Tous les articles par Henri Béhar

Henri Béhar est l’un des principaux promoteurs des études lexicales assistées par ordinateur. Il a fondé et dirigé le Centre de recherches Hubert de Phalèse, une équipe de recherche destinée à promouvoir les études littéraires assistées par ordinateur. Dans le domaine culturel, il a mis en avant l’importance de la mise en contexte des textes littéraires. Spécialiste des avant-gardes, Henri Béhar a fourni des études historiques, textuelles ou génétiques sur Dada ou Breton. Il a également fondé et dirige le Centre de recherches sur le surréalisme, qui coordonne les travaux sur ce sujet. En parallèle à ses activités de recherche, Henri Béhar a introduit l’informatique dans les cours prodigués à l’Université, en créant une banque de données d’histoire littéraire utilisable par les étudiants.

« Avant la lettre. Les manuscrits sont-ils de la littérature ? », dans : Alfred Jarry, du manuscrit à la typographie, actes du colloque international, université de Reims, 21-22 février 2014. Textes réunis et présentés par Henri Béhar et Julien Schuh, Etoile-Absinthe, n° 132-133, SAAJ et Du Lérot éd., p. 13-25.

Annonce du colloque : Alfred Jarry, du manuscrit à la typographie (fabula.org)

Exposition : 45702.pdf (univ-reims.fr)

annonce du volume sur Fabula : H. Béhar et J. Schuh (dir.), Alfred Jarry, du manuscrit à la typographie (fabula.org)

Alfred Jarry, du manuscrit à la typographie, Actes du Colloque international, Université de Reims Champagne-Ardenne, 21-22 février 2014, textes réunis par Henri Béhar et Julien Schuh,  SAAJ & Du Lérot éditeur, Paris & Tusson, 2014, EAN13 : 9782355480935. 344 pages.

En réaction au livre de son époque, de plus en plus standardisé, reproduit à des milliers d’exemplaires identiques par des presses toujours plus perfectionnées, mais dont la qualité, pour faire baisser son coût, ne cesse de décroître, Jarry cherche à concevoir une forme de livre artistique, échappant à la reproductibilité absolue de la marchandise. La limitation des tirages, la création de gravures originales, l’utilisation de techniques archaïsantes et artisanales et le développement d’une esthétique de la synthèse sont destinés à rendre à ces objets une aura d’unicité et à promouvoir d’autres modèles de réception, fondés sur la suggestion, par refus d’une lecture standardisée.

 C’est cet intérêt pour l’aspect concret de l’expérience littéraire chez Jarry qui a servi de fil conducteur aux intervenants de ce colloque, organisé par la Société d’Alfred Jarry et le Centre de Recherche Interdisciplinaire sur les Modèles Esthétiques et Littéraires (CRIMEL-EA3311) de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, dirigé par Jean-Louis Haquette, et soutenu par la Ville de Reims.

 Sommaire

Henri Béhar & Julien Schuh, « Présentation »… p. 7

« De par ceci qu’on écrit l’œuvre » : manuscrits et génétique

 Henri Béhar, « Avant la lettre. Les manuscrits sont-ils de la littérature? »… p. 13
Yosuké Goda, « Jarry face à la censure théâtrale »… p. 27
Henri Bordillon, « Marcueil dans le texte »… p. 49
Diana Beaume, « Paroles dégelées. A propos du manuscrit de Pantagruel »… p. 61
Julien Schuh, « La Dragonne, un “répertoire de l’irréalisé actuel” »… p. 79
Paul Edwards, « Collections et crocodiles »… p. 103
Eric Walbecq, « Jarry en toute lettre »… p. 115
Matthieu Gosztola, « Corner les pages, l’acte par quoi se déploie entièrement la genèse des critiques littéraires, ou Le livre-source accaparé comme manuscrit »… p. 127

 « Il n’y a que la lettre qui soit littérature » : l’imaginaire graphique

Michel Arrivé, « Lettre, sens, littérature »… p. 1
Marc Décimo, « Alfred Jarry face à un régent »… p. 147
Aurélie Briquet, « Silences de L’Amour absolu : blancs et ponctuation »… p. 167

 « Rapide il imprime, il imprime, l’imprimeur » : édition et typographie

 Alain Chevrier, « La présentation typographique des poèmes de Jarry »… p. 181
Edouard Graham, « Jarry à l’épreuve du fac-similé »… p. 199
Armelle Hérisson, « Le projet mirlitonesque et les opus Sansot »… p. 217
Clément Dessy, « La littérature en artisan »… p. 235
Vincent Gogibu, « Remy de Gourmont & Alfred Jarry »… p. 257

 « On ne fait pas grand, on laisse grandir » : postérité

JJill Fell, « Une trajectoire polonaise »… p. 273
Anna Rykunova, « Alfred Jarry, Les Paralipomènes d’Ubu (1896) »… p. 287
Hélène Campaignolle & Sophie Lesiewicz, « Ubu version LivrEsC »… p. 299
Linda Stillman, « De l’exposé à l’exposition : Collectionner Jarry »… p. 327

Texte intégral du volume accessible sur le site de la SAAJ : etoile_absinthe_132_133.pdf (alfredjarry.fr)

Bonnes pages : Bonnes_pages_EA132-133.pdf (alfredjarry.fr)

Présentation par Henri Béhar & Julien Schuh

En réaction au livre de son époque, de plus en plus standardisé, reproduit à des milliers d’exemplaires identiques par des presses toujours plus perfectionnées, mais dont la qualité, pour faire baisser son coût, ne cesse de décroître, Jarry cherche à concevoir une forme de livre artistique, échappant à la reproductibilité absolue de la marchandise. La limitation des tirages, la création de gravures originales, l’utilisation de techniques archaïsantes et artisanales et le développement d’une esthétique de la synthèse sont destinés à rendre à ces objets une aura d’unicité et à promouvoir d’autres modèles de réception, fondés sur la suggestion, par refus d’une lecture standardisée. C’est cet intérêt pour l’aspect concret de l’expérience littéraire chez Jarry qui a servi de fil conducteur aux intervenants de ce colloque, organisé par la Société d’Alfred Jarry et le Centre de Recherche Interdisciplinaire sur les Modèles Esthétiques et Littéraires (CRIMEL-EA3311) de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, dirigé par JeanLouis Haquette, et soutenu par la Ville de Reims. «De par ceci qu’on écrit l’œuvre » : manuscrits et génétique Le travail sur l’édition des Œuvres complètes de Jarry aux éditions Garnier Classiques a entraîné un retour aux manuscrits, dont certains n’avaient plus été exhumés depuis des décennies. On sait que Jarry gardait tous ses brouillons, de manière quasi maniaque, ce qui lui avait permis de constituer le recueil de textes de jeunesse Ontogénie, ou l’autorisait à piocher dans ses inédits pour compléter ses œuvres en cours. Après une mise au point d’Henri Béhar, qui s’interroge sur le statut de ces objets manuscrits dans notre tradition éditoriale, Yosuké Goda, Henri Bordillon, Diana Beaume et Julien Schuh Henri Béhar & Julien Schuh 8 analysent les dossiers de certains textes de Jarry (Pantagruel, La Dragonne…) dont les singularités remettent en cause les genres établis et les formes habituelles du livre. Ces questions touchent également sa pratique épistolaire, analysée par Paul Edwards, Éric Walbecq et Matthieu Gosztola, qui s’échappe souvent vers la création littéraire ou la critique. « Il n’y a que la lettre qui soit littérature » : l’imaginaire graphique Jarry invite son lecteur à voir la typographie plutôt qu’à lire le sens des phrases, en faisant par exemple du graphème X un élément central du recueil, un linéament symbolisant à la fois le sablier, le signe de l’infini (∞), la croix du Christ ou des tombeaux ou encore la forme d’une chouette effraie. Comme les gravures anciennes de L’Ymagier, comme ses propres dessins synthétiques qui se détachent sur fond obscur, les textes de Jarry sont destinés à être lus comme des emblèmes dont les lignes simplifiées sont susceptibles de plusieurs interprétations. Les jeux entre la lettre et le sens font l’objet des interventions de Michel Arrivé, qui compare les théories de Jarry et de Saussure, et de Marc Décimo, qui présente la biographie d’un de ces rénovateurs de l’orthographe qui fit les délices de Jarry chroniqueur, Jean-Marie Chappaz; Aurélie Briquet, quant à elle, explore plus largement les relations d’un texte comme L’Amour absolu à sa mise en page. «Dépliant et expliquant, décerveleur, / Rapide il imprime, il imprime, l’imprimeur »  : édition et typographie L’intérêt de Jarry pour la typographie se révèle très tôt. En juin 1894, il envoie une lettre à Alfred Vallette, le directeur du Mercure de France, à propos de la mise en page de «Haldernablou», première œuvre de fiction acceptée dans les colonnes de la revue : «À propos des épreuves, j’ai comparé avec effroi la longueur des vers des Chœurs avec le format du Mercure. Je crois qu’il faudra du sept romain, et au surplus j’aime mieux vous laisser carte blanche pour les caractères, je reconnais que je suis encore d’une assez grande inexpérience typographique.» Remy de Gourmont, qui l’introduit dans le Mercure et lui sert de mentor, est lui-même adepte des expérimentations typographiques. Ensemble, ils publient à partir de 1894 la revue L’Ymagier, qui reproduit souvent des fac-similés de pages de livres anciens pour la beauté de leurs caractères. Jarry s’inspire des livres de Gourmont dans la composition des pages de titres des Minutes de sable mémorial et de César-Antechrist. Les deux écrivains se brouillent en 1895; Jarry crée en janvier 1896 une revue d’estampes concurrente de L’Ymagier, Perhinderion, pour laquelle il fait fondre spécialement une police de caractère inspirée de celles de la Renaissance : «On a retrouvé pour nous les poinçons des beaux caractères du quinzième siècle, avec les lettres abréviées, dont nous ne donnons qu’un exemple imparfait avec Présentation 9 nos deux chapitres de Sébastien Munster, mais qui seront fondus avec le plus grand soin et serviront spécialement à nos textes à partir du fascicule II» («Premier son de la messe», Perhinderion, n° 1, mars 1896, n. p.). Jarry a commandé ces caractères d’imprimerie Mazarin à Renaudie, l’imprimeur du Mercure de France, en mars 1896. Il pouvait se permettre ce genre de dépenses, venant de toucher son héritage paternel; cette fonte ne servira que pour l’impression du deuxième et dernier numéro de Perhinderion, et pour Ubu roi, dont l’achevé d’imprimer du 11 juin 1896 précise qu’il a été composé « avec les caractères du Perhinderion». Endetté, Jarry vendit ces caractères à Renaudie peu de temps après; on les retrouve dans certaines publications de l’époque. La plaquette de Paul Fort, Louis XI, curieux homme, parue la même année, utilise également ces caractères; la troisième page de l’ouvrage précise : «Imprimé avec les caractères du Perhinderion». L’Intermède pastoral de Ferdinand Herold (Paris, Le Centaure, 1896) utilise aussi le Mazarin de Jarry. Les caractères du titre d’Ubu roi, réutilisés en 1897 en couverture du Vieux Roi de Gourmont, ne sont pas ceux du Perhinderion, comme on l’écrit parfois; on les trouve déjà, dans différents corps, dans Le Livre d’Art, dès le premier numéro de mars 1896. Cette attention à la typographie oriente les investigations d’Alain Chevrier sur la manière dont les poèmes de Jarry ont été remis en page depuis leur première édition; d’Édouard Graham, qui replace dans le contexte de l’époque l’édition autographique de L’Amour absolu ; et d’Armelle Hérisson, qui analyse les dossiers des opuscules de la collection mirlitonesque chez Sansot que Jarry n’a pas finalisés. Clément Dessy et Vincent Gogibu explorent de leurs côtés les relations de Jarry avec deux autres amoureux de la chair des livres : Max Elskamp et Remy de Gourmont. «On ne fait pas grand, on laisse grandir » : postérité Les expérimentations typographiques de Jarry inspirent écrivains et artisans du livre tout au long du siècle qui suit sa mort («On ne fait pas grand, on laisse grandir», déclare-t-il dans Le Surmâle). Ses dessins et gravures volontairement synthétiques font l’objet de réappropriation par des artistes comme Miró ou Picasso ; les attributs d’Ubu sont réimaginés par ses illustrateurs, et les typographes traduisent dans la forme même des livres leurs interprétations de son esthétique. Jill Fell décrit la tragique histoire des passeurs polonais d’Ubu roi. C’est une expérience d’illustration et de livre d’artiste beaucoup plus récente, celle de Serge Chamchinov, qu’analyse Anna Rykunova. Du livre à la bibliothèque numérique, Hélène Campaignolle et Sophie Lesiewicz présentent la place de Jarry dans la base de données LivrEsC, consacrée au livre comme espace de création. Enfin, Linda Stillman livre le point de vue d’une collectionneuse passionnée par Jarry dans le récit de la constitution de sa collection de manuscrits et d’éditions originales placée sous le signe de la gidouille.

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Avant la lettre
Les manuscrits sont-ils de la littérature ?

Henri Béhar

« Les mots difficiles » dans Des mots en liberté, Mélanges offerts à Maurice Tournier, ENS éditions, 1998, pp. 323-333.

RÉSUMÉ

Directeur de recherche au CNRS, directeur de la revue Mots, militant actif de la réforme orthographique et, plus secrètement, romancier et poète, Maurice Tournier éprouve pour les mots et les textes un amour fait d’érudition, de création et d’engagement.

Traqueur des mots du politique, de leur origine sociale et de leur histoire, de leur distribution linguistique et statistique dans les textes, spécialiste écouté de la parole ouvrière et syndicale, stimulant aujourd’hui la recherche en communication politique, mais également champion de la réforme orthographique et romancier, Maurice Tournier a inventé le nom de lexicométrie. Ses collègues, élèves et amis lui dédient ce petit lexique de « Mots en liberté ».

Sommaire :
Avant-propos An 2000, Pierre Muller
La bienfaisance ressuscitée, Michèle Sajous d’Oria
Camp de concentration. A propos de la guerre en ex-Yougoslavie, Simone Bonnafous
Citations de dictionnaire, Gabrielle Varro
Compter sur les arbres, Benoît Habert, Helka Folch
Cooccurrences. La CFDT de 1973 à 1992, Serge Heiden, Pierre Lafon
La découverte linguistique, Sylvain Auroux
Discours et argumentation – un observatoire du politique • Eni Puccinelli Orlandi
Discours de spécialité • Maria-Teresa Cabré Castellvi
Domien… ? • Alex-Louise Tessonneau
Education et instruction. Chez Jules Ferry • Antoine Prost
L’églantine et ses couleurs • Annie Geffroy
Eloquence politique au 20e siècle • Fabrice d’Almeida
Enthousiasme. Les dictionnaires de Trévoux (de 1704 à 1771) • Sonia Branca-Rosoff
Euh… comme Europe • Jean-Marie Pernot
Fantaisie philologique • G. Th. Guilbaud
Figement – défi • Carmen Pineira-Tresmontant
La France. Chez de Gaulle et Mitterrand • Dominique Labbé
Une guerre douloureuse • Marie Francis-Saad
Homme et Hommage ! • Luce Petitjean
Un honnête homme ! Résultats d’un sondage, Jeanine Richard-Zappella
Images candidates. Des grandes idéologies aux petites idoles, Marlène Coulomb-Gully
Ingéniérie. Usages techniques et vie sociale • Michel Chansou
Interdit d’interdire ? Auteurs français du 20e siècle en Russie et en URSS, Danielle Bonnaud-Lamotte
Israël. Le réseau sémantique chez Rousseau, Michel Launay
Kabary = Discours ?, Irène Rabenoro
Lexique, vocabulaires, comptages, Marie-Françoise Mortureux
Libéraux, Annie Delaveau, Geneviève Petiot
Libres et égaux en droits, Raymonde Monnier

Marrakech. Promenade en compagnie d’Ibn Rushd (Averroès)

Mohammed Aziz Lahbabi Mémoires dans des jeux de miroirs, Lamria Chetouani

Militant, René Mouriaux

Les mots difficiles, Henri Béhar
Orthographe et apprentissage, Danielle Lorrot
Parole, Claudine Dannequin
Le passeur, Myriam Boutrolle
Phonographie, Pierre Fiala
Polysémie de la représentation chez J. Vallès , Ida Porfido
Du préjugé au mythe. Les « leçons » du séisme de Kobé, Jean-Paul Honoré
Producteur. De l’économie au politique, Marie-France Piguet
Régionalisation Le début du chemin, Dulce Elisabete Sanches Carvalho, Maria Fátima Ferreira Silva, Maria Emília Ricardo Marques
Re-torsion et bricolage : Mao Tsé Toung dans l’armée française, Gabriel Périès
Scénographie de la Lettre, Dominique Maingueneau
Sokal, Erik Neveu
Tableau. Sieyès néologue, Jacques Guilhaumou
Terminographie, Danielle Candel
Topologies, Arlette Delamare
Transparence, Roselyne Koren
Le truchement des mots, Paul Siblot
Volonté Ou comment clore notre nomenclature ?, Anne-Marie Hetzel, Josette Lefèvre
Zaïrisation, Bajana Kadima-Tshimanga
Zoom arrière, Passions et mesures, Nicole Arnold, Françoise Dougnac
Bibliographie de Maurice Tournier, Phung Tien Cong-Huyen-Nu

LES MOTS DIFFICILES

Fidèle à la tradition établie par l’école lansonienne, l’édition contemporaine procure les textes des grands auteurs, principalement ceux qui sont dans le domaine public, munis de variantes et de notes de caractère linguistique ou encyclopédique. Laissant pour une autre occasion le problème des variantes, à mettre en relation avec le renouvellement actuel des études génétiques, je voudrais aborder ici un implicite de ce travail éditorial, la question des notes relatives au vocabulaire, à la compréhension de l’œuvre.

Récemment, le présentateur d’une édition de texte en format de poche s’insurgeait de devoir, à la demande de son directeur de collection, expliquer le mot “ étable ”, dans la mesure où, lui disait-on, les jeunes lecteurs d’aujourd’hui n’ont plus aucune connaissance du monde rural. Mais, à ce compte, il faudrait annoter chacun des mots des textes du siècle passé en totalité ! Où mettre la limite entre le lexique qui relève du domaine public, si je puis dire, et celui qui demande à être ramené à une base commune ?

Autrefois, le directeur de la Bibliothèque de la Pléiade, aux éditions Gallimard, jugeait que, pour cette collection prestigieuse, il n’était pas nécessaire de définir, sauf dans le cas d’un usage spécifique, les mots ayant une entrée dans le Petit Larousse. C’est dire le caractère empirique d’une telle pratique, qui a du moins le mérite de se référer à un ouvrage didactique précis, facilement accessible. Mais l’ambiguïté provient du fait que c’est à la fois un dictionnaire de langue et un dictionnaire encyclopédique, à ce titre constamment renouvelé.

Dans la pratique, l’idéal serait de pouvoir se référer à une nomenclature établissant le vocabulaire que possède (ou devrait posséder) un élève moyen de seconde (à supposer que cet être théorique existe), un peu comme avait fait le CREDIF pour le français fondamental, en distinguant le vocabulaire actif du vocabulaire de la disponibilitéi.

Pour sa part, Hubert de Phalèse, qui propose un “ glossaire concordanceii ” des œuvres qu’il étudie, procède d’une manière méthodique, en se servant des outils informatiquesiii. J’analyserai sa démarche, en trois temps, telle qu’il l’applique au roman de Claude Simon, La Route des Flandres, mais toute autre de ses publications ferait l’affaire.

Possédant une version numérisée du texte, il pourrait la soumettre à la version automatisée du dictionnaire Larousse. Malheureusement, celle-ci n’est pas conçue pour lire les textes, et elle exige une manipulation qui serait fastidieuse pour une œuvre d’une certaine longueur. À défaut, il est permis de supposer que le correcteur orthographique d’un traitement de texte représente assez bien l’étendue du vocabulaire que domine, plus ou moins bien, la moyenne des lecteurs français, dans la mesure où ils emploient des mots dont ils éprouvent le besoin de vérifier l’orthographe.

Concrètement, Hubert de Phalèse a d’abord soumis le texte de La Route des Flandresiv au correcteur orthographique du traitement de textes Word7, et retenu, dans une première étape, tous les mots sur lesquels il s’arrêtait.

La première fonction de tout correcteur orthographique est de souligner les formes dont la graphie est différente de celle, canonique, qu’il possède en mémoire, par exemple “ devers ” (sans accent, p. 290), “ d’ouate ” (pour de ouate p. 270, l’élision étant facultative selon Grévisse) ; ou qu’il ignore absolument, comme : “ auto-sélection ” (65), “ arrière-magasin ” (270), “ casquettiers ” (270), etc. L’instrument est fort utile pour repérer les coquilles (de l’édition de référence ou de la saisie informatique, qu’il convient alors de corriger), les variantes typographiques d’une édition à l’autre, en quelque sorte. Il est irremplaçable pour signaler des particularités graphiques témoignant du caractère fluctuant de notre orthographe, des hésitations des protes, plutôt que d’une volonté du romancier.

Indispensable pour l’analyse d’un texte, cette étape initiale ne contribue pas directement au repérage des termes difficiles, mais elle atteste de la vie des mots, en perpétuelle transformation.

On ne sait pourquoi, le correcteur ignore le passé simple et le subjonctif imparfait. Certes, ces temps verbaux sont de moins en moins employés, mais ils restent enseignés depuis l’école primaire et sont donc supposés connus du public concerné. C’est pourquoi il n’a pas été tenu compte de ces formes, ni des formes répétées, non plus que des passages hétérogènes de l’œuvre : la page du cahier à couverture bleue, “ reproduite ” pp. 52-53, dont les termes italiens sont immédiatement traduits, les noms “ gutturaux et râpeux ” à consonance arabe (p. 245), enfin ceux des chevaux de course (énumérés p. 22), et, parmi les noms propres (par définition spécifiques) ceux des protagonistes.

Une constatation s’impose : à s’en tenir aux seuls noms communs, le texte de Claude Simon ne présente pas de grandes difficultés, puisque le correcteur ignore seulement 168 formes sur 91 745. J’en dresserai la typologie plus bas.

Cependant, il me faut poser une réserve d’emblée : nul ne sait d’où proviennent les formes enregistrées dans les dictionnaires du correcteur grammatical, qu’on suppose établies par compilation des entrées de divers dictionnaires automatiques, de sorte qu’il est impossible de préciser le niveau de culture des utilisateurs présumés.

D’autre part, cet outil ne reconnaît que des “ formes ”, c’est-à-dire des suites de caractères délimités par une ponctuation ou deux espaces blancs, de telle sorte qu’il peut accepter un mot dont le sens, dans le contexte, échappe au lecteur, comme, par exemple, la “ carrière ” (18), non point exploitation minière à ciel ouvert, ni parcours professionnel, mais terrain d’entraînement pour les cavaliers.

À titre de contre-expertise, Hubert de Phalèse s’est servi d’un logiciel de correction grammaticale et typographique, très utilisé dans les métiers du livre, Prolexisv. Si, là encore, on excepte les suggestions d’ordre typographique, et les catégories envisagées ci-dessus, le nombre de formes inconnues n’est pas différent de celui du correcteur associé au traitement de texte.

De fait, ces deux instruments interviennent d’abord pour aider le commentateur de l’œuvre à relever automatiquement des traits stylistiques pertinents. Non qu’ils puissent lui échapper à la simple lecture, mais parce qu’ici ils lui viennent en série et font sens.

Ainsi des divers procédés de l’oralité, indiqués au premier chef par la prononciation détaillée du nom propre de Reichac, “ vingt dieux t’as pas encore compris : chac l’ixe comme ch-che et le ch à la fin comme k ” (44). Hubert de Phalèse en a relevé les principaux traits : interjections, onomatopées, répétitions, troncature, écrasement, interruptions, transposition de la prononciation, tournures populaires, etcvi. Ceci, fort utile pour le stylisticien soucieux de montrer comment Claude Simon entend faire passer ces traits oraux dans le discours romanesque, ne semble pas présenter de difficulté d’interprétation pour le sujet parlant le français d’aujourd’hui, et ne contribue pas vraiment à la reconnaissance des mots difficiles, mais une édition critique doit en faire état, ne serait-ce que pour marquer le transfert de la langue parlée à l’écrit, et les choix opérés par l’auteur à ce titre.

Toutefois, conscient du caractère empirique de sa procédure, Hubert de Phalèse a cherché un support plus satisfaisant en constituant un corpus de comparaison, dans la base de données textuelles de l’Institut National de la langue française. Il affirme :

Pour caractériser le vocabulaire d’une œuvre, on ne peut procéder que de manière différentielle, en la comparant avec un corpus plus vaste qui servira de toile de fond. Il faut bien se rendre compte qu’il n’existe pas de référence absolue en matière de langue, qu’il est impossible de dire si un mot est rare ou fréquent sans se référer à un corpus précis. J’ai donc comparé La Route des Flandres à un ensemble de cinquante romans parus entre 1950 et 1970 disponibles dans la base Frantextvii.

L’objectif vise à constituer ce qu’il nomme fort heureusement “ l’horizon d’attente lexicale ” du lecteur à la date de publication du roman, différent du mien puisque je traite d’un lecteur actuel, différent du “ premier lecteur ” supposé, contemporain de la publication originale. En recherchant, comme il le fait, tous les hapax de La Route des Flandres (c’est-à-dire les mots n’apparaissant que dans ce roman) par rapport au corpus romanesque ainsi formé, on peut déterminer l’ensemble des mots “ rares ” du texte. Il est réjouissant de constater que plus de 1 500 formes appartiennent exclusivement à la parole romanesque de Claude Simon (exactement 14,3 %), ce qui est fort élevé, et laisse supposer que cet auteur pratique une langue très originale. Mais peut-être faut-il relativiser cette observation en tenant compte de la particularité du corpus de comparaison, qui ne contient guère d’œuvres dites du Nouveau Roman. Néanmoins, à l’examen, cette importante liste de mots fait ressortir ce que j’appellerais volontiers la “ manière ” de l’auteur (oralité, vocabulaire équestre, participe présent, terminaisons en -esque, etc.), sans que les formes consignées méritent un commentaire érudit. À titre d’exemple, voici la collecte des mots commençant par M, obtenue de cette manière :

“ macabres ; macaques ; madrépores ; magnétos ; mammouths ; MANUFre ; mariolle ; materait ; méandreux ; médisance ; mélangeraient ; menuet ; merd’ ; meringues ; mésalliances ; mesurassent ; métamorphosés ; milady ; minarets ; misogyniques ; modéliste ; moire ; molefse ; molletonnages ; mollettes ; monétaires ; monosacs ; monosyllabiques ; morphologie ; mozartiennes ; muant ; musculaires ; mythiques ”.

Sur ces 33 formes, 10 sont inconnues du correcteur orthographique de Word7, et 2 sont considérées comme des erreurs par Prolexis : un mot apocopé (“ merd’ ”) et un nom propre (Milady). Néanmoins, cette liste est différente de celles que procurent ces deux outils en scrutant le même roman.

Par ailleurs, sous la même lettre M, le “ glossaire concordance ” d’Hubert de Phalèse contient les 32 entrées, que voici :

“ macache ; macaque ; macchab ; macchabée ; mâchefer ; madrépore ; Mahomet ; mandragore ; manège ; manger (la boue) ; maquerelle ; margis ; mariolle ; marlou ; Martel ; mascaret ; méandreux ; Milady ; micro-photographie ; misogynique ; molletonnage ; monosac ; monte ; monter (long) ; monter ; moucher ; mousqueton, Mozart ; mozartien ”.

Outre les noms propres, on voit bien que cette liste est la compilation (suivie d’éliminations) des trois collectes annoncées ci-dessus :

  • à l’aide des correcteurs, qui butent sur les vocables suivants, relevant d’un niveau de langue soit populaire ou vulgaire : macache, macchab, macchabée, maquerelle, margis, marlou ; soit rare, littéraire, ou technique : méandreux, micro-photographie, misogynique, molletonnage, monosac, mozartien ;
  • parmi les “ hapax ” énumérés ci-dessus : macaque, madrépore, mariolle ;
  • par un repérage individuel, au fil du texte : mâchefer, mandragore, manège, monter, moucher, mousqueton.

Ici, une explication s’impose. En effet, si les outils utilisés en premier lieu permettent de se procurer rapidement et au moindre effort la nomenclature d’une certaine catégorie de vocables, ils ne traitent jamais de leur sens dans le contexte d’une phrase. À l’heure présente, je ne connais aucun instrument capable de suppléer l’homme dans cette opération. C’est pourquoi le scoliaste, muni d’un crayon, sélectionne, à la lecture, les mots qui, à ses yeux, présentent une certaine difficulté, soit pour leur amphibologie dans l’énoncé, soit pour leur rareté, comme on le verra ci-dessous.

En conséquence, les automates ne sauraient suffire à eux seuls pour établir la nomenclature des mots difficiles d’une œuvre littéraire. Autrement dit, s’ils opèrent d’une façon satisfaisante en langue, ils n’épuisent pas les incompétences (ou les ignorances) du lecteur dans ce qui relève de la parole, modulation artistique d’un discours individuel.

Dans le “ glossaire concordance ” d’Hubert de Phalèse, les entrées sont lemmatisées (ce qui veut dire ramenées à la forme canonique des dictionnaires) quand les vocables sont employés plusieurs fois, sous des formes déclinées, dans le récit. Pour chaque terme retenu, on trouvera sa concordance, c’est-à-dire le contexte minimum nécessaire à la compréhension, suivie de la pagination dans l’édition de référence (Éditions de Minuit, collection “ Double ”) et d’une notice extraite des dictionnaires numérisés, le Robert électronique pour la langue ; Axis pour la partie encyclopédique ; enfin de citations recueillies dans FRANTEXT. Sous une présentation adaptée à l’explication de texte, c’est ce que ferait l’exégète d’une édition savante, indiquant explicitement ses références.

Ayant expliqué comment ce glossaire est constitué, je peux en esquisser une typologie qui, me semble-t-il, pourrait servir de guide, ou de grille, à tous les exégètes.

Une première catégorie, relevant de ce qu’on nommait autrefois la philologie, est constituée de vocables à la graphie instable, de transpositions de la langue parlée, d’expressions figurées.

En matière de graphie, on observera les entorses à la norme actuelle, déjà relevées, avec auto-sélection (les mots composés du préfixe auto- ne prennent pas de trait d’union, sauf pour des raisons euphoniques) ; et les coquilles manifestes avec devers, préposition sans accent, à la place du substantif accentué.

J’ai déjà mentionné, ci-dessus, les diverses modalités par lesquelles Claude Simon rend compte des phénomènes de l’oralité dans le roman. Aux formes repérées par les automates, qui relèvent de la langue populaire : “ ben ”, “ biffin ”, “ cinoche ”, “ crin-crin ”, “ frusques ”, “ gonzesse ”, “ macache ”, “ macchabée ”, “ maquerelle ”, “ marlou ”, etc., s’ajoutent les tournures familières, telles que “ bouffer les pissenlits par la racine ” (244), voire scabreuses comme “ va te faire tarauder l’oignon ” (43) ou bien “ avoir le cul bordé de nouilles ” (43), etc. Même s’il n’est pas nécessaire de les expliquer pour l’hypothétique lecteur de seconde qui, en France du moins, en connaît de plus rudes, une remarque s’impose quant à la qualité des locuteurs qui en font usage.

Dans la même veine on relève les emplois figurés, soit lexicalisés tels que “ la clef des champs ” (56), ou plus spécialisés comme “ couper l’eau ” (11) expression inconnue des dictionnaires d’usage, par laquelle les cavaliers indiquent qu’ils ont empêché de s’étouffer le cheval s’abreuvant. C’est un trait de la langue française que certains verbes de mouvement : grimper, sauter, monter, ont une connotation érotique, de telle sorte qu’ils tracent un double sens dans ce roman. Il faut être un familier de l’œuvre de Claude Simon pour reconnaître une sorte de tic dans l’emploi fréquent de l’adjectif “ échassier, échassière ”, ce qui mérite une note spécifique. Il en va de même avec les adjectifs “ emperlé ”, “ endiamanté ”, ou le verbe “ s’enténébrer ” à la forme réfléchie.

La deuxième catégories comprend des formes réellement difficiles pour le lecteur supposé, dans la mesure où elles n’appartiennent pas à son langage usuel, ne figurent pas dans les dictionnaires d’usage ou bien désignent des référents disparus.

Il me semble qu’une édition critique devra nécessairement expliquer et commenter tout le vocabulaire technique ou spécialisé, relatif, dans le cas présent, à l’équitation, à l’armement, à la peinture, etc. En effet, s’il est traité dans les dictionnaires de référence, il figure rarement sous l’entrée attendue et surtout il joue un rôle précis dans la narration, comme s’il la saturait, explorant systématiquement le champ lexical pour les races de chevaux, leur dénomination dans toutes les catégories de la société, la couleur de leur robe, leur harnachement, leurs allures, etc. Alors que “ buvant dans son blanc ” (284), est expliqué à l’intérieur d’une notice du Robert : “ Cheval qui boit dans le blanc, qui boit son blanc, qui a le tour de la bouche blanc ”, “ monter long ” (293), qui caractérise la manière dont le cavalier règle la longueur de ses étrivières par opposition au jockey, demande des lectures complémentaires ou une pratique de la chose. Quant à “ liste en tête ” (284), qui désigne une bande de poils blancs sur les naseaux, expression glosée par le Robert qui renvoie justement à cet exemple de Claude Simon, il faut avoir l’œil bien exercé pour la relever.

Les mêmes observations vaudraient pour le vocabulaire militaire ou le lexique des couleurs, tout ce qui, en somme, est considéré comme spécialisé. Il est indispensable d’y joindre, sinon l’explication (car le contexte est assez éclairant), du moins la provenance de certains régionalismes, tels que “ les chiens ont mangé la boue ” (9), expression ardennaise dénotant un froid intense ; la “ gonfle ” (133), renvoyant indirectement à Roger Martin du Gard ; “ Flahutes ” (289) désignant autrefois les cyclistes flamands dans le Tour de France.

Ce dernier exemple nous conduit d’emblée à tout ce vocabulaire qui figure encore dans les dictionnaires courants, mais dont le référent a disparu ou s’est modifié considérablement, à tel point qu’il y faudrait plus qu’une note, tout un chapitre d’histoire culturelle. Que sait-on des “ assignats ” et des “ billets à ordre ”, des “ baleines ” et du “ cache-corset ”, de la “ robe à crevés ” et, davantage encore, de la signification profonde de “ chlorotiques ” (188) évoquant les pâles couleurs, maladie romantique par excellence ? Je me demande quel sens le lecteur attribuera spontanément à la mention d’un “ Frisé ” (216) dans ce roman qui prend soin de ne jamais nommer l’ennemi !

Avec cette majuscule, nous abordons la catégorie des noms propres, pour lesquels il serait facile d’appliquer la règle initiale : n’exigent un commentaire que les termes ne figurant pas (ou plus) dans le Petit Larousse actuel. Mais, aussitôt formulée, la norme souffre de nombreuses exceptions : le Dictionnaire des Misérables proposé par Hubert de Phalèseviii devait-il s’abstenir de mentionner tous les officiers généraux français de la République et de l’Empire, au prétexte qu’ils bénéficient d’une notice dans cet ouvrage de tradition républicaine, alors que, bien entendu, leurs homologues anglais n’y sont point ?

En fait, c’est là le point obscur de l’édition critique. Dans ses Techniques de la critique et de l’histoire littéraires, le très méticuleux Gustave Rudlerix ne dit rien de cette question centrale, qui fit pourtant la force des éditions critiques du siècle passé, et le protocole de la collection de la Pléiade que son directeur, Pierre Buge, voulut bien me communiquer il y a quelques années, n’en souffle mot. C’est dire combien chaque commentateur est livré à son intuition, à l’image qu’il se fait du destinataire de son travail, au sentiment qu’il a du connu et de l’inconnu.

Le repérage automatique de ces noms propres, leur mise en série nous permet surtout de mettre en évidence les strates culturelles de référence, de sorte que, selon le public postulé, on peut accorder une note aux noms d’origine mythologique, biblique, historique ou littéraire. Dans ce cas, l’important est d’être cohérent et de traiter de chaque ensemble.

Vient enfin la véritable néologie, enrichissement de la langue par dérivation, évolution sémantique ou création absolue. En bonne logique, c’est le seul aspect du récit qui demande un commentaire précis de la part du compilateur, lequel, connaissant parfaitement toute l’œuvre de son auteur, est capable de dire dans quelle mesure il fait preuve d’originalité par rapport à la pratique scripturale de son temps.

Formés par glissement de catégorie grammaticale, les adverbes et adjectifs “ ancestralement ” (11, 294), “ incoerciblement ” (160), “ intouchées ” (161), signalés comme “ rares ” dans les dictionnaires, peuvent être tenus pour de vrais hapax, dans la mesure où ils ne figurent pas dans le corpus témoin de Frantext et font, en revanche, partie de la parole simonienne. De même les adjectifs en -esque : “ babelesque ” (56), “ boy-scoutesque ” (176), “ donquichottesque ” (23), “ fourmillesque ” (53), formés sur le modèle de “ guignolesque ”, sur lesquels Patrick Rebollar a déjà attiré l’attentionx. Ils n’ont pas tous été forgés par Claude Simon, mais au moins deux d’entre eux font partie de son idiosyncrasie ; ce sont de ces mots qui signent une œuvre.

Une seconde variété d’hapax est formée par glissement sémantique ou par emprunt : “ corrodante ” (65), “ disgraciado ” (115), “ impolluable ” (139), impollué (66, 139, 144). Ici encore, une note s’impose. Non que la plupart de ces mots ne puissent être compris à l’aide d’un outil lexicographique, mais parce qu’il importe de savoir de quel domaine ils proviennent, et le sens spécifique que Claude Simon leur attribue dans son propre langage.

Les créations lexicales absolues sont évidemment très rares. Dans l’exemple étudié, mis à part les mots composés : “ espace-profondeur ” (82), “ gentilhomme-farmer ” (188), “ homme-cheval ” (69), dont le sens s’éclaire par le contexte, je ne retiendrai que deux vocables : “ effusionniste ” (189, 264), habituder (293). Le premier ironise sur la philosophie de Rousseau, et le second, qui semble un lapsus mais est une contribution véritable à l’évolution de la langue, pourrait bien nous éviter une périphrase.

À l’heure où les éditions critiques des œuvres dites “ classiques ” se multiplient, au point que le moindre volume en format de poche contient autant d’informations sur le texte que des éditions savantes telles que la collection des Grands Écrivains de la France, les Classiques Garnier ou la Bibliothèque de la Pléiade, se poser la question de savoir ce qu’il est nécessaire d’annoter relève de l’impensé critique.

Pourtant, dans sa pratique quotidienne, chacun sait ce qu’il convient de faire : l’éditeur connaît ses limites (imposées, peut-être, par le prix de revient du volume) ; le pédagogue pressent ce que son auditoire n’a pu percevoir du texte parce que cela n’entre pas dans ses catégories mentales ; le lecteur, qui est loin d’être un consommateur passif, se doute bien des éclairages qu’il lui faudrait concentrer pour saisir toute l’œuvre et s’adonner à son vice impuni. Mais chacun des partenaires fait comme si tout était déjà codifié, comme s’il n’y avait plus rien à y redire, comme si le travail de tous n’avait pas de prix, je veux dire de valeur intrinsèque.

Quelles seraient donc aujourd’hui, dans l’édition critique contemporaine, les fonctions de l’annotation des mots difficiles ?

Au plan formel, la tradition philologique, transmutée en linguistique, ayant pour objet de montrer le système de la parole singulière, indique la voie : elle signale et explique les variations de tous ordres, marque les transferts d’un niveau de langue à l’autre, les usages spécifiques, le traitement qu’un auteur donné impose à la langue.

Sur le fond, le plus ténu, le plus difficile à circonscrire, il faut bien le reconnaître, l’annotation vise, globalement, à restituer la référence perduexi ou, plus précisément, à établir le système de l’auteur, à un moment donné, sur le plan interne, à travers l’ensemble de sa production ; sur le plan externe, par rapport à son univers de référence, qu’il appartienne au vaste monde ou à ce qui lui est consubstantiel, le monde livresque, intertextuel pour tout dire. Il importe donc de posséder un glossaire (autant que possible numérisé) des œuvres complètes de l’auteur, afin de pouvoir déterminer l’usage qu’il fait de telle ou telle création verbale, de même qu’il faut pouvoir la rapporter à un corpus pertinent de textes du même genre, à la même époque. C’est ainsi, me semble-t-il, que “ les mots difficiles ”, dont on a vu qu’ils ne se réduisaient pas à des innovations sauvages, pourront être domestiqués.

Au vrai, si une telle pratique n’a jamais été théorisée, en dépit de sa nécessité concrète, c’est peut-être parce que le public a encore à l’oreille les ukases des surréalistes à l’encontre des commentateurs. Il serait temps de réagir.

i. Sur cette question, se reporter aux travaux de Georges Gougenheim et al., L’Élaboration du français fondamental, Credif, 1951 et 1964.

ii. Voir mon article “ Hubert de Phalèse’s Method ”, Literary & Linguistic Computing, Oxford, Vol. 10, n° 2, 1995, pp. 129-134, repris en français dans : Henri Béhar, La Littérature et son golem, Paris, Honoré Champion, 1996, coll. Travaux de linguistique quantitative, n° 58, pp. 151-162.

iii. Hubert de Phalèse est le nom collectif adopté par une équipe de recherche de l’université Paris III. Il a neuf titres à son actif, édités dans la collection Cap’agreg chez Nizet.

iv. Tout au long de cet article, je me réfère à : Claude Simon, La Route des Flandres (1960), Éditions de Minuit, coll. “ Double ”, tirage de 1997.

v. Produit de la firme Diagonal, version 2.2, 1997.

vi. Hubert de Phalèse, Code de La Route des Flandres, Nizet, 1997, pp. 54-55.

vii. Id., ibid. p. 46.

viii. Hubert de Phalèse, Dictionnaire des Misérables, Nizet, 1994, 160 p.

ix. Gustave Rudler, Techniques de la critique et de l’histoire littéraires, Oxford, 1923, 204 p. reprint chez Slatkine, 1979, coll. “ Ressources ”.

x. Voir : Patrick Rebollar, “ Simonesque, sur quelques adjectifs dans l’œuvre de Claude Simon ”, Le Texte, un objet d’études interdisciplinaires, Paris, Presses de l’Université Paris VIII, 1994, partiellement repris dans : Hubert de Phalèse, Code de La Route…, op. cit. pp. 44-45.

xi. Sur ce point, on lira avec profit la très lucide approche de Jean-Pierre Goldenstein, “ Référence parler : le retour du refoulé… ”, Pratiques, n° 93, mars 1997, pp.73-87.


Lire :

Claude Simon, La Route des Flandres (1960), Éditions de Minuit, coll. “ Double ”.

Hubert de Phalèse, Code de La Route des Flandres, Nizet, 1997.

https://melusine-surrealisme.fr/henribehar/wp/?page_id=205

Prolongements :

voir la MAIF, éditrice de répertoires des mots difficiles :

https://www.maif.fr/enseignants/solutions-educatives/les-mots-difficiles-a-lire-et-a-ecrire#:~:text=Les%20mots%20difficiles%20%C3%A0%20lire%20et%20Les%20mots%20difficiles%20%C3%A0,saisir%20son%20num%C3%A9ro%20de%20soci%C3%A9taire.

« De l’âge d’or à l’âge d’homme : l’utopie surréaliste ». Autrement dire, n° 314, Discours et utopie : stratégies, 1987, pp. 181-194.

Table des matières :

[Télécharger cet article en PDF]

Texte repris dans : Henri Béhar, Les Enfants perdus, Lausanne, L’Age d’Homme, 2002, pp. 239-252.

Compte rendu de l’ouvrage : https://dadasurr.blogspot.com/2011/12/httpmelusine.html

Voir : n° 54. « Le vent du souvenir et de l’avenir », Mélusine, n° 7, 1985, pp. 9-16 (avec P. Mourier). Et l’intégralité de la revue Mélusine, n° VII, l’âge d’or, l’âge d’homme.

Table des matières :

Prolongements :

https://www.socialisme-libertaire.fr/2019/04/surrealistes-et-revolte-utopique.html

Edgar Morin : https://classiques-garnier.com/rene-char-ethique-et-utopie-au-service-de-la-revolution-surrealiste.html

Louis Janover : Le rêve et le plomb : le surréalisme de l’utopie à l’avant-garde, — 1986 :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33251245.texteImage

Julia Drost, Utopies et dystopies de la nature – Surréalisme et pensée écologique : https://www.dfk-paris.org/fr/research-project/utopies-et-dystopies-de-la-nature-surr%C3%A9alisme-et-pens%C3%A9e-%C3%A9cologique-2737.html

« En belle page », Mélusine, n° IV, 1983, pp.11-13.

Le quatrième volume de la revue Mélusine consignait les actes du colloque international sur le livre surréaliste (Université Paris III-Sorbonne nouvelle, juin 1981) et reproduisait le programme de l’exposition consacrée au même sujet, qui se tint à la Bibliothèque publique d’information, Centre Pompidou, au même moment. En guise d’introduction aux travaux du colloque, on lira ci-après mes propos d’ouverture.

TABLE DES MATIÈRES

Allocution de M. MOREL au nom du Conseil scientifique de Paris III 9
Henri BEHAR : En belle page . . . . . . . . . . . . . . . Il
Roger NAV ARRI : Institutions – Mouvement – Groupe – Revue :
le cas des revues surréalistes après 1945 15
Viviane COUILLARD : Une revue (presque surréaliste des années 28-30 : Le Grand Jeu 31
Anna BALAKIAN : Réception du surréalisme dans la poésie
latino-américaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Patrick IMBERT: Réception des surréalistes québécois 55
Henri BEHAR : Lieux-dits: les titres surréalistes 77
Stéphane SARKANY : Nadja ou la lecture du monde objectif.. 101
Suzanne LAMY : Breton-Duras. B.D. – Ma bande dessinée
ou lecture d’une confluence 111
Jean ARROUYE : La photographie dans Nadja. . . .. . . . . .. . 121
Marie-Claire DUMAS : Les rendez-vous graphiques de Robert
Desnos 123
Nicole BOULESTREAU : Le photopoème Facile: un nouveau
livre, dans les années 1930
Arturo SCHWARZ: L’amour est l’érotisme 179
Mary Ann CA WS : Lecture contrariée des rapports illustrés 203
Jean-Charles GATEAU: Découper, se couper, se recouper 217
Renée RIESE HUBERT: Miro et le livre surréaliste 227
Pierre LAURETTE: Alfred Pellan et le texte surréaliste 241
Anne-Marie AMIOT : Nouvelles Impressions d’Afrique : texte,
blanc et image . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 251
Fernand DRIJKONINGEN : La fonction du narrataire dans
Le Paysan de Paris 267
Karlheinz BARCK : Lecture de livres surréalistes par Walter Ben-
jamin “. . . . . . . . . . . . . . .. 277
Danielle BONNAUD-LAMOTTE et Jean-Luc RISPAIL : Ré-
édition du S.A.S.D.L.R. sur ordinateur ou le calvaire d’un texte 289
Boris RYBAK : L’itérateur surréaliste 307
Michel LAUNAY : Physique du livre : petite suite Eluard-Char-
Butor 311
Les « fabricateurs» du livre surréaliste, table ronde dirigée par
Michel DECAUDIN 327
Catalogue de l’exposition : Livres surréalistes … “………… 337

EN BELLE PAGE

En 1975 s’est tenu un colloque intitulé : «Le Surréalisme dans le texte ». Nous nous inscrivons dans son prolongement en organisant ces manifestations sur le livre surréaliste. Nos amis grenoblois partaient du postulat : «Prenons une page précise d’un des grands surréalistes» et proposons notre lecture. Pour les besoins de leur propos, ils feignaient de croire que les livres auxquels emprunter cette page existaient une fois pour toutes. Pour ma part, j’ai pensé qu’il serait nécessaire de commencer par donner à voir, non plus une page, mais l’ensemble du recueil et, s’il se pouvait, la totalité des livres surréalistes.

A défaut de tous les rassembler, nous avons pu, grâce à l’hospitalité de la B.P.I., à la diligence de Pascaline Mourier et de son équipe, à la bienveillance de nombreux prêteurs, en montrer quelques-uns, parmi les plus caractéristiques, nous limitant dans le temps et dans l’espace pour des raisons… d’espace restreint.

Et maintenant, il s’agit de réfléchir sur l’objet livresque. Trois orientations s’offrent à nous d’emblée. Elles marquent les étapes de ces trois journées.

1. Du manuscrit à la réédition, le livre vit, il a une histoire. Que se passe-t-il entre le manuscrit et sa version imprimée? Que peut-on lire dans l’épaisseur des notes et des ratures, dans ce que J. Belle-min-Noël a nommé l’avant-texte ? Que nous indiquent les protestations de fidélité au texte initial et les modifications· par souci du bien dire qu’introduit Breton d’une édition à l’autre de ses livres ? Naguère Claude Martin a indiqué quelques pistes fructueuses.
Mais ce livre, que nous l’entendions au sens large d’assemblage de feuillets imprimés (comprenant brochure, plaquettes, revues) ou, plus restreint de volume broché, demande à être caractérisé quantitativement, qualitativement. Quelle est l’importance de la production surréaliste par rapport à l’époque ? Qui publie le plus ? Quelles années sont fastes, quelles néfastes ? En 1936 et 1937 je relève, dans les catalogues français, 15 titres chaque année : c’est le point maximum d’une courbe de Gauss en forme de chapeau de gendarme. Quels sont les éditeurs préférés (ou résignés) des surréalistes ? Dans mon comput, sur 280 volumes, 40 sont publiés par Gallimard, 22 par Kra, 17 par

G. Lévis-Mano, 13 par Corti. Mais les surréalistes eux-mêmes ont financé 43 recueils sous le label des Éditions surréalistes ou plus ouvertement à compte d’auteur. Que savons-nous de la vente, de la diffusion de ces livres ? En 1965, Eric Losfeld me disait qu’il n’avait jamais gagné un sou sur ce secteur de sa librairie; mais les actuelles réimpressions me semblent un appoint non négligeable pour les éditeurs !
Il aurait fallu parler de ces rééditions et surtout de la publication en cours d’œuvres complètes (Aragon, Eluard, Tzara, Breton…) qui ne sont pas sans poser de nouveaux problèmes et bien des questions de principe aux présentateurs.
Sur le plan sociologique, il faudrait faire la part du mécénat, très actif, dans les années 30. Peut-être l’échange de vues suivant les communications en précisera-t-il la fonction.
Quant à l’aspect proprement matériel du livre, à sa « fabrication », elle fera l’objet d’une table ronde, ce soir, à laquelle nous avons convié des techniciens, des praticiens, qui sont en même temps des historiens et des théoriciens, autour de Michel Décaudin.

2. La seconde phase de nos entretiens devrait aborder l’accueil, la fortune et la réception du livre surréaliste. Ce ne sont pas, à mon sens, trois synonymes, les implications de chaque type d’études étant très différentes. Reste qu’ils supposent des investigations nouvelles, du moins dans le domaine francophone. Quel lecteur implicite les œuvres surréalistes postulent-elles, quel lecteur réel ont-elles rencontré? Comment s’organise la dialectique de la lecture qui devrait conduire à une transformation du lecteur ? Quels publics le surréalisme a-t-il touché par ses publications, dans quelles régions, de France et du monde, dans quels secteurs de la culture, à quel âge ?
Autant de questions pour lesquelles la réponse ne nous vient pas immédiatement.
Peut-être en saurons-nous davantage à travers la lecture des critiques, de la presse, et des surréalistes eux-mêmes en tant qu’agents de la presse ou bien public interne, privilégié, de ses propres productions.

3. La troisième orientation de nos travaux, qui n’est évidemment pas indépendante des deux autres, porte sur la sémiotique du livre, et, puisqu’il faut être bref, nous conduit à mettre en évidence la physique particulière de l’objet matériel et plastique dénommé livre. On insistera, du moins le résumé des communications me le laisse-t-il supposer, sur cette relation anormale qui s’établit, dans des récits, entre la photographie, le cliché extrait de la presse, de la lettre environnante, et le texte lui-même. Et, bien sûr, la part royale reviendra à ce qu’on a appelé l’écriture à plusieurs mains, le dialogue qui s’instaure entre la surface typographiée et la surface illustrée, entre le noir et le blanc dans l’espace de la page, entre le titre et le corps de l’ouvrage, etc.

La question est donc posée, clairement je l’espère : y a-t-il un livre surréaliste ou seulement un conglomérat de livres produits par des surréalistes, que par métonymie on nomme livres surréalistes (au pluriel) ? En d’autres termes, quels seraient les critères permettant de dire, d’emblée, ceci est, ceci n’est pas, surréaliste ? Il y a de fortes présomptions pour penser que certains livres deviennent surréalistes, se rangent dans la classe en question, non par évolution naturelle mais par une suite de coups de force et de détournements, qu’il nous appartiendra d’évaluer. D’où cette hésitation assumée entre le pluriel et le singulier pour désigner l’entreprise qui nous réunit. Le surréalisme n’est-il pas, en lui-même, un pluriel singulier ?

« Usages poétiques de la langue : Dada et surréalisme », dans Histoire de la langue française 1914-1945, sous la direction de Gérald Antoine et Robert Martin, CNRS-Editions, 1995, pp. 567-595.

Texte paru dans : Histoire de la langue française des origines à nos jours, t. XV (1914-1945) sous la direction de G.  Antoine et R.  Martin , aux Éd. du cnrs, Paris, 1995.

 Histoire de la Langue francaise 1914-1945, Cnrs-éditions & Institut national de la langue francaise (InaLF),  1996.

Quatrième de couverture:

Dans le prolongement de la monumentale histoire de la langue française entreprise par Ferdinand Brunot, ce volume prend la suite de celui portant sur la période 1880-1914 (publié en 1985). Ses 42 chapitres sont divisés en 4 grandes sections : – Examen des tendances propres à la prononciation, à l’orthographe, au lexique et à la syntaxe ; – Ensemble des usages du français : la langue avant tout orale (argots, états des patois, langue parlée …), les langages de “spécialistes” (scientifiques, techniques …), les aspects littéraires ; – Situation du français hors de France ; – Bilan des travaux accomplis dans les divers domaines de la recherche grammaticale, linguistique et historique portant sur la langue française. Bornée par les deux guerres mondiales – qui ont vu le développement de nouveaux moyens de communication, notamment à visée de propagande -, la période concernée amène à porter un intérêt particulier à l’expression orale, marquée par l’influence du cinéma et des médias radiophoniques. Le recteur Gérald Antoine et Robert Martin (directeur de l’INALF) ont fait appel à des spécialistes incontestés de chaque domaine pour mener à bien cette entreprise sans équivalent dans le monde.

Curieusement, cet ouvrage de référence, qui devrait se trouver en accès libre dans toutes les bibliothèques publiques, n’est guère signalé sur leréseau, ni dans les universités.

Aussi me dois-je de mentionner la première publication du tome XV (et dernier), dirigé par Robert Martin et Gérald Antoine, lesquels ont tenu à me faire une place, en complément du chapitre rédigé par Gérald Antoine, lequel eût été tout aussi capable que moi, de traiter de dada et du surréalisme.

[Télécharger mon texte en PDF (texte intégral)]

Prolongements : L’imaginaire linguistique du surréalisme
L’imaginaire linguistique du surréalisme | Mélusine (melusine-surrealisme.fr)

Poésie et politique au XXe s. Voir : https://melusine-surrealisme.fr/site/ProgrammeCerisy_2010.pdf

Poésie et politique au XXe siècle, sous la direction de Henri Béhar et Pierre Taminiaux

Actes du colloque de juillet 2010, Centre Culturel International de Cerisy
Hermann — 2011. ISBN 978-2-7056-8026-8

Table des Matières :

Introduction, par Henri BÉHAR & Pierre TAMINIAUX
Les Manifestes Dada comme gestes poétiques, par Pierre TAMINIAUX
Surréalisme Post-surréalisme

La poésie surréaliste entre révolte et révolution, par Carole REYNAUD-PALIGOT
Politique du poème chez René Char,par Laure MICHEL
« Oulipo-litiques », par Christophe REIG
L’anti-démagogisme poétique: un pont de la revue Proverbe à nos jours, par David CHRISTOFFEL
Du cannibalisme surréaliste à la poétique anthropophage de Benjamin Péret, par Virginie POUZET-DUZER
« L’amour compassionnel » chez André Breton ou exprimer autrement le politique, par Misao HARADA
De la grande actualité de l’humain, par Effie RENTZOU
La voix de Paul Eluard solidaire de l’Espagne, par Brisa GOMEZ-ANGEL
Résistances Révolutions Subversions
D’un siècle l’autre, par Christian PRIGENT
Christian Prigent, une écriture politique ?, par Bénédicte GORRILLOT
A quoi bon des poètes en temps de liesse révolutionnaire ? de Cuba à l’événement 68, par Jérôme DUWA
Gaston Miron, le poème, « mors obscurs de nos combats », par Delphine RUMEAU
Engagements et poésie, vers l’invention du sujet relatif, par Jean-Pierre ZUBIATE
Francis Ponge ou les écrits comme espace spirituel de la nation, par Pascal SIGODA
Repoétiser la vie, Raoul Vaneigem ou la subversion affinée du Libre-Esprit, par Jean-Claude MARCEAU
Césaire et la dialectique de la libération : Cahier d’un retour au pays natal et La Tragédie du roi Christophe, par N’guettia Martin KOUADIO
Sous l’influence des poètes : rhétorique d’un paysagiste à l’usage du politique, par Catherine CHOMARAT-RUIZ
Politique et mystique, l’Unanimisme de Jules Romains et du premier Jouve, par Alessandra MARANGONI
Frankétienne, la politique de la spirale, par Marie-Edith LENOBLE
La poésie québécoise, de la patrie au pays, par Sophie BASTIEN
De la circonstance politique à la circonférence poét(h)ique, par Fadi KHODR
Stalinade, par Jean-Clarence LAMBERT

« Intellectuel surréaliste », Mélusine, n° XII, 1991, pp. 309-315

INTELLECTUEL SURREALISTE

Intellectuel surréaliste : l’alliance de mots paraît une incongruité, sinon une antinomie, tant le surréalisme s’est voulu hors de la sphère intellectuelle. On est, on devient sur­réaliste, un point c’est tout. Considérer le surréaliste comme un intellectuel, n’est-ce pas le réduire à une fonction céré­brale ou le ranger dans une catégorie d’individus propre à la France bourgeoise ?

Au demeurant, une telle distinction ne semble pas opéra­toire aux yeux des partisans de la sociologie littéraire insti­tutionnelle, qui s’en tiennent aux traditionnelles catégories socio-professionnelles pour analyser les origines familiales ou la situation personnelle des membres du Mouvement surréaliste1. Globalement, on évoque l’appartenance de leur famille à la “ petite bourgeoisie ”, quand ce n’est pas la “ bourgeoisie ”. Pour eux-mêmes, on les classe, selon leur activité dominante, parmi les artistes, les peintres, les écrivains, les poètes, faute de pouvoir préciser le métier qui, par ailleurs, leur procurait des revenus plus ou moins réguliers. A quelques nuances près, cependant. Analysant, dans sa thèse, l’impact du pamphlet de 1924, Un cadavre, dirigé contre Anatole France, Norbert Bandier souligne le clivage provoqué entre les “ lettrés ” et les “ intellectuels révolutionnaires ” (p. 173). A l’occasion de ce premier éclat public, constitutif du Mouve­ment, pour ainsi dire, se cristalliserait cette stratégie de conquête du pouvoir symbolique consistant à éliminer les an­ciens modèles et les concurrents pour imposer un programme nou­veau, s’ouvrant vers un public différent. En bonne logique, ce­lui-ci est “ formé par les “ intellectuels révolutionnaires ” ”, et, conclut Bandier au terme d’une étude qui le conduit jusqu’à la publication du Second Manifeste du surréalisme : “ le modèle du “ lettré ” tend à s’effacer devant le modèle de l’“ intellectuel ” (p. 553). Je doute, pour ma part, que le lectorat, et qui plus est, le public des surréalistes, soit aussi orienté vers le changement de régime que le prétend notre jeune chercheur. Il ne m’est pas possible, dans le cadre de cet article, de discu­ter chacun des points d’une démonstration fort riche et nuan­cée, s’appuyant sur une documentation souvent de première main. L’important est de retenir la trajectoire qui, de 1924 à 1929, révèle l’émergence du concept d’intellectuel au sein du groupe surréaliste.

Or, ce concept, nous avons un moyen irréfutable d’en rele­ver la trace : c’est le repérage du mot, fourni par l’ordinateur, pourvu que les textes concernés aient été “ saisis ”, autrement dit mis en machine. Dans un article d’une fulgurante concision, Jean-Luc Rispail, s’aidant des sorties informatiques du Surréalisme au Service de la Révolution élabo­rées par l’unité “ Lexicologie et terminologie littéraires contemporaines ” (I.Na.L.F-C.N.R.S.), caractérise clairement l’usage que font du vocable, sous toutes ses formes, les colla­borateurs de cette revue, partagés entre leur désir de servir la classe ouvrière et celui de maintenir

au sein du mouvement marxiste le rôle expérimentateur qui fait la spécificité de l’activité surréaliste, en remettant en cause les cadres mêmes à l’intérieur desquels celui-ci tente de les enfermer (écrivains, artistes, poètes, etc.) ”2.

Mais Rispail fait plus : il nous livre, avec le mode d’emploi, les “contextes”, c’est-à-dire chacune des phrases où le terme “ intellectuel(s) ” est em­ployé, invitant le lecteur à poursuivre lui-même l’analyse et à gloser s’il le désire.

De fait, André Breton n’emploie guère le substantif “ intellectuel” dans ses propres textes (aucune occurrence dans le Manifeste du surréalisme), et s’il le fait, ce n’est pas sans réserves, avec le souci de lui donner une valeur spéci­fique, comme, d’ailleurs, pour l’ensemble du vocabulaire. Quand il reprend, en usant de guillemets, l’opposition traditionnelle entre “ manuels ” et “ intellectuels ” , dans l’article “ La dernière grève ” (La Révolution surréaliste n°2, 15 janvier 1925), c’est bien contre son gré, pour se faire mieux comprendre de ses lec­teurs et dépeindre la situation présente, qu’il ne demande qu’à bouleverser au nom de son “ attachement absolu au principe de la liberté humaine ”3. Son rapprochement temporaire avec le parti communiste l’entraîne, me semble-t-il, à user d’un vocabulaire nettement marqué, non sans réserves :

J’accepte, cependant, que par suite d’une méprise, rien de plus, on m’ait pris dans le parti communiste pour un des intellectuels les plus indési­rables ”

concède-t-il dans le Second Manifeste du surréalisme, mais c’est pour dénoncer ses anciens compagnons, ceux “ dont les déterminations morales sont plus que sujettes à caution ” qui, faute de mieux, se rabattent sur l’agitation révolutionnaire, après avoir échoué ailleurs. Dans la mesure où les surréalistes se considèrent comme de véritables révolutionnaires, traîtres à leur classe d’origine, pour employer le jargon d’époque, il va de soi qu’ils puissent être qualifiés d’intellectuels. Eti­quette qu’ils revendiquent même dans leur célèbre télégramme au Bureau International de Littérature révolutionnaire ouvrant le premier numéro du S.A.S.D.L.R., par lequel ils se déclarent prêts à suivre l’attitude du Parti Communiste français dans le cas où l’impérialisme engagerait la guerre contre le régime so­viétique, ajoutant : “ si estimiez en pareil cas un meilleur em­ploi possible de nos facultés sommes à votre disposition pour mission précise exigeant tout autre usage de nous en tant qu’intellectuels ”.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que ce soient les deux surréalistes présents au Congrès de Kharkov, Aragon et Sadoul, qui emploient le plus le substantif “ intellectuels ”, avec une coloration positive, dans les textes où ils pensaient défendre leur mouvement contre les jugements à l’emporte-pièce des écrivains prolétariens. De même, Pierre Unik, Benjamin Pé­ret et Paul Eluard, René Crevel prennent la défense des “ intellectuels ” indochinois et yougoslaves emprisonnés.

Il n’en demeure pas moins que, statistiquement, le terme, employé au singulier ou au pluriel, revêt une valeur nettement péjorative sous la plume des collaborateurs de cette revue lorsqu’ils désignent ainsi leurs adversaires, les intellectuels français bourgeois, de gauche voire communisants ou “ à ten­dances révolutionnaires ”, quand ce ne sont pas les intellec­tuels castillans et catalans contre lesquels Salvador Dali se déchaîne avec une verve paroxystique.

En somme, même s’ils acceptent d’être pris pour des intel­lectuels, lorsqu’ils débattent du devenir révolutionnaire, les surréalistes n’aiment guère ce mot pour eux-mêmes, lui préfé­rant des vocables plus adaptés à leur pratique quotidienne, comme le montrait la brève étude de Thierry Aubert en 1988, étendant son analyse du même terme dans le même corpus à des synonymes (ou presque) :

Le poète est aux intellectuels ce que le militant communiste est au prolétariat. Finalement, la spé­cificité de l’intellectuel surréaliste, cette particularité dont se réclamait Breton, est sa situation poétique ”4.

Est-ce à dire que, refusant pratiquement de s’auto-dési­gner comme intellectuel, si ce n’est durant son compagnonnage communiste, le surréaliste doit être exclu de cette catégorie dont tout le monde reconnaît l’existence depuis l’Affaire Drey­fus, même si l’on se garde d’en donner une définition ? Ici, l’historien des passions françaises, pour ne pas dire des mou­vements d’opinion politique nous est d’un grand secours, dans la mesure où il n’a pas cherché à distinguer, a priori, le rôle de chaque groupe. En étudiant un vaste corpus de manifestes et de pétitions, moyen d’expression caractéristique des intellec­tuels français au XXème siècle, Jean-François Sirinelli montre bien la place qu’y tiennent les surréalistes, parmi d’autres5.

Cela commence par la pétition en faveur d’André Malraux emprisonné en Indochine, signée conjointement par le groupe de la Nouvelle Revue Française et les surréalistes, le 6 septembre 1924, d’ailleurs précédée d’un très sensible plaidoyer d’André Breton publié dans les mêmes Nouvelles littéraires trois se­maines auparavant. Cela se poursuit par l’appel “ Les travail­leurs intellectuels au côté du prolétariat contre la guerre du Maroc ”, texte d’Henri Barbusse publié par L’Humanité du 2 juil­let 1925, contresigné par la rédaction de Clarté, l’ensemble du groupe surréaliste et du groupe Philosophies, scellant l’union de ces trois mouvements et marquant, si l’on peut dire, l’entrée en politique des surréalistes se déterminant contre la guerre du Rif. Puis c’est l’“ Appel à la lutte ” lancé par André Breton au lendemain du 6 février 1934, prônant “ l’unité d’action de la classe ouvrière ” , recueillant près de 90 signa­tures lors de sa publication dans Le Populaire, anticipant l’union des antifascistes et brûlant la politesse à l’Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires sur son propre terrain. Même s’il convient, comme l’indique Siri­nelli, de relativiser la portée de cet appel, et surtout de le mettre en relation avec d’autres textes comme le manifeste “ Aux travailleurs ” lancé par le Comité de Vigilance des Intellec­tuels Antifascistes, et d’ailleurs signé par Breton et Crevel, il n’en marque pas moins la détermination du surréalisme dans le combat contre la bête immonde. De même qu’avec les paci-fistes il proclamera son “ Refus de penser en chœur ” après l’Anschluss, s’opposant ainsi à l’initiative œcuménique du parti communiste.

A la Libération, on s’en doute, les surréalistes ne figu­rent pas parmi les membres du Comité National des Ecrivains. Ils n’ont pas à prendre parti dans les débats qui l’animent au sujet des listes d’écrivains compromis dans la collaboration. Mais, le 29 mars 1947, Breton ne peut refuser sa signature pour une pétition de Sartre en faveur de Paul Nizan calomnié par Aragon et Henri Lefebvre. Durant ce que Sirinelli nomme “ l’âge d’or des intellectuels communistes ”, il est clair que le sur­réalisme n’a guère le moyen d’investir la une des journaux. Pourtant, son activité au sein des mouvements intellectuels se fera sentir, plus ou moins discrètement, lors de la fondation, en novembre 1955, du Comité d’action contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord. Elle éclatera (non pas au grand jour, compte tenu des circonstances, mais du moins assez clai­rement pour que nul n’en ignore aujourd’hui) quelques années après, en septembre-octobre 1960, avec la “ Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie ”, autrement dit le Manifeste des 121, du nombre de ses premiers signataires, parmi lesquels les membres du groupe surréaliste, dont on sait qu’il fut à l’origine du texte en la personne de Dionys Mas­colo et de Jean Schuster. Pour élargir l’audience de cette pro­clamation, et par souci tactique, les surréalistes se mirent en retrait. Paradoxalement, alors que le parti communiste, leur vieil adversaire, commençait, pour la première fois, à perdre de son audience à cette occasion, ils cessèrent pratiquement de signer des appels collectifs avec d’autres intellectuels.

Méfiance envers ceux que naguère ils traitaient durement, repli sur soi ? L’important est d’observer que, s’ils ont pris l’initiative à plusieurs dates marquantes de l’histoire, rameu­tant leurs semblables pour des actions d’envergure, les surréa­listes n’ont donné leur signature qu’avec parcimonie, se refu­sant, pratiquement depuis 1935, à apposer leur nom à côté de ce­lui des communistes, même au sujet de la guerre d’Espagne. De même, s’ils ne font pas écho aux positions de la gauche lors de Munich, c’est qu’ils ne souscrivent pas au pacifisme militant tel que le prônent Alain, Félicien Challaye, Jean Giono.

Le parcours historique de Jean-François Sirinelli prouve, s’il en était besoin, que les surréalistes se sont effective­ment comportés en intellectuels, durant la période considérée, usant de la pétition et du manifeste, relayés par la presse, quand le besoin s’en faisait sentir, n’hésitant pas à promou­voir l’alliance la plus large dans les circonstances les plus importantes. Mais on peut aller plus loin dans cette voie et considérer que le groupe surréaliste, dans sa réalité mouvante, s’est posé, globalement, comme une formation autonome d’intellectuels de gauche, différente des groupes organisés po­litiquement, s’exprimant au moyen de tracts et déclarations collectives, naguère réunis et commentés par José Pierre6. De fait, ces moyens assurent son homogénéité et sa spécificité, quels qu’en soient le mode de diffusion et les destinataires. En tant qu’intellectuels, les surréalistes interviennent, si­multanément, dans le champ politique, comme on vient de le voir, mais aussi dans le champ socio-culturel et encore plus particulièrement dans le débat interne, contribuant à la défi­nition et à l’évolution de leur mouvement.

Dès l’origine, se posant en intellectuels à tendance révo­lutionnaire, ils affirment leur internationalisme et lancent des manifestes en faveur de leurs homologues polonais (8 août 1925), roumains (28 août 1925), hongrois (17 octobre 1925), chinois (23 novembre 1931). C’est ensuite l’Espagne républi­caine qui requiert leur attention, en 1931 comme en juillet 1936, et la Catalogne sous le régime franquiste. Puis à nouveau la Hongrie, devenue la proie des chars soviétiques (“ Hongrie soleil levant ” , novembre 1956) et encore la Pologne (4 juin 1959) dont ils saluent la résistance au stalinisme, marquant ainsi qu’il n’y avait chez eux aucune solution de continuité depuis leur défense de Trotsky (“ La Planète sans visa ”, 24 avril 1935) et leur défiance envers Staline au Congrès des Ecrivains d’août 1935 jusqu’à leurs multiples mises en garde lors des Procès de Moscou. Cette position est rappelée avec vi­gueur dans le tract “ Autour des livrées sanglantes ” (12 avril 1956), au moment où le rapport Khrouchtchev établit les crimes de Staline.

Le combat anti-colonialiste, à partir de la guerre du Rif, les montre vigilants sur l’Indochine dès le mois d’avril 1947 (“ Liberté est un mot vietnamien ”), comme, on vient de le rappe­ler, sur l’Algérie depuis 1955 jusqu’aux accords d’Evian.

Sur le plan de la politique intérieure française, ils sem­blent moins diserts, se désintéressant des jeux parlementaires, dès lors qu’ils ont appelé à “ La Révolution d’abord et tou­jours ” (21 septembre 1925). Ce qui ne les a pas empêchés d’intervenir auprès de leurs pairs lors des grandes crises, jusqu’à se mettre au service de la jeunesse révoltée en mai 1968 (“ Pas de Pasteurs pour cette Rage ”).

Dans le domaine socio-culturel, les surréalistes prennent la défense de ceux qu’ils revendiquent comme leurs précurseurs : Lautréamont (1er mars 1922, avril 1927, 15 décembre 1967), Jarry (1922, 1937), Rimbaud (22 août 1924, 23 octobre 1927). Ou encore leurs compagnons sur la voie de la libération artistique : Reverdy (26 mai 1924), Picasso (18 juin 1924), Saint-Pol-Roux (9 mai 1925), y compris leurs propres camarades, comme les au­teurs de L’Age d’or attaqués par les ligues bien-pensantes (novembre 1930). Ils ne se privent pas d’attaque les fausses gloires, tel Anatole France (Un cadavre, octobre 1924), leurs détracteurs, comme Paul Claudel (1er juillet 1925), défendant au contraire Charlie Chaplin (“ Hands off love ”, octobre 1927), Freud (mars 1938), la meurtrière d’un Camelot du Roy, des jeunes filles injustement condamnées par la société (Violette Nozières, Pauline Dubuisson), sans parler des numéros de La Ré­volution surréaliste dirigés contre toutes les entraves so­ciales. Sur un plan plus artistique, ils luttent contre le na­tionalisme dans l’art en 1939, contre le misérabilisme dans les années cinquante.

Toujours sur le qui-vive, ils se voient tenus d’expliquer leur position pour eux-mêmes (Déclaration du 27 janvier 1925) et pour ceux qui voudraient les assimiler à une simple école artistique (“ Les Intellectuels et la révolution ”, 8 novembre 1925), refusant l’intégration pure et simple au parti commu­niste (“ Au grand jour ”, mai 1927), comme la dispersion artis­tique (“ A suivre… ”, juin 1929). Il serait fastidieux d’énumérer, ici, tous les communiqués et déclarations relatifs aux exclusions, aux mises en garde aussi bien qu’aux réintégra­tions des membres du groupe surréaliste. Une critique superfi­cielle en a fait des gorges chaudes, sans comprendre en quoi de telles proclamations étaient consubstantielles à ce groupement intellectuel, constamment appelé à se protéger de ses alliés avides de les annexer ou même de ses adversaires trop enclins à les neutraliser. Le phénomène nouveau, à cet égard, est la très grande attention portée par un certain public, amateur de ce genre de règlements de compte, à ce qui, dans les partis poli­tiques, relève de la commission des conflits. Mais c’est juste­ment parce qu’il n’est pas organisé comme une formation parti­sane que le surréalisme agit ainsi au grand jour, rappelant constamment des principes, non consignés dans une charte fonda­mentale. Outre les Manifestes d’André Breton, des textes comme “ Rupture inaugurale ” (21 juin 1947), “ A la niche les glapis­seurs de Dieu”(14 juin 1948), “ Haute fréquence ” (24 mai 1951), “ Pour un demain joueur ” (1967) peuvent en tenir lieu.

Replacées dans le contexte, ces modalités

que l’on a cru propres au tempérament surréaliste apparaissent en fait comme l’attitude exacerbée d’intellectuels soucieux de transformer leurs paroles en actes, d’entraîner le plus grand nombre à leur suite. Qu’ils n’y soient parvenus que très partiellement et très épisodiquement est un autre problème. La légitimation sociale du surréalisme relève de processus bien particuliers, encore peu étudiés, qui n’ont rien à voir avec les mécanismes habituels relevant des lois du marché, des instances étatiques ni même de la compétence reconnue par les pairs. Le fait est que les surréalistes font partie de ces intellectuels qui ont forgé le paysage spirituel de la France pendant un demi-siècle, quand bien-même ils se glorifiaient de la trahison des clercs.

Henri BEHAR

Compléments :

Voir et télécharger gratuitement le volume de la collection Les Pas perdus:

Microsoft Word – Intello_surrealiste_SBIndexCorr.doc (melusine-surrealisme.fr)

Compte rendu Fabula :<<<<<<<<<<<<<<: Intellectuel surréaliste, M. Vassevière (éd) (fabula.org)

Compte rendu Fabula : https://www.fabula.org/acta/document4551.php

Pour mémoire :

Programme du séminaire 2004-2005
Figures du surréaliste en intellectuel après 1945
GDR 2223 CNRS. (Directeur : Henri BEHAR
12 novembre 04 17h-19h, s. 410
Nathalie LIMAT-LETELLIER– Maryse VASSEVIÈRE : Introduction du séminaire : problématique et contextualisation
10 décembre 04 17h-19h, s. 410
Henri BÉHAR : Le droit à l’insoumission : les surréalistes et la Guerre d’Algérie
14 janvier 05 17h-19h s. 410
Marie-Christine LALA : La dimension intellectuelle de Georges Bataille après 1945
11 février 05 16h-18h s. 410
Sophie LECLERCQ : Le discours sur l’Autre et la nouvelle légitimité de l’intellectuel surréaliste après 1945
11 mars 05 16h-18h s. 410
Carole REYNAUD-PALIGOT : Les surréalistes et le mouvement libertaire après 1945
8 avril 05 16h-18h s. 410
Pierre VILAR : Leiris, intellectuel à la corne de taureau
Les séances auront lieu à l’Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle, Centre Censier, 13 rue de Santeuil, 75005 Paris (Métro Censier-Daubenton), salle 410 (4ème étage) les vendredis de 17h à 19h au premier semestre et de 16h à 18h au deuxième semestre.

Prolongements : Voir aussi, plus récemment : Histoire du surréalisme ignoré (1945-1969) Du Déshonneur des poètes au « surréalisme éternel » Anne Foucault

  1. Présentation

L’activité surréaliste parisienne entre 1946 et 1969 est encore mal connue et relativement dévaluée en comparaison de la période de l’entre-deux guerres. Partant d’une approche résolument collective, cet ouvrage entreprend de comprendre et critiquer cette dévalorisation. Confronté aux premières entreprises historiographiques qui participent à l’institutionnalisation de son passé et de son héritage, le surréalisme parvient à inventer des voies neuves sur le plan plastique, en particulier autour de l’automatisme (Simon Hantaï, Adrien Dax), de l’objet (Hervé Télémaque, Konrad Klapheck), de la théorisation et de la pratique d’un art magique (Jean Benoît, Jorge Camacho). Sur le plan politique, cette même approche collective permet de percevoir qu’après une période d’isolement jusqu’au mitan des années 1950, les valeurs défendues par les surréalistes connaissent à la faveur de la déstalinisation et des luttes de décolonisation une reconnaissance dans les milieux intellectuels. Commence alors pour le groupe une série de collaborations dont les enjeux et les difficultés permettent de mieux comprendre ce qui put conduire à l’auto-dissolution du groupe peu de temps après Mai 68.


1 Voir : Jean-Pierre Bertrand, Jacques Dubois, Pascal Durand : “ Approche institutionnelle du premier surréalisme (1919-1924) ”, Pratiques, n°38, juin 1983, pp. 27-53 ; ainsi que la thèse de Norbert Bandier : Analyse sociologique du groupe surréaliste français et de sa production de 1924 à 1929, Université de Lyon II, 1988, 591 p. dactyl. plus annexes.

2 Jean-Luc Rispail : “ Contextes surréalistes d’Intellectuel(s) 1924-1933 ”, p. 62, dans l’ouvrage collectif dirigé par D. Bon­naud-Lamotte et lui-même : Intellectuel(s) des années trente entre le rêve et l’action, Editions du CNRS, 1989, 280 p. ill.

3 Référence signalée, avec erreur de pagination et mastic dans la citation, par Edouard Béguin dans l’article “ Intellectuel(s) chez Aragon ”, ibid, p.106.

4 Thierry Aubert : “ L’intellectuel surréaliste dans le SASDLR ”, travail de D.E.A. publié dans notre brochure de cours L’Ordinateur au service de la littérature, Université Paris III, 1988, p.95.

5 Jean-François Sirinelli : Intellectuels et passions fran­çaises –Manifestes et pétitions au XXe siècle, Fayard, 1990, 365 p.

6 José Pierre : Tracts surréalistes et déclarations collec­tives 1922-1969, Le Terrain vague, 2 vol. 1980-1982.

« Débris, collage et invention poétique », Europe, n° 566, juin 1976, pp. 102-114.

Sommaire :

Textes de Cendrars, Soupault, C. Leroy, C. Dobzynski, M. Décaudin, Gustave Le Rouge, Henri Barbusse, Henri Béhar, inédits de Cendrars…

Nouvelle édition 1995

Quatrième de couverture :

Cendrars a passé longtemps pour un écrivain à découvrir. Ce n’est pas qu’on l’ignorait, cet inconnu célèbre, mais on le connaissait plus de nom que de plume. Malraux, qui le tenait pour un des plus grands poètes du siècle, le jugeait « distraitement reconnu ». Dans la mémoire collective, sa présence était aussi turbulente qu’émiettée. Il faisait sa croisière, ici ou là, dans les parages d’Apollinaire ou auprès des peintres de l’École de Paris (Delaunay, Léger, Chagall…), dont il s’était fait le poète dès son installation en France, en 1912. On le rencontrait encore sous le signe de la modernité, mais d’une modernité très début de siècle, plus portée, semblait-il, à l’exaltation des machines et de la vitesse, des trains et des paquebots, qu’à l’expérimentation formelle. Il fournissait, enfin, l’archétype des écrivains-voyageurs : le bourlingueur, c’était lui. Énorme et truculent, fort en gueule et en coups d’éclat, porté à l’épate, tirant à lui la couverture de ses livres, le personnage de Cendrars jetait trop d’ombre sur son écriture… Le présent numéro d’Europe, publié pour la première fois en 1976, fut le premier acte collectif de la critique cendrarsienne moderne. Parce qu’il frayait maints passages au-delà des images reçues, il était aussi, à sa façon, un manifeste. Sous la figure du bourlingueur, il fallait révéler l’alchimiste des mots. Après la parade du baroudeur, le temps était venu de se porter « au cœur du texte ». Depuis longtemps épuisé, recherché par de nombreux amateurs de Cendrars, ce numéro historique méritait assurément d’être réédité.

[Télécharger le PDF de mon article]

Texte repris dans : Henri Béhar, Littéruptures, Lausanne, L’Age d’Homme, 1988, p. 169-180.

Voir la version numérique (Attention : livre en entier fichier lourd et long à charger!) : https://melusine-surrealisme.fr/henribehar/wp/wp-content/uploads/2014/12/Litt%C3 %A9ruptures_ADH.pdf

Prolongements : l’exposition

DÉBRIS – COLLAGES : RÉCUPÉRER, ASSEMBLER ET RECONSTRUIRE
LAM, VILLENEUVE D’ASCQ – 21 Juin 2018 16 Sept. 2018

Présentée dans le cadre des 50 ans de la MEL (Métropole Européenne de Lille), l’exposition propose de redécouvrir les collections du musée de manière inédite et transversale, à travers l’art moderne, l’art contemporain et l’art brut. À travers son parcours, l’exposition présentera la pratique du collage, très répandue au XXᵉ siècle, tout en la mêlant à celle de la récupération, du démontage, de la déconstruction voire de la destruction. Les visiteurs seront invités à découvrir la pratique du bricolage en art, qui fut une des réponses aux grands bouleversements du siècle dernier.

A cette occasion, le LaM présentera des nouvelles acquisitions ainsi que des œuvres très peu, voire jamais exposées, telles que les affiches lacérées ou déchirées de Jacques Villeglé et de Mimmo Rotella ou encore les décollages de François Dufrêne.

« Lieux-dits, les titres surréalistes », Mélusine, n° 4, 1983, pp. 77-101 (voir n° 34). « Portes battantes », Mélusine, n° 4, 1983, pp. 339-341.

Publié d’abord en polonais, suivi du corpus des titres étudiés :

34. « O tytulach surrealstycznych », Pamietnik literacki, Varsovie, 1981, N° 2, pp. 260-277.

Mélusine n°IV: Le Livre surréaliste, 1983

[Télécharger l’article en PDF : « Lieux-dits »]

Article repris dans le volume Henri Béhar, Les Enfants perdus, Lausanne, L’Age d’Homme, 2002, p. 167-194.

https://www.revue-textimage.com/12_varia_5/mjakobi1.htmloir

Voir en complément l’article de Marianne Jakobi : https://www.revue-textimage.com/12_varia_5/mjakobi1.html

« La question du théâtre surréaliste ou le théâtre en ques­tion », Europe, n° 475-476, novembre-décembre 1968, p. 176 sq.

Dossier consacré au surréalisme : définition, contexte et historique du mouvement, avec le témoignage de Philippe SOUPAULT (“Origines et début du Surréalisme”), textes de Maurice BOUVIER-AJAM (“Réalisme du temps surréaliste”) et Jacques GAUCHERON (“Surréalisme mort ou pas mort”); textes de Raymond JEAN sur “l’eros surréaliste” (“La grande force est le désir”) et Roger NAVARRI sur les visions politiques des surréalistes (“Les surréalistes, l’écrivain et la Révolution”), réflexions sur l’importance littéraire du mouvement par Franz HELLENS (“Le surréalisme a tout sauvé”) et Rolland PIERRE (“Points de vue et questions”), “Le surréalisme et ses chances de survie” de Georgres DUPEYRON, “Humour noir et surréalisme” de Lucienne ROCHON; puis textes consacrés à divers écrivains: Lautréamont par Lucienne ROCHON, Pierre Reverdy par Charles BACHAT, Pierre Albert-Birot par Arlette ALBERT-BIROT, “Breton, Jung et le hasard objectif” par Paule PLOUVIER, “Goll et Breton” par Claire GOLL, suivi du fac-similé (16 pages) de sa revue “Surréalisme” de 1924 (textes de Pierre ALBERT-BIROT, Guillaume APOLLINAIRE, Pierre REVERDY, Joseph DELTEIL, Marcel ARLAND, René CREVEL, etc) et de textes d’Yvan GOLL; textes sur le surréalisme et les arts: collages de Max Ernst par Carlo SARLA, cinéma par Pierre AJAME et René GARDIES, Antonin Artaud par Jean-Gabriel NORDMANN et théâtre surréaliste par Henri BEHAR; textes sur le surréalisme hors la France: Belgique par André BLAVIER, Italie par Ugo PISCOPO et surréalisme et futurisme en Italie par Noëmi BLUMENKRANZ-ONIMUS, surréalisme et merveilleux celtique par Françoise HAN, Yougoslavie par Draguicha VITOCHEVITCH, Espagne par Jesus IZCARAY, Paraguay par Pedro GAMARRA DOLDAN, pays hispano-américains par Danièle MUSACCHIO; “hauts-lieux” par Albert FOURNIER et chronologie (1918-1938) du mouvement par Jacques GAUCHERON;28 hors-texte de photos et fac-similés; 1er plat orné d’après “Femmalaharpe”, huile de MAN RAY. ‎ (R.B.)

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Article repris dans : Henri Béhar, Littéruptures, Lausanne, L’Age d’Homme, 1988, p. 509-74. (voir version numérisée : https://melusine-surrealisme.fr/henribehar/wp/wp-content/uploads/2014/12/Litt%C3%A9ruptures_ADH.pdf

Ce texte m’a été demandé par Pierre Gamarra, directeur de la revue Europe, afin de présenter mon Étude sur le théâtre dada et surréaliste, Gallimard, coll. Les Essais, 1967, désormais épuisé, dont je constate qu’il a été numérisé, sans aucun accord, ici : https://fr.scribd.com/document/543591298/Henri-Behar-Etude-Sur-Le-Theatre-Dada-Et-Surrealiste

Présentation : Il est paradoxal de parler de théâtre dada à qui sait que ce mouvement rejetait toute catégorie artistique. Dada ne recherchait pas le scandale systématique mais la participation. Tout le problème consiste à trouver le seuil exact au-delà duquel le spectateur, de passif, devient actif, indépendamment de sa volonté, et les moyens pour y parvenir. C’est à quoi l’auteur s’occupe dans cet ouvrage en examinant les textes qui, organisés en dialogue, se prêtaient le plus à une explosion de la poésie, laquelle, par-delà provocation et scandale, reste poésie de théâtre, c’est-à-dire collective.
Par ailleurs, comment reconnaître la lumière surréaliste au théâtre? Sera-ce, comme pour Dada, dans le spectacle-provocation? Ce sera plutôt à une certaine manière qu’auront les auteurs de se prendre à bras-le-corps avec les problèmes du langage, à produire les images les plus arbitraires. Ce sera aussi dans la présence ou la quête du Merveilleux, dans l’irruption des puissances du Rêve,…

Lire compte rendu de l’ouvrage : https://www.erudit.org/fr/revues/etudlitt/1968-v1-n3-etudlitt2180/500050ar.pdf

De fait, le volume initial a été repris et actualisé au format de poche : Le Théâtre dada et surréaliste,Gallimard, coll. Idées, n°  406, 1979.

Prolongements : Répertoire du théâtre surréaliste, son amont, son aval.
Par André G. Bourassa https://www.theatrales.uqam.ca/TheatreSurr.html

https://books.openedition.org/pufc/38292?lang=fr : Le théâtre « activité de l’esprit »1 : texte, langage et graphie dans les théâtres dadaïste et surréaliste ; Emmanuel Cohen

« De la méthode en littérature », Europe, n° 1031, mars 2015, p. 359-363.

257. « De la méthode en littérature », Europe, n° 1031, mars 2015, p. 359-363.

DE LA MÉTHODE EN LITTÉRATURE

Ceux qui ont eu le bonheur de lire Le Chat du rabbin ont mémoire de cette très brève séquence où le rabbin Sfar se désespère parce qu’il sait que la lettre qu’il vient de recevoir, et qu’il n’ose ouvrir, lui annonce son échec au certificat d’études imposé par le Consistoire. Son cousin musulman, le cheik Sfar, lui ordonne de l’ouvrir, pour apprendre sa réussite. Ils sont nombreux ceux qui font comme notre savant rabbin ! À tel point qu’il a fallu théoriser cette attitude si répandue. Naguère, après bien d’autres, Pierre Bayard s’y est attaché avec brio dans son essai : Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? (Minuit, 2007). Mais ce qui est divertissant dans la bande dessinée ou encore dans une pratique sociale tout en surface, est-il tolérable dans une activité critique ?

Dans un récent numéro d’Europe, on pouvait lire ceci, à quoi je souscris au point de retranscrire intégralement le premier paragraphe : « J’entends par esprit critique l’attitude consistant à ne porter des jugements que sur ce que l’on s’est d’abord efforcé de comprendre ; à recourir autant que faire se peut à des sources d’information de première main plutôt qu’à des synthèses toutes faites ; à ne rien tenir pour définitivement acquis et à refuser par principe tout argument d’autorité ; à se méfier de l’admiration stérilisante comme des aspirations puériles à l’originalité ; à toujours se demander si ce dont on nous parle existe réellement, pourquoi certains discours paraissent séduisants alors qu’ils ne résistent pas à un examen approfondi, et comment faire en sorte qu’une pensée soit à la fois logiquement cohérente et empiriquement vérifiable, rigoureusement argumentée et ouverte à la discussion, même lorsque celle-ci prend une tournure polémique » (Jean-Marc Mandosio, Europe n° 1027-1028, novembre-décembre 2014).

Inutile de gloser la citation, tant ce qui est consigné ici devrait constituer le socle, la charte de base, le serment d’Hippocrate de la critique littéraire. Charte, hélas ! rarement observée. Un épisode récent, amplifié par le réseau Internet, nous en fournit la preuve. Un tout jeune historien de la littérature, travaillant pour sa thèse, se heurte à un phénomène qui lui paraît demander une attention particulière. Si étonnant qu’avec l’accord de son directeur de recherche, il décide, non pas d’en faire un appendice à son investigation en cours, mais un petit volume spécifique, pour autant qu’un éditeur veuille bien s’en saisir. Peu après, l’éditeur annonce la sortie de cet essai sous le titre « Du Nouveau chez Rimbaud ». Notez la majuscule transformant l’adjectif en substantif, elle donne toute sa valeur au calembour qu’on aurait aimé trouver soi-même, puisqu’il s’agit du poète ami (et même davantage) de Rimbaud.

Aussitôt, on pouvait lire dans Libération du 31 octobre 2014 : « Selon un essai, le recueil Illuminations du poète serait dû à son mentor Germain Nouveau. Il y a quelques années, un serpent de mer en cuir écaillé refaisait surface : Corneille aurait écrit les pièces de Molière. Il a depuis regagné le fond de son loch. Prenant soin de se distinguer du précédent, Eddie Breuil publie ce vendredi aux éditions Champion Du Nouveau chez Rimbaud. Il cherche à démontrer que les Illuminations du second auraient été écrites par son ami Germain Nouveau, le merveilleux auteur des Valentines, grand poète et son héros. Comme toujours dans ces cas-là, la démonstration s’engouffre dans des incertitudes qu’elle retourne en révélations… »

On voit de quoi il retourne : être le premier à informer le public d’une riche découverte, et la démolir du même mouvement, afin qu’il n’en soit plus question ailleurs ! Le scoop qui fait pschitt aussitôt, nouvelle figure de l’exceptionnel journalistique. Au passage, il n’est pas mauvais de déverser son venin sur les universitaires qui se préoccupent de lire des manuscrits (pensez donc, à l’heure du numérique !) et de vérifier l’exactitude de faits qui sont donnés pour vérité d’Évangile. Encore mieux si l’on peut casser ce tout jeune homme qui ne s’en tient pas à la lecture évangélique des quotidiens dits d’information !

Dans cet ordre d’idées, il n’est pas mauvais de faire preuve d’érudition, et de montrer qu’on pourrait en remontrer aux plus savants. On allègue donc les antécédents, faisant un amalgame jubilatoire (aux seuls yeux de l’érudit). Corneille et Molière ne manquent pas au rendez-vous. De là qu’on évoque les théories révisionnistes, il n’y a qu’un pas, allègrement franchi par les ignares du Net. Ce qui, bien entendu, fait bondir notre jeune chercheur, lequel n’a pas de mots trop durs pour ces théories d’origine nazie, et dont la seule ambition est de les éradiquer de notre horizon autant que de l’avenir des hommes.

Or, vérification faite auprès de l’éditeur, le chroniqueur n’a pas pu se procurer le livre (ni les bonnes feuilles), qui a subi un retard de livraison… De sorte que la prétendue information n’est qu’une élucubration, élaborée à partir du prière d’insérer et, plus grave, de notules traînant sur le réseau, elles aussi incertaines. Tout ce qu’avance ledit chroniqueur est faux et sans fondement. Notez que j’ai vu encore pire : un recenseur rend compte d’un gros dictionnaire en dénonçant l’absence d’une entrée qui se trouve bien imprimée dans tous les exemplaires, sauf le sien peut-être ? Les auteurs seraient-ils désormais tenus d’offrir des lunettes à leurs contempteurs ? Le même érudit d’occasion prétend que Breton n’est pour rien dans la création de la Compagnie de l’Art brut, ce que tout un chacun peut vérifier, sans qu’il lui coûte un sou, en interrogeant le site « Atelier André Breton » où sont stockés tous les documents nécessaires, y compris de la correspondance. Grande bête que je suis, va ! je n’ai toujours pas compris que la critique littéraire actuelle n’avait qu’une seule raison d’être : le dénigrement.

N’est pas Lanson qui veut, même si Lanson est encore l’objet d’une lourde méprise dans l’enseignement secondaire, et l’on sait bien pourquoi, puisqu’il fut des premiers à se préoccuper de l’enseignement de masse, et à préconiser des objets et des méthodes de recherche qui ne sont toujours pas mises en œuvre de nos jours.

Reprenons dès le début. Afin de prouver que je n’invente pas pour les besoins de la cause, voici le problème tel qu’il se posait auparavant, et tel que je l’ai résumé pour le supplément annuel de l’Encyclopédie Quillet en 2008 :

« Le recueil Illuminations, publié en 1886 par les soins de Félix Fénéon, pose les mêmes problèmes que les Pensées de Pascal. Selon l’ordre dans lequel on les lit, selon le sens que l’on donne au titre, selon leur date présumée de composition, on se forme une idée différente de leur signification. Une chose est sûre : Rimbaud n’a jamais écrit ce titre sur aucun de ses manuscrits, et il ne se serait préoccupé de rassembler ses poèmes en prose en vue d’une publication qu’en 1875, sans y donner suite. Selon Verlaine, “Illuminations”, en anglais, serait “coloured plates”, c’est-à-dire gravures coloriées, ou encore verres enluminés, pour la lanterne magique ; mais on peut comprendre autrement : inspiration soudaine, ou bien fêtes de l’esprit.

« La date d’écriture ne laisse pas de poser problème. Sous l’influence de la glose familiale d’Isabelle Rimbaud et de Paterne Berrichon son mari, on a longtemps cru qu’Illuminations était antérieur à Une Saison en enfer, recueil par lequel Rimbaud renonçait à la littérature, et de bons esprits comme Étiemble n’en démordent pas. Jusqu’au moment où dans sa thèse, Bouillane de Lacoste, s’appuyant sur une analyse graphologique des manuscrits et des copies a cru prouver l’antériorité de la Saison. Aujourd’hui, avec André Guyaux, on pense plutôt que certaines des Illuminations sont antérieures à la Saison, d’autres postérieures (entre 1872 et 1874, jusqu’en 1875 selon certains), et que de l’une aux autres s’établissent des connivences, voire une interdépendance, le poète conduisant simultanément ses deux registres. Ainsi les Illuminations sont encore un projet littéraire inabouti, dont Rimbaud s’est dépris après s’y être adonné avec ferveur.

« De même qu’on se fait une opinion différente des Pensées de Pascal selon qu’on les

lit dans l’édition Brunschvicg ou dans celle de Lafuma, on aura une vision orientée par le

groupement effectué par Fénéon, habituellement reproduit par tous les éditeurs, qui ne

repose sur aucune justification chronologique ni logique, et celui d’André Guyaux en

rapport avec ce qu’il nomme “la poétique du fragment”.

« Cette théorie, selon laquelle Rimbaud aurait justement refusé l’idée d’une œuvre concertée de bout en bout, autorise divers classements, selon la forme ou le contenu.

« Du point de vue de la forme, ces cinquante-quatre pièces vont du récit en plusieurs séquences (“Enfance”, “Vies”, “Veillées”, “Jeunesse”), lesquelles se trouvent correspondre à un projet narratif de caractère autobiographique, aux phrases isolées, bribes de pensées arrachées à l’impondérable, comme celle-ci : “J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse”. Il arrive que la discontinuité prédomine, les phrases nominales, les mots juxtaposés, les points de suspension, les blancs donnent à chaque fragment sa respiration particulière, au point que “Marine” peut passer pour le patron du vers libre tel que les symbolistes l’ont répandu.

« Cette discontinuité formelle s’inscrit dans une rhétorique fabuleuse, comme si le poète

essayait de jeter un pont entre les différents genres littéraires et la forme nouvelle du petit poème en prose inaugurée par Aloysius Bertrand et Baudelaire. Dans le désordre se succèdent les contes, la légende biblique (“Après le déluge”), l’énigme (“H”), la prière (“Dévotion”), la description parnassienne (“Fleurs”), le tableau réaliste (“Ouvriers”) ou impressionniste

(“Les Ponts”), l’utopie (“Ville”), jusqu’aux fragments, qui ne sont pas des notations en vue d’un texte plus élaboré, mais bien des poèmes complets, se suffisant à eux-mêmes.

« La multiplicité des personnalités incarnées par le narrateur, celui qui dit “je”, déconcerte le lecteur. On admet difficilement que le même pronom personnel puisse représenter à la fois le jeune Rimbaud, dont on partage les sentiments, les émotions et les impressions :

“Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j’ai connu le monde, j’ai illustré la comédie humaine” (“Vies”) ; le compagnon infernal, dont on comprend qu’il évoque un moment de sa liaison avec Verlaine : “J’avais en effet, en toute sincérité d’esprit, pris l’engagement de

le rendre à son état primitif de fils du soleil, — et nous errions, nourris du vin des cavernes

et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la formule” (“Vagabonds”) ; et celui

qui déclare “Je suis le saint, en prière sur la terrasse…” (“Enfance”). C’est qu’ici le poète se

trouve dans un état second, exalté au point qu’il ne se reconnaît pas et passe aisément d’une

personnalité à une autre, à toutes les figures de l’humanité s’il le faut. “Voici le temps des

ASSASSINS”, déclare-t-il à la fin de “Matinée d’ivresse”, signifiant par un jeu de mots que l’état

poétique s’annexe toutes les facultés, y compris celles que procurent les paradis artificiels,

le vin ou le haschisch.

« Comme pour le sonnet des “Voyelles”, une lecture érotique est toujours possible sur

l’ensemble du recueil. Elle est même indispensable pour certaines pièces comme “Antique” qui dépeint l’hermaphrodite, et “Bottom” qui, plus que la métamorphose d’un âne dans Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, évoque les matins triomphants de la virilité. À un autre niveau, le poète, en état de transe, explore le monde connu et inconnu, passé et futur. Il se situe dans une temporalité nouvelle, “Après le déluge”, qui n’a rien à voir avec le quotidien banal. Aussi peut-on considérer que ce poème devait ouvrir le recueil, en prélude aux tableaux que Rimbaud rapportait de son exploration aux confins du possible, avant d’arriver au bilan négatif de “Solde”, où il semble brader ses trouvailles. Entre ces deux piliers, se déroulerait le panorama du monde nouveau, la suite des imaginations vécues, des féeries entrevues, des fêtes déployées. Aussi a-t-on fort justement rapproché certains de ces poèmes de l’univers théâtral, où tout est à la fois matériel et factice, effet de langage.

« Tout est nouveau dans les Illuminations, mais le poète se heurte à l’indicible, à l’incommunicable, et l’on a pu voir un aveu d’échec dans la manière dont Rimbaud s’est désintéressé de leur publication. C’est ne pas tenir compte de son caractère impulsif, qui le portait à se démarquer de ce qu’il venait d’accomplir et à se tourner vers d’autres horizons, abandonnant à ceux qui le souhaitaient ces textes réputés illisibles, dont il affirmait pourtant : “ça veut dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens”.

« À l’époque où Rimbaud est supposé avoir achevé les Illuminations, celui-ci se trouve en Angleterre avec le poète Germain Nouveau qui l’aide à recopier certains de ses poèmes.

Il vivote de leçons de français et cherche un emploi de précepteur. À la fin de 1874, il rentre à Charleville. À partir de là commence une ère d’errances et de vagabondages, qui a intrigué tous ses admirateurs, y compris Verlaine qui le désigne comme “l’homme aux semelles de vent”, par allusion à ses qualités de marcheur infatigable. Mais surtout, il se détourne définitivement de la poésie, pour devenir un homme d’action, déclarant à un compagnon qui l’informait de la publication de ses poèmes dans La Vogue, en 1886, qu’il ne voulait plus entendre parler de ces “rinçures” ! »

À partir de cette situation, Eddie Breuil s’en retourne aux manuscrits, dont certains sont passés en vente il y a peu. Il compare les écritures, confronte les thèmes familiers de l’un et de l’autre poète, et se dit que Germain Nouveau a pu apporter sa pierre à l’édifice autrement que par la copie.

Qu’on le lise bien : il demande seulement qu’on discute une hypothèse, selon laquelle le texte donné pour les Illuminations ne serait pas du seul Rimbaud. Que deux mains différentes, deux têtes, ont pu intervenir successivement et même simultanément. Ce faisant, il apporte des arguments suffisamment convaincants pour attribuer quelques poèmes à leur auteur véritable. Mais cela n’entraîne pas que l’ensemble des poèmes habituellement regroupés sous le titre des Illuminations ne doivent rien à Rimbaud. Eddie Breuil suggère, laissant le lecteur trancher, en appelant à la recherche prise comme entité collective.

Ce faisant, il ne s’aventure pas sans biscuits, ni sans précurseurs. Sans parler des gens dont c’est le métier (du latin ministerium), les poètes se sont exprimés. Avant lui, André Breton disait qu’on ne saurait jamais quelle part de réciprocité il y eut dans la confection de ces poèmes : « Sur ce séjour du 178 Stamford Street, Waterloo Road, qui fut en commun le leur, se referme une des grandes parenthèses de notre temps. […] Rimbaud-Nouveau,

Nouveau-Rimbaud : on n’aura rien dit, on n’aura rien franchi poétiquement tant qu’on n’aura pas élucidé ce rapport. » Et, à son habitude, Aragon poussait le bouchon le plus loin possible : « les rimbaldiens ont peur que, dans le miroir de Nouveau, on n’aperçoive comment ils ont défiguré (ou transfiguré) Rimbaud. [S]ur la destinée même de la poésie, la poésie de Nouveau, et sa parenté avec la poésie rimbaldienne, apportent un témoignage gênant pour ceux qui veulent que, peu après 1870, la poésie ait, avec Rimbaud, tout entière changé de signification et de route. »

Comment répondre aux questions posées par les poètes eux-mêmes ? Certes, nul ne peut le faire d’un jet de plume. Et il y faut unir bien des forces, bien des méthodes, bien des compétences.

D’abord, pousser la recherche historique : a-t-on bien exploré toutes les traces laissées par le mendiant d’Aix ? Ne se trouve-t-il pas des preuves dans le terrier des notaires ? Qui s’est assuré de leur exploitation systématique ? Félix Fénéon passe généralement pour un homme sérieux. Mais son souci de brièveté, consigné dans ses fameuses nouvelles en trois lignes, ne l’aurait-il pas conduit à mettre quelque document de côté, dont la recherche actuelle ferait son miel ?

Ne revenons pas sur la graphologie alléguée jadis par Bouillane de Lacoste, mais est-on certain d’avoir tiré tout le parti possible des instruments mis à disposition par les

techniques actuelles ? Pourquoi le Palais aurait-il droit aux faveurs de la science, qui ne seraient pas de mise en la circonstance ?

Ce n’est pas d’aujourd’hui que la pratique artistique nommée littérature appelle une science de la littérature, une « science des textes et documents » comme on disait naguère à Jussieu, ou bien des « faits littéraires », comme je préfère. Le premier pas consiste à établir ces faits, et quand on ne sait pas, à le dire. Avouer cela, ce n’est pas un acte d’honnêteté ni

d’humilité, c’est se respecter soi-même.

Henri BÉHAR

Voir l’ouvrage en question :

L’histoire de la littérature est faite d’erreurs, de rectifications, qui mettent parfois du temps à être admises, qu’il s’agisse d’erreurs d’attribution (les œuvres prêtées à Louise Labé, les Lettres portugaises) ou d’approximations éditoriales (les diverses formes des Pensées de Pascal). Les Illuminations ont connu plusieurs grandes versions : mélange de vers et de proses ou seules proses. Peut-on seulement connaître avec certitude le contenu de ce recueil ? En retraçant le parcours des manuscrits et en réexaminant les témoignages de première main, on s’aperçoit que de nombreuses approximations ont été progressivement présentées comme des certitudes. Concernant ce recueil, tout est à revoir !

Cette étude permet de refaire le point en remontant aux premières traces du projet et au moment crucial que fut le compagnonnage entre Arthur Rimbaud et Germain Nouveau, commencé à Paris et prolongé quelques mois à Londres, durant lequel les manuscrits généralement recueillis dans les Illuminations ont été mis au net. Lorsqu’on suit pas à pas cette aventure littéraire, les anciennes vérités s’effondrent et d’autres émergent. Une nouvelle lecture de l’ensemble des textes est proposée, lecture non plus étiologique mais basée sur des éléments concrets et donnant à réinterpréter la poétique de l’auteur.

Eddie Breuil prépare une thèse sur l’édition critique sous la direction de Philippe Régnier dans l’équipe LIRE (UMR 5611) de Lyon. Il poursuit des travaux sur l’édition critique et électronique de textes littéraires.

« La transparence et l’obstacle », dans La Maison de verre, André Breton initiateur découvreur, Les Éditions de l’amateur/Musée de Cahors, p. 11-18.

Catalogue de l’exposition André Breton la maison de verre, Cahors, du 20 septembre 2014 au 1er février 2015.

Voir le site de l’exposition :

La Maison de verre, André Breton initiateur découvreur – Musées Occitanie (musees-occitanie.fr)

et l’article : André Breton œuvre surréalisme : l’expo à voir | A vos agendas, le blog sur les dates à ne pas manquer (cotemaison.fr)

Le catalogue :

Table des matières :

[Télécharger l’article en PDF]

Que vlo-ve ?

Bulletin international des études sur Guillaume Apollinaire

n°21, janvier-mars 2003

[Télécharger l’intégralité de ce numéro de la revue rédigé par H. Béhar en PDF]

Je suis particulièrement reconnaissant envers Michel Décaudin (1919-2004) d’avoir pris l’initiative de publier ce travail qui n’était, à l’origine, qu’un ensemble de citations, relevées dans mon propre corpus numérique, destinées à alimenter la discussion d’un groupe de recherche. De fait, en dépit des signalements relevés ci-après, cette publication appelle toujours les commentaires.

Texte repris dans: Henri Béhar, La Littérature et son golem. Tome II, Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 189 à 216. Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 10.

Signalements :

1. Aa. Vv., «Que vlo‑ve?»

https://doi.org/10.4000/studifrancesi.39797

Bibliographical reference

«Que vlo‑ve?», 42 serie, 21, janv.‑mars 2003, pp. 1‑28; 22, avril juin 2003, pp. 29‑56; 23, juillet-sept. 2003, pp. 57‑84; oct.‑déc. 2003, pp. 85‑112

Le premier fascicule est occupé (pp. 5‑27) par une communication d’Henri Béhar au Séminaire Apollinaire (à la Sorbonne nouvelle): La Jambe et la roue ‑‑ Apollinaire et le surréalisme. Dans sa conclusion l’A. dit qu’il s’agit d’un «inventaire». C’est la citation d’à peu près tous les passages des oeuvres de Tzara, Aragon et Breton, où il est question d’Apollinaire, selon trois chapitres: I – Merveilleux quotidien. II ‑ La transmutation du réel. III ‑ Le surréel. Dès sa première phrase, l’a. se dit «confus de n’avoir rien à dire de neuf’; mais son travail est très utile.

https://journals.openedition.org/studifrancesi/39797?lang=en :

2. Antonio Rodriguez« Du nouveau dans la « surprise » ? Une notion conventionnelle devenue emblématique de l’année 1917 », Littérature2017/4 (N° 188), p. 28 à 38.

https://www.cairn.info/revue-litterature-2017-4-page-28.htm

3.  Apollinaire. Le renouvellement de l’écriture poétique du xxe siècle, p. 331-351, Paris, Classiques Garnier, Coll. Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 42.

https://classiques-garnier.com/apollinaire-le-renouvellement-de-l-ecriture-poetique-du-xxe-siecle-bibliographie.html?displaymode=full

4. Bibliographie de Jacques Vaché: https://www.xn--jacquesvach-lbb.fr/Bibliographie.html

5. Philippe Wahl, « pollinaire, la rime et le rire. « Ça a l’air de rimer », études françaises olume 51, n° 3, 015 La corde bouffonne. De Banville à Apollinaire:

https://www.erudit.org/en/journals/etudfr/2015-v51-n3-etudfr02276/1034134ar.pdf

« Locus solus ou bis repetita placent », in Raymond Roussel, n° 1, « nouvelles impressions critiques », Lettres modernes Minard, Paris-Caen, 2000, pp. 75-91.

Voir la série Raymond Roussel sur le site des éditions Minard :

https://www.lettresmodernesminard.org/roussel.html

Raymond Roussel : nouvelles impressions critiques 

[Télécharger le PDF de l’article HB]

Article figurant dans : HB, La Littérature et son golem, t. 1, Paris, Honoré Champion, 1996, p. 227-240.

Lire Raymond Roussel, Locus Solus  en mode image ou en mode texte sur Gallica :

Locus Solus / Raymond Roussel | Gallica (bnf.fr)

Voir la page de l’exposition : https://palaisdetokyo.com/exposition/nouvelles-impressions-de-raymond-roussel/

NOUVELLES IMPRESSIONS DE RAYMOND ROUSSEL

DU 24/02/2013 AU 19/05/2013

Sous les auspices de la figure excentrique et fascinante de Raymond Roussel (1877-1933), le Palais de Tokyo accueille une exposition ambitieuse qui cartographie l’influence de ce génie fulgurant sur les artistes d’aujourd’hui.

Avec : Mathieu K. Abonnenc, Jean-Michel Alberola, Jean-Christophe Averty, Zbynek Baladrán, Thomas Bayrle, Jacques Carelman, Guy de Cointet, Collège dePataphysique, Joseph Cornell,  Salvador Dalí, Gabriele Di Matteo, Thea Djordjadze, Marcel Duchamp, Giuseppe Gabellone, Rodney Graham, João Maria Gusmão & Pedro Paiva, Mike Kelley, Revue Locus Solus, Pierre Loti, Sabine Macher, Man Ray, Mark Manders, André Maranha, Pedro Morais, Jorge Queiroz et Francisco Tropa, Jean-Michel Othoniel, Victorien Sardou, Joe Scanlan, Jean Tinguely, Jules Verne. 

« Mon âme est une étrange usine »Raymond Roussel

Raymond Roussel est enfin célébré à Paris. C’est justice bien tardive pour cet écrivain qui tient depuis un siècle dans l’imaginaire des artistes — de quelques-uns seulement, mais non des moindres — une place centrale, incarnant la figure de l’artiste entièrement dédié, jusqu’aux frontières de la raison, à son oeuvre, celle de l’artiste créateur d’un « monde complet », « ne suivant que la pente de son imagination » (André Breton). Les « Nouvelles impressions de Raymond Roussel » sont une suite et un complément à l’exposition « Impressions de Raymond Roussel », qui a eu lieu au Museo Reina Sofia (Madrid) en 2011 et au Museu Serralves (Porto) en 2012. S’y traçait une histoire diagonale de l’art du XXe siècle, reliant les points entre les artistes et créateurs qui ont dit l’influence de cet auteur, de ses écrits, sur leur oeuvre. Pour commencer Marcel Duchamp, puis les surréalistes, mais aussi Michel Foucault ou Georges Perec. Ces « Nouvelles impressions de Raymond Roussel » proposent cette fois de laisser une plus large place à l’aujourd’hui et réunit des artistes rencontrés au cours de ces dernières années de recherche autour de Roussel. Il n’a pas paru nécessaire que leur relation à cet écrivain prenne la forme d’un hommage, ni même s’y réfère explicitement.Ce serait sous-estimer la nature de ces influences, aussi profondes que souterraines, que de les réduire à des jeux de citation. Ces oeuvres ne sont pas réductibles à un thème et leur réunion ici est un exercice de dépliage des motifs – toujours différents – que les artistes ont puisé chez Roussel, consciemment ou non, selon une lecture dont il faut bien assumer la partialité. C’est bien le « plus grand magnétiseur des temps modernes », selon André Breton, que cette exposition vient rappeler aux mémoires ; celui qui, pour Michel Leiris, a réalisé « l’évasion du domaine de la Réalité dans celui de la Conception ». C’est dire le pouvoir de la poésie, sa capacité à faire passer dans un « monde à l’envers » ; ce vaste théâtre, enfantin et parfois cruel, qu’est l’univers de Raymond Roussel.

Pour mémoire : la revue Mélusine, n° 6, « Raymond Roussel en gloire », dirigé par Anne-Marie Amiot, et ma contribution n° 55 : « Heureuse méprise : Raymond Roussel et les surréalistes », Mélusine n° 6, 1984, pp. 41-59.

« Le bordel métaphysique ou le théâtre de Picasso », Esprit, janvier 1981, n° 1, pp. 76-79.

[Télécharger l’article d’Henri Béhar en PDF]

Lire le texte de Picasso :

Voir enfin : « Du surréalisme et du baroque dans l’écriture de Picasso », Les Cahiers de l’Herne, Pablo Picasso, 2014, p. 264-270.

Sur le théâtre de Picasso, voir :
https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070354061-le-theatre-dada-et-surrealiste-henri-behar/

Entre «ce besoin de réalité qui nous tourmente», caractérisant l’esthétique naturaliste, et la «scène libre au gré des fictions» postulée par le symbolisme, la scène de notre siècle a choisi une troisième voie, non de compromis mais de dépassement, représentée par le théâtre dada et surréaliste, faisant place à la surprise, à la poésie, au rêve, au merveilleux. L’aventure commence avec Ubu roi d’Alfred Jarry (1896) pour s’épanouir mondialement avec Le Regard du sourd de Bob Wilson (1971). Étudiant des œuvres peu connues, montées par des théâtres de fortune en France entre les deux guerres, cet essai met en lumière les traits essentiels d’une esthétique dramatique Qui ne cesse de féconder la création actuelle. La première partie est consacrée aux précurseurs et marginaux:Alfred Jarry, Apollinaire, Albert-Birot, Yvan GolI, le Douanier Rousseau, Raymond Roussel. La deuxième analyse quelques pièces dada d’Erik Satie, Ribemont-Dessaignes, Tristan Tzara, etc. Enfin la troisième partie évoque le théâtre surréaliste d’André Breton, Aragon, Artaud, Vitrac, Desnos, Huidobro, Georges Neveux, Georges Hugnet, Picasso; et, pour la nouvelle génération, Julien Gracq et Georges Schehadé.

Voir aussi : la revue Mélusine https://melusine-surrealisme.fr/wp/la-revue-melusine/

N° 34, LE SURREALISME ET LES ARTS DU SPECTACLE

L’exégèse du surréalisme se concentre essentiellement sur la littérature et sur les arts visuels, alors que ce courant culturel, le plus novateur du XXe  siècle, a fécondé avec succès d’autres modes d’expression. Le présent dossier en témoigne : il porte sur le théâtre comme art scénique autant que comme genre littéraire, et sur d’autres arts du spectacle. Convoquant diverses approches, il fait se rencontrer deux professions qui trop souvent s’ignorent l’une l’autre : les critiques universitaires (dramaturges, théâtrologues ou spécialistes du surréalisme) et praticiens de la scène. Avant d’en venir au surréalisme historique, le premier tiers du dossier remonte aux siècles antérieurs, tant pour éclairer la pensée du groupe de Breton que pour retourner à ses sources esthétiques, en matière de représentation. Les deux derniers tiers se situent en aval du courant et s’étendent jusqu’à l’extrême contemporain, tout en couvrant un territoire qui embrasse l’Europe et l’Amérique du Nord – ce qui atteste de l’ampleur du rayonnement de la scène surréaliste. Le vaste domaine du spectacle a accompli des réformes depuis une centaine d’années, qui portent leurs fruits. Plusieurs présentent des affinités avec le surréalisme. Des pratiques émergentes ressortent comme une voie que celui-ci avait ensemencée, où il se régénère sous des formes inédites. En somme, la fortune scénique du mouvement lui garantit un perpétuel renouvellement.

Voir aussi le catalogue de l’exposition :

http://www.artaujourdhui.info/a5372-picasso-et-le-theatre.html

Enfin, voir mes autres articles sur Picasso :
https://melusine-surrealisme.fr/henribehar/wp/?page_id=1969

106. « Picasso au miroir d’encre », dans L’Artiste en représen­tation, textes réunis par René Démoris. Paris, Éditions Des­jonquères, 1993, pp. 199-213.

252. « Du surréalisme et du baroque dans l’écriture de Picasso », Les Cahiers de l’Herne, Pablo Picasso, 2014, p. 264-270.

« Pourquoi le Théâtre Alfred-Jarry ? », Antonin Artaud 2, Artaud et les avant-gardes théâtrales, Minard, 2005, pp. 9-24.

[Télécharger l’article d’Henri Béhar en PDF]

La Revue des lettres modernesArtaud et les avant-gardes théâtrales

  • Type de publication : Collectif
  • Directeur d’ouvrage : Penot-Lacassagne (Olivier)
  • Résumé : Fondée par Michel Minard en 1954, « La Revue des Lettres modernes » est une collection de séries monographiques et thématiques consacrées aux écrivains modernes et contemporains.
  • Nombre de pages : 193
  • Parution : 28/06/2023
  • Réimpression de l’édition de : 2005
  • Revue : La Revue des lettres modernes
  • Série : Antonin Artaud, n° 2

Autres informations ⮟

  • Thème CLIL : 4027 — SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES — Lettres et Sciences du langage — Lettres — Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406148210
  • ISBN : 978-2-406-14821-0
  • ISSN : 0035-2136
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14822-7
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 28/06/2023
  • Périodicité : Mensuelle
  • Langue : Français Mot-clé : Théâtre de la Cruauté, Living Theater, Orient, Mexique, René Daumal, Peter Brook, Jerzy Grotowski, Eugenio Barba, Ariane Mnouchkine, Japon

Voir comptes rendus : https://www.fabula.org/acta/document995.php

http://srhlf.free.fr/PDF/Artaud_et_avant_gardes_theatrales.pdf

https://journals.openedition.org/studifrancesi/33607

Artaud et les avant-gardes théâtrales | French Studies | Oxford Academic (oup.com)

Voir https://www.regietheatrale.com/index/index/thematiques/auteurs/vitrac/roger-vitrac-3.html

Voir aussi : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k856920z/f17

Lire en version numérique : Le théâtre et son double/Texte entier – Wikisource

Article reproduit dans : Henri Béhar, Ondes de choc, nouveaux essais sur l’avant-garde, Lausanne, L’Age d’Homme, 2010, p. 117-128.

Trois points communs et simultanés caractérisent les différents courants de l’avant-garde désormais dite « historique » : la rupture, la constitution d’une communauté, enfin une détermination politique. Ayant établi que toute avant-garde est nécessairement politique, Henri Béhar n’élude pas le délicat problème de l’engagement du critique et de l’historien.
Regroupant un choix de communications et d’essais publiés en revue, ce volume s’ordonne en trois parties.
La première regroupe des recherches ayant trait aux éclats de la bombe Dada que Max Ernst se refusait à rassembler : le rôle de Tristan Tzara dans la diffusion du Futurisme, sa découverte de la poésie nègre, son amitié productrice avec Hans Arp ; le facteur politique à l’œuvre dans le mouvement, et sa découverte de l’inconscient.
La seconde partie examine les lames de fond qui se produisirent, en général, sur les planches, tant par le traitement de scénarios shakespeariens que par la fondation du Théâtre Alfred-Jarry, l’irruption du rire d’Artaud, les mises en scène surréalistes de Sylvain Itkine avec le Diable écarlate, le rôle généralement ignoré de Roger Vitrac au cinéma et enfin un examen global de la provocation comme catégorie dramaturgique.
Par analogie avec le langage des géologues qui désigne ainsi la zone du Pacifique où se produisent 75 % des séismes terrestres, la troisième partie se prend à analyser la ceinture de feu surréaliste à travers des figures ou des moments singuliers : la relation Paulhan-Breton, les rapports avec le Grand Jeu, la critique littéraire à l’œuvre dans les revues surréalistes, le rôle éminent joué par Dali, de la scatologie à l’eschatologie, les rapports du mouvement avec le politique et, pour finir, son rôle dans l’élaboration du Manifeste des 121.
L’ensemble est précédé d’un large panorama, jetant un regard lucide et amusé sur une cinquantaine d’années de travaux personnels sur la question.

« Le rire d’Artaud », dans : Antonin Artaud « littéralement et dans tous les sens », actes du colloque de Cerisy-la-Salle, 30 juin-10 juillet 2003

Texte publié dans :

– Antonin Artaud 3, textes présentés et réunis par Olivier Penot-Lacassagne, Caen, Minard, Lettres modernes, 2009, pp. 127-151.

[Télécharger la contribution d’Henri Béhar]

Le Programme du colloque de Cerisy :

Lundi 30 juin
Après-midi:
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée:
Présentation du Centre, des colloques et des participants

Mardi 1er juillet
Matin:
Henri BÉHAR: Le rire d’Artaud
Isabelle KRZYWKOWSKI: Artaud et Gertrude Stein: vers un renouvellement de l’écriture théâtrale

Après-midi:
Guy DUREAU: De l’obsession mythographique: invention et réinvention de la fable chez Antonin Artaud
Bernard BAILLAUD: Artaud/Paulhan/Thévenin

Soirée:
Artaud/Rimbur de Jean-Pierre Verheggen, par le Théâtre-Poème (Monique Dorsel, Fabienne Crommelynck, Franck Dacquin)

Mercredi 2 juillet
Matin:
Anne TOMICHE: (Anti)lyrisme d’Artaud?
Myriam BOUCHARENC: Artaud et Van Gogh: variations sur l’entre-deux-morts

Après-midi:
Ludovic CORTADE: Artaud et le mysticisme chrétien
Olivier PENOT-LACASSAGNE: L’invention de soi

Soirée:
La Danse du Peyolt et Tutuguri, films de Raymonde Carasco

Jeudi 3 juillet
Matin:
Giorgia BONGIORNO: L’évidant: écriture et dessin chez Antonin Artaud
Emmanuel RUBIO: Artaud/Breton: androgynie et amour fou

Après-midi:
Monique BORIE: Artaud et le modèle oriental
Marcello GALLUCCI: Artaud et le mythe de l’Atlantide

Soirée:
À la dérive d’Artaud, lecture théâtrale par Georges BAAL et Gérard NAURET

Vendredi 4 juillet
Matin:
Itzhak GOLDBERG: Le visage chez Artaud
Laurent DANCHIN: Dubuffet à Rodez: Artaud ou l’art brut?

Après-midi:
L’édition des Œuvres complètes par Paule Thévenin, atelier avec Olivier PENOT-LACASSAGNELaurent DUBREUIL et Delphine LELIÈVRE

Samedi 5 juillet
DÉTENTE

Dimanche 6 juillet
Matin:
Stamos METZIDAKIS: Du Dé d’Artaud: Ceci n’est pas la pensée d’Artaud
Céline SZYMKOWIAK: La méthode du corpus dans l’étude des glossolalies d’Artaud

Après-midi:
Jean-Luc STEINMETZ: La poésie vraie d’Artaud
Marie-Christine LALA: Artaud-Bataille, aujourd’hui

Soirée:
La passion de Jeanne D’Arc, film de Dreyer (1926)

Lundi 7 juillet
Matin:
Guillaume BRIDET: Artaud et le ressourcement mythique des années 1930
Jacob ROGOZINSKI: La décision du vide (sur Les Nouvelles Révélations de l’Etre)

Après-midi:
Artaud et les Tarahumaras, film de Raymonde Carasco

Soirée:
Que Viva Mexico !, film de Eisenstein

Mardi 8 juillet
Matin:
Béatrice BONHOMME: Antonin Artaud: le corps dans tous ses états
Guilhem FABRE:Pour en finir avec le jugement de Dieu: un théâtre de la voix

Après-midi:
Diogo SARDINHA: Artaud lu par Foucault et Deleuze
Laurent DUBREUIL: Les impossibilités de la lecture

Soirée:
Ciguri 99: le dernier chaman, film de Raymonde Carasco

Mercredi 9 juillet
Matin:
Georges BAAL: Quand le souffle d’Artaud passe par la bouche de l’acteur
Pierre-Antoine VILLEMAINE: Le vertige de l’auteur

Après-midi:
Martine ANTLE: Artaud théâtralisé
Kuniichi UNO: La pantoufle d’Artaud – Artaud et Hijikata
Mari SAKAHARA: Comment Artaud a-t-il été reçu au Japon?

Jeudi 10 juillet
Matin:
Actualité d’Antonin Artaud?, table ronde avec Georges BAALBéatrice BONHOMMERaymonde CARASCO et Marie-Christine LALA
Aliénier l’acteur, lecture par Pierre-Antoine VILLEMAINE

Le Centre culturel international de Cerisy organise, du lundi 30 juin (19 h) au jeudi 10 juillet (14 h) 2003 une décade: ANTONIN ARTAUD. QUESTIONS OUVERTES, sous la direction d’Olivier PENOT-LACASSAGNE

Annonce Fabula : https://www.fabula.org/revue/document6675.php

L’œuvre d’Artaud est une œuvre engagée dans le procès de la « modernité européenne ». Ce colloque sera l’occasion d’en repérer les trajets discursifs, poétiques et politiques, d’en répertorier les points de fixation, de rupture ou d’éclatement, d’analyser l’évolution complexe de la pensée d’Artaud sans en interrompre arbitrairement le mouvement.

Le geste critique que cela suppose n’est pas indifférent, toujours menacé de replis frileux ou partisans. Non seulement il exige de lire tout Artaud, récusant de la sorte les découpages abusifs et le morcellement de ses écrits, mais il demande également la suspension des a priori critiques et cliniques. Nous n’écarterons donc aucune des postures, aucun des parcours qui traversent cette œuvre.

Quelques-uns, largement débattus (le théâtral, le religieux, le mythique, les pratiques d’écriture, l’imagination spéculative), seront l’occasion d’analyses nouvelles ; d’autres, encore peu étudiés, seront interrogés (nom propre et signature ; communauté et secret ; détermination chrétienne de la chair et déconstruction du christianisme ; souffrance et rémunération ; tentation de savoir et reniement ; abjection et fécalité ; métaphysique, pataphysique et athéisme ; écriture et dessin…).

COMMUNICATIONS (suivies de débats) :

– M. ANTLE : Artaud théâtralisé – H. BÉHAR : Le rire d’Artaud – G. BONGIORNO : L’évidant – B. BONHOMME : Artaud, le corps dans tous ses états – M. BORIE : Artaud et le modèle oriental – M. BOUCHARENC : Artaud/Van Gogh : variations dans l’entre-deux-morts – G. BRIDET : Artaud et le ressourcement mythique des années 1930 – P. BRUNO : Homme abstrait jusqu’au corps – R. CARASCO : Artaud et les Tarahumaras – L. CORTADE : Artaud et le mysticisme chrétien – L. DANCHIN : Dubuffet à Rodez : Artaud ou l’art brut ? – L. DUBREUIL : Les impossibilités de la lecture – G. DUREAU : De l’obsession mythographique, invention ou réinvention de la fable chez Artaud – G. FABRE : Pour en finir avec le jugement de Dieu : un théâtre de la voix – M. GALLUCI : Artaud et le mythe de l’Atlantide – I. GOLDBERG : Le visage chez Artaud – I. KRZYWKOWSKI : Artaud et G. Stein – M.-C. LALA : Artaud-Bataille, aujourd’hui – D. LELIÈVRE : Théâtralité dans les Cahiers de Rodez – S. METZIDAKIS : Du Dé d’Artaud : ceci n’est pas la pensée d’Artaud – L. PAVONE : Artaud et la rencontre avec l’autre : « l’arve et l’aume » – O. PENOT-LACASSAGNE : De l’invention du divin au jugement de Dieu – F. QUILLET : Artaud et le théâtre d’aujourd’hui l J. ROGOZINSKI : « Ce spasme auquel la mort veut nous plier » – E. RUBIO : Artaud/Breton : androgynie et amour fou – F. RUFFINI : Artaud et l'”action consciente » – M. SAKAHARA : Artaud et le Japon – pour une histoire du théâtre transnationale – D. SARDINHA : Artaud lu par Foucault et Deleuze – J.-L. STEINMETZ : La poésie vraie d’Artaud – C. SZYMKOWIAK : Les glossolalies d’Artaud l’A. TOMICHE : (Anti)lyrisme d’Artaud ? – K. UNO : La pantoufle d’Artaud Artaud et Hijikata.

2. Édition dans la série Antonin Artaud, Minard, Lettres Modernes (Caen)

Voir le site de l’éditeur : https://www.lettresmodernesminard.org/artaud.html

Antonin Artaud 3 : “Antonin Artaud ‘littéralement et dans tous les sens’” (Actes du colloque de Cerisy-la-Salle : 30 juin – 10 juillet 2003)”. Caen, Lettres Modernes Minard, 2009. Coll. « La Revue des Lettres modernes ». Un volume broché, rogné 19 cm. 334 p. 25 € ISBN 978-2-256-91140-8

Un pas au-delà, par Olivier Penot-Lacassagne

I. À PROPOS DE L’ÉDITION DES ŒUVRES COMPLÈTES

1. « Une existence hantée par lui… », par Olivier Penot-Lacassagne.

2. Les Cahiers de Rodez et l’édition Gallimard : une lecture incompatible, par Delphine Lelièvre.

3. Plus Artaud que Paule. Sur l’édition de l’inédit, par Laurent Dubreuil.

II. QUESTIONS OUVERTES

4. Artaud et le ressourcement mythique des années Trente, par Guillaume Bridet.

5. De l’obsession mythographique : invention et réinvention de la fable chez Antonin Artaud, par Guy Dureau.

6. Artaud et le mysticisme chrétien – la question des médiations sensibles, par Ludovic Cortade.

7. Antonin Artaud et le mythe de l’Atlantide, par Marcello Gallucci.

8. Antonin Artaud et André Breton entre amour fou et androgynie, par Emmanuel Rubio.

9. La Décision du vide (sur Les Nouvelles révélations de l’Être d’Antonin Artaud), par Jacob Rogozinski.

10. Le Rire d’Artaud, par Henri Béhar.

11. Du Dé d’AA : ceci n’est pas une pensée d’Antonin Artaud, par Stamos Metzidakis.

12. (Anti)lyrisme d’Artaud ? De l’« ancien souffle lyrique » au souffle de la « révolte contre la poésie », par Anne Tomiche.

13. La « poésie vraie » d’Artaud, par Jean-Luc Steinmetz.

14. Artaud et Van Gogh : variations sur l’entre-deux-morts, par Myriam Boucharenc.

15. “L’ÉvidAnt”. Écriture et dessin chez Antonin Artaud, par Giorgia Bongiorno.

16. L’Impossible témoin. Prevel avec Artaud, par Laurent Dubreuil.

17. Artaud/Bataille ou la poésie au présent, par Marie-Christine Lala.

18. Actualité poétique d’Antonin Artaud, par Béatrice Bonhomme.

19. Entre délaissement et radicalisation : les utilisations d’Artaud par Foucault et Deleuze, par Diogo Sardinha. –

20. Artaud théâtralisé. Dessins et portraits dans les discours contemporains, par Martine Antle.

III. ARTAUD et LA N.R.F.

21. « Cette sacro-sainte N.R.F… », par Guy Dureau.

Texte repris dans : Henri Béhar, Ondes de choc, nouveaux essais sur l’avant-garde, Lausanne, L’Age d’Homme, 2010, p. 129-148.

Voir compte rendu par Marc Décimo : https://www.fabula.org/revue/document6675.php