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« Les mots difficiles » dans Des mots en liberté, Mélanges offerts à Maurice Tournier, ENS éditions, 1998, pp. 323-333.

RÉSUMÉ

Directeur de recherche au CNRS, directeur de la revue Mots, militant actif de la réforme orthographique et, plus secrètement, romancier et poète, Maurice Tournier éprouve pour les mots et les textes un amour fait d’érudition, de création et d’engagement.

Traqueur des mots du politique, de leur origine sociale et de leur histoire, de leur distribution linguistique et statistique dans les textes, spécialiste écouté de la parole ouvrière et syndicale, stimulant aujourd’hui la recherche en communication politique, mais également champion de la réforme orthographique et romancier, Maurice Tournier a inventé le nom de lexicométrie. Ses collègues, élèves et amis lui dédient ce petit lexique de « Mots en liberté ».

Sommaire :
Avant-propos An 2000, Pierre Muller
La bienfaisance ressuscitée, Michèle Sajous d’Oria
Camp de concentration. A propos de la guerre en ex-Yougoslavie, Simone Bonnafous
Citations de dictionnaire, Gabrielle Varro
Compter sur les arbres, Benoît Habert, Helka Folch
Cooccurrences. La CFDT de 1973 à 1992, Serge Heiden, Pierre Lafon
La découverte linguistique, Sylvain Auroux
Discours et argumentation – un observatoire du politique • Eni Puccinelli Orlandi
Discours de spécialité • Maria-Teresa Cabré Castellvi
Domien… ? • Alex-Louise Tessonneau
Education et instruction. Chez Jules Ferry • Antoine Prost
L’églantine et ses couleurs • Annie Geffroy
Eloquence politique au 20e siècle • Fabrice d’Almeida
Enthousiasme. Les dictionnaires de Trévoux (de 1704 à 1771) • Sonia Branca-Rosoff
Euh… comme Europe • Jean-Marie Pernot
Fantaisie philologique • G. Th. Guilbaud
Figement – défi • Carmen Pineira-Tresmontant
La France. Chez de Gaulle et Mitterrand • Dominique Labbé
Une guerre douloureuse • Marie Francis-Saad
Homme et Hommage ! • Luce Petitjean
Un honnête homme ! Résultats d’un sondage, Jeanine Richard-Zappella
Images candidates. Des grandes idéologies aux petites idoles, Marlène Coulomb-Gully
Ingéniérie. Usages techniques et vie sociale • Michel Chansou
Interdit d’interdire ? Auteurs français du 20e siècle en Russie et en URSS, Danielle Bonnaud-Lamotte
Israël. Le réseau sémantique chez Rousseau, Michel Launay
Kabary = Discours ?, Irène Rabenoro
Lexique, vocabulaires, comptages, Marie-Françoise Mortureux
Libéraux, Annie Delaveau, Geneviève Petiot
Libres et égaux en droits, Raymonde Monnier

Marrakech. Promenade en compagnie d’Ibn Rushd (Averroès)

Mohammed Aziz Lahbabi Mémoires dans des jeux de miroirs, Lamria Chetouani

Militant, René Mouriaux

Les mots difficiles, Henri Béhar
Orthographe et apprentissage, Danielle Lorrot
Parole, Claudine Dannequin
Le passeur, Myriam Boutrolle
Phonographie, Pierre Fiala
Polysémie de la représentation chez J. Vallès , Ida Porfido
Du préjugé au mythe. Les « leçons » du séisme de Kobé, Jean-Paul Honoré
Producteur. De l’économie au politique, Marie-France Piguet
Régionalisation Le début du chemin, Dulce Elisabete Sanches Carvalho, Maria Fátima Ferreira Silva, Maria Emília Ricardo Marques
Re-torsion et bricolage : Mao Tsé Toung dans l’armée française, Gabriel Périès
Scénographie de la Lettre, Dominique Maingueneau
Sokal, Erik Neveu
Tableau. Sieyès néologue, Jacques Guilhaumou
Terminographie, Danielle Candel
Topologies, Arlette Delamare
Transparence, Roselyne Koren
Le truchement des mots, Paul Siblot
Volonté Ou comment clore notre nomenclature ?, Anne-Marie Hetzel, Josette Lefèvre
Zaïrisation, Bajana Kadima-Tshimanga
Zoom arrière, Passions et mesures, Nicole Arnold, Françoise Dougnac
Bibliographie de Maurice Tournier, Phung Tien Cong-Huyen-Nu

LES MOTS DIFFICILES

Fidèle à la tradition établie par l’école lansonienne, l’édition contemporaine procure les textes des grands auteurs, principalement ceux qui sont dans le domaine public, munis de variantes et de notes de caractère linguistique ou encyclopédique. Laissant pour une autre occasion le problème des variantes, à mettre en relation avec le renouvellement actuel des études génétiques, je voudrais aborder ici un implicite de ce travail éditorial, la question des notes relatives au vocabulaire, à la compréhension de l’œuvre.

Récemment, le présentateur d’une édition de texte en format de poche s’insurgeait de devoir, à la demande de son directeur de collection, expliquer le mot “ étable ”, dans la mesure où, lui disait-on, les jeunes lecteurs d’aujourd’hui n’ont plus aucune connaissance du monde rural. Mais, à ce compte, il faudrait annoter chacun des mots des textes du siècle passé en totalité ! Où mettre la limite entre le lexique qui relève du domaine public, si je puis dire, et celui qui demande à être ramené à une base commune ?

Autrefois, le directeur de la Bibliothèque de la Pléiade, aux éditions Gallimard, jugeait que, pour cette collection prestigieuse, il n’était pas nécessaire de définir, sauf dans le cas d’un usage spécifique, les mots ayant une entrée dans le Petit Larousse. C’est dire le caractère empirique d’une telle pratique, qui a du moins le mérite de se référer à un ouvrage didactique précis, facilement accessible. Mais l’ambiguïté provient du fait que c’est à la fois un dictionnaire de langue et un dictionnaire encyclopédique, à ce titre constamment renouvelé.

Dans la pratique, l’idéal serait de pouvoir se référer à une nomenclature établissant le vocabulaire que possède (ou devrait posséder) un élève moyen de seconde (à supposer que cet être théorique existe), un peu comme avait fait le CREDIF pour le français fondamental, en distinguant le vocabulaire actif du vocabulaire de la disponibilitéi.

Pour sa part, Hubert de Phalèse, qui propose un “ glossaire concordanceii ” des œuvres qu’il étudie, procède d’une manière méthodique, en se servant des outils informatiquesiii. J’analyserai sa démarche, en trois temps, telle qu’il l’applique au roman de Claude Simon, La Route des Flandres, mais toute autre de ses publications ferait l’affaire.

Possédant une version numérisée du texte, il pourrait la soumettre à la version automatisée du dictionnaire Larousse. Malheureusement, celle-ci n’est pas conçue pour lire les textes, et elle exige une manipulation qui serait fastidieuse pour une œuvre d’une certaine longueur. À défaut, il est permis de supposer que le correcteur orthographique d’un traitement de texte représente assez bien l’étendue du vocabulaire que domine, plus ou moins bien, la moyenne des lecteurs français, dans la mesure où ils emploient des mots dont ils éprouvent le besoin de vérifier l’orthographe.

Concrètement, Hubert de Phalèse a d’abord soumis le texte de La Route des Flandresiv au correcteur orthographique du traitement de textes Word7, et retenu, dans une première étape, tous les mots sur lesquels il s’arrêtait.

La première fonction de tout correcteur orthographique est de souligner les formes dont la graphie est différente de celle, canonique, qu’il possède en mémoire, par exemple “ devers ” (sans accent, p. 290), “ d’ouate ” (pour de ouate p. 270, l’élision étant facultative selon Grévisse) ; ou qu’il ignore absolument, comme : “ auto-sélection ” (65), “ arrière-magasin ” (270), “ casquettiers ” (270), etc. L’instrument est fort utile pour repérer les coquilles (de l’édition de référence ou de la saisie informatique, qu’il convient alors de corriger), les variantes typographiques d’une édition à l’autre, en quelque sorte. Il est irremplaçable pour signaler des particularités graphiques témoignant du caractère fluctuant de notre orthographe, des hésitations des protes, plutôt que d’une volonté du romancier.

Indispensable pour l’analyse d’un texte, cette étape initiale ne contribue pas directement au repérage des termes difficiles, mais elle atteste de la vie des mots, en perpétuelle transformation.

On ne sait pourquoi, le correcteur ignore le passé simple et le subjonctif imparfait. Certes, ces temps verbaux sont de moins en moins employés, mais ils restent enseignés depuis l’école primaire et sont donc supposés connus du public concerné. C’est pourquoi il n’a pas été tenu compte de ces formes, ni des formes répétées, non plus que des passages hétérogènes de l’œuvre : la page du cahier à couverture bleue, “ reproduite ” pp. 52-53, dont les termes italiens sont immédiatement traduits, les noms “ gutturaux et râpeux ” à consonance arabe (p. 245), enfin ceux des chevaux de course (énumérés p. 22), et, parmi les noms propres (par définition spécifiques) ceux des protagonistes.

Une constatation s’impose : à s’en tenir aux seuls noms communs, le texte de Claude Simon ne présente pas de grandes difficultés, puisque le correcteur ignore seulement 168 formes sur 91 745. J’en dresserai la typologie plus bas.

Cependant, il me faut poser une réserve d’emblée : nul ne sait d’où proviennent les formes enregistrées dans les dictionnaires du correcteur grammatical, qu’on suppose établies par compilation des entrées de divers dictionnaires automatiques, de sorte qu’il est impossible de préciser le niveau de culture des utilisateurs présumés.

D’autre part, cet outil ne reconnaît que des “ formes ”, c’est-à-dire des suites de caractères délimités par une ponctuation ou deux espaces blancs, de telle sorte qu’il peut accepter un mot dont le sens, dans le contexte, échappe au lecteur, comme, par exemple, la “ carrière ” (18), non point exploitation minière à ciel ouvert, ni parcours professionnel, mais terrain d’entraînement pour les cavaliers.

À titre de contre-expertise, Hubert de Phalèse s’est servi d’un logiciel de correction grammaticale et typographique, très utilisé dans les métiers du livre, Prolexisv. Si, là encore, on excepte les suggestions d’ordre typographique, et les catégories envisagées ci-dessus, le nombre de formes inconnues n’est pas différent de celui du correcteur associé au traitement de texte.

De fait, ces deux instruments interviennent d’abord pour aider le commentateur de l’œuvre à relever automatiquement des traits stylistiques pertinents. Non qu’ils puissent lui échapper à la simple lecture, mais parce qu’ici ils lui viennent en série et font sens.

Ainsi des divers procédés de l’oralité, indiqués au premier chef par la prononciation détaillée du nom propre de Reichac, “ vingt dieux t’as pas encore compris : chac l’ixe comme ch-che et le ch à la fin comme k ” (44). Hubert de Phalèse en a relevé les principaux traits : interjections, onomatopées, répétitions, troncature, écrasement, interruptions, transposition de la prononciation, tournures populaires, etcvi. Ceci, fort utile pour le stylisticien soucieux de montrer comment Claude Simon entend faire passer ces traits oraux dans le discours romanesque, ne semble pas présenter de difficulté d’interprétation pour le sujet parlant le français d’aujourd’hui, et ne contribue pas vraiment à la reconnaissance des mots difficiles, mais une édition critique doit en faire état, ne serait-ce que pour marquer le transfert de la langue parlée à l’écrit, et les choix opérés par l’auteur à ce titre.

Toutefois, conscient du caractère empirique de sa procédure, Hubert de Phalèse a cherché un support plus satisfaisant en constituant un corpus de comparaison, dans la base de données textuelles de l’Institut National de la langue française. Il affirme :

Pour caractériser le vocabulaire d’une œuvre, on ne peut procéder que de manière différentielle, en la comparant avec un corpus plus vaste qui servira de toile de fond. Il faut bien se rendre compte qu’il n’existe pas de référence absolue en matière de langue, qu’il est impossible de dire si un mot est rare ou fréquent sans se référer à un corpus précis. J’ai donc comparé La Route des Flandres à un ensemble de cinquante romans parus entre 1950 et 1970 disponibles dans la base Frantextvii.

L’objectif vise à constituer ce qu’il nomme fort heureusement “ l’horizon d’attente lexicale ” du lecteur à la date de publication du roman, différent du mien puisque je traite d’un lecteur actuel, différent du “ premier lecteur ” supposé, contemporain de la publication originale. En recherchant, comme il le fait, tous les hapax de La Route des Flandres (c’est-à-dire les mots n’apparaissant que dans ce roman) par rapport au corpus romanesque ainsi formé, on peut déterminer l’ensemble des mots “ rares ” du texte. Il est réjouissant de constater que plus de 1 500 formes appartiennent exclusivement à la parole romanesque de Claude Simon (exactement 14,3 %), ce qui est fort élevé, et laisse supposer que cet auteur pratique une langue très originale. Mais peut-être faut-il relativiser cette observation en tenant compte de la particularité du corpus de comparaison, qui ne contient guère d’œuvres dites du Nouveau Roman. Néanmoins, à l’examen, cette importante liste de mots fait ressortir ce que j’appellerais volontiers la “ manière ” de l’auteur (oralité, vocabulaire équestre, participe présent, terminaisons en -esque, etc.), sans que les formes consignées méritent un commentaire érudit. À titre d’exemple, voici la collecte des mots commençant par M, obtenue de cette manière :

“ macabres ; macaques ; madrépores ; magnétos ; mammouths ; MANUFre ; mariolle ; materait ; méandreux ; médisance ; mélangeraient ; menuet ; merd’ ; meringues ; mésalliances ; mesurassent ; métamorphosés ; milady ; minarets ; misogyniques ; modéliste ; moire ; molefse ; molletonnages ; mollettes ; monétaires ; monosacs ; monosyllabiques ; morphologie ; mozartiennes ; muant ; musculaires ; mythiques ”.

Sur ces 33 formes, 10 sont inconnues du correcteur orthographique de Word7, et 2 sont considérées comme des erreurs par Prolexis : un mot apocopé (“ merd’ ”) et un nom propre (Milady). Néanmoins, cette liste est différente de celles que procurent ces deux outils en scrutant le même roman.

Par ailleurs, sous la même lettre M, le “ glossaire concordance ” d’Hubert de Phalèse contient les 32 entrées, que voici :

“ macache ; macaque ; macchab ; macchabée ; mâchefer ; madrépore ; Mahomet ; mandragore ; manège ; manger (la boue) ; maquerelle ; margis ; mariolle ; marlou ; Martel ; mascaret ; méandreux ; Milady ; micro-photographie ; misogynique ; molletonnage ; monosac ; monte ; monter (long) ; monter ; moucher ; mousqueton, Mozart ; mozartien ”.

Outre les noms propres, on voit bien que cette liste est la compilation (suivie d’éliminations) des trois collectes annoncées ci-dessus :

  • à l’aide des correcteurs, qui butent sur les vocables suivants, relevant d’un niveau de langue soit populaire ou vulgaire : macache, macchab, macchabée, maquerelle, margis, marlou ; soit rare, littéraire, ou technique : méandreux, micro-photographie, misogynique, molletonnage, monosac, mozartien ;
  • parmi les “ hapax ” énumérés ci-dessus : macaque, madrépore, mariolle ;
  • par un repérage individuel, au fil du texte : mâchefer, mandragore, manège, monter, moucher, mousqueton.

Ici, une explication s’impose. En effet, si les outils utilisés en premier lieu permettent de se procurer rapidement et au moindre effort la nomenclature d’une certaine catégorie de vocables, ils ne traitent jamais de leur sens dans le contexte d’une phrase. À l’heure présente, je ne connais aucun instrument capable de suppléer l’homme dans cette opération. C’est pourquoi le scoliaste, muni d’un crayon, sélectionne, à la lecture, les mots qui, à ses yeux, présentent une certaine difficulté, soit pour leur amphibologie dans l’énoncé, soit pour leur rareté, comme on le verra ci-dessous.

En conséquence, les automates ne sauraient suffire à eux seuls pour établir la nomenclature des mots difficiles d’une œuvre littéraire. Autrement dit, s’ils opèrent d’une façon satisfaisante en langue, ils n’épuisent pas les incompétences (ou les ignorances) du lecteur dans ce qui relève de la parole, modulation artistique d’un discours individuel.

Dans le “ glossaire concordance ” d’Hubert de Phalèse, les entrées sont lemmatisées (ce qui veut dire ramenées à la forme canonique des dictionnaires) quand les vocables sont employés plusieurs fois, sous des formes déclinées, dans le récit. Pour chaque terme retenu, on trouvera sa concordance, c’est-à-dire le contexte minimum nécessaire à la compréhension, suivie de la pagination dans l’édition de référence (Éditions de Minuit, collection “ Double ”) et d’une notice extraite des dictionnaires numérisés, le Robert électronique pour la langue ; Axis pour la partie encyclopédique ; enfin de citations recueillies dans FRANTEXT. Sous une présentation adaptée à l’explication de texte, c’est ce que ferait l’exégète d’une édition savante, indiquant explicitement ses références.

Ayant expliqué comment ce glossaire est constitué, je peux en esquisser une typologie qui, me semble-t-il, pourrait servir de guide, ou de grille, à tous les exégètes.

Une première catégorie, relevant de ce qu’on nommait autrefois la philologie, est constituée de vocables à la graphie instable, de transpositions de la langue parlée, d’expressions figurées.

En matière de graphie, on observera les entorses à la norme actuelle, déjà relevées, avec auto-sélection (les mots composés du préfixe auto- ne prennent pas de trait d’union, sauf pour des raisons euphoniques) ; et les coquilles manifestes avec devers, préposition sans accent, à la place du substantif accentué.

J’ai déjà mentionné, ci-dessus, les diverses modalités par lesquelles Claude Simon rend compte des phénomènes de l’oralité dans le roman. Aux formes repérées par les automates, qui relèvent de la langue populaire : “ ben ”, “ biffin ”, “ cinoche ”, “ crin-crin ”, “ frusques ”, “ gonzesse ”, “ macache ”, “ macchabée ”, “ maquerelle ”, “ marlou ”, etc., s’ajoutent les tournures familières, telles que “ bouffer les pissenlits par la racine ” (244), voire scabreuses comme “ va te faire tarauder l’oignon ” (43) ou bien “ avoir le cul bordé de nouilles ” (43), etc. Même s’il n’est pas nécessaire de les expliquer pour l’hypothétique lecteur de seconde qui, en France du moins, en connaît de plus rudes, une remarque s’impose quant à la qualité des locuteurs qui en font usage.

Dans la même veine on relève les emplois figurés, soit lexicalisés tels que “ la clef des champs ” (56), ou plus spécialisés comme “ couper l’eau ” (11) expression inconnue des dictionnaires d’usage, par laquelle les cavaliers indiquent qu’ils ont empêché de s’étouffer le cheval s’abreuvant. C’est un trait de la langue française que certains verbes de mouvement : grimper, sauter, monter, ont une connotation érotique, de telle sorte qu’ils tracent un double sens dans ce roman. Il faut être un familier de l’œuvre de Claude Simon pour reconnaître une sorte de tic dans l’emploi fréquent de l’adjectif “ échassier, échassière ”, ce qui mérite une note spécifique. Il en va de même avec les adjectifs “ emperlé ”, “ endiamanté ”, ou le verbe “ s’enténébrer ” à la forme réfléchie.

La deuxième catégories comprend des formes réellement difficiles pour le lecteur supposé, dans la mesure où elles n’appartiennent pas à son langage usuel, ne figurent pas dans les dictionnaires d’usage ou bien désignent des référents disparus.

Il me semble qu’une édition critique devra nécessairement expliquer et commenter tout le vocabulaire technique ou spécialisé, relatif, dans le cas présent, à l’équitation, à l’armement, à la peinture, etc. En effet, s’il est traité dans les dictionnaires de référence, il figure rarement sous l’entrée attendue et surtout il joue un rôle précis dans la narration, comme s’il la saturait, explorant systématiquement le champ lexical pour les races de chevaux, leur dénomination dans toutes les catégories de la société, la couleur de leur robe, leur harnachement, leurs allures, etc. Alors que “ buvant dans son blanc ” (284), est expliqué à l’intérieur d’une notice du Robert : “ Cheval qui boit dans le blanc, qui boit son blanc, qui a le tour de la bouche blanc ”, “ monter long ” (293), qui caractérise la manière dont le cavalier règle la longueur de ses étrivières par opposition au jockey, demande des lectures complémentaires ou une pratique de la chose. Quant à “ liste en tête ” (284), qui désigne une bande de poils blancs sur les naseaux, expression glosée par le Robert qui renvoie justement à cet exemple de Claude Simon, il faut avoir l’œil bien exercé pour la relever.

Les mêmes observations vaudraient pour le vocabulaire militaire ou le lexique des couleurs, tout ce qui, en somme, est considéré comme spécialisé. Il est indispensable d’y joindre, sinon l’explication (car le contexte est assez éclairant), du moins la provenance de certains régionalismes, tels que “ les chiens ont mangé la boue ” (9), expression ardennaise dénotant un froid intense ; la “ gonfle ” (133), renvoyant indirectement à Roger Martin du Gard ; “ Flahutes ” (289) désignant autrefois les cyclistes flamands dans le Tour de France.

Ce dernier exemple nous conduit d’emblée à tout ce vocabulaire qui figure encore dans les dictionnaires courants, mais dont le référent a disparu ou s’est modifié considérablement, à tel point qu’il y faudrait plus qu’une note, tout un chapitre d’histoire culturelle. Que sait-on des “ assignats ” et des “ billets à ordre ”, des “ baleines ” et du “ cache-corset ”, de la “ robe à crevés ” et, davantage encore, de la signification profonde de “ chlorotiques ” (188) évoquant les pâles couleurs, maladie romantique par excellence ? Je me demande quel sens le lecteur attribuera spontanément à la mention d’un “ Frisé ” (216) dans ce roman qui prend soin de ne jamais nommer l’ennemi !

Avec cette majuscule, nous abordons la catégorie des noms propres, pour lesquels il serait facile d’appliquer la règle initiale : n’exigent un commentaire que les termes ne figurant pas (ou plus) dans le Petit Larousse actuel. Mais, aussitôt formulée, la norme souffre de nombreuses exceptions : le Dictionnaire des Misérables proposé par Hubert de Phalèseviii devait-il s’abstenir de mentionner tous les officiers généraux français de la République et de l’Empire, au prétexte qu’ils bénéficient d’une notice dans cet ouvrage de tradition républicaine, alors que, bien entendu, leurs homologues anglais n’y sont point ?

En fait, c’est là le point obscur de l’édition critique. Dans ses Techniques de la critique et de l’histoire littéraires, le très méticuleux Gustave Rudlerix ne dit rien de cette question centrale, qui fit pourtant la force des éditions critiques du siècle passé, et le protocole de la collection de la Pléiade que son directeur, Pierre Buge, voulut bien me communiquer il y a quelques années, n’en souffle mot. C’est dire combien chaque commentateur est livré à son intuition, à l’image qu’il se fait du destinataire de son travail, au sentiment qu’il a du connu et de l’inconnu.

Le repérage automatique de ces noms propres, leur mise en série nous permet surtout de mettre en évidence les strates culturelles de référence, de sorte que, selon le public postulé, on peut accorder une note aux noms d’origine mythologique, biblique, historique ou littéraire. Dans ce cas, l’important est d’être cohérent et de traiter de chaque ensemble.

Vient enfin la véritable néologie, enrichissement de la langue par dérivation, évolution sémantique ou création absolue. En bonne logique, c’est le seul aspect du récit qui demande un commentaire précis de la part du compilateur, lequel, connaissant parfaitement toute l’œuvre de son auteur, est capable de dire dans quelle mesure il fait preuve d’originalité par rapport à la pratique scripturale de son temps.

Formés par glissement de catégorie grammaticale, les adverbes et adjectifs “ ancestralement ” (11, 294), “ incoerciblement ” (160), “ intouchées ” (161), signalés comme “ rares ” dans les dictionnaires, peuvent être tenus pour de vrais hapax, dans la mesure où ils ne figurent pas dans le corpus témoin de Frantext et font, en revanche, partie de la parole simonienne. De même les adjectifs en -esque : “ babelesque ” (56), “ boy-scoutesque ” (176), “ donquichottesque ” (23), “ fourmillesque ” (53), formés sur le modèle de “ guignolesque ”, sur lesquels Patrick Rebollar a déjà attiré l’attentionx. Ils n’ont pas tous été forgés par Claude Simon, mais au moins deux d’entre eux font partie de son idiosyncrasie ; ce sont de ces mots qui signent une œuvre.

Une seconde variété d’hapax est formée par glissement sémantique ou par emprunt : “ corrodante ” (65), “ disgraciado ” (115), “ impolluable ” (139), impollué (66, 139, 144). Ici encore, une note s’impose. Non que la plupart de ces mots ne puissent être compris à l’aide d’un outil lexicographique, mais parce qu’il importe de savoir de quel domaine ils proviennent, et le sens spécifique que Claude Simon leur attribue dans son propre langage.

Les créations lexicales absolues sont évidemment très rares. Dans l’exemple étudié, mis à part les mots composés : “ espace-profondeur ” (82), “ gentilhomme-farmer ” (188), “ homme-cheval ” (69), dont le sens s’éclaire par le contexte, je ne retiendrai que deux vocables : “ effusionniste ” (189, 264), habituder (293). Le premier ironise sur la philosophie de Rousseau, et le second, qui semble un lapsus mais est une contribution véritable à l’évolution de la langue, pourrait bien nous éviter une périphrase.

À l’heure où les éditions critiques des œuvres dites “ classiques ” se multiplient, au point que le moindre volume en format de poche contient autant d’informations sur le texte que des éditions savantes telles que la collection des Grands Écrivains de la France, les Classiques Garnier ou la Bibliothèque de la Pléiade, se poser la question de savoir ce qu’il est nécessaire d’annoter relève de l’impensé critique.

Pourtant, dans sa pratique quotidienne, chacun sait ce qu’il convient de faire : l’éditeur connaît ses limites (imposées, peut-être, par le prix de revient du volume) ; le pédagogue pressent ce que son auditoire n’a pu percevoir du texte parce que cela n’entre pas dans ses catégories mentales ; le lecteur, qui est loin d’être un consommateur passif, se doute bien des éclairages qu’il lui faudrait concentrer pour saisir toute l’œuvre et s’adonner à son vice impuni. Mais chacun des partenaires fait comme si tout était déjà codifié, comme s’il n’y avait plus rien à y redire, comme si le travail de tous n’avait pas de prix, je veux dire de valeur intrinsèque.

Quelles seraient donc aujourd’hui, dans l’édition critique contemporaine, les fonctions de l’annotation des mots difficiles ?

Au plan formel, la tradition philologique, transmutée en linguistique, ayant pour objet de montrer le système de la parole singulière, indique la voie : elle signale et explique les variations de tous ordres, marque les transferts d’un niveau de langue à l’autre, les usages spécifiques, le traitement qu’un auteur donné impose à la langue.

Sur le fond, le plus ténu, le plus difficile à circonscrire, il faut bien le reconnaître, l’annotation vise, globalement, à restituer la référence perduexi ou, plus précisément, à établir le système de l’auteur, à un moment donné, sur le plan interne, à travers l’ensemble de sa production ; sur le plan externe, par rapport à son univers de référence, qu’il appartienne au vaste monde ou à ce qui lui est consubstantiel, le monde livresque, intertextuel pour tout dire. Il importe donc de posséder un glossaire (autant que possible numérisé) des œuvres complètes de l’auteur, afin de pouvoir déterminer l’usage qu’il fait de telle ou telle création verbale, de même qu’il faut pouvoir la rapporter à un corpus pertinent de textes du même genre, à la même époque. C’est ainsi, me semble-t-il, que “ les mots difficiles ”, dont on a vu qu’ils ne se réduisaient pas à des innovations sauvages, pourront être domestiqués.

Au vrai, si une telle pratique n’a jamais été théorisée, en dépit de sa nécessité concrète, c’est peut-être parce que le public a encore à l’oreille les ukases des surréalistes à l’encontre des commentateurs. Il serait temps de réagir.

i. Sur cette question, se reporter aux travaux de Georges Gougenheim et al., L’Élaboration du français fondamental, Credif, 1951 et 1964.

ii. Voir mon article “ Hubert de Phalèse’s Method ”, Literary & Linguistic Computing, Oxford, Vol. 10, n° 2, 1995, pp. 129-134, repris en français dans : Henri Béhar, La Littérature et son golem, Paris, Honoré Champion, 1996, coll. Travaux de linguistique quantitative, n° 58, pp. 151-162.

iii. Hubert de Phalèse est le nom collectif adopté par une équipe de recherche de l’université Paris III. Il a neuf titres à son actif, édités dans la collection Cap’agreg chez Nizet.

iv. Tout au long de cet article, je me réfère à : Claude Simon, La Route des Flandres (1960), Éditions de Minuit, coll. “ Double ”, tirage de 1997.

v. Produit de la firme Diagonal, version 2.2, 1997.

vi. Hubert de Phalèse, Code de La Route des Flandres, Nizet, 1997, pp. 54-55.

vii. Id., ibid. p. 46.

viii. Hubert de Phalèse, Dictionnaire des Misérables, Nizet, 1994, 160 p.

ix. Gustave Rudler, Techniques de la critique et de l’histoire littéraires, Oxford, 1923, 204 p. reprint chez Slatkine, 1979, coll. “ Ressources ”.

x. Voir : Patrick Rebollar, “ Simonesque, sur quelques adjectifs dans l’œuvre de Claude Simon ”, Le Texte, un objet d’études interdisciplinaires, Paris, Presses de l’Université Paris VIII, 1994, partiellement repris dans : Hubert de Phalèse, Code de La Route…, op. cit. pp. 44-45.

xi. Sur ce point, on lira avec profit la très lucide approche de Jean-Pierre Goldenstein, “ Référence parler : le retour du refoulé… ”, Pratiques, n° 93, mars 1997, pp.73-87.


Lire :

Claude Simon, La Route des Flandres (1960), Éditions de Minuit, coll. “ Double ”.

Hubert de Phalèse, Code de La Route des Flandres, Nizet, 1997.

https://melusine-surrealisme.fr/henribehar/wp/?page_id=205

Prolongements :

voir la MAIF, éditrice de répertoires des mots difficiles :

https://www.maif.fr/enseignants/solutions-educatives/les-mots-difficiles-a-lire-et-a-ecrire#:~:text=Les%20mots%20difficiles%20%C3%A0%20lire%20et%20Les%20mots%20difficiles%20%C3%A0,saisir%20son%20num%C3%A9ro%20de%20soci%C3%A9taire.

« Apollinaire champion d’Europe », Europe, n° 1043, mars 2016, p.  234

Mensuelle, Europe ne fut pas toujours, comme aujourd’hui, une revue littéraire. S’occupant de culture et d’idées politiques, on conçoit que les noms des écrivains et des poètes n’y figurent pas en permanence, et qu’elle ne se soit pas préoccupée d’établir un classement des valeurs littéraires dès son apparition, en 1923. D’autant plus que, tournée vers l’Europe et, pour ainsi dire, le monde entier, les Français ne devaient absolument pas occuper le devant de la scène. Fondée par des anciens du groupe de l’Abbaye et des amis de Romain Rolland, elle était plus préoccupée de revendication et de justice sociale que d’avant-garde. Néanmoins, elle ne pratiquait pas d’ostracisme envers l’avant-garde contemporaine, qu’elle regardait d’un œil souvent amusé, parfois horrifié, en attendant le moment où, une fois leur gourme jetée, ces jeunes, tel Philippe Soupault, viendraient la rejoindre. N’oublions pas que son premier numéro publiait un inédit du comte de Gobineau !

S’adressant à un public que l’on peut qualifier globalement « de gauche », sans risque d’être démenti, composé d’instituteurs, d’autodidactes, mais aussi de cadres, d’ouvriers organisés, de lecteurs éclairés qui ne demandaient qu’à l’être davantage, elle se devait de lui apporter des éléments d’information et de réflexion, lui découvrant de larges perspectives vers des cultures étrangères et dressant d’indispensables panoramas sur l’histoire des idées, des influences réciproques, d’un pays à l’autre, des esthétiques à l’œuvre ici et là. À ses débuts, la publication de textes étrangers contribua vivement à sa diffusion. Si bien qu’au bout d’une centaine d’années d’existence, elle occupe une place notable dans le champ culturel français. Qu’elle le veuille ou non, elle a procédé à un classement des valeurs et elle contribue, aujourd’hui encore, à la « panthéonisation » de certains auteurs, tant étrangers que français, et à leur divulgation en France, notamment à travers ses numéros spéciaux. À tel point que ceux-ci sont devenus la norme.

Pour vérifier chacune des assertions précédentes, nous disposons d’un outil incomparable, que bien des chercheurs nous envient. Cette source exhaustive, c’est le DVD de la revue, en texte intégral, reproduisant à l’identique toute la collection des livraisons de 1923 à l’an 2000, en mode image et en mode texte par conséquent. Un spécialiste de la mesure lexicale (lexicométrie), Étienne Brunet, l’a ainsi caractérisé : « de 1923 à 2000 il y a 860 numéros, compte tenu d’une suspension entre 1939 et 1945. Cela fait 13 mètres de rayons dans une bibliothèque, ou, si l’on compte en unités plus petites, 7 500 auteurs différents, 28 000 articles, 140 000 pages et 58 millions de mots. On se rapproche des sommets gigantesques de l’Encyclopaedia Universalis (6 025 auteurs, 30 000 articles, 52 millions de mots), et du Grand Larousse du XIXe siècle (90 millions de mots). »

Ainsi, l’amateur d’Apollinaire s’assure immédiatement que le nom du poète y apparait 3 224 fois, ce qui en fait l’un des plus fréquents dans l’ensemble indiqué, bien après Romain Rolland, cela va de soi, mais bien avant tous ses contemporains (il faudrait aussi tenir compte de la trentaine d’apparitions du dérivé apollinarien). C’est pourquoi le titre de cet article s’est imposé à moi, mathématiquement, si je puis dire. Apollinaire est un champion d’Europe par sa présence sous la plume des rédacteurs, par son aura chez les lecteurs, et peut-être, implicitement, parce qu’il n’a pas dédaigné, de son vivant, l’idée européenne, lui que la biographie montre européen avant tout, lui qui vécut « À travers l’Europe vêtue de feux multicolores ».

Surpris de l’étonnante réception critique du poète par la revue Europe, j’établirai la place qu’il occupe dans les 860 numéros considérés, j’analyserai ensuite les œuvres saillantes de son répertoire, pour, enfin, m’attarder sur l’image que les collaborateurs de la revue donnèrent de lui.

***

En quoi Apollinaire est-il le champion d’Europe ? Eh bien, tout simplement, parce qu’il est l’auteur le plus fréquemment nommé des membres de sa génération. J’appellerai génération d’Apollinaire, au sens que Thibaudet donnait à ce terme dans son Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours, tous les auteurs nés entre cinq ans avant, et jusqu’à cinq ans après lui. Voici, dans l’ordre des fréquences décroissantes, le relief que donne, aux dix premiers, le corpus considéré (c’est-à-dire toutes les livraisons de la revue de 1923 à 2000) : Apollinaire = 3 224 occ., Max Jacob = 2 524, Jules Romains = 1 464, Giraudoux = 1 368, Ramuz = 1 349, Raymond Roussel = 1 171, Victor Segalen = 842, François Mauriac = 823, Valery Larbaud = 817, Jules Supervielle = 724… Ce qui signifie, si l’on s’en tenait à ces seules fréquences, qu’il faudrait consacrer un numéro à Jules Romains, à Giraudoux et à Ramuz, après l’avoir fait pour Max Jacob et Apollinaire.

Quoi qu’on puisse penser des comptages, ce classement donne une image remarquable de la considération que la revue porte à certains écrivains de cette génération, tel Jacques Chardonne, tant prisé par un ancien Président de la République, ou bien le Paul Géraldy de Toi et moi (recueil qui figurait dans toutes les bibliothèques des familles) avec un score de 18 occurrences. Pour divers que soient ces contemporains, aucun n’est aussi considérable et considéré qu’Apollinaire, le fait est évident.

Le second, Max Jacob, que l’on peut tenir pour son frère d’armes, en dépit des variations de leur amitié, épouse une courbe de fréquence tout à fait parallèle à celle d’Apollinaire, à cette différence près que le dossier Jacob précède de neuf ans celui que la revue a consacré à Apollinaire, et qu’il est plus fortement question du premier en 1949, en raison des nombreux articles évoquant son destin tragique.

Mais, dira-t-on avec raison, de tels scores doivent toujours être relativisés. Ainsi, Romain Rolland, champion toutes catégories, apparait-il 6 671 fois, en incluant un numéro spécial (n° 109-110, 1955) consacré à ce père tutélaire. On notera avec curiosité la fréquence accordée à un Claudel, à qui fut dédié un dossier en 1982, soit 2 242 occ., Gide n’atteignant que 2 183 occ. et Péguy, 1 836, à peine plus que Jarry son « conscrit », né la même année que lui, soit 1 696 occ.

Plus jeunes que lui, ses voisins les plus proches ne lui font aucune ombre. Cendrars n’a que 1 975 occ. (tout en y incluant un dossier en 1976) ; Reverdy seulement 1 182 occ. en dépit d’un numéro double en 1994 ; sans parler du dévoué André Salmon (191 occ.), non plus que de Pierre Albert-Birot, injustement moqué par ses contemporains, les surréalistes.

On notera, au passage, que le fait de consacrer un numéro à un écrivain accroît systématiquement sa fréquence dans la revue d’un millier d’occurrences.

***

Ainsi, notre poète occupe bien la première place dans sa génération et même au-delà. La haute fréquence de son nom ne signifie pas qu’il apparaisse dans la revue d’une façon également répartie dans les 218 articles où il est nommé, de 1923 à l’an 2000. La statistique année par année (qu’un graphique traduirait plus éloquemment), montre des pics de fréquence en 1953, 1958, 1966, 1970, 1982, etc. Il va de soi que la haute fréquence de 1 100 occ. en 1966 correspond, comme indiqué précédemment, à la livraison entièrement consacrée au poète. Inversement, il y a des années totalement creuses, où il n’est jamais nommé (en 1928, 1929, 1930, 19332, 1934…). D’autres où il l’est à peine : 4 fois en 1949, 9 fois en 1965, l’année-même qui précède le numéro dédié à son œuvre !

Pour résumer cette prise de vue chronologique, disons qu’il est nommé 62 fois dans la période d’avant-guerre (1923-1939), dont 29 fois en 1924, essentiellement dans la chronique que René Lalou lui consacre, pour le cinquième anniversaire de sa mort. Chronique mitigée, sans réserve pour le poète d’Alcools, très critique envers le théoricien de « l’Esprit Nouveau » !

Il est nommé 1 748 fois dans la période 1946-1968, majoritairement dans le n° 451-52 de 1966, déjà signalé, auquel je consacrerai un examen particulier ci-après.

À la reprise de la revue, après de si dures épreuves nationales, nul ne s’étonnera de voir Aragon parler d’Apollinaire conjointement avec Max Jacob au sujet du poème en prose dans ses « Chroniques du Bel-Canto » (avril 1946, p. 106) et Claude Roy dresser en 1948 un panorama des livres récemment parus d’André Rouveyre, Louise Faure-Favier, André Billy, Aegerter et Labracherie, à la recherche d’un « lyrisme du discontinu » parfois capté par Apollinaire.

Poursuivant ce décompte, je relève qu’entre 1969 et 1984, il y a 1 031 occ. de ce nom choisi, dont 278 en 1970 et 222 en 1982, surtout dans le numéro de juin-juillet, tranchant de « Cubisme et littérature ».

À noter un net recul pour la dernière période : de 1985 à 2000 inclus, il n’y a que 383 occurrences du patronyme, dont 67 en 1993 et 57 en 1997, ce qui est tout de même six fois plus que durant l’avant-guerre !

Soit, dira-t-on, Apollinaire est fort souvent nommé dans votre revue. Mais cette haute fréquence ne dit pas si c’est en bien ou en mal, pour le louer ou pour en médire !

Je regrette de ne pouvoir reproduire ici, comme on fait dans les études bibliques, un tableau de la totalité des « concordances » (index alphabétique, ligne par ligne, des 3 224 apparitions du patronyme Apollinaire, avec sa localisation dans la collection complète de la revue) afin d’en dégager, d’un seul coup d’œil, la valeur (positive ou négative) et l’usage. Malgré la gageure, je me hasarderai toutefois à montrer, à titre d’exemple, ce qu’on pourrait lire pour la première période (1923-1939), avec un tri à la gauche du mot vedette :

2910329e| s de Strawinsky , de Picasso , d’ Apollinaire ? Plutôt faubourg Saint –

3523999d| in des coups d’ oeil complices d’ Apollinaire , de ses sous – entendus ,

3523997b| nous nous arrêtions aux images d’ Apollinaire : Ta langue poisson roug

3523996h| emblait très fort à ces images d’ Apollinaire à la boue près , à la merd

3827779i| jours été . Les grandes ombres d’ Apollinaire et de Reverdy y planent pa

3727080a| souvent les poèmes de Fagus ou d’ Apollinaire : c’ est une mélodie d’ un

3727046b| ses communicants , à la poésie d’ Apollinaire et de Fargues . Mais depui

3930025a| Manuel poétique d’ Apollinaire , par Jeanine MOULIN ( Les

3829048e| ne note curieuse sur le Séjour d’ Apollinaire en Rhénanie , par E . – M

2910616e| piration font de lui une sorte d’ Apollinaire italien . En dehors de ses

3930350e| ci : notez au passage des vers d’ Apollinaire de Montherlant , de Reverd

3523996i| ne . Et j’ ai pourtant à dire qu’ Apollinaire mentait , parce que dans l

3115404f| isation , quand ils demandèrent à Apollinaire clé graver à la Sorbonne L

3828781i| t avec ceux gui , de Dioseoride à Apollinaire , ont fait servir la litté

242286a| s la dédicace de l’ Hérésiarque , Apollinaire donnait ses contes pour «

264720j| oux , Morand , Larbaud , Proust , Apollinaire … Bref , ni chronologie ré

241885c| ition , vrai Baedeker universel , Apollinaire était un esprit essentiell

277679g| vention du ressort et du détail . Apollinaire a accroché là , à de modes

242284d| une époque féconde en doutes . Apollinaire nous propose une oeuvre ,

241885b| un véritable « esprit nouveau » ? Apollinaire , qui a tant chéri la myst

241885i| autre , c’ est en grande partie à Apollinaire qu’ on le doit . A lui , e

242285f| nébuleuses … Or c’ est un autre Apollinaire qu’ on nous somme d’ admir

242284g| t richesse profonde . Il y a chez Apollinaire une incontestable virtuosi

241885e| térature européenne . J’ ai connu Apollinaire à ses débuts . C’ était al

242284c| e la piété qui pousse les amis d’ Apollinaire à lui apporter leur témoig

265730b| lant , baptisé du nom chrétien d’ Apollinaire , ceci , votre portrait en

231502a| CHRONIQUES 497 au « côté d’ Apollinaire » ; des survivants de l’ è

242286h| prit nouveau » ! Tout le drame d’ Apollinaire est là . Le poème final de

242285h| qui vient , dans l’ esthétique d’ Apollinaire , d’ un Picasso et d’ un B

242284d| alaisée . L’ origine étrangère d’ Apollinaire entre ici en ligne de comp

299987d| mour de Picasso , l’ imitation d’ Apollinaire doivent empêcher M . Cocte

242284b| Duhamel définissait l’ oeuvre d’ Apollinaire « une boutique de brocante

242287a| , qu’ elle recouvre les singes d’ Apollinaire ! A lui , nous devons – mi

253301j| dont , depuis . Mallarmé , depuis Apollinaire , il court , chez les poèt

242285b| e des poèmes – conversations dont Apollinaire fut l’ inventeur . Et nous

242284a| es paroles graves : ils ont égalé Apollinaire à Rimbaud . Cependant pers

242284a| GUILLAUME APOLLINAIRE Le cinquième anniversaire

241885b| et , faire un maître de Guillaume Apollinaire ? Et n’ a – t – on pas été

242284a| iversaire de la mort de Guillaume Apollinaire a provoqué des manifestati

299969j| de Maurice Scève ou de Guillaume Apollinaire au moment – du pourboire .

242286e| ent un infranchissable intervalle Apollinaire rêva d’ être un enchanteur

242286f| e bel Amicitioe sacrum qu’ est l’ Apollinaire Vivant d’ André Billy , il

242531c| ines publiées dans le Mercure par Apollinaire . Il ne faudrait pas , e

242285j| stériles imitateurs . Reste pour Apollinaire – l’ honneur d’ avoir invo

242285i| nomme le cubisme littéraire , si Apollinaire en fut l’ instigateur , el

242285e| abilement Villon et Verlaine . Si Apollinaire tenait tout entier dans le

242285h| nie de cet étonnant jongleur ; si Apollinaire avait vraiment le sens de

242285c| oque qui obscurcit tout débat sur Apollinaire . Ses dévots en sont respo

3320214a| ARTS ) . Vers 1910 , Guillaume Apollinaire et quelques poètes découvr

3829056c| gate l’ image fidèle de Guillaume Apollinaire , « la cétoine au coeur de

3727077d| est dans les poèmes de Guillaume Apollinaire que les échos des ancienne

3523996a| t au destin surprenant Guillaume Apollinaire était , au temps où j’ ava

3930190d| hique du pont Mirabeau dont parle Apollinaire , l’ héliotrope d’ Arthur

3726774a| Après avoir publié sur Apollinaire , Max Jacob , Mallarmé , d

3523998b| e officiel qu’ ambitionnait jadis Apollinaire , Marinetti déclare dans L

3523996e| TT RATURE 475 fruit défendu . Et Apollinaire nous apparaissait , derriè

2910364a| es vers oscillent entre Moréas et Apollinaire , préconise dans son roman

3930163d| époque de Braque et de Picasso et Apollinaire va mourir . Il y a Max Jac

3523996f| a guerre est jolie Mais pourtant Apollinaire pratiquait avec une habile

2910527g| t – on pas une métaphysique chez Apollinaire qui n’ en parle pas ? Et ,

À noter que, sur la machine, un simple clic me renvoie au contexte intégral, ce qui me permet de constater que le « nom chrétien d’Apollinaire » fait partie d’un récit d’Isaac Babel, et ne nous concerne pas ici (il y a 9 occ. du prénom Sidoine, et le fait qu’il soit compté dans la fréquence totale n’a guère d’incidence sur un grand ensemble de 3224 occ.). Un examen superficiel du tableau montre que le poète est, d’emblée, désigné par son patronyme seul, sans prénom, signe incontestable de notoriété. Poussant plus loin, on relèvera les noms les plus proches d’Apollinaire, et les termes qui l’accompagnent le plus fréquemment : images, esthétique, poétique… La vertu de tels outils n’est, heureusement, plus à démontrer (encore que peu nombreux soient ceux qui s’en servent). Dans le souci de situer Apollinaire parmi les préoccupations des collaborateurs de la revue Europe, je m’attarderai plus précisément sur les diverses catégories de textes le nommant.

***

La première, la plus évidente, est celle des documents qui portent la signature du défunt. Elle se trouve dans trois fac-similés autographes, insérés dans le numéro spécial de 1966, puis au bas du manifeste L’Antitradition futuriste, imprimé reproduit selon la même technique en mars 1975. Dans tous les cas, ce sont des documents rares, des manuscrits de poèmes (« Apothéose », fragment – Coll. Chobot ; « Exercice » – à G. Turpin. Coll. Adéma), ou une lettre (Carte-lettre de mars 1916, Coll. Madeleine Pagès) confiés par Jacqueline Apollinaire, André Salmon, Pierre-Albert Birot, et surtout son biographe-collectionneur, Pierre-Marcel Adéma, qui avait largement ouvert ses archives. Sous une couverture reproduisant une aquarelle de Max Jacob, l’illustration de ce n° 451-52 est d’autant plus remarquable qu’avant les années 2000 la revue ne comportait guère d’illustrations. C’est dire le prix qu’on attachait à l’écriture même du poète, sans parler de la qualité des documents inédits, montrés au lecteur pour la première fois.

Viennent ensuite les études et les articles, de ce premier dossier consacré à l’Enchanteur lui-même, qui fit réellement date : il coïncidait avec le programme des agrégations de Lettres, et beaucoup s’en souviennent encore.

La structure des numéros spéciaux de la revue imposait, à l’époque, une présentation par son responsable éditorial, une situation de l’écrivain dans son époque et une chronologie. Cette livraison ne déroge pas à la règle, avec une introduction de Pierre Gamarra qui, de retour de Géorgie, dresse, sous le titre « De faïence et d’escarboucle », un curieux parallèle entre Apollinaire et le huitième centenaire du poète national Roustaveli, auteur d’un poème de 7 000 vers, Le Chevalier à la peau de tigre, dont le peuple est capable de réciter spontanément de longues laisses (Gamarra m’a lui-même récité, sinon la totalité de La Légende des siècles, du moins Le Petit roi de Galice de Victor Hugo, en y mettant le ton et la respiration ; il eût été capable de faire de même pour ce chevalier-là, si on lui en avait donné le temps). Ce qui le conduit à réfléchir sur la notion de popularité, qui caractérise désormais Apollinaire, et sur le mélange de classicisme et d’anticipation, formule même de la modernité. La « Couleur du temps », brossée à grands traits par Maurice Bouvier-Ajame, ne manque pas d’être utile à ceux qui ne croient pas que la poésie sort tout habillée du cerveau de l’artiste. Enfin la chronologie, établie par Michel Décaudin, remet les pendules à l’heure, sur bien des points controversés.

Dans le cadre de ce dénombrement, il serait impertinent d’examiner chaque contribution par le détail. Qu’on me permette de reproduire le sommaire, tel qu’il se présente au lecteur :

Jacques Gaucheron, Etoile Apollinaire, 31

Michel Décaudin, Un chapitre impossible, 36

Jean-Claude Chevalier, Apollinaire et le calembour, 56

P.M. Adéma, “Le Festin d’Esope”, 78

Franz Hellens, Apollinaire avec le recul, 86

Claudine Chonez, Apollinaire parmi nous, 97

Simone Delesalle, Le langage d’Apollinaire, 105

Roger Chateauneu, Inventer l’alphabet du phénix, 112

Pierre Lagrue, Guillaume et Blaise, 118

Hélène Henry, Guillaume et Max, 124

Roger Navarri, Poète du déracinement, 132

Henri Meschonnic, Illuminé au milieu d’ombres, 141

Françoise Han, Images du futur, 169

Noémie Blumenkranz Onimus, Vers une esthétique de ” La Raison ardente “, 173

Georges Dupeyron, Espace et temps, 193

Bernadette Morand, L’absence et la guerre, 202

Lionel Follet, L’amour malheureux, dans “Les Sept Épées”, 206

Frédéric Robert, Apollinaire et ses musiciens, 239

Durey Louis, “Belle clarté, chère raison”, 248

Jean-Claude Chevalier, Apollinaire et la critique, 251

Marie-Louise Coudert, Apollinaire 66, 257

Albert Fournier, Des pied-à-terre au pigeonnier, 295

Il est difficile d’y déceler un principe d’organisation, tant les articles thématiques se mêlent aux études historiques et aux approches plus techniques, sinon le fait que la place d’honneur revient à un poète familier de la revue, lequel, par une image forestière, indique à la fois la place incontestable qu’occupe Apollinaire dans les lettres contemporaines, mais exprime aussi ses propres réticences (comme n’y manquèrent pas certains disciples immédiats d’Apollinaire), à l’égard de sa conception de la modernité, de l’ordre et de l’aventure. C’est, toute proportion gardée, ce qu’exprime, quelques pages plus loin, un autre poète, Franz Hellens, « avec le recul », comme il dit. Nul doute que le jugement de Georges Duhamel, comparant la poésie d’Apollinaire à une boutique de brocanteur, pèse encore sur plusieurs esprits, qui s’efforcent alors de le contredire, ainsi Lionel Follet qui tente avec conviction d’éclairer l’intermède insolite des « Sept Épées ».

Ainsi, les études d’histoire littéraire, au sens large du terme, ne manquent pas de signaler les points obscurs de son œuvre-vie (Décaudin), marquent les rapports conflictuels du poète avec ses complices Max et Blaise, montrent son rôle comme animateur de revues, analysent avec finesse les matériaux qui étaient donnés à lire à l’époque, tel le recueil des lettres à Madeleine Pagès, Tendre comme le souvenir (Bernadette Morand). Albert Fournier poursuit une entreprise savoureuse qui consiste à situer les écrivains dans leurs demeures et à faire entrer, en quelque sorte, la littérature par la promenade, qu’elle soit réelle ou imaginaire.

Mais ce qui, à mes yeux, fit date, et qu’on ne retrouvera plus guère dans la revue, ce fut la publication d’un travail d’équipe : celui que menaient Jean-Claude Chevalier, Simone Delesalle, Henri Meschonnic et leurs collègues à la faculté des Lettres de Lille. Car tel était leur lieu d’exercice. Je puis témoigner de leur réflexion collective, de leur souci d’employer un vocabulaire scientifiquement justifié, moi qui les ai souvent vus travailler dans la Flèche du Nord. Je ne devais pas tarder à descendre, eux à poursuivre leurs débats jusqu’à Lille. Le résultat revêt la forme d’articles autonomes mais interdépendants. C’était l’époque où la linguistique tendait à occuper tout le terrain des études littéraires. Elle s’avance ici à découvert, avec un sourire bienveillant, voire séducteur. Simone Delesalle en explorant tous les pouvoirs de la métaphore, Jean-Claude Chevalier en exposant une théorie, dont l’urgence se faisait sentir, du calembour créateur. Quant à Meschonnic, il lui revenait de tout dire, en raison d’une méthode qu’à l’époque j’aurais qualifiée de structuro-globale, ce qu’il m’aurait aussitôt refusé, afin d’y opposer sa conception du rythme comme totalité.

Un troisième groupe de contributions donnait sa couleur spéciale à la revue Europe, que l’on n’imagine pas renfermée sur son territoire. Apollinaire était ainsi vu de Prague, ou de Géorgie. Hubert Juin y relevait les traces de sa Wallonie natale, N.I. Balachov donnait une leçon sur les cosaques Zaporogues, enfin Michèle Loi y nommait la génération des jeunes poètes chinois tournés vers l’occident, et se référant explicitement à Apollinaire, au moment même où ladite « révolution culturelle » s’en prenait aux suppôts de l’étranger1.

***

La qualité exceptionnelle d’une telle livraison ne saurait faire oublier les cent-quatre-vingt autres articles mentionnant le poète d’Alcools durant toute la période considérée. Pour aller à l’essentiel, je ne mentionnerai que les textes le désignant par leur titre. Le DVD nous le permettant, nous mettrons de côté les notes de lecture pour analyser les articles de fond.

Signe indubitable de notoriété, trois poètes, appartenant à des générations différentes, lui consacrent chacun un poème. Ce sont, tour à tour, Anatol Stern2, ex-avant-gardiste polonais, qui prétendait avoir découvert la filiation napoléonienne du poète, évoquant en 17 chants la trajectoire du bon Guillaume, à la manière de « Zone » ; puis Walter Lowenfels3, poète américain, dont l’élégie (en anglais) avait été d’abord publiée en 1930 par Nancy Cunard chez Hours Press, sa petite maison rurale d’édition, traduite par Charles Dobzynski, lui-même poète fort attaché à la revue et partisan de l’adage baudelairien selon lequel le meilleur commentaire d’un texte est encore un poème.

Proches de ces hommages poétiques, viennent les évocations de son milieu, de sa vie quotidienne, avec le témoignage d’Henri Hertz4, récemment disparu, rappelant sa capacité à prendre le ton des gens rencontrés, son intérêt pour les Juifs, sa fantaisie comme journaliste, les aventures du Festin d’Ésope. Il concluait par son indéfectible foi en l’avenir. Piéton de Paris à sa manière, Albert Fournier5 rendait compte, au lendemain de sa mort (le 21 août 1967) d’une visite à Jacqueline Apollinaire, en décrivant ce qu’il nommait le musée Apollinaire, tout en répétant les assurances données par son neveu sur l’accès à la collection. Auparavant, un certain Laurent6 (qui ne donne que l’initiale de son prénom) rapportait sa participation à la réunion internationale de Stavelot, sa visite des lieux historiques où le jeune Apollinaire et son frère avaient vécu, sous la houlette de Pierre Adéma, et recensait la plupart des poèmes nés en cette Ardenne féconde.

Parmi les articles de fond, dirons-nous, apparaît d’abord, en prolongement de son important essai intitulé Plaisir poétique, plaisir musculaire, un curieux document convoqué par André Spire7. Il s’agit d’un texte fort circonstancié de George Sand protestant contre l’usage de la majuscule au début de chaque vers. Pour Spire, la disparition de ces majuscules est bien plus importante que celle de la ponctuation, initiée par Apollinaire sur les épreuves d’Alcools (récemment publiées par Tristan Tzara en 1953). Dix ans après, dans le volume consacré à l’année 1914, Roland Pierre8 commente la formidable création poétique d’Apollinaire pendant la guerre, et, bien évidemment, son exclamation « Ah Dieu ! que la guerre est jolie ». C’est qu’il pense à l’avenir, aux nouveaux domaines à explorer. Calligrammes désespère A. Breton, tandis qu’Aragon ne voulait y voir que l’ironie et la provocation indirecte. Et Couleur du temps, représentée après son décès, dit tout l’espoir qu’il place dans l’amour. C’est aussi à l’occasion d’un dossier consacré cette fois à Picasso que Michel Pierssens9 avance une opinion tranchée sur Apollinaire critique d’art. Il rappelle leur rencontre au Bateau Lavoir, renvoie une idée reçue selon laquelle Apollinaire aurait expliqué le cubisme. Poète, celui-ci donne une critique impressionniste, et il évolue vers le cubisme. Son commentaire, de plus en plus lyrique, n’explique pas mais accompagne l’élan créateur du peintre. Dans la dernière période analysée, l’érudition s’affiche en tant que telle. Quatre articles viennent ainsi éclairer le lecteur d’Europe. Le premier, d’un hispanisant, examine « Les Sources espagnoles d’Apollinaire dans Les Trois Don Juan »10, et montre chez Apollinaire une connaissance très fine de l’espagnol. Le second, dans l’ordre chronologique, met un point final à l’interrogation sur « L’Écriture cubiste d’Apollinaire »11. Le numéro entier étant consacré au cubisme littéraire, l’auteure recherche les affinités entre peinture cubiste et poésie d’avant-garde à travers les ouvrages qui se trouvaient dans sa bibliothèque. Elle fait ressortir la notion de « nécessité intérieure », employée par Kandinsky dans Du spirituel dans l’art, qui aura une belle fortune par la suite, chez Breton notamment. Mais surtout elle met en valeur l’influence d’un ouvrage de Gaston de Pawlowski, le Voyage au pays de la 4e dimension, qui ouvre sur une mise en cause de l’ordre de la lecture, favorisant l’apparition des Calligrammes. La même livraison nous donne un exemple de « Lecture du cubisme par deux poètes : Apollinaire et Reverdy »12. Les poètes ont su dire la théorie du cubisme mieux que les peintres et théoriciens. D’où une application en deux volets, opposant Apollinaire à Reverdy. Apollinaire met en évidence le « réel comme représentation » et le « travail-matière ». Enfin, dans le numéro consacré à Fernand Léger, Michel Décaudin insiste sur l’importance du second titre dans l’essai d’Apollinaire, Méditations esthétiques, où le poète distingue les peintres nouveaux, sous la bannière du cubisme13.

Chacun sait que la période considérée fut riche en republications des œuvres d’Apollinaire, et en publications d’inédits, ce dont les lecteurs sont le plus avides, notamment au sujet de ses lettres intimes, de ses carnets, et des œuvres dites licencieuses, qui lui permettaient de vivre honnêtement. Ce qui a donné lieu à une dizaine de recensions, dénommées notes de lecture dans la revue (ndl dans le DVD). On en relève dix entre 1948 et 2000, traitant de la publication d’œuvres d’Apollinaire lui-même.

La première est une brève notule, signée de Jacques Gaucheron, nouveau venu dans l’équipe d’Europe, dans les fourgons d’Aragon14. Il se réjouit d’une publication attendue depuis vingt ans, celle d’Ombre de mon amour (chez Pierre Cailler, Genève, 1948). Après tant d’exégèses savantes, il y trouve un bain de fraîcheur, ce qui ne résout d’ailleurs pas le mystère qui émane du poète, qu’il convient d’aimer en bloc, sous toutes ses formes, et surtout sans aucune censure. Il y a là un ensemble de matériaux qui invite à la poursuite des recherches, conclut-il.

La seconde, sous la plume d’Alain Guérin, salue la publication intégrale de Que faire ?, « excellent feuilleton » dit-il, d’autant plus qu’il est préfacé par Jean Marcenac, l’un des piliers de la revue d’après-guerre15. Couleur du temps : il considère que la poésie, ce qu’on nomme justement l’Esprit Nouveau, place désormais son espoir dans la science, et cite le fameux Lysenko, tant apprécié par Aragon pour ses théories génétiques, ce qui fit plonger Europe dans le stalinisme pour dix années, et lui colla une fâcheuse réputation ! Heureusement, Apollinaire ne devait pas faire les frais d’un tel sectarisme, comme le prouve le numéro spécial qui lui fut consacré en 1966, illustrant, par là-même, le nouveau cours d’Europe.

Auparavant, Marc Le Bot commente les Chroniques d’art publiées par L.-C. Breunig, souligne leur immense intérêt pour la connaissance du goût et de la société du temps, appelle à retoucher l’image du poète, son éclectisme, son rôle dans le développement de l’art contemporain, comment il se fait l’écho de ses amis16.

C’est à nouveau Jacques Gaucheron qui, dans la lignée de ce numéro, rend compte des Lettres à Lou, éditées et annotées par Michel Décaudin, qu’il salue en retraçant la genèse du volume résultant de « l’étrange intermède », pour reprendre l’expression du préfacier17. À ses yeux, poèmes et lettres sont inséparables, et la poésie s’éclaire de l’expérience sensuelle, laquelle réinvente l’amour, dans une âme et dans un corps. Comme on le voit, l’analyse est loin du vocabulaire marxiste. Gaucheron distingue deux versants dans cette correspondance : le premier, du 28 septembre 1914 jusqu’en mars 1915, c’est-à-dire jusqu’au moment où Apollinaire est au front. Le second où Lou devient invisible, où le poète projette un livre qu’il intitulerait « Correspondance avec l’ombre de mon amour ». Comme rien n’est simple, passe alors l’ombre mentale de Madeleine, qu’il rêve de former à sa main. Le commentateur souligne, pour finir, la révision des valeurs poétiques à laquelle l’ouvrage nous soumet.

Par la suite, les notes de lecture rendront compte de la correspondance d’Apollinaire. Une notule de Max Allau sur les lettres du poète à sa mère et à son frère relève le caractère bien connu de la mère, exigeante et toujours inquiète, en insistant sur la personnalité d’Albert, frère admiratif et généreux18. La note des Virmaux sur la correspondance du poète avec Picasso19 mentionne la curiosité croissante du public pour ce genre d’écrits intime, espérant percer un secret, et par conséquent toujours déçu. Ici, l’apport est incontestable, par les dessins dont Picasso parsème ses messages, par les poèmes qui viennent étayer ceux d’Apollinaire. Surtout, c’est la nature exigeante de cette amitié qui s’exprime, heureusement éclairée par les notes minutieuses de Pierre Caizergues, à l’évocation de toute une génération. Dans la même veine, la Correspondance Cocteau-Apollinaire, présentée par les mêmes érudits, est élogieusement signalée par Jean Pandolfi20. Il y voit revivre tout un pan de la vie artistique et littéraire de Noël 1916 au 5 novembre 1918.

Dans le même numéro, Jean-Paul Corsetti rend compte du Journal intime d’Apollinaire, publié par Michel Décaudin21. Brièvement, il en dit combien il reflétait les diverses facettes du poète, sa curiosité, son goût de l’étrange et du singulier. Il concluait : « Un livre singulier et divertissant et un fort bel objet bibliophilique. »

Il faut dire ici combien la recension d’une publication dans Europe est aléatoire, dépendant parfois d’un service de presse qui mésestime la revue, ou, inversement, d’une équipe fluctuante de recenseurs, ce qui, dans tous les cas, aboutit à des incohérences. Ainsi, on aurait pu penser que la nouvelle publication des Œuvres complètes dans la bibliothèque de la Pléiade devait susciter la publication d’un compte rendu à la parution de chacun des volumes. Ce ne fut pas le cas, ce qui ne signifie pas, au contraire, que l’auteur d’Alcools ait été méprisé. C’est donc le deuxième tome des Œuvres en prose qui suscite la réflexion de Max Alhau22. Il souligne le vœu d’unité chez le critique d’art Apollinaire, dont les Méditations esthétiques se concentrent sur cette formule : « J’aime l’art d’aujourd’hui parce que j’aime avant tout la lumière et tous les hommes aiment avant tout la lumière, ils ont inventé le feu. » Quant à la critique littéraire, Alhau en montre la triste évolution vers un certain patriotisme. Et de conclure sur la remarquable érudition des présentateurs, Décaudin et Caizergues. C’est le même Max Alhau qui, l’année suivante, rend compte du tome III des œuvres en prose23. Celui qui comblera le plus la curiosité du lecteur, tant avec les écrits anecdotiques que les érotiques (Les Diables amoureux), voire pornographiques (Les Exploits d’un jeune don Juan), de telle sorte que « la surprise du lecteur n’est jamais déçue ».

L’apollinarien exigeant voudrait sans doute qu’Europe signale ou rende compte, dans ses Notes de lecture, de tous les textes du poète, ou des ouvrages à lui consacrés. Il conviendra avec moi que dix signalements durant la période considérée, c’est loin d’être négligeable. D’autant plus qu’il faudrait y inclure deux notes sur des monographies. La première, en mars 1946, signale avec sympathie le petit livre d’André Rouveyre sur son ami, publié chez Gallimard24. Il n’en va pas de même avec la seconde, rendant compte de l’essai de Robert Couffignal dans la collection « Les Écrivains devant Dieu »25, que Jacques Gaucheron dénonce vigoureusement comme « un abominable petit livre », totalement faux, notamment dans son analyse de « Zone ».

***

L’image d’Apollinaire dans la revue Europe est loin d’être négligeable, tant quantitativement que qualitativement. Pour de multiples raisons, ne serait-ce que sa position au cœur des avant-gardes qui explosèrent après la Première Guerre mondiale, le poète d’Alcools et de Calligrammes devint, en quelque sorte, la pierre de touche de la poésie contemporaine, au-delà des articles qui lui furent explicitement consacrés. On se réfère constamment à lui, à propos de chaque écrivain de la génération qui lui succéda, tant pour dire la dette contractée à son égard, que la déférence dont elle témoigna. Ainsi dès la deuxième ligne de l’article que Georges Sadoul consacre à Paul Éluard (juil.-août 1953, p. 39) : il avait eu le défaut de mourir trop tôt… Il en est de même dans les dossiers consacrés à Tzara, à Breton, etc.

Certes, il n’apparait pas une « École Apollinaire », du moins pas dans cette revue. Encore que, par sa seule présence au Comité, Aragon ait pu en rappeler la figure tutélaire, nul n’a cherché à l’attirer vers soi. Au contraire, il semble que, pour échapper à cette tentation, les directeurs successifs aient délibérément donné la parole aux universitaires, aux chercheurs, aux meilleurs connaisseurs du poète, en évitant toute polémique, toute agressivité, et, inversement, toute sanctification.

À cet égard, il serait intéressant de connaître, de la même façon, et durant la même période, l’attitude du Mercure de France, qui publia le premier « La Chanson du Mal-Aimé », aussi bien que de La Nouvelle Revue Française. Reste que nul n’était mieux placé pour enchanter la revue Europe, que le poète qui, dans Calligrammes, annonçait les « Sons de cloches à travers l’Europe ».

Henri BÉHAR

1 En voici la référence : Brett Vladimir, « M. de Kostrowitzky à Prague », 273/ Juin Hubert, « Apollinaire et la Wallonie », 276/ Balachov N.I., « Apollinaire et les Zaporogues », 281/ Boitchidzé Gaston, « Apollinaire en Géorgie », 283/ Loi Michelle, « Apollinaire en Chine », 285

2 « La Maison d’Apollinaire », janv. 1970, p. 196.

3 « Apollinaire, une élégie », juin-juil. 1977, p. 143-148.

4 « Guillaume Apollinaire », janv. 1970, p. 132.

5 « Jacqueline Apollinaire », nov. 1967, p. 213

6 « Guillaume Apollinaire en Ardenne », nov. 1950, p. 111.

7 « George Sand précurseur d’Apollinaire », juin-juil. 1954, p. 22.

8 « Guillaume Apollinaire et l’avenir », mai-juin 1964, p. 155.

9 « Apollinaire, Picasso et la mort de la poésie », avril-mai 1970, p. 178.

10 Sanchis-Banus José, sept. 1976, p. 161.

11 Claude Debon, juin-juil. 1982, p. 118-126.

12 Denis Milhau, juin-juil. 1982, p. 44.

13 Michel Décaudin, « Léger, Apollinaire et les Futuristes », juin-juil. 1997, p. 97.

14 Jacques Gaucheron, « Apollinaire Guillaume, Ombre de mon amour, Genève, Pierre Cailler », 04/1948 p. 123.

15 Alain Guérin, « Guillaume Apolinaire : Que faire ? », 02/1951 p. 99.

16 « Guillaume Apollinaire critique d’art », fév.-mars 1962, p. 254.

17 Jacques Gaucheron’ « Apolinaire, Lettres à Lou », 06/1970 p. 268.

18 Max Alhau, « Apollinaire Guillaume : Correspondance avec son frère et sa mère », 06-07/1988 p. 220.

19 Alain et Odette Virmaux, « Picasso, Apollinaire : Correspondance », 06-07/1993 p. 217

20 Jean Pandolfi Ndl : Caizergues Pierre, Décaudin Michel : Correspondance Cocteau-Apollinaire, mars 1992, p. 215.

21 Jean-Paul Corsetti, « Apollinaire Guillaume : Journal intime », 03/1992 p. 214.

22 Max Alhau, « Apollinaire Guillaume : Œuvres complètes en prose, tome II (Pléiade, Gallimard) », 03/1992 p. 213.

23 Max Alhau, « Apollinaire : Œuvres complètes en prose, tome III (Pléiade, Gallimard) », 08-09/1993 p.  212.

24 Apollinaire. André Rouveyre 03/1946 p. 119.

25 Apollinaire. Robert Couffignal 12/1967 p. 310.

« Charlot-Dada », catalogue exposition Charlot avant-gardes, Nantes, sept. 2019, p.  176-179.

[ article à télécharger en PDF]

« Charlot-Dada » : texte repris dans : Essai d’analyse culturelle des textes, Paris, Classiques Garnier, p. 113-121. Collection : Théorie de la littérature, n° 24.

Ainsi que: https://melusine-surrealisme.fr/henribehar/wp/?p=1077

Unique manuscrit : L, Paris, Bibl. nat., fr. 1635, fol. 62b-63b.

Lire le texte de Rutebeuf: De Charlot le Juif QUI CHIA EN LA PEL DOU LIÈVRE :

Rutebeuf – Œuvres complètes, 1839/Ci encoumence de Charlot le Juif, qui chia en la pel dou lièvre – Wikisource

Sujet de fascination pour les artistes du monde entier dès 1914, à la naissance du personnage de Charlot, et profondément conscient des problématiques de son temps, Chaplin affirme des préoccupations esthétiques et thématiques fortement partagées par les artistes d’avant-garde.

CHARLIE CHAPLIN DANS L’ŒIL DES AVANT-GARDES

Il est l’une des premières stars internationales du cinéma, Charlot, vagabond aussi drôle qu’émouvant, devient dès son apparition en 1914 la coqueluche du monde occidental, s’emparant des salles obscures et s’affichant dans les journaux et les publicités. Mais le personnage créé par Charlie Chaplin n’est pas qu’un phénomène médiatique et populaire. Le cinéaste a aussi une influence directe sur les artistes de son temps, dont il partage bon nombre de réflexions et préoccupations.

L’exposition propose ainsi une lecture inédite des œuvres d’avant-garde à travers du cinéma de Charlie Chaplin. De Fernand Léger à Marc Chagall, d’Alexander Calder à René Magritte, près de 200 œuvres provenant de collections du monde entier se déploient au regard du cinéma chaplinien.
Découvrez les échanges affirmés, les simples échos ou dialogues inconscients entre les artistes qui prirent ensemble le virage de la modernité, à l’heure de la naissance du cinéma comme septième art.

Exposition

En quelque 200 peintures, photographies, dessins, sculptures, documents et, bien entendu, extraits de film, l’exposition propose une redécouverte des œuvres de František Kupka, Marc Chagall, Fernand…

L’usine à rêves

Un espace-atelier construit en plein centre du parcours de l’exposition, pour prolonger l’expérience Charlie Chaplin dans l’œil des avant-gardes.

Catalogue de l’exposition

L’une des premières stars internationales du cinéma, Charlot, vagabond aussi drôle qu’émouvant, devient, dès son apparition en 1914, la coqueluche du monde occidental, s’emparant des salles obscures et s’affichant dans les journaux et les publicités. Mais le personnage créé par Charlie Chaplin n’est pas qu’un phénomène médiatique et populaire. Le cinéaste eut aussi une influence directe sur les artistes de son temps, dont il partage bon nombre de réflexions et préoccupations.

L’exposition Charlie Chaplin dans l’œil des avant-gardes propose ainsi une lecture inédite des œuvres d’avant-garde au travers du cinéma de Charlie Chaplin. De Fernand Léger à Marc Chagall, d’Alexander Calder à René Magritte, près de 200 œuvres provenant de collections du monde entier se déploient au regard du cinéma chaplinien et redessinent les échanges affirmés, les simples échos ou dialogues inconscients entre les artistes qui prirent ensemble le virage de la modernité, à l’heure de la naissance du cinéma comme septième art.

Direction éditoriale : Claire Lebossé

Auteurs du catalogue : Claire Lebossé, Commissaire d’exposition ; Zoé Isle de Beauchaine, Auteur ; Musée d’arts de Nantes (Nantes), Directeur de publication, rédacteur en chef
Daniel Banda, Henri Béhar, Francis Bordat, Olivia Crough, Zoé Isle de Beauchaine, Morgane Jourdren, Claire Lebossé, José Moure, Charlotte Servel.

Couverture : Nicolas Hubert

© Musée d’Arts, Nantes, 2019
© Éditions Snoeck, Gand, 2019
28 € / 978-94-6161-557-2

L’exposition se propose de mettre en parallèle des œuvres cinématographiques de Charlie Chaplin et des productions des avant-gardes, mêlant extraits de films, peinture, photographie, sculpture et documents. De la découverte de Charlot par Fernand Léger en 1916, au numéro spécial Disque vert de 1924 consacré à Chaplin, en passant par l’invention du concept de “7e art” par Ricciotto Canudo en 1919, qui identifie immédiatement Chaplin comme le premier artiste du médium, l’intérêt des avant-gardes pour ce nouveau moyen d’expression et particulièrement pour Chaplin permet de souligner de nombreuses porosités…

Date de parution : 17/10/2019
Editeur : Snoeck Publishers
Collection : Beaux Arts

Voir commentaire dans Historia: https://www.historia.fr/charlot-dada-en-est-fana
et aussi : https://www.en-attendant-nadeau.fr/2020/01/28/chaplin-avant-garde/

Voir aussi un ensemble d’illustrations Dada évoquant Charlot: https://dadarockt.wordpress.com/page/6/?archives-list=1

Et les conseils de la BnF : https://gallica.bnf.fr/conseils/content/dada

Outre le recueil de Philippe Soupault, édité par Plon en 1931 :

et la revue Le Disque vert :

lire « Dadaïsme, surréalisme et chaplinizam, Bojan Jović » dans la revue serbe Nadrealizam : http://nadrealizam.rs/fr/en-focus/recherche-dadaisme-surrealisme-et-chaplinisme

Stephen Chauvet, « Les Derniers jours d’Alfred Jarry », avant-lire d’Henri Béhar, Bobbomorto editore, 2020, 22 p. 

Même édition en italien.

[Télécharger l’avant-lire d’Henri Béhar]

[Télécharger la bibliographie d’Henri Béhar]


Dr Stephen Chauvet (1885-1950)

Dr Stéphen-Chauvet, Les derniers jours d’Alfred Jarry, Mercure de France, 15 novembre 1933.

Cf. reproduction dans L’Etoile Absinthe, 67e-68e tournées, 1999, p. 25-34 : version numérisée : http://alfredjarry.fr/amisjarry/fichiers_ea/etoile_absinthe_067_68reduit.pdf

Version numérisée du Mercure:

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k202172d/f212.item

« Le Paris surréaliste : entretien avec Henri Béhar », site Autour de Paris, de Julien Barret, novembre 2020.

Le Paris surréaliste : entretien avec Henri Béhar – Autour de Paris-Le nouveau guide du Grand Paris (autour-de-paris.com)

[Télécharger l’article en PDF]

Voir :

Guide du Paris surréaliste

RÉSUMÉ :

Phénomène collectif majoritairement parisien, le surréalisme ne peut se comprendre hors de son contexte géographique. Ce livre propose une nouvelle manière d’¿’aborder la ville et la littérature conjointement. Paris tient une place essentielle dans l’œuvre des surréalistes, que l’on songe à Nadja ou au Piéton de Paris. Le nez en l’air, un livre à la main, le lecteur parcourera les itinéraires favoris de Louis Aragon, André Breton, René Crevel, Robert Desnos, Jacques Prévert et Philippe Soupault, superposant le Paris des années 20 au Paris d’aujourd’hui. Comme eux, il déambulera à travers les rues, dans l’attente de l’esprit nouveau et de la beauté moderne.
Dans chacune des 6 parties, l’auteur utilise l’œuvre de l’écrivain pour bâtir le parcours (avec Breton sur les traces de Nadja…). Des textes très évocateurs, de nombreuses citations, des encadrés thématiques, un répertoire alphabétique des lieux fréquentés par les surréalistes aideront le lecteur à les replacer dans l’histoire de la ville et dans la pratique du mouvement surréaliste, faisant ressortir un peu de leur magie.

Sous la direction d’Henri Béhar avec des contributions de Myriam Boucharenc, Jean-Michel Devésa, Laurent Flieder, Danièle Gariglia-Laster, Mireille Hilsum et Emmanuel Rubio.

Sur les pas de Breton, Crevel, Desnos, Prévert, Aragon ou Soupault dans les rues de Paris…
Découvrez le lien unique entre les surréalistes et Paris.
Pour parcourir ce Paris des surréalistes au charme désuet et suranné.
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Date de parution : 22/03/2012

Editeur : Monum Patrimoine Eds Du

Collection : Guides De Paris; Nombre de pages: 200.

Voir en complément le travail documentaire effectué par la BnF :

https://gallica.bnf.fr/blog/24062021/le-paris-des-surrealistes-la-recherche-des-hasards-objectifs-et-du-vent-de-leventuel?mode=desktop

Attention : la première illustration reproduit la couverture de l’unique numéro Surréalisme d’Ivan Goll, et non celui que les surréalistes mettront en circulation en décembre sous le titre La Révolution surréaliste.

De même, je doute qu’André Breton ait pu assister à la première de Parade de Cocteau le 18 mai 1917. Sur la création et la signification donnée au terme « surréalisme », voir mon article Langage dans le Dictionnaire André Breton, notamment ceci :

« Passée la tourmente dada, l’attention portée aux questions de langage ne faiblira pas, au contraire. Rétrospectivement, en 1955, il en fera même la base d’un accord collectif et d’une entreprise commune : « Il est aujourd’hui de notoriété courante que le surréalisme, en tant que mouvement organisé, a pris naissance dans une opération de grande envergure portant sur le langage » (« Du surréalisme en ses œuvres vives », OC IV, 19). En effet, le premier manifeste déclarait d’emblée : « le langage a été donné à l’homme pour qu’il en fasse un usage surréaliste » (OC I, 334). Encore faudrait-il savoir ce qu’était cet usage surréaliste, différent de l’usage commun, sur lequel Breton passait rapidement, désignant par là une fonction ordinaire de communication. À l’inverse, l’usage surréaliste serait, en quelque sorte, la fonction poétique du langage (pour parler comme Jakobson), exercée dans toutes ses dimensions, autrement dit en explorant le conscient et l’inconscient.

De là l’imposition du terme « surréalisme », emprunté à Guillaume Apollinaire, dans un sens clairement détourné, puisque Breton considère avoir soufflé lui-même la formule apollinarienne « quand l’homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. Il a fait ainsi du surréalisme sans le savoir » (G.A., OP, 865). Dès 1917, il participe à l’élaboration du concept « surréaliste » qu’Apollinaire vient d’inventer pour qualifier sa pièce, en riposte à la réaliste Parade de Jean Cocteau. « Je puis dire que j’ai collaboré à la préface des Mamelles – écrit-il à un ami. L’homme, en voulant reproduire le mouvement, crée la roue pleine, sans rapport avec l’appareil des pattes qu’il a vu courir. L’appareil moteur de la locomotive retrouve ce jeu d’articulation dont la pensée de l’inventeur est partie. Le surréalisme comporte cette invention et ce perfectionnement. » Peu importe que l’auteur d’Alcools ait utilisé la même formule antérieurement, ce qui compte ici, c’est que Breton se l’est incorporée, qu’il lui a donné un sens autrement plus concret, qu’il en a fait sa propre formule. « En hommage à Guillaume Apollinaire, qui venait de mourir et qui, à plusieurs reprises, nous paraissait avoir obéi à un entraînement de ce genre, sans toutefois y avoir sacrifié de médiocres moyens littéraires, Soupault et moi nous désignâmes sous le nom de surréalisme le nouveau mode d’expression pure que nous tenions à notre disposition et dont il nous tardait de faire bénéficier nos amis. » (OC I, 327)…

André Breton chronologie numérique (3)

1919-1921

1919

6 janvier : Jacques Vaché (et un de ses 4 compagnons de chambrée) succombe à une surdose d’opium à l’Hôtel de France à Nantes. AB n’en est informé que dix jours plus tard. Il enquête (par courrier) auprès de la presse et du directeur de l’hôpital des armées Broussais. Pour lui, Vaché s’est suicidé, entraînant un ami par une « fourberie drôle », comme il le lui avait laissé entendre.

6 janvier : de Zurich, Tristan Tzara lui adresse Dada III et lui demande de collaborer à sa revue. AB enthousiasmé à la lecture des déclarations  du Manifeste Dada 1918 : « Que chaque homme crie : il y a un grand travail destructif, négatif, à accomplir. Balayer, nettoyer [… ] Liberté. dada dada dada, hurlement des douleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences : la Vie »

13 janvier : AB adresse à Vaché une lettre-collage s’achevant sur cet appel en lettres capitales : « JE VOUS ATTENDS (voir fac-similé : G. Sebbag, L’imprononçable jour de sa mort Jacques Vaché janvier 1919, J.-M. Place, 1988). La disparition de Vaché le conduit à publier ses Lettres dans 3 livraisons de Littérature, juillet, août et septembre 1919.

15 janvier  : AB se loge à l’Hôtel des Grands Hommes, 9 place du Panthéon. (voir la plaque apposée sur la façade, aujourd’hui n° 17).

22 janvier : AB écrit à Tristan Tzara : « Je me préparais à vous écrire quand un chagrin m’en dissuada. Ce que j’aimais le plus au monde vient de disparaître : mon ami Jacques Vaché est mort. Ce m’était une joie dernièrement de penser combien vous vous seriez plu : il aurait reconnu votre esprit pour frère du sien et d’un commun accord nous aurions pu faire de grandes choses » (AB, Correspondance avec T. Tzara et F. Picabia, Gallimard.

15 mars : Aragon, Breton, Soupault fondent la revue Littérature, bientôt rejoints par Éluard. Direction et rédaction : 9 place du Panthéon, Paris.

Avril : AB présente Poésies de Lautréamont dans Littérature.
Peu après, il discute avec Modigliani sur un banc de l’avenue de l’Observatoire. Il apprécie sa compréhension immédiate des Poésies d’Isidore Ducasse. Lui achète un dessin.
Dans sa correspondance avec Aragon, il prêche pour la poésie-publicité.

17 avril  : AB adresse à Aragon une carte postale du Musée de Nantes reproduisant le Portrait de Mme de Senonnes d’Ingres avec cette mention : « Un des tableaux que j’ai le plus aimés. »

Portrait de Madame de Senonnes peint en 1814 par Jean-Auguste-Dominique Ingres 

Mai-juin : avec Soupault, rédaction, en quinze jours, des Champs magnétiques qui paraîtront en 3 livraisons de Littérature (mais aussi dans 7 autres revues dadaïstes) et en volume l’année suivante (voir : 30 mai 1920). Euphorie, joie immédiate des scripteurs (OC III, 461). G. Auric se remémore les lectures que lui en fit AB au « 4e Fiévreux » de l’hôpital du Val-de-Grace.

5 juin : AB se fait réintégrer à la Faculté de médecine de Paris.

10 juin : Publication de Mont de piété avec deux dessins inédits d’André Derain, Au Sans Pareil. Aucun service de presse, mais envoi à quelques amis. Valéry répond : « M. V… est étonnamment content de votre volume, qui l’eût dit ? Devient-il fou comme ces jeunes gens de Littérature ? Mais figurez-vous qu’il se trouve très à l’aise et très ressemblant entre le pôle Mallarmé et le pôle Rimbaud de votre univers. Le fait des comparaisons. Il se voit l’homme qui ferme la chaîne des électricités, et tend le doigt tout chargé vers l’autre corps, avec attente des étincelles. » (26 juillet 1919, OC I, 1 093)

12 juin  : « Il ne faut pas se faire d’illusion, on est disqualifié au bout d’un an ou deux tout au plus… » écrit-il à Aragon. Et le même jour à Tzara : « Mais vous, mon cher ami, comment sortirez‑vous ? Répondez-moi, de grâce, voyez-vous une autre fenêtre ? (C’est aussi pour moi que j’interroge) » (Correspondance avec Tzara et Picabia)

1er juillet : obtient le brevet de médecin-auxiliaire.

Juillet : Littérature, n° 5 : publicité pour Dada ; début publication Lettres de Jacques Vaché.

1er août : permission. Se rend à Lorient, chez ses parents. Poursuit l’écriture automatique : « Usine » (sera intégré aux Champs magnétiques).

10 août : Lettres de guerre de J. Vaché, Au Sans Pareil, introduction d’AB, Maurice Barrès, sollicité, s’étant récusé.

1er septembre  : affecté au camp d’aviation d’Orly comme médecin-auxiliaire. Le vaste terrain d’aviation, silencieux et presque désert, l’émeut d’autant plus qu’il n’est pas mécontent de s’isoler de ses amis, trop préoccupants à son gré.

5 septembre : citant Tzara, AB interroge Valéry : « Quel cas faites-vous de la formule “l’absence de système est encore le plus sympathique des systèmes” » en précisant qu’elle est d’un de ses amis, « le seul qui ait en ce moment une influence sur moi ».

20 septembre : démobilisation.
Pour célébrer son retour à la vie civile, AB part en Bretagne avec sa maîtresse, Georgina Dubreuil, au cours d’un voyage ironiquement baptisé « Lune de miel » dans une pièce automatique (insérée ensuite dans les Champs magnétiques, OC I, 86). Dans la chapelle de Roscudon à Pont Croix (Finistère), AB souffle des cierges : « De quoi vais-je bien pouvoir payer ce geste ! » s’exclame-t-il.

Il a fait état de cette relation 35 ans après, dans l’article « Magie quotidienne » en publiant la lettre que cette femme lui adressait nostalgiquement. En le détournant du Bois‑Sacré, elle l’avait involontairement poussé au sacrilège. Commentant la citation, Breton précise : « Elle émane d’une femme qui fut jadis non pas mon amie – il s’en faut de beaucoup – mais ma maîtresse comme on ne craignait pas de dire alors, et c’était autrement exaltant. Elle avait dans l’amour un côté fusée. Nous nous sommes séparés il y a si longtemps dans les pires termes – sur une crise de jalousie, d’ailleurs totalement injustifiée de sa part. » (OC III, 930)

7 octobre : AB à Tzara : « Vaincre l’ennui. Je ne pense qu’à cela nuit et jour »

20 octobre : retour de Bretagne. Période inactive. Ne poursuit pas d’études, n’écrit pas.
« Je tourne pendant des heures autour de la table de ma chambre d’hôtel, je marche sans but dans Paris, je passe des soirées seul sur un banc de la place du Châtelet. Il ne semble pas que je poursuive une idée ou une solution : non, je suis en proie à une sorte de fatalisme au jour le jour, se traduisant par un “à vau-l’eau” de nature plutôt agréable. Cela se fonde sur une indifférence à peu près totale qui n’excepte que mes rares amis… », (OC III, 457).

3 novembre  : Georgina Dubreuil aurait subtilisé les lettres de son mari à sa propre maîtresse. Elles inspirent à Breton une solution au problème que se posait Valéry : « Amoureux, comment Monsieur Teste raisonne-t-il ? » Il en fait part à ce dernier en lui recopiant de longs fragments de cette correspondance, tentant de formuler mathématiquement la passion : « Si donc j’ai vu juste, je puis mettre en langage analytique la théorie de Quinson, comme Lagrange a mis en équations les vues de Copernic et de Newton. Tout le monde inepte du déterminé s’écroule. Problème insoluble depuis Riemann […] »

Jalouse, ardente et possessive, Georgina mit fin à leurs rencontres au bout de six mois en venant saccager sa chambre.

Décembre  : Littérature, n° 10 : AB publie la lettre ouverte de Tzara à Jacques Rivière, directeur de la NRF : « Je serais devenu un aventurier à grande allure et aux gestes fins si j’avais eu la force physique et la résistance nerveuse pour réaliser ce seul exploit : ne pas m’ennuyer ». AB s’en inspire pour lancer l’enquête « Pourquoi écrivez-vous ? »

25 décembre : sur les instances de Tzara, AB a pris contact avec le peintre-poète Francis Picabia (1879-1952). Lui rend visite le jour de Noël.

1920

4 janvier : visite Picabia chez sa compagne Germaine Everling. Elle a conté cette relation dans L’Anneau de Saturne. Tandis qu’elle allait accoucher, Picabia dissertait de Nietzsche avec AB, lequel lui opposait Hegel.

5 janvier  : AB écrit à Picabia : revient sur la conversation, convient qu’il faut créer les conditions d’avènement de l’homme nouveau. Il a rompu avec Reverdy ; Gide et Valéry ne figurent dans Littérature que pour accroître la confusion.

12 janvier : lecture à la librairie Au Sans Pareil de S’il vous plaît, pièce en un acte d’AB et Ph. Soupault. Selon Aragon, les auteurs devaient, au dernier acte, jouer leur destin à la roulette russe avec un pistolet chargé à balles réelles…

14 janvier : AB écrit à Tzara : « Je n’attends plus que vous ».

17 janvier : arrivée de Tzara à Paris. « Tristan dont le rire est un grand paon » dira de lui Soupault. « Nous fûmes quelques-uns qui l’attendîmes à Paris comme s’il eût été cet adolescent sauvage qui s’abattit au temps de la Commune sur la capitale dévastée et duquel aujourd’hui encore ceux qui le connurent gardent un blême effroi : le Diable, dit Forain qui le voit toujours dans ses rêves, et Rimbaud le tire par les pieds », écrit Aragon en 1922 (note à J. Doucet sur 25 Poèmes).

Démobilisé, Benjamin Péret s’installe à Paris, fait la connaissance du trio de Littérature.

23 janvier : Premier « Vendredi de Littérature ». Le programme très varié est chahuté. AB, fiévreux, déclame des poèmes qui deviennent dans sa boche une provocation. Tzara lit un article de Léon Daudet dans L’Action française, accompagné en coulisses par les crécelles et clochettes d’Aragon et d’AB.

5 février : manifestation Dada au Grand Palais (Salon des Indépendants). AB y déclame « Bocaux dada », un texte mimant l’interrogation des patients à l’hôpital psychiatrique : « Comment t’appelles-tu ? Quel est ton métier ? Et tes parents ? » (OC I, 411). On distribue Bulletin Dada, la sixième livraison de la revue dada, témoignant de son implantation parisienne.

7 février : au Club du Faubourg, AB lit avec enthousiasme le Manifeste dada 1918 de Tzara.

19 février : à l’Université populaire du faubourg Saint-Antoine, les intervenants cherchent à se faire comprendre d’un public populaire. Dans « Géographie dada » AB marque son territoire : « dada est un état d’esprit […] dada, c’est la libre-pensée artistique. » Il exprime ainsi son nihilisme : « Il est inadmissible qu’un homme laisse une trace de son passage sur la terre. » (OC I, 230)

21 mars : les parents d’AB se présentent à son hôtel, exigent qu’il reprenne ses études médicales ou bien qu’il rentre à Lorient. Sa mère s’emporte jusqu’à dire qu’elle aurait préféré le voir mort à la guerre… Ph. Soupault plaide en sa faveur. Tzara le convainc de rester avec ses amis.

22 mars : Louis Breton écrit à Valéry, lui demande de ramener son fils à la raison.
25 mars : AB à Valéry : « Les conditions qui m’ont été faites par ma famille ne me paraîtront pas plus acceptables demain […] Mes actes (en littérature, etc.) ont toujours cru pouvoir supporter votre critique et je ne vous dépeindrai pas ma tristesse en vous entendant l’autre soir juger assez sévèrement ce que je pense être ma loi. »

Siège de la NRF rue Madame, Paris 6e

26 mars : sur l’intervention de Valéry, Gaston Gallimard engage AB pour l’expédition de la NRF à ses abonnés, pour un salaire mensuel de 400F ; à quoi s’ajouteront les 50F que Marcel Proust lui versera pour chaque séance de lecture à haute voix des épreuves de Du côté de Guermantes. AB appréciera l’accueil de Proust, et même sa prose recelant des trésors de poésie. Toutefois, l’auteur de Guermantes ne sera pas satisfait des corrections d’AB,le contraignant à publier une liste de 200 errata. (Voir ses 2 lettres à AB et Soupault : https://www.jstor.org/stable/40522688; https://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3289.

27 mars : Manifestation Dada au théâtre de l’Œuvre ! S’il vous plaît et Vous m’oublierez, sketches de AB et Soupault, interprétés par les auteurs ;
http://melusine-surrealisme.fr/site/Dada-revue/Dada_7_Revue.htm
une de ses répliques : « Les grands magasins de la Ménagère pourraient prendre feu » (OC I, 125), devait revêtir un caractère prophétique puisque lesdits magasins du boulevard Bonne Nouvelle brûlèrent l’année suivante. La Première Aventure de M. Antipyrine de Tzara avec les mêmes acteurs (et leurs amis). Les dadas se donnent des surnoms : Breton : « Royer-Collard jeune » que lui aurait attribué Apollinaire, par référence au directeur de l’asile de fous de Charenton.


Antoine, Athanase Royer-Collard, aliéniste (1768‑1825)

Musidora y participait, et AB grimé en homme-sandwich par Picabia, portait cette affiche : « Pour que vous aimiez quelque chose il faut que vous l’ayez vu et entendu depuis longtemps. Tas d’idiots »


Portrait d’AB au Festival Dada

1er avril : dans Comoedia, AB réfute les allégations xénophobes de Rachilde.

Littérature, n° 13 : « vingt-trois manifestes dada ». AB y publie « PSTT », « Parfums d’Orsay », « Les Reptiles cambrioleurs ».

26 mai : Festival Dada, salle Gaveau : La Deuxième Aventure céleste de M. Antipyrine de Tzara, Vous m’oublierez, de AB et Soupault, joué par les auteurs. AB prête sa voix à Picabia et à G. Ribemont-Dessaignes.

30 mai : achevé d’imprimer Les Champs magnétiques : L’écriture « par quoi tout commence » selon Aragon. Manuscrit (provenant des archives de T. Fraenkel) BnF : Naf 18303, publié et transcrit en 1984 chez Lachenal et Ritter (repris par Gallimard).

On a montré (cf. l’exposition L’Invention du surréalisme, BnF, sept. 2019-fév. 2020) comment AB, écartant Soupault (avec son accord) avait repris les pages manuscrites des deux collaborateurs, les avait ordonnées en chapitres d’un volume publiable ; élaborant à partir de l’automatisme ce qu’il allait nommer le surréalisme, et définir plus tard pédagogiquement dans le Manifeste de 1924 (à quoi il ajoutera en 1932 la notion de vitesse d’écriture). Tandis que Soupault dira qu’ils s’inspiraient de L’Automatisme psychologique de Pierre Janet (1894), AB se référera constamment à Freud. Reste qu’un bon nombre de fragments ont été reçus et publiés par des revues dadaïstes, ce qui témoignait d’une convergence de vues sur l’écriture automatique…

1er juin : AB, « Les Chants de Maldoror…. », NRF, n.s. n°81, p. 917-20.

20 juin : envoi autographe signé par les auteurs des Champs magnétiques à Marcel Proust.

Fin juin 1920 : au jardin du Luxembourg, à Paris, AB fait la connaissance de Simone Kahn, qui lui est présentée par T. Fraenkel. Elle est l’amie de sa fiancée, Bianca Maklès. Passionnée de littérature, elle est abonnée au cabinet de lecture d’Adrienne Monnier, ainsi qu’à la revue Littérature. Elle a assisté au Festival Dada de la salle Gaveau, qu’elle juge d’« une grossièreté et d’une pauvreté qui se rendent l’une l’autre inexcusables ». (Lettres à Denise, 1er juin 1920, p. 53).. Elle a relaté cette première rencontre : « Vous savez, je ne suis pas dadaïste, lui dis-je d’emblée, après les présentations. – Moi non plus” me répondit-il, avec ce sourire qu’il sut garder toute sa vie quand il faisait des réserves sur une de ses dispositions doctrinales. » (Conférence sur la peinture surréaliste, 1965)


Simone Kahn née à Iquitos (Pérou) le 3 mai 1897, morte à Paris le 30 mars 1980. Photo Man Ray.

9 juillet : Simone écrit à sa cousine Denise Lévy qu’elle a revu AB : « C’est vraiment un type intéressant. Je ne sais pas ce que la vie fera de notre sympathie » (Lettres à Denise (2005, p. 55).

15 juillet : première lettre d’AB conservée par Simone : « Certainement j’éprouve un grand plaisir à vous voir ; merci de l’avoir deviné. » (publiée, comme celles qui suivent, dans AB, Lettres à Simone Kahn, 1920-1960, Gallimard, 2016 ; les lettres de Simone auraient été détruites).
Voir : https://www.ens.psl.eu/actualites/exposition-autour-de-la-correspondance-d-andre-simone-breton

23 juillet : AB quitte son emploi à la NRF (cf. Lettre à Simone le lendemain).

24 juillet : malade à plusieurs reprises, AB s’installe chez ses parents à Lorient pour deux mois.

J. Rivière lui propose de collaborer à la NRF, lui demande un article sur les Odes de Valéry : « Vous êtes un poète, cela ne fait pas de doute, ou plutôt vous le deviendrez, dès que vous vous en serez reconnu le droit… » AB n’écrit pas sur Valéry ni sur Apollinaire demandés par la NRF.

31 juillet : Simone écrit à Denise au sujet d’AB : « Personnalité de poète très spéciale, éprise de rare et d’impossible, juste ce qu’il faut de déséquilibre, contenue par une intelligence précise même dans l’inconscient, pénétrante, avec une originalité absolue… »

1er août : AB : « Pour Dada », NRF, n° 83, suivi de : Jacques Rivière, « Reconnaissance à dada ». Celui-ci écrit : « Saisir l’être avant qu’il n’ait cédé à la compatibilité ; l’atteindre dans son incohérence, ou mieux dans sa cohérence primitive, avant que l’idée de contradiction ne soit apparue et ne l’ait forcé à se réduire, à se construire ; substituer à son unité logique, forcément acquise, son unité absurde, seule originelle : tel est le but que poursuivent tous les dadas en écrivant. » Le groupe Dada, si bien compris, craint d’être récupéré.

6 août : dans une de ses lettres quotidiennes à Simone Kahn (qui passe des vacances en Bretagne), AB dit le bien qu’il pense de ses amis en les caractérisant : « Mes amis tiennent une place dans ma vie. J’aime énormément Soupault et Tzara, un peu moins Éluard, Aragon, Picabia… »

31 août : AB annonce à Simone qu’il n’écrira pas la préface demandée par F. Picabia pour Jésus-Christ Rastaquouère, tant il réforme le dadaïsme en lui.

1er septembre : note sur Gaspard de la nuit, NRF, n.s., n° 84.

11-14 septembre : AB rejoint Simone à Sarreguemines chez Denise, une femme très cultivée, dominant la culture allemande autant que la française.

20 septembre : AB demande à Simone (par lettre) de passer sa vie avec lui.

28 septembre : AB écrit à J. Rivière : « Je procède d’ailleurs à une révision complète de mes idées qui pourra me conduire plus près de vous que je n’ai été encore ».

Fin septembre : le Prix Blumenthal, de 20.000 Fr, que plusieurs membres du jury avaient promis à Breton, est remis à J. Rivière (le second à A. Salmon). Vive déception.

5 octobre : AB rentre à Paris. Loge chez Ph. Soupault, 41 quai de Bourbon, siège de la revue Littérature depuis le n° 15, juillet-août 1920.

19 octobre : réunion des directeurs de Littérature pour définir sa nouvelle orientation, installer un comité de lecture, etc. Résultat : 3 mois de retard ! AB tente un rapprochement avec Tzara, mais celui-ci ne répond pas.

AB loge à l’Hôtel des Écoles, 15 rue Delambre. Il donne des leçons de littérature à Jeanne Tachard, fondatrice de la maison de couture Talbot. (voir vente collection : Jeanne Tachard, le choix de la modernité | Gazette Drouot (gazette-drouot.com)

André Germain directeur des Écrits nouveaux, lui repasse l’anthologie de la poésie nouvelle qu’il préparait depuis 2 ans pour les éditions Crès. AB écrit deux notices : sur Éluard et son usage du langage ; sur Soupault et son instinct poétique (le projet passe entre les mains de Tzara, qui ne le mène pas davantage à l’impression).

24 octobre : La correspondance publiée d’AB avec Simone s’arrête le dimanche 24 octobre 1920. Elle ne reprendra que le jeudi 2 juin 1921.

Décembre, J. Tachard recommande AB à Jacques Doucet (1853-1929), autre collectionneur et mécène, amateur de littérature. Depuis 1916, il avait constitué une bibliothèque moderne, conseillé par le libraire Camille Bloch (1887-1967), et s’était tenu au courant des débats contemporains en rétribuant les auteurs qui lui écrivaient. Il prend Breton comme bibliothécaire et conseiller, chargé de lui adresser une lettre hebdomadaire rétribuée.

15 décembre : AB tient un carnet notant ses conversations avec les poètes et les peintres en leur atelier (OC I, 613-623).

André Derain. Chien tenant dans sa gueule un oiseau, vers 1921, coll. particulière. Tableau offert à Simone par AB.

20 décembre : 1ère lettre à Doucet (publiée dans AB, Lettres à Jacques Doucet, Gallimard, 2016).

25 décembre : Congrès de Tours, fondation du Parti communiste français.

28 décembre : AB entraîne Aragon au Journal du peuple pour s’inscrire au Parti. Reçus par Georges Pioch (1873-1953), qui, de fait, les en dissuade. De même à L’Humanité, où AB doute de pouvoir souscrire aux injonctions du Komintern : « J’aimerais savoir jusqu’où vont ses exigences », note-t-il (OC I, 615).

1921

1er janvier : AB explique à Valéry : « Tout de même, si je me tourne parfois vers dada c’est avec un semblant de raison puisque j’ai tant de peine à mener à bien ce que je souhaite. »

3 janvier 1921 : AB indique à J. Doucet les raisons qui le rattachant à Dada et surtout à Tzara et Picabia. Pour lui, il ne faut rien laisser perdre des vertus de la jeunesse.

12 janvier : tract « Dada soulève tout », Au Sans Pareil :

15 janvier  : AB participe au sabotage de la conférence de Marinetti sur le Tactilisme au Théâtre de l’Œuvre. Le tract « Dada soulève tout », distribué alors, exprime les revendications opposées au futurisme (interventions orales des dadaïstes imprimées dans Littérature, n° 18).


1er mars : « Liquidation », Littérature, n° 18 : tableau portant les notes attribuées par chaque dadaïstes aux célébrités littéraires.

3 mars : AB explique sa démarche à J. Doucet : « … le tableau ainsi constitué en dira, je crois, plus long sur l’esprit de Littérature qu’une série d’articles critiques de ses différents collaborateurs. Il aura l’avantage de nous situer très exactement et même de montrer de quoi nous procédons, à quoi nous nous rattachons, à la fois ce qui nous lie et ce qui nous sépare. » (Lettres à J. D., p. 86)

15 mars : création de Les Détraquées, de P. Palau, au Théâtre des Deux-Masques, rue Fontaine. AB voit cette pièce à plusieurs reprises, la considérant comme un coup de projecteur sur « les bas-fonds de l’esprit, là où il n’est plus question que la nuit tombe et se relève » (OC I, 668). Il en traite longuement dans Nadja. Par la suite, il apprend que le collaborateur que Palau, qui signe Olf, est le Dr Babinski.

« Grande Saison dada ». Reprise des manifestations Dada.

14 avril : Visite à Saint-Julien-le-Pauvre

A Saint-Julien Le Pauvre. Tristan Tzara et André Breton au centre.

AB déclare : « Tout ce qui s’est passé jusqu’ici sous l’enseigne de dada n’avait que le caractère d’une parade. D’après elle vous ne pouvez vous faire aucune idée du spectacle intérieur. Le rideau ne va pas tarder à se lever sur une comédie autrement fantastique… » (OC I, 627).

14 avril : à la fin de cette manifestation, fondation de la revue Aventure  (1921-1922): Roger Vitrac et ses camarades de régiment, René Crevel, François Baron et son jeune frère Jacques prennent un verre avec Aragon à la Taverne du Palais, 5 place Saint-Michel.

Le lendemain, AB reçoit Jacquers Baron (16 ans) dans son hôtel, rue Delambre. Il considère que la manifestation était pitoyable (voir : L’An I du surréalisme, 1969, témoignage des plus sincère sur cette période).

Fin avril : incident au café Certà, passage de l’Opéra, lieu de réunion des dadaïstes : un portefeuille égaré est confié à Paul Éluard, qui le remet, le lendemain, à son légitime propriétaire, tandis que AB proteste contre ce conformisme bourgeois (rapporté par Robert Desnos, « Histoire d’un portefeuille volé », Nouvelles Hébrides, pp. 320-21).

Première page du catalogue de l’exposition Max Ernst en 1921

3 mai-3 juin 1921 : exposition Max Ernst, Au Sans Pareil. AB et Simone offrent l’encadrement de quarante-deux peintures, huit dessins et quatre œuvres en collaboration dites « fatagagas ». AB préface le catalogue (OC I, 245).

11 mai : « M. Picabia se sépare des dadas », annonce le quotidien Comœdia. Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski | 1921-05-11 | Gallica (bnf.fr)

13 mai : AB préside le procès de Maurice Barrés pour « atteinte à la sûreté de l’esprit ». Salle des Sociétés savantes, rue Danton, à 21h30.
Assesseurs : Théodore Fraenkel, Pierre Deval. Accusateur public : Georges Ribemont-Dessaignes ; Défense : Louis Aragon, Philippe Soupault….

Dossier. Créateur et juges : effets de miroir L’affaire Barrès : le théâtre du procès Nathalie Piégay-Gros, Cahiers de la Justice 2012/4 (N° 4), pages 43 à 52.
Au même moment, l’inculpé donnait une conférence à Aix-en-Provence sur « L’âme française pendant la guerre ».
Les interventions sont publiées : « L’affaire Barrès », Littérature, n° 20, août 1921.

AB tire la leçon de cette séance pour J. Doucet : « Les Enfers artificiels » (OC I, 623).

6-30 juin 1921 : « Salon Dada » au Studio des Champs Elysées, 1er étage de l´immeuble de l’avenue Montaigne nommé « Galerie Montaigne ».

7 juin : Soirée Bruitiste, concert de Marinetti et futuristes. Chahut provoqué pr les Dadaïstes.

10 juin : Soirée-Dada.

13-14 juin : Salle Drouot, vente des biens saisis aux Allemands Kahnweiler et Uhde. AB y prend part, se concerte avec J. Doucet pour l’achat de certaines œuvres.

18 et 30 juin 1921 (15h30) : « Grande Après-Midi Dada » au Théâtre des Champs Élysées.

AB parti à Lorient après le “Procès Barrès” y prépare son “Adieu à Dada”. Assiste seulement à la dernière représentation en spectateur passif.

16 juillet : AB relate pour J. Doucet (Lettres, p. 95) la soirée au cours de laquelle il a été reçu par les parents de sa fiancée : spectacle de ballet de La Chauve-souris (Moscou), puis dîner avenue Niel. Doucet résout ses difficultés financières en lui offrant un contrat de secrétaire puis de conseiller artistique, pour sa bibliothèque de la rue Noisiel, assorti d’un salaire annuel de vingt mille francs (24 394,02 Euros en 2022 ). La famille Kahn alloue 12.000FF annuels à Simone (14 636,41 Euros en 2022).

AB assure ses nouvelles fonctions avec assiduité. Chaque matin, il est à la bibliothèque, répond au courrier, tient son patron au courant des événements littéraires et artistiques.

21 juillet : AB accompagne Tristan Tzara gare de l’Est, où il prend le train pour rejoindre sa compagne à Prague.

Août : AB à Lorient, soigne une affection pulmonaire.

André Breton et Simone Kahn en 1921 au moment de leur mariage.

15 septembre, 11 h 30  : AB épouse Simone Kahn. à la mairie du XVIIe arrondissement, rue des Batignolles. Paul Valéry est le témoin du marié ; Gaston Kahn (son frère) celui de la mariée. La mère d’André n’a pas jugé utile de se déplacer, mais elle a donné son consentement par un acte authentique ; son père est venu de Lorient. Félix Kahn et son épouse sont présents et consentants.

Acte de mariage de Simone Kahn et André Breton

6 septembre : Dada augrandair : brochure de 4 pages sur papier rose, contenant des poèmes et des aphorismes en français et en allemand, avec des gravures d’Arp et de Max Ernst. Une des plus belles réussites de dada, en réponse aux accusations de Picabia.

11 septembre : arrivée du couple Breton au Tyrol, à Tarrenz, près d’Imst. Accueilli à l’Hôtel de la Poste par les couples Ernst, Arp, Tzara, Éluard (Gala les rejoindre plus tard).

AB et Simone vont à Innsbruck en quête d’antiquités. Rejoints par le couple Éluard.

9 octobre  : lettre de Freud à AB : « Cher Monsieur, n’ayant que très peu de temps libre dans ces jours je vous prie de bien vouloir venir me voir lundi (demain 10, à 3 heures d’après-midi dans ma consultation). Votre très dévoué Freud ».


Salle d’attente du 19 Berggasse, Vienne.

10 octobre : AB reçu par S. Freud dans son cabinet, à Vienne. Le savant reçoit un exemplaire dédicacé par les auteurs des Champs magnétiques sans y prêter attention. Entrevue décevante, dont AB rend compte avec dérision : « Interview du professeur Freud », Littérature, n. s. n° 1, 1er mars 1922, p. 10 (OC I, 25).

Retour à Paris. AB reprend son service à la bibliothèque de J. Doucet, 2 rue Noisiel.

17 novembre : 2e vente Kahnweiler : AB achète, avec Simone : œuvres de Braque, Derain, Gris, Léger, Picasso, Vlaminck et Van Dongen.

3 décembre : AB plaide pour l’achat d’une œuvre maîtresse telle que les Demoiselles d’Avignon par Doucet, lui recommande aussi l’acquisition d’un Derain, Le Samedi ou Le Chevalier X (désormais à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg ; voir Lettres à cette date).

Décembre : AB suggère à Doucet l’achat de manuscrits de Paulhan, Tzara, Éluard, Desnos, Jacques Baron, Limbour et Péret.

Bibliothèque chez Jacques Doucet.

Du nouveau sur Lautréamont!

Du nouveau sur Lautréamont !

Ducasse

Ce n’est pas tous les jours que l’on fait pareille découverte ! à toutes les lectures d’Isidore Ducasse, il faut désormais ajouter celle de Charles Fourier.
Cet article a été publié dans la revue Europe, n° 1010-1011, juin-juillet 2013, p. 310-315, puis par Les Cahiers Lautréamont, devenus strictement numériques.
Il est logique qu’on puisse le lire à partir de ma page personnelle, sous sa forme initiale.

[Télécharger l’article sur Lautréamont]

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CC