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Portrait en creux de G. Bloess

Portrait en creux de G. Bloess

HBloess

(Dit à la soirée organisée à la librairie L’Harmattan, à l’occasion de la sortie de Métamorphoses allemandes et avant-gardes au XXe siècle. Hommage à Georges Bloess, sous la direction de Françoise Py.)

Quels rapports peut-il y avoir entre un germaniste, professeur d’arts plastiques, et un littéraire, un professeur de littérature française qui n’a jamais appris l’allemand et ne s’est, par définition, jamais exprimé sur la littérature de langue germanique ?

On peut toujours concevoir des rapports institutionnels, puisqu’ils font partie tous deux du corps enseignant, celui des professeurs d’université.

Sachant que le premier a mené des recherches sur l’expressionnisme, que le second a beaucoup écrit sur Jarry, Dada, le surréalisme, on peut concevoir qu’ils se soient interrogés l’un l’autre, moins sur les poètes de ces groupes respectifs que sur les peintres.

C’est en effet, à l’occasion d’un colloque sur Jean Arp, à Strasbourg, où nous intervenions tous deux, que je me suis laissé guider par toi, à la recherche d’un restaurant dans la Petite France. Et c’est ainsi, au cours d’un déjeuner, autour d’une carafe de gewurztraminer, que j’ai appris à connaître l’homme qui va devenir par nos soins, ce soir, un hommagé, toujours aussi juvénile si l’on écoute ses désarrois.

De fait, tu es d’un an plus jeune que moi, et nous avons pu observer un certain parallélisme de notre carrière (Bourdieu aurait dit « trajectoire ») respective.

La prépa d’Henri IV

Mon cher Georges, nous aurions pu nous rencontrer dans la khâgne du lycée Henri IV, où tu as débarqué de ta province extérieure. Ce fut un an après moi, comme il est logique. J’avais déjà quitté l’établissement pour me retrouver dans ce qu’on appelait alors, par pudeur, l’Université des neiges. Mais ce n’était pas si longtemps après mon bref passage dans ce prestigieux établissement qui ne s’est souvenu de moi que pour m’inviter à faire partie de l’amicale des anciens élèves, une fois que leur secrétaire a repéré mon nom dans le Who’s who !

Je n’ai pas connu le dortoir. Mais j’ai un souvenir précis de la miche et du zob d’hiver (ainsi étaient baptisés Laurent Michard, dont tu m’as longuement parlé lors de ce déjeuner, et il est bien vrai qu’il était mémorable quand l’inspiration venait le visiter dans sa classe, et le pitoyable Audibert, antisémite fieffé) ; du professeur de géographie, André Labaste, qui nous invitait à parcourir la France à vélo, tout au plus en Solex pour les plus faibles, de Méthivier, futur inspecteur général d’histoire, de R. Larrieu, professeur d’espagnol, qui me fit la grâce de me prêter sa Nouvelle Grammaire espagnole, et poussa le soin jusqu’à me la redemander en juin, au sana, sans craindre les microbes. Germaniste, tu n’as pu bénéficier de son attention.

Figure-toi que, à l’instar de Louis Guilloux, que j’allais connaître par la suite dans les couloirs de la NRF, nous aurions pu être les élèves d’un autre Cripure, Louis Guillermit, qui nous délivra ses Leçons sur la Critique de la raison pure de Kant avant de les publier chez Vrin. Évoquerai-je cet autre philosophe qui, à la fin d’une colle, me conseilla d’abandonner mes exemples populaires (Roger Vercel, Allain et Souvestre) au profit de Balzac ou de Proust ?

Plus intéressants étaient nos condisciples. Figure-toi qu’il y avait parmi eux des penta, collés 4 fois au concours, par conséquent, qui ne désespéraient pas de triompher un jour. Et je ne puis oublier cet apprenti philosophe qui dissertait si bien sur la nature d’un verre de vin (eh oui, on nous servait du vin à la cantine, sans supplément de frais) qu’il en oubliait de manger.

Je sais que certains, comme toi, se souviennent avec angoisse du bizutage, rituel de passage obligatoire. Pour moi, j’ai mémoire d’une bonne rigolade, puisque, nouveaux, nous avions réussi à retourner la situation à notre profit, et à faire exécuter les basses œuvres par les anciens ! Il faut reconnaître que les externes que nous étions s’accordaient tous les droits, jusqu’à celui de narguer le Censeur, la pipe au bec !

ENS Saint-Cloud

Obstiné, tu as donc intégré l’ENS Saint-Cloud trois ans après, tandis que je voyais s’éloigner de moi toute carrière académique, puisque j’avais bénéficié d’une maladie qui, à l’époque, m’interdisait la fonction publique. Ma revanche arriva en 1967-68, quand je fréquentai l’école au titre d’auditeur libre, ce qui lui permit de me compter au nombre de ses élèves devenus des agrégés de l’année terrible.

Vincennes 68-69

Par la suite, tu intègres l’université expérimentale de Vincennes dès sa fondation. Figure-toi que, là encore, nous aurions pu nous côtoyer, puisque j’y fus, brièvement, chargé de cours, en littérature française, bien entendu. Je n’ai jamais compris pourquoi le Doyen Las Vergnas, à qui je devais succéder à la tête de Paris III, qui avait été chargé par Edgar Faure de recruter les enseignants de cet établissement expérimental, ne voulut pas m’y nommer. Peut-être avais-je déplu à sa secrétaire, que j’allais faire trimer par la suite en souvenir de son désobligeant accueil.

Collaboration au sein du Centre, Mélusine

Il a donc fallu une quinzaine d’années, pour que se rencontrassent nos trajectoires. Ce fut par la grâce d’une fée qui inspira les poètes allemands autant et plus que les français, et surtout par la vertu d’un peintre et poète alsacien, Jean-Hans Arp, qui nous réunit en 1986. Ton intervention, « L’œuvre d’Arp après 1945 », se trouve dans Mélusine IX, Arp, poète plasticien, 1987.

Dès lors que tu figurais sur mon fichier, tu ne pouvais plus échapper à mes sollicitations obstinées. Au colloque de Strasbourg sur l’Europe surréaliste, tu nous confiais « Passages de Max Ernst et poétique de la rencontre », paru dans Mélusine XIV, L’Europe surréaliste, 1994.

Ensuite, tu intervins encore dans un dossier de notre revue sur un curieux peintre, que l’on classait autrefois parmi les fous : « Art de la folie ou folie de l’art ? Adolphe Wölffli, la fontaine des métamorphoses. », Mélusine XXVI, Métamorphoses, 2006.

Ensuite ce furent, avec Françoise Py, tes « Visions de la princesse Marsi », lors de ces matinées qu’elle organise pour notre association à la Halle Saint-Pierre. Ensuite, dans me même cadre, tu nous parlais de « Corps magiques, corps tragiques : la création destructrice d’Unica Zürn », disponible en ligne sur la page de Mélusine.

Pour finir, c’est bien à cause de ta lecture juvénile de Nietzsche que j’ai pu t’offrir cette lecture des poésies de Tzara, lui-même grand lecteur du philosophe dans sa jeunesse, à Zurich. Ce par quoi nous nous rencontrons vraiment, pour la première fois.

H.B. 11 octobre 2015

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