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« D’un poème-objet », dans André Breton, Arcane 17, fac-similé du manuscrit original, Paris, Biro éditeur, 2008, pp. 7-31.

Lorsque Adam Biro, éditeur que je connaissais depuis que j’avais collaboré à sa vaste entreprise (avec René Passeron), le Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs, Office du livre, 1982, me demanda de lui désigner le plus beau manuscrit contemporain, je n’eus aucune hésitation. Pour moi, c’était le manuscrit d’Arcane 17, que j’avais consulté chez Elisa quand je composais la biographie d’André Breton. À mon sens, il eigeait une édition en fac-simile intégral. Top là ! Adam Biro entreprit le travail aussitôt. Mais, quel que fût l’imprimeur spécialisé auquel il devait avoir recours, le coût de l’ouvrage dépassait ses crédits. D’où une souscription publique qui lui permit d’avancer le chantier. Pour finir, il eut recours à un imprimeur de la République Populaire de Chine, ce qui, à l’époque, était une véritable aventure. Et nous dûmes convenir que celui-ci travaillait minutieusement, allant même jusqu’à pratiquer à la main le petit trou qui se trouve sur la carte à jouer…

Ce long et magnifique travail d’impression me confirma dans mon appréciation du volume comme un poème-objet offert à Elisa pour son mariage. Ce faisant, André Breton restait fidèle à sa pratique, en offrant un ouvrage nouveau, de sa composition, à chaque femme aimée. Dans ce cas précis, il s’agissait d’un cahier d’écolier canadien, où la page de droite était écrite de sa main, celle de gauche ornée d’un document plus ou moins lié au propos manuscrit. Tel fut le propos que je développai en guise de préface à l’ouvrage.

André BRETON, Arcane 17 – Le manuscrit original. [Édition préparée et présentée par Henri Béhar], édité par Biro.Paris, 2008. 1 volume broché cousu. Format 24,2 x 18 cm ( 820 gr ). 247 pages + XLVIII pages du manuscrit in-fine.

Illustration de la couverture : André Breton devant la vitrine pour Arcane 17 à la librairie Gotham Book à New York en 1945. Le mannequin et l’arrangement de la vitrine ont été conçus par Marcel Duchamp, l’affiche par Matta. Photo Elisa Breton. Collection Aube Breton-Elléouët.

4e de couv.

C’est lors de son séjour au Canada, en pleine guerre, en 1944, qu’André Breton écrit Arcane 17. Dans le tarot des bohémiens, l’arcane 17 est l’Étoile, symbole d’espérance, de liberté et d’amour. Mais c’est aussi Elisa, la compagne du poète, sa seule inspiratrice. C’est à elle qu’il dédie ce récit de rêve.

Le manuscrit d’Arcane 17, l’un de trésors de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, est publié

ici pour la première fois. Le texte, bien connu, est écrit à la main par Breton dans un «cahier de grande école buissonnière» de 48 pages. La partie illustration, elle, est totalement inédite. Les collages, les photos, les objets trouvés sont annotés par André Breton et constituent la clef pour comprendre Arcane 17.

Notre édition contient également la transcription précise du manuscrit ainsi que le texte complet d’Arcane 17. Henri Béhar, biographe d’André Breton, professeur de littérature française à la Sorbonne Nouvelle, directeur du Centre de recherches sur le Surréalisme et de la revue Mélusine, présente dans un essai brillant ce texte majeur du Surréalisme.

PRÉSENTATION DE L’ÉDITEUR: Arcane 17 d’André Breton est l’un des textes majeurs du surréalisme. Le fac-similé du manuscrit original, écrit au Québec et signé par Breton (20 août-20 octobre 1944), se présente sous la forme d’un cahier d’écolier de 48 pages de format in-4 ; les pages de droite sont le plus souvent réservées aux textes autographes, les pages de gauche aux photographies et aux collages de documents ou d’objets divers. La partie illustration est totalement inédite. En effet, jusqu’ï  ce jour, les éditions du livre ont uniquement reproduit le texte. Or les éléments contrecollés sont d’une grande importance car ils constituent la clef pour comprendre Arcane 17.La plupart des collages sont commentés par Breton, qu’il s’agisse de cartes, de tickets de transport, de photographies, de paquets de tabac, d’objets trouvés en plastique, ou de cartes de tarot. Rédigé d’une écriture très serrée, comportant des ratures et de nombreuses corrections, le manuscrit est un « work in progress » qui se construit sous nos yeux. Biro éditeur présente pour la première fois un fac-similé complet du manuscrit original de Breton.Cette édition a lieu avec l’autorisation de l’héritière de Breton, Aube Elléouët-Breton. L’ouvrage est présenté par Henri Béhar, biographe d’André Breton, professeur de littérature française à la Sorbonne-Nouvelle, spécialiste de Dada, du surréalisme et des Avant-Gardes et auteur de plusieurs ouvrages majeurs sur le sujet. Ancien président de la Sorbonne, il dirige le Centre de recherches sur le Surréalisme et anime la revue Mélusine. 

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Voir : Atelier André Breton : Arcane 17 (André Breton) (andrebreton.fr)

Recensions :

Pour les fous de Breton : l’extraordinaire manuscrit d'”Arcane 17″ (nouvelobs.com)

Compte rendu par Anne-Marie Amiot :

Véritable travail de bénédictin, cette nouvelle édition d’Arcane XVII par Henri Béhar, prend des allures d’événement littéraire majeur pour tout lecteur d’André Breton ­­­­— et même pour tout admirateur du Surréalisme. En effet, outre une réimpression normale du texte (pp.149 à 247), grâce aux autorisations données par les proches de l’écrivain, un fac-simile du manuscrit autographe de cet hymne à l’Amour est, pour la première fois, reproduit dans son intégralité de texte illustré par des documents personnels (pp. 249-fin) jusqu’alors inédits. De surcroît, pour commodité de lecture, est proposée une transcription imprimée, folio après folio, ligne après ligne de ce manuscrit (pp. 33-148), ainsi qu’un descriptif des pièces qui l’accompagnent et dont la présence convie le lecteur à une relecture totalement neuve de cette œuvre majeure, rendue à sa totalité conceptuelle de « poème-objet ».

Genre poétique conçu par Breton, mais rarement réalisé, dont la remarquable introduction d’Henri Béhar relate et analyse tant la nature que les circonstances de la mise en œuvre. De ce fait, « D’un poème-objet » (pp.5-32) excède le simple propos esthétique pour le fondre tant dans l’analyse minutieuse des conditions historiques générales (guerre, exil aux U.S.A. de Breton), que celle des circonstances personnelles et précises présidant à la création du poème : rencontre d’Élisa à New-York, amour fou, voyage en Gaspésie, lieu d’inspiration et d’écriture du poème dont nous est contée l’histoire. Celle du court moment (20 août- 20 octobre 1944) où fut rédigé « ce grand cahier d’école buissonnière», avant l’impression du texte chez Brentano’s à New-York achevée le 30 novembre 1944. « Quelques jours après […] Breton offre à Élisa le cahier manuscrit, dont il agrémente les pages paires (celles de gauche) d’un certain nombre de documents, ce qui en fait […] un véritable « poème-objet » […]. C’est-à-dire, rappelle H. Béhar, « un objet unique […] élaboré en communion de pensée avec la destinataire » (ibid.15), répondant ainsi aux critères de sa définition dans Le Surréalisme et la peinture : « Le poème-objet est une composition qui tend à combiner les ressources de la poésie et de la plastique et à spéculer sur leur pouvoir d’exaltation réciproques.»

Ce qui conduit H. Béhar (p.16-24) à analyser tant la nature que la fonction de ces documents, ­tantôt simples présences évocatrices, poétiques, tantôt « témoignages sensibles » du voyage, mais tantôt aussi, « générateurs matériels » d’un texte (p.17) qu’ils suscitent plutôt qu’ils ne l’illustrent. Or, cet ensemble répondant précisément à la notion de « poème-objet », est unique, inaccessible ailleurs que dans la reproduction fac-simile du manuscrit qui convie du même coup le lecteur à en étudier la facture, dans l’urgence de sa rédaction, de ses ajouts, et de ses repentirs. Document inestimable pour qui s’intéresse aux mécanismes de l’écriture bretonienne.

Le texte est rédigé sur la page de droite d’un cahier d’écolier, « margée à gauche d’une verticale rouge », que de plus en plus, Breton « couvre entièrement, sans laisser aucune marge, d’une écriture fine très serrée, à l’encre noire, comportant des ratures et de très nombreuses corrections […]» (p.24). Ainsi une page entière (folio 29) est biffée et déborde, ce qui est rare, en regard, sur la page de gauche, réservée aux documents.

Il ne s’agit donc pas d’écriture automatique. Loin de là. Néanmoins, son caractère cursif laisse supposer que le texte est écrit d’un seul jet, dans la presse. Rapidement, Breton ne respecte plus l’ordonnance des lignes du cahier ; les ratures jaillissent sous sa plume, sans altérer le cours de la pensée. Manifestement remarque H. Béhar, il écrit dans un état de furor créatrice qui imprime aux nombreux vagabondages thématiques de ce texte, tant son élan et sa densité poétiques, que son unité métaphorique, emblématique, et idéologique, révélée par le titre même de l’ouvrage.

Éminemment bretonien, le thème de la rencontre amoureuse renouvelle ici sa formulation. À juste titre, H. Béhar le connecte à la philosophie générale de Breton devant l’adversité. Commentant une lettre où Breton confie à Étiemble (mai 1942). « J’ai traversé une période de grande dépression […] », il rappelle (p.10) que « Breton s’est toujours persuadé qu’il lui fallait s’en remettre « à la terrible loi psychologique des compensations » […] qu’il formulait dans l’Introduction du discours sur le peu de réalité […]. Loi où le « hasard objectif » permet à l’individu de reprendre en main son destin, s’il sait interpréter les « signes » qui lui sont offerts. Ce qui détermine chez lui un violent refus du déterminisme historique, au profit d’une mystique de l’Histoire, celle des « Grands Initiés », Fabre d’Olivet, Saint-Yves d’Alveydre, V. Hugo ou Novalis nommément cité dans ce récit, l’un des plus nervaliens qu’ait écrit Breton ; car, plus que tout autre, il procède tant de la révélation onirique : « J’ai fermé les yeux pour rappeler de tous mes vœux la vraie nuit […], elle la suprême régulatrice et consolatrice, la grande nuit vierge des Hymnes à la Nuit », que de la révélation par la Femme : Élisa1 , « une étoile, rien qu’une étoile perdue dans la fourrure de la nuit » (p.11).

Mais une étoile qui, au sortir de « la nuit des enchantements », devient pour le poète, « dans sa gloire primant toutes les autres, l’Étoile du Matin » (p.192). Celle de l’Arcane XVII du Tarot qui illumine le paysage,

 jeune femme agenouillée au bord d’un étang qui y répand de la main droite le contenu d’une urne d’or pendant que de la main gauche elle vide non moins intarissablement sur la terre une urne d’argent. De part et d’autre de cette femme qui, par delà Mélusine, est Ève et est maintenant toute femme, frémit à droite un feuillage d’acacias, tandis qu’à gauche un papillon oscille sur une fleur. (p.192).

Anne-Marie Amiot, Nice, novembre 2008

Voir sur cette même page les articles :

210. Transcription du manuscrit d’Arcane 17.

222. André Breton soulève l’Arcane 17.

  1. 5 janvier 1945, sur le folio 1, « collage sous forme de calligramme sur un fond d’étoiles. En réserve se dégage le contour d’un oiseau » (Ibid. p.15).  ↩︎

« Lautréamont et eux », dans Mélusine XXVIII, Le surréalisme en héritage, 2008, pp. 211-234.

Prenant la relève, deux de mes thésards, Emmanuel Rubio et Olivier Penot-Lacassagne ont souhaité rassembler les chercheurs travaillant sur le surréalisme après 1945. Ils se sont adressés à Édith Heurgon, responsable du centre culturel international de Cerisy-La-Salle, qui, sur ma recommandation, les a très favorablement accueillis. Comme on le verra ci-dessous, les participants venaient parfois de fort loin, et tenaient à toutes les générations. Pour ma part, j’ai tenté d’examiner les rapports du groupe Tel Quel avec leurs prédécesseurs, dans leur manière de lire les œuvres du passé. Mon titre faisait indirectement référence à un article notable d’Aragon dans Les Lettres françaises.

Voir : https://cerisy-colloques.fr/surrealisme-pub2008/

“Le surréalisme, pourtant, a sa statue, ses dieux et sa mythologie, ses croix-de-feu et sa légende, ses recettes et ses dogmes, son patois, et rien n’est plus facile, pour les collectionneurs, que de le mesurer à un centimètre près : les statues sont les plus dociles des cadavres.” (Dotremont)
– “dans l’occultisme ou l’alchimie, Breton n’a proposé que du bavardage insignifiant de sous-“souffleur” ou de sous-“non-initié” ; dans l’économie politique, il n’a produit que du sous-trotskysme invertébré.” (Isou)
– “Breton, aujourd’hui c’est la faillite. Il y a trop longtemps que votre entreprise est déficitaire. Ce ne sont décidément pas vos associés qui vous sortiront de là. Ils ne savent même pas se tenir à table.” (Internationale Lettriste)
– “Eux-mêmes, les Inconscients du Grand Truc, se survivent dans l’anodin, dans la belle humeur des amusements banalisés vers 1930.” (Guy Debord)
– “Quel emmerdement que leur salon littéraire !” (Topor)
– “Pour le surréalisme, Lautréamont reste un prétexte à inflation verbale, une référence d’autant plus insistante qu’elle est moins interrogée, une ombre, une expression, un mythe, sous le couvert duquel se perpétue un confusionnisme lyrique, moral et psychologique.” (Philippe Sollers)
– “Et que dire des petites queues de la comète surréaliste : brocante d’images, rêves désespérément interchangeables, clichés libertaires, calembours pénibles, sublimités d’éros riquiqui ?” (Christian Prigent

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Cet article forme un chapitre du volume : Lumières sur Maldoror, Paris, Classiques Garnier, 2023, pp. 115-128. https://classiques-garnier.com/lumieres-sur-maldoror.html