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« Inquisitions : le surrationalisme, la poésie et l’actualité » dans : Anne Roche et Christian Tarting, Des années trente : groupes et ruptures, Ed. du CNRS, 1985, pp. 225-236.

Anne Roche & Christian Tarting, Des années trente, groupes et ruptures : actes du colloque, Paris, 1985, éditions du CNRS, 298 p.

 Chaulet-Achour, Christiane ; Roche, Anne ; Tarter, Christian ; Institut national de la langue française (France). U.R.L. de lexicologie et terminologie littéraires contemporaines ; Centre national de la recherche scientifique (France). Centre régional de publications de Meudon-Bellevue

Je donne ci-dessous le sommaire de cet ouvrage qui consignait les actes d’un colloque organisé à l’Université d’Aix-en-Provence par une antenne, constituée pour la circonstance, de l’unité de recherche « Lexicologie et terminologie littéraires contemporaines » de l’Institut de la langue française (INaLF), que j’étais supposé diriger. En fait, il s’agissait surtout de faire le point sur les études et recherches concernant la presse de gauche dans les années trente du XXe siècle. Pour faire poids, on y avait ajouté une section sur le centenaire de la conquête de l’Algérie…

J’étais alors président de l’université Paris III-Sorbonne nouvelle, et je dois dire que tout s’était organisé sans moi. À tel point que je n’arrivai que l’après midi du deuxième jour du colloque.

Les Actes ont été publiés par les soins d’Anne Roche et de Danielle Bonnot-Lamotte, au titre de notre équipe de recherche, officiellement installée dans les locaux du CNRS à Meudon.

Depuis sa parution, l’ouvrage a fait l’objet d’une version numérique par Numilog. Cet organisme n’a jamais demandé l’autorisation des auteurs pour vendre sa pâle version sur Internet.

Actes du colloque organisé par l’antenne de l’U.R.L. n°. 5
à l’université de Provence I 5-7 mai 1983

Numéro 7 de la collection « Les publications de l’U.R.L. no. 5 :
Lexicologie et Terminologies Littéraires Contemporaines »
Institut National de la Langue française — C.N.R.S.

Textes de : C. Achour — H. Béhar — J.M. Besnier — A. Blum — D. Bonnaud-Lamotte — M. Carassou — V. Couillard — D. Desanti — J.R. Henry — F. Henry-Lorcerie — G. Leroy — F. Marmande — C.

Sommaire : D’OÙ VIENNENT LES IDÉES JUSTES ?
LE DISCOURS DES REVUES DE GAUCHE OUVERTURE(S)
EUROPE : PERSPECTIVES LITTÉRAIRES ET TENSIONS IDEOLOGIQUES Discussion – Après l’exposé d’A. Blum 1933, ANNÉE NORMATIVE ? – (d’après les corpus informatisés de Monde et du SA.S.D.L.R.) 1933 : une année-clé
Monde en 1933
Le S.A.S.D.L.R. en 1933
Lexique et énoncé normatif – Délimitation tentative d’un champ lexical
Difficultés méthodologiques : l’exemple du lexique normatif dans « Monde »
Difficulté théorique : la définition de l’énoncé normatif
Monde : deux normes pour deux référents
Plonger dans le réel et faire sa propre révolution
Une normativité désoriginée et nuancée
La lutte idéologique en retard sur l’histoire ?
Un adieu au passé
Le S.A.S.D.L.R. : énoncé normatif et référents – Une situation d’énonciation différente
Référent 1 : la littérature prolétarienne
Référent 2 : l’écrivain révolutionnaire
Référent 3 : le surréalisme
Référent 4 : la poésie en acte, spécificité de l’année trente-trois Annexe I
Annexe II Discussion ANTIFASCISTES ET PACIFISTES : LE COMITÉ DE VIGILANCE DES INTELLECTUELS ANTIFASCISTES
TÉMOIGNAGE DE M. FRANÇOIS WALTER Intervention de M. François Walter LE CENTENAIRE DE LA CONQUÊTE DE L’ALGÉRIE BRISURE DANS UNE COHÉRENCE DISCURSIVE : Le quadrillage culturel du colonisé Mets… une gastonomie assimilée
Mots… la langue du stéréotype
Merveilleux et métiers… une production culturelle folklorisée Mœurs et magies… l’étiquetage de la spécificité Une littérature sur le qui-vive Un espace géographique signifiant
Un espace social
La violence symbolique LE CENTENAIRE DE LA « CONQUÊTE » DE L’ALGÉRIE – La reconnaissance acrimonieuse de Joseph Desparmet L’ambiguïté est inscrite dans la position même de Desparmet :
Textes de référence LE CENTENAIRE DE LA « CONQUÊTE » DE L’ALGÉRIE – achèvement d’une littérature coloniale de combat Le Centenaire de la conquête de l’Algérie est un phénomène original à bien des égards
Le Centenaire, accomplissement du mouvement « algérianiste »
La stérilisation partielle, par le succès du Centenaire, de la littérature algérianiste, favorise finalement l’émergence de produits littéraires nouveaux, plus révélateurs des mutations de l’Algérie coloniale
Discussion – Après les exposés de C. Achour, S. Rezzoug, A. Raybaud, J.R. Henry et F. Henry-Lorcerie LES DROITES, ÉVOLUTION ET REGROUPEMENTS LA REVUE COMBAT (1936 – 1939) Discussion – Après l’exposé de G. Leroy ARAGON ET DRIEU – quand l’un est le héros du roman de l’autre Rêveuse bourgeoisie
Le fils de personne
Rencontres
Discussion – Après la communication de D. Desanti LES INTELLECTUELS FRANÇAIS – et « l’esprit de Munich » La droite ou les ratés du nationalisme
La gauche ou les infortunes de l’antifascisme
Contradiction mineure : antifascisme et antistalinisme
Contradiction majeure : antifascisme et pacifisme
Discussion – Après la communication de M. Winock A PARTIR DE LA CRITIQUE SOCIALE A PARTIR DE LA CRITIQUE SOCIALE
LA PASSE DE JEAN BERNIER Guerre et polémique
L’amour GEORGES BATAILLE ET LA CRITIQUE SOCIALE – Marxisme et Perversion Discussion – Après les communications de F. Marmande et J.M. Besnier L’EXPÉRIENCE « POLITIQUE » DE COLETTE PEIGNOT Annexe – Un amour de Laure
Notes bibliographiques
Discussion – Après la communication de Catherine Maubon ACÉPHALE OU LA MISE A MORT DU CHEF/DU PÈRE Discussion – Après l’exposé de Carlo Pasi DES GROUPES ET DES RUPTURES INQUISITIONS : le surrationalisme, la poésie et l’actualité Annexe I – Prospectus rédigé par Caillois
Annexe II – Témoignage inédit d’Etiemble (avril 1939) LE GRAND JEU, GROUPE/RUPTURES
BENJAMIN FONDANE – du surréalisme à l’existentialisme
L’INDIVIDU ET LE GROUPE : L’EXEMPLE D’IVAN GOLL Discussion – Après la communication de Silvia Schlenstedt L’HOMME AUX ÂNES – surréalisme, politique et psychanalyse dans les années trente Comité d’Organisation du Colloque
BIBLIOGRAPHIE
Notes Référent 1 : la littérature prolétarienne
Référent 2 : l’écrivain révolutionnaire
Référent 3 : le surréalisme
Référent 4 : la poésie en acte, spécificité de l’année trente-trois Annexe I
Annexe II Discussion ANTIFASCISTES ET PACIFISTES : LE COMITÉ DE VIGILANCE DES INTELLECTUELS ANTIFASCISTES
TÉMOIGNAGE DE M. FRANÇOIS WALTER Intervention de M. François Walter LE CENTENAIRE DE LA CONQUÊTE DE L’ALGÉRIE BRISURE DANS UNE COHÉRENCE DISCURSIVE : Le quadrillage culturel du colonisé Mets… une gastonomie assimilée
Mots… la langue du stéréotype
Merveilleux et métiers… une production culturelle folklorisée Mœurs et magies… l’étiquetage de la spécificité Une littérature sur le qui-vive Un espace géographique signifiant
Un espace social
La violence symbolique LE CENTENAIRE DE LA « CONQUÊTE » DE L’ALGÉRIE – La reconnaissance acrimonieuse de Joseph Desparmet L’ambiguïté est inscrite dans la position même de Desparmet :
Textes de référence LE CENTENAIRE DE LA « CONQUÊTE » DE L’ALGÉRIE – achèvement d’une littérature coloniale de combat Le Centenaire de la conquête de l’Algérie est un phénomène original à bien des égards
Le Centenaire, accomplissement du mouvement « algérianiste »
La stérilisation partielle, par le succès du Centenaire, de la littérature algérianiste, favorise finalement l’émergence de produits littéraires nouveaux, plus révélateurs des mutations de l’Algérie coloniale
Discussion – Après les exposés de C. Achour, S. Rezzoug, A. Raybaud, J.R. Henry et F. Henry-Lorcerie LES DROITES, ÉVOLUTION ET REGROUPEMENTS LA REVUE COMBAT (1936 – 1939) Discussion – Après l’exposé de G. Leroy ARAGON ET DRIEU – quand l’un est le héros du roman de l’autre Rêveuse bourgeoisie
Le fils de personne
Rencontres
Discussion – Après la communication de D. Desanti LES INTELLECTUELS FRANÇAIS – et « l’esprit de Munich »

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Conscient que le lecteur ne pouvait se faire une idée exacte du contenu de cet unique numéro de revue, dans la mesure où il était devenu inaccessible, je n’ai eu de cesse de la faire rééditer, tant pas des éditeurs spécialisés tels que Jean-Michel Place ou les Éditeurs Français Réunis, que par une institution nationale. Huit ans après le colloque, une commission du CNRS a donné son accord pour la publication du volume que je présentais en fac-similé, muni de textes inédits et d’une préface reprenant, bien évidemment, les termes de la présentation et de la discussion d’Aix :

Henri Béhar, Inquisitions. Du surréalisme au Front populaire, CNRS éditions, 1990, 184 p. Tiré à 1.000 exemplaires, il est il est tout aussi épuisé que l’original. Raison pour laquelle je reproduis ici ma préface initiale :

La préface de ce volume a été reprise dans : Henri Béhar, Histoire des faits littéraires, Paris, Classiques Garnier, 2022, pp. 161-176.

Inquisitions, préface

L’unique numéro d’Inquisitions paraît en juin 1936. II a la chance d’avoir été imprimé en dépit des grèves et des occupations d’usines qui ont débuté le 26 mai, avant la constitution du cabinet ministériel présidé par Léon Blum, le 4 juin.

La sortie de la revue eût-elle été retardée pour un tel motif, lequel de ses rédacteurs s’en serait-il plaint ? Aucun, puisqu’ils avaient tous le sentiment profond d’œuvrer pour l’instauration du Front Populaire, de même que les grévistes entendaient conforter la victoire électorale du 5 mai en arrachant aux patrons de sérieuses concessions, De fait, le Ministère Blum n’allait pas chômer : aussitôt après les Accords Matignon (7 juin) il fera voter dans la foulée, les 11 et 12 juin, les lois sur les conventions collectives, les congés payés, la semaine de 40 heures.

C’est une ère nouvelle qui commence. Les collaborateurs d’Inquisitions auraient dû la vivre collectivement, peut-être en orienter le cours. Ils auraient applaudi à la dissolution des ligues factieuses (18 juin) ; discuté âprement de la nature de l’aide que, tout naturellement pour eux, il eût fallu apporter au gouvernement légal de la République Espagnole, lui aussi porté par la victoire d’un autre Front populaire. Bien qu’ils ne fussent guère familiers des théories économiques, le Groupe d’Études pour la Phénoménologie humaine » qu’ils constituaient aurait pu se prononcer sur la réforme de la Banque de France (24 juillet), la dévaluation du franc (27 septembre)…

Pour maintenir leur cohésion, ils n’auraient rien écrit des Procès de Moscou, de l’exécution de Kamenev et de Zinoviev (25 août) mais n’auraient cessé d’y penser, de même que la politique officielle de non intervention en Espagne les fit réagir, individuellement du moins, puisque le groupe s’était dispersé, préfigurant, à sa modeste échelle, ce qui allait advenir du gouvernement issu du Rassemblement populaire, pour employer la terminologie électorale de l’époque.

À supposer qu’ils se fussent limités à des débats plus littéraires, que n’auraient-ils écrit sur Le Retour de I’U.R.S.S. de Gide, Le Journal d’un curé de campagne de Bernanos, Mort à crédit de Céline, Le Sang noir de Louis Guilloux, le Voyage en grande Garabagne de Michaux, La Conscience malheureuse de Fondane, Les Jeunes filles de Montherlant, et Les Beaux quartiers de l’un des leurs, Aragon, qui allait obtenir le Prix Renaudot (le Goncourt allant à L’empreinte de Dieu de Maxence Van der Meersch) ? De fait, ils en ont écrit, mais ailleurs, dans Europe, Commune, la Nouvelle Revue française ou les Cahiers du Sud auxquels je viens de prélever cette liste d’ouvrages parmi les comptes rendus des livraisons de juillet à octobre.

J’évoque un futur improbable, alors que je n’ai encore rien dit du passé et du présent de cette revue dont vous tenez le fac-similé entre les mains. Car elle n’est pas tombée toute seule des presses, pas plus que le gouvernement Blum n’est soudain sorti des urnes ! Pour en arriver à cet immense espoir, il en a fallu des palabres,- des débats et même des combats : que socialistes et communistes se donnent la main Place de la Nation le 12 février 1934, au cri unanime d’« Unité », clamé par la foule ; que soit fondé (5 mars 1934) le Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes (C.V./.A.) à l’appel de Rivet, Langevin et Alain, en d’autres termes un socialiste, un compagnon de route du Parti communiste, un radical ; que le 14 juillet 1935 soit conclu l’accord entre les trois partis constituant le Front populaire, avec l’appui des organisations syndicales, pour rassembler « toutes les forces résolues à défendre la liberté contre l’atteinte du fascisme ». Et qu’à partir de là soit élaboré un programme électoral, servant de référence aux candidats députés, qui leur permettra de l’emporter dix mois après.

C’est dans ce contexte d’union des forces de gauche qu’il faut voir la naissance, en octobre 1935, du Groupe d’Études pour la Phénoménologie humaine, décidé à étoffer idéologiquement la politique culturelle du Front populaire en faisant se rencontrer des intellectuels d’obédiences diverses, pour sortir des voies toutes tracées, et publier une nouvelle revue/ Inquisitions, dont le titre s’entend au sens de « recherches ». Pourtant, la réflexion des intellectuels dans l’orbite du Front populaire ne saurait se comprendre sans une donnée particulière : les rapports qu’entretenaient les surréalistes avec le Parti communiste auquel cinq d’entre eux (Aragon, Breton, Éluard, Péret, Unik) avaient adhéré, au grand jour, en 1927, et dont les principaux meneurs, André Breton et Paul Éluard, s’étaient trouvés exclus, en 1933, de l’A.E.A.R. (Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires, fondée par Paul Vaillant-Couturier en mars 1932).

On sait quel désarroi provoqua, parmi eux, la signature du pacte franco-soviétique du 2 mai 1935, et surtout quelle peine et quelle fureur s’empara d’eux lorsqu’ils furent, de fait, évincés du Congrès International pour la Défense et la Culture, en juin 1935, à la suite d’un incident tout à fait anecdotique (la correction infligée par André Breton à Ilya Ehrenbourg, l’auteur de Vus par un écrivain de I’U.R.S.S., qui traitait les surréalistes d’oisifs et de pervers sexuels). Dans un pamphlet daté d’août 1935, intitulé « Du temps que les surréalistes avaient raison », Breton rappelait les objectifs de son mouvement à l’égard d’une culture ne les intéressant « que dans son “devenir” et ce devenir même nécessite avant tout la transformation de la société par la révolution prolétarienne, Ils demandaient, notamment, que fussent mises à l’ordre du jour du Congrès les questions suivantes : droit de poursuivre, en littérature comme en art, la recherche de nouveaux moyens d’expression, droit pour l’écrivain et l’artiste de continuer à approfondir le problème humain sous toutes ses formes… »1.

En dépit du rôle actif joué par René Crevel (dont le suicide allait les ébranler davantage), tout fut mis en Œuvre pour réduire la portée de leurs déclarations. D’où la formule définitive de Breton à l’égard de la Russie soviétique et de Staline : « Ce régime, ce chef, nous ne pouvons que leur signifier formellement notre défiance »2.

De fait, une grande partie des membres du groupe surréaliste ne pouvaient que rompre les derniers liens qui les retenaient à ce qu’ils avaient toujours considéré comme le seul parti de la classe ouvrière. Pourtant, devant la montée des fascismes, ils se devaient d’exprimer leur position d’intellectuels et d’artistes révolutionnaires ailleurs que dans les luxueuses revues artistiques qui s’offraient à eux, comme Minotaure et Les Cahiers d’Art. De là l’éphémère, ambiguë et contradictoire tentative du groupe Contre-Attaque, animée par Bataille et Breton de l’automne 1935 au printemps 1936. C’est-à-dire jusqu’à sa condamnation par les surréalistes pour ses tendances « surfascistes. Voir Robert Stuart Short : « Contre-attaque », in, Entretiens sur le surréalisme sous la direction de F. Alquié, Paris, Mouton, 1968, p. 144-176 ; José Pierre : Tracts surréalistes, op. cit., p. 281-301 ; Henri Dubief : Témoignage sur Contre-Attaque (1935-1936) in, Textures n° 6, 1970.3Ou encore le groupe que Souvarine rassemblait autour de La Critique sociale (1931-1934) qui, avec des communistes d’opposition, comprenait les ex-surréalistes Jacques Baron, Michel Leiris, Raymond Queneau. À la disparition de cette revue, leur conjonction avec Georges Bataille conduira à la publication d’Acéphale et à son prolongement sous forme du Collège de Sociologie dont on a réuni les textes essentiels4.

De l’autre côté, les surréalistes qui, depuis 1932 pour Aragon et Sadoul, 1935 pour Crevel et Tzara, avaient quitté le mouvement pour rejoindre, de façon plus ou moins inconditionnelle, les positions du P.C. ou plus exactement de l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires, disposaient de la revue Commune que dirigeait Aragon, et de la tribune que leur offrait l’institution de la Maison de la culture, animée par le même infatigable mentor.

Ce trop bref rappel laisse entendre combien les uns et les autres ne pouvaient se satisfaire de la situation présente tant pour ce qui concernait l’activité du groupe que pour leur expression collective.

D’où l’idée de rassembler les transfuges du surréalisme, les marxistes avérés et les isolés, dans le cadre d’un groupe d’études œuvrant lui-même pour une définition de la culture dans ses rapports au politique.

***

Qu’était le « Groupe d’études pour la phénoménologie humaine » ? Quels étaient ses principes, sa composition, ses objectifs, ses moyens d’action ?

L’initiative est, en effet, originale : elle préfigure le fonctionnement du Collège de Sociologie. Il s’agit, à l’invitation de Tristan Tzara qui accueille ses amis dans sa belle maison de l’avenue Junot ou dans le local de I’A.E.A.R., de rassembler divers jeunes gens, tous les quinze jours, autour d’un conférencier dont l’exposéfera l’objet d’une discussion soigneusement prise en note.

Si l’idée, en l’état actuel de nos informations, en revient à Roger Caillois et à Tzara qui y songent dès octobre 1935, les réunions n’ont lieu qu’à partir du mercredi 8 janvier 1936, pour s’achever le 3 mars suivant.

La première séance est introduite par Tzara, indiquant le programme de l’entreprise, qui se résume en cinq points :

1. mettre en lumière les problèmes intellectuels immédiats ;

2. partir de l’actualité pour examiner les différentes théories en ce qu’elles ont de commun ;

3. trouver le courant d’idées théorique aussi bien qu’affectif susceptible d’intégrer les problèmes que se posent les sciences humaines ;

4. ne pas se limiter à l’aspect littéraire de cette problématique et dégager sur le plan intellectuel, une perspective englobant toutes les sciences au service de l’homme, à l’instar du Front populaire sur le plan politique ;

5.situé socialement, ce groupe refuse le sectarisme doctrinal, il ne se préoccupe pas de tactique mais veut repenser les problèmes dans le cadre de la superstructure idéologique qui est le sien5.

Caillois y présente ensuite son exposé « sur les tâches immédiates de la pensée moderne », intitulé « Pour une orthodoxie militante »6à la discussion duquel prennent part Zdenko Reich, Claude Cahen, Nico Calamaris, Luc Decaunes, Étiemble, Raymond Charmet, André Chastel et René Bertelé.

La séance suivante, le 21 janvier, est l’occasion d’un exposé d’Étiemble sur le Mouvement de « La Nouvelle vie » en Chine, discuté par Georges Sadoul, Jules-M. Monnerot et Tzara.

Quinze jours après, c’est le physicien Jacques Spitz, par ailleurs collaborateur de la NRF comme Étiemble, qui parle « sur la théorie quantique et le problème de la connaissance à qui Caillois et Gistucci font des observations.

Deux semaines après, c’est le tour de Tzara d’exposer sa conception du rôle du « poète dans la société », ce qui suscite une vive discussion à laquelle prennent part Caillois, Pierre Unik, Monnerot, Calamarisi Chastel, Reich et Jean Audard.

Enfin, la dernière séance donne lieu à un exposé de Jean Audard « sur la psychanalyse et le matérialisme historique », qui sera simplement résumé dans la revue (p. 74-75), sans doute parce qu’il ne fait que reprendre une argumentation amplement développée dans la revue belge Documents 36 et dans Les Cahiers du Sud, discuté par Étiemble, Tzara et Sadoul.

Sur la quinzaine de membres que rassemble le Groupe d’études pour la phénoménologie humaine, au cours des séances énumérées, huit ont été ou sont encore surréalistes. Si Caillois s’est séparé d’André Breton par une lettre du 27 décembre 1934 témoignant de son grand souci de rationalité7 et Tzara par une lettre aux Cahiers du Sud de mars 19358 ; si Georges Sadoul et Pierre Unik ont toujours marqué leur fidélité à Aragon et au P.C, il est clair que les autres (Calamaris, qui prendra le pseudonyme de Nicolas Calas, Z. Reich, Monnerot) sont alors des membres actifs du Mouvement.

Certes, leur place sur l’échiquier des groupuscules est mouvante : le premier, qui ne s’est guère affirmé jusqu’alors, ne publiera ses Foyers d’incendie qu’en 1938, le deuxième, venu du Grand Jeu, aux préoccupations mystiques, et collaborateur du S.A.S.D.L.R. publie dans Minotaure, le troisième, cofondateur de Légitime défense en 1932, la première revue des intellectuels noirs, collabora au S.A.S.D.L.R. puis il contribua à la création du Collège de sociologie, (qu’il baptisa) ; mais tous gravitent encore, d’une manière ou d’une autre, autour du surréalisme.

Quant aux restants, dont les noms figurent aux sommaires des revues de l’époque, surtout la NRF et les Cahiers du Sud (Jean Audard, René Bertelé, Raymond Charmet, André Chastel, Luc Decaunes, Étiemble…), sans doute venus aux réunions par amitié pour tel ou tel orateur, tout indique qu’ils sont déjà avertis du débat d’idées suscité par le surréalisme, et des insuffisances que lui reprochent le plus jeune d’entre eux, Caillois, qui n’a que 23 ans, comme le plus vieux, Tzara, qui fait figure d’ancêtre, à 40 ans ! Mais, à l’exception de Luc Decaunes, le tout jeune animateur de Soutes, aucun de ceux-là n’adhère au Parti communiste. N’étaient l’effectif réduit du groupe, et sa brève durée, je dirais qu’il est, somme toute, assez représentatif de la volonté d’union du Front populaire. L’analyse du contenu de sa publication le confirmera.

Après avoir rassemblé quelques camarades et longuement disserté des thèmes d’actualité, il convient de Adonner les moyens de faire connaître ce qui les unit. D’où l’idée de cette revue, Inquisitions, ainsi baptisée par Caillois, qui pense au sens étymologique du terme, enquête, recherche, au pluriel pour éviter toute confusion avec le tribunal ecclésiastique9. Tzara en sera le rédacteur en chef, Monnerot le gérant, et la direction collégialement confiée à Aragon, Caillois, Monnerot et Tzara ; l’administration étant assurée par les Éditions Sociales Internationales (ce qui explique la présence d’Aragon). Caillois rédige le texte d’un bulletin de souscription reprenant les objectifs déclarés par Tzara et soulignant l’originalité de cette revue comme organe d’un groupe d’études (voir ce document p. 113). D’après les manuscrits et dactylographies conservés par Tzara (actuellement déposés la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet), on constate que chaque auteur de communication s’est efforcé de rédiger le résumé des discussions, après échange avec les intervenants.

Pour agir efficacement, la revue devait être bimestrielle mais, prudemment (ou lucidement ?) on annonçait qu’elle paraîtrait « à des intervalles irréguliers », tirée à 2 000 exemplaires, d’après les indications manuscrites de Tzara, qui demande à sa femme, Greta Knutson, de composer la maquette de couverture.

***

La revue se compose de quatre sections : la première, théorique, reprend les exposés ; la seconde contient un extrait du Roman cassé de Crevel, en guise de document phénoménologique sur la vie imaginative contemporaine ; la troisième est formée de notes de lecture et la quatrième reproduit les discussions des communications initiales.

Elle s’ouvre, en outre, sur un article fondateur de Gaston Bachelard. « Le Surrationalisme » (p. 1-6) dont le titre dit bien l’ambition, en écho au surréalisme. Caillois se flatte d’avoir provoqué la collaboration du philosophe après une joyeuse rencontre dans les Vinarny de Prague10. Mais le thème de son intervention a été suggéré à Bachelard par la lecture d’un recueil de Tzara à qui il écrit : « En lisant p. 271 Grains et Issues, j’ai pensé à une nouvelle doctrine de la substantialisation que je vous soumettrai dans quelques jours. » (Voir Dossier, p. 155).

L’ensemble de la revue peut se ramener à trois idées-force : le surrationalisme comme doctrine unique de « la superstructure intellectuelle de l’époque » ; la poésie comme fonction de dépassement des contradictions ; l’actualité comme moyen de poser, agressivement au besoin, les véritables problèmes et les hypothèses les plus neuves.

À partir du rêve expérimental de Tzara, Bachelard imagine une raison expérimentale se divisant par dialectique interne sur elle-même, puis par dialectique externe sur l’objet, l’interférence des deux déterminant « des surempirismes d’une étrange mobilité, d’une étrange force novatrice, De la première construction relèvent la pensée mathématique de Lobatchewsky et la philosophie de Hegel. Dans la seconde, la raison doit être mise en jeu, « l’imprudence est une méthode ». Enfin le pluralisme rationnel touche à des domaines si différents métaphysiquement qu’on ne peut espérer lui donner la cohérence par de simples synthèses des contraires » de sorte qu’au rationalisme fermé de la répétition, du déjà connu, succède « le rationalisme ouvert » (p. 6).

Cette aventure nouvelle offerte à l’esprit contemporain, la communication de Jacques Spitz vient la corroborer par référence à la constante de Plank, aux thèses de Niels Bohr sur la matière. L’indéterminisme quantique replace le physicien dans le monde qu’il observe. De la même façon, la théorie de la connaissance doit aboutir à l’impossibilité « d’analyser un concept et de simultanément l’employer » : le phénomène de l’introspection en est un exemple. II résume ensuite le débat soulevé par Caillois :

« avec la théorie quantique, on se trouve en présence d’une certaine marge d’indétermination dans l’enchaînement causal. Deux attitudes sont alors possibles : ou bien l’on dit, avec Caillois, que derrière cette indétermination se trouve un déterminisme que l’on ne peut pas constater ; et il n’y a rien de changé dans la situation philosophique ancienne. Ou bien l’on dit : tâchons d’interpréter cette indétermination, cette lacune qui nous est laissée, d’une façon qui améliore la situation philosophique. Dans l’un et l’autre cas, il ne s’agit que d’hypothèses. La seconde est celle que j’adopte, parce qu’elle ouvre les perspectives les plus vastes. » (p. 71).

Postulant « une orthodoxie militante », Roger Caillois définit les tâches immédiates de la pensée moderne » avec le même enthousiasme que Bachelard, en partant d’un constat de faillite généralisé. « Les formes avancées de la littérature et de l’art qui s’étaient données pour tâche la libération de l’esprit », tel le surréalisme, aboutissent à l’esthétisme, à un pur rituel. La philosophie conduit à l’éparpillement et à l’absence de théorie. La science même remet en cause ses propres principes. Mais une telle critique, par le fait qu’elle s’exprime, laisse entrevoir une direction nouvelle, des éléments de réforme. L’espoir se fait jour il sera possible, par la vigueur des décisions, par la sévérité des réalisations, d’explorer les nappes d’ombre des réactions affectives et les démarches de l’imaginaire. Par la généralisation, telle que la propose Bachelard dans son Nouvel Esprit Scientifique (1934), la géométrie de Riemann englobe et dépasse celle d’Euclide. De la même façon « Sur tous les points en conflit, le litige s’est soldé par la capitulation du rationnel devant les exigences de la systématisation » (p. 10), Ainsi peut-on concevoir une orthodoxie militante comme « réforme intellectuelle généralisable à tous les domaines de l’activité humaine » (p. 12). Si Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont conservent une valeur d’exemple, il ne suffit pas de les imiter, il faut passer à l’offensive, fonder un ordre nouveau. L’orthodoxie est alors une entreprise unitaire idéale, concernant « la totalité de l’être » (p. 13).

On le voit, quel que soit le concept invoqué, surrationalisme chez Bachelard, physique quantique et théorie de la connaissance chez Spitz, orthodoxie militante chez Caillois, l’ambition est toujours la même ; fonder une nouvelle appréhension de l’univers englobant tous les phénomènes, rationnels ou non, à partir d’une morale exigeante et joyeuse. En arrière-plan se dessine une commune critique de la poésie qui doit tout à l’expérience de Tzara.

Celui-ci s’en est longuement expliqué dans sa communication du 18 février, dont Inquisitions ne publie que la première partie (voir le complément dans le Dossier, p. 136 sq.). Le texte lu aux membres du Groupe d’Études pour la Phénoménologie Humaine était plus vif que ce qui est imprimé à l’égard du surréalisme – accusé de confusion au sujet de l’automatisme, du rêve, du hasard objectif et surtout considéré comme dualisme —

À partir des prémisses posées par l’« Essai sur la situation de la poésie », s’explicite l’activité de l’esprit dont on sait que, pour Tzara, rien ne la distingue, extérieurement, de la vie quotidienne. La poésie moyen d’expression (correspondant au penser-dirigé) et la poésie-activité de l’esprit (résultant du penser non-dirigé), sont les discriminants qui permettent de retracer l’histoire de l’activité humaine, et particulièrement de la littérature considérée comme fonction, cette superstructure n’étant pas en dépendance directe de la structure sociale. Ici Tzara met son auditoire en garde contre les « marxistes pressés » qui assimilent abusivement l’évolution de la superstructure aux déterminations indirectes auxquelles elle est soumise. II examine alors quelques points de rupture caractéristiques : le Romantisme, la Pléïade. Ce qui définit l’attitude du poète, c’est la « lycanthropie », la révolte inhérente à toute expression, authentique, « un mouvement affectif violent qui tend à prendre la forme sociale de clan ou de culte, il est lié à la représentation d’un monde différent du monde ambiant ou à une réalisation des désirs projetés sur un avenir hypothétique ». Deux comportements sont alors possibles : l’isolement, la fuite hors de la famille et du groupe social, ou bien la révolte et la constitution d’un clan tendant à briser le cercle de la société bourgeoise. Les exemples abondent des Bousingos aux poètes maudits, à Dada et au surréalisme. Tzara leur trouve des ancêtres aux Moyen Âge avec les Goliards et les Coquillards, et même dans les sociétés primitives comme en Polynésie. En somme, l’activité artistique, par le processus de symbolisation, caractéristique du primitif, de l’enfant, du fou, suit à son rythme propre l’évolution de la pensée et des conditions sociales d’existence. Les ruptures évoquées plus haut ne sont que des transformations qualitatives. L’actualité laisse présager une part plus grande du penser non-dirigé, donc de la poésie. Et de conclure : « Plus importante que la détermination de la poésie est la détermination du poète en tant que phénomène social ».

C’est précisément le sujet que traite Jules-M. Monnerot dans son article « Remarques sur le rapport de la poésie comme genre à la poésie comme fonction. » Le futur essayiste de La Poésie moderne et le sacré, fortement influencé par les analyses de Tzara, part de Dada et du surréalisme, montrant le détour paradoxal par lequel sont passés ces deux mouvements, la plus grande obscurité étant nécessaire pour atteindre la plus grande clarté. Mais le risque de tromperie et de mystification est grand. Introduisant la vitesse de la pensée, comme le cinéma celle des images, le surréalisme photographie l’esprit humain mais, faute de rigueur, il n’est qu’une technique. Or la poésie est avant tout expression de l’affectivité, un stupéfiant qui n’a que faire des genres dans lesquels on la catalogue. « Le besoin de poésie existe à l’état brut chez tous les hommes » (p. 18). La poésie comme genre n’y satisfaisant pas, l’individu a recours à d’autres formes de substitution telles le cinéma, la mode, la publicité, le roman policier. On reconnaît là des idées maintes fois exprimées par Tzara. Monnerot poursuit :

« La famine poétique est dans le peuple. Il semble qu’à considérer les choses quantitativement et fonctionnellement, la poésie échappe au poète. » De fait, « la poésie n’est pas morte, mais le poète est malade. » Et l’auteur d’en appeler à un sursaut collectif, afin que de jeunes hommes objectivent le besoin affectif de tous, même s’ils déclinent le titre d’auteur ou de poète. « Il ne faut pas que le courage nous manque » conclut-il.

Quelles que soient les critiques qu’ils lui adressent, la poésie demeure une fonction vitale pour Tzara et ses amis. C’est, semble-t-il, la raison de la publication d’un fragment du Roman cassé de Crevel, en dépit du genre affiché. Tzara en avait recueilli le manuscrit à la mort de son ami. Il s’agit d’une sorte de monologue, totalement décousu, où défilent ironiquement tous les lieux communs de la bourgeoisie, ses vertus d’ordre, d’économie, de simplicité, ses préjugés racistes et xénophobes, son âpreté au gain, son sens aigu du secret, sa bêtise revancharde, etc. Tout y passe, particulièrement dans l’épisode publié où se mêlent la visite du Tzar, la rencontre de Pierre Loti fardé comme un pierrot, le ruban de la Légion d’Honneur et l’emprunt russe de J906. La verve iconoclaste de Crevel est bien l’expression d’un besoin collectif de mise en cause de la banalité quotidienne, une forme de la poésie. Pour ce qui concerne l’actualité la plus immédiate, le groupe écoute une communication d’Étiemble sur le Mouvement de la « Nouvelle vie » en Chine, décrit à travers sa réception en France, où il est démontré que les quatre vertus mythiques prônées par Tchang Kai Chek sont une adaptation du fascisme. La discussion de l’exposé, inédite, montre qu’aussi bien Sadoul que Monnerot minimisaient les mots d’ordre du futur chef de la Chine nationaliste et appréciaient mal leur portée dans le contexte chinois (voir Dossier p. 120-121).

Le débat du moment est incontestablement le problème des rapports entre psychanalyse et marxisme. Jean Audard lente à nouveau de les rapprocher, à l’ultime séance du groupe, après l’avoir fait dans Les Cahiers du Sud (septembre 1933) et dans Documents 1935, en dépit de la comminatoire mise en garde de G. Politzer dans Commune (novembre 1933). Non seulement une conciliation serait possible, puisque les principes psychanalytiques de refoulement, sublimation, etc. relèvent du monde matériel, de l’être social, mais encore la psychanalyse peut compléter le matérialisme historique en lui fournissant la psychologie concrète qui lui fait défaut, pour l’étude des illusions collectives de la bourgeoisie ou encore des mécanismes de l’invention. Si Étiemble et Tzara nuancent l’exposé en ce qu’il a de trop systématique, on ne s’étonnera pas de voir Sadoul en prendre le contre-pied, dénonçant la famille bourgeoise à laquelle se réfère Freud, ainsi que son roman mythique qu’est Totem et tabou, auquel s’opposent les observations de Malinowski. Du moins peut-on constater que la controverse sur les rapports de ces deux systèmes de pensée n’a pas été esquivée L’actualité, ce n’est pas seulement le débat d’idées, mais aussi l’activité éditoriale, les spectacles. On rend compte des films, d’une conférence de Dali au Vieux Colombier. L’Anthologie des poètes de la NRF est rigoureusement pesée par Tzara ; André Chastel montre les poètes anglais (Herbert Read, Stephen Spender, C. Day Lewis) pris entre leurs aspirations révolutionnaires et leur dit poétique. Alain Girard rend compte du Rimbaud d’Étiemble et Yassu Gauclère, qui, déjà, combattait les mythes. Raymond Charmet reproche à La Sociologie allemande de Raymond Aron son approche trop philosophique, non sans en souligner les mérites. Les notules mordantes de Caillois ménagent une place honnête au Nietzsche de Thierry Maulnier et à l’éthique salubre du Service inutile de Montherlant. Une longue note de A. Steplianopoli fait l’éloge de /Ironie de Jankelevitch, auquel on reproche cependant de ne pas donner une véritable phénoménologie husserlienne. Enfin Claude Cahen critique un ouvrage marxiste sur lequel je reviendrai. La personnalité et même le sexe de cet auteur posent problème. Lisant sa signature Cahun, avec un « u » à la place du < e *, certains y reconnaissent le pseudonyme de Lucie Schwob (1894-1954), une surréaliste membre de TA.E.A.R., qui avait publié un ouvrage fort critique à l’égard des vues poétiques d’Aragon : Les Paris sont ouverts (José Corti, 1934). D’autres, sur le moment, s’en tenant à la lettre, comme Étiemble et Aragon, en font un homme. Aujourd’hui (par une lettre du 17 février 1990), Étiemble me confirme qu’il s’agit d’un Normalien, de la promotion 1928. Tout ceci est de fort bonne tenue, et on ne peut s’expliquer l’arrêt de la publication, les éditeurs sachant bien qu’on ne décide pas du sort d’une petite revue d’après les ventes de la première livraison. Dans l’état présent de nos informations, deux causes viennent à l’esprit : une discorde interne, le retrait des bailleurs de fonds. L’examen des textes écartés du premier numéro (notes d’Alain Girard, Roger Caillois, Tzara, Monnerot) et de la correspondance les accompagnant (voir Dossier, p. 151), montre qu’il n’y avait là aucun motif de conflit. La seule querelle est venue à propos d’un film soviétique, Tchapaïcv. Marcel Arland en avait rendu compte dans la NRF d’avril en des termes qui choquèrent Étienne Léro (l’un des Antillais de Légitime défense). Celui-ci éprouva le besoin de retoucher l’analyse. Mais, de son côté, Étiemble apportait une note approuvant entièrement Arland. Devant ces deux articles contradictoires, la rédaction essaya la conciliation : publier le texte de Léro et la première partie de celui de Étiemble, traitant du Faiseur monté par Dullin à l’Atelier. Le tempérament bouillant d’Étiemble est connu : il refusa tout net, accusant la revue d’inquisition, au singulier. Le résultat est qu’aucun des textes incriminés ne parut (voir Dossier, p. 126-127 et 148-149) Pour fâcheuse qu’elle soit, une telle tension ne me semble pas de nature à justifier l’éclatement du groupe ni la fin de la revue. Un second phénomène me paraît plus grave. Dans son article de présentation, intitulé « Entre nous », Aragon indique les raisons de sa présence dans ce groupe dont il souligne l’éclectisme, entendant forger l’unité de la revue par le mouvement. Mais cet éclectisme n’est pas sans risque de confusion. Aussi prend-il à partie Claude Cahen, dont la « note sur le matérialisme dialectique » lui paraît critiquer le recueil collectif À la lumière du marxisme d’une manière par trop convergente avec celle des intellectuels, de tendance socialiste, de Vigilance, l’organe du Comité de Vigilance des Intellectuels antifascistes. Dans les commentaires accompagnant son Œuvre poétique (t. Vil), il avoue n’avoir conservé aucun souvenir de cette revue. Republiant sa contribution, il indique : « l‘intérêt réside essentiellement dans l’idée critique que je pouvais avoir alors des groupements nés du triomphe du Front populaire […] mais il suffit de lire ces quelques pages d’inquisitions pour se faire une idée du caractère assez peu idyllique des rapports entre les hommes qui se réclamaient d’une victoire électorale récente. Et de la nature des questions entre intellectuels dont la destinée par la suite n’a pas toujours été la même… »**. Le fait que ces divergences de vues s’expriment dans le même numéro de la même revue m’incline à penser qu’il n’y avait pas là motif suffisant pour mettre fin à la publication. Au contraire, on pouvait en tirer argument pour prouver la largeur de vues du comité de rédaction, sa capacité au débat démocratique. Mais telle n’était pas l’opinion d’Aragon11 ! A postériori, une autre cause a été avancée par Caillois : « La scission était inévitable, et elle ne tarda pas, entre les deux dirigeants membres du Parti communiste (Aragon et Tzara) et les deux autres qui, indépendamment de toute attitude politique, ne souhaitaient pas introduire les questions relevant de ce domaine dans un organe consacré, comme le soulignait son sous-titre, à l’étude de la “phénoménologie humaine” »12. Dans une lettre du 10 août 1937, il écrivait déjà à Jean Paulhan : « Je suis tout à fait de votre avis pour la politique : j’ai justement préféré, comme vous savez, faire cesser Inquisitions à l’y laisser entrer »13. Cependant, il n’était pas le seul à décider, et sa défection n’aurait pas entravé la poursuite de la revue si la publication n’en avait été compromise pour d’autres raisons. En d’autres termes, ce serait une question d’orientation générale de la revue qui aurait décidé de sa fin, comme du groupe qui la nourrissait. Au demeurant, celui-ci ne s’était plus réuni depuis mars 1936 ; chacun de ses membres étant requis par la campagne électorale ou la préparation des examens, comme Caillois, qui obtiendra l’agrégation de grammaire la même année. De sorte que la première revue littéraire née du Front populaire, et dans son esprit, me paraît en avoir été la première victime. Il y avait trop de sollicitations immédiates, de toutes parts, pour songer à poursuivre une telle expérience™14. La diversité d’opinion manifestée par les membres du groupe, leur indépendance à l’égard du Parti communiste, les fluctuations de sa politique à l’égard des intellectuels, leur propre engagement dans la guerre d’Espagne, me semblent expliquer (sinon justifier) la fin de la revue, sans doute au nom de considérations économiques. En effet, son éditeur, les Éditions Sociales Internationales, finançaient Commune et, indirectement, Europe dont Aragon venait de se porter acquéreur pour 20 000 francs. Succédant à Jean Guéhenno, Jean Cassou, membre du Cabinet du Ministre de l’Éducation Nationale Jean Zay, un radical-socialiste, en était le rédacteur en chef, à la tête d’un comité de douze écrivains. Dans ces conditions, était-il nécessaire de laisser subsister à tout prix une revue de laboratoire quand d’autres, mieux établies, pouvaient développer les mêmes propos, en direction d’un public plus nombreux et plus populaire ? Quelles que soient les causes réelles de sa disparition, il reste qu’Inquisitions donnait l’exemple d’une revue de débat et de combat, nécessaire en cette période comme en témoignent les comptes rendus immédiats (voir Dossier p. 163), rassemblant des jeunes préoccupés de liberté et de justice sociale. Reprenant certains thèmes défendus par le Front populaire, ils entendaient aller de l’avant. Leur échec est aussi celui du vaste mouvement qui les avait portés à se rencontrer en voulant concilier les recherches surréalistes avec l’idéologie marxiste telle que les partis de l’époque l’interprétaient.


1. André Breton : « Au temps que les Surréalistes avaient raison  in Tracts surréalistes et déclarations collectives 1922-1939, présentation et commentaires de José Pierre, Paris, Le Terrain Vague, 1980, p. 274.

2. André Breton : ibid., p. 281.

3. Voir Robert Stuart Short : « contre-attaque , in, Entretiens sur le surréalisme sous la direction de F. Alquié, Paris, Mouton, 1968, p. 144-176  José Pierre : Tracts surréalistes, op. cit., p. 281-301  Henri Dubief : Témoignage sur Contre-Attaque (1935-1936) in, Textures n° 6, 1970.

4. Voir : Denis Hollier : Le Collège de sociologie (1937-1939), textes de Bataille, Caillois, Guastalla, Klossowski, Kojève, Leiris, Lewitzky, Mayer, Paulhan, Wahl, etc. Paris, Idées/ Gallimard, 1979, 399 p.

5. Cf. Tristan Tzara, infra, p. (65].

6. Cet article, reproduit dans Inquisitions, p. 6-14, constitue la conclusion de : Roger Caillois : Le Mythe et l’homme, Gallimard, Les Essais VI, 1938, « our une activité unitaire de l’esprit , p. 209-222.

7. Roger Caillois : Approches de l’imaginaire, Gallimard, 1974. Il y raconte son différend avec Breton à propos des haricots sauteurs mexicains. le premier voulant les disséquer pour trouver ce qui les mouvait, le second souhaitant que l’on propose des solutions explicatives avant de procéder à cette dissection.

8. Tristan Tzara : Œuvres complètes, Paris, Flammarion, t. V, 1982, p. 258-259.

9. Roger Caillois note ceci : « e Mythe de l’hommes’ouvre sur un article « our une orthodoxie militante  que j’avais d’abord publié dans le premier et d’ailleurs unique numéro de la revue Inquisitions. « rthodoxie Inquisitions , (même au pluriel) n’étaient pas termes choisis au hasard et j’avais eu du mal à faire accepter le second comme titre de la publication à ses trois autres directeurs. Approches de l’imaginaire, Gallimard, 1974, p. 57.

10. Roger Caillois : Approches de l’imaginaire, p. 57.

11.Voir : Aragon : L’Œuvre poétique, l. VII, 1936-1937, Livre Club Diderot, 1977, p. 169.

12. Roger Caillois : Approches de l’imaginaire, op. cit., p. 58.

13. Cahiers Paulhan, t. 6, correspondance Jean Paulhan – Roger Caillois, 1934-1967. Éd. établie et annotée par Odile Felgine et Claude-Pierre Pércz, Gallimard (à paraître en 1991).

14. Cependant celle-ci s’est continuée, sous une forme à peine modifiée mais avec d’autres participants, au Collège de Sociologie.