Tous les articles par Henri Béhar

Henri Béhar est l’un des principaux promoteurs des études lexicales assistées par ordinateur. Il a fondé et dirigé le Centre de recherches Hubert de Phalèse, une équipe de recherche destinée à promouvoir les études littéraires assistées par ordinateur. Dans le domaine culturel, il a mis en avant l’importance de la mise en contexte des textes littéraires. Spécialiste des avant-gardes, Henri Béhar a fourni des études historiques, textuelles ou génétiques sur Dada ou Breton. Il a également fondé et dirige le Centre de recherches sur le surréalisme, qui coordonne les travaux sur ce sujet. En parallèle à ses activités de recherche, Henri Béhar a introduit l’informatique dans les cours prodigués à l’Université, en créant une banque de données d’histoire littéraire utilisable par les étudiants.

André Breton chronologie numérique (5)

1925-1930

1925

Pour ce qui concerne le débat politique des années 1925-1925 à l’intérieur du groupe surréaliste, voir [Archives] [Archives 1925-1926] boîte cartonnée rouge (André Breton) (andrebreton.fr)

https://www.andrebreton.fr/fr/series/48

Cette série regroupe des documents parus ultérieurement dans les tomes I, II et III des 5 volumes Archives du surréalisme sous l’égide d’Actual, chez Gallimard de 1988 à 1995.

Tome I — « Bureau de recherches surréalistes, Cahier de la permanence, octobre 1924 – avril 1925 », présenté et annoté par Paule Thévenin, 1988.
Tome II — « Vers l’action politique, juillet 1925 – avril 1926 » présenté et annoté par Marguerite Bonnet, 1988.
Tome III — « Adhérer au Parti communiste ?, septembre – décembre 1926 », présenté et annoté par Marguerite Bonnet, 1992.
Tome IV — « Recherches sur la sexualité, janvier 1928 – août 1932 », présenté et annoté par José Pierre, 1990.
Tome V — « Les jeux surréalistes, mars 1921 – septembre 1962 », présenté et annoté par Emmanuel Garrigues, 1995.

AB cesse sa fonction de bibliothécaire auprès de J. Doucet à la fin de l’année 1924. Au mécène qui l’interroge sur son devenir il répond : « C’est dans la pensée que je crois bien avoir mis toute l’audace, toute la force et tout l’espoir dont je suis capable » (lettres, 28 déc. 24)

Janvier 1925 : débat à la Centrale surréaliste concernant le devenir politique. À l’unanimité, les présents se rallient aux propositions de AB concernant le sionisme et le bolchevisme, ce qui ne va pas sans malentendus : Desnos :« Pamphlet contre Jérusalem », La Révolution surréaliste, n° 3, p. 8.

24 janvier : Artaud décide de fermer la Centrale surréaliste au public.

26 janvier : Aragon suggère à Doucet de créer une collection de livres de luxe, « Pour vos beaux yeux », n’excédant pas 50 p. chacun. AB projette un texte intitulé « De l’amour ». (Lettres à Simone). Sans suite.

27 janvier : Déclaration surréaliste rédigée par A. Artaud : « Le surréalisme n’est pas une forme poétique. Il est un cri de l’esprit qui retourne vers lui-même et est bien décidé à broyer définitivement ses entraves, et au besoin par des marteaux matériels. » (Tracts I, 34).

Février : AB corrige les épreuves de l’Introduction au discours sur le peu de réalité, où il reprend à son compte la terrible loi des compensations (OC II, 271)

11 février : La Révolution surréaliste, n° 2 arrive à la Centrale. AB la juge déplorable, ne retient que les articles d’Artaud et Leiris (AB à Simone, 12 février 1925). Au bilan : « Nous demeurons acquis au principe de toute action révolutionnaire, quand bien même elle prendrait pour point de départ une lutte de classes, et pourvu seulement qu’elle mène assez loin. » (OC I, 906).

Février : la bande de la rue du Château (Jacques Prévert, Marcel Duhamel, Yves Tanguy, etc.) rejoint AB et les surréalistes.
– Invention du « cadavre exquis » chez Marcel Duhamel, par Jacques Prévert et ses complices.

9 mai : Hommage des surréalistes à Saint-Pol-Roux dans Les Nouvelles littéraires.

24 juin : interview de Paul Claudel dans Comœdia, p. 3, qualifiant le surréalisme d’activité de pédérastique. Voir Tracts I, 49.

2 juillet  : Banquet en l’honneur de Saint-Pol Roux, à la Closerie des Lilas. Scandale provoqué par la Lettre ouverte à Paul Claudel.

2 juillet : H. Barbusse, « Appel aux travailleurs intellectuels », contre la guerre du Rif, L’Humanité, signé par les surréalistes (voir : https://melusine-surrealisme.fr/henribehar/wp/?p=405).

9 juillet : visite à Mme Sacco, voyante, rue de l’Usine, relatée à Simone.

15 juillet : sortie de La Révolution surréaliste, n° 4. AB en est le seul directeur.

AB y commence « Le Surréalisme et la peinture » : « L’œil existe à l’état sauvage ».

juillet : vacances à Nice puis Thorenc avec Simone et leurs amis.

AB : Lettre aux voyantes : « ce qui est dit sera, par la seule vertu du langage » (OC I, 910).

27 juillet : AB à Simone : « La guerre du Maroc dépasse en invraisemblance, en stupidité et en horreur tout ce qu’on peut attendre de ces gens. Nous n’avons rien fait contre cet état de choses et nous ne ferons peut-être rien (qui vaille). Qui parle donc après cela d’écrire encore des poèmes et le reste. Il n’est pas de protestation écrite qui tienne en pareille matière. Que faire donc ? »

26 août : tract « La Révolution d’abord et toujours » signé par les surréalistes et les membres des groupe Clarté, Philosophies, Correspondance.

26 août-15 septembre : AB et Simone, vacances à Thorenc (Alpes maritimes). AB écrit un prière d’insérer pour Capitale de la douleur, d’Éluard.

12 octobre : le procureur de la République à Paris avise le garde des Sceaux qu’il ne peut poursuivre les auteurs du tract La Révolution d’abord et toujours .

5 octobre : Assemblée générale des surréalistes avec les groupes Clarté et Philosophie en vue d’une fusion. Constitution d’un comité directeur comprenant des représentants des 3 groupes, élaboration d’un texte commun : « La Révolution ne peut être conçue par nous que sous sa forme économique et sociale où elle se définit : la Révolution est l’ensemble des événements qui déterminent le passage du pouvoir des mains de la bourgeoisie à celles du prolétariat et le maintien de ce pouvoir par la dictature du prolétariat. » (OC II, 292). 10 jours après, AB demande à être relevé de ses fonctions…

15 octobre : parution de La Révolution surréaliste, n° 5, couverture choisie par AB. Compte rendu du Lénine de Trotsky.

13 novembre à minuit : vernissage de « Peinture surréaliste », galerie Pierre, 13 rue Bonaparte, Paris. Œuvres de : Arp, Giorgio de Chirico, Max Ernst, Paul Klee, André Masson, Joan Miro, Picasso, Man Ray, Pierre Roy. Catalogue AB et Desnos. Du 14 au 25 nov.

1926

Pour tout ce qui concerne le débat politique des années 1925-1926 à l’intérieur du groupe surréaliste, voir [Archives] [Archives 1925-1926] boîte cartonnée rouge (André Breton) (andrebreton.fr)

26 mars-10 avril 1926 : exposition :« Tableaux de Man Ray et objets des îles » à la Galerie surréaliste, rue Jacques Callot. Scandale provoqué par une statue de Nouvelle-Guinée.

18 mai : création de Roméo et Juliette, Noces par les Ballets russes. Max Ernst et Joan Miró qui ont prêté leur concours sont disqualifiés : « Il n’est pas admissible que la pensée soit aux ordres de l’argent » déclare AB dans un tract Protestation.

24 juin  : Lettre d’Ernest Gegenbach à AB : « Je vais quitter l’abbaye »

9 juillet : Lettre d’Ernest Gegenbach à AB : « Vous m’avez demandé d’écrire sur la question religieuse… » [Sur le personnage, voir la mise au point en 2 vol. illustrés de Christophe Stener, 2022]

Août : AB et Simone à Biarritz et Lourdes.

1ᵉʳ octobre : AB : Légitime défense, éditions surréalistes ; 26 p.

« Il n’est personne de nous qui ne souhaite le passage du pouvoir des mains de la bourgeoisie à celles du prolétariat. En attendant, il n’en est pas moins nécessaire, selon nous, que les expériences de la vie intérieure se poursuivent et cela, bien entendu, sans contrôle extérieur, même marxiste. » (OC II, 292). Brochure mise au pilon en mars 1927 selon AB, en gage de sincérité politique.

4 octobre : lundi, AB rencontre de Nadja [Léona Delcourt, née le 23 mai 1902] rue Lafayette. achète le dernier livre de Trotsky : Europe et Amérique.

Nadja, autoportrait. Nadja / BNF

5 octobre : mardi, AB et Nadja se retrouvent à la brasserie La Nouvelle France, rue du Faubourg Poissonnière.

6 octobre : mercredi, sur le trottoir de droite rue de la Chaussée-d’Antin ; AB croise Nadja. Ils s’assoient dans un café rue La Fayette. AB la conduit au Théâtre des Arts, près de son hôtel. Taxi vers la place Dauphine…

7 octobre : jeudi. Pas de rendez-vous avec Nadja, mais AB l’aperçoit rue Saint-Georges et la rejoint.

8 octobre : vendredi, rendez-vous manqué. Nadja seule au café de La Régence, place du Palais-Royal.

10 octobre, dimanche. AB et Nadja dînent quai Malaquais. « André !… Tu écriras un roman sur moi. Je t’assure. Ne dis pas non. Prends garde : tout s’affaiblit, tout disparaît. De nous il faut que quelque chose reste… » (OC I, 708).

1ᵉʳ novembre, mardi : Nadja écrit à AB : « Comment avez-vous pu m’écrire de si méchantes déductions de ce qui fut nous […] Comment ai-je pu lire ce compte rendu… entrevoir ce portrait dénaturé de moi-même, sans me révolter ni même pleurer ? » (OC I, 1 505)

4 novembre : bureau politique du PCF sanctionne le camarade qui ont a diffusé Légitime défense à L’Humanité.

6 novembre : « Danses surréalistes », Paris, Théâtre des Champs-Élysées, spectacle avec Valeska Gert, organisé par Yvan Goll : saboté par les surréalistes protestant contre l’usage du terme.

12 novembre, mardi : AB et Nadja, nuit à l’hôtel du Prince-de-Galles, à Saint-Germain-en-Laye.

Affiche originale du film en 1925.

15 novembre : le surréalistes assistent à la projection du film Le Cuirassé Potemkine  de Sergueï Eisenstein dans la salle de l’Artistic... « Vivent les Soviets » (La Révolution surréaliste, n° 8).

23 et 27 novembre : 1926 : au café Le Prophète, réunion « Adhérer au Parti communiste : exclusion d’Artaud et Soupault pour leur tiédeur politique.

Décembre : AB affecté à la cellule du gaz, PCF, 120 rue La Fayette.

1927

14 janvier :  André Breton, Louis Aragon, Paul Éluard, Benjamin Péret et Pierre Unik adhèrent au PCF.

31 janvier : Nadja à AB : « Est-ce que je pouvais prévoir que tout sombrerait ainsi tout à coup… alors que je n’ai rien fait, alors que j’étais devenue ton esclave »

21 mars 1927 : crise délirante de Nadja, conduite à l’Infirmerie Spéciale du Dépôt de la Préfecture de Police, quai de l’Horloge, puis à l’hôpital Sainte Anne et enfin à l’asile de Perray-Vaucluse, à Epinay-sur-Orge.

Avril : Tract Lautréamont envers et contre tout, signé AB, Aragon, Éluard, protestant contre les confusions de Soupault dans l’édition des Œuvres complètes.

3 avril : conférence d’AB sur Genbach, société de théosophie.

27 mai-15 juin : exposition « Yves Tanguy et objets d’Amérique », Galerie surréaliste. AB y expose des poupées Kachinas, découvertes avec Éluard.

Poupée kachina flûte. artiste inconnu. Site andrebreton.fr

Mai  : Au grand jour

Les auteurs : Louis AragonPierre UnikAndré BretonPaul ÉluardBenjamin Péret donnent les raisons de leur adhésion collective au Parti communiste.

12 juillet  : AB déclare au commissariat de police sa perte de documents personnels dans un taxi, dont des poèmes de Lise Deharme.

17 juillet : au Marché aux puces, AB découvre Fanny Beznos (1907-1942), jeune poétesse, militante communiste, qu’il publie dans La Révolution surréaliste d’octobre, et l’évoque dans Nadja.

29 juillet : Simone se sépare d’AB. Ils passent leurs vacances séparément, lui, seul, à Varengeville (Manche), au manoir d’Ango.

Août  : AB écrit Nadja, plus exactement un texte promis à la revue Commerce. Pour se mettre en train, il relit Huysmans, s’informe de documents inédits sur Victor Hugo.
Chaque matin, Aragon qui réside à Pourville vient lui lire les pages du Traité du style qu’il compose.

7 août :Manifestation en faveur de Sacco et Vanzetti ; Aragon défile à Dieppe.

7 août : la bande de la rue du Château vient le distraire de son écriture.

11 août : AB déjeune à Pourville avec Aragon et Nancy Cunard ; préparation avec Aragon du prochain numéro de La Révolution surréaliste (n° 9-10).

18 août : visite de Pierre Naville. Poursuite préparation de La Révolution surréaliste.

22 août : AB n’est qu’au préambule de Nadja.

31 août : AB de retour à Paris. Texte de Nadja écrit aux 2/3.

31 août : AB assure Desnos de l’attachement du groupe surréaliste à son égard.

14 septembre : AB constitue la documentation photographique de Nadja. Il se présente à Blanche Derval, interprète de Les Détraquées.

15-20 septembre : AB revoit Lise chaque jour, chez elle ou chez lui, avant son départ en cure à Luchon.

27 septembre : AB se rend compte que Lise se joue de lui, et le lui fait savoir.

1ᵉʳ octobre 1927 : parution de La Révolution surréaliste n° 9-10.

15 novembre : au Café Cyrano, Emmanuel Berl, en compagnie de Suzanne Muzard, demande une préface à AB pour Madame Putiphar de Petrus Borel, qu’il souhaite rééditer. Coup de foudre réxiproque AB-Suzanne.Le lendemain, tous trois visitent Éluard, souffrant. AB demande à Suzanne de le contacter. Début d’une relation passionnelle, voulus par Suzanne.

18 novembre : AB enlève Suzanne pour le Midi.

Suzanne Muzard. Collection particulière.

25 novembre : après Lyon, Avignon, Aix, séjournent à l’hôtel du Port, à Toulon où ils demeurent une quinzaine se jours. AB corrige les épreuves du Surréalisme et la peinture à paraître chez Gallimard.

26 novembre  : Aux écoutes publie un entrefilet fielleux sur Breton.

30 novembre : retour des amants à Paris, AB écrit la dernière partie de Nadja (voir le manuscrit autographe à la BnF).
Suzanne rejoint E. Berl.

1928


8 janvier : lettre d’AB à Paul Vaillant-Couturier (P.C.F.) sur les faiblesses de L’Humanité.

14 janvier : Comédie des Champs-Élysées, spectacle du Théâtre Alfred-Jarry (Artaud, Vitrac) : 1 acte d’un auteur non indiqué. AB s’élève : « Taisez-vous, tas de cons, c’est du Claudel. »

27 et 31 janvier : réunions du groupe surréaliste : recherches sur la sexualité (publiées dans La Révolution surréaliste, reprises en totalité dans le recueil des Archives du surréalisme, Gallimard, 1990)

9 février : Studio des Ursulines, La Coquille et le Clergyman de Germaine Dulac d’après Artaud. AB dans la salle lit les écarts par rapport au scénario.

11 février : sortie de Le Surréalisme et la peinture aux éditions Gallimard, avec 77 photogravures.

15 mars : AB se rend en Corse chez E. Berl pour lui reprendre Suzanne.

15 mars : parution de La Révolution surréaliste.

25 mai : parution de Nadja, éd. Gallimard, 4 planches photographiques. Le manuscrit autographe, classé Trésor national, est désormais conservé à la BnF, cote AF 28930. Consultation (bnf.fr)

9 juin : Le Songe de Strindberg monté par Artaud. Séance interrompue par AB qui refuse que le spectacle soit financé par l’ambassade de Suède. AB et ses amis sont conduits au poste de police.

9 août  : AB ne peut venir en aide à Fany Beznos expulsée en Belgique. (Lettre à Simone).

9 août  : Marcel Noll quitte la Galerie surréaliste avec un déficit de 13.000F.

12 août  : AB découvre Ulysse de Joyce dans la NRF, se demande pourquoi on ne lui en n’a jamais parlé.

28 août : Suzanne part avec AB à Moret-sur-Loing.

10 octobre : AB demande à Simone le divorce pour épouser Suzanne.

15 octobre : AB apprend que Simone le trompe avec Max Morise.

1ᵉʳ décembre 1928 : Suzanne épouse Berl.

1929

Janvier : AB fait réaliser par René Iché (1897-1954) le moulage en plâtre du visage d’Éluard et de lui-même ; suspendus à la fenêtre de son atelier.

Masques en plâtre d’Eluard et d’AB. Photographie de Marc Vaux. Droits andrebreton.fr

11 mars : réunion au Bar du Château. Objet : examen du sort fait à Trotsky. Au préalable, AB s’interroge sur « le degré de qualification morale » de chacun. Attaques contre le Grand jeu. Mise en cause de Roger Vailland, expulsion de G. Ribemont-Dessaignes. AB démonté par la présence de Simone accompagnant le président de séance, Max Morise.

1ᵉʳ–15 avril  : exposition Émilie Delbrouck et Marcel Defize, galerie Van Leer, 14 rue de Seine. Catalogue AB : « Il n’est pas de solution hors de l’amour ».

16-20 avril : AB à Bruxelles avec Éluard et Aragon. Composent avec les amis belges le numéro spécial de Variétés qui leur est consacré, avec Le Trésor des jésuites et le compte rendu de la réunion rue du Château : « À suivre – petite contribution au dossier de certains intellectuels à tendance révolutionnaire ».

Fin mai : Suzanne est avec Berl au pays Basque. AB la convainc de le rejoindre.

Juin : AB et Suzanne au Pouldu. île de Sein, hôtel Marzin, avec les Tanguy, Pierre Unik, Georges Sadoul. AB compose le Second Manifeste du surréalisme, à la recherche de ce point de l’esprit « d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement » (OC I, 781).

28 septembre : café de la place Blanche, AB et Éluard retournent une à une les « Notes sur la poésie » de Valéry.

Les scellés étant mis à son appartement, il loge avec Éluard, au Terrass’ Hôtel, rue Caulaincourt. Poursuit la rédaction du Manifeste, sur un ton plus violent.

1ᵉʳ octobre : studio des Ursulines, projection du Chien andalou de Buñuel et Dali à l’intention des surréalistes.

24 octobre : « jeudi noir » de Wall Street. La crise financière touchera la France quelques mois après.

5 novembre : suicide de Jacques Rigaut.

20 novembre-5 décembre 1929 : 1ère exposition de Salvador Dali à Paris, Galerie Goemans, rue de Seine, préface AB.

15 décembre : sortie de La Révolution surréaliste, n° 12 (dernier). Contient le Second Manifeste et une enquête : « Quelle sorte d’espoir mettez-vous dans l’amour ? »

Collaboration de Tristan Tzara : L’Homme approximatif (fragment).
Il participe désormais à toutes les réunions du groupe.

Excursion dans l’Est de la France avec Éluard, en quête de cartes postales 1900.

1930

Portrait imprimé de Breton au centre du premier feuillet, sous-titré “AUTO-PROPHÉTIE”. Il est représenté à 33 ans, le front ceint d’une couronne d’épines, comme le Christ.

15 janvier  : Un cadavre, contre les propos de Breton dans le Second Manifeste, 12 collaborateurs, à l’initiative de Desnos, publient un journal de 4 pages faisant écho à la publication de 1924 contre Anatole France. L’opération a été menée à bien par Georges Bataille. fort injurieux pour le sujet visé.

14 février : « Avant-après », consigne les réactions d’AB à la brochure précédente.

15 février : expédition punitive des surréalistes contre le bar Maldoror, ouvert à Montparnasse, ainsi dénommé sur une suggestion de Roger Vitrac. Dans la bagarre, René Char est sérieusement blessé d’un coup de couteau.

12 mars 1930 : fermeture de la Galerie surréaliste.

20 mars délaissé par Suzanne, AB se rend à Avignon, rejoint par Éluard et Char. Ils composent ensemble Ralentir travaux, (publié à Nîmes le 20 avril).

Avril : AB, brève liaison avec une danseuse du Moulin Rouge âgée de 20 ans.

25 juin : le Second Manifeste du surréalisme paraît aux éditions Kra, précédé d’un prière d’insérer collectif en soutien à l’auteur.

http://melusine-surrealisme.fr/site/Surr_au_service_dela_Rev/Surr_Service_Rev.htm

Début juillet : première livraison de la nouvelle revue Le Surréalisme au service de la révolution, en abrégé SASDLR : AB directeur, Éluard gérant, dépôt chez José Corti, rue de Clichy. Engagement absolu envers l’URSS.

30 juillet : Aragon décrit à Éluard l’état moral pessimiste d’AB, proche du suicide.

1ᵉʳ-15 août : AB séjourne seul chez ses parents à Lorient.

20 août : retour 42 rue Fontaine où Éluard a loué un studio. Rédigent à quatre mains un texte automatique.

Recueil de poésies d’André Breton et de Paul Éluard orné d’une illustration en couverture de Salvador Dali et d’un dessin de Clovis Trouille. Publié en 1930. Site AAB

1ᵉʳ-15 septembre : date du manuscrit de L’Immaculée Conception, d’Éluard et Breton, qui paraîtra le 24 novembre aux Éditions surréalistes.

Début octobre : mise en vente du SASDLR, n° 2. AB traite des « Rapports du travail intellectuel et du capital »

Novembre-décembre : avec Thirion, AB rédige les statuts d’une Association des artistes et écrivains révolutionnaires (AAEAR), qui ne verra pas le jour. Voir lettre de Thirion

6 au 11 novembre : congrès de Kharkov (Premier congrès international des écrivains pour la défense de la culture). À l’issue, Aragon et Sadoul, représentants officiels du surréalisme, signent une déclaration dénonçant le freudisme et le trotskisme de leur mouvement.

1ᵉʳ décembre : AB : « l’instinct sexuel et l’instinct de mort », dans la brochure de présentation du film L’Âge d’or de Buñuel et Dali. Projection au Studio 28 à Montmartre. La Ligue des Patriotes et la Ligue antijuive saccagent l’exposition de tableaux. Intervention policière.

André Breton chronologie numérique (4)

1922-1924

1922

1922-1924 Littérature, nouvelle série, n° 1 à 13.

Janvier, installation du couple Breton au 42, rue Fontaine.

3 janvier : appel d’AB pour le Congrès de Paris.

Février  : projet bibliothèque de J. Doucet, AB avec Aragon : (OC I, 631-36).

1er mars  : Littérature, nouvelle série, n°1. (texte numérisé). Directeurs : AB et Philippe Soupault. Administration Au Sans Pareil.

Contributions AB : « Récit de trois rêves » ; « André Gide nous parle de ses Morceaux choisis » ; « Interview du professeur Freud à Vienne ». « L’Esprit nouveau ». Reproduction du Cerveau de l’enfant de Chirico, toile qui restera au-dessus de son bureau jusqu’en 1956.

2 mars  : AB : « Après Dada », Comoedia, n° 3364.

30 mars  : Échec du « Congrès pour la détermination des directives et la défense de l’Esprit moderne », dit « Congrès de Paris » suscité par AB aux artistes novateurs et aux directeurs de revues : R. Delaunay, F. Léger, A. Ozenfant, J. Paulhan pour la NRF, AB pour Littérature, R. Vitrac pour Aventure. « Le Congrès de Paris est foutu, Francis Picabia en fait partie » déclare Picabia. Invité pour Dada, T. Tzara se récuse.
Voir dossier coupures de presse : http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb38736782v

1er avril  : Littérature, n.s., n° 2. AB : « Lâchez tout » : AB quitte Dada.

Avril : T. Tzara publie Le Cœur à barbe 4 p. en réponse à AB.

6 mai : AB, Fraenkel, Rigaut à la Foire du Trône.

9 mai, conseillé par AB, J. Doucet achète La Charmeuse de serpents du Douanier Rousseau (50 000 FF), à Robert Delaunay, sous réserve qu’à sa mort le tableau ira au Louvre.

21 mai : réponse de AB à l’enquête du Figaro : « La poésie écrite perd de jour en jour sa raison d’être » (OC I, 267)

4 juillet  : 3e vente Kahnweiler, se procure un Léger et trois Braque.

12 août : AB à Lorient, chez ses parents. Développe pour Doucet ce qu’il entend par « esprit nouveau », et se tourne vers Marcel Duchamp.

Septembre-novembre : Période des sommeils provoqués (inspirés de la technique des médiums, sans leurs présupposés), à l’initiative de R. Crevel, qui se livre à la 1re séance devant témoins. Une phrase revient constamment : « On vend à l’encan les robes de la princesse de Lamballe, mais on ne vend pas ses chapeaux ».

Relation de l’événement par AB dans « Entrée des médiums », (Littérature, n° 6, nov. 1922). Voir dossier Archives AB, lot 2 026.

AB consigne un dialogue entre B. Péret et Crevel dans « Comme il fait beau ! » (OC I, 439).

1er septembre : à partir de cette date, G. Gallimard prend en charge l’édition de Littérature dirigé par AB seul (et le soutien financier de Doucet).

1er septembre : « AB : « Clairement », Littérature, n.s., n° 4.

27 octobre : AB à J. Rivière : « l’intérêt de ces séances… ne va pas croissant, au contraire ». Sollicité depuis le début du mois, Man Ray photographie Desnos en plein sommeil provoqué. Voir la sténographie intégrale de la séance.

Mussolini

29 octobre : Mussolini prend le pouvoir à Rome.

30 octobre : Picabia conduit AB à Barcelone dans sa voiture , avec Germaine Everling et Simone.

Étape à Marseille : visite de l’Exposition coloniale. « le plus triste jardin zoologique de ma connaissance », dit Breton. Voir : « Souvenirs de voyage : l’exposition coloniale de Marseille », Littérature, n. s. n° 8, 1er janvier 1923, pp. 3-4

Exposition de Picabia Galerie Dalmau, 18 octobre-8 décembre 1922, catalogue préfacé par AB.

2 novembre : AB envoie une carte postale de La Sagrada familia, de Gaudi, à Picasso : « Connaissez-vous cette merveille ? »

17 novembre : à l’Ateneo de Barcelone, Conférence AB : « Caractères de l’évolution moderne et ce qui en participe ». « Il n’y a qu’une chose qui puisse nous permettre de sortir, momentanément au moins, de cette affreuse cage dans laquelle nous nous débattons et ce quelque chose c’est la révolution, une révolution quelconque, aussi sanglante qu’on voudra, que j’appelle encore aujourd’hui de toutes mes forces. » (OC I, 305)

1er décembre : AB propose à différents artistes (Brancusi, Cendrars, Picasso) d’organiser un nouveau salon, dans le prolongement de sa conférence. Échec.

1er décembre : « Les mots sans rides », Littérature, n°6, à propos des jeux verbaux de Marcel Duchamp : « Et qu’on comprenne bien que nous disons : jeux de mots quand ce sont nos plus sûres raisons d’être qui sont en jeu. Les mots, du reste, ont fini de jouer. Les mots font l’amour. » (OC I, 286)

11 décembre : intervention d’AB et ses amis à la représentation de Locus Solus de Raymond Roussel, adaptation de Pierre Frondaie, sifflée par les invités au théâtre Antoine lors de sa création (le 8 décembre). Le lendemain, AB fait remettre un exemplaire des Champs magnétiques à l’auteur, ainsi dédicacé : « À Raymond Roussel pour Locus Solus, le seul spectacle auquel il m’ait été donné d’assister. »

1923


15 février : mise en vente de Littérature, n° 9, sous la seule responsabilité d’AB désormais.

18 février : AB : « La Confession dédaigneuse » La Vie moderne, XLVe année, n° 6, n° 7 (25 février 1923) ; n° 8 (4‑11 mars 1923) et dans les numéros des 18 et 25 mars. OC I, 1222).

28 mars : AB signe un contrat avec Gaston Gallimard pour la publication d’un recueil d’articles, Les Pas perdus.

4 avril  : J. Rivière déclare à AB qu’il fera désormais le silence sur ses activités.

7 avril  : « André Breton n’écrira plus », interview par Roger Vitrac dans Le Journal du peuple. Desnos prend la même décision. Duchamp qui, dans le même temps, abandonne son Grand Verre.

14 avril : « Tristan Tzara va cultiver ses vices », interview par Roger Vitrac, Le Journal du peuple.

6-7 mai : 4e et dernière vente Kahnweiler AB, Desnos, Éluard et où seront bradés nombre de papiers collés de Braque et de Picasso.

3 mai : AB rompt avec Picabia et lui fait connaître ses réserves.

4 mai  : Aragon, Breton, Morise et Vitrac imaginent de parcourir la France à pied, durant une dizaine de jours, en dormant à la belle étoile, et de voir ce qui en ressortirait, sur tous les plans. Le tirage au sort les fait partir de Blois, pour parcourir la Sologne, ses marais, ses sables insalubres, etc. à la gare d’Argent, Morise s’attaque à un christ qui n’avait rien à y faire. Au cours de la marche, Aragon et Vitrac se chamaillent. Ce dernier à évoqué l’expérience sous le titre de « voyage magique », de caractère initiatique. Déambulation écourtée, décevante sur le plan formel, d’où naquirent pourtant de beaux textes automatiques, où les femmes, absentes du quatuor, sont très présentes.

15 mai : élection du « cartel des gauches ».

15 mai : recréation de L’Étoile au front de Raymond Roussel. Réplique de Desnos : « Nous sommes la claque et vous êtes la joue ».

20 juin : G. Gallimard présente son compte à AB. Il lui doit 3.000 FF pour Littérature (3 415,16 Euros en 2022 ), qui n’a que 20 abonnés ; les libraires refusent d’en prendre le dépôt, etc. AB décide de publier sa revue sous forme de numéros spéciaux. Gallimard accepte de poursuivre sa gestion.

6 juillet : Soirée du Cœur à barbe, organisée au Théâtre Michel par le groupe Tcherez. Sabotage par AB et ses amis, au prétexte que la pièce de Tzara a déjà été jouée. En 1re partie ; Pierre de Massot vient déclamer une provocante litanie des morts. AB s’insurge, monte sur la scène et le frappe de sa canne, lui cassant le bras. Chahut.

14 août : AB prend son congé d’été. Séjourne à Lorient avec Simone.

22 août : AB compose une vingtaine de poèmes dont il se déclare satisfait (lettre à J. Doucet, (OC I, 1 185)
Visite surprise à Lorient d’Éluard et Marcel Noll.

7 septembre : AB et Simone se rendent au manoir de Camaret pour rencontrer le poète Saint-Pol Roux, qui les accueille chaleureusement. Il offre Anciennetés, accompagné de cette dédicace : « À André Breton “le verbe doit parler autrement et dire autre chose”, en souvenir de sa visite et de celle d’enchantement de sa jeune dame, Saint-Pol Roux, manoir de Coecilian, 7 septembre 1927 » (7 au lieu de 3) Le recueil Clair de terre lui est dédié.


Le manoir de Saint-Pol-Roux vers 1925 – photo Georges Arlaud.

9 octobre : Picasso lui offre son portrait qui figurera dans le recueil Clair de Terre, publié à compte d’auteur par AB, achevé d’ipmrimer le 15 nov.

Portrait d’André Breton par Pablo Picasso. Clair de terre.

14 octobre : AB à Valvins pour hommage à Mallarmé.

Paul Nadar, Stéphane Mallarmé au châle, photographie, 1895© YVAN BOURHIS

20 octobre : Les Feuilles Libres publient un inédit de Rimbaud, « Poison perdu ». AB dénonce aussitôt le faux.

11 novembre : AB n’apprécie pas la maison d’Eluard à Eaubonne : « La décoration de Max Ernst dépasse en horreur tout ce qu’on peut imaginer. On se prend à regretter Boucher, à quoi rêvent les jeunes filles, les petits Saxes. » (Lettre à Simone)

8-24 décembre : Procès aux assises de Germaine Berton (1902-1942). Ouvrière, anarchiste libertaire. Elle est jugée pour l’assassinat, le 22 janvier 1923, de Marius Plateau, membre de l’Action française et chef des Camelots du Roi. Simple accident du travail, ironise Aragon. AB déclare :« l’opinion de Germaine Berton est infiniment plus considérable que celle de Monsieur Gide ».

À l’issue de son procès, AB et ses amis Aragon et Max Morise lui portent une corbeille de roses rouges avec ces mots : « À Germaine Berton, qui a fait ce que nous n’avons pas su faire. » (lettre de Simone à Denise, 24 décembre 1923).

1924

28 janvier : AB à Félix Fénéon :« Je vous dois un très grand plaisir, qui a fait l’enchantement de toute une journée. Est-ce à la révélation de Seurat, est-ce à votre charmant accueil et à celui de Mme Fénéon que j’ai éprouvé le plus de joie – je ne saurais le dire, mais je me promets bien, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, de ne pas en rester là avec vous. »

1er février 1924 : « La confession dédaigneuse », [extrait], Paris-Journal.

5 février 1924 : AB : Les Pas perdus, essais 1918-1923. Paris, Gallimard, coll. Documents bleus, 212 p.

Mars : la librairie Gallimard, Bd Raspail, consacre une vitrine à : Les Pas perdus, avec les ouvrages auxquels il est fait référence, de pages manuscrites, etc.

8 mars : Simone absente, Desnos dîne chez AB, puis ils se livrent à des exercices d’écriture et notent « la voix qui se cache après avoir parlé et qui se tait et qui abuse ».

24 mars, Éluard disparaît. Le lendemain, son recueil Mourir de ne pas mourir paraît avec cet exergue « Pour tout simplifier je dédie mon dernier livre à André Breton ». Celui-ci est très affecté. Il écrit : « Quel est‑il ? Où va‑t‑il ? Qu’est‑il devenu ? […] N’a‑t‑il pas suivi le chemin qui se perd dans les cerveaux de l’idée, ne faisait‑il pas partie du glouglou de la bouteille de la mort ? » (OC I, 381).

Éluard fera un long voyage autour du monde, et sera de retour en octobre, au Cyrano, comme si de rien n’était.

18 avril : AB rédige une définition du surréalisme qui ne doit rien à Apollinaire.

17 juin : AB informe Simone qu’il projette d’écrire un manifeste avec Aragon et Soupault ; pour définir leur conception du surréalisme.

Fin juin : AB achève sa présentation de Poisson soluble :  C’est vivre et cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires. L’existence est ailleurs. » (OC I, 346)

Juillet : AB et Simone en vacances à Lorient.
Rencontre des amis éparpillés en Bretagne.
AB transforme sa préface en Manifeste du surréalisme.

13 juillet : AB et Simone viennent en aide à Clara Malraux, dont le mari est condamné à la prison pour vol de pièces sacrées en Indochine.

22 juillet : AB vient au secours de Limbour , impliqué dans un incident à Mayence.

3 octobre : AB fait la connaissance d’André Masson en son atelier. Amitié décisive.

3 octobre : Antonin Artaud refuse de se lier à un groupe, quel qu’il soit, mais il accepte de rencontrer les futurs surréalistes au café Cyrano, « beau comme une vague, émouvant comme une catastrophe », dit de lui Simone ».

7 octobre : retour d’Éluard : «  « Alors, il m’a mis un petit mot, qu’il m’attendait hier à Cyrano, ni plus ni moins. / C’est bien le même, à n’en pas douter. / Des vacances, quoi. » AB à Marcel Noll.

10 octobre : décision de fonder une revue, La Révolution surréaliste, dirigée par Pierre Naville et Benjamin Péret (1924-1925) pour les numéros 1 à 3.

Manifeste du surréalisme et fiche pédagogique sur le surréalisme

10 octobre : ouverture du Bureau de recherches surréalistes, 15 rue de Grenelle. Dirigé par Francis Gérard puis Antonin Artaud.

Le Bureau est ouvert chaque après-midi à tout public. Un registre consigne l’activité.

Voir les Archives du Cahier du Bureau des Recherches surréalistes paru en 1988, présentées et annotées par P. Thévenin.

11 octobre : Maurice Martin du Gard : « André Breton », Les Nouvelles littéraires. Compte rendu du Manifeste du surréalisme lu sur épreuves.

15 octobre : Manifeste du surréalisme, Poisson soluble. Paris, éd. Du Sagittaire chez Simon Kra, 1924, 194 p.

Parmi bien d’autres, un envoi de l’auteur à un grand penseu: « à Henri Bergson, / très humble hommage / d’admiration / André Breton / 42 rue Fontaine Paris IXe »

18 octobre 1924 : Un Cadavre, pamphlet après la mort d’Anatole France ; Aragon et Breton renvoyés par Jacques Doucet (qui ne se séparera d’eux que progressivement).

8 novembre 1924 : AB propose à Jacques Doucet d’élaborer une bibliographie de sa collection littéraire pour en déterminer la valeur bibliophilique.

3 décembre : AB, Aragon, Naville à l’imprimerie où sort La Révolution surréaliste.

12 décembre 1924 : J. Doucet acquiert enfin Les Demoiselles d’Avigon. AB le félicite : « Pour moi c’est un symbole pur, comme le tableau chaldéen, une projection intense de cet idéal moderne que nous n’arrivons à saisir que par bribes » (Lettres).

André Breton chronologie numérique (3)

1919-1921

1919

6 janvier : Jacques Vaché (et un de ses 4 compagnons de chambrée) succombe à une surdose d’opium à l’Hôtel de France à Nantes. AB n’en est informé que dix jours plus tard. Il enquête (par courrier) auprès de la presse et du directeur de l’hôpital des armées Broussais. Pour lui, Vaché s’est suicidé, entraînant un ami par une « fourberie drôle », comme il le lui avait laissé entendre.

6 janvier : de Zurich, Tristan Tzara lui adresse Dada III et lui demande de collaborer à sa revue. AB enthousiasmé à la lecture des déclarations  du Manifeste Dada 1918 : « Que chaque homme crie : il y a un grand travail destructif, négatif, à accomplir. Balayer, nettoyer [… ] Liberté. dada dada dada, hurlement des douleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences : la Vie »

13 janvier : AB adresse à Vaché une lettre-collage s’achevant sur cet appel en lettres capitales : « JE VOUS ATTENDS (voir fac-similé : G. Sebbag, L’imprononçable jour de sa mort Jacques Vaché janvier 1919, J.-M. Place, 1988). La disparition de Vaché le conduit à publier ses Lettres dans 3 livraisons de Littérature, juillet, août et septembre 1919.

15 janvier  : AB se loge à l’Hôtel des Grands Hommes, 9 place du Panthéon. (voir la plaque apposée sur la façade, aujourd’hui n° 17).

22 janvier : AB écrit à Tristan Tzara : « Je me préparais à vous écrire quand un chagrin m’en dissuada. Ce que j’aimais le plus au monde vient de disparaître : mon ami Jacques Vaché est mort. Ce m’était une joie dernièrement de penser combien vous vous seriez plu : il aurait reconnu votre esprit pour frère du sien et d’un commun accord nous aurions pu faire de grandes choses » (AB, Correspondance avec T. Tzara et F. Picabia, Gallimard.

15 mars : Aragon, Breton, Soupault fondent la revue Littérature, bientôt rejoints par Éluard. Direction et rédaction : 9 place du Panthéon, Paris.

Avril : AB présente Poésies de Lautréamont dans Littérature.
Peu après, il discute avec Modigliani sur un banc de l’avenue de l’Observatoire. Il apprécie sa compréhension immédiate des Poésies d’Isidore Ducasse. Lui achète un dessin.
Dans sa correspondance avec Aragon, il prêche pour la poésie-publicité.

17 avril  : AB adresse à Aragon une carte postale du Musée de Nantes reproduisant le Portrait de Mme de Senonnes d’Ingres avec cette mention : « Un des tableaux que j’ai le plus aimés. »

Portrait de Madame de Senonnes peint en 1814 par Jean-Auguste-Dominique Ingres 

Mai-juin : avec Soupault, rédaction, en quinze jours, des Champs magnétiques qui paraîtront en 3 livraisons de Littérature (mais aussi dans 7 autres revues dadaïstes) et en volume l’année suivante (voir : 30 mai 1920). Euphorie, joie immédiate des scripteurs (OC III, 461). G. Auric se remémore les lectures que lui en fit AB au « 4e Fiévreux » de l’hôpital du Val-de-Grace.

5 juin : AB se fait réintégrer à la Faculté de médecine de Paris.

10 juin : Publication de Mont de piété avec deux dessins inédits d’André Derain, Au Sans Pareil. Aucun service de presse, mais envoi à quelques amis. Valéry répond : « M. V… est étonnamment content de votre volume, qui l’eût dit ? Devient-il fou comme ces jeunes gens de Littérature ? Mais figurez-vous qu’il se trouve très à l’aise et très ressemblant entre le pôle Mallarmé et le pôle Rimbaud de votre univers. Le fait des comparaisons. Il se voit l’homme qui ferme la chaîne des électricités, et tend le doigt tout chargé vers l’autre corps, avec attente des étincelles. » (26 juillet 1919, OC I, 1 093)

12 juin  : « Il ne faut pas se faire d’illusion, on est disqualifié au bout d’un an ou deux tout au plus… » écrit-il à Aragon. Et le même jour à Tzara : « Mais vous, mon cher ami, comment sortirez‑vous ? Répondez-moi, de grâce, voyez-vous une autre fenêtre ? (C’est aussi pour moi que j’interroge) » (Correspondance avec Tzara et Picabia)

1er juillet : obtient le brevet de médecin-auxiliaire.

Juillet : Littérature, n° 5 : publicité pour Dada ; début publication Lettres de Jacques Vaché.

1er août : permission. Se rend à Lorient, chez ses parents. Poursuit l’écriture automatique : « Usine » (sera intégré aux Champs magnétiques).

10 août : Lettres de guerre de J. Vaché, Au Sans Pareil, introduction d’AB, Maurice Barrès, sollicité, s’étant récusé.

1er septembre  : affecté au camp d’aviation d’Orly comme médecin-auxiliaire. Le vaste terrain d’aviation, silencieux et presque désert, l’émeut d’autant plus qu’il n’est pas mécontent de s’isoler de ses amis, trop préoccupants à son gré.

5 septembre : citant Tzara, AB interroge Valéry : « Quel cas faites-vous de la formule “l’absence de système est encore le plus sympathique des systèmes” » en précisant qu’elle est d’un de ses amis, « le seul qui ait en ce moment une influence sur moi ».

20 septembre : démobilisation.
Pour célébrer son retour à la vie civile, AB part en Bretagne avec sa maîtresse, Georgina Dubreuil, au cours d’un voyage ironiquement baptisé « Lune de miel » dans une pièce automatique (insérée ensuite dans les Champs magnétiques, OC I, 86). Dans la chapelle de Roscudon à Pont Croix (Finistère), AB souffle des cierges : « De quoi vais-je bien pouvoir payer ce geste ! » s’exclame-t-il.

Il a fait état de cette relation 35 ans après, dans l’article « Magie quotidienne » en publiant la lettre que cette femme lui adressait nostalgiquement. En le détournant du Bois‑Sacré, elle l’avait involontairement poussé au sacrilège. Commentant la citation, Breton précise : « Elle émane d’une femme qui fut jadis non pas mon amie – il s’en faut de beaucoup – mais ma maîtresse comme on ne craignait pas de dire alors, et c’était autrement exaltant. Elle avait dans l’amour un côté fusée. Nous nous sommes séparés il y a si longtemps dans les pires termes – sur une crise de jalousie, d’ailleurs totalement injustifiée de sa part. » (OC III, 930)

7 octobre : AB à Tzara : « Vaincre l’ennui. Je ne pense qu’à cela nuit et jour »

20 octobre : retour de Bretagne. Période inactive. Ne poursuit pas d’études, n’écrit pas.
« Je tourne pendant des heures autour de la table de ma chambre d’hôtel, je marche sans but dans Paris, je passe des soirées seul sur un banc de la place du Châtelet. Il ne semble pas que je poursuive une idée ou une solution : non, je suis en proie à une sorte de fatalisme au jour le jour, se traduisant par un “à vau-l’eau” de nature plutôt agréable. Cela se fonde sur une indifférence à peu près totale qui n’excepte que mes rares amis… », (OC III, 457).

3 novembre  : Georgina Dubreuil aurait subtilisé les lettres de son mari à sa propre maîtresse. Elles inspirent à Breton une solution au problème que se posait Valéry : « Amoureux, comment Monsieur Teste raisonne-t-il ? » Il en fait part à ce dernier en lui recopiant de longs fragments de cette correspondance, tentant de formuler mathématiquement la passion : « Si donc j’ai vu juste, je puis mettre en langage analytique la théorie de Quinson, comme Lagrange a mis en équations les vues de Copernic et de Newton. Tout le monde inepte du déterminé s’écroule. Problème insoluble depuis Riemann […] »

Jalouse, ardente et possessive, Georgina mit fin à leurs rencontres au bout de six mois en venant saccager sa chambre.

Décembre  : Littérature, n° 10 : AB publie la lettre ouverte de Tzara à Jacques Rivière, directeur de la NRF : « Je serais devenu un aventurier à grande allure et aux gestes fins si j’avais eu la force physique et la résistance nerveuse pour réaliser ce seul exploit : ne pas m’ennuyer ». AB s’en inspire pour lancer l’enquête « Pourquoi écrivez-vous ? »

25 décembre : sur les instances de Tzara, AB a pris contact avec le peintre-poète Francis Picabia (1879-1952). Lui rend visite le jour de Noël.

1920

4 janvier : visite Picabia chez sa compagne Germaine Everling. Elle a conté cette relation dans L’Anneau de Saturne. Tandis qu’elle allait accoucher, Picabia dissertait de Nietzsche avec AB, lequel lui opposait Hegel.

5 janvier  : AB écrit à Picabia : revient sur la conversation, convient qu’il faut créer les conditions d’avènement de l’homme nouveau. Il a rompu avec Reverdy ; Gide et Valéry ne figurent dans Littérature que pour accroître la confusion.

12 janvier : lecture à la librairie Au Sans Pareil de S’il vous plaît, pièce en un acte d’AB et Ph. Soupault. Selon Aragon, les auteurs devaient, au dernier acte, jouer leur destin à la roulette russe avec un pistolet chargé à balles réelles…

14 janvier : AB écrit à Tzara : « Je n’attends plus que vous ».

17 janvier : arrivée de Tzara à Paris. « Tristan dont le rire est un grand paon » dira de lui Soupault. « Nous fûmes quelques-uns qui l’attendîmes à Paris comme s’il eût été cet adolescent sauvage qui s’abattit au temps de la Commune sur la capitale dévastée et duquel aujourd’hui encore ceux qui le connurent gardent un blême effroi : le Diable, dit Forain qui le voit toujours dans ses rêves, et Rimbaud le tire par les pieds », écrit Aragon en 1922 (note à J. Doucet sur 25 Poèmes).

Démobilisé, Benjamin Péret s’installe à Paris, fait la connaissance du trio de Littérature.

23 janvier : Premier « Vendredi de Littérature ». Le programme très varié est chahuté. AB, fiévreux, déclame des poèmes qui deviennent dans sa boche une provocation. Tzara lit un article de Léon Daudet dans L’Action française, accompagné en coulisses par les crécelles et clochettes d’Aragon et d’AB.

5 février : manifestation Dada au Grand Palais (Salon des Indépendants). AB y déclame « Bocaux dada », un texte mimant l’interrogation des patients à l’hôpital psychiatrique : « Comment t’appelles-tu ? Quel est ton métier ? Et tes parents ? » (OC I, 411). On distribue Bulletin Dada, la sixième livraison de la revue dada, témoignant de son implantation parisienne.

7 février : au Club du Faubourg, AB lit avec enthousiasme le Manifeste dada 1918 de Tzara.

19 février : à l’Université populaire du faubourg Saint-Antoine, les intervenants cherchent à se faire comprendre d’un public populaire. Dans « Géographie dada » AB marque son territoire : « dada est un état d’esprit […] dada, c’est la libre-pensée artistique. » Il exprime ainsi son nihilisme : « Il est inadmissible qu’un homme laisse une trace de son passage sur la terre. » (OC I, 230)

21 mars : les parents d’AB se présentent à son hôtel, exigent qu’il reprenne ses études médicales ou bien qu’il rentre à Lorient. Sa mère s’emporte jusqu’à dire qu’elle aurait préféré le voir mort à la guerre… Ph. Soupault plaide en sa faveur. Tzara le convainc de rester avec ses amis.

22 mars : Louis Breton écrit à Valéry, lui demande de ramener son fils à la raison.
25 mars : AB à Valéry : « Les conditions qui m’ont été faites par ma famille ne me paraîtront pas plus acceptables demain […] Mes actes (en littérature, etc.) ont toujours cru pouvoir supporter votre critique et je ne vous dépeindrai pas ma tristesse en vous entendant l’autre soir juger assez sévèrement ce que je pense être ma loi. »

Siège de la NRF rue Madame, Paris 6e

26 mars : sur l’intervention de Valéry, Gaston Gallimard engage AB pour l’expédition de la NRF à ses abonnés, pour un salaire mensuel de 400F ; à quoi s’ajouteront les 50F que Marcel Proust lui versera pour chaque séance de lecture à haute voix des épreuves de Du côté de Guermantes. AB appréciera l’accueil de Proust, et même sa prose recelant des trésors de poésie. Toutefois, l’auteur de Guermantes ne sera pas satisfait des corrections d’AB,le contraignant à publier une liste de 200 errata. (Voir ses 2 lettres à AB et Soupault : https://www.jstor.org/stable/40522688; https://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3289.

27 mars : Manifestation Dada au théâtre de l’Œuvre ! S’il vous plaît et Vous m’oublierez, sketches de AB et Soupault, interprétés par les auteurs ;
http://melusine-surrealisme.fr/site/Dada-revue/Dada_7_Revue.htm
une de ses répliques : « Les grands magasins de la Ménagère pourraient prendre feu » (OC I, 125), devait revêtir un caractère prophétique puisque lesdits magasins du boulevard Bonne Nouvelle brûlèrent l’année suivante. La Première Aventure de M. Antipyrine de Tzara avec les mêmes acteurs (et leurs amis). Les dadas se donnent des surnoms : Breton : « Royer-Collard jeune » que lui aurait attribué Apollinaire, par référence au directeur de l’asile de fous de Charenton.


Antoine, Athanase Royer-Collard, aliéniste (1768‑1825)

Musidora y participait, et AB grimé en homme-sandwich par Picabia, portait cette affiche : « Pour que vous aimiez quelque chose il faut que vous l’ayez vu et entendu depuis longtemps. Tas d’idiots »


Portrait d’AB au Festival Dada

1er avril : dans Comoedia, AB réfute les allégations xénophobes de Rachilde.

Littérature, n° 13 : « vingt-trois manifestes dada ». AB y publie « PSTT », « Parfums d’Orsay », « Les Reptiles cambrioleurs ».

26 mai : Festival Dada, salle Gaveau : La Deuxième Aventure céleste de M. Antipyrine de Tzara, Vous m’oublierez, de AB et Soupault, joué par les auteurs. AB prête sa voix à Picabia et à G. Ribemont-Dessaignes.

30 mai : achevé d’imprimer Les Champs magnétiques : L’écriture « par quoi tout commence » selon Aragon. Manuscrit (provenant des archives de T. Fraenkel) BnF : Naf 18303, publié et transcrit en 1984 chez Lachenal et Ritter (repris par Gallimard).

On a montré (cf. l’exposition L’Invention du surréalisme, BnF, sept. 2019-fév. 2020) comment AB, écartant Soupault (avec son accord) avait repris les pages manuscrites des deux collaborateurs, les avait ordonnées en chapitres d’un volume publiable ; élaborant à partir de l’automatisme ce qu’il allait nommer le surréalisme, et définir plus tard pédagogiquement dans le Manifeste de 1924 (à quoi il ajoutera en 1932 la notion de vitesse d’écriture). Tandis que Soupault dira qu’ils s’inspiraient de L’Automatisme psychologique de Pierre Janet (1894), AB se référera constamment à Freud. Reste qu’un bon nombre de fragments ont été reçus et publiés par des revues dadaïstes, ce qui témoignait d’une convergence de vues sur l’écriture automatique…

1er juin : AB, « Les Chants de Maldoror…. », NRF, n.s. n°81, p. 917-20.

20 juin : envoi autographe signé par les auteurs des Champs magnétiques à Marcel Proust.

Fin juin 1920 : au jardin du Luxembourg, à Paris, AB fait la connaissance de Simone Kahn, qui lui est présentée par T. Fraenkel. Elle est l’amie de sa fiancée, Bianca Maklès. Passionnée de littérature, elle est abonnée au cabinet de lecture d’Adrienne Monnier, ainsi qu’à la revue Littérature. Elle a assisté au Festival Dada de la salle Gaveau, qu’elle juge d’« une grossièreté et d’une pauvreté qui se rendent l’une l’autre inexcusables ». (Lettres à Denise, 1er juin 1920, p. 53).. Elle a relaté cette première rencontre : « Vous savez, je ne suis pas dadaïste, lui dis-je d’emblée, après les présentations. – Moi non plus” me répondit-il, avec ce sourire qu’il sut garder toute sa vie quand il faisait des réserves sur une de ses dispositions doctrinales. » (Conférence sur la peinture surréaliste, 1965)


Simone Kahn née à Iquitos (Pérou) le 3 mai 1897, morte à Paris le 30 mars 1980. Photo Man Ray.

9 juillet : Simone écrit à sa cousine Denise Lévy qu’elle a revu AB : « C’est vraiment un type intéressant. Je ne sais pas ce que la vie fera de notre sympathie » (Lettres à Denise (2005, p. 55).

15 juillet : première lettre d’AB conservée par Simone : « Certainement j’éprouve un grand plaisir à vous voir ; merci de l’avoir deviné. » (publiée, comme celles qui suivent, dans AB, Lettres à Simone Kahn, 1920-1960, Gallimard, 2016 ; les lettres de Simone auraient été détruites).
Voir : https://www.ens.psl.eu/actualites/exposition-autour-de-la-correspondance-d-andre-simone-breton

23 juillet : AB quitte son emploi à la NRF (cf. Lettre à Simone le lendemain).

24 juillet : malade à plusieurs reprises, AB s’installe chez ses parents à Lorient pour deux mois.

J. Rivière lui propose de collaborer à la NRF, lui demande un article sur les Odes de Valéry : « Vous êtes un poète, cela ne fait pas de doute, ou plutôt vous le deviendrez, dès que vous vous en serez reconnu le droit… » AB n’écrit pas sur Valéry ni sur Apollinaire demandés par la NRF.

31 juillet : Simone écrit à Denise au sujet d’AB : « Personnalité de poète très spéciale, éprise de rare et d’impossible, juste ce qu’il faut de déséquilibre, contenue par une intelligence précise même dans l’inconscient, pénétrante, avec une originalité absolue… »

1er août : AB : « Pour Dada », NRF, n° 83, suivi de : Jacques Rivière, « Reconnaissance à dada ». Celui-ci écrit : « Saisir l’être avant qu’il n’ait cédé à la compatibilité ; l’atteindre dans son incohérence, ou mieux dans sa cohérence primitive, avant que l’idée de contradiction ne soit apparue et ne l’ait forcé à se réduire, à se construire ; substituer à son unité logique, forcément acquise, son unité absurde, seule originelle : tel est le but que poursuivent tous les dadas en écrivant. » Le groupe Dada, si bien compris, craint d’être récupéré.

6 août : dans une de ses lettres quotidiennes à Simone Kahn (qui passe des vacances en Bretagne), AB dit le bien qu’il pense de ses amis en les caractérisant : « Mes amis tiennent une place dans ma vie. J’aime énormément Soupault et Tzara, un peu moins Éluard, Aragon, Picabia… »

31 août : AB annonce à Simone qu’il n’écrira pas la préface demandée par F. Picabia pour Jésus-Christ Rastaquouère, tant il réforme le dadaïsme en lui.

1er septembre : note sur Gaspard de la nuit, NRF, n.s., n° 84.

11-14 septembre : AB rejoint Simone à Sarreguemines chez Denise, une femme très cultivée, dominant la culture allemande autant que la française.

20 septembre : AB demande à Simone (par lettre) de passer sa vie avec lui.

28 septembre : AB écrit à J. Rivière : « Je procède d’ailleurs à une révision complète de mes idées qui pourra me conduire plus près de vous que je n’ai été encore ».

Fin septembre : le Prix Blumenthal, de 20.000 Fr, que plusieurs membres du jury avaient promis à Breton, est remis à J. Rivière (le second à A. Salmon). Vive déception.

5 octobre : AB rentre à Paris. Loge chez Ph. Soupault, 41 quai de Bourbon, siège de la revue Littérature depuis le n° 15, juillet-août 1920.

19 octobre : réunion des directeurs de Littérature pour définir sa nouvelle orientation, installer un comité de lecture, etc. Résultat : 3 mois de retard ! AB tente un rapprochement avec Tzara, mais celui-ci ne répond pas.

AB loge à l’Hôtel des Écoles, 15 rue Delambre. Il donne des leçons de littérature à Jeanne Tachard, fondatrice de la maison de couture Talbot. (voir vente collection : Jeanne Tachard, le choix de la modernité | Gazette Drouot (gazette-drouot.com)

André Germain directeur des Écrits nouveaux, lui repasse l’anthologie de la poésie nouvelle qu’il préparait depuis 2 ans pour les éditions Crès. AB écrit deux notices : sur Éluard et son usage du langage ; sur Soupault et son instinct poétique (le projet passe entre les mains de Tzara, qui ne le mène pas davantage à l’impression).

24 octobre : La correspondance publiée d’AB avec Simone s’arrête le dimanche 24 octobre 1920. Elle ne reprendra que le jeudi 2 juin 1921.

Décembre, J. Tachard recommande AB à Jacques Doucet (1853-1929), autre collectionneur et mécène, amateur de littérature. Depuis 1916, il avait constitué une bibliothèque moderne, conseillé par le libraire Camille Bloch (1887-1967), et s’était tenu au courant des débats contemporains en rétribuant les auteurs qui lui écrivaient. Il prend Breton comme bibliothécaire et conseiller, chargé de lui adresser une lettre hebdomadaire rétribuée.

15 décembre : AB tient un carnet notant ses conversations avec les poètes et les peintres en leur atelier (OC I, 613-623).

André Derain. Chien tenant dans sa gueule un oiseau, vers 1921, coll. particulière. Tableau offert à Simone par AB.

20 décembre : 1ère lettre à Doucet (publiée dans AB, Lettres à Jacques Doucet, Gallimard, 2016).

25 décembre : Congrès de Tours, fondation du Parti communiste français.

28 décembre : AB entraîne Aragon au Journal du peuple pour s’inscrire au Parti. Reçus par Georges Pioch (1873-1953), qui, de fait, les en dissuade. De même à L’Humanité, où AB doute de pouvoir souscrire aux injonctions du Komintern : « J’aimerais savoir jusqu’où vont ses exigences », note-t-il (OC I, 615).

1921

1er janvier : AB explique à Valéry : « Tout de même, si je me tourne parfois vers dada c’est avec un semblant de raison puisque j’ai tant de peine à mener à bien ce que je souhaite. »

3 janvier 1921 : AB indique à J. Doucet les raisons qui le rattachant à Dada et surtout à Tzara et Picabia. Pour lui, il ne faut rien laisser perdre des vertus de la jeunesse.

12 janvier : tract « Dada soulève tout », Au Sans Pareil :

15 janvier  : AB participe au sabotage de la conférence de Marinetti sur le Tactilisme au Théâtre de l’Œuvre. Le tract « Dada soulève tout », distribué alors, exprime les revendications opposées au futurisme (interventions orales des dadaïstes imprimées dans Littérature, n° 18).


1er mars : « Liquidation », Littérature, n° 18 : tableau portant les notes attribuées par chaque dadaïstes aux célébrités littéraires.

3 mars : AB explique sa démarche à J. Doucet : « … le tableau ainsi constitué en dira, je crois, plus long sur l’esprit de Littérature qu’une série d’articles critiques de ses différents collaborateurs. Il aura l’avantage de nous situer très exactement et même de montrer de quoi nous procédons, à quoi nous nous rattachons, à la fois ce qui nous lie et ce qui nous sépare. » (Lettres à J. D., p. 86)

15 mars : création de Les Détraquées, de P. Palau, au Théâtre des Deux-Masques, rue Fontaine. AB voit cette pièce à plusieurs reprises, la considérant comme un coup de projecteur sur « les bas-fonds de l’esprit, là où il n’est plus question que la nuit tombe et se relève » (OC I, 668). Il en traite longuement dans Nadja. Par la suite, il apprend que le collaborateur que Palau, qui signe Olf, est le Dr Babinski.

« Grande Saison dada ». Reprise des manifestations Dada.

14 avril : Visite à Saint-Julien-le-Pauvre

A Saint-Julien Le Pauvre. Tristan Tzara et André Breton au centre.

AB déclare : « Tout ce qui s’est passé jusqu’ici sous l’enseigne de dada n’avait que le caractère d’une parade. D’après elle vous ne pouvez vous faire aucune idée du spectacle intérieur. Le rideau ne va pas tarder à se lever sur une comédie autrement fantastique… » (OC I, 627).

14 avril : à la fin de cette manifestation, fondation de la revue Aventure  (1921-1922): Roger Vitrac et ses camarades de régiment, René Crevel, François Baron et son jeune frère Jacques prennent un verre avec Aragon à la Taverne du Palais, 5 place Saint-Michel.

Le lendemain, AB reçoit Jacquers Baron (16 ans) dans son hôtel, rue Delambre. Il considère que la manifestation était pitoyable (voir : L’An I du surréalisme, 1969, témoignage des plus sincère sur cette période).

Fin avril : incident au café Certà, passage de l’Opéra, lieu de réunion des dadaïstes : un portefeuille égaré est confié à Paul Éluard, qui le remet, le lendemain, à son légitime propriétaire, tandis que AB proteste contre ce conformisme bourgeois (rapporté par Robert Desnos, « Histoire d’un portefeuille volé », Nouvelles Hébrides, pp. 320-21).

Première page du catalogue de l’exposition Max Ernst en 1921

3 mai-3 juin 1921 : exposition Max Ernst, Au Sans Pareil. AB et Simone offrent l’encadrement de quarante-deux peintures, huit dessins et quatre œuvres en collaboration dites « fatagagas ». AB préface le catalogue (OC I, 245).

11 mai : « M. Picabia se sépare des dadas », annonce le quotidien Comœdia. Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski | 1921-05-11 | Gallica (bnf.fr)

13 mai : AB préside le procès de Maurice Barrés pour « atteinte à la sûreté de l’esprit ». Salle des Sociétés savantes, rue Danton, à 21h30.
Assesseurs : Théodore Fraenkel, Pierre Deval. Accusateur public : Georges Ribemont-Dessaignes ; Défense : Louis Aragon, Philippe Soupault….

Dossier. Créateur et juges : effets de miroir L’affaire Barrès : le théâtre du procès Nathalie Piégay-Gros, Cahiers de la Justice 2012/4 (N° 4), pages 43 à 52.
Au même moment, l’inculpé donnait une conférence à Aix-en-Provence sur « L’âme française pendant la guerre ».
Les interventions sont publiées : « L’affaire Barrès », Littérature, n° 20, août 1921.

AB tire la leçon de cette séance pour J. Doucet : « Les Enfers artificiels » (OC I, 623).

6-30 juin 1921 : « Salon Dada » au Studio des Champs Elysées, 1er étage de l´immeuble de l’avenue Montaigne nommé « Galerie Montaigne ».

7 juin : Soirée Bruitiste, concert de Marinetti et futuristes. Chahut provoqué pr les Dadaïstes.

10 juin : Soirée-Dada.

13-14 juin : Salle Drouot, vente des biens saisis aux Allemands Kahnweiler et Uhde. AB y prend part, se concerte avec J. Doucet pour l’achat de certaines œuvres.

18 et 30 juin 1921 (15h30) : « Grande Après-Midi Dada » au Théâtre des Champs Élysées.

AB parti à Lorient après le “Procès Barrès” y prépare son “Adieu à Dada”. Assiste seulement à la dernière représentation en spectateur passif.

16 juillet : AB relate pour J. Doucet (Lettres, p. 95) la soirée au cours de laquelle il a été reçu par les parents de sa fiancée : spectacle de ballet de La Chauve-souris (Moscou), puis dîner avenue Niel. Doucet résout ses difficultés financières en lui offrant un contrat de secrétaire puis de conseiller artistique, pour sa bibliothèque de la rue Noisiel, assorti d’un salaire annuel de vingt mille francs (24 394,02 Euros en 2022 ). La famille Kahn alloue 12.000FF annuels à Simone (14 636,41 Euros en 2022).

AB assure ses nouvelles fonctions avec assiduité. Chaque matin, il est à la bibliothèque, répond au courrier, tient son patron au courant des événements littéraires et artistiques.

21 juillet : AB accompagne Tristan Tzara gare de l’Est, où il prend le train pour rejoindre sa compagne à Prague.

Août : AB à Lorient, soigne une affection pulmonaire.

André Breton et Simone Kahn en 1921 au moment de leur mariage.

15 septembre, 11 h 30  : AB épouse Simone Kahn. à la mairie du XVIIe arrondissement, rue des Batignolles. Paul Valéry est le témoin du marié ; Gaston Kahn (son frère) celui de la mariée. La mère d’André n’a pas jugé utile de se déplacer, mais elle a donné son consentement par un acte authentique ; son père est venu de Lorient. Félix Kahn et son épouse sont présents et consentants.

Acte de mariage de Simone Kahn et André Breton

6 septembre : Dada augrandair : brochure de 4 pages sur papier rose, contenant des poèmes et des aphorismes en français et en allemand, avec des gravures d’Arp et de Max Ernst. Une des plus belles réussites de dada, en réponse aux accusations de Picabia.

11 septembre : arrivée du couple Breton au Tyrol, à Tarrenz, près d’Imst. Accueilli à l’Hôtel de la Poste par les couples Ernst, Arp, Tzara, Éluard (Gala les rejoindre plus tard).

AB et Simone vont à Innsbruck en quête d’antiquités. Rejoints par le couple Éluard.

9 octobre  : lettre de Freud à AB : « Cher Monsieur, n’ayant que très peu de temps libre dans ces jours je vous prie de bien vouloir venir me voir lundi (demain 10, à 3 heures d’après-midi dans ma consultation). Votre très dévoué Freud ».


Salle d’attente du 19 Berggasse, Vienne.

10 octobre : AB reçu par S. Freud dans son cabinet, à Vienne. Le savant reçoit un exemplaire dédicacé par les auteurs des Champs magnétiques sans y prêter attention. Entrevue décevante, dont AB rend compte avec dérision : « Interview du professeur Freud », Littérature, n. s. n° 1, 1er mars 1922, p. 10 (OC I, 25).

Retour à Paris. AB reprend son service à la bibliothèque de J. Doucet, 2 rue Noisiel.

17 novembre : 2e vente Kahnweiler : AB achète, avec Simone : œuvres de Braque, Derain, Gris, Léger, Picasso, Vlaminck et Van Dongen.

3 décembre : AB plaide pour l’achat d’une œuvre maîtresse telle que les Demoiselles d’Avignon par Doucet, lui recommande aussi l’acquisition d’un Derain, Le Samedi ou Le Chevalier X (désormais à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg ; voir Lettres à cette date).

Décembre : AB suggère à Doucet l’achat de manuscrits de Paulhan, Tzara, Éluard, Desnos, Jacques Baron, Limbour et Péret.

Bibliothèque chez Jacques Doucet.

André Breton chronologie numérique (2)

1915 – 1918 AB mobilisé

1915

26 février : la classe classe 1916 est appelée sous les drapeaux par anticipation dès 1915.
Matricule militaire n° 4617. (Voir archives de la Seine)

12 avril-29 juin 1915 : AB fait ses classes au 17e régiment d’artillerie de campagne à Pontivy (Morbihan). T. Fraenkel est au Crotoy (AB à T. F. jeudi 22 avril 1915, M. Bonnet p. 70).

André Breton militaire

Citant Rimbaud « Je meurs, je me décompose dans la platitude, dans la mauvaiseté, dans la grisaille. » N’est-ce pas cela « l’école des bons travaux abrutissants ? » demande-t-il à Fraenkel.

Les appels patriotiques de Bergson ou de Barrès le laissent indifférent (OC III, 436).

Lit Les Jours et les Nuits, roman d’un déserteur, d’Alfred Jarry, les premiers recueils poétiques de Pierre-Jean Jouve, et surtout Guillaume Apollinaire.

7 juin 1915 : AB demande l’aide de Valéry pour le sortir de cette situation : « J’entrevois le monde très lointain des poètes que j’aimais ; je retrouve en souvenir, avec incrédulité, ma vie sentimentale d’hier. Un instant, je déjoue le complot des choses d’ici. »

André Breton à Nantes pendant la Grande Guerre
André Breton à Nantes pendant la Grande Guerre

Juillet 1915-juin 1916 Nantes

AB affecté 2 section d’infirmiers militaires, comme interne à l’hôpital bénévole, ambulance municipale n° 103 bis, 2 rue Du Boccage à Nantes. C’est le lycée de jeunes filles, Lycée Guisthau, alors en construction.

Octobre 1915 : Théodore Fraenkel est affecté à Nantes dans le même hôpital que AB.

Son affectation d’interne en médecine est très prenante, mais elle le change du sac au dos !

Lectures de Jarry, Apollinaire, René Boylesves, Francis James, Jules Laforgue, René Ghil, Paul Fort, Pierre Louÿs et les maîtres : Baudelaire, Mallarmé et Valéry.

30 août 1915, AB est promu soldat de 1ère classe.

Octobre 1915. T. Fraenkel et AB à Nantes.
AB et T. Fraenkel à Nantes en Octobre 1915

10 octobre 1915, première nuit platonique à l’hôtel avec sa cousine Manon, Madeleine Le Gouguès (née le 18 février 1894). Il lui avait dédié en septembre 1913 un poème manuscrit sur un éventail (OC I, 36).

Madeleine Le Gouguès, dite Manon. Cousine d'André Breton.
La cousine Manon

24 octobre 1915, seconde nuit, couche avec Manon. Déception totale, AB se déclare tenant de l’agynisme (indifférence à l’égard de la femme) auprès d’André Paris.

27 octobre 1915 : AB fait part de cette liaison à son camarade André Paris (étudiant en pharmacie, connu durant son service à Nantes, alors à Paris) : « aventure sentimentale terrible ».

Décembre 1915 : début des relations épistolaires avec Apollinaire. Voir dossier numérique : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Po%C3 %A8te_assassin%C3 %A9/Correspondance_manuscrite
et : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10084658f/f12.item.langFR

Décembre 1915 : AB et Théodore Fraenkel font la connaissance de Jacques Vaché, dans son lit d’hôpital rue Du Boccage, où il avait été admis le 22 novembre, puis opéré le 7 décembre. Ils s’y verront jusqu’au 8 février 1916, date de son transfert dans un autre hôpital militaire nantais, 10, rue Arsène-Leloup.

La logique temporelle et les recherches des éditeurs des récentes Lettres de guerre 1914-1918 de Vaché, présentées et annotées par Patrice Allain et Thomas Guillemin (Gallimard, 2018), fondées sur son livret militaire, nous conduisent à avancer de deux mois, par rapport à notre livre, cette rencontre, capitale pour AB.

Usant des permissions, AB et Vaché iront ensemble dans l’unique cinéma et fréquenteront les bouges du quai de la Fosse. Ils se reverront trois fois à Paris, en 1917 et une dernière fois en octobre 1918, avant le décès prématuré de celui qu’AB désignait comme son émancipateur.

Lorsqu’il publiera ses Lettres de guerre en 1919, AB reconnaîtra la forte influence qu’il exerça sur lui : « Il a déjoué en moi ce complot de forces obscures qui mène à se croire quelque chose d’aussi absurde qu’une vocation », confessera-t-il (OC I, 194).

Jacque Vaché sur son lit d’hôpital décembre 1915 .
https://xn--jacquesvach-lbb.fr/

« Avare de confidences sur sa vie passée » selon AB, Vaché était né à Lorient le 7 septembre 1895 d’un père militaire de carrière, assez dur avec lui, et d’une mère très sensible. Dès le lycée, à Nantes, il avait fait partie d’un groupe de jeunes anarchistes épris de littérature nouvelle, dénigrant le bourgeois, et se donnant des pseudonymes burlesques. Il avait composé des poèmes symbolistes, qu’il livrait à d’éphémères revues. AB notera son « Umour » sans h (hérité de Jarry), son détachement et son refus des valeurs établies. Relatant leurs aventures nantaises, il dira : « Nous fûmes ces gais terroristes, sentimentaux à peine plus qu’il était de raison, des garnements qui promettent » (OC I, 229).

Voir ses Lettres de guerre (1919) publication numérique : Lire les Lettres de guerre (xn—jacquesvach-lbb. Site officiel de Jacques Vaché.

1916

9 janvier 1916 : « Les poètes contemporains nous prêtent mystiquement compagnie » déclare AB à André Paris, lui expliquant comment il peut, grâce à eux, dominer le mouvement moutonnier de ses compagnons.

Il bénéficie d’une chambre pour lui seul à l’hôpital, qu’il décrit à Paul Valéry ce dimanche, lui nommant les peintres : Gauguin, Toulouse-Lautrec, Matisse, Van Dongen, dont il s’est procuré des reproductions.

9 janvier 1916 le poème « À vous seule », suscite ce diagnostic de Valéry : « Quand le Rimbaud, le Mallarmé, inconciliables, se tâtent dans un poète », c’est ce que les physiciens nomment « l’état critique »

Compose le poème « Décembre » (OC I, 10), où apparaît pour la première fois le thème épique ; le soumet simultanément (par correspondance) à Valéry, Apollinaire et à Francis Vielé-Griffin (1864-1937).

10 janvier 1916 : AB écrit au Dr Bonniot, médecin-major dans le même hôpital auxiliaire, demeurant à Nantes avec son épouse, Geneviève, la fille unique de Mallarmé. Il passera chez eux de délicieuses soirées, où il lui sera donné de lire le manuscrit d’Igitur, encore inconnu du public. Voir : (Lettres publiées par J.-L. Steinmetz, Mélusine XV, 1995, p. 253-265).

8 février 1916 : naissance de Dada au Cabaret Volaire, à Zurich (AB en aura connaissance par Apollinaire à qui Tristan Tzara écrivit en octobre 1916. La 1ère lettre de Tzara à Breton est datée du 6 janvier 1919).

14 février 1916 : Apollinaire lui écrit : « Je ne vous donne pas le détail de toutes mes lectures. Les anthologies des classes y jouent un grand rôle. »

19 février 1916 : AB achève le poème « Âge », dédié à Léon-Paul Fargue (1876-1947).

6 mars 1916 : AB s’interroge sur sa vocation poétique. Il en entretient ses correspondants.

« Je voudrais, délivré de l’obsession poétique, me persuader que le cinéma, les pages de quotidien ne recèlent pas ce qu’une mythologie me refuse à présent. » « Raffinement, banalité… Il importe de purger son esprit de ces catégories. Vous sentez le pourquoi » lui répond Valéry.

12 mars : « Il faut être naturel et ne pas avoir peur de fantômes ni des choses simples. […] Je crois que Rimbaud pressentit bien des choses modernes. Mais ni Valéry ni d’autres raffinés ne les ont senties » lui écrit Apollinaire.

22 mars : Vaché versé au 65 R.I. (Compagnie du Port de Nantes). Breton dit l’avoir vu « décharger le charbon de la Loire ».

J. Vaché interprète à Nantes (coll. part.)

19 avril : AB prend contact épistolaire avec Léon-Paul Fargue. « « L’heure que j’ai choisie pour lire Tancrède n’a su gâter mes joies. » lui écrit-il en lui adressant le poème « Âge » qui, faute de réponse, paraîtra sans dédicace.

24 avril : « Br. en rimbaldisme. Crises passionnelles successives dont l’objet varie, de force inégale. » (TF, Carnets, p. 25)

30 avril 1916 : AB à TF : « Annie me sait noble et décline expressivement le verbe tromper. Les euphorbes s’amusent dans l’îlot de l’innocence qui répugne à mentir ». Dans le parc de Procé, AB a été accosté par une jeune fille qui lui récite du Rimbaud : « ce qui m’a valu, un jour où je me promenais seul sous une pluie battante, de rencontrer une jeune fille, la première à m’adresser la parole, qui, sans préambule, comme nous faisions quelques pas, s’offrit à me réciter un des poèmes qu’elle préférait : Le dormeur du Val. » écrira-t-il dans Nadja (OC I, 676). Notons, au passage, que mentionner un soldat mort devant un militaire n’est pas du meilleur goût ! Ce qui n’empêcha pas ce dernier de l’embrasser à minuit, sous l’égide d’une statue de Vénus ou, plus exactement, de la Loire. Par jeu, T.F. accepte de se substituer à Breton dans cette relation sentimentale avec la jeune nantaise éprise de littérature, Annie Padiou. Ils se reverront à Paris et auront une liaison intermittente. « L’ami poursuivait Annie, Annie le poète, le poète son ombre. Aucun d’eux n’atteignit son but » écrira Georges Gabory, le secrétaire de Gaston Gallimard, en relatant ce marivaudage quelques années après (« Soirées perdues », NRF, oct. 1921, p. 416-417). Gabory reparaît dans un rêve d’AB, OC I, 49). Lire l’article de Patrice Allain « Nantes. Qui me hante ? », accompagné des fac-similé des lettres d’AB et d’Annie Mélusine n° XXXVII, p. 85-102.

10 mai : permission à Paris, 1ère visite à Apollinaire (blessé à la tête le 17 mars 1916, au Bois des Buttes), opéré à l’hôpital du Gouvernement italien, 41 quai d’Orsay : « La première fois qu’il devait m’apparaître physiquement, c’est sur son lit d’hôpital, le 10 mai 1916, soit le lendemain de sa trépanation, ainsi que me le rappelle la dédicace de mon exemplaire d’Alcools. A partir de là, je devais le revoir presque chaque jour jusqu’à sa mort. » (OC III, 437).

Apollinaire à l'hôpital italien après sa trépanation. Mars 1916.
Apollinaire après sa trépanation à l’hôpital italien 1916.

trépanation d’Apollinaire, hôpital italien apollinaire trépanation – Bing images

18 juin : lettre d’AB à André Paris au sujet d’Alice.

23 juin : « La belle, belle vie ! Qu’on vive, ô quelle délicate merveille ! », écrit AB à Fraenkel, pour qui Alice est une femme perverse et stupide (Carnets, p. 36).

7 juillet : AB écrit aux époux Bonniot, s’excuse de n’avoir pu passer la soirée chez eux, retenu à son poste par des tâches indignes. Il demande au docteur de le faire affecter à des activités médicales. Joint 2 poèmes : « A vous seule » (OC I, 43) et « Façon » (OC I, 5)

10 juillet : Fraenkel témoin privilégié de la crise rimbaldienne que Breton traverse à Nantes : Selon lui, Breton serait « Hanté de découvrir le sens moderne, il le cherche, parmi ceux qui vivent, parfois même en lui. ».

AB conviendra que l’envoûtement rimbaldien cessa brusquement lorsqu’il se trouva muté à l’hôpital psychiatrique de Saint-Dizier (Haute-Marne).

AB interne à Saint-Dizier.
André Breton au centre psychologique de la IIe armée de Saint-Dizier fin juillet- mi novembre 1916. Centre qui deviendra Hôpital André Breton.

Réservé devant le 7 art naissant, TF constate : « Le cinéma attire Br. Incapable de se justifier par l’affirmation d’une seule belle œuvre parmi tous les films qu’il ait vus, il admire le moyen moderne d’expression en soi. » Puis vient la sentence : « La décrépitude de Br. me navre ».

24 juillet 1916 : AB écrit à P. Valéry : « Je suis conquis par l’espoir du front vu aux lueurs des tirs de G. Apollinaire ou à la faveur du feu d’artifice de sa Nuit d’avril » en lui adressant ce distique à propos de la préfecture où il fait étape deux semaines : « Chaumont : ses bâches, – d’une Aulis / Ayant peu, – sèvrent nos lis. »
Voir l’expo-balade
Catalogue.

26 juillet : a demande, affecté au centre neuropsychiatrique de Saint-Dizier, dirigé par le Docteur Raoul Leroy (1868-1941), spécialiste des hallucinations, ancien assistant de Jean-Martin Charcot (1823-1893).

2 août 1916 : de Chaumont, où il est caserné avant de se rendre à Saint-Dizier, AB écrit aux Bonniot. Il a dû quitter Nantes précipitamment, sans leur dire adieu. Ému des soirées passées à entendre parler de Mallarmé au quotidien, rappelle les relations communes avec Valéry ; Pierre Louys et Apollinaire. Les informe de son affectation à l’hôpital neuropsychiatrique de Saint-Dizier. Joint le poème « Coqs de bruyère » (OC I, 9), composé le dimanche précédent.

3 août : R. Leroy accueille AB avec bienveillance. Il lui confie une tâche d’assistant, et lui accorde un entretien quotidien, très familier. AB le décrit ainsi à T F : « C’est une figure étrange, avec ses cheveux bleus en vieille brosse, ses yeux d’azur clair, sa tête en cube, ses creux sillons nasolabiaux, sa vareuse défraîchi. Il est doux, superbement lucide, blasphème avec élégance et lit La Croix. »

AB est chargé d’interroger les soldats commotionnés, évacués du front, mais aussi ceux qui sont passibles du conseil de guerre. Sa tâche consiste à rédiger une observation, en posant des questions très simples et répétitives.

Leroy lui révèle les pratiques discutables de Charcot, voire sa naïveté : « Charcot ? La perversité des hystériques ? Bast, toutes les femmes ne sont-elles pas putains ? Et Luys ?… Clarisse, Rachel, très bien connues : elles se foutaient de lui. Moi je les ai…’’ Non »

Début août, AB à André Paris : « Je laisse fermenter en mon esprit des penchants contradictoires et je me désintéresse passablement du match », écrit-il à André Paris, prévoyant un arbitrage par les faits ».

Début août, à TF : « Une crise intellectuelle très douloureuse brise mes forces. Elle est connue sous le nom de psychopathophobie ! Je me suis consacré un peu trop exclusivement ces derniers jours à l’examen des malades. C’est rouvrant les Illuminations que j’ai pris peur. Ne trouvant plus sacré le désordre de l’esprit, je m’agitais sur l’aboutissement de la méthode littéraire : faire venir sur quelque sujet de multiples idées, choisir entre cent images. L’originalité poétique y réside. “Ma santé fut menacée. La terreur venait”, dit Rimbaud. Je viens de connaître le même ébranlement sous le coup de ces nouveautés. Des phrases comme : ‘’Ma jeunesse, – M. Le Major – je viens d’absorber du lait qui, j’espère, vous la fera paraître blanche’ ou : “depuis vingt-trois mois, je prostitue ma peau au canon de l’ennemi “, ne voilà-t-il pas des images étonnantes, à des échelons plus haut que celles qui nous viendraient ? Cependant je ne puis trouver pour cela d’admiration. L’anormalité des crânes, les fameux prognathismes de ces gens s’y opposent. Je me borne à leur jalouser quelques fonctions intellectuelles, parfois. Souvent aussi, je me vante nos différences et à l’encontre de mon dessein poétique je tends encore à m’éloigner d’eux. Comprends-tu, je crains que cette dernière réaction exécute en moi la poésie… Pardon si déjà je ne sais plus parler ».

Le sujet d’études me passionne. Enfin : je pourrai rire des psychologues amateurs, en sachant bien plus qu’eux ! »

7 août : AB à Valéry : « Mon service entier revient à un interrogatoire continu avec qui la France est-elle en guerre et à quoi rêvez-vous la nuit ? »

19 août : « Br. dans son hôpital de fous s’émeut et s’épouvante de voir des aliénés plus grands poètes que lui ». Fraenkel, Carnets.

30 août : TF s’interroge : « Br. évolue vers le plus terrible drame : abandon de sa jeunesse, abjuration de l’art. Pourquoi ? » Carnets.

31 août : résumant ses nouvelles lectures scientifiques AB à TF : « Démence précoce, paranoïa, états crépusculaires. / O poésie allemande, Freud et Kraepelin ! »

Il lit le manuel de E. Régis et A. Hesnard, La Psychoanalyse des névroses et des psychoses (1914), qui le fait s’enthousiasmer pour la théorie freudienne, pages rédigées par le seul Henard à qui il adressera cet envoi sr Nadja : « Au Dr Hesnard qui, presque seul en France, promène une lampe non éteinte dans les châteaux en ruine de l’esprit, respectueux hommages ». Il recopie des pages entières pour Fraenkel, qu’il tente de convertir à cette méthode de traitement. Il en parlera aussi à Valéry et Apollinaire (15 août 1916), leur suggérant de s’y intéresser pour leur propre activité poétique.

25 septembre : AB précise à TF les ouvrages de psychiatrie qu’il pratique, et qui lui font conjurer l’amour e la poésie : E. Régis, Précis de psychiatrie ; Gilbert Ballet, Traité de pathologie mentale, Leçons de clinique médicale sur les psychoses et les affections nerveuses ; Maurice de Fleury, Introduction à la médecine de l’esprit ; Magnan, Leçons cliniques sur les maladies mentales ; Charcot, Leçons sur les maladies du système nerveux ; Constanza Pascal, La Démence précoce…

Simultanément, il s’initie à la neurologie, à laquelle le Dr Babinski consacre une part spécifique, à l’écart de la psychiatrie. Il prend goût à ses études, au point de penser à devenir psychiatre dans un asile !

10 octobre : AB écrit à Annie Padiou : « Les années du voyage, je compte, Annie, te retrouver souvent. Je ferai attention à ne point m’attendrir, tu sauras ne jamais me détourner du but. J’arriverai ! (…) En route ! » (copie pour servir d’observation à TF)

11 octobre : AB écrit à TF : « Je m’occupe un peu d’hystérie, je me procurerai de nouveaux bouquins ». « J’attends de te revoir en un cadre quelconque, aussi bien Paris, tout en craignant pour ma volonté. Dame, elle ne se raffermit pas, subit maint contre-coup ! Ce sont encore ces lettres déchirées et récrites, ce flottement, l’autre phobie du temps perdu, la dépréciation du rendement. Qu’on me donne un psychiatre viennois : je paierai. Moi qui dis tout de suite de ce monsieur, cultivateur ou grand-duc : un débile, un dégénérescent, je suis impuissant à traiter mon psychique propre. Sédol, bromure, douches froides ? »

11 octobre : Vaché interroge : « Vos illuminés ont-ils le droit d’écrire ? – je correspondrais bien avec un persécuté ou un “catatonique” ». (Lettres de guerre)

27 octobre : AB compose le poème « Soldat » : « Je m’éclaire aux lampres d’Aladin » OC I, 44). Il écrit à TF : « J’éprouve un malaise physique incaractérisable, nullement localisable. Mentalement c’est trop de complaisance à la pluie, au froid, une souffrance comme de facultés rétractées. […] Je répondais par monosyllabes à Leroy, toute la visite ».

29 octobre : au cours d’une permission, TF est allé voir AB dans son hôpital : « La transformation d’A.B. est effrayante. Il me contraignit toute la soirée à l’écouter sur la démence précoce, et m’intéressa, moi passif ! comme toujours… » (Carnets, p. 61)

8 novembre : « Je suis peut-être à la veille d’éprouver une admiration bizarre et, comme d’ordinaire, bruyante pour le docteur Babinski. J’examine avec complaisance les progrès de ma volonté : je fais occuper par un ami la place d’externe vacante à la clinique neurologique de la Pitié. Je saurai ainsi ce qui me plaira ».

12 au 19 novembre : permission à Paris. AB revoit Valéry. Apollinaire lui reprochera de ne pas lui avoir rendu visite.

À son retour, directement envoyé au front, dans un groupe de brancardiers divisionnaires, en dépit des protestations du Dr Leroy.

AB ému par un soldat d’une bravoure démente, qu’il a fallu ramener de force de la ligne de feu où il prétendait commander aux obus. Il compose « Sujet » (OC I, 24) qui paraîtra dans Nord-Sud, n° 14, avril 1918.

18 novembre : AB à RF, à propos de La Jeune Parque dont Valéry lui a soumit le manuscrit : « Il y a donc abdication. Monsieur Teste fut un fantoche […] musique autour d’un tombeau, camaïeu gris ». (OC I, 1 434)

Conclusion, en 1952, sur son affectation à Saint-Dizier : « Le séjour que j’ai fait en ce lieu et l’attention soutenue que j’ai portée à ce qui s’y passait ont compté grandement dans ma vie et ont eu sans doute une influence décisive sur le déroulement de ma pensée. C’est là (…) que j’ai pu expérimenter sur les malades les procédés d’investigation de la psychanalyse, en particulier l’enregistrement (…) des rêves et des associations d’idées incontrôlées. On peut déjà observer en passant que ces rêves, ces catégories d’associations constitueront, au départ, presque tout le matériel surréaliste. » (Entretiens, OC III, 442)

Fin novembre : « profit et déficit, j’ai quitté Saint-Dizier pour une formation sanitaire de l’avant. J’emporte Rimbaud dans mon sac, un livre en cas de recours sur la Démence précoce et j’attends l’Ecce Homo de Nietzsche. Je suis très malheureux, l’absence de TF au groupe m’eut fait agonisant. Figure-toi : je rentrais de Paris, méditant sur un entretien rue de Villejust et me souvenant du charme de vers inattendus. Cela peut paraître et tu seras surpris. Je te recommande Le Poète assassiné […] Merveilleux de couleur et de sens moderne. Inquiétudes mentales persistantes, inhibition prolongée de la faculté créatrice. » (Lettre AB à René Hilsum, Catalogue de la vente Drouot-Richelieu, 17 mars 1994).

18 décembre : participe comme brancardier à l’offensive de la Meuse.

19 décembre 1916 : fin de la bataille de Verdun (depuis le 21 février 1916).

20 décembre : AB envoie le poème « Soldat » à Apollinaire.

30 décembre : AB à Valéry : durant dix jours, il campe dans une cave parmi les ruines, faisant le tri des blessés à la lumière d’une lampe à acétylène. Les fusées éclairantes détachent, un instant, la silhouette des troncs d’arbre fracassés, et c’est à nouveau la nuit. (OC I, 1116). Voir « Je m’éclaire aux lampes d’Aladin… » (OC I, 44). Pour Valéry il commente : « Je ne sais pas combien les impressions ressenties là peuvent être estimées. Il me semble à présent avoir éprouvé quelques heures de vertige assez agréable. Ainsi par exemple advient‑il de ce beau minuit où j’ai traîné jusqu’à la péniche d’évacuation, sous le bombardement, à plusieurs kilomètres, « la chignole » porte-brancard – dans l’argot de mes compagnons. Je compare cela à la volupté de nager, de galoper. La muse d’Apollinaire un certain temps me soutenait. »

30 décembre 1916 : lettre aux Bonniot. AB relate ses épreuves comme brancardier lors de l’offensive de Verdun, à 500 m des lignes ; évoque les soirées passées à Nantes, critique son style poétique. Vœux. Prochaine permission, espère relire « Un coup de dés ». Joint : « Décembre » remanié.

André Breton et Théodore Fraenkel à l'hôpital de Nantes, 1916.
André Breton et Théodore Fraenkel à l’hôpital de Nantes, 1916.

1917

8 janvier : après sa permission, AB est affecté à la 22ᵉ section d’infirmiers militaires à Paris, afin de suivre des cours au Val‑de‑Grâce pour devenir médecin-auxiliaire. Tous les après-midi, de 14 à 18 heures, il se morfond « dans les cours les plus intérieures » écrit-il à Valéry.

Fin février, AB est attaché comme externe au Centre neurologique de la Pitié, dans le service du Professeur Babinski. AB l’assiste et il admire la fièvre du chercheur. Ce dernier lui dédicace son Hystérie-Pithiatisme et troubles nerveux d’ordre réflexe en lui prédisant un grand avenir médical.
Rencontre régulièrement Apollinaire, Valéry, Royère.

20 février au 30 août 1917 : officiellement alité dans le service du Pr Aron à la Salpétrière pour une crise d’appendicite.

15 mars 1917 : Reverdy crée la revue Nord-Sud.

23 mars : « André Derain » (OC I, 11) son unique poème de l’année.

24 mars 1917 : Apollinaire lui demande d’écrire à son sujet : « Je ne connais personne qui puisse aussi bien parler de ce que j’ai fait que vous. »

1ᵉʳ avril : début d’une correspondance avec Pierre Reverdy : « Votre poème « André Derain » passera dans Nord-Sud après avril, le numéro de ce mois étant prêt… » De fait, le poème sortira dans le n° 12, février 1918. (voir 32 lettres inédites à AB publication numérique).

4 avril : AB chez Apollinaire « par un temps impossible et, pour une première sortie, rester plus d’une heure à genoux en train d’exhumer de merveilleuses gravures, me redonne la fièvre » confie-t-il à André Paris le lendemain.

26 avril : subit une intervention chirurgicale à la Pitié.
//www.erudit.org/en/journals/etudlitt/1900-v1-n1-etudlitt2184/500114ar.pdf

29 avril : Vaché propose à Breton deux définitions de l’« Umour » : « Il est dans l’essence des symboles d’être symboliques » et « Je crois que c’est une sensation – J’allais presque dire un SENS – aussi – de l’inutilité théâtrale (et sans joie) de tout. »

3 mai : AB à André Paris : « Rien de menaçant, que mélancolie de blanche station, et du malade égoïste : je suis bien incapable d’écrire, vous en jugez… »

5 mai : TF retour de sa mission en Russie.

18 mai 1917 : Parade de Cocteau, créé au Châtelet, dans sa préface, Apollinaire crée le mot « sur-réaliste »

13 mai : AB à A. Paris : « L’admirable poème de Paul Valéry La Jeune Parque, vient seulement de paraître. Vous l’aimerez, je crois, infiniment. »

19 mai : AB à Valéry : « Que j’ai aimé votre Jeune Parque ! Je ne me lasse point de la relire et c’est un enchantement sans fin, auquel je suis voué pour bien des ans. Cette poésie a les traits miraculeux de l’éternel ».

26 mai : TF va le voir à Moret, lui apporte L’Éducation sentimentale dont la lecture le met de mauvaise humeur.

Juin 1917 : TF part en mission en Russie.

Café de Flore vers 1900.

19 juin : au Café de Flore, Apollinaire lui présente Philippe Soupault : « Il faut que vous deveniez amis ». Celui-ci lui apparaît « comme sa poésie, extrêmement fin, un rien distant, aimable et aéré ». Son recueil de poèmes, Aquarium, paraîtra le mois suivant. Depuis février, il est à l’hôpital auxiliaire 47, au 121 boulevard Raspail une bronchite récurrente ; ce qui ne l’empêche pas de courir les rues, tout comme Apollinaire qui reçoit ses amis au Flore tous les mardis de 15h à 17h !

24 juin 1917 : création des Mamelles de Tiresias, « drame sur-réaliste » de Guillaume Apollinaire, mis en scène par Pierre Albert-Birot au Conservatoire Renée Maubel, rue de l’Orient (à Montmartre). Le spectacle commence avec un retard considérable, et le public est prêt à exploser. AB est dans la salle, avec son « légendaire ami » Jacques Vaché. Il forge sa légende, assurant qu’il était en tenue militaire, prêt à tirer à balle sur le public. Il soupçonnait Apollinaire, dont il n’appréciait pas la poésie, de « faire de l’art trop sciemment, de rafistoler du romantisme avec du fil téléphonique, et de ne pas savoir les dynamos » (Jacques Vaché, lettre à AB, 18 août 1917). Réjoui de la pièce, AB estime qu’elle n’annonçait pas une révolution théâtrale.

« Mon légendaire ami Jacques Vaché voulait tirer à balles sur le public » (Aragon, « Le 24 juin 1917 », SIC, n° 27, mars 1918).

26 juin 1917 : « Rencontre à Paris de Jacques Vaché, que nous avions aimé à Nantes ; l’ironiste, l’humouriste, le mystificateur féroce, menteur aristocrate et dédaigneux » note Fraenkel dans ses Carnets, p. 83.

Juillet 1917 Tzara crée la revue Dada à Zurich.

11 juillet : Reverdy lui écrit : « J’avais justement l’intention de faire paraître dans le prochain Nord-Sud votre poème « L’an suave ». Mais pour établir librement et en temps voulu ma mise en pages, il faut que je puisse sans restrictions disposer des manuscrits qui me sont confiés. » Ce poème paraîtra dans le n° 6-7 en sept. 1917.

22 juillet : Musidora (1889-1957), l’inoubliable interprète des Vampires de L. Feuillade, se produit à Bobino. Spectateur actif, AB lui lance un bouquet de roses et lui écrit « « Quel poète ne s’honorerait aujourd’hui de vous avoir pour interprète » (OC I, 1 745).

Affiche de 1915.

5 août : envoi « À André Breton / en souvenir de sa visite le / lendemain de ma trépanation / le 10 mai 1916 / Guillaume Apollinaire / le 5 août 1917 » sur un exemplaire d’Alcools, poèmes 1898-1913, Paris, Mercure de France, 1913, coll. Part. (voir Potlatch André Breton)

18 août : Vaché reproche à Apollinaire de « faire de l’art trop sciemment, de rafistoler du romantisme avec du fil téléphonique, et de ne pas savoir les dynamos ».

1ᵉʳ septembre : AB quitte à regret la Pitié. Affecté au Val-de-Grâce pour y suivre les cours préparant l’examen donnant accès aux fonctions de médecin-auxiliaire.

6 septembre 1917 : premier emploi du mot « surréalisme » : « Je puis dire que j’ai collaboré à la préface des Mamelles. L’homme, en voulant reproduire le mouvement, crée la roue pleine, sans rapport avec l’appareil des pattes qu’il a vu courir. L’appareil moteur de la locomotive retrouve ce jeu d’articulation dont la pensée de l’inventeur est partie. Le surréalisme comporte cette invention et ce perfectionnement. » (AB à TF).

6 septembre 1917 : tandis qu’Apollinaire le reçoit dans son pigeonnier du Bd Saint-Germain, AB confie à A. Paris qu’il préfère se promener le long des quais, chez les bouquinistes, à la recherche de Fantômas ou d’un Naz‑en‑l’air.

19 septembre : AB informe TF qu’il a reçu d’Annie Padiou « une lettre inattendue, équivoque et fâcheuse. »


Le médecin militaire Aragon et Théodore Fraenkel, photographie initialement publiée dans les Cahiers Dada n°1, 1965.

Septembre : 7 rue de l’Odéon à Paris, AB découvre la Maison des amis du Livre d’Adrienne Monnier : « Nous eûmes tout de suite de grandes conversations. Je crois bien que nous ne fûmes jamais d’accord. Même sur les sujets où nous aurions pu nous entendre : Novalis, Rimbaud, l’occultisme… il avait des vues exclusives qui me dépaysaient tout à fait. Il était beaucoup plus “avancé” que moi. Je lui paraissais certainement réactionnaire. […] Il était si fasciné par Mallarmé qu’il écrivait ses lettres en adoptant le ton courtois et précieux du maître, qui était très vieille-France. » (A. Monnier, Rue de l’Odéon, Albin Michel, 1960, p. 96).

Fin septembre 1917 : rencontre d’Aragon au Val-de-Grâce. Leur coup de foudre a été conté par Aragon dans l’article « Lautréamont et nous » des Lettres Françaises, n° 1185, 1ᵉʳ juin 1967, p. 5-9, et n° 1186, 8-14 juin 1967, p. 3-9, repris en volume aux éditions Sables, 2003. (L’hebdomadaire n’est pas numérisé par Gallica-BnF au-delà des années 50).

De fait, AB et Aragon se sont entrevus à la librairie d’Adrienne Monnier.

AB le décrit à TF : « Mais vraiment un poète, avec des yeux levés très haut, sans rien dans le geste de contenu, et si mal adapté ! Tout à fait jeune, avec une joie peut-être un peu moins terrible que la nôtre. » (in M. Bonnet, p. 120-121). Aragon n’a que dix-huit mois de moins qu’AB, mais il se considère aussitôt comme son « instrument » (jusqu’à son émancipation brutale en 1932). Ils occupent la même chambrée, qu’ils décorent de reproductions de Picasso, Braque, Matisse, Chagall et Cézanne, partagent les tours de garde et prennent le café ensemble puis ils parcourent le Boul’Mich’ en évoquant leurs auteurs préférés. Si le précoe Aragon a tout lu, c’est tout de même Breton qui est le plus avancé en matière de ploésie, puisqu’il fréquente Valéry et Apollinaire.

Octobre 1917 : Aragon et Breton achètent à A. Monnier le stock du numéro de Vers et Prose (1ᵉʳ trim.1914) contenant le premier Chant de Maldoror.

19 octobre 1917 : en remontant au front, Vaché passe par Paris où il rencontre Breton. Attablés au café, ils tentent de mettre au point une conférence de Vaché sur l’umour (sans h) : « Je crois que c’est une sensation – j’allais presque dire un sens aussi – de l’inutilité théâtrale (et sans joie) de tout. QUAND ON SAIT. » (lettre du 29 avril 1917). Cependant, Vaché n’est pas d’humeur à discuter, ce jour-là, et il s’en va seul le long du canal de l’Ourcq.

25 octobre : Révolution d’octobre en Russie.

26 novembre 1917 au Théâtre du Vieux-Colombier : conférence d’Apollinaire : « L’esprit nouveau et les poètes », AB a fait le choix des lectures. Cf. Henri Béhar, « La jambe et la roue », Que Vlo-ve ?, 31 A., n° 21, p. L’organisateur de la conférence, le comédien Pierre Bertin (1891-1984), qu’AB à rencontré au Val-de-Grâce où il est élève en médecine, lui propose d’intervenir sur la poésie nouvelle.

1918

André Breton, photo d’identité en 1918. © www.andrebreton.fr

2 janvier : AB à Valéry : « Vous me feriez convenir de mille choses à mon détriment. Je ne me retrouve qu’après vous avoir quitté. C’est vous reconnaître sur moi un grand pouvoir. Je saisis quelques uns des moyens de votre action. Mais la plupart sont mystérieux et infaillibles. (L’occulte me ravit et m’effraie). »

4 janvier 1918 : du Val-de-Grace, AB au Dr Bonniot. Compte sur lui pour le rapprocher de Valéry, n’écrit pas de poèmes mais plusieurs articles critiques. Annonce sa causerie sur Jarry au théâtre du Vieux-Colombier (OC I, 216-226), dit son attachement à Barrès.

6 janvier : 1ᵉʳ envoi lettre Tzara à AB par l’intermédiaire de P. Reverdy, Nord-Sud

10 janvier : lettre de P. Reverdy : « … Je trouve que vous avez un métier sans défaut et qu’on ne saurait guère trouver à redire à vos poèmes quand on les envisage sans aucun parti pris de tendances. Mais mes efforts, mes recherches ne sont pas dans le même sens que les vôtres et ce disant je ne vous apprends rien. C’est pourquoi vous ne figurez pas tous les mois au sommaire de Nord-Sud. Pourtant je n’ai pas cessé de vous considérer comme collaborateur de ma revue et vous le prouverai… »

22 janvier : en vue d’une conférence prévue au Vieux-Colombier en février ou mars, AB enquête sur Jarry auprès de Valéry, L.-P. Fargue n’a pas répondu, AB devra consulter Rachilde, l’épouse du directeur du Mercure de France, la seule amie et protectrice de Jarry. Conférence annulée en raison des tirs de la Grosse Berta sur le nord de Paris, elle paraîtra dans Les Écrits nouveaux, n° 13, janvier 1919.

4 janvier 1918 : du Val-de-Grace, AB au Dr Bonniot. Compte sur lui pour le rapprocher de Valéry, n’écrit pas de poèmes mais plusieurs articles critiques. Annonce sa causerie sur Jarry au théâtre du Vieux-Colombier (OC I, 216-226), dit son attachement à Barrès.

6 janvier : 1ᵉʳ envoi lettre Tzara à AB par l’intermédiaire de P. Reverdy, Nord-Sud

10 janvier : lettre de P. Reverdy : « … Je trouve que vous avez un métier sans défaut et qu’on ne saurait guère trouver à redire à vos poèmes quand on les envisage sans aucun parti pris de tendances. Mais mes efforts, mes recherches ne sont pas dans le même sens que les vôtres et ce disant je ne vous apprends rien. C’est pourquoi vous ne figurez pas tous les mois au sommaire de Nord-Sud. Pourtant je n’ai pas cessé de vous considérer comme collaborateur de ma revue et vous le prouverai… »

22 janvier : en vue d’une conférence prévue au Vieux-Colombier en février ou mars, AB enquête sur Jarry auprès de Valéry, L.-P. Fargue n’a pas répondu, AB devra consulter Rachilde, l’épouse du directeur du Mercure de France, la seule amie et protectrice de Jarry. Conférence annulée en raison des tirs de la Grosse Berta sur le nord de Paris, elle paraîtra dans Les Écrits nouveaux, n° 13, janvier 1919.

Rachilde par Félix Vallotton dans Le Livre des masques de Rémy de Gourmont , 1898

Mars : Nord-Sud n° 13, définition de l’image par Reverdy : « « L’image est une création pure de l’Esprit Elle ne peut naître d’une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées. Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte – plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique. » AB la discute. Il la reproduira en la modifiant.

Mars – avril : AB rend régulièrement visite à Apollinaire, au 202 Bd Saint-Germain, « entre les rayons de livres, les rangées de fétiches africains, des tableaux : Picasso, Chirico, Larionov… ». Il y découvre les deux premiers numéros de la revue Dada.

En mars, les 3 amis rendent visite à P. Reverdy le dimanche : « « Vous êtes tous trois, avec Aragon et Soupault, des amis que je suis fier et heureux d’avoir gagnés. Votre jeunesse, votre sincère pureté me donnent une satisfaction que l’on a bien rarement en art… » Reverdy à AB, 30 mai 1918.

Mars-avril 1918 : selon Aragon, au dernier étage du Val-de-Grâce, où sont enfermés les malades mentaux, le « 4e Fiévreux », Aragon et Breton se portent volontaires pour l’assistance médicale. Ils lisent à haute voix le 5 chant de Maldoror, dans l’exemplaire acheté par Soupault dans une librairie du Bd Raspail.

8 avril 1918 : Reverdy regrette d’avoir manqué les 3 amis (AB, Aragon, Soupault) venus le voir chez lui. Il lui écrit à propos de « Sujet » composé à Saint-Dizier : « Je crois que l’orientation qui se dessine dans votre dernier poème serait heureuse et donnerait de bons fruits. Votre talent trouvera mieux par là sa libre discipline. »

15 avril 1918 : achevé d’imprimer Apollinaire, Calligrammes, Mercure de France.

23 avril-1ᵉʳ mai : AB hospitalisé à Saint-Denis, hôpital auxiliaire n° 3.

Fin avril : échec somation médecin-auxiliaire.

7 mai : AB envoie « Sujet » à Valéry qui commente ainsi : « Savez-vous que cette espèce de prose m’a fort intéressé ? Quelques procédés rimbaldiques, peut-être certaines longueurs alourdissent ou désaxent ce monologue du poilu mental. Essayez de ne plus trop penser au grand Arthur. Il suffit d’y avoir pensé. Mais au travail il ne faut penser qu’à son affaire. Enlevez ce qui concerne les torpilles. Ce morceau vaut d’être repris. C’est un homme qui parle tout seul, à demi-voix, et tient des propos ni pour quelqu’un ni pour soi-même… À quand ce prosateur ? »

16 mai : AB affecté comme infirmier dans un régiment d’artillerie.

18 mai : rayé du registre des inscriptions en médecine à Paris (motif : inscrit à Nantes).

Les parents d’AB quittent Pantin pour résider à Lorient.

L’été à Moret
21 mai au 21 septembre 1918 : AB affecté comme infirmier auprès d’un régiment d’artillerie lourde à Moret‑sur‑Loing (Seine et Marne). Y passe un été « normal » écrit-il à Valéry le 19 juillet. Intrigué par le recueil de Jean Paulhan sur les Hain‑teny Merinas, poèmes-devinettes de tradition populaire malgache. Entreprend une correspondance avec l’auteur.

Juin 1918 : Tristan Tzara : Vingt-cinq Poèmes, Zurich. Recueil signalé par P. Albert-Birot en sept. à Aragon qui en informe AB

6 juin : AB informe Aragon : « Il semble qu’on va me rappeler à Nantes en juillet. »

9 juin : Aragon emprunte à Soupault Les Chants de Maldoror pour AB cantonné en qualité d’infirmier à Moret/Loing auprès d’un (confirmé par une lettre de Reverdy du 16 juin).

10-14 juin : Aragon lui écrit de Paris : « Je vais t’envoyer Poe, Soupault t’envoie Maldoror et à TF Paludes. (Lettres à Breton, Gallimard, p. 108)

12 juillet : AB communique à Aragon la trame de son article sur le lyrisme (promis à Reverdy au début de l’été, qu’il n’achèvera jamais) : « Tous les moyens d’expression lui sont bons. Confusions : de plan, de temps, de ton […] Mille autres péchés adorables contre la langue, (tu passes à une autre) la syntaxe (d’abord l’ellipse première celle du verbe) […] le mot faible ou usé en désespoir de cause, Beau comme Lautréamont, fautes d’orthographe comme dans les lettres d’amour, rimes soudain pauvres si tu te sers couramment des rimes, les indéfinis, près du ruisseau où tout se tient. Toutes les autres façons de donner sa langue au chat. Finalement les blancs comme la vie de Rimbaud après 1875 » (Fonds Aragon CNRS)

17 juillet 1918 : s’inscrit à la faculté de médecine de Nantes (cf. Le Rêve d’une ville. Nantes et le surréalisme. Musée des beaux-Arts de Nantes, 1994, p. 215-229).

20 juillet 1918 : AB à Aragon qui est sur le front : « Attention tout de même au canon ».

25 juillet : Valéry, qui a reçu ses 3 poèmes de l’année, exige un sonnet : « C’est à prendre ou à laisser ». Réponse d’AB : « je laisse ».

26 juillet 1918 : AB à Jean Paulhan : «« Vous trouveriez sans doute impertinent que je vous dise : Vous êtes précisément l’ami que j’attendais à cette époque de ma vie. J’ai vingt-deux ans. Il me semble, après cet aveu, que vous allez changer avec moi. » (Correspondance AB-Paulhan, Gallimard, 2022)

29 juillet 1918 : Lettre à TF : projet (non abouti) d’un livre sur des peintres contemporains, avec Aragon et Soupault. « Soupault, Aragon et moi nous allons entreprendre en collaboration un livre sur des peintres. J’ai proposé et fait adopter cette liste : Henri Rousseau, Henri Matisse, Picasso, André Derain, Marie Laurencin, Georges Braque, Juan Gris, Georges de Chirico. » (O.C I, 1083) Il pense aussi écrire un roman, en alternant les chapitres avec Aragon.

Photo de Guillaume Apollinaire blessé à la tête, 1916, avec dédicace à AB.
© www.andrebreton.fr

5 août 1918 : dédicace : « à André Breto(n) Guillaume Ap(ollinaire) août 1916 ». (Atelier AB)

Envoi d’Apollinaire : « A mon ami André Breton / très cordialement, / Guillaume Apollinaire. » Les Mamelles de Tirésias, drame surréaliste en deux actes et un prologue, avec la musique de Germaine Albert-Birot et sept dessins hors-texte de Serge Férat, ÉO, Paris, Éditions SIC, 1918, In-8°, 108 p.

Apollinaire lui écrit en août : « Quoi ! Le poète n’aurait ni le droit de se récréer, ni celui de se délasser, quand au contraire je crois que les travaux et les jours du poète ne doivent être que récréations et délassements. La souffrance, la passion n’y ont pas moins de part »

De même, il signe les épreuves dernières de : Calligrammes. Poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916), Paris, Mercure de France, 1918 : « À André Breton/ cette dernière épreuve / de Calligrammes / très amicalement / Guillaume Apollinaire »

juillet‑août 1918 : dans sa correspondance avec Aragon et Soupault, AB recopie les passages des Chants de Maldoror qu’il préfère.

Début août : permission, pour Lorient où vont désormais ses parents.

Pratique l’écriture automatique : Usine (Champs magnétiques) ???

14 août : AB écrit à Aragon : t‑il arrivé ? ». Celui-ci a été enseveli par des obus trois fois la même journée, le 5 août, à Couvrelles.

12 septembre : définit ce qu’il entend par « lyrisme » : « Les invariables : locutions toutes faites, lieux communs, papiers peints ou faux bois. Et le lyrisme en peinture ce sera le Journal collé dans le Portrait de Chevalier X, la nacre de l’enseigne Café Bar chez Braque ». (Fonds Aragon, CNRS). Sa lettre se termine par un tableau, « Ceux que j’aime encore » : « Rimbaud, Derain, Lautréamont, Reverdy, Braque, Aragon, Picasso, Vaché, Matisse, Jarry, Marie Laurencin. »

16 août : le projet d’ouvrage sur l’esprit moderne est restreint à Rimbaud, Lautréamont, Jarry, Cézanne, Henri Rousseau, Matisse, Derain, Picasso. Provisoirement écartés : Apollinaire, Marie Laurencin, Reverdy, Braque, De Chirico.

20 août-1ᵉʳ septembre : permission pour la Bretagne : Carnac, Lorient, Nantes. « Une assez jolie résurrection du passé » (à TF).

2 octobre : AB a revu Annie Padiou. A TF : « Elle part en Nouvelle-Zélande à la fin du mois. Vous savez qu’elle se marie. Je fais peut-être une gaffe. A un Américain, un simple soldat. Il n’est pas joli, joli, vingt-huit ans, il porte des lunettes. Sa photo est sur la cheminée, venez voir. : Mais non elle a pris le chéri avec elle. Partir si loin, une enfant, vous savez, par certains côtés. Elle pleure ces temps-ci quelquefois, elle est bien décidée. Là-bas, il serait avocat, pourtant il n’a pas l’air bien riche. Il ne lui a encore rien offert. » De fait, Annie s’est effectivement mariée à Wellington. (cf. fac-simile, Mélusine, n° XXXVII, 2017, p. 105)

15 octobre 1918 : article de AB sur Apollinaire dans L’Éventail, n° 10, Genève : « « Si l’enchanteur m’avait dévoilé tous ses secrets, je l’eusse enfermé déjà dans un cercle magique et fait entrer au tombeau » ? (OC I, 215)

À la demande d’Apollinaire, se rend chez Vlaminck pour juger des décors qu’il peint pour Couleur du temps. Texte : Couleur du temps – Wikisource

Octobre 1918 : AB fait la connaissance de Modigliani sur un banc du Bd du Montparnasse. Lui achète un dessin qui, dit-il à Aragon, lui plait de plus en plus.

1ᵉʳ novembre : rend visite à Picasso (cf. deux lettres à Aragon, datées du 1ᵉʳ novembre 1918).

8 novembre : AB écrit à Aragon qu’il va voir Apollinaire malade.

9 novembre 1918 Mort d’Apollinaire.

10 novembre : « Apollinaire est au plus mal… Mais Guillaume / Apollinaire / vient de mourir ».

13 novembre : enterrement d’Apollinaire au Père Lachaise. AB porte un bouquet de fleurs blanches : Jacqueline Apollinaire lui remet un objet du défunt, ce « terrible encrier en bronze doré, effigie et souvenir de la Basilique du Sacré-Cœur », vers lequel il avait vu souvent aller et venir son porte-plume en forme de rame ». (désormais conservé à la BLJD).

Huit plumes et porte-plumes d’Apollinaire.
© www.andrebreton.fr

14 novembre : Vaché : « je sortirai de la guerre doucement gâteux, peut-être bien, à la manière de ces splendides idiots de village ».

19 décembre 1918 J. Vaché à AB : « J’ai reçu votre lettre en multiples découpures collées, qui m’a empli de contentement – C’est très beau, mais il y manque q[uel]qu’extrait d’indicateur de chemin de fer. »

Dada, n°3. Dada archive Iowa

Décembre 1918 : Tristan Tzara, « Manifeste Dada 1918 », Dada, n° 3, Zurich. Voir : http://sdrc.lib.uiowa.edu/dada/dada/3/cover.htm

André Breton chronologie numérique

1915 – 1918 AB mobilisé

19 février 1896

Naissance d’André Breton à Tinchebray (Orne) le 19 février à 10h du soir (pas encore 22h 30 comme AB l’écrit sur une carte postale adressée à Paul Eluard de Tinchebray, le 5 août 1931 (Correspondance AB-Eluard, Gallimard, 2019, p. 231)).

Pour des raisons sentimentales et personnelles ainsi qu’astrologiques (cf.Magie quotidienne, III, 930), AB datera sa naissance du 18 février.

Je dis bien 19 février 1896: l’acte d’état-civil est absolument clair et incontestable, confirmé par acte de baptême, le livret militaire, l’inscription universitaire à Nantes et le poème Âge (I, 8). Le sujet lui-même a choisi de se dire né le 18 février, le mardi gras, pour une raison sentimentale qu’on verra plus loin, et des raisons astrologiques immatérielles (cf. Magie quotidienne, III, 930).

29 février 1896

Il est baptisé 10 jours plus tard à l’église paroissiale. Ses grands-parents maternels sont le parrain et la marraine. [ acte de baptême photocopie.]

André Breton bébé (coll. Sylvie Sator)

AB s’initiera à l’astrologie et se montrera très actif dans ce domaine. Ci-dessous son thème astral avec sa signature autographe.

Voir le thème dressé par les machines actuelles : https://www.astrotheme.fr/astrologie/Andr%C3 %A9_Breton

Parents

Père

Du côté paternel, AB a des origines lorraines, contrairement à ce que laisserait entendre son patronyme. Soucieux de ses origines, AB a dressé lui-même, dans les années trente, son arbre généalogique remontant à ses arrières grands-parents {un autre état est conservé à la BLJD}

Le père, Louis-Justin Breton (Dans le Jardin de Gagny en septembre 1912, A la droite d’André son père et sa mère), né le 26 mars 1867 à Vincey (Vosges), mort le 10 novembre 1955 à Lorient), d’un père vigneron à Ubexy (Vosges), canton de Charmes, lieu de naissance de Maurice Barrès, qu’AB citera avec déférence : « Je ne suis pas loin de penser, avec Barrès, que “la grande affaire, pour les générations précédentes, fut le passage de l’absolu au relatif” et qu’“il s’agit aujourd’hui de passer du doute à la négation sans y perdre toute valeur morale” (Les Pas perdus, I, 194) avant de lui dresser procès en 1920 {voir ci-après}. La grand-mère paternelle d’AB, née Marie-Marguerite Adam, était brodeuse. Deux de ses enfants étant morts en bas âge, restait une fille, Lucie, demeurant à Ubexy, chez qui André ira passer des vacances jusqu’au début de la guerre de 1914. « Une photographie de la Vente Breton (lot 5087) le montre dans un groupe d’étudiants et d’enseignants dans une cour de la galerie des sciences de la Sorbonne (et non au collège Chaptal, comme il est dit sur la légende). Il l’envoie à sa tante Lucie à Ubexy. » Henri Béhar, André Breton, le Grand Indésirable, Paris, Fayard, note 33, p. 39, 2005. Texte manuscrit : « chère tante Lucie ; je pense te faire plaisir en t’envoyant cette photographie où je figure,… J’espère que tu es en bonne santé et t’embrasse très affectueusement. André. » Plus tard, le 29 avril 1949, il s’excusera auprès de Julien Gracq de n’avoir pu l’attendre à la fin de la représentation du Roi pêcheur, devant partir avec sa femme Elisa chez cette proche parente.

Louis Breton fournit un bel exemple d’ascension sociale sous la III République. À l’issue de l’école, muni du certificat d’études primaires, orphelin de père depuis un an, il s’emploie dans les petits commerces d’Ubexy. Soutien de famille, il est dispensé du service militaire. Il signe néanmoins un engagement volontaire de 5 ans dans l’armée. Incorporé le 15 mars 1888, au 62 régiment d’infanterie, à Épinal. Six mois après il est caporal-fourrier, sergent puis sergent-major, chargé de l’intendance d’une compagnie. À la fin de son contrat, il est versé dans la réserve. Il entre alors dans la gendarmerie. Un de ses supérieurs (qui fera une belle carrière et finira comme chef des services de santé de la région militaire de Nantes) lui présente sa sœur, Marguerite Le Gouguès, qu’il épouse à Lorient, le 2 septembre 1893.

Tinchebray (Orne)

Affecté à la compagnie de gendarmerie de l’Orne le 17 février 1894, Jules Breton s’occupe d’administration à Tinchebray, où, 2 ans après, naîtra son fils unique, André Robert Breton. La commune lui en sera reconnaissante puisqu’elle baptise de son nom l’école primaire et une rue.

AB se remémorera certaines images de sa petite enfance à Tinchebray : « je commence à croire à des robes plus bleues devant le lit au dessus de dentelle, ouvrage de ma mère. » (OC I, 60)

Côté maternel : Bretagne

Couvre lit de Mme Breton attendant son enfant
(G. Sebbag, L’Imprononçable
jour de ma naissance, 4 de couv.)

Outre ce couvre-lit qu’il conserva jusqu’en 1965, il évoque en contrepoint une gravure présentant la mort de Marceau, qui le terrorisait.

Marguerite Le Gouguès est née le 1er juillet 1871 à Lorient , où son père est charpentier à l’Arsenal, et sa mère, née Le Miloch, est brodeuse à domicile. Elle est d’une famille morbihannaise, de Rostrenen et de Plœrdut, dans les terres. Les frères et sœurs de ses parents ont exercé les professions de : marchande de fourrages, roulier, tanneur (mystérieusement disparu le jour de ses noces, son prénom André, sera donné au poète, comme pour lui transmettre sa liberté) ; l’inscrit maritime mourra à Saigon, tandis que le benjamin livrera des produits agricoles. AB a tenu à s’assurer lui-même de ses origines en allant consulter les registres de ses ancêtres dans les différentes mairies, conduit par Valentine Hugo, dans sa voiture, en compagnie de Georges Sadoul, en juillet 1931.

AB ne s’est guère exprimé sur sa mère, qu’il jugeait dévote à l’excès, imbue de la bienséance bourgeoise. Cela s’explique d’autant mieux quand on connaît ses origines modestes, sa formation limitée, et son besoin d’insertion sociale. Ainsi, on ne l’entendit jamais s’exprimer en breton, alors que les habitants du village d’où est issue sa famille tiennent, aujourd’hui, à parler cette langue. « Je ne parle à table qu’après ma mère (pour dire tout le contraire). » (Lettres à Simone, 30/08/20) C’est autant à cette mère mal aimante et peu aimée, qu’à son père qu’AB doit d’être un homme de la terre, comme le lui dira le peintre André Derain (OC I, 11 ; I 247).

Le fait que ses parents aient choisi de passer leur retraite à Lorient explique qu’AB ait passé fréquemment ses vacances au bord de la mer ou dans des îles.

1898

Louis Breton démissionne de la gendarmerie au bout de 4 années de service actif pour se rendre à Paris, 168, boulevard Montparnasse. Il travaille dans une librairie.

AB n’aura passé que ses 2 premières années à Tinchebray, ce qui ne lui aura pas laissé beaucoup de souvenirs : le couvre-lit confectionné par sa mère (voir plus haut), un chromo appendu au mur, « Les Âges de l’homme (ce chromo existe toujours) » écrit-il en marge du manuscrit des Champs magnétiques (Change, Le groupe, la rupture, p. 13).

Ensuite, élevé à Lorient par ses grands-parents bretons, notamment par son grand-père maternel, retraité de l’arsenal de Lorient. Celui-ci le mène aussi à Saint-Brieuc, qu’il évoque dans le même texte : « Je quitte les salles Dolo de bon matin avec grand-père. Le petit voudrait une surprise. Ces cornets d’un sou n’ont pas été sans grande influence sur ma vie. » (Les Champs magnétiques, I, 58). l’aïeul a passé un certain temps avec lui près de la fontaine et du lavoir, à Dolo (22270) ou encore à Ploufragan (22240), non loin de Saint-Brieuc, maison qu’il a revue, inchangée, en 1953, et devant laquelle il se fait photographier (Les Champs magnétiques (André Breton) (andrebreton.fr).

Cet aïeul l’a initié concrètement à la culture populaire bretonne, lui a expliqué l’usage des plantes, la rue pour soigner les cors au pied, la fleur de lis conservée dans l’alcool pour les coupures, qui lui a fait écouter le chant des lavandières et lui a conté les histoires effrayantes de korrigans, et même l’ankou, dont la charrette rouillée annonce les morts de l’année. Ce grand-père est mort à 80 ans à Lorient en décembre 1917, sa femme lui survivant jusqu’en 1922 (elle est morte à 83 ans).

1900

Louis Breton s’installe à Pantin (Mairie) avec sa famille. Il est alors comptable à la Cristallerie de Pantin, rue de Paris s (actuelle avenue Jean-Lolive), puis à celle des Quatre-Chemins, l’usine Legras, dont il deviendra le sous-directeur. (voir Enquête poétique sur les pas d’André Breton à Pantin par Julien Barret). Ils demeurent alors près de la manufacture d’allumettes. Paul Valéry enviera ainsi le jeune Breton d’évoluer « parmi les jupons des cocottes », (Entretiens, OC III, 434).

À la fin de la Première Guerre mondiale, Louis se retire à Lorient, à moins de cinquante ans, faisant fructifier les actions et obligations acquises par des placements de père de famille. Il y fait construire deux immeubles de rapport. En 1935, il acquiert par adjudication un terrain de la ville, rue Léo Le Bourgo, sur lequel il édifie une solide demeure de deux étages avec deux garages (elle résistera aux bombardements alliés de 1943-1944). Par délibération en date du 10/04/1987, le conseil municipal a créé la rue André Breton au centre ville.

Lorsque son fils décide d’abandonner ses études de médecine, il intervient auprès de Paul Valéry (voir Louis Breton à Paul Valéry, Lorient, 22 mars 1920) pour tenter de le ramener à la raison, et le remercier de son intervention auprès d’employeurs potentiels (ses lettres, conservées à la BnF, sont d’une belle élégance de style). Tandis que sa femme refuse de se rendre au mariage strictement civil d’André avec Simone Kahn, il y fait bonne figure.

Octobre 1900 à Pantin, AB fréquente l’École maternelle Sainte-Élisabeth 5 rue Thiers (devenue rue Condorcet).

1901

2 octobre 1901 Entre à l’École primaire communale Sadi Carnot. Il relatera certains souvenirs de classe : « Ils me rappelaient aussi ma lointaine enfance, le temps où, à la fin des classes, des histoires beaucoup plus terrifiantes, dont je n’ai jamais pu savoir où il les prenait, nous étaient contées, à moi et à mes petits camarades de six ans, par un singulier maître d’école auvergnat nommé Tourtoulou. » (AB, Les Vases communicants, II, 174)

Instituteur : M. Tourtoulou. Né en 1861, entré dans l’enseignement primaire en octobre 1880, versé dans le personnel de la ville de Paris en 1905. Il habitait alors rue Pelleport, dans le XXᵉ arrondissement (cf. Annuaire de l’enseignement, 1906). voir Dictionnaire André Breton, art. Château et art. Enseignement, voir le Maitron Tourtoulou.

Hommage de Pantin à Breton, salle à son nom 25 rue du Pré Saint Gervais, 93500 Pantin. Ainsi qu’une médiathèque aux 4 chemins, Aubervilliers : https://www.tourisme93.com/mediatheque-andre-breton-aubervilliers.html

Pour ce qui concerne l’atmosphère de Pantin qui a inspiré le futur auteur de L’Amour fou, voir un ensemble de cartes postales anciennes.

6 août 1905

Obtient le prix d’honneur, et le premier prix en lecture, histoire, sciences, géographie et instruction civique, le deuxième prix en calcul et travaux manuels, le troisième en dessin. « je descends un escalier monumental avec des livres de prix. Je ne revois de l’école que certaines collections de cahiers. Les Scènes pittoresques avec ce chiffonnier si rare, les grandes villes du Monde (j’aimais Paris) » (Saisons, I, 59). Il reçoit plusieurs livres de prix, dont Costal l’Indien de Gabriel Ferry : « La splendide illustration des ouvrages populaires et des livres d’enfance, Rocambole ou Costal l’Indien, dédiée à ceux qui savent à peine lire, serait une des seules choses capables de toucher aux larmes ceux qui peuvent dire qu’ils ont tout lu. » (I, 239)

« Je fais ce que je peux pour que mes parents aient du monde le soir. » (OC I, 59)

1906

En « première supérieure » à l’école communale, il prépare le concours d’entrée au Collège Chaptal, et s’initie à l’allemand, il acquiert les matières de la classe de 6 sous la direction d’un seul maître, M. Simonnot.

L’enfant « S’inspire des boîtes qu’il a reçues pour sa communion » (I, 96) De même, « Je fais ce que je peux pour que mes parents aient du monde le soir. » (I, 58) : Il apprécie les journées passées fans les jardins ouvriers de la commune. Plus généralement, il conservera un souvenir ému du canal de l’Ourcq, de l’atmosphère des Quatre Chemins, qui reviendront à propos de Jacques Vaché, des projets de visites Dada et surtout de Suzanne Muzard, l’héroïne de L’Amour fou, elle-même née dans la commune voisine d’Aubervilliers.

1907–1913 André Breton élève au collège Chaptal (Paris)

2 octobre 1907 – Entrée au Collège Chaptal, 45, boulevard des Batignolles, directement en classe de 5ᵉ.. À l’époque, la ville de Paris gère cinq établissements d’enseignement secondaire, de caractère moderne (sans latin ni grec) dénommés « collèges » pour les différencier des lycées d’État.

AB y est pendant 6 ans demi-pensionnaire, de 8 heures à 16 h 30.

« Voyage aller et retour en troisième s’effectuant au rappel de la leçon du lendemain ou des grands pièges bleus de la journée. » (I, 59)

Il écrit qu’il prend le train de Pantin jusqu’à la gare des Batignolles. Comme le montre Julien Barret : https://autour-de-paris.com/project/enquete-poetique-sur-les-pas-andre-breton-pantin, il prend plus vraisemblablement plusieurs transports en commun accessibles durant toute sa scolarité : le train puis le métro…

A 12 ou 13 ans Ses parents le récompensent par une petite somme avec laquelle il s’achète un premier fétiche (objet de l’île de Pâques, mentionné dans Nadja : « de l’île de Pâques, qui est le premier objet sauvage que j’aie possédé, lui disait : « Je t’aime, je t’aime. » (OC I, 727).

1910

Juillet. à la fin de l’année de 3, appréciation du directeur du Collège sur son livret scolaire : « Le zèle de cet élève s’est maintenu jusqu’à la fin de l’année scolaire. Plusieurs bons classements l’ont récompensé de ses efforts ».

Passe des vacances en Allemagne. Il découvre la Forêt-Noire, il améliore sa pratique de la langue (chaque jour un cours de deux heures).

1910-1911 classe de 2 D

« C’est à la manière de réciter La Jeune Captive que je choisis mon premier ami. » (OC I, 59) Il s’agit de Théodore Fraenkel (1896-1954), voir ses Carnets 1916-1918. Il est son cadet de 2 mois et se retrouve alors dans la même section. Élève brillant mais fumiste, souvent consigné. Il suivra des études de médecine comme AB, et seront très liés jusqu’en 1930. Il terminera sa carrière comme médecin de quartier, après avoir été chef de service à l’hôpital public. Poète secret, il était aussi un artiste par ses collages et ses sculptures. Gérard Guégan lui a consacré une biographie passionnée.

En seconde, AB déplore l’extrême classicisme de son professeur de français. Il est séduit par Alfred de Vigny, dont La Maison du berger et Stello dont il écrira : « de la lecture de stello dans ma jeunesse, la mémoire affective qui seule surnage persiste à me faire valoir, spécifiquement, un sentiment tragique et distant de la vie, dont je vois mal comment on pourrait contester la noblesse. » (voir ses variations sur https://www.andrebreton.fr/person/12999)

1911

La ville de Paris lui accorde une bourse de demi-pension.

En classe de 1ʳᵉ, c’est un professeur de lettres suppléant, Albert Keim (1876-1947), docteur es lettres avec une thèse sur Helvétius, et lui-même poète (Un poème d’âme.), qui lui fait connaître Baudelaire, Mallarmé, Huysmans, les symbolistes.

AB écrit son premier poème, « Rêve » (OC I, 29). Le second, Éden, est dédié à son professeur de lettres (OC I, 30).

Premiers poèmes publiés sous le pseudonyme anagrammatique de René Dobrant, dans un journal scolaire, Vers l’idéal, animé par René Hilsum (1895-1999). Précoce, celui-ci animait un groupement socialiste, « La Guilde vers l’Idéal », pour former de futurs militants. « Il fera bien de renoncer aux études ou aux préoccupations étrangères qui l’en détournent. » note le directeur de Chaptal à la fin de l’année. Exclu du collège, cela ne l’empêcha pas de fréquenter Fraenkel et AB, à qui il procurait des revues, et d’animer, deux ans après, un mouvement contre l’obligation militaire portée à 3 ans ! Nous le reverrons bientôt avec ses deux amis dans le mouvement Dada.

1912-1913 classe de philosophie

Détail d’une photo de classe collective AAB : Photographie de classe d’André Breton (André Breton) (andrebreton.fr)

Il y retrouve Théodore Fraenkel. Leur professeur de philosophie, André Cresson (1869-1950) vient d’être nommé à Chaptal. Admirateur de Kant (sur lequel il a soutenu sa thèse de doctorat), il est fort éloigné de Hegel dont AB « pressent » l’œuvre à travers les sarcasmes du maître. Son carnet de notes s’en ressent. Au troisième trimestre, on juge qu’il doit acquérir « maturité d’esprit » tandis que Fraenkel est qualifié d’« élève intelligent qui a très bien travaillé en philosophie et y a manifesté des aptitudes excellentes »

Attiré par la peinture contemporaine. Les promenades dominicales avec ses parents, de la gare de l’Est à l’église de la Madeleine, le conduisent à s’arrêter devant la Galerie Bernheim-Jeune :

« La seule issue que ces promenades présentaient pour moi est que j’obtenais d’entrer quelques minutes à la Galerie Bernheim, où peut-être un ou deux Matisse étaient exposés. […] Les toiles exposées n’étaient pas changées bien souvent mais n’importe si c’était La Joie de vivre par exemple, la joie de vivre je crois que je l’ai prise là. » écrit-il à Matisse le 5 février 1948 (Archives Matisse, AB la beauté convulsive, p. 86).

Révélation de la beauté au musée Gustave Moreau. « Il a conditionné pour toujours (sa) façon d’aimer » (IV, 785).

28 mars 1913 Durant les congés de Pâques, visite le salon des Indépendants, des galeries, le musée du Luxembourg. Admire Bonnard, Vuillard, K. X. Roussel, Signac, doute de la valeur et de la sincérité des toiles cubistes et futuristes (lettre à T. Fraenkel, in Marguerite Bonnet, André Breton, naissance de l’aventure surréaliste, Corti, 1975, p. 34).

Même période : compose des poèmes et lit Albert Samain, Henri de Régnier, Maeterlinck, Mallarmé, dont il admire la « tenue ». Considère La Dame à la faulx de Saint-Pol Roux, comme chef-d’œuvre du théâtre symboliste (OC III, 429 sq.)

Dimanche 25 mai 1913 : Manifestation au Pré-Saint-Gervais, discours de Jaurès (SFIO) contre la loi portant le service militaire à 3 ans. AB y participe avec son père. « Le drapeau rouge, tout pur de marques et d’insignes, je retrouverai toujours pour lui l’œil que j’ai pu avoir à dix – sept ans, quand, au cours d’une manifestation populaire, aux approches de l’autre guerre, je l’ai vu se déployer par milliers dans le ciel bas du Pré Saint – Gervais. Et pourtant – je sens que par raison je n’y puis rien – je continuerai à frémir plus encore à l’évocation du moment où cette mer flamboyante, par places peu nombreuses et bien circonscrites, s’est trouée de l’envol de drapeaux noirs. » (Arcane 17, OC III, 41).

30 juin 1913 : AB obtient le baccalauréat.
Vacances d’été à Lorient.

Août 1913. Nombreuses lectures. Découvre Villiers de l’Isle Adam, Péladan, Jean Lorrain, apprécie la vérité du premier Huysmans, déteste Maupassant, juge Maurice Barrès « d’une très grande profondeur et d’une philosophie souvent admirable, en même temps que d’un symbolisme intégral… » En poésie, il admire toujours Saint-Pol Roux, Francis Viélé-Griffin, René Ghil, Jean Royère, Apollinaire. Ne s »émeut pas du futurisme de Marinetti… (lettre à T. Fraenkel, in Bonnet, ibid. p. 27).

En 1965, AB refuse de revenir sur son passé scolaire : (lettre d’un professeur de Chaptal),
Une salle d’examen du lycée Chaptal porte désormais son nom.

Octobre 1913 Inscrit à la Faculté des sciences (Sorbonne) pour y préparer le PCN (certificat d’études physiques, chimiques, naturelles). Carte d’étudiant n° 294. Y retrouve Fraenkel, Hilsum.

Au journaliste qui lui demande, en 1952, de parler des déterminants de sa jeunesse, AB répond : « Force m’est, pour vous répondre, de me considérer beaucoup plus tard, disons au sortir de l’adolescence, c’est-à-dire au moment où je me connais déjà un certain nombre de goûts et de résistances bien à moi. Ce moment peut être fixé à 1913. » (OC III, 428)

1914

Suit les cours et travaux pratiques assidûment, mais son esprit est ailleurs. Fréquente les matinées poétiques, s’arrache aux revues littéraires, apprend par cœur les poèmes de Valéry, fasciné par le silence du poète depuis quinze ans.

7 mars [1914] AB écrit à Valéry que M. Teste est « un des plus incontestables chefs-d’œuvre du symbolisme ».

15 mars 1914 : Paul Valéry l’accueille chez lui et l’observe « d’un très bleu transparent de mer retirée » (OC III, 434). AB lui soumet le poème « Rieuse » et lui confie qu’il recherche en poésie « un trouble physique caractérisé par la sensation d’une aigrette de vent aux tempes » (OC II, 678). Une relation intime et confiante entre eux s’étend jusqu’en 1925.
Mars 1914, La Phalange (dir. Jean Royère) publie 3 poèmes d’AB.

Juin 1914 : AB à Lorient chez ses parents révise pour l’examen du PCN auquel il échoue.
3 août 1914 : déclaration de guerre de l’Allemagne à la France. Mobilisation générale.

« la nouvelle de l’assassinat de Jaurès [31 juillet] m’a très douloureusement ému, plus peut-être que l’éventuelle déclaration de guerre ne saura le faire » (AB à TF, M. Bonnet, AB…, p. 65.)

Daté août 1914, le poème « Hymne » (OC I, 8) reflète son état d’esprit à l’égard du conflit.
Sous l’emprise de Rimbaud : Une saison en enfer, « chef-d’œuvre de la perversité ».

24 septembre : obtient le PCN.
29 septembre : s’inscrit à la Faculté de médecine de Paris.
Les cours reprennent comme s’il n’y avait pas de guerre. AB les suit régulièrement, apprend par cœur les leçons d’anatomie. Demeure chez ses parents, 70, route d’Aubervilliers à Pantin (aujourd’hui avenue Édouard-Vaillant).

Essai d’analyse culturelle des textes, 2022

Henri Béhar, Essai d’analyse culturelle des textes. Paris: Classiques Garnier, 2022.
Index. 252 pp. €29.00. (pb). ISBN 9-78-2406126478; €68.00. (hb). ISBN 9-78-2406126485

  • Résumé: La plupart des œuvres constituant notre littérature demeurent difficiles d’accès parce qu’elles relèvent d’une culture dont les lecteurs n’ont pas toujours les clés. Prenant ses exemples dans les textes canoniques, l’ouvrage analyse les cultures constitutives des chefs-d’œuvre.
  • Nombre de pages: 250
  • Parution: 04/05/2022
  • Collection: Théorie de la littérature, n° 24

Télécharger le compte-rendu de Madeleine Chalmers, Durham University dans H-France Review Vol. 23 (Month 2023), No. x. à propos de ce livre.

[Télécharger cet article]

Potlatch André Breton complément

Potlatch André Breton complément

Dans le recueil Potlatch André Breton ou La Cérémonie du don, publié en 2020 par les Editions Du Lérot à Tusson, je pense avoir démontré que, s’il recevait un ouvrage muni d’un « envoi » autographe signé par l’auteur, André Breton ne tardait pas à lui faire le contre-don d’un de ses propres livres, récemment paru, ou encore adapté à l’image qu’il se faisait du signataire. Mais il est évident qu’il prenait souvent l’initiative de faire don d’un de ses ouvrages, orné d’un envoi spécifique, à ses meilleurs amis et à ses relations.
Je poursuis cette démonstration ci-après, dans un recueil complémentaire  numérique au format PDF. Selon son goût, le lecteur pourra le lire directement sur écran ou bien l’imprimer pour insérer les pages dans le volume sur vélin de l’édition première.

Prière d’adresser vos observations et compléments éventuels à : hbehar[at]sfr.fr

[Télécharger cet ouvrage en PDF]

Roger Vitrac sur l’Internet

“L’Association des Amis de Roger Vitrac m’a demandé une contribution pour son festival d’octobre 2021 à Souillac. Mes travaux sur l’auteur de Victor ou Les Enfants au pouvoir ayant commencé il y a 60 ans (voir édition numérique ci-joint), et pour éviter de me répéter, j’ai pensé qu’il serait bon de montrer au public nouveau ce qui est disponible à son sujet sur Internet, en commentant les images à distance. Les voici donc, avec les liens hypertextuels permettant de prolonger la documentation. à signaler que l’œuvre de Roger Vitrac est entrée dans le domaine public en janvier 2022, ce qui devrait favoriser la reprise de son théâtre… HB”

Alléluia

Nouveauté mars 2021 !

ALLÉLUIA !
Je parle hébreu sans le savoir
150 mots français issus de l’hébreu

Henri Béhar


On peut estimer à un millier les termes français venant de l’hébreu, qui se répartissent d’emblée en deux catégories : les termes empruntés à la langue sacrée par la voie religieuse, et les autres, venant du commerce des esprits et des relations sociales .

Il n’est pas surprenant d’entendre régulièrement les chrétiens prononcer amen ou encore alléluia sans savoir que l’Église a volontairement maintenu ces mots hébreux dans les prières pour marquer les origines de cette religion.

Henri Béhar se demande pourquoi la langue française, si riche, éprouve le besoin d’acquérir un certain vocabulaire, et de le conserver dans son capital au cours du temps, tout en renouvelant constamment l’opération. (Ainsi le charmant chérubin ou même la très populaire échalote.)
Dans son dictionnaire, Henri Béhar n’a retenu que des mots, d’une part appartenant à l’hébreu ancien, du temps de la Bible, d’autre part pour quelques-uns relevant de l’hébreu moderne, voire du yiddish. Jugeant irritant d’entendre des responsables politiques et des élus déclarer que le français est une langue unitaire, provenant intégralement du latin, sans autres apports, il a choisi de relever 150 mots d’étymologie hébraïque et d’en étudier la formation, l’histoire et l’usage dans notre littérature et notre culture. C’est peu, dira-t-on, mais cela suffit à démonter le mécanisme de l’emprunt, auquel notre langue s’adonne avec plaisir.


L’auteur :
Henri Béhar, ancien président de l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle, est spécialiste des littératures d’avant-garde et pionnier dans l’utilisation de l’informatique dans les études littéraires.
Aux éditions Non Lieu, il a déjà publié : À table avec Albert Cohen.


ISBN : 978-2-35270-310-5
Prix : 18 €
Éditions Non Lieu
224, rue des Pyrénées – 75020 Paris
courriel : nonlieu@netcourrier.com
www.editionsnonlieu.fr

Compte-rendu d’ Anne Szulmajster-Celnikier dans la revue La Linguistique 2022/2 (Vol. 58), pages 199 à 211 À propos d’Alléluia. Je parle hébreu sans le savoir, 150 mots français issus de l’hébreu, d’Henri Béhar.

1. La problématique

La thématique des emprunts à l’hébreu en français jalonne les publications, anciennes et nouvelles, prenant tantôt la forme de dictionnaires, tantôt de chapitres au sein de volumes consacrés à la langue française et son histoire, ou encore de livres ou d’articles examinant, de manière ciblée ou non, les emprunts hébreux ou les emprunts de sources diverses dans notre langue. Citons notamment : Patrick Jean-Baptiste préfacé par Claude Hagège, Dictionnaire des mots français venant de l’hébreu (2010) ; la rubrique « Mots français d’origine hébraïque, Histoire du français », chapitre 10 « Les emprunts et la langue française » (révision Lionel Jean), Wiktionnaire ; Henriette Walter, L’aventure des mots français venus d’ailleurs (1997) ; et enfin Michel Masson, « Légendes étymologiques : à propos de quelques mots français réputés provenir de l’hébreu » (2012).

2. Profil de l’auteur

Le titre percutant, teinté d’humour, du nouveau livre signé par Henri Béhar annonce une démarche non conventionnelle. Ni tout à fait dictionnaire au sens classique, ni encyclopédie malgré quelques passages, c’est une forme libre, riche et originale qui se présente ici au lecteur. On y reconnaît la marque de l’auteur, personnalité aux facettes variées.[lire la suite en téléchargeant le PDF de ce compte-rendu]

Surréalistes confinés ?

[Télécharger cet article]

Les mesures gouvernementales et notre santé l’exigent: nous voilà tous confinés, pour bien des jours encore.

Mais cela ne veut pas dire que les recherches concernant nos plus chères études le soient. Les textes surréalistes peuvent être lus et relus ; les travaux à leur sujet peuvent se développer autant qu’il le faudrait puisque les bases de données sont encore accessibles, ainsi que le réseau internet pour y accéder. Aussi puis-je satisfaire la curiosité légitime de mes lecteurs, dont certains me demandent quelle était l’attitude des surréalistes à l’égard du vocable “confiné”.

Pour ma part, je n’en ai aucune idée. Je vais tout simplement me mettre à lire les œuvres des auteurs surréalistes qui sont à ma disposition.

N’ayant pas les ouvrages sous la main (les bibliothèques ne me sont pas accessibles), je vais me contenter d’interroger mon golem, lequel conserve les œuvres complètes numérisées d’Aragon (jusqu’en 1932), d’André Breton (du début à la fin), de René Crevel, de Robert Desnos, de Paul Éluard (jusqu’en 1938), de Julien Gracq, de Michel Leiris (seulement La Règle du jeu), de Benjamin Péret, de Prévert et de Tristan Tzara. Par acquis de conscience, je confronterai mes données avec celles que me fournira Frantext, qui contient les mêmes textes puisque j’ai moi-même fourni les bandes numériques (c’est ainsi qu’on parlait alors !) à cette plus grande banque de langue franaise.

J’ai donc constitué une liste de mots, de la famille du verbe confiner (confiné/és/ée/ées, confinement/s) et demandé à la machine de men fournir les attestations dans les œuvres indiquées précédemment, auxquelles j’ai ajouté, pour finir, les deux principales revues du surréalisme, La Révolution surréaliste et Le SASDLR.

On en trouvera le résultat classé par auteur, avec une présentation différente pour Éluard et Gracq ( la vérité est que le logiciel Hyperbase dont je me servais autrefois n’est plus accepté par Windows 10, et que je n’ai pas voulu déranger l’ami Etienne Brunet pour qu’il me fournisse une version actualisée de cet outil).

Bien entendu, je laisse le soin aux lecteurs de se faire l’idée qu’ils voudront de l’emploi du vocable recherché. Il me semble, néanmoins, que la quantité de textes examinés montre un sous-emploi du terme en question, ce qui concorderait avec l’expression de la liberté chez nos auteurs.

29 mars 2020. HB 

I. ARAGON Louis : 2 occ.

1. Le Paysan de Paris (1926)

LE PASSAGE DE L’OPéRA (1924) (p. 716)

Dire que derrière ces carreaux se confine une double existence passive, aux limites de l’inconnu et de l’aventure! Depuis des années et des années le couple des portiers

se tient dans cette taupinière à voir passer des bas de robes et des pantalons grimpant à l’échelle des rendez-vous.

2. Le Paysan de Paris (1926)

LE SENTIMENT DE LA NATURE AUX BUTTES-CHAUMONT (1925) (p. 864)

LONGUEUR TOTALE DES RUES,

QUAIS, BOULEVARDS, ETC.

52 KILOMes 383 Mes

Le 19e ARRt CONFINE Aux

18e, 10e et 20e ARRts

LES PORTES DE ROMAINVILLE,

DES PRéS St GERVAIS ET DE PANTIN,

DE FLANDRE ET D’AUBERVILLIERS,

LES LIGNES DE L’EST, LES CANAUX

DE L’OURCQ ET DE St DENIS,

LE METTENT EN COMMUNICATION

AVEC L’EXTéRIEUR DE PARIS

BâT. DE LA DOUANE, Bd DE LA VILLETTE

BASSIN ET DOCKS DE

II. BRETON, André : 2 occ.

1. SITUATION DU SURRÉALISME ENTRE LES DEUX GUERRES, p. 715

Valéry s’était confiné à des exercices poétiques d’un caractère inactuel très appuyé, Proust à des études de milieux sociaux que les événements ne semblaient pas même avoir pu toucher  ; paradoxalement ils n’allaient pas tarder à en être payés par les plus grands honneurs.

2. p. 1172 Anthol.

 Il s’agit, en effet, de vieux peuples qui, sous la pression de races jeunes en puissance d’instaurer un nouveau mode de vie qui implique une évolution continue, ont été, soit acculés aux extrémités des continents, soit confinés dans les régions les plus ingrates de la terre.

III. CREVEL René, 3 occ.

1. La Mort difficile (1926)

LE DîNER AVEC DIANE (p. 163)

Dès qu’elle l’avait quitté, les jours où il s’était confiné dans sa propre douleur, sans avoir un mot affectueux pour elle, Diane laissait tomber le masque et du sourire qu’elle avait singé durant des heures, une glace soudain lui montrait qu’il ne restait plus que deux petites rides. Deux petites rides.

2. La Mort difficile (1926)

III, LE DîNER AVEC DIANE (p. 166)

Or durant le dîner, les couleurs qui soudain ont embelli les joues trop pâles du jeune

garçon, le silence où il s’est confiné, son appétit aussi, ont donné à Diane notion d’une

force dont Pierre, sans doute, dans son désarroi, n’avait lui-même pas encore pris conscience.

3. Les Pieds dans le plat (1933)

VII, LE QUATORZIÈME CONVIVE (p. 254)

cette inconnue qualifiée de fin de siècle s’étendit dans mes rêves, aussi belle, aussi grande, aussi gaie, aussi folle d’amour et d’attendrissantes rengaines que toute la ville de Paris, la ville dont un petit garçon confiné à Passy, alors presque la campagne, tentait d’imaginer les danses et les rires sous une pluie de confettis, au temps de Mi-Carême.

IV. Desnos = 0

V. Éluard = 3

Poésie ininterrompue :

Je respire souvent très mal je me confine Moralement aussi surtout quand je suis seul Dans ce rêve

 de raisonne confiné   Vitres brisées feu dispersé

où les rayons confinent   l’ ennui dans l’ esprit où

VI. GRACQ Julien

confinée              5   RS  31b   RS 184c   FV  79b   SC 102a   CC 268e  

confinées             2   CC  68a   CC 269a  

confinement           9   RS 196f   EC 269c   EC 269c   FV  13b   SC  25a   SC 121b   SC 134b   CC  33a   CC 138e  

confinés              1   SC  24b  

confine                               1

SC  10b|  pas beaucoup . Et qui d’ ailleurs confine souvent à l’ indifférence . Je                                     

confiné  8

Au château d’Argol (1938)

LA CHAPELLE DES ABÎMES (p. 106)

il semblait que ce lieu fût si parfaitement clos que l’air confiné n’y pût circuler davantage que dans une chambre longtemps fermée, et, nageant autour des murs en un nuage opaque, et pénétré depuis des siècles des parfums persistants de la mousse et des pierres desséchées, devînt comme un baume odorant où plongeaient ces précieuses reliques.

André Breton (1948)

III BATTANT COMME UNE PORTE (p. 102)

Bien loin de filer de ses sécrétions mentales un cocon douillet, d’étouffer en l’isolant dans cet air confiné l’impossible chrysalide de l’homme en soi, il ne souhaite plus être

qu’empreinte en creux des hasards de la grande aventure

RS 282f|  . L’ inertie n’ aurait – elle pas confiné à la légèreté ?   Pressentant  

RS 300g|   eût dit , plutôt qu’ il n’ était confiné par eux , que cet air conserva 

BF 181d|   Une nausée lui venait de cet air confiné , de ce jour plâtreux , vieill 

PR  65d|  miliers autour de lui , de l’ air confiné qu’ il a respiré , de cette es 

SC 122c|  s d’ un lazzaronat mendicitaire , confiné dans ses ruelles , ses placett                                         

confinée 5

RS  31b|  re , et le jour douteux , eussent confinée dans l’ étude de quelque disc 

RS 184c|  on si aiguè de cette tranquillité confinée , pareille à celle d’ un herb 

FV  79b|  rdait en plein soleil l’ humidité confinée , et presque encore la pénomb 

SC 102a|  olée , enclose et encolonnée , et confinée dans un dialogue codé sans su 

CC 268e|  int – Germain l’ énergie Verdurin confinée jusque – là dans la plaine Mo                               

confinées  2

CC  68a|  , et d’ où l’ haleine des plantes confinées déferle sur la route aussi i 

CC 269a|   fortes pressions emprisonnées et confinées , et d’ espaces libres capri                                         

confinement 9

RS 196f|   et poudreuse , pareille dans son confinement et sa douceâtre odeur de p 

EC 269c|  montagne , c’ est le sentiment de confinement qui en vient à dominer : c 

EC 269c|  finement qui en vient à dominer : confinement douillet , ouaté , protégé 

FV  13b|   m’ a toujours paru être celui du confinement : son site mesquin , chois 

SC  25a|  veillement — un peu comme dans le confinement d’ un musée sans fenêtres  

SC 121b|   autres , c’ est l’ impression de confinement . Ville aux trésors , cert 

SC 134b|   Florence est surtout sensible au confinement provincial , au renfermé d 

CC  33a|   un sentiment de stagnation ou de confinement comparable à celui qui me  

CC 138e|  atisme figé de mes habitudes , le confinement dans un cercle de relation                                         

confinés  1

SC  24b|   ses collines , des compartiments confinés , pareils aux caissons dorés                                               

VII. LEIRIS Michel : 5 occ.

1. La Règle du jeu p.91

On s’étonnait, l’écoutant, que le diaphragme ne se brisât pas en miettes ou, tout au moins, qu’il ne s’étoilât pas; de même, il pouvait sembler singulier que les carreaux des fenêtres ne finissent point par céder, sous les pulsions inquiétantes de l’air, dans tous les endroits confinés où il advenait que se produisît le dentiste à la voix caverneuse, ce géant dont la taille était si exactement appariée au volume de son chant.

2. La Règle du jeu p.113

Mais l’image que je me faisais, enfant, de la vieillesse m’apparaît comme difficilement séparable des lieux confinés, des chambres closes, alourdies de housses, de tentures, de rideaux et de carpettes.

3. La Règle du jeu : 1 : Biffures (1948)

IL ÉTAIT UNE FOIS… (p. 164)

Celui-ci [l’ancien temps] continuait, certes, d’exister dans le fond des campagnes, plus fidèles aux vieilles choses que les villes, mais il avait déserté ces dernières et se chauffait maintenant frileusement dans l’âtre des masures enfumées, confiné dans les endroits perdus où il avait dû autrefois prendre naissance, quelque part en Gaule romanisée, du côté des premiers roitelets francs.

4. Or, cette journée que j’escomptais la plus ouverte à tous venants et la moins confinée ne fut pour moi, en vérité, pas même une journée de plein air puisque je restai jusqu’assez tard dans la soirée chez des commerçants levantins qui fêtaient la Victoire avec mes hôtes de midi et quelques-unes de leurs connaissances.

5. La Règle du jeu : 3 : Fibrilles (1966)

LA FIÈRE, LA FIÈRE…, I (p. 60)

Pour le jeune citadin habituellement confiné, le jardin de la maison qu’on occupe en été ou de celle qu’habite en permanence tel membre du cercle de famille n’est pas seulement un lieu à police moins étroite, mais – aussi familier qu’il soit – un territoire aux multiples replis toujours à explorer et propice à la manifestation de bien des choses singulières.

VIII. PERET : 1 occ.

tome III, p. 216

Il s’arrêta, écoutant sa voix que les échos répercutaient jusqu’aux confins du monde, puis il lança sa gouttière sur le portail de Notre-Dame, qui s’enfonça dans les ténèbres. La gouttière traversa toute la nef et vint remplacer le crucifix qui dominait le maître-autel.

IX. PREVERT = 0

X. SOUPAULT = 0

XI. TZARA Tristan = 5 occ.

1. Personnage d’insomnie (1934)

VIII RAPPORTS ENTRE LA FEMME ATTENDUE,, LA VIE ERRANTE ET LE DéPEUPLEMENT D’UNE îLE (p. 193)

elle alterne avec les heures misérables et se confine dans la chaleur des ruches et des nids chevelus elle manque de dimensions et lorsqu’elle se disperse et prend part au mouvement des cils vibratiles le jour et la nuit se mélangent au vin

2. Grains et issues (1935)

DES RÉALITÉS NOCTURNES ET DIURNES (p. 54)

Vus à travers l’air raréfié des mirages, dans leurs anneaux qui lèvent à la hauteur des meurtres le sens ventripotent des mondes affinés, le calme des montagnes se confine dans les branchages sous-marins des frayeurs instantanément immobilisées et des villages entiers rampent

3. Grains et issues (1935)

DES RÉALITÉS NOCTURNES ET DIURNES (p. 67)

De nouveau la fleur se confine dans la chaleur maussade des carniers. Aucune fenêtre ne se réveille dans la tête. Aucun désir n’assume la responsabilité du vent.

4. Le Surréalisme et l’après guerre,

Note IV: p.125

Si les mots ne naissent que lorsque l’idée qui les désigne s’est confinée en une image assez limitée et stable pour que le déclenchement d’un mécanisme minimal de la représentation les affecte, les formes mêmes de la phrase par lesquelles les possibilités de la pensée arrivent à s’exprimer sont incluses en miniature dans le procédé de la formation des mots et reproduisent sur une plus grande échelle la somme globale des expériences vécues et concluantes.

5. Les brumes de sa Bretagne natale ont fait beaucoup de tort à Corbière. Elles ont pendant longtemps confiné son souvenir dans le pittoresque d’un régionalisme quelque peu conventionnel.

XII. COLLECTIF – La Révolution surréaliste. N° 2, première année. 15 janvier 1925 (1925)

1. LEIRIS,, Michel, Le pays de mes rêves (p. 27)

Si je trace autour de moi un cercle avec la pointe de mon épée, les fils qui me

nourrissent seront tranchés et je ne pourrai sortir du cachot circulaire, m’étant à jamais séparé de ma pâture spatiale et confiné dans une petite colonne d’esprit immuable, plus étroite que les citernes du palais.

COLLECTIF – La Révolution surréaliste. N° 3, première année. 15 avril 1925 (1925)

2. MANIFESTES, Adresse au Pape (p. 16)

Nous ne sommes pas au monde. Ô Pape confiné dans le monde, ni la terre, ni Dieu ne parlent par toi.

Le monde, c’est l’abîme de l’âme, Pape déjeté, Pape extérieur à l’âme, laisse-nous nager dans nos corps, laisse nos âmes dans nos âmes, nous n’avons pas besoin de ton couteau de clartés.

COLLECTIF – La Révolution surréaliste. N° 9-10, troisième année. 1er octobre 1927 (1927)

3. ARAGON, PHILOSOPHIE DES PARATONNERRES (p. 45)

Il n’est pas sans intérêt d’évaluer le champ restreint dans lequel se confine aujourd’hui un homme en possession des moyens essentiels d’une civilisation dont on fait grand bruit.

Henri BÉHAR

Charlot – Dada

                                Henri BÉHAR

22/12/2019

Cet article a paru dans le catalogue de l’exposition Charlie Chaplin dans l’œil des avant-gardes au Musée d’Arts de Nantes du 18 octobre 2019 au 3 février 2020

[Télécharger cet article en PDF]

Puisque nous sommes dans l’univers cinématographique, le lecteur me permettra un long travelling arrière pour commencer. En effet, je ne parlerai ici que de Charlot, de son nom français (totalement inusité dans le monde anglo-saxon), dans la mesure où il s’agit d’un personnage populaire, ancré depuis des siècles dans notre culture. Huit cents ans, environ, que les Français se réjouissent des ripostes de Charlot.

Je veux parler de « Charlot le Juif, qui chia en la pel dou lièvre » : une figure de la tradition comique, à qui notre Rutebeuf médiéval consacra un fabliau vers 1265, repris dans ses Œuvres complètes au xixe siècle[1]. Il n’est certes pas aussi connu que la complainte dédiée par le poète à ses amis disparus : « Que sont mes amis devenus/Que j’avais de si près tenus/Et tant aimés/Ils ont été trop clairsemés/Je crois le vent les a ôtés/L’amour est morte », mais il marque une étape remarquable dans notre littérature, par son aspect moral et son contenu scatologique. Le titre, à lui seul, indique le propos : un ménestrel nommé Charlot le Juif a su se faire payer de belle manière par le seigneur, employé du comte de Poitiers, qui pensait pouvoir l’abuser. Était-il juif ? Peu importe : un second poème consacré au même personnage, la disputation de Charlot avec le Barbier, nous dit : « Charles tu es à toutes les lois/Tu es juys et chrestiens à la fois […]. » Comme l’impose le genre, le texte expose le sujet, qui est une morale : il n’est pas utile de vouloir tromper un ménestrel, car celui-ci saura toujours s’en venger. Suit l’exposé des faits. Première étape : un certain Guillaume part à la chasse au lièvre, à cheval, du côté de Vincennes. Le gibier est pris, après tant de détours que le cheval attrape la fièvre et en meurt. L’animal est soigneusement dépecé, tandis que Guillaume est furieux. Deuxième scène : une noce où Charlot intervient avec les ménestrels. À la fin de la fête, les chanteurs et comédiens sont récompensés, les uns par de l’argent, les autres par une recommandation pour un patron. Notre Charlot se trouve envoyé sous les ordres de Guillaume, qui le reçoit fort aimablement et lui remet la peau du lièvre qui ne vaut plus un sou, bien qu’elle lui ait coûté la vie d’un cheval. Mécontent, il l’accepte cependant et pense à sa vengeance. Il revient avec le même cadeau soigneusement enveloppé qu’il tend à Guillaume qui pense qu’il s’agit d’un présent pour sa femme. Il commence par y mettre la main dedans… Ainsi, la morale est démontrée et le comédien vengé.

Miracle ! J’aurais trouvé la première occurrence d’une figure bien connue, mise en images par Charlie Chaplin, celle du misérable acteur, continuellement exploité, constamment méprisé, mais qui, pour finir, met toujours les rieurs de son côté.

Qu’on me comprenne bien : je n’entends pas dire par là qu’en 1914 un réalisateur de cinéma s’est inspiré d’un fabliau médiéval qui lui a fourni le modèle de son personnage désormais dénommé Charlot. Je veux simplement signaler qu’il y a là un trait de notre culture populaire, demeuré à travers les siècles, évoqué consciemment ou non.

Or, et c’est là que je veux en venir, la poésie moderne, au début du xxe siècle, en dépit de son allure savante, se veut populaire avant tout. Aussi bien avec Apollinaire qui reprend l’air d’une chanson de toile[2] pour célébrer Paris et son pont Mirabeau, que chez Tristan Tzara qui, à Zurich, lit des fragments des Centuries de Nostradamus au cabaret Voltaire, ricanant des références obscènes qu’il croit pouvoir y découvrir.

Pour l’heure, je laisse de côté la supposée judéité du jongleur que le patron pense rouler, et que l’on attribuait à Charlie Chaplin à la naissance de son héros. Il n’empêche qu’elle est une constante d’autant plus troublante que les Juifs n’étaient guère nombreux en France à l’époque de Rutebeuf, entre deux croisades, entre deux massacres collectifs, entre deux expulsions…

Ayant déjà signalé les Centuries, ces poèmes prophétiques, à Zurich, dans les poésies Dada, pendant la guerre de 1914-1918, il me faut maintenant en venir à la participation de Charlot dans l’expérience de Tristan Tzara. Celui-ci aimait suffisamment le septième art pour intituler l’un de ses recueils les plus personnels Cinéma calendrier du cœur abstrait Maisons avec dix-neuf gravures sur bois d’Hans Arp (1920). Dans ses Entretiens radiophoniques avec Georges Ribemont-Dessaignes[3], il se remémore sa jeunesse en Suisse et l’éclatement de l’art accompagnant Dada lors de son apparition : « Je crois que la civilisation a fait un pas en avant à ce moment-là : tout arrivait en même temps, pensez-y, le jazz, les films de Charlot. Le premier film de Charlot à Zurich, en 1918 ! C’était extraordinaire » (TZR, OC V, 450). On comprend, dans ces conditions, qu’il se soit référé à ce nouveau héros de sa jeunesse lorsqu’il organisa une manifestation du Mouvement qu’il avait importé lui-même à Paris. Pour en fixer le souvenir, il déclare, toujours au même intervieweur : « Pour la manifestation du Salon des Indépendants [5 février 1920], nous avions annoncé la participation de Charlie Chaplin qui, disions-nous, venait d’adhérer au mouvement Dada. Une foule considérable envahit la salle du Grand-Palais. Quant à Charlie Chaplin, il était loin de se douter de notre mystification. La séance se déroula, si l’on peut dire, dans la plus grande confusion. Mais c’est surtout la presse qui prit fort mal l’affaire. Venus en grand nombre, les journalistes voulaient voir Charlot. On en dirigea quelques-uns sur des pistes fantaisistes. Ils ne nous l’ont jamais pardonné » (TZR, OC V, 404).

À première vue, l’appel à Charlot signifiait que Dada et la vedette avaient les mêmes objectifs de distraction et de revendication, le héros sachant se tirer d’affaire chaque fois qu’il se trouvait dans une situation pénible. On songe en particulier à Charlot soldat (1918) qui avait ce pouvoir inouï de faire rire des situations les plus éprouvantes. En fait, Tzara usa de la célébrité immédiatement acquise par le cinéaste, alors que ses œuvres étaient interdites dans de nombreux pays. À cet égard, il aurait pu, tout aussi bien, se servir du bébé Cadum, qui tenait la tête en matière de publicité depuis la fin de la guerre, à ceci près qu’il n’avait qu’un but commercial. Auparavant, la revue Dada 4-5, publiée à Zurich,indiquait : « Charlot Chaplin nous a annoncé son adhésion au Mouvement Dada » (p. 31). Assez crédule de nature et prêtant toutes les audaces à son nouveau correspondant, André Breton lui écrit le 12 juin 1919 : « Cet écho sur Charlie Chaplin me surprend délicieusement. Mais bien sûr, ce n’est pas vrai ? » Une telle interrogation représente assez clairement l’attitude générale du public devant les plaisanteries de Tzara : et si c’était vrai ? Inversement, elle indique que Charlot pourrait bien occuper une place moralement sérieuse, recueillant la majorité des suffrages.

La question de Breton se justifie par le fait que, durant son service militaire à Nantes, il avait beaucoup fréquenté les salles de cinéma en compagnie de Jacques Vaché, ce jeune patient dont il s’était occupé à l’hôpital militaire. Sanglé dans des uniformes aussi variés que fantaisistes, Vaché promène sa coiffure flamboyante, son monocle et ses taches de rousseur au passage Pommeraye. Dans les bouges du quai de La Fosse, il entraîne Breton qu’il présente comme le poète André Salmon, pour mystifier le bourgeois, et aussi son compagnon, trop conformiste à ses yeux. Le 14 novembre 1918, il lui écrit : « […] je sortirai de la guerre doucement gâteux, peut-être bien, à la manière de ces splendides idiots de village (et je le souhaite), ou bien… ou bien… quel film je jouerai ! – Avec des automobiles folles, savez-vous bien, des ponts qui cèdent, et des mains majuscules qui rampent sur l’écran vers quel document !… Inutile et inappréciable ! – Avec des colloques si tragiques, en habit de soirée, derrière le palmier qui écoute ! – Et puis Charlie, naturellement, qui rictusse, les prunelles paisibles. Le Policeman qui est oublié dans la malle ! ! »      

Ensemble, ils vont au cinéma voir le dernier Picratt, Les Vampires, les premiers Charlot, ou encore les bandes comiques de Mack Sennett. Le dimanche après-midi, ils entrent dans les salles obscures, sans même s’enquérir de ce qu’on y joue, et n’en ressortent qu’à l’approche de la nuit. Parfois, ils apportent de quoi déjeuner, se passant tour à tour le fromage et le vin, discutant à haute voix, comme à table, au grand effroi des autres spectateurs, venus pour le film, eux ! « Nous fûmes ces gais terroristes, sentimentaux à peine plus qu’il était de raison, des garnements qui promettent », relate Breton en magnifiant cette époque par le souvenir. À ce moment de la guerre, il n’était plus question d’écrire ni de penser. Il fallait d’abord se saouler de vie, pour noyer l’angoisse et la crainte de la mort.

Chose remarquable : dans la revue Cannibale, publiée par Francis Picabia entre deux livraisons de 391, Paul Éluard, le « fou allié Dada », dresse la liste de ses complices, et désigne ainsi celui avec lequel il composera L’Immaculée Conception, livre écrit automatiquement et supposé relancer le surréalisme en 1930 : « Breton, Charlot tragique, Breton onze petits morts. Sûr de ne jamais en finir avec ce cœur, le bouton de sa porte. »

Si la place ne m’était limitée à ce point, j’observerais la contribution de chacun des poètes dadaïstes à la figure de Charlot, en contrepartie de celle que dressent les peintres, leurs amis, leurs frères. Je montrerais aussi comment, le Mouvement étant de nature internationale, les mêmes processus s’étendirent à Berlin en 1920, et jusqu’à Moscou avec Valentin Parnak… Je ne puis fermer l’objectif sans citer Tzara une dernière fois, à propos du Charlot de la deuxième période, et au sujet d’Apollinaire : « Déjà, si l’on sait bien écouter la voix de Charlot dans Limelight, on s’aperçoit que les mots y sont introduits avec la malice de la clandestinité. Cela se passe dans un pays dont les gouvernants ne peuvent plus supporter d’entendre le mot de progrès sans voir rouge. À ce stade où décline la dignité de l’homme, tout redevient possible, le crime, l’assassinat. C’est le devoir des poètes – et de ceux qui croient à la poésie – de tirer la conclusion, la véritable, de l’enseignement que nous a légué le Poète assassiné, l’enseignement qui, pour avoir illustré sa mort, ne soutiendra pas moins le courage des vivants » (TZR, OC, V, 163, sur G. Apollinaire).


[1]. Unique manuscrit : L, Paris, Bibl. nat., fr. 1635, fol. 62b-63b.

[2]. Les amateurs de poésie moderne doivent savoir qu’une des constantes de la modernité est qu’elle contient toujours des éléments anciens. Ainsi, Apollinaire adopte la structure rythmique d’une chanson que les ouvrières reprenaient en chœur lorsqu’elles tissaient la toile. Pour « Le pont Mirabeau », il s’agit de « Gaiete et Oriour », histoire de deux sœurs qui subissent un destin opposé, que le poète a pu lire dans la Chrestomathie du Moyen Âge des éditions Hachette (1897).

[3]. Ces entretiens ont été diffusés par la Chaîne Nationale (l’ancêtre de France Culture) en mai 1950. Ils avaient la particularité de fixer, pour la première fois, avec la voix même des protagonistes, les souvenirs de Tristan Tzara, le principal promoteur de Dada à Zurich (1916-1919), puis à Paris (1920-1023), interrogé par un ancien dadaïste, qui avait fort bien compris le rôle de ce mouvement dans l’aventure intellectuelle du temps.

Les paradoxes du Second Manifeste du surréalisme

Les paradoxes du Second Manifeste du surréalisme

Par Henri BÉHAR

Le catalogue de l’exposition Pompidou à Pise De Magritte à Duchamp vient de paraître en italien aux éditions Skira: Guarda Da Magritte a Duchamp 1929. Il grande Surrealismo dal Centre Pompidou su Unilibro.it

https://www.unilibro.it/libro/ottinger-d-cur-/magritte-duchamp-1929-grande-surrealismo-centre-pompidou/9788857239309

Le texte est en italien. Henri Béhar vous offre la version originale, en français, de sa contribution.

[Télécharger de document en PDF]

L’année 1929 n’est guère favorable pour André Breton, tant sur le plan social et collectif que sur le plan sentimental, avec un divorce qui n’en finit pas, et une maîtresse pour le moins versatile. La Révolution surréaliste, la revue qu’il dirige, seul, depuis sa quatrième livraison, ne s’est plus manifestée depuis deux ans (n° 10, 1er octobre 1927). Ce n’est pas brillant pour un organe qui prétend montrer la créativité du seul mouvement révolutionnaire de l’époque, et pas seulement sur le plan artistique ! Il convient de faire cesser cet état de fait au plus vite. À la suite de nombreuses conversations, non sans de longues hésitations, Breton s’est décidé à produire un texte d’orientation comme il est le seul, dans le groupe, à savoir le faire. Tout le monde lui reconnait au moins ce mérite. Cet article devra expliquer aux lecteurs les raisons d’un tel silence et, du même mouvement, indiquer le Nord pour ses amis déboussolés. Rappel aux principes, appel aux jeunes « dans les lycées dans les ateliers même, dans la rue, dans les séminaires et dans les casernes », à tous les purs qui refusent le pli, ce texte qu’il veut en même temps informatif et performatif devra relancer le mouvement par un effort collectif de dépassement.

Comme naguère pour le Manifeste du surréalisme, Breton commence par un rappel des événements antérieurs à ce texte qu’il intitulera « Second Manifeste du surréalisme ». Second et non deuxième : il connait sa langue : il n’est pas celui qui passera sa vie à redéfinir l’orientation du mouvement. Il n’y aura pas de troisième manifeste du surréalisme.

Qui ne connait le point qu’il désigne à ses partisans :
« Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. Or, c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de détermination de ce point. »
Magnifiquement équilibrée, la formulation est mémorable. Elle n’en est pas moins paradoxale, puisque ce matérialiste, ce moniste, réserve une place particulière à l’esprit, séparé du corps ! Tout aussi paradoxalement, il l’associera, l’année suivante, au lieudit le « point sublime » dominant les gorges du Verdon. Illumination : entre terre et ciel, entre l’abîme sous ses pieds et l’orage au-dessus de sa tête, il a bien rencontré ce point idéal qu’il postulait ! J’en vois l’illustration la plus précise dans la photo d’un éclair zébrant le ciel nocturne placée en couverture de cet ultime numéro de La Révolution surréaliste. Lieu de l’observateur idéal, pour parler comme les physiciens, on ne peut pourtant le détacher du système physique dans lequel on se meut, « la vie de ce temps ».

Toutefois, avant de procéder à l’examen de cette vie bien concrète et située, Breton tient à rappeler les conditions morales qui engagent le surréaliste. Il écrit alors : « L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule. Qui n’a pas eu, au moins une fois, envie d’en finir de la sorte avec le petit système d’avilissement et de crétinisation en vigueur a sa place toute marquée dans cette foule, ventre à hauteur de canon. La légitimation d’un tel acte n’est, à mon sens, nullement incompatible avec la croyance en cette lueur que le surréalisme cherche à déceler au fond de nous. »

Deuxième paradoxe : ce manifeste, qui s’adresse au plus grand nombre, affiche, à l’instar des écrits symbolistes, un mépris hautain envers la collectivité. La formulation est pour le moins malheureuse. Elle a aussitôt donné lieu à de nombreux commentaires péjoratifs. L’auteur s’en rend bien compte, sur le champ, en l’explicitant dans la foulée, en montrant que, comme pour le « point suprême », il s’agit d’une fureur interne, primitive, et non d’un tir à l’aveuglette. Nous savons qu’écrivant cela, Breton pensait à l’anarchiste Émile Henry, guillotiné en mai 1894, à l’âge de 21 ans, pour avoir placé une bombe au café Terminus. À ses yeux, c’était un pur, qui avait mis ses actes en conformité avec ses pensées. Paradoxe encore : sensible dès sa jeunesse à la théorie anarchiste, Breton semblait n’en retenir que la violence, l’aspect le plus contestable, et le plus contesté par les anarchistes eux-mêmes ! Parodiant Lénine, c’est ce qu’on pourrait nommer la maladie infantile du surréalisme ! Il faut reconnaitre que ce rappel venait au plus mauvais moment, surtout si l’on voulait concilier le communisme et ses opposants ! La dialectique hégélienne ne peut fonctionner ici.

Dans la foulée, Breton procède à l’élimination de ses adversaires de droite et de gauche, comme s’il voulait regagner une pureté qui n’a jamais existé dans le groupe. Trempant sa plume dans l’encrier de la rage révolutionnaire, il dénonce tous ceux qui se sont mis en travers de sa vision unitaire du mouvement. Tous ceux qui s’écartent de la morale surréaliste, pour une raison ou pour une autre. C’est Francis Gérard « rejeté pour imbécillité congénitale ». C’est Soupault « et avec lui l’infamie totale », c’est Vitrac « véritable souillon des idées ». L’injure est excessive, et, bien sûr, injuste : « Un policier, quelques viveurs, deux ou trois maquereaux de plumes, plusieurs déséquilibrés, un crétin. » Voilà pour les tenants de la voie artistique et littéraire. Les autres, les politiques, dirons-nous, ne sont pas moins bien assaisonnés, les Morhange, Politzer, Lefèbvre ; Naville « de qui nous attendons patiemment que son inassouvissable soif de notoriété le dévore ».

On a le sentiment qu’enivré par sa propre verve, Breton en oublie son but. Il se laisse aller au pamphlet, au lieu d’indiquer l’usage qui pouvait être fait, au sein d’un mouvement revivifié, des divers talents qui se réclamaient, à bon droit, du surréalisme. Soupault n’était-il vraiment pour rien dans la formation initiale ? Desnos devait-il être rejeté si violemment ? Et tant d’autres, sans qui le surréalisme n’aurait pas les couleurs que nous lui connaissons. Pire, tous les « ancêtres » passent à la trappe, à l’exception de Lautréamont, miraculeusement sauvé de la débâcle parce qu’on ne sait pas grand-chose de ses actes.

Une analyse plus fine du vocabulaire spécifique à ce manifeste montrerait la solution de continuité avec le précédent. Celui-ci est plus problématique ; les questions du matérialisme, de l’art et de la culture reviennent au premier plan, en même temps qu’apparaissent explicitement les noms de Marx, Lénine et Trotsky ou, à l’opposé, de Nicolas Flamel et autres occultistes, ce qui amorce la résolution des contraires. En revanche, la fréquence de l’âme ou encore de l’amour témoignent d’une préoccupation renouvelée, ce dont témoigne la publication, dans la même livraison, de l’enquête : QUELLE SORTE D’ESPOIR METTEZ-VOUS DANS L’AMOUR ?

Le prophète succède alors au pamphlétaire. Après avoir annoncé les temps messianiques qui verront la conciliation (et peut-être le dépassement) des contradictoires, il demande d’orienter les recherches vers les sciences occultes (sans pour autant délaisser le programme marxiste). Récemment nourri de littérature ésotérique, il proclame : JE DEMANDE L’OCCULTATION PROFONDE, VÉRITABLE DU SURRÉALISME. Lui-même dira de cette formulation qu’elle est « à dessein ambiguë » en invitant « à confronter dans son devenir le message surréaliste avec le message ésotérique. ».

C’est ici le comble du paradoxe. Certes, il joue sur les mots en demandant à ses amis (au nom desquels il parle le plus souvent dans ce texte : « mes amis et moi ») de poursuivre les recherches sur l’ésotérisme, l’alchimie, etc., en même temps qu’il leur demande de disparaitre, de ne pas signer leurs œuvres, comme le suggérait le poète surréaliste belge, Paul Nougé. Or, comment relancer le surréalisme si on le cache ? L’anonymat collectif peut divertir un moment, mais ça ne peut être une formule d’avenir. En outre, cette démarche est incompatible avec l’adhésion au matérialisme historique !

La postérité a surtout retenu les exclusions, ce qui est bien dommage, car il y allait d’autre chose que d’anecdotes. Les exclus ont osé retourner contre lui, vivant, l’imprécation qu’il adressait à un mort, Anatole France : « Il ne faut plus que mort cet homme fasse de la poussière ! » En manchette d’une feuille de quatre pages s’étale le titre, Un cadavre, surmontant la propre photo de Breton, les yeux fermés, la tête ceinte d’une couronne d’épines.

Qui sont-ils, les douze apôtres trahissant le Christ à l’âge de trente-trois ans (l’âge exact de Breton) ? Le geste est ambigu sur le plan symbolique. Les textes ne le sont pas : « Illustre Palotin du monde occidental, Déroulède du rêve, faux frère et faux communiste, faux révolutionnaire mais vrai cabotin, jésuite de première force, lion châtré… » telles sont les moindres injures de ce pamphlet paru le 15 janvier 1930. Sur une idée de Robert Desnos, l’opération a été montée par Georges Bataille, responsable, de fait, de la revue Documents paraissant depuis avril 1929, ses collaborateurs venus du surréalisme (Baron, Leiris, Limbour, Ribemont-Dessaignes, Vitrac, que Breton soupçonnait de n’avoir que leur mécontentement à mettre en commun), quelques commensaux des Deux Magots, amis de Simone, épargnés par le Manifeste (Prévert, Queneau, Boiffard, Morise) et le Cubain Alejo Carpentier, convié à titre de témoin. Mais Artaud (qui préfère la publication d’une plaquette sur Le Théâtre Alfred Jarry et l’hostilité publique) et Masson (qui s’en est tenu à une franche confrontation, d’homme à homme, en mars précédent) n’y sont pas associés. Pas plus que les « politiques ». Breton en est très affecté, d’autant plus que la plaisanterie se prolonge par des appels anonymes en pleine nuit, des envois de couronnes mortuaires…

D’une certaine manière, ces injures raffermissent sa détermination. Davantage, elles le persuadent qu’en sa qualité de responsable du mouvement surréaliste, il aurait dû se montrer plus exigeant plus tôt. Fortement soutenu par Éluard, il met au point l’état définitif du Second Manifeste qu’il remet à Léon Pierre-Quint (le directeur des éditions du Sagittaire) en espérant une publication rapide.

En effet, le livre parait en mars 1930, augmenté d’une préface : un fac-similé des Annales médico-psychologiques de décembre où les plus célèbres psychiatres français, Pierre Janet et Clérambault, réclament des poursuites contre l’auteur de Nadja. Un extrait d’Edgar Poe prouvant ses méthodes policières ; une citation de Marx pour exécuter Bataille représentant « les philosophes-orteils et les philosophes-excréments », une longue note citant des lettres de jeunes inconnus indignés par Un cadavre devraient suffire pour répondre à ses détracteurs. Simultanément, un prospectus, en guise de prière d’insérer, doit leur clouer le bec définitivement. Sur deux colonnes, il met en parallèle les déclarations, avant et après, de cinq d’entre eux. Ça ne manque pas de piquant.

Tout cela est terriblement affectif, comme le montre le « Troisième Manifeste du surréalisme » que publie Desnos en écho. Reprenant les principaux chefs d’accusation portés contre le leader du surréalisme, il témoigne que le fond de l’affaire est bien une crise de confiance personnelle.

Nous sommes désormais au-delà du paradoxe ! Breton se doutait bien qu’en dénonçant, au grand jour, les perversions des uns et des autres, il déclencherait de vigoureuses répliques, tel un volcan actif ! Or, il fait comme si, les hérésies éradiquées, la vérité éclatant, il serait félicité d’être revenu à la morale des premiers temps. De fait, ces querelles internes n’intéressaient pas les lecteurs. Heureusement, Le Surréalisme au service de la révolution, paraissant en juillet 1930 viendrait prouver la vitalité retrouvée d’un groupe largement renouvelé avec l’arrivée de Buñuel, Dali, Char, Tzara, etc. qui ne s’embarrassaient pas de la pensée paradoxale.

Pour une lecture automatique du Manifeste du surréalisme (1924)

POUR UNE LECTURE AUTOMATIQUE DU MANIFESTE DU SURRÉALISME (1924)

Article publié dans Manifeste 24, sous la direction de Bruno Pompili, éditions B.A. Graphis, 2006

[Télécharger l’article en PDF]

Comment lit-on aujourd’hui ce Manifeste du surréalisme (1924) qui marqua, une fois pour toutes, l’avènement du mouvement ? Muni des études historiques et génétiques de Marguerite Bonnet[1], de l’analyse institutionnelle proposée par Pascal Durand[2], et même, à la rigueur, de cette pauvreté : Michel Meyer présente Manifestes du surréalisme d’André Breton[3], le lecteur est désormais en mesure d’aborder le texte manifestaire d’André Breton sous ses principaux angles. Pourtant, il me semble que personne ne s’est prêté à la seule lecture évidente, celle qu’impose la publication initiale du manifeste comme préface à ce recueil de poèmes automatiques qu’est Poisson soluble. Davantage, j’affirme ici que nul ne s’est avisé de rendre compte d’une rétro-lecture du texte, allant des poèmes automatiques vers leur préface, et encore moins d’une lecture totalement automatique du manifeste lui-même. Il me semble qu’à l’heure de l’informatique et d’Internet on ne peut faire l’économie d’une telle démarche.

Il ne s’agit certes pas du même automatisme.

L’un, selon André Breton, est une « Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale » (45)[4]. C’est un processus de production.

L’autre résulte de l’utilisation très consciente de certains calculs produits automatiquement, d’après un programme conçu à l’avance, par une machine que je nomme golem, avec une minuscule initiale pour ne pas le confondre avec la créature du Maharal de Prague[5]. Il est situé du côté de la réception et de la compréhension.

Ces deux automatismes ont leur raison d’être historique et leur légitimité. On n’écrit plus guère maintenant de textes automatiques au sens bretonnien du terme[6]. En revanche, on utilise très fréquemment, voire quotidiennement, l’automatisme au sens second, sans pour autant l’appliquer à la résolution de problèmes littéraires. Il suffit de soumettre une version numérisée du texte fondateur à cette merveilleuse machine qui, convenablement programmée, nous procurera une lecture automatique, laquelle sera, ensuite, soumise à une interprétation, comme le sont les textes produits par l’automatisme psychique pur.

Les programmes d’analyse textuelle ne manquent pas. Peu importe celui (ou ceux) que j’utiliserai, puisque j’ai promis au promoteur de ce livre[7] de n’encombrer mon analyse d’aucun chiffre. Je commenterai les résultats de ces traitements avec le plus grand scrupule, et tiens les sorties d’ordinateur à la disposition du lecteur curieux.

Dans un souci didactique, ma démarche consistera à étudier progressivement le contenu lexical du premier manifeste, les mots qui le constituent, puis, élargissant le champ d’analyse, à le comparer aux manifestes de l’avant-garde contemporaine pour, dans un troisième temps, le rapprocher des autres textes manifestaires que, bien contre son gré, Breton s’est résolu à fulminer.

I. Lecture tabulaire du Manifeste du surréalisme

La lecture courante, la plus routinière, celle à laquelle nous sommes faits, consiste à lire un texte de manière linéaire et consécutive, obéissant, en quelque sorte, aux injonctions de lecture de l’auteur, et aux usages morpho-syntaxiques de la langue. Nous sommes ainsi tellement conditionnés, et les auteurs avec nous, que rares sont ceux qui échappent à cet ordre, si ce n’est quelques poètes, dans un cadre que je dirais expérimental. Or, si, avec Breton, nous refusons le chemin de velours de la routine, la première démarche consiste à briser cet ordre linéaire, à casser la continuité du texte pour lui opposer une lecture tabulaire que proposent tous les outils d’analyse. Elle consiste à mettre en colonne les vocables utilisés dans le texte en indiquant en face, dans une deuxième colonne, leur fréquence. Le résultat se présente sous la forme d’un tableau que l’on peut agencer alphabétiquement ou hiérarchiquement, de préférence par ordre décroissant.

Premier avantage : le lecteur n’aura qu’à parcourir une liste réduite de formes, exactement un cinquième s’agissant du premier Manifeste. Non pas un mot du texte sur cinq, mais bien tous les mots du Manifeste, qui se trouvent être employés cinq fois en moyenne. Fidèle à ma promesse, je ne ferai aucun commentaire sur les chiffres figurant dans la deuxième colonne, si ce n’est pour constater que les deux tiers de ces formes sont employées une seule fois (hapax), indice (relatif) d’un riche vocabulaire chez Breton ou, plus exactement, de sa déférence envers la règle (implicite) de non répétition.

Échappant ainsi au carcan linéaire, le lecteur est mieux à même d’observer le stock lexical utilisé par l’auteur, les mots qu’il emploie le plus fréquemment et ceux dont l’absence est significative. Ainsi, il n’est pas indifférent de constater que les mots les plus attendus : manifeste, révolution, Marx, psychanalyse (ou psychoanalyse, comme on écrivait alors), etc. ne s’y trouvent pas (ou pour ainsi dire pas, puisque « révolution », employé une seule fois, figure dans une citation faisant seulement référence à 1789).

A. Étrange préface

Il est clair qu’à l’automne 1924, en publiant son manifeste, Breton n’est pas encore fixé sur la nature exacte de ce texte placé avant ce qui est encore pour lui l’essentiel, le recueil des « historiettes qui forment la suite de ce volume » (67) intitulé Poisson soluble. Plus exactement, il y fait trois fois référence, non sans effroi, indiquant par là que, placé dans les conditions de l’écriture automatique, sa pensée lui échappe et qu’il n’a pas encore percé le mystère de son dire : « Voici le “poisson soluble” qui m’effraye bien encore un peu. Poisson soluble, n’est-ce pas moi le poisson soluble, je suis né sous le signe des poissons et l’homme est soluble dans sa pensée ! La faune et la flore du surréalisme sont inavouables. » (66) Ce texte signerait-il sa disparition illocutoire ? Aussi parlait-il auparavant des « lignes serpentines, affolantes, de cette préface » (49) dont tout porte à croire qu’elle lui a été comme imposée contre sa propre volonté par la nécessité de justifier cette « écriture mécanique » (62) qu’il pratique sans pouvoir la contrôler de part en part. C’est d’ailleurs ce que confirme l’étude génétique[8] : la qualification générique, si péremptoire et porteuse d’avenir, n’est intervenue qu’au dernier moment, sans que rien l’annonce dans le texte. En somme, le mot « manifeste » est bien un nullax tel que je le définis, une fois pour toutes : n. m., absence d’un vocable dans un texte où il est attendu.

La tournure très individuelle donnée à cette préface, le suremploi du pronom de la première personne du singulier (j’, je, me, m’, moi, ma, mes) par rapport à tous les autres, indique bien qu’il s’agit de rendre compte d’une expérience singulière, celle de l’écriture qui va suivre, dénommée « surréaliste ». Il est d’ailleurs remarquable que de tout le matériel lexical (par opposition au grammatical), je soit le vocable le plus employé, bien avant le mot « homme » que tous les textes français du même ordre placent en premier.

B. Qu’est-ce que le surréalisme ?

Si, comme je le suppose, ce texte a pour but de présenter les pièces surréalistes qui vont suivre (que Breton n’ose qualifier de poèmes), il s’agit donc de définir ce qui les caractérise, nommé « surréalisme ». De là une certaine dualité du texte, analytique d’une part, programmatique de l’autre. Il ne devient « manifeste du surréalisme » qu’en présentant un exemple de production surréaliste et en l’analysant !

Relativisons la fréquence d’un terme : si Breton emploie deux fois moins le substantif surréalisme que l’adjectif surréaliste, c’est parce qu’au lieu de les qualifier un par un, il englobe en un seul énoncé les dix-neuf individus qui, à la date de publication, « ont fait acte de surréalisme absolu » (46). De là l’historique qu’il donne de sa découverte du phénomène avec Philippe Soupault (44), de sa dénomination et de la définition qu’il tente d’imposer contre celle des épigones d’Apollinaire (46). Au moyen de la libre association (dont Breton a recueilli le principe dans les travaux de Freud et Soupault chez Janet, ce qui explique leurs propos divergents par la suite), toutes les barrières sont levées, le désespoir est vaincu, résolus les problèmes existentiels, un espace inconnu, merveilleux s’ouvre à qui pratique ce surréalisme poétique qu’illustre Poisson soluble. Procédé aussi magique que le rayon invisible des récits de science-fiction, il autorise une critique du monde réel et ouvre sur la vraie vie postulée par Rimbaud. Connaissance de la mort, c’est aussi le paradis baudelairien, l’enfance retrouvée à volonté (65). Toutefois, Breton reste dubitatif pour ce qui concerne son application à l’action (71) et l’œuvre de Robert Desnos, modèle parfait de surréalisme (50) est loin de répondre à la question.

Breton a donc le souci premier de cerner ce qui est surréaliste, et dans quelles conditions. Ne remontant pas au-delà du romantisme, il nomme d’abord les quatorze ancêtres qui, à ses yeux, ont, partiellement et d’une façon particulière, mérité cet attribut. Le dénombrement, à la manière de Jarry, en est si célèbre qu’il est inutile de le reprendre ici (47). Si les Nuits d’Young sont totalement surréalistes, on notera l’arbitraire de ce par quoi les auteurs se caractérisent, et nul commentateur, à ma connaissance, n’a tenté de justifier ce tableau dans son ensemble. Tous les écrivains n’ont donc pas entendu « la voix surréaliste » ou ne se sont pas laissé porter par elle, soucieux qu’ils étaient de leur gloire littéraire ; c’est pourquoi ils ne sont que des jalons vers la découverte des Champs magnétiques opérée par Breton et Soupault. Cette parole, cette voix, que percevaient autrefois les oracles, est celle de l’inspiration, à ceci près qu’elle ne peut provenir que de soi-même. C’est celle qui a dicté Poisson soluble et aussi cette préface. Breton est bien conscient qu’elle n’est pas toujours perceptible, ni compréhensible, et qu’elle peut se tarir autant qu’un fleuve (73). Par une très belle dénégation, il affirme qu’il ne croit pas à l’établissement d’un poncif surréaliste (67) au moment même où il désespère des innombrables cahiers de surréalisme accumulés par lui-même et ses amis dans son atelier ! Cela ne l’empêche pas de communiquer à ses lecteurs la recette de « l’art magique surréaliste », tant il est convaincu que sa pratique est le seul moyen de nettoyer les écuries littéraires. Au passage, il se réjouit que cette production autonome, échappant à son créateur, ne puisse relever du droit commun, et il appelle à l’établissement d’une morale nouvelle (71).

C. Les infortunes de l’esprit

Le classement hiérarchique des formes lexicales utilisées dans le Manifeste du surréalisme fait ressortir l’emploi massif du mot esprit (bientôt suivi de pensée), qu’on ne s’attendrait pas à trouver en une telle position dans un texte programmatique, et qui n’a fait l’objet d’aucun commentaire avisé à ce jour. Examinons-en l’usage.

Écartant les ratés auxquels le fonctionnement de l’esprit est parfois soumis, Breton adopte une position parfaitement idéaliste. Il considère qu’en dépit des contraintes externes, « la plus grande liberté d’esprit nous est laissée » (15), qui réside en l’imagination, elle-même insoumise. Certes, il y a bien les égarements, la folie même, risquant de compromettre la sécurité de l’esprit (16), mais ce sont là contingences morales ! Pour lui, l’esprit ne saurait se laisser distraire par des faiblesses, telles que le badinage (21), la mystification (43), voire la description réaliste qui n’a pour fonction qu’égarer le lecteur (19).

Pour lui, et ceci grâce à la découverte freudienne, l’esprit est en train de récupérer ses pouvoirs perdus : « C’est par le plus grand hasard, en apparence, qu’a été récemment rendue à la lumière une partie du monde intellectuel, et à mon sens de beaucoup la plus importante, dont on affectait de ne plus se soucier. » (23) À l’opposé de Tristan Tzara, qui reprochait à la psychanalyse d’assagir la violence individuelle et de ramener le sujet au conformisme bourgeois, pour Breton elle est capable de détecter des forces nouvelles que la raison pourra organiser. C’est dire la place éminente qu’il lui accorde : « Si les profondeurs de notre esprit recèlent d’étranges forces capables d’augmenter celles de la surface, ou de lutter victorieusement contre elles, il y a tout intérêt à les capter, à les capter d’abord, pour les soumettre ensuite, s’il y a lieu, au contrôle de notre raison. » (23) Car il faut bien convenir, dit-il, que même à l’état de veille nous sommes soumis à des distractions, des interférences venant de notre moi profond sous la forme de lapsus ou de méprises (26).

Au fond, c’est à l’état de rêve que l’individu éprouve la plus totale liberté, ou bien, à l’état de veille, lorsqu’il suit les imaginations les plus débridées, comme, par exemple des récits du Moine de Lewis, dont il analyse le fonctionnement en détail. Dans ce genre de romans, l’attention critique est atténuée, et le lecteur se laisse porter par sa faculté d’imagination, par ses désirs, par son ambition de toute puissance. Une telle exaltation, caractéristique des contes merveilleux, ne se retrouve plus ailleurs. Il faudrait avoir conservé l’ingénuité, la « virginité d’esprit » propre à l’enfance (31) pour prendre encore plaisir à Peau d’âne. « Il y a des contes à écrire pour les grandes personnes, des contes encore presque bleus » (31) conclut-il.

De cette analyse de la fonction de l’esprit découle, très logiquement, la rêverie utopique de Breton, son constant désir de posséder un château où il accueillerait ses amis, le rassemblement des chevaliers de la Table ronde (32). À cet égard, je signale qu’il ne s’est pas contenté de rêver de châteaux en ruine, puisqu’à peine trois semaines après la sortie de ce manifeste, il a visité à Verneuil, dans l’Eure, à deux heures de Paris par le train (à l’époque), une vaste demeure de trois étages, accotée à une tour du xie siècle, avec de grandes cheminées, des statues, de vieux meubles, où il pourrait réunir ses amis[9], y instaurer cet « esprit de démoralisation » (33) nécessaire à leur entreprise.

Poursuivant sa réflexion, la nature de l’image poétique le préoccupe (image est, après esprit, le deuxième mot plein le plus fréquent du texte). Évoquant ses conversations avec Pierre Reverdy à l’époque de Nord-sud, il explique pourquoi ce maître de sa jeunesse se trompait, et pourquoi il lui apparaît indispensable de promouvoir le surréalisme. Il n’est pas vrai, écrit-il, que l’esprit saisisse les rapports des deux réalités mises en présence par l’image, puisqu’il n’a rien perçu consciemment (61). Le conflit est évident : l’un posait une équation logique, tandis que l’autre mettait l’inconscient au service de la poésie ! Les deux termes de l’image sont simultanément le produit de l’activité surréaliste (62), et, davantage, « L’esprit se convainc peu à peu de la réalité suprême de ces images » (63). En d’autres termes, la poésie, ou le surréalisme, tel qu’il le préconise, est un moyen d’accroître les forces de l’esprit, la connaissance pour tout dire.

Je ne reviendrai pas sur l’historique qu’il donne du surréalisme, ni sur l’art de le pratiquer, précédemment commentés, sauf à préciser qu’à chaque occurrence il s’agit bien d’une aventure de l’esprit, d’une drogue accroissant les facultés intellectuelles de l’individu. Enfin, « L’esprit qui plonge dans le surréalisme revit avec exaltation la meilleure part de son enfance. » (53)

En replaçant toutes ces citations du mot esprit dans leur contexte, on observera qu’elles voisinent avec le terme pensée, ce qui ne peut nous surprendre, tant ces vocables sont dans un rapport de synonymie. En revanche, le terme vie, employé exactement autant de fois que pensée, mérite une attention particulière, non seulement parce qu’il figure à trois reprises dans l’incipit du manifeste, mais surtout parce qu’il semble n’avoir été découvert par Breton que cinq ans après, dans la préface à la réimpression de ce même manifeste : « Et pourtant je vis, j’ai découvert même que je tenais à la vie », alors qu’il y était déjà dans un emploi surabondant. C’est ici que notre méthode de lecture se révèle pertinente, puisqu’elle met en évidence ce que l’auteur lui-même n’avait pas perçu d’emblée.

D. Le rêve et la vie

À l’instar de l’Aurélia de Nerval, qui, selon Breton, possédait à merveille l’esprit du surréalisme (44), il n’est pas surprenant que le rêve et la vie soient corrélés dans ce texte, à une fréquence voisine.

Plus que de la révolte, le surréalisme est né d’un grand désespoir, du sentiment que la vie ne vaut guère d’être vécue. Ces jeunes n’y croient plus. Et pourtant, tout le texte apparaît comme un hymne à la vie ! Écartons, dit Breton, tous les moments nuls, il reste tout ce qui émeut sa sensibilité, cette pratique de la vie dont Rimbaud a donné l’exemple (47) et surtout le long temps du rêve sur lequel donne le surréalisme, avec son langage, sa capacité de rejouer en un instant le film vécu depuis les époques radieuses de l’enfance (65).

L’attention que Freud (dont on commence alors à traduire les œuvres en français) porte au rêve (24) est d’autant plus justifiée que, dans une vie d’homme, le temps du rêve dans le sommeil est égal à celui de la veille. Breton lui fait donc la part belle, puisqu’il ne compte pas la rêverie dans ce calcul. Il amorce alors une théorie du rêve, si négligé par la psychologie classique (26) : le rêve est continu et organisé, il peut même se poursuivre d’une nuit à l’autre, et surtout il peut, autant que l’attention consciente, aider à la résolution des problèmes de la vie (26). Dans l’état de rêve, l’esprit ne se pose pas la question pratique : tout est possible et naturel dès lors qu’il est conçu (28). Il convient par conséquent de poursuivre cet examen dans l’avenir, l’individu commençant par noter tout ce qui se produit dans le rêve.

Breton expose alors sa grande utopie, pour laquelle il forge un néologisme, cette résolution des contraires que sont le rêve et la réalité (qu’il déterminera plus précisément dans le Second Manifeste), et qu’il nomme surréalité (28) de préférence au terme surréel adopté par Aragon (bien qu’il considère qu’on puisse employer certains mots surréellement 57).

II. Le Manifeste de Breton / Sept manifestes (Tzara) / Une vague de rêves (Aragon)

Ainsi la lecture automatique du Manifeste met-elle en évidence ce qui demeure le plus marquant, comme après un ouragan ne subsistent que les structures physiques profondes. Cependant, la précellence de la machine sur la lecture humaine la plus attentive s’affirme dans la comparaison de plusieurs textes. Il se trouve que le même mois d’octobre 1924 a vu la publication simultanée du Manifeste du surréalisme d’une part, des Sept Manifestes dada[10] de Tzara d’autre part, tandis que deux mois plus tard sortait « Une vague de rêves[11] » d’Aragon. Récit plus que texte manifestaire par le ton adopté, il traite du même sujet, d’une manière étourdissante qui a marqué les esprits. Il est dès lors très tentant de passer tous ces textes dans la même boite noire, pour observer ce qui en ressort automatiquement.

A. Spécificité par rapport aux Sept Manifestes Dada

On sait avec quel enthousiasme Breton accueillit le Manifeste Dada 1918 de Tristan Tzara. Aussi me semble-t-il que la prééminence du sujet dans le Manifeste du surréalisme doit quelque chose à cette manière qu’avait Tzara d’attirer le regard sur lui[12]. Mais c’est à peu près tout, puisque Breton gomme toute référence à ce qui avait pu susciter son émoi antérieur pour Dada en général, le Manifeste Dada 1918 en particulier.

Fâché de ce qu’il avait adoré, il ne mentionne le mouvement antérieur qu’une fois dans son texte. Fait plus remarquable, il bannit la fantaisie de Tzara, animateur du cirque dada, son autodérision, la puissance qu’il accordait au geste, au corps et à tous les phénomènes de l’énonciation, en prenant à partie ses auditeurs, les journalistes et les gentils bourgeois.

Foin de l’expression des émotions, du doute, de la sensibilité. À la doctrine qui, malgré tout, se dégage des Sept Manifestes, privilégiant la connaissance sur l’intelligence et la spéculation, Breton oppose, on l’a vu, l’esprit et la méthode.

En somme, face au manifeste conscient d’être manifeste et qui proclame son refus du manifeste et de tout code générique, Breton dresse un écrit dont le sérieux, l’articulation logique, le caractère définitoire gagnent le lecteur.

Je me suis toujours demandé pourquoi les proclamations joyeuses et sans prétention de Tzara avaient eu si peu d’écho lors de leur publication, alors qu’elles avaient eu le don d’exciter les foules au Cabaret Voltaire et ailleurs. L’explication saute aux yeux avec cette confrontation. C’est tout simplement parce que Breton développait, retraçait une démarche, se référait à un groupe constitué, tandis que Tzara refusait d’expliquer et se complaisait dans un rôle, pratiquant la déceptivité alors que le public ne demandait qu’à comprendre !

B. Spécificités par rapport à Une vague de rêves

Venons-en aux textes surréalistes. Aragon et Breton, les deux complices, dirons-nous, sachant leur intimité à cette époque, parlent de la même chose et visent, dans un style différent, au même objectif. Leur vocabulaire est voisin d’un texte à l’autre, mais celui d’Aragon est moitié plus court que celui de Breton, et cependant encore plus riche puisqu’il contient relativement plus de formes uniques.

Si Tzara n’est pas davantage nommé, les références à Dada y sont plus explicites, et surtout Aragon reprend explicitement le slogan dadaïste selon lequel « la pensée se fait dans la bouche », qu’il reformule ainsi : « il n’y a de pensée que dans les mots » (566) ou « il n’y a pas de pensée hors des mots » (570).

Alors que les deux poètes ont, depuis 1917, suivi les mêmes chemins, il est intéressant de comparer la liste qu’ils donnent de leurs ancêtres dans le domaine du rêve, ou du moins de leurs modèles, à un titre ou à un autre, qu’Aragon nomme joliment « Les Présidents de la république du rêve : Saint-Pol-Roux, Raymond Roussel, Philippe Daudet, Germaine Berton, Saint-John Perse, Pablo Picasso, Georges de Chirico, Pierre Reverdy, Jacques Vaché, Léon-Paul Fargue, Sigmund Freud, vos portraits sont accrochés aux parois de la chambre du rêve, vous êtes les Présidents de la République du rêve. » (576) Ils n’ont que six devanciers en commun (Fargue, Reverdy, Roussel, Saint-John Perse, Saint-Pol Roux, Vaché) ; Aragon revendiquant Germaine Berton (la meurtrière d’un Camelot du Roy), Chirico, Daudet (encore est-ce le jeune Philippe, suicidé devant la police !), Picasso, Freud ; tandis que Breton désignait exclusivement des écrivains, tout en s’interrogeant sur les cas de Young et d’Isidore Ducasse.

Pour ce qui concerne les rêveurs eux-mêmes, c’est-à-dire les surréalistes, Breton croit n’avoir oublié personne quand il en désigne dix-neuf (dont lui-même), ayant « fait acte de surréalisme absolu » : Aragon, Baron, Boiffard, Breton, Carrive, Crevel, Delteil, Desnos, Éluard, Gérard, Limbour, Malkine, Morise, Naville, Noll, Péret, Picon, Soupault, Vitrac. Peut-être parce que son dénombrement est légèrement plus tardif, et plus explicite, Aragon en nomme huit autres, et non des moindres : Maxime Alexandre, Antonin Artaud, François Baron (le frère de Jacques, mentionné par Breton), Max Ernst, Mathias Lubeck, Man Ray, André Masson et Max Morise.

Puis il décrit la Centrale surréaliste, ce fameux Bureau ouvert au public par les surréalistes rue de Grenelle le 10 octobre 1924 (ce qui, au passage, indique qu’il n’a pu écrire cette partie avant la sortie du Manifeste du surréalisme). Dans cette « auberge pour les idées » il dénombre notamment trois femmes : Renée Gauthier, la compagne de Péret ; Simone, l’épouse de Breton ; et Denise, qu’il aime en secret, la future femme de Pierre Naville.

En outre, il s’arrête à une objection faite aux rêveurs, que Breton a naturellement dédaignée, celle de simuler. Sa réponse est imparable : simuler une chose, n’est-ce pas déjà la penser ? Il ne peut donc y avoir de soupçon en la matière ! (573). Il est aussi le seul des deux à articuler les mots d’inconscient (568), fantômes, et la forme retrouve appliquée aux divers états de la conscience.

La comparaison des deux textes rapportés à une même longueur montre qu’Aragon privilégie très nettement le rêve et les rêves, l’ombre, les indices de localisation, les éléments naturels (la mer, le soleil, l’eau) et corporels (les yeux, les cheveux). Le café où se réunissent les surréalistes est son lieu favori, de même qu’il parle davantage des éléments composant le groupe que de lui-même. Parmi eux, l’évocation d’André est un sujet privilégié. Et c’est bien naturel puisque Breton fait figure de meneur à ses propres yeux comme au regard de la société.

De son côté, le propos de Breton dénote la personnalisation du discours (je, j’, me), articulé (que, dont) et focalisé sur la détermination du surréaliste souvent par la négative (n’). Il est le seul des deux à parler de possible, d’imagination, de la phrase et du verbe écrire, à nier absolument.

C. Segments répétés

Les outils auxquels j’ai fait référence permettent non seulement de ranger les mots en fonction de leur fréquence absolue ou relative, de comparer différents textes entre eux, mais aussi de repérer les éléments qui, d’un extrême à l’autre d’un même texte se trouvent répétés dans le même ordre. Autant dire que ces « segments répétés » (puisqu’ainsi on les nomme) échappent le plus souvent au lecteur le plus sagace !

De cette façon, l’automate fait apparaître cinq fois la locution « aussi… que possible », ce qui dénote chez le scripteur un souci très précis du réel :

18|  anthologie un aussi grand nombre que possible de débuts de romans , de

41|  n monologue de débit aussi rapide que possible , sur lequel l’ esprit cr

51|  établi en un lieu aussi favorable que possible à la concentration de vot

59|  udra , ils sont aussi désaffectés que possible .  Quant à la réponse qu

67|  t par l’ assemblage aussi gratuit que possible ( observons , si vous vou

Sur le même plan, les éléments niés reviennent cinq, voire six fois (avec l’élision) sous sa plume :

16|  ions , les illusions , etc . , ne sont pas une source de jouissance négl

28|  spérer que les mystères qui n’ en sont pas feront place au grand mystère

31|  , et j’ accorde que ceux – ci ne sont pas tous de son âge .  Le tissu

47|  ote . Etc . J’ y insiste , ils ne sont pas toujours surréalistes , en ce

62|  ue les deux termes de l’ image ne sont pas déduits l’ un de l’ autre par

66|  es monstres qui guettent ; ils ne sont pas encore trop malintentionnés à

De même (et ceci me conforte dans ma démarche que l’on pourrait juger quantitativiste à l’excès), il est très sensible à la quantité limitée des phénomènes, mentionnant quatre fois un « petit nombre de » :

16|  doivent leur internement qu’ à un petit nombre d’ actes légalement répré

36|  n parle , à excuser ma voix et le petit nombre de mes gestes .  La vert

54|  pas eues .  Ainsi pourvus d’ un petit nombre de caractéristiques physi

56|  spontanément se prononcer sur un petit nombre de sujets ; il n’ a pas b

Dans le même ordre d’idées, il n’est pas indifférent d’observer que, contant l’expérience de l’automatisme, il nomme trois fois son compagnon d’aventure, manière on ne peut plus obligeante de lui donner acte de son rôle capital :

44|  de médiocres moyens littéraires , Soupault et moi nous désignâmes sous l

60|  e : ” barrières ” dans lesquelles Soupault et moi nous montrons ces inte

64|  emme et les lions volants ” que , Soupault et moi , nous tremblâmes nagu

Par le phénomène de nomination, ce dernier exemple semble plus facilement perceptible et mémorisable, même s’il s’étend sur plusieurs pages. Mais, de grâce, qu’on ne me dise pas qu’il est négligeable ou sans intérêt : Breton disposait de bien d’autres manières pour désigner les deux découvreurs de l’écriture automatique, sans assembler les mêmes mots dans le même ordre, ce qui, au demeurant, allait à l’encontre de son souci du bien dire. En d’autres termes, tous ces segments répétés, à des distances plus ou moins longues dans le discours, ne sont pas des tics, des laissés pour compte, mais bien des éléments révélateurs d’une personnalité.

III. Spécificités du premier manifeste par rapport aux suivants

Sachant que Breton a œuvré pour réunir tous ses écrits du même genre en un seul volume, comme en font foi les recueils publiés par le Sagittaire puis par Pauvert, se contentera-t-on de traiter du seul Manifeste du surréalisme ? Le lecteur de ces ouvrages, y compris au format de poche, est donc invité à prendre connaissance de l’évolution en trois temps d’une doctrine et de son auteur, du premier Manifeste de 1924 aux « Prolégomènes à un troisième manifeste ou non » (1942), en passant par le Second Manifeste du surréalisme de 1929. Second et non deuxième, ce qui signifie qu’à l’époque Breton n’entrevoyait pas la nécessité d’en écrire d’autres, et ce qui explique sa réticence à désigner le troisième texte comme un manifeste, et davantage encore l’essai « Du surréalisme en ses œuvres vives » (1953) qui se retrouve dans l’édition des Manifestes du surréalisme.

Comme précédemment, j’ai soumis ces trois corpus aux mêmes automates[13]. Une première observation d’ensemble sur ces trois textes : le deuxième est une fois et demie plus long que le premier, tandis que le troisième en représente à peine le tiers, justifiant bien le terme « prolégomènes », simple préface à un livre qui, aux yeux de la tête pensante du surréalisme, n’a jamais mérité d’être écrit.

On pourrait croire que Breton a pris davantage d’assurance au cours du développement de son mouvement, qu’il a donc un ton encore plus personnel dans les manifestes suivants. Il n’en est rien. La comparaison systématique des trois textes fait ressortir les spécificités du premier. Cela veut dire que le suremploi des pronoms et des formes verbales à la première personne, l’usage de la négation, constatés ci-dessus, reste la caractéristique du premier manifeste, de même que le discours sur le rêve, le merveilleux, l’image et l’imagination, l’attribut surréaliste, la réalité, l’esprit, l’attention, la nuit, la phrase qui cogne à la vitre, etc. Philippe Soupault, avec lequel il partageait la découverte du concept « surréalisme », y figurait en très bonne place ; il n’apparaît plus que négativement dans le deuxième, pour disparaître totalement ensuite, au profit de Georges Bataille (dans le Second Manifeste) et de l’exclamation ordurière du Père Duchesne dans les Prolégomènes.

Je remarque d’ailleurs que l’emploi du collectif « nous », en sous-effectif dans le premier texte, devient la marque primordiale du second. Ceci tendrait à prouver que Breton, malgré les déboires que lui procure le groupe, s’y exprime davantage en meneur d’hommes (ce vocable au pluriel étant singulièrement déficitaire dans le premier texte). Il a été noté plus haut que le terme révolution désignait la révolution de 1789, sans plus, et il faut attendre le Second Manifeste pour y lire des développements conséquents sur le sujet (à ceci près qu’il y est aussi beaucoup question de La Révolution surréaliste, revue dont chacun est libre d’apprécier le contenu révolutionnaire). Le traitement de la forme surréalisme appelle évidemment l’attention. En sous emploi dans le premier texte, elle prend de l’expansion dans le second, et se réduit à nouveau dans le troisième. Voici, pour l’édification du lecteur, sa concordance dans l’ensemble du corpus (la première colonne désigne chaque manifeste, la deuxième la page et par une lettre la localisation dans la page de l’édition Pauvert, la troisième fournissant le contexte de part et d’autre du mot).

M1 44a|    désignâmes sous le nom de _ surréalisme _ le nouveau mode d’ expr

M1 44c| ettre , _ encore imparfaite , du surréalisme et s’ étant montré impuiss

M1 45c| it le droit d’ employer le mot _ surréalisme _ dans le sens très parti

M1 45d|  donc une fois pour toutes :  _ surréalisme , _ n . m . automatisme ps

M1 46a|      _ encycl . philos . _ le surréalisme repose sur la croyance à

M1 46b| s de la vie . ont fait acte de _ surréalisme absolu _ Mm . Aragon , Ba

M1 50b|  l’ espoir que je plaçais dans le surréalisme et me somme encore d’ en

M1 53a|  la verroterie des mots . par le surréalisme il surprendra dans sa pau

M1 53d| mmencerez à écrire un roman . le surréalisme vous le permettra ; vous n

M1 55a|  . . )  _ contre la mort : _ le surréalisme vous introduira dans la mo

M1 59c|  de son âge et de son nom .  le surréalisme poétique , auquel je consa

M1 60b|  interlocuteurs impartiaux .  le surréalisme ne permet pas à ceux qui s

M1 60c| gendrer  – par bien des côtés le surréalisme se présente comme un _ vi

M1 65c|  2 . l’ esprit qui plonge dans le surréalisme revit avec exaltation la

M1 66b| aléas , de soi – même . grâce au surréalisme , il semble que ces chance

M1 66e| pensée ! la faune et la flore du surréalisme sont inavouables .  3 . j

M1 71a| à entendre , les applications du surréalisme à l’ action . certes , je

M1 75a|        fièvre sacrée .  le surréalisme , tel que je l’ envisage ,

M1 75c| e fais gloire de participer . le surréalisme est le ” rayon invisible ”

M2 91a|  finira bien par accorder que le surréalisme ne tendit à rien tant qu’

M2 92c|  . il est clair , aussi , que le surréalisme n’ est pas intéressé à ten

M2 93a| région où ,  par définition , le surréalisme n’ a pas d’ oreille .  on

M2 93c| uelle sorte de vertus morales le surréalisme fait exactement appel pui

M2 94a| in habitable , on conçoit que le surréalisme n’ ait pas craint de se fa

M2 95a| a croyance en cette lueur que le surréalisme cherche à déceler au fond

M2 97c| nt , sur Edgar Poe . si , par le surréalisme , nous rejetons sans hésit

M2 100a| s défaillance aux engagements du surréalisme suppose un désintéressemen

M2 100b| sir de vérité , que cependant le surréalisme vivrait . de toute manière

M2 100c| à la réédition du _ manifeste du surréalisme _ ( 1929 )  d’ abandonner

M2 100e| compte rendu _ du ” manifeste du surréalisme _ paru dans _ l’ ” intran

M2 102c| ro spécial de _ variétés : _ ” le surréalisme en 1929 ” , que le peu d’

M2 102d|  que l’ aisance avec laquelle le surréalisme se flatte de _ remercier ,

M2 103b|  ?  _ merde . _ la confiance du surréalisme ne peut être bien ou mal

M2 105a|                 le surréalisme de l’ accusation de n’ êtr

M2 105d| le ) et , depuis son exclusion du surréalisme ,  ” les poilus ” , ” Je

M2 106b| ecture d’ un livre intitulé _ le surréalisme et la peinture _ où l’ au

M2 111a|  sens – rappelons que l’ idée de surréalisme tend simplement à la récup

M2 112a| utant les conquêtes possibles du surréalisme dans le domaine poétique

M2 113d| on ne s’ étonnera pas de voir le surréalisme , chemin faisant ,  s’ ap

M2 114a| , en passant , les transfuges du surréalisme pour qui ce que je soutien

M2 114d| oménologie de l’ esprit ) . _ le surréalisme , s’ il entre spécialement

M2 115a| s sociaux ? toute l’ ambition du surréalisme est de lui fournir des po

M2 115c|  crains pas de dire qu’ avant le surréalisme , rien de systématique n’

M2 116a| ement dit , la création du mot ” surréalisme ” seule nous en serait ga

M2 118c| rs heures , j’ ai dû défendre le surréalisme de l’ accusation puérile

M2 120a| er bruyamment ce qui ,  comme le surréalisme , leur a donné à penser le

M2 121a| ceux qui se détachaient ainsi du surréalisme mît idéologiquement celui

M2 121d| s , tel qu’ il s’ exerce dans le surréalisme , ce contrôle ne peut avoi

M2 123b| ux , _ pris aussi bien dans _ le surréalisme _ qui n’ a pas , ensuite ,

M2 124a| rales , dans la forêt immense du surréalisme pauvre petit coucher de so

M2 125a|  Marcel Fourrier , tout comme le surréalisme et moi , ont fait figure d

M2 128a|  aujourd’ hui _ bien revenus _ du surréalisme ,  sans en excepter un se

M2 128a| suite , pour montrer que , si le surréalisme se considère comme lié in

M2 131d|  première ? il est normal que le surréalisme se manifeste au milieu et

M2 132c|  un problème plus général que le surréalisme s’ est mis en devoir de so

M2 132d| t donc pas s’ étonner de voir le surréalisme se situer tout d’ abord pr

M2 132e| nt déchaînés auxquels Dada et le surréalisme ont tenu à ouvrir les por

M2 133c| ffre de plus en plus nombreux le surréalisme sous forme de livres , de

M2 134e| uelle qu’ ait été l’ évolution du surréalisme dans le domaine politique

M2 140d| s encore cessé d’ en réclamer le surréalisme , n’ aient été fournis dan

M2 141d| eur qu’ elles présentent pour le surréalisme tient , en effet , à ce qu

M2 142b| is loin du ” second manifeste du surréalisme ” … il ne faut pas multipl

M2 143b| r ce torpillage . on sait que le surréalisme s’ est préoccupé , par l’

M2 143e| e des ” complexes ” .  certes le surréalisme , que nous avons vu socia

M2 144d| hénomène de ” sublimation ” , le surréalisme demande essentiellement à

M2 146e| le . en poésie , en peinture , le surréalisme a fait l’ impossible pour

M2 149e|  , pour l’ expression valable du surréalisme . je nie , pour une grande

M2 149f| qu’ il appartiendra de dégager du surréalisme

M2 150b|  laquelle , d’ ores et déjà , le surréalisme nous échappe n’ est , d’ a

M2 150d| y ait grave inconvénient pour le surréalisme à enregistrer la perte de

M2 151b|  retenir , Desnos a joué dans le surréalisme un rôle nécessaire , inoub

M2 152c|  desquelles , chemin faisant , le surréalisme s’ est trouvé : marxisme

M2 161a| us la considérons , en dehors du surréalisme , comme la seule vraiment

M2 162c| e du _ grand jeu _ à l’ égard du surréalisme . on comprend mal que ce q

M2 163c| fficile qu’ aujourd’ hui seul le surréalisme poursuit . il y aurait de

M2 166d|  ou non quatre espèces . avec le surréalisme , c’ est bien uniquement

M2 167d| que nous aimons .  je dis que le surréalisme en est encore à la périod

M2 168b|  les idées bouleversantes que le surréalisme recèle apparaîtront dans

M2 169a| plus que jamais d’ actualité . le surréalisme a tout à perdre à vouloir

M2 169e| tation profonde , véritable _ du surréalisme . _ je proclame , en cette

M2 176e|  penser qu’ on ne peut sortir du surréalisme sans tomber sur M . Batail

M2 182a| ui avait eu lieu avant lui .  le surréalisme est moins disposé que jama

M2 104a| fiquement intellectuelle dont le surréalisme agace , sur leur propre te

M2 104d| ‘ est donc pas surprenant que le surréalisme se garde de l’ ambition de

M2 123a| e constatation , j’ estime que le surréalisme ,  _ cette toute petite p

M2 164a|  passage du ” second manifeste du surréalisme ”  était écrit depuis tro

M2 170a| ” qui voudrait qu’ à son tour le surréalisme finisse par des chansons ,

M2 173e| s possibilités d’ occultation du surréalisme , je me tourne vers ceux q

M2 174a| exprime astrologiquement dans le surréalisme d’ influence  ” uranienne

M3 194d| sion . il n’ est pas _ jusqu’ au surréalisme qui ne soit guetté , au bo

M3 194f| aut de beaucoup , déjà , _ que le surréalisme puisse couvrir tout ce qui

Sans entrer dans le détail, cette concordance, présentée dans l’ordre chronologique du texte, permet de voir rapidement combien le sens du terme s’est déplacé dans le Second Manifeste : alors qu’il désignait initialement une pratique, l’écriture automatique, il se pose désormais comme une collectivité liée à l’activité contemporaine, se voulant homogène, usant d’un ensemble de procédés de création tout en agissant sur le plan politique et social. De même, le texte est conscient de lui-même et se manifeste explicitement comme… un manifeste. On constate que le sort de Rimbaud est scellé alors que Lautréamont est sauvé par l’obscurité entourant son existence, ce qui explique l’usage exclusif de Maldoror dans ce deuxième manifeste, conscient d’être plus problématique, où les questions du matérialisme, de l’art et de la culture reviennent au premier plan. Si, comme il l’écrit lui-même, Breton procède à une vérification des comptes, Bataille, Naville, Desnos et Artaud reçoivent leur billet, tandis que Tzara y rentre en grâce. S’il nomme Marx exclusivement dans ce texte, il en fait autant et au même niveau pour Trotsky, mais aussi pour Nicolas Flamel, ce qui incitera les commentateurs à la plus grande prudence, comme pour la forte présence de l’âme (souvent par l’intermédiaire d’une citation). En revanche, on peut être sûr que le mot amour y est l’objet d’une préoccupation renouvelée, pour des raisons personnelles tout autant que pour combler le silence de la théorie marxiste à ce sujet et dissiper la confusion (emploi exclusif ici) qu’il voit à l’œuvre partout ailleurs.

Enfin, les Prolégomènes sont une réflexion sur le champ d’action du surréalisme ; ils mettent l’homme (et les hommes) en avant ; le souci de convaincre, d’accroître la connaissance, de dominer le système y commande, avec le retour du Père Duchesne déjà mentionné et la présence inusitée du destinataire tutoyé.

***

Admettons qu’au lieu de consulter attentivement les listes produites par l’automate, je me sois contenté de lire ce Manifeste du surréalisme en y portant une attention flottante, propice à toutes les associations d’idées. J’aurais probablement mis en évidence les thèmes les plus évidents et les plus récurrents, me serais attardé sur certaines phrases auxquelles j’acquiesce immédiatement (« à quand les philosophes dormants » 25, et les critiques donc !) ; j’aurais relevé les propos rencontrant mes propres préoccupations (« Je m’étais mis à choyer immodérément les mots » 37) ; ma pensée aurait pris son élan sur les mots soulignés dans le texte, typographiquement distingués par l’italique, donc ceux sur lesquels l’auteur souhaitait attirer explicitement mon attention (en dehors des titres et des mots étrangers qui résultent de l’application d’une convention). Le contraire, en fait, de la distraction !

J’en conviens : la méthode suivie jusqu’ici n’est pas universelle. Elle exige une initiation au traitement automatique des discours et, de fait, elle n’est qu’une aide à l’analyse des textes. Et je me suis borné à survoler ses résultats. Mais, sans elle, je n’aurais pas indiqué avec une certitude absolue l’absence de certains termes, la présence relative d’autres, et je n’aurais certainement pas remarqué ces concepts-clés qui structurent le texte au-delà de toute volonté explicite et lui donnent un caractère exceptionnel (esprit, pensée, vie, etc.)[14]. Ainsi en va-t-il encore avec le vocable homme, dont j’ai dit précédemment que, dans les textes français, il venait toujours en tête des substantifs. Ici, il n’est qu’en troisième position, après surréaliste et esprit (mais avant rêve), ce qui montre les priorités immédiates aux yeux de Breton. Lequel ne va pas jusqu’à bannir l’individu de ses préoccupations, puisque même la voix intérieure lui souffle : « il y a un homme coupé en deux par la fenêtre » (39). Phrase si importante qu’elle est à l’origine du surréalisme, comme l’a bien confirmé rétrospectivement Aragon dans un mémorable article des Lettres françaises[15]. Davantage, cette phrase, sur laquelle le rêveur médite, le conduit à poser des vérités définitives, telles que « le langage a été donné à l’homme pour qu’il en fasse un usage surréaliste » (55) ou encore « l’homme est soluble dans sa pensée » (66). En d’autres termes, l’être humain reste bien au cœur des préoccupations du surréalisme et d’André Breton en particulier. De là à prétendre que le surréalisme est un humanisme, il y a un fossé que je me garderai de franchir ici, à partir du seul Manifeste du surréalisme. Tout de même ! tout de même ! aurait dit Breton.

Henri BÉHAR


[1]. Tant dans sa thèse, André Breton et la naissance de l’aventure surréaliste, Corti, 1975, que dans ses notes à l’édition des Œuvres complètes de Breton dans la Bibliothèque de la Pléiade (t. I, 1988).

[2]. Pascal Durand, « Pour une lecture institutionnelle du Manifeste du surréalisme », Mélusine, n° VIII, 1986, pp. 177-196.

[3]. Gallimard, Foliothèque, 2002.

[4]. Les numéros de page entre parenthèses renvoient au texte de l’édition Pauvert, 1962.

[5]. Sur l’usage possible de cet automate, voir mon ouvrage : La Littérature et son golem, Honoré Champion, 1996. Rabbi Loew, dit le Maharal, vécut à Prague au tournant du XVe s. La légende lui attribue la création du Golem.

[6]. Déçu par une dizaine d’années d’expérimentation, Breton déclare : « L’histoire de l’écriture automatique dans le surréalisme serait, je ne crains pas de le dire, celle d’une infortune continue ». Point du jour, Idées/Gallimard, p. 171.

[7]. Cet article fut écrit à la demande de Bruno Pompili, Manifesto 24, Bari, 2006, B.A. Graphis, 172 p.

[8]. Voir la notice de Marguerite Bonnet dans les Œuvres complètes de Breton, t. I, p. 1332, et mon André Breton le grand indésirable, nlle éd. Fayard, Paris, 2005.

[9]. Lettre de Breton à sa femme, sur papier à en-tête de l’Hôtel du Saumon, à Verneuil, 9 novembre 1924 (coll. particulière).

[10]. Parus en octobre 1924 chez Jean Budry, illustrés par Picabia. Je me réfère au texte repris dans les Œuvres complètes de Tzara, t. I, 1975, annoté par mes soins.

[11]. Aragon, « Une vague de rêves », Commerce, n° 2, automne 1924, pp. 89-122. Je cite d’après les Œuvres poétiques, livre club Diderot.

[12]. Voir à ce sujet mon étude « Proteste au poing levé » dans Littérupture, L’Age d’Homme, 1988.

[13]. Le processus est un peu plus complexe. Il consiste à comparer la fréquence absolue d’un mot donné dans un texte, par exemple « surréalisme » (19 occurrences dans le Manifeste) à la fréquence totale dans le corpus entier (91 dans l’ensemble des manifestes), en la rapportant à sa probabilité mathématique, si les mots avaient été également répartis en fonction de la longueur des textes.

[14]. Comparer ces résultats au chapitre I de : Michel Meyer présente Manifestes du surréalisme d’André Breton, Gallimard, Foliothèque, 2002.

[15]. Aragon, « L’homme coupé en deux », Les Lettres françaises, 8 mai 1968, pp. 3-9, repris dans Aragon, L’Œuvre poétique, Livre Club Diderot, 1974.

Travaux sur Dada

Travaux sur Dada

d’Henri Béhar

liste mise à jour le 04/03/2018

[Télécharger cette liste]

Livres

Étude sur le théâtre dada et surréaliste, Paris, Gallimard, 1967, 358 p. coll. « Les Essais ». Traduction en japonais, espagnol, polonais, italien.

Nouvelle édition revue et augmentée: Le Théâtre dada et surréaliste, Idées/Gallimard, 1979, 444 p.

Dada, histoire d’une subversion, (en collaboration avec Michel Carassou), Paris, Fayard, 1990, 264 p. Nouvelle édition en 2005. Traduction espagnole, éd. Peninsula, 1996 ; traduction japonaise, éd. Shi Sho Sha, 1997 ; traduction chinoise, éd. Gankui Normal University, 2003.

Direction de revues, ouvrages et collections

1 à 3. Cahiers Dada-Surréalisme, Paris, éd. Minard, 1966-1969.

« Collection Dada » (éd. Dilecta)

Tristan Tzara, La Première Aventure céleste de M. Antipyrine, ill. de Marcel Janco, 2005. TristanTzara, 7 Manifestes Dada, ill. Francis Picabia, 2005.

TristanTzara, Vingt-cinq poèmes, ill. Hans Arp, 2006.

TristanTzara, Cinéma Calendrier du cœur abstrait, ill. Hans Arp, 2006.

Dada, circuit total, (en collab. Avec Catherine Dufour), Lausanne, L’Age d’Homme, 2005.

Contribution à des ouvrages collectifs

Article « Dada », dans Encyclopaedia Universalis.

Chapitre Dada-Tzara dans Histoire littéraire de la France, Paris, Editions sociales, 1979, pp. 203-209.

Notices : Dada, Ionesco, Jarry, Surréalisme, Vitrac, dans: Enciclopedia del teatro del ‘900, a cura di Antonio Attisani, Milan, Feltrinelli, 1980.

Section « Poétique comparée », dans : Recherche et pluridisciplinarité, Actes du colloque de Gif-sur-Yvette. Université de la Sorbonne Nouvelle, 1982, pp. 249-331.

Notices de littérature dans le Grand Dictionnaire encyclopédique, Paris, Larousse, 1982.

Notices sur Baron, Collage, Congrès, Critique, Dada, Insolite, Théâtre, Titres, Tzara, Valençay, Vitrac et diverses oeuvres dans Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs, Fribourg, Office du Livre, Paris, P. U. F. 1982.

Notices de littérature française contemporaine (auteurs, personnages, thèmes, terminologie) dans Dictionnaire historique, thématique et technique des littératures françaises et étrangères, anciennes et modernes, sous la direction de Jacques Demougin, Paris, Larousse, 1985.

« Usages poétiques de la langue : Dada et surréalisme », dans Histoire de la langue française 1914-1945, sous la direction de Gérald Antoine et Robert Martin, CNRS Editions, 1995, pp. 567-595.

Préface d’Henri Béhar : « Nul n’est prophète en son pays », dans : Erwin Kessler : Tzara. Dada. Etc.

Catalogue de 100 items provenant de la collection de Emilian Radu, commenté par Catalin Davidescu.

Ed. Arcub, Bucarest, 244p. bilingue.

Articles

« Aventure et Dés », Cahiers Dada Surréalisme, n° 1, 1966.

« Fallait-il fusiller Dada ? » Les Nouveaux Cahiers, n° 5, juin 1966.

« Avant le mouvement, le groupe de Nantes », Dada, surrealismo: precursores, marginales y heterodoxos, Cadiz, 1986, pp. 77-80.

« Dada comme nouvelle combinatoire », Avantgarde, Amsterdam, n° 1, 1987, pp. 59-68.*

« Dada spectacle » dans : Vitalité et contradictions de l’avant-garde. Librairie José Corti, 1988, pp. 161-170.

« Tristan Tzara historiographe de Dada», Mélusine, n° V. pp. 29-40.

« La parenthèse dada» [Aragon], Europe, n° 745, mai 1991, pp. 34-44.

« Dada : une internationale sans institutions ? » dans : Les Avant-gardes nationales et internationales. Libération de la pensée, de l’âme et des instincts par l’avant-garde. Textes réunis par Judit Karafiath et Gyorgy Tverdota. Budapest, 1992 Argumentum, pp. 55-61.

« Philippe Dada ou les défaillances de la mémoire», [Soupault] Europe, mai 1993, n° 769, pp. 7-14.

« Éluard et le fou allié dada », dans Les Mots la vie, revue sur le surréalisme [sic], « Éluard a cent ans », actes du colloque de Nice (janvier 1996), n° 10, 1998, pp. 13-33.

« Le simultanéisme Dada », dans Les Avant-gardes et la tour de Babel, interaction des arts et des langues, sous la direction de Jean Weisgerber, Lausanne, L’Age d’Homme, 2000, pp. 37-44.

« Tzara, Dada et le surréalisme», Itinéraires et contacts de cultures, n° 29, Tristan Tzara, lesurréalisme et l’internationale poétique,2000, pp. 13-19.

« Dada comme phénomène européen. Irruption de l’inconscient dans la littérature », RILUNE(revue électronique), n° 6, 2007.

« Dada est un microbe vierge, la psychanalyse une maladie dangereuse», in Hypnos, esthétique, littérature et inconscients en Europe (1900-1968) études réunies et présentées par Frédérique Toudoire-Surlapierre et Nicolas Surlapierre, éditions l’Improviste, 2009, p. 191-212.

« Dada in Context », p. 5-17, dans : Collegium, vol. 5, Writing in Context: French Literature, Theory and the Avant-gardes L’écriture en contexte : littérature, théorie et avantgardes françaises au XXe siècle. Edited by Tiina Arppe, Timo Kaitaro & Kai Mikkonen (2009) http://www.helsinki.fi/collegium/e-series/volumes/volume_5/index.htm

« La provocation est-elle une catégorie dramaturgique ? l’exemple du théâtre dada et surréaliste », dans : Jaak van Schoor & Peter Benoy (red), Historische avant-garde en het theater in hetinterbellum, éd. ASP, Bruxelles, 2011, p.59-74.

« La Colombe poignardée : Dada politique », Dada and Beyond, Volume 1: Dada Discourses, Edited by Elza Adamowicz and Eric Robertson, Amsterdam/New York, NY, 2011. 246 pp. (Avant-Garde Critical Studies 26), p. 21-35.

« Écoutez la chanson dada», CaieteleTristan Tzara, t. III, 2013,p. 243-246.

Conférences

2012/10/21 Belgrade: “La Fille née sans mère”

2016/avril/8 Zurich: cinquantenaire expo Paris MNAM

2016/mai/27 Paris Ambassade de Roumanie, “Pourquoi je n’écrirai pas le tombeau de Tzara

2016/juin/24 Firenze: ‘DADA da 100… ma non le dimostra’

2016/avril/08 Le Cinquantenaire Dada à Paris

[Conférence prononcée au Cabaret Voltaire, à Zurich, le 8 avril 2016, lors du colloque Le Retour de Dada]

2016/nov./10-11; Moscou, Dada a 100 ans, “Dada approximatif”

2018/02/13 Lumière noire : Tristan Tzara et ses « poèmes nègres »

Conférence donnée au musée d’Orsay, lors de l’exposition Dada Afrika du 18 octobre 2017 au 19 février 2018

 

Cinquantenaire Dada à Paris

LE CINQUANTENAIRE DE DADA À PARIS

[Conférence prononcée au Cabaret Voltaire, à Zurich, le 8 avril 2016, lors du colloque Le Retour de Dada]

[Télécharger cet article en PDF]

Puisque l’heure est aux confidences, permettez-moi de vous en faire une, préalablement à toute évocation du cinquantenaire de Dada à Paris, en 1966. Je dois vous avouer que cette intervention m’a été suggérée par les étonnements et les interrogations d’Agathe Mareuge, sa curiosité quand je lui ai parlé des débuts de mes recherches sur Dada, il y a un peu plus de cinquante ans.

Je vous parlerai donc de ce qui s’est passé à Paris lors du cinquantenaire de Dada, de ce que les autorités culturelles ont pu organiser, de ce que les individus ont voulu de leur côté, et, notamment les anciens membres du Mouvement Dada encore actifs.

Puis, j’essaierai d’en tirer quelques conclusions, tant au plan institutionnel que mémoriel.

Je ne vous cacherai pas que c’est pour moi un exercice de remémoration très difficile, car il va à l’encontre de ce que j’ai toujours enseigné et pratiqué comme chercheur. Il n’est pas d’usage que l’historien se mette en scène, ni même qu’il intervienne lorsqu’il traite d’un événement auquel il a assisté. À plus forte raison lorsqu’il y a pris part, au premier plan parfois. Je sollicite par conséquent votre compréhension et votre indulgence pour la tournure personnelle que prendra cet exposé. L’exercice est rendu d’autant plus difficile que mes archives sont désormais déposées à l’IMEC (Institut Mémoire de l’Édition Contemporaine), et que je n’ai pas eu le loisir de me rendre à l’abbaye d’Ardenne pour en tirer quelques pièces à conviction.

Contexte

Reportons-nous, voulez-vous, au début des années 60. Le sort a voulu que je tombasse malade, suffisamment atteint pour séjourner pendant plus d’un an dans ce qu’on nommait pudiquement l’Université des neiges, un sanatorium de la Fondation Santé des étudiants de France, qui avait pour objectif de faire en sorte que les pensionnaires poursuivent leurs études tout en se soignant. Une radio intérieure était mise à la disposition des patients, qui, outre le traditionnel « disque des auditeurs », pouvaient y donner lecture de leurs créations littéraires, débattre du dernier film projeté dans la salle de spectacles, et même réaliser de véritables émissions, avec des apprentis comédiens et un environnement sonore souvent convaincant. Ayant lu l’Histoire du surréalisme proposée par Maurice Nadeau, qui fut longtemps le seul ouvrage sérieux consacré à la question, j’avais été intrigué par la dizaine de pages qu’il y consacrait à Dada. Il y était question de l’umour (sans H) de Jacques Vaché, des manifestes Dada, du procès Barrès, et du « soulagement » [textuel] qu’éprouvèrent Breton et ses amis en le quittant. Outre la brièveté de l’historien, il y avait des impasses, des questions qui demandaient élucidation. Je décidai donc d’éclairer tout cela, autant que faire se pouvait, au cours d’une émission radiophonique qui, je dois l’avouer, eut son petit succès, tant les animateurs s’étaient pris au jeu.

Lorsque vint le temps de choisir un sujet de maîtrise, ce qu’alors on nommait le Diplôme d’études supérieures (DES), je ne pouvais choisir d’autre sujet que Dada, à condition de trouver un directeur assez audacieux pour me guider sur les chemins escarpés de la recherche littéraire, surtout à propos d’un mouvement qui n’avait pas droit de cité dans l’université. Rappelez-vous, combien de lignes lui étaient consacrées dans les manuels du temps, dans le Lagarde et Michard du XXe siècle, par exemple, pour citer le moins mauvais ? J’y reviendrai. Le fait est que je soutins le premier travail du genre à l’Université de Grenoble, en octobre 1962, ce qui me fait dire que je suis le premier à avoir fait pénétrer Dada à l’université. Pourquoi en octobre ? parce qu’il m’avait fallu, auparavant, achever une licence d’espagnol et surtout, à Paris où j’avais été élu à la vice-présidence de l’UNEF, m’occuper du sort de mes condisciples, et surtout des rapatriés qui nous arrivaient par flots inattendus, que le mouvement étudiant avait toutes les raisons d’accueillir convenablement puisqu’ils n’étaient pas responsables des fautes de leurs pères.

Notez bien la date, c’était 3 ans avant la thèse de Michel Sanouillet, publiée sous le titre Dada à Paris, chez J.-J. Pauvert en 1965. C’est d’ailleurs en cherchant des ouvrages sur Dada et le surréalisme dans la boutique de l’éditeur Éric Losfeld, le Terrain vague, que je fis la rencontre de ce chercheur, un français détaché au Canada, qui discutait de la collection qu’il y dirigeait.

Qui écrira le rôle précieux que jouèrent certains libraires dans la diffusion des idées et la constitution des groupes de réflexion ?

Explorant le même champ, ou presque, nous avons tous deux sympathisé et véritablement échangé nos connaissances, notre carnet d’adresses aussi. Si j’en avais, apparemment fini avec Dada (ayant, dans la foulée, inscrit un sujet de thèse sur Roger Vitrac, dont Jean Anouilh venait de monter Victor ou Les Enfants au pouvoir), Sanouillet avait l’intention de soutenir bientôt un travail élaboré depuis plus de 15 ans.

Ici, je dois dire que, quel que fut son égarement après 1968, il ne m’a jamais ennuyé au sujet de mes opinions, tant pour l’appréciation que nous portions sur Dada, que sur notre engagement politique. Il connaissait mes positions syndicales et partisanes. Lui-même professait une forme d’anarchisme. Depuis, j’ai appris qu’il existait un courant anarchiste de droite, selon les idéologues. Il est donc tombé à droite, tout en demeurant anarchiste.

Dernier survivant du quatuor fondateur, il m’échoit de dire ce que fut l’Association pour l’Étude du Mouvement Dada, que je m’en fus déclarer à la préfecture de police de Paris le 14 octobre 1964. Elle avait alors un président, Michel Sanouillet, un Vice-président, Yves Poupard-Lieussou, un Trésorier, François Sullerot, et un Secrétaire, moi-même. Ma chambre d’étudiant servait de siège social. Son objectif était d’approfondir la connaissance du mouvement, de publier le maximum d’inédits, de recueillir ce qui pouvait l’être de la présence de Dada sur la terre. Lieussou, comme il se nommait à l’état civil, était proche, juste avant la Seconde Guerre mondiale, du groupe des Réverbères. Il était surtout connu comme collectionneur de productions dadaïstes, et, pour nous, il était un généreux prêteur. Fort amateur de Jarry, Sullerot était aussi, modestement, collectionneur. Un homme de raison s’il en fut. J’avais fort à faire à compromettre le maximum d’universitaires, les sommités sorbonnardes de l’époque, en les invitant à adhérer à cette nouvelle association. Sanouillet, qui bénéficiait d’une année sabbatique pour achever et soutenir sa thèse, était dans les affres de la dernière ligne droite. Nous organisâmes des réunions où les derniers acteurs et témoins des combats dadaïstes vinrent nous dire, chacun à sa façon, ce que Dada représentait à leurs yeux. J’ai conservé d’étonnants enregistrements de Gabrielle Buffet-Picabia (1881-1985), dont la voix, claire et sonore, nous rappelait comme s’il était présent, les propos de Marcel Duchamp (1887-1968) et de son ex-époux à l’Armory Show de New York. De passage à Paris, venant d’Israël où il avait fondé une colonie d’artistes, Marcel Janco (1894-1982) nous parlait en un français parfaitement timbré des folles journées de Zurich. J’ai réécouté cet enregistrement il y a peu. Figurez-vous qu’il réussit la gageure de ne pas prononcer une seule fois le nom de son complice des temps héroïques, Tristan Tzara. Avec son intonation fabuleuse, Man Ray (1890-1976) évoqua ses origines, alors inconnues, l’émergence du mouvement dada à New York, en somme, et d’une manière extrêmement vivante, ce qu’il allait publier dans son livre de souvenirs. Jacques Baron occupa la séance suivante. La première année de l’Association fut couronnée par un banquet en l’honneur de Marcel Duchamp. La photographie immortalisa l’événement, à la manière des fêtes symbolistes. Elle a été publiée dans un bulletin unique, la Revue de l’association pour l’étude du Mouvement Dada, que Losfeld tira à mille exemplaires, pour le moins. Cet ouvrage de 104 pages est orné, en couverture, de la photo de l’urne de Marcel Duchamp. Macabre plaisanterie à laquelle l’intéressé s’était prêté de bonne grâce, je dirais même avec une indifférence amusée. Le matin, nous étions allés au BHV, nous deux, Sanouillet et moi, acheter une urne en terre cuite. Sachant que Marcel fumait constamment le cigare, même pendant le repas, nous la glissâmes à sa droite, afin qu’il puisse y laisser ses cendres. Après quoi l’un de nous (Noël Arnaud, me semble-t-il) rédigea un procès-verbal attestant que l’urne contenait bien les cendres de Marcel Duchamp. Il fut signé par Duchamp, puis scellé et conservé par Poupard-Lieussou. En tant que secrétaire, m’échut la responsabilité de la revue.

J’eus l’idée saugrenue d’y publier le procès-verbal de l’assemblée générale annuelle, ce qui nous valut de sérieuses discussions sur la place de certaines virgules et points-virgules. Riche idée, en fait, puisqu’elle me fournit le moyen de rapporter, sans faille, les prémisses de l’association. Avant de clore l’Assemblée, le poète Claude Sernet fit adopter une motion décidant que nous célébrerions le cinquantenaire du premier Manifeste Dada, le 8 février 1966.

Ce bulletin est d’autant plus précieux qu’il dresse la liste des adhérents, avec leur adresse personnelle. Parmi eux, les territoriaux du Mouvement, je veux dire les membres d’honneur, inscrits là en raison de leur rôle passé… Outre ceux que j’ai déjà nommés, il y avait, dans l’ordre alphabétique : Jean Arp, Jacques Baron, Germaine Everling-Picabia, Julius Evola, Claire Goll, Gabrielle Gray, Raoul Hausmann (18 861 971), Walter Mehring, Olga Picabia, Georges Ribemont-Dessaignes (1884-1974), Hans Richter, Christian Schad (1894-1982), Béatrice Wood, Christophe Tzara (au nom de son père, décédé le 24 décembre 1963) et F. de Zayas. Je ne dis pas qu’ils avaient tous participé aux exploits de Dada, en France, en Allemagne, ou aux États-Unis, mais tous avaient des raisons de figurer sur nos tablettes. Et, comme on le voit, nous n’hésitions pas à convoquer, à la même séance, toutes les épouses de Picabia. Il faudrait y ajouter Georges Hugnet (1906-1974), le premier historien du mouvement, Youki Desnos, qui vint se joindre à nous lors d’un autre dîner, et Max Ernst, dont je parlerai ci-après. Ce sont à peu près tous les survivants de la terrible aventure, et plus encore, des horreurs de la guerre mondiale ou du goulag soviétique. À cet égard, je dois nommer les roumains Sacha Pana, l’éditeur des Premiers poèmes (roumains) de Tristan Tzara, que j’avais fait venir à Paris, et l’impayable Jacques Costine (18 951 972), installé depuis peu parmi nous. Il figure sur une photographie de Bucarest parmi les collaborateurs d’une revue roumaine, au côté de Tzara. D’autres vinrent nous rejoindre, au gré de nos activités. Je m’étonne de ne pas trouver le nom de Philippe Soupault (1897-1990), que je connaissais pourtant depuis mes premières recherches parisiennes. Fidèle à ses habitudes, il devait voyager, pour oublier ses ennuis personnels. En 1963, il avait publié ses Profils perdus, au Mercure de France, et il me disait la difficulté qu’il avait rencontrée à écrire le chapitre « Les Pas dans les pas », où il s’était efforcé de retrouver fidèlement le fil des événements, et leur retentissement chez lui et ses camarades.

Et Breton ? direz-vous. Je vous répondrai franchement qu’il avait refusé de figurer parmi les membres de droit de l’association, précédemment nommés. Comme je vous vois avides d’en connaître la raison, j’anticipe sur la suite de mon récit en citant dès maintenant la réponse écrite que me fit Marguerite Bonnet. Elle est reproduite dans la revue : « « Ne craignez-vous pas qu’il soit trop tôt », me demandait-elle, en arguant du fait que les personnes sur lesquelles porteraient nos investigations étaient encore vivantes, qu’elles verraient d’un mauvais œil cette sorte d’ingérence dans leurs affaires personnelles, serait-ce au nom de l’histoire. Elle poursuivait : « je ressens pour ma part très vivement les indiscrétions que le métier m’oblige à commettre et ne me reconnais le droit de retenir des documents rencontrés que ce qui intéresse l’histoire des idées ». En somme, elle reprenait à son compte l’argument de la vieille Sorbonne qui n’admettait d’inscrire des thèses que sur des auteurs morts. Sachant sa proximité avec André Breton, qu’elle consultait quasi quotidiennement pour sa thèse (laquelle devait arriver à soutenance dix ans plus tard), elle parlait en son nom, reprochant implicitement à Michel Sanouillet l’aspect trop individuel de son récit historique, au détriment des idées générales. C’était pourtant lui, Breton, qui avait libéralement confié ses propres documents au chercheur. Il faut croire que, sous la pression de ses « jeunes amis », comme il se plaisait à les désigner, il avait refermé la porte du libéralisme.

Méconnaissance générale

Je reviens à mon propos : peu avant le cinquantenaire de Dada, il y avait donc un certain nombre d’anciens participants ou témoins qui ne demandaient pas mieux que de contribuer à écrire l’histoire du mouvement, à sortir les documents des malles poussiéreuses dans lesquelles ils étaient enfermés depuis leur jeunesse. D’autres se refusaient à un tel travail de mémoire, le renvoyant après leur mort. Reste que nous avions été mandatés pour commémorer, à une date fort précise, la naissance de ce mouvement encore inconnu des ouvrages de référence et je dirais même de l’opinion publique. Dada ne disait plus rien à personne !

Pour fixer les idées, voici la définition qu’en donnait le Larousse du XXe siècle (vol. 2, p. 649) : « Dénomination volontairement vide de sens, adoptée par une école d’art et de littérature apparue vers 1917, et dont le programme, purement négatif, tend à rendre extrêmement arbitraire, sinon supprimer complètement, tout rapport entre la pensée et l’expression (on dit aussi DADAÏSME). Adjectiv. : l’école DADA. » De même proportion, la partie encyclopédique de la notice nommait Tzara, Soupault, Ribemont-Dessaignes et Breton. C’est dire combien Dada était réduit à son podium français ! Qu’est-ce que les jeunes gens de la bourgeoisie pouvaient en savoir dans les lycées de la quatrième République ? Lisons le manuel le plus représentatif de l’époque. Pour le XXe siècle, messieurs Lagarde et Michard consacraient un paragraphe, je dis bien un paragraphe, au dadaïsme, caractérisé comme une révolte totale, aboutissant à la désagrégation du langage. Le manifeste Dada 1918 y servait d’argument, suivi, selon les principes de la collection, de la reproduction intégrale du poème « Hirondelle végétale », provenant de De nos oiseaux. Et c’est tout. Constatant l’indigence manifeste des outils pédagogiques, supposés divulguer ce mouvement, je demandai alors à André Tinel de mener une enquête parmi les ouvrages que je qualifierai de « prescripteurs ». Son rapport parut dans le numéro suivant de la revue, qui s’était, entre-temps, muée en Cahiers dada surréalisme, aux éditions Minard. Comme il fallait s’y attendre, le constat était radical et sans appel. Sur la quarantaine d’ouvrages examinés, en usage dans les classes du premier cycle de l’enseignement secondaire, « aucun de ces livres ne propose de textes dada, et la moitié seulement d’entre eux quelques textes signés par des surréalistes » écrivait-il (n° 1, p. 76). Ne croyez pas que la proportion s’inversait dans le 2e cycle. Tel était le désert sur lequel nous devions naviguer, sans même pouvoir renvoyer les curieux vers les institutions consacrées aux arts plastiques.

Le Musée national d’art moderne avait été dirigé, de 1945 à 1965, par un fin connaisseur, Jean Cassou, ami de Tristan Tzara. On ne pouvait trouver un conservateur, doublé d’un historien de l’art, plus averti de la production artistique contemporaine. Cet établissement, dis-je, ne comportait aucune salle explicitement consacrée à Dada. Ce qui ne signifie pas absence des œuvres étiquetées Dada, mais la plupart étaient englobées dans le concept plus général de surréalisme. Ainsi, le Panorama des arts plastiques contemporains, brossé par le même Jean Cassou en 1960, consacrait-il un fort chapitre au surréalisme, lequel englobait Dada.

État de l’art

Si l’on veut savoir ce que les amateurs, et même les savants austères pouvaient connaître de Dada en ce début des années 60, je renverrais volontiers le lecteur à la bibliographie de mon mémoire de diplôme, qui avait le mérite, à mes yeux, de dresser la liste des ouvrages que j’avais pu consulter pour mener à bien ma recherche. Parmi lesquels l’Histoire de la littérature française d’Henri Clouard, qui consacrait généreusement deux pages à Dada, le Courrier Dada de Raoul Hausmann (1958), L’Aventure dada, de Georges Hugnet (1957), Dada painters & poets de Robert Motherwell (1951), l’Histoire de la peinture surréaliste, de Marcel Jean (1959), Déjà jadis, de Georges Ribemont-Dessaignes, les petits livres de la collection « Poètes d’aujourd’hui » chez Seghers, et, bien entendu, les ouvrages et les témoignages des poètes ou des peintres en question. Pour davantage de précisions, le lecteur se reportera à l’article de François Sullerot dans ce numéro de la revue de l’association. Il avait eu l’heureuse idée de fournir un « Aperçu analytique des livres consacrés au mouvement dada jusqu’à 1962 ». Outre ceux que j’ai cités précédemment, il y avait Alfred Barr : Fantastic art, Dada, Surrealism (1937) ; Willi Verkauf, Dada, Monographie d’un mouvement, trilingue (1957) ; le Berlin dada de Walter Mehring (1959) ; et Dada profile de Hans Richter (1961), tous deux en allemand. Suivait la bibliographie des ouvrages consacrés au mouvement entre 1962 et 1963, établie par Poupard-Lieussou, suivie d’une liste des catalogues d’exposition durant la même période.

L’autonomie de Dada contestée

Pour satisfaire votre légitime curiosité, je vous ai révélé à l’avance la raison du refus d’André Breton d’apparaître sur notre registre. Derrière cela, il y avait une raison obscure, qu’aucun document ne pourra confirmer. C’est le fait que l’auteur de Nadja, mécontent du passé, ne tenait pas à rouvrir des plaies anciennes, les reproches qu’il s’était adressés, ceux qu’il avait subis de la part de ses plus proches amis. Un indice, pour faire court. C’est durant son séjour forcé à New York que Charles Duits l’entendit articuler un propos constatant, l’expérience aidant, qu’au fond « il avait trop vite présumé de l’avenir. La révolte pure ne menait nulle part, mais rien de solide n’avait établi les orientations appelées de ses vœux ». Nous touchons ici à la plus grande escroquerie du siècle, pour m’exprimer comme Tzara. À son corps défendant, Dada s’est vu réduit par les historiens de l’art et de la littérature à une simple phase préliminaire, « une parenthèse Dada », pour le dire comma Aragon. L’antichambre du surréalisme, pour tout dire. Je l’affirme d’autant plus clairement que j’ai moi-même prêté la main à ce détournement intellectuel. Je plaide coupable, mais je demande à bénéficier de circonstances atténuantes, dans la mesure où le surréalisme, en son entier, nous y poussait, en procédant de même. Il n’y avait plus qu’un seul concept, dominant la pensée occidentale. Le surréalisme recouvrait tout, c’était alors l’étiquette universelle, tolérant, ici ou là, de notoires exceptions pour quelques individus nommés Duchamp ou Picabia. Dada se trouvait écrasé par le rouleau compresseur. Constatant ce fait, j’avais proposé, et obtenu, que l’association ajoute le terme « surréalisme » dans sa dénomination. Ce qui me valut de vives protestations d’adhérents qui se refusaient à mélanger l’un et l’autre. Jean Ferry était le plus virulent d’entre eux ; Noël Arnaud dénonçait cette tentative de réduction. Il y voyait la disparition, à court terme, des investigations relatives à Dada. J’attribuai la réaction du premier à l’une de ces raisons intimes que redoutait Marguerite Bonnet. Pour le second, passé par Les Réverbères puis La Main à plume et Le Surréalisme révolutionnaire, pour aboutir au Collège de Pataphysique, comment ne pas y voir des conflits historiques, jamais exposés ni résolus ?

En vérité, la question des rapports entre Dada et le surréalisme ouvre un chapitre trop long pour être traité ici. Achevé d’imprimer le 3 novembre 1965, ce bulletin ne pouvait mentionner le vernissage de la XIe exposition internationale du surréalisme intitulée

« L’Écart absolu » qui se tint à la galerie de la revue L’Œil, rue Séguier, à Paris. C’est dire combien le surréalisme, qui prétendait avoir supplanté Dada, était encore vivant et, je dirais même, encore mordant.

J’achèverai la lecture de cet unique numéro en citant l’annonce concernant le cinquantième anniversaire de Dada. Il y était affirmé qu’à cette occasion, « l’Association projette d’organiser une importante rétrospective Dada (1916-1923), exposition tournante qui débuterait à Zurich vers le printemps, pour se terminer à Paris où d’ailleurs des pourparlers sont déjà engagés avec le Musée National d’Art Moderne. » Entrefilet non signé, que j’ai tout lieu d’attribuer au responsable de la publication, Henri Béhar. Le laisser-aller, l’imprécision de cette notule laisse entendre que l’organisation de l’exposition, telle que la voulait l’association, n’allait pas de soi.

Trois obstacles

En effet, il n’est pas très courant qu’une association sans but lucratif, dépourvue de crédits, se mêle de promouvoir une exposition impliquant une institution nationale et même un autre musée, à l’étranger.

Les obstacles allaient s’accumulant. Jean Cassou avait laissé sa place à Bernard Dorival, un normalien, professeur et historien d’art qui l’avait remplacé durant le temps de sa mise à l’écart par le gouvernement de Vichy. Le fait qu’il ait été son adjoint pendant vingt ans, qu’ils aient fait du musée français l’un des plus riche au monde, montre qu’ils avaient fini par s’entendre. Mais leurs goûts, leurs idées, leurs caractères les opposaient toujours. J’en pris la mesure lorsque je le rencontrai dans son bureau, avenue du Président Wilson. Heureusement, il avait pour adjoint le regretté Michel Hoog, un homme courtois, fin diplomate, connu pour arriver à ses fins sans froisser personne. C’est à lui que j’eus affaire le plus souvent pour discuter des grandes lignes de l’exposition souhaitée.

Autre difficulté, propre au Mouvement Dada : comment parler de Dada, comment montrer les nombreux produits de son activité sans en trahir l’esprit, dans la mesure où il avait crié à la mort de l’art, prôné la destruction totale ? De cela j’avais parlé avec Max Ernst, en sollicitant son appui. Il me répondit : « Dada était une bombe. Qui s’emploierait à en recueillir les éclats, à les coller ensemble et à les montrer ? Que sauront-ils de plus ? On va leur montrer des objets, des collages. Par cela, nous exprimions notre dégoût, notre indignation, notre révolte. Eux n’y verront qu’une phase, qu’une “étape” comme ils disent, de l’Histoire de l’Art ». Cette réponse, frappée au coin du bon sens, a été souvent reprise, et je me suis aperçu, peu après, qu’il l’avait déjà confiée à un journaliste. Seulement il avait oublié le cadre dans lequel nous étions. Il s’agissait de la Galerie Carré, le soir du vernissage du Cheval majeur de DuchampVillon ! Comme on le voit, il soulevait une contradiction majeure, inhérente à la pratique de Dada, mais il n’était pas à l’abri lui-même des contradictions.

Quant à l’Association, sa doctrine était clairement établie dès avant sa fondation. Il n’était pas question de refaire dada, dans aucun des sens du mot refaire. D’une façon générale, nous choisissions la tenue la plus classique possible, pour parler du Mouvement, pour le montrer et pour l’étudier. À la formule de Max Ernst, j’opposais la pratique du grand quotidien du soir, comme on le nommait alors. Le Monde avait choisi des caractères gothiques pour sa manchette, et il n’était pas question de changer la maquette comme on change de chemise, alors que le contenu était porteur des nouvelles les plus violentes aussi bien que les plus hilarantes !

Le catalogue

Une fois signé le contrat entre le Directeur du Kunsthaus de Zurich, René Wherli, et Bernard Dorival, il nous restait à rassembler le matériel qui devait être exposé, sachant que la ligne générale suivrait le principe d’exposition le plus simple et le plus clair, sans prétendre ni à reconstituer une exposition passée, ni à nous donner des allures de dadaïstes. Poupard-Lieussou, qui connaissait quasiment tous les détenteurs d’œuvres dadaïstes, se chargea d’en soumettre la liste à nos interlocuteurs. Il rédigea aussi les notices des dadaïstes de tous les pays, qui devaient constituer l’essentiel du catalogue, à côté des reproductions hors-texte de grande qualité. Pour ma part, je fis le secrétaire de publication, puisque ce catalogue, comme il est indiqué en page 6, constituait la deuxième livraison de notre revue.

Après coup, il apparaît que la conception de ce catalogue était assez originale pour l’époque, à mi-chemin entre la simple nomenclature des catalogues officiels et l’infinie lecture que présentent les actuelles compilations. Après les incontournables propos des officiels, venait la « Chronique Dada 1915-1919 », de Tristan Tzara, directement issue, sans aucune fantaisie typographique, de l’Almanach Dada édité par Richard Huelsenbeck en 1920. Elle était complétée, sur un ton absolument neutre, d’une chronologie anonyme de 1920 à 1923. Laquelle était suivie d’un dictionnaire biographique du mouvement international, lui aussi sans fantaisie. Vingt pages de papier glacé offraient les reproductions d’œuvres dadaïstes, dans l’ordre alphabétique de leurs auteurs, pour ne pas faire de jaloux. Elles étaient suivies du catalogue, au sens restreint du terme, des œuvres présentées, dans l’ordre alphabétique des auteurs : titre de l’œuvre, dimensions, localisation. Venait ensuite une liste des livres et revues de l’époque. On comprend que les organisateurs de l’exposition voulaient être exhaustifs et universels, sans valoriser un pays plutôt qu’un autre, une technique plutôt qu’une autre. Ce que traduisait parfaitement le catalogue d’ordre encyclopédique. À ceci près que l’accrochage dépendait de la volonté des prêteurs et de la disponibilité des tableaux, si bien que le visiteur de Zurich n’a pas vu exactement la même chose que celui de Paris.

On trouve sur la toile des documents situant l’exposition au Centre Pompidou. Bel exemple d’anachronisme, puisque ledit centre n’était pas encore bâti en 1966. De même, certains commentateurs ne se sont pas rendu compte que le catalogue comportait deux volumes, le second, de 24 pages, finissait par donner la parole aux principaux acteurs de ce Mouvement international, sous le titre générique « Souvenirs et témoignages ». Toujours sans la moindre fantaisie, une anthologie alternait les contributions des peintres et des littérateurs, prélevées dans l’innombrable production de Jean-Hans Arp (catalogue de Dusseldorf), Hugo Ball (La Fuite hors du temps), Gabrielle Buffet (apparemment inédit), Francis Picabia (un dessin mécanomorphe extrait de 391), un texte inédit de Charchoune, un graphisme de Baargeld pris de Die Schammade, deux textes en allemand et un dessin de Raoul Hausmann, prélevés d’Hurra Hurra ! ; un article en français conçu pour l’occasion par Marcel Janco, qui distinguait un « Dada à deux vitesses », en d’autres termes un mouvement d’abord négatif, destructeur, suivi d’une phase constructive. Sur ce point, il se plaisait à saluer l’objectivité des organisateurs. Le propos ne faisait que reprendre les idées formulées quelque temps auparavant par Tristan Tzara, en préface au recueil de Georges Hugnet, L’Aventure Dada, qu’avec un malin plaisir les organisateurs avaient placé en clôture du livret, en raison de l’ordre alphabétique. Huelsenbeck envoya un télégramme daté de septembre 1966, auquel faisait face une page provenant des Malheurs des immortels de Max Ernst. Man Ray divulguait en français un chapitre de son Autoportrait, récemment traduit, orné en pied de page d’un dessin inédit de Richter, portrait d’Arthur Segal, datant de 1917. Arp revenait avec un bois gravé extrait de Phantastiche Gebete.

En somme, l’ensemble du catalogue (en deux parties) donnait une vue générale assez riche et précise de ce qu’avait été la pratique artistique dadaïste en Europe.

Bilan

Comme il fallait s’y attendre, la presse reprit, en gros, l’objection de Max Ernst ou bien reprocha l’aspect statique de l’exposition, opposé à la dynamique du Mouvement. Argument suprême, Dada était fichu dès lors qu’il entrait au Musée. Après la thèse soutenue en Sorbonne, l’université l’avait tué et empaillé. Oublieuse, ou plutôt ignorante, elle ne savait pas que Dada s’était toujours manifesté au public dans les lieux les plus divers, salons, cabarets, galeries, cinémas, théâtres, depuis le début du Mouvement.

De son côté, l’Association pour l’étude du mouvement Dada avait rempli sa mission. Les encyclopédies suivraient, puis les manuels scolaires. Dada s’installait, modestement il est vrai, au cœur même de la culture. Déjà, en 1962, la Cinémathèque française avait programmé la projection des films de Man Ray, Hans Richter… Pourtant, certains médias n’en faisaient toujours pas mention. La télévision en prit conscience et, quelques années après, pour la série « Les archives du XXe siècle », Jean-José Marchand réalisa une série de quatre émissions portant sur Dada, de Zurich à Paris, en passant par New York. Le questionnaire était élaboré par Yves Poupard-Lieussou. À nouveau, le double objectif de connaissance et de diffusion était réalisé puisque le public peut voir et revoir en permanence ces films en libre service sur le site de l’INA.

S’il m’est permis de faire part de mon sentiment personnel, je dois dire toute ma déception de n’avoir pas obtenu que l’ensemble de la collection Tzara ne soit pas dispersée. C’était, pour les pouvoirs publics, l’occasion unique de montrer aux visiteurs et aux chercheurs que l’État avait intégré la nature particulière de Dada, son activité foisonnante et contradictoire, tout en fournissant aux chercheurs une documentation inédite. Le procès verbal que j’ai mentionné indiquait déjà, le 12 juin 1965, avec la plus grande diplomatie, que les négociations avec la Bibliothèque Jacques Doucet avait échoué, la Direction des bibliothèques posant des conditions inacceptables, tant pour les ayants droit que pour l’Association.

Forts de la réussite et du succès de l’exposition, ayant noué de solides rapports avec sa direction, nous nous tournâmes alors vers le Musée national d’art moderne. La sempiternelle querelle sur la manière d’exposer Dada était tranchée. À la fin de l’année suivante, toutes les parties s’étant mises d’accord, il était prévu que la collection complète irait, en totalité, avenue du Président Wilson, ouvrant ainsi la voie à l’interdisciplinarité concrète. Convaincu par nos soins, Bernard Dorival me montra fièrement les meubles qu’il avait acquis pour ranger les gravures et dessins.

Malheureusement, là encore, les négociations butèrent sur une question dérisoire à l’échelle éternité. Christophe Tzara exigeait, en contrepartie d’un don généreux, qu’une salle portât le nom de son père. Il avait été déçu du comportement des autorités lors du décès de son père, et souhaitait un minimum de reconnaissance envers un poète qui avait abandonné sa nationalité d’origine pour se dire Français.

J’ai pu mesurer la conséquence d’un tel désordre institutionnel lorsqu’il m’a fallu établir les Œuvres complètes de Tzara. Toute une documentation réunie durant de longues années par l’intéressé lui-même était désormais dispersée.

Vous avez tous souvenance de ce qu’on appelle par euphémisme les « événements de mai 68 ». C’est à ce moment-là, entre deux manifestations, qu’on m’annonça le mise en vente, aux enchères publiques, de la bibliothèque de Tristan Tzara, à Berne, le 12 juin 1968. Fini le rêve d’un lieu unique de documentation internationale. La collection de tableaux et d’objets d’art primitif devait connaître le même sort, quelques années après. Je ne sais pas pourquoi, j’eus l’impression d’une bouffonne répétition du cauchemar en 2003 au sujet d’André Breton.

Tout est toujours à recommencer ! Lorsque s’annonça la préparation d’une super exposition Dada au Centre Pompidou, en 2005, j’ai moi-même remis les deux volumes du catalogue de 66 à Laurent Le Bon, pour la documentation du Musée national d’art moderne, qui n’en avait gardé aucun…

Henri BÉHAR