée ininterrompue des écoles et des poètes et, au long de cette chaîne merveilleuse, se trouve relié à Mallarmé, à Rimbaud, à Lautréamont, plus loin encore à Baudelaire et à Victor Hugo, en marquant la continuité de l’esprit de révolte dans la poésie française, de cette poésie qui se place sur le terrain de la vie concrète, au centre même des préoccupations qui, plus elles sont localisées, prennent un sens d’universalité. (ibid., OC V, 68)
Poursuivant les indications contenues dans la Lettre du Voyant de Rimbaud, le Surréalisme a exploré des régions qui, jusqu’à l’humanisation de la poésie déjà commencée par Dada, n’étaient réservées qu’à une caste d’initiés. Nous trouvons là le sens de l’enseignement prophétique de Lautréamont « la poésie doit être faite par tous, non par un ». En effet, la poésie est partout, elle est, à l’état latent, répandue sur la surface des choses et des êtres. Elle se trouve dans le roman, dans la peinture, dans la rue, dans l’amour des cartes postales, dans l’amour tout court et les affaires, chez l’enfant et l’aliéné. La poésie est avant tout, avant de devenir poème, un sentiment, une qualité des choses, une condition de l’existence. (ibid., OC V, 70)
IX. Les bousingos comme phénomène social.
Du poète lycanthrope de Borel au poète maudit de Verlaine, le chemin ambivalent de l’impossible amour et de la haine totale réunit Baudelaire à Corbière, Lautréamont à Rimbaud, Verlaine à Mallarmé. Une tradition du comportement, un code nouveau de l’honneur du poète entre désormais en ligne de compte dans l’histoire de la poésie. (OC V, 112)
X. L’actualité de Villon
Poète maudit, certes, Villon le fut à la manière de Verlaine, de Baudelaire, de Rimbaud, de Lautréamont, ses compagnons de souffrance, de révolte et de misère. (OC V, 121)
XI. Corbière
Sans méconnaître leurs différences, c’est à celle de Lautréamont que la démarche dialectique de son contemporain Corbière me semble s’apparenter le plus intimement. Les mouvements de l’adhésion au sentiment commun et de son refus, de l’amour de l’homme et de la répulsion à son égard, se résolvent en glorifiant les forces anonymes de la nature--la mer ou l’océan, plus particulièrement,-- réconfortante compensation à leur représentation de la justice souillée. Quoique cette solution n’implique pas dans leur esprit la fuite devant la réalité, c’est bel et bien de fuite qu’il s’agit et c’est en cela que aussi bien Lautréamont que Corbière sont tributaires du Romantisme en voie de dépassement. Si Lautréamont a réagi d’une manière romantique contre le Romantisme, dans sa Préface aux Poésies, en prenant polémiquement position envers la désolation et la tristesse au profit du bien, sans toutefois dégager de l’actualité de son action le caractère éminemment moderne de la réalité environnante, Corbière, lui, s’est rangé d’emblée dans la lignée de Baudelaire sous l’éclairage du présent constamment renouvelé, à l’avant-garde des briseurs d’idoles, et des novateurs audacieux. (OC V, 131)
Pierre Reverdy et la conscience poétique
C’est vrai que Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud et combien d’autres poètes, ont dû payer de leur mort le droit de survivre dans la conscience des hommes. Faut-il croire que, par les temps qui courent, une double mort est nécessaire, celle du poète et celle de son époque, pour que cette conscience se manifeste sous la forme d’une tardive réhabilitation? Ou assistons-nous à l’amorce d’une action tendant à la disparition définitive de la conscience poétique? (OC V, 367)
XII. Les revues d’avant garde…
A travers Baudelaire, Jarry, Lautréamont, Apollinaire, I’esprit des Petits Romantiques nous est parvenu, sans même que nous en connaissions le nom. (OC V, 430)
De Baudelaire à Nerval, de Lautréamont à Rimbaud de Mallarmé à Jarry et à Apollinaire la vie et la poésie se rapprochent en donnant naissance à une réalité nouvelle. (OC V, 554)
Deux sonnets inconnus de Rimbaud et quelques lettres inédites de Lautréamont, en dehors de l’intérêt qu’ils présentent, témoignent de la filiation poétique que Littérature s’est choisie. (OC V, 580)
IV. Télécharger le texte de l’article « L’effet Maldoror chez Tristan Tzara »
Article repris et actualisé dans : H. Béhar, Lumières sur Maldoror, Paris, Classiques Garnier, 2023, chap. VII.
L’œuvre d’Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, a été découverte en France par Philippe Soupault puis André Breton, Aragon et Tristan Tzara. L’usage qu’ils ont fait de son œuvre dans leur propre poésie est analysé, de telle sorte que le lecteur dira qu’elle est « toujours présente à ma conscience ! ».
Lire la présentation du volume par Michel Carassou : Lumières sur Maldoror par Michel Carassou
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