« Usages poétiques de la langue : Dada et surréalisme », dans Histoire de la langue française 1914-1945, sous la direction de Gérald Antoine et Robert Martin, CNRS-Editions, 1995, pp. 567-595.

Texte paru dans : Histoire de la langue française des origines à nos jours, t. XV (1914-1945) sous la direction de G.  Antoine et R.  Martin , aux Éd. du cnrs, Paris, 1995.

 Histoire de la Langue francaise 1914-1945, Cnrs-éditions & Institut national de la langue francaise (InaLF),  1996.

Quatrième de couverture:

Dans le prolongement de la monumentale histoire de la langue française entreprise par Ferdinand Brunot, ce volume prend la suite de celui portant sur la période 1880-1914 (publié en 1985). Ses 42 chapitres sont divisés en 4 grandes sections : – Examen des tendances propres à la prononciation, à l’orthographe, au lexique et à la syntaxe ; – Ensemble des usages du français : la langue avant tout orale (argots, états des patois, langue parlée …), les langages de “spécialistes” (scientifiques, techniques …), les aspects littéraires ; – Situation du français hors de France ; – Bilan des travaux accomplis dans les divers domaines de la recherche grammaticale, linguistique et historique portant sur la langue française. Bornée par les deux guerres mondiales – qui ont vu le développement de nouveaux moyens de communication, notamment à visée de propagande -, la période concernée amène à porter un intérêt particulier à l’expression orale, marquée par l’influence du cinéma et des médias radiophoniques. Le recteur Gérald Antoine et Robert Martin (directeur de l’INALF) ont fait appel à des spécialistes incontestés de chaque domaine pour mener à bien cette entreprise sans équivalent dans le monde.

Curieusement, cet ouvrage de référence, qui devrait se trouver en accès libre dans toutes les bibliothèques publiques, n’est guère signalé sur leréseau, ni dans les universités.

Aussi me dois-je de mentionner la première publication du tome XV (et dernier), dirigé par Robert Martin et Gérald Antoine, lesquels ont tenu à me faire une place, en complément du chapitre rédigé par Gérald Antoine, lequel eût été tout aussi capable que moi, de traiter de dada et du surréalisme.

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Prolongements : L’imaginaire linguistique du surréalisme
L’imaginaire linguistique du surréalisme | Mélusine (melusine-surrealisme.fr)

Poésie et politique au XXe s. Voir : https://melusine-surrealisme.fr/site/ProgrammeCerisy_2010.pdf

Poésie et politique au XXe siècle, sous la direction de Henri Béhar et Pierre Taminiaux

Actes du colloque de juillet 2010, Centre Culturel International de Cerisy
Hermann — 2011. ISBN 978-2-7056-8026-8

Table des Matières :

Introduction, par Henri BÉHAR & Pierre TAMINIAUX
Les Manifestes Dada comme gestes poétiques, par Pierre TAMINIAUX
Surréalisme Post-surréalisme

La poésie surréaliste entre révolte et révolution, par Carole REYNAUD-PALIGOT
Politique du poème chez René Char,par Laure MICHEL
« Oulipo-litiques », par Christophe REIG
L’anti-démagogisme poétique: un pont de la revue Proverbe à nos jours, par David CHRISTOFFEL
Du cannibalisme surréaliste à la poétique anthropophage de Benjamin Péret, par Virginie POUZET-DUZER
« L’amour compassionnel » chez André Breton ou exprimer autrement le politique, par Misao HARADA
De la grande actualité de l’humain, par Effie RENTZOU
La voix de Paul Eluard solidaire de l’Espagne, par Brisa GOMEZ-ANGEL
Résistances Révolutions Subversions
D’un siècle l’autre, par Christian PRIGENT
Christian Prigent, une écriture politique ?, par Bénédicte GORRILLOT
A quoi bon des poètes en temps de liesse révolutionnaire ? de Cuba à l’événement 68, par Jérôme DUWA
Gaston Miron, le poème, « mors obscurs de nos combats », par Delphine RUMEAU
Engagements et poésie, vers l’invention du sujet relatif, par Jean-Pierre ZUBIATE
Francis Ponge ou les écrits comme espace spirituel de la nation, par Pascal SIGODA
Repoétiser la vie, Raoul Vaneigem ou la subversion affinée du Libre-Esprit, par Jean-Claude MARCEAU
Césaire et la dialectique de la libération : Cahier d’un retour au pays natal et La Tragédie du roi Christophe, par N’guettia Martin KOUADIO
Sous l’influence des poètes : rhétorique d’un paysagiste à l’usage du politique, par Catherine CHOMARAT-RUIZ
Politique et mystique, l’Unanimisme de Jules Romains et du premier Jouve, par Alessandra MARANGONI
Frankétienne, la politique de la spirale, par Marie-Edith LENOBLE
La poésie québécoise, de la patrie au pays, par Sophie BASTIEN
De la circonstance politique à la circonférence poét(h)ique, par Fadi KHODR
Stalinade, par Jean-Clarence LAMBERT

« Intellectuel surréaliste », Mélusine, n° XII, 1991, pp. 309-315

INTELLECTUEL SURREALISTE

Intellectuel surréaliste : l’alliance de mots paraît une incongruité, sinon une antinomie, tant le surréalisme s’est voulu hors de la sphère intellectuelle. On est, on devient sur­réaliste, un point c’est tout. Considérer le surréaliste comme un intellectuel, n’est-ce pas le réduire à une fonction céré­brale ou le ranger dans une catégorie d’individus propre à la France bourgeoise ?

Au demeurant, une telle distinction ne semble pas opéra­toire aux yeux des partisans de la sociologie littéraire insti­tutionnelle, qui s’en tiennent aux traditionnelles catégories socio-professionnelles pour analyser les origines familiales ou la situation personnelle des membres du Mouvement surréaliste1. Globalement, on évoque l’appartenance de leur famille à la “ petite bourgeoisie ”, quand ce n’est pas la “ bourgeoisie ”. Pour eux-mêmes, on les classe, selon leur activité dominante, parmi les artistes, les peintres, les écrivains, les poètes, faute de pouvoir préciser le métier qui, par ailleurs, leur procurait des revenus plus ou moins réguliers. A quelques nuances près, cependant. Analysant, dans sa thèse, l’impact du pamphlet de 1924, Un cadavre, dirigé contre Anatole France, Norbert Bandier souligne le clivage provoqué entre les “ lettrés ” et les “ intellectuels révolutionnaires ” (p. 173). A l’occasion de ce premier éclat public, constitutif du Mouve­ment, pour ainsi dire, se cristalliserait cette stratégie de conquête du pouvoir symbolique consistant à éliminer les an­ciens modèles et les concurrents pour imposer un programme nou­veau, s’ouvrant vers un public différent. En bonne logique, ce­lui-ci est “ formé par les “ intellectuels révolutionnaires ” ”, et, conclut Bandier au terme d’une étude qui le conduit jusqu’à la publication du Second Manifeste du surréalisme : “ le modèle du “ lettré ” tend à s’effacer devant le modèle de l’“ intellectuel ” (p. 553). Je doute, pour ma part, que le lectorat, et qui plus est, le public des surréalistes, soit aussi orienté vers le changement de régime que le prétend notre jeune chercheur. Il ne m’est pas possible, dans le cadre de cet article, de discu­ter chacun des points d’une démonstration fort riche et nuan­cée, s’appuyant sur une documentation souvent de première main. L’important est de retenir la trajectoire qui, de 1924 à 1929, révèle l’émergence du concept d’intellectuel au sein du groupe surréaliste.

Or, ce concept, nous avons un moyen irréfutable d’en rele­ver la trace : c’est le repérage du mot, fourni par l’ordinateur, pourvu que les textes concernés aient été “ saisis ”, autrement dit mis en machine. Dans un article d’une fulgurante concision, Jean-Luc Rispail, s’aidant des sorties informatiques du Surréalisme au Service de la Révolution élabo­rées par l’unité “ Lexicologie et terminologie littéraires contemporaines ” (I.Na.L.F-C.N.R.S.), caractérise clairement l’usage que font du vocable, sous toutes ses formes, les colla­borateurs de cette revue, partagés entre leur désir de servir la classe ouvrière et celui de maintenir

au sein du mouvement marxiste le rôle expérimentateur qui fait la spécificité de l’activité surréaliste, en remettant en cause les cadres mêmes à l’intérieur desquels celui-ci tente de les enfermer (écrivains, artistes, poètes, etc.) ”2.

Mais Rispail fait plus : il nous livre, avec le mode d’emploi, les “contextes”, c’est-à-dire chacune des phrases où le terme “ intellectuel(s) ” est em­ployé, invitant le lecteur à poursuivre lui-même l’analyse et à gloser s’il le désire.

De fait, André Breton n’emploie guère le substantif “ intellectuel” dans ses propres textes (aucune occurrence dans le Manifeste du surréalisme), et s’il le fait, ce n’est pas sans réserves, avec le souci de lui donner une valeur spéci­fique, comme, d’ailleurs, pour l’ensemble du vocabulaire. Quand il reprend, en usant de guillemets, l’opposition traditionnelle entre “ manuels ” et “ intellectuels ” , dans l’article “ La dernière grève ” (La Révolution surréaliste n°2, 15 janvier 1925), c’est bien contre son gré, pour se faire mieux comprendre de ses lec­teurs et dépeindre la situation présente, qu’il ne demande qu’à bouleverser au nom de son “ attachement absolu au principe de la liberté humaine ”3. Son rapprochement temporaire avec le parti communiste l’entraîne, me semble-t-il, à user d’un vocabulaire nettement marqué, non sans réserves :

J’accepte, cependant, que par suite d’une méprise, rien de plus, on m’ait pris dans le parti communiste pour un des intellectuels les plus indési­rables ”

concède-t-il dans le Second Manifeste du surréalisme, mais c’est pour dénoncer ses anciens compagnons, ceux “ dont les déterminations morales sont plus que sujettes à caution ” qui, faute de mieux, se rabattent sur l’agitation révolutionnaire, après avoir échoué ailleurs. Dans la mesure où les surréalistes se considèrent comme de véritables révolutionnaires, traîtres à leur classe d’origine, pour employer le jargon d’époque, il va de soi qu’ils puissent être qualifiés d’intellectuels. Eti­quette qu’ils revendiquent même dans leur célèbre télégramme au Bureau International de Littérature révolutionnaire ouvrant le premier numéro du S.A.S.D.L.R., par lequel ils se déclarent prêts à suivre l’attitude du Parti Communiste français dans le cas où l’impérialisme engagerait la guerre contre le régime so­viétique, ajoutant : “ si estimiez en pareil cas un meilleur em­ploi possible de nos facultés sommes à votre disposition pour mission précise exigeant tout autre usage de nous en tant qu’intellectuels ”.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que ce soient les deux surréalistes présents au Congrès de Kharkov, Aragon et Sadoul, qui emploient le plus le substantif “ intellectuels ”, avec une coloration positive, dans les textes où ils pensaient défendre leur mouvement contre les jugements à l’emporte-pièce des écrivains prolétariens. De même, Pierre Unik, Benjamin Pé­ret et Paul Eluard, René Crevel prennent la défense des “ intellectuels ” indochinois et yougoslaves emprisonnés.

Il n’en demeure pas moins que, statistiquement, le terme, employé au singulier ou au pluriel, revêt une valeur nettement péjorative sous la plume des collaborateurs de cette revue lorsqu’ils désignent ainsi leurs adversaires, les intellectuels français bourgeois, de gauche voire communisants ou “ à ten­dances révolutionnaires ”, quand ce ne sont pas les intellec­tuels castillans et catalans contre lesquels Salvador Dali se déchaîne avec une verve paroxystique.

En somme, même s’ils acceptent d’être pris pour des intel­lectuels, lorsqu’ils débattent du devenir révolutionnaire, les surréalistes n’aiment guère ce mot pour eux-mêmes, lui préfé­rant des vocables plus adaptés à leur pratique quotidienne, comme le montrait la brève étude de Thierry Aubert en 1988, étendant son analyse du même terme dans le même corpus à des synonymes (ou presque) :

Le poète est aux intellectuels ce que le militant communiste est au prolétariat. Finalement, la spé­cificité de l’intellectuel surréaliste, cette particularité dont se réclamait Breton, est sa situation poétique ”4.

Est-ce à dire que, refusant pratiquement de s’auto-dési­gner comme intellectuel, si ce n’est durant son compagnonnage communiste, le surréaliste doit être exclu de cette catégorie dont tout le monde reconnaît l’existence depuis l’Affaire Drey­fus, même si l’on se garde d’en donner une définition ? Ici, l’historien des passions françaises, pour ne pas dire des mou­vements d’opinion politique nous est d’un grand secours, dans la mesure où il n’a pas cherché à distinguer, a priori, le rôle de chaque groupe. En étudiant un vaste corpus de manifestes et de pétitions, moyen d’expression caractéristique des intellec­tuels français au XXème siècle, Jean-François Sirinelli montre bien la place qu’y tiennent les surréalistes, parmi d’autres5.

Cela commence par la pétition en faveur d’André Malraux emprisonné en Indochine, signée conjointement par le groupe de la Nouvelle Revue Française et les surréalistes, le 6 septembre 1924, d’ailleurs précédée d’un très sensible plaidoyer d’André Breton publié dans les mêmes Nouvelles littéraires trois se­maines auparavant. Cela se poursuit par l’appel “ Les travail­leurs intellectuels au côté du prolétariat contre la guerre du Maroc ”, texte d’Henri Barbusse publié par L’Humanité du 2 juil­let 1925, contresigné par la rédaction de Clarté, l’ensemble du groupe surréaliste et du groupe Philosophies, scellant l’union de ces trois mouvements et marquant, si l’on peut dire, l’entrée en politique des surréalistes se déterminant contre la guerre du Rif. Puis c’est l’“ Appel à la lutte ” lancé par André Breton au lendemain du 6 février 1934, prônant “ l’unité d’action de la classe ouvrière ” , recueillant près de 90 signa­tures lors de sa publication dans Le Populaire, anticipant l’union des antifascistes et brûlant la politesse à l’Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires sur son propre terrain. Même s’il convient, comme l’indique Siri­nelli, de relativiser la portée de cet appel, et surtout de le mettre en relation avec d’autres textes comme le manifeste “ Aux travailleurs ” lancé par le Comité de Vigilance des Intellec­tuels Antifascistes, et d’ailleurs signé par Breton et Crevel, il n’en marque pas moins la détermination du surréalisme dans le combat contre la bête immonde. De même qu’avec les paci-fistes il proclamera son “ Refus de penser en chœur ” après l’Anschluss, s’opposant ainsi à l’initiative œcuménique du parti communiste.

A la Libération, on s’en doute, les surréalistes ne figu­rent pas parmi les membres du Comité National des Ecrivains. Ils n’ont pas à prendre parti dans les débats qui l’animent au sujet des listes d’écrivains compromis dans la collaboration. Mais, le 29 mars 1947, Breton ne peut refuser sa signature pour une pétition de Sartre en faveur de Paul Nizan calomnié par Aragon et Henri Lefebvre. Durant ce que Sirinelli nomme “ l’âge d’or des intellectuels communistes ”, il est clair que le sur­réalisme n’a guère le moyen d’investir la une des journaux. Pourtant, son activité au sein des mouvements intellectuels se fera sentir, plus ou moins discrètement, lors de la fondation, en novembre 1955, du Comité d’action contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord. Elle éclatera (non pas au grand jour, compte tenu des circonstances, mais du moins assez clai­rement pour que nul n’en ignore aujourd’hui) quelques années après, en septembre-octobre 1960, avec la “ Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie ”, autrement dit le Manifeste des 121, du nombre de ses premiers signataires, parmi lesquels les membres du groupe surréaliste, dont on sait qu’il fut à l’origine du texte en la personne de Dionys Mas­colo et de Jean Schuster. Pour élargir l’audience de cette pro­clamation, et par souci tactique, les surréalistes se mirent en retrait. Paradoxalement, alors que le parti communiste, leur vieil adversaire, commençait, pour la première fois, à perdre de son audience à cette occasion, ils cessèrent pratiquement de signer des appels collectifs avec d’autres intellectuels.

Méfiance envers ceux que naguère ils traitaient durement, repli sur soi ? L’important est d’observer que, s’ils ont pris l’initiative à plusieurs dates marquantes de l’histoire, rameu­tant leurs semblables pour des actions d’envergure, les surréa­listes n’ont donné leur signature qu’avec parcimonie, se refu­sant, pratiquement depuis 1935, à apposer leur nom à côté de ce­lui des communistes, même au sujet de la guerre d’Espagne. De même, s’ils ne font pas écho aux positions de la gauche lors de Munich, c’est qu’ils ne souscrivent pas au pacifisme militant tel que le prônent Alain, Félicien Challaye, Jean Giono.

Le parcours historique de Jean-François Sirinelli prouve, s’il en était besoin, que les surréalistes se sont effective­ment comportés en intellectuels, durant la période considérée, usant de la pétition et du manifeste, relayés par la presse, quand le besoin s’en faisait sentir, n’hésitant pas à promou­voir l’alliance la plus large dans les circonstances les plus importantes. Mais on peut aller plus loin dans cette voie et considérer que le groupe surréaliste, dans sa réalité mouvante, s’est posé, globalement, comme une formation autonome d’intellectuels de gauche, différente des groupes organisés po­litiquement, s’exprimant au moyen de tracts et déclarations collectives, naguère réunis et commentés par José Pierre6. De fait, ces moyens assurent son homogénéité et sa spécificité, quels qu’en soient le mode de diffusion et les destinataires. En tant qu’intellectuels, les surréalistes interviennent, si­multanément, dans le champ politique, comme on vient de le voir, mais aussi dans le champ socio-culturel et encore plus particulièrement dans le débat interne, contribuant à la défi­nition et à l’évolution de leur mouvement.

Dès l’origine, se posant en intellectuels à tendance révo­lutionnaire, ils affirment leur internationalisme et lancent des manifestes en faveur de leurs homologues polonais (8 août 1925), roumains (28 août 1925), hongrois (17 octobre 1925), chinois (23 novembre 1931). C’est ensuite l’Espagne républi­caine qui requiert leur attention, en 1931 comme en juillet 1936, et la Catalogne sous le régime franquiste. Puis à nouveau la Hongrie, devenue la proie des chars soviétiques (“ Hongrie soleil levant ” , novembre 1956) et encore la Pologne (4 juin 1959) dont ils saluent la résistance au stalinisme, marquant ainsi qu’il n’y avait chez eux aucune solution de continuité depuis leur défense de Trotsky (“ La Planète sans visa ”, 24 avril 1935) et leur défiance envers Staline au Congrès des Ecrivains d’août 1935 jusqu’à leurs multiples mises en garde lors des Procès de Moscou. Cette position est rappelée avec vi­gueur dans le tract “ Autour des livrées sanglantes ” (12 avril 1956), au moment où le rapport Khrouchtchev établit les crimes de Staline.

Le combat anti-colonialiste, à partir de la guerre du Rif, les montre vigilants sur l’Indochine dès le mois d’avril 1947 (“ Liberté est un mot vietnamien ”), comme, on vient de le rappe­ler, sur l’Algérie depuis 1955 jusqu’aux accords d’Evian.

Sur le plan de la politique intérieure française, ils sem­blent moins diserts, se désintéressant des jeux parlementaires, dès lors qu’ils ont appelé à “ La Révolution d’abord et tou­jours ” (21 septembre 1925). Ce qui ne les a pas empêchés d’intervenir auprès de leurs pairs lors des grandes crises, jusqu’à se mettre au service de la jeunesse révoltée en mai 1968 (“ Pas de Pasteurs pour cette Rage ”).

Dans le domaine socio-culturel, les surréalistes prennent la défense de ceux qu’ils revendiquent comme leurs précurseurs : Lautréamont (1er mars 1922, avril 1927, 15 décembre 1967), Jarry (1922, 1937), Rimbaud (22 août 1924, 23 octobre 1927). Ou encore leurs compagnons sur la voie de la libération artistique : Reverdy (26 mai 1924), Picasso (18 juin 1924), Saint-Pol-Roux (9 mai 1925), y compris leurs propres camarades, comme les au­teurs de L’Age d’or attaqués par les ligues bien-pensantes (novembre 1930). Ils ne se privent pas d’attaque les fausses gloires, tel Anatole France (Un cadavre, octobre 1924), leurs détracteurs, comme Paul Claudel (1er juillet 1925), défendant au contraire Charlie Chaplin (“ Hands off love ”, octobre 1927), Freud (mars 1938), la meurtrière d’un Camelot du Roy, des jeunes filles injustement condamnées par la société (Violette Nozières, Pauline Dubuisson), sans parler des numéros de La Ré­volution surréaliste dirigés contre toutes les entraves so­ciales. Sur un plan plus artistique, ils luttent contre le na­tionalisme dans l’art en 1939, contre le misérabilisme dans les années cinquante.

Toujours sur le qui-vive, ils se voient tenus d’expliquer leur position pour eux-mêmes (Déclaration du 27 janvier 1925) et pour ceux qui voudraient les assimiler à une simple école artistique (“ Les Intellectuels et la révolution ”, 8 novembre 1925), refusant l’intégration pure et simple au parti commu­niste (“ Au grand jour ”, mai 1927), comme la dispersion artis­tique (“ A suivre… ”, juin 1929). Il serait fastidieux d’énumérer, ici, tous les communiqués et déclarations relatifs aux exclusions, aux mises en garde aussi bien qu’aux réintégra­tions des membres du groupe surréaliste. Une critique superfi­cielle en a fait des gorges chaudes, sans comprendre en quoi de telles proclamations étaient consubstantielles à ce groupement intellectuel, constamment appelé à se protéger de ses alliés avides de les annexer ou même de ses adversaires trop enclins à les neutraliser. Le phénomène nouveau, à cet égard, est la très grande attention portée par un certain public, amateur de ce genre de règlements de compte, à ce qui, dans les partis poli­tiques, relève de la commission des conflits. Mais c’est juste­ment parce qu’il n’est pas organisé comme une formation parti­sane que le surréalisme agit ainsi au grand jour, rappelant constamment des principes, non consignés dans une charte fonda­mentale. Outre les Manifestes d’André Breton, des textes comme “ Rupture inaugurale ” (21 juin 1947), “ A la niche les glapis­seurs de Dieu”(14 juin 1948), “ Haute fréquence ” (24 mai 1951), “ Pour un demain joueur ” (1967) peuvent en tenir lieu.

Replacées dans le contexte, ces modalités

que l’on a cru propres au tempérament surréaliste apparaissent en fait comme l’attitude exacerbée d’intellectuels soucieux de transformer leurs paroles en actes, d’entraîner le plus grand nombre à leur suite. Qu’ils n’y soient parvenus que très partiellement et très épisodiquement est un autre problème. La légitimation sociale du surréalisme relève de processus bien particuliers, encore peu étudiés, qui n’ont rien à voir avec les mécanismes habituels relevant des lois du marché, des instances étatiques ni même de la compétence reconnue par les pairs. Le fait est que les surréalistes font partie de ces intellectuels qui ont forgé le paysage spirituel de la France pendant un demi-siècle, quand bien-même ils se glorifiaient de la trahison des clercs.

Henri BEHAR

Compléments :

Voir et télécharger gratuitement le volume de la collection Les Pas perdus:

Microsoft Word – Intello_surrealiste_SBIndexCorr.doc (melusine-surrealisme.fr)

Compte rendu Fabula :<<<<<<<<<<<<<<: Intellectuel surréaliste, M. Vassevière (éd) (fabula.org)

Compte rendu Fabula : https://www.fabula.org/acta/document4551.php

Pour mémoire :

Programme du séminaire 2004-2005
Figures du surréaliste en intellectuel après 1945
GDR 2223 CNRS. (Directeur : Henri BEHAR
12 novembre 04 17h-19h, s. 410
Nathalie LIMAT-LETELLIER– Maryse VASSEVIÈRE : Introduction du séminaire : problématique et contextualisation
10 décembre 04 17h-19h, s. 410
Henri BÉHAR : Le droit à l’insoumission : les surréalistes et la Guerre d’Algérie
14 janvier 05 17h-19h s. 410
Marie-Christine LALA : La dimension intellectuelle de Georges Bataille après 1945
11 février 05 16h-18h s. 410
Sophie LECLERCQ : Le discours sur l’Autre et la nouvelle légitimité de l’intellectuel surréaliste après 1945
11 mars 05 16h-18h s. 410
Carole REYNAUD-PALIGOT : Les surréalistes et le mouvement libertaire après 1945
8 avril 05 16h-18h s. 410
Pierre VILAR : Leiris, intellectuel à la corne de taureau
Les séances auront lieu à l’Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle, Centre Censier, 13 rue de Santeuil, 75005 Paris (Métro Censier-Daubenton), salle 410 (4ème étage) les vendredis de 17h à 19h au premier semestre et de 16h à 18h au deuxième semestre.

Prolongements : Voir aussi, plus récemment : Histoire du surréalisme ignoré (1945-1969) Du Déshonneur des poètes au « surréalisme éternel » Anne Foucault

  1. Présentation

L’activité surréaliste parisienne entre 1946 et 1969 est encore mal connue et relativement dévaluée en comparaison de la période de l’entre-deux guerres. Partant d’une approche résolument collective, cet ouvrage entreprend de comprendre et critiquer cette dévalorisation. Confronté aux premières entreprises historiographiques qui participent à l’institutionnalisation de son passé et de son héritage, le surréalisme parvient à inventer des voies neuves sur le plan plastique, en particulier autour de l’automatisme (Simon Hantaï, Adrien Dax), de l’objet (Hervé Télémaque, Konrad Klapheck), de la théorisation et de la pratique d’un art magique (Jean Benoît, Jorge Camacho). Sur le plan politique, cette même approche collective permet de percevoir qu’après une période d’isolement jusqu’au mitan des années 1950, les valeurs défendues par les surréalistes connaissent à la faveur de la déstalinisation et des luttes de décolonisation une reconnaissance dans les milieux intellectuels. Commence alors pour le groupe une série de collaborations dont les enjeux et les difficultés permettent de mieux comprendre ce qui put conduire à l’auto-dissolution du groupe peu de temps après Mai 68.


1 Voir : Jean-Pierre Bertrand, Jacques Dubois, Pascal Durand : “ Approche institutionnelle du premier surréalisme (1919-1924) ”, Pratiques, n°38, juin 1983, pp. 27-53 ; ainsi que la thèse de Norbert Bandier : Analyse sociologique du groupe surréaliste français et de sa production de 1924 à 1929, Université de Lyon II, 1988, 591 p. dactyl. plus annexes.

2 Jean-Luc Rispail : “ Contextes surréalistes d’Intellectuel(s) 1924-1933 ”, p. 62, dans l’ouvrage collectif dirigé par D. Bon­naud-Lamotte et lui-même : Intellectuel(s) des années trente entre le rêve et l’action, Editions du CNRS, 1989, 280 p. ill.

3 Référence signalée, avec erreur de pagination et mastic dans la citation, par Edouard Béguin dans l’article “ Intellectuel(s) chez Aragon ”, ibid, p.106.

4 Thierry Aubert : “ L’intellectuel surréaliste dans le SASDLR ”, travail de D.E.A. publié dans notre brochure de cours L’Ordinateur au service de la littérature, Université Paris III, 1988, p.95.

5 Jean-François Sirinelli : Intellectuels et passions fran­çaises –Manifestes et pétitions au XXe siècle, Fayard, 1990, 365 p.

6 José Pierre : Tracts surréalistes et déclarations collec­tives 1922-1969, Le Terrain vague, 2 vol. 1980-1982.

« Débris, collage et invention poétique », Europe, n° 566, juin 1976, pp. 102-114.

Sommaire :

Textes de Cendrars, Soupault, C. Leroy, C. Dobzynski, M. Décaudin, Gustave Le Rouge, Henri Barbusse, Henri Béhar, inédits de Cendrars…

Nouvelle édition 1995

Quatrième de couverture :

Cendrars a passé longtemps pour un écrivain à découvrir. Ce n’est pas qu’on l’ignorait, cet inconnu célèbre, mais on le connaissait plus de nom que de plume. Malraux, qui le tenait pour un des plus grands poètes du siècle, le jugeait « distraitement reconnu ». Dans la mémoire collective, sa présence était aussi turbulente qu’émiettée. Il faisait sa croisière, ici ou là, dans les parages d’Apollinaire ou auprès des peintres de l’École de Paris (Delaunay, Léger, Chagall…), dont il s’était fait le poète dès son installation en France, en 1912. On le rencontrait encore sous le signe de la modernité, mais d’une modernité très début de siècle, plus portée, semblait-il, à l’exaltation des machines et de la vitesse, des trains et des paquebots, qu’à l’expérimentation formelle. Il fournissait, enfin, l’archétype des écrivains-voyageurs : le bourlingueur, c’était lui. Énorme et truculent, fort en gueule et en coups d’éclat, porté à l’épate, tirant à lui la couverture de ses livres, le personnage de Cendrars jetait trop d’ombre sur son écriture… Le présent numéro d’Europe, publié pour la première fois en 1976, fut le premier acte collectif de la critique cendrarsienne moderne. Parce qu’il frayait maints passages au-delà des images reçues, il était aussi, à sa façon, un manifeste. Sous la figure du bourlingueur, il fallait révéler l’alchimiste des mots. Après la parade du baroudeur, le temps était venu de se porter « au cœur du texte ». Depuis longtemps épuisé, recherché par de nombreux amateurs de Cendrars, ce numéro historique méritait assurément d’être réédité.

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Texte repris dans : Henri Béhar, Littéruptures, Lausanne, L’Age d’Homme, 1988, p. 169-180.

Voir la version numérique (Attention : livre en entier fichier lourd et long à charger!) : https://melusine-surrealisme.fr/henribehar/wp/wp-content/uploads/2014/12/Litt%C3 %A9ruptures_ADH.pdf

Prolongements : l’exposition

DÉBRIS – COLLAGES : RÉCUPÉRER, ASSEMBLER ET RECONSTRUIRE
LAM, VILLENEUVE D’ASCQ – 21 Juin 2018 16 Sept. 2018

Présentée dans le cadre des 50 ans de la MEL (Métropole Européenne de Lille), l’exposition propose de redécouvrir les collections du musée de manière inédite et transversale, à travers l’art moderne, l’art contemporain et l’art brut. À travers son parcours, l’exposition présentera la pratique du collage, très répandue au XXᵉ siècle, tout en la mêlant à celle de la récupération, du démontage, de la déconstruction voire de la destruction. Les visiteurs seront invités à découvrir la pratique du bricolage en art, qui fut une des réponses aux grands bouleversements du siècle dernier.

A cette occasion, le LaM présentera des nouvelles acquisitions ainsi que des œuvres très peu, voire jamais exposées, telles que les affiches lacérées ou déchirées de Jacques Villeglé et de Mimmo Rotella ou encore les décollages de François Dufrêne.

« Lieux-dits, les titres surréalistes », Mélusine, n° 4, 1983, pp. 77-101 (voir n° 34). « Portes battantes », Mélusine, n° 4, 1983, pp. 339-341.

Publié d’abord en polonais, suivi du corpus des titres étudiés :

34. « O tytulach surrealstycznych », Pamietnik literacki, Varsovie, 1981, N° 2, pp. 260-277.

Mélusine n°IV: Le Livre surréaliste, 1983

[Télécharger l’article en PDF : « Lieux-dits »]

Article repris dans le volume Henri Béhar, Les Enfants perdus, Lausanne, L’Age d’Homme, 2002, p. 167-194.

https://www.revue-textimage.com/12_varia_5/mjakobi1.htmloir

Voir en complément l’article de Marianne Jakobi : https://www.revue-textimage.com/12_varia_5/mjakobi1.html

« La question du théâtre surréaliste ou le théâtre en ques­tion », Europe, n° 475-476, novembre-décembre 1968, p. 176 sq.

Dossier consacré au surréalisme : définition, contexte et historique du mouvement, avec le témoignage de Philippe SOUPAULT (“Origines et début du Surréalisme”), textes de Maurice BOUVIER-AJAM (“Réalisme du temps surréaliste”) et Jacques GAUCHERON (“Surréalisme mort ou pas mort”); textes de Raymond JEAN sur “l’eros surréaliste” (“La grande force est le désir”) et Roger NAVARRI sur les visions politiques des surréalistes (“Les surréalistes, l’écrivain et la Révolution”), réflexions sur l’importance littéraire du mouvement par Franz HELLENS (“Le surréalisme a tout sauvé”) et Rolland PIERRE (“Points de vue et questions”), “Le surréalisme et ses chances de survie” de Georgres DUPEYRON, “Humour noir et surréalisme” de Lucienne ROCHON; puis textes consacrés à divers écrivains: Lautréamont par Lucienne ROCHON, Pierre Reverdy par Charles BACHAT, Pierre Albert-Birot par Arlette ALBERT-BIROT, “Breton, Jung et le hasard objectif” par Paule PLOUVIER, “Goll et Breton” par Claire GOLL, suivi du fac-similé (16 pages) de sa revue “Surréalisme” de 1924 (textes de Pierre ALBERT-BIROT, Guillaume APOLLINAIRE, Pierre REVERDY, Joseph DELTEIL, Marcel ARLAND, René CREVEL, etc) et de textes d’Yvan GOLL; textes sur le surréalisme et les arts: collages de Max Ernst par Carlo SARLA, cinéma par Pierre AJAME et René GARDIES, Antonin Artaud par Jean-Gabriel NORDMANN et théâtre surréaliste par Henri BEHAR; textes sur le surréalisme hors la France: Belgique par André BLAVIER, Italie par Ugo PISCOPO et surréalisme et futurisme en Italie par Noëmi BLUMENKRANZ-ONIMUS, surréalisme et merveilleux celtique par Françoise HAN, Yougoslavie par Draguicha VITOCHEVITCH, Espagne par Jesus IZCARAY, Paraguay par Pedro GAMARRA DOLDAN, pays hispano-américains par Danièle MUSACCHIO; “hauts-lieux” par Albert FOURNIER et chronologie (1918-1938) du mouvement par Jacques GAUCHERON;28 hors-texte de photos et fac-similés; 1er plat orné d’après “Femmalaharpe”, huile de MAN RAY. ‎ (R.B.)

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Article repris dans : Henri Béhar, Littéruptures, Lausanne, L’Age d’Homme, 1988, p. 509-74. (voir version numérisée : https://melusine-surrealisme.fr/henribehar/wp/wp-content/uploads/2014/12/Litt%C3%A9ruptures_ADH.pdf

Ce texte m’a été demandé par Pierre Gamarra, directeur de la revue Europe, afin de présenter mon Étude sur le théâtre dada et surréaliste, Gallimard, coll. Les Essais, 1967, désormais épuisé, dont je constate qu’il a été numérisé, sans aucun accord, ici : https://fr.scribd.com/document/543591298/Henri-Behar-Etude-Sur-Le-Theatre-Dada-Et-Surrealiste

Présentation : Il est paradoxal de parler de théâtre dada à qui sait que ce mouvement rejetait toute catégorie artistique. Dada ne recherchait pas le scandale systématique mais la participation. Tout le problème consiste à trouver le seuil exact au-delà duquel le spectateur, de passif, devient actif, indépendamment de sa volonté, et les moyens pour y parvenir. C’est à quoi l’auteur s’occupe dans cet ouvrage en examinant les textes qui, organisés en dialogue, se prêtaient le plus à une explosion de la poésie, laquelle, par-delà provocation et scandale, reste poésie de théâtre, c’est-à-dire collective.
Par ailleurs, comment reconnaître la lumière surréaliste au théâtre? Sera-ce, comme pour Dada, dans le spectacle-provocation? Ce sera plutôt à une certaine manière qu’auront les auteurs de se prendre à bras-le-corps avec les problèmes du langage, à produire les images les plus arbitraires. Ce sera aussi dans la présence ou la quête du Merveilleux, dans l’irruption des puissances du Rêve,…

Lire compte rendu de l’ouvrage : https://www.erudit.org/fr/revues/etudlitt/1968-v1-n3-etudlitt2180/500050ar.pdf

De fait, le volume initial a été repris et actualisé au format de poche : Le Théâtre dada et surréaliste,Gallimard, coll. Idées, n°  406, 1979.

Prolongements : Répertoire du théâtre surréaliste, son amont, son aval.
Par André G. Bourassa https://www.theatrales.uqam.ca/TheatreSurr.html

https://books.openedition.org/pufc/38292?lang=fr : Le théâtre « activité de l’esprit »1 : texte, langage et graphie dans les théâtres dadaïste et surréaliste ; Emmanuel Cohen

« De la méthode en littérature », Europe, n° 1031, mars 2015, p. 359-363.

257. « De la méthode en littérature », Europe, n° 1031, mars 2015, p. 359-363.

DE LA MÉTHODE EN LITTÉRATURE

Ceux qui ont eu le bonheur de lire Le Chat du rabbin ont mémoire de cette très brève séquence où le rabbin Sfar se désespère parce qu’il sait que la lettre qu’il vient de recevoir, et qu’il n’ose ouvrir, lui annonce son échec au certificat d’études imposé par le Consistoire. Son cousin musulman, le cheik Sfar, lui ordonne de l’ouvrir, pour apprendre sa réussite. Ils sont nombreux ceux qui font comme notre savant rabbin ! À tel point qu’il a fallu théoriser cette attitude si répandue. Naguère, après bien d’autres, Pierre Bayard s’y est attaché avec brio dans son essai : Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? (Minuit, 2007). Mais ce qui est divertissant dans la bande dessinée ou encore dans une pratique sociale tout en surface, est-il tolérable dans une activité critique ?

Dans un récent numéro d’Europe, on pouvait lire ceci, à quoi je souscris au point de retranscrire intégralement le premier paragraphe : « J’entends par esprit critique l’attitude consistant à ne porter des jugements que sur ce que l’on s’est d’abord efforcé de comprendre ; à recourir autant que faire se peut à des sources d’information de première main plutôt qu’à des synthèses toutes faites ; à ne rien tenir pour définitivement acquis et à refuser par principe tout argument d’autorité ; à se méfier de l’admiration stérilisante comme des aspirations puériles à l’originalité ; à toujours se demander si ce dont on nous parle existe réellement, pourquoi certains discours paraissent séduisants alors qu’ils ne résistent pas à un examen approfondi, et comment faire en sorte qu’une pensée soit à la fois logiquement cohérente et empiriquement vérifiable, rigoureusement argumentée et ouverte à la discussion, même lorsque celle-ci prend une tournure polémique » (Jean-Marc Mandosio, Europe n° 1027-1028, novembre-décembre 2014).

Inutile de gloser la citation, tant ce qui est consigné ici devrait constituer le socle, la charte de base, le serment d’Hippocrate de la critique littéraire. Charte, hélas ! rarement observée. Un épisode récent, amplifié par le réseau Internet, nous en fournit la preuve. Un tout jeune historien de la littérature, travaillant pour sa thèse, se heurte à un phénomène qui lui paraît demander une attention particulière. Si étonnant qu’avec l’accord de son directeur de recherche, il décide, non pas d’en faire un appendice à son investigation en cours, mais un petit volume spécifique, pour autant qu’un éditeur veuille bien s’en saisir. Peu après, l’éditeur annonce la sortie de cet essai sous le titre « Du Nouveau chez Rimbaud ». Notez la majuscule transformant l’adjectif en substantif, elle donne toute sa valeur au calembour qu’on aurait aimé trouver soi-même, puisqu’il s’agit du poète ami (et même davantage) de Rimbaud.

Aussitôt, on pouvait lire dans Libération du 31 octobre 2014 : « Selon un essai, le recueil Illuminations du poète serait dû à son mentor Germain Nouveau. Il y a quelques années, un serpent de mer en cuir écaillé refaisait surface : Corneille aurait écrit les pièces de Molière. Il a depuis regagné le fond de son loch. Prenant soin de se distinguer du précédent, Eddie Breuil publie ce vendredi aux éditions Champion Du Nouveau chez Rimbaud. Il cherche à démontrer que les Illuminations du second auraient été écrites par son ami Germain Nouveau, le merveilleux auteur des Valentines, grand poète et son héros. Comme toujours dans ces cas-là, la démonstration s’engouffre dans des incertitudes qu’elle retourne en révélations… »

On voit de quoi il retourne : être le premier à informer le public d’une riche découverte, et la démolir du même mouvement, afin qu’il n’en soit plus question ailleurs ! Le scoop qui fait pschitt aussitôt, nouvelle figure de l’exceptionnel journalistique. Au passage, il n’est pas mauvais de déverser son venin sur les universitaires qui se préoccupent de lire des manuscrits (pensez donc, à l’heure du numérique !) et de vérifier l’exactitude de faits qui sont donnés pour vérité d’Évangile. Encore mieux si l’on peut casser ce tout jeune homme qui ne s’en tient pas à la lecture évangélique des quotidiens dits d’information !

Dans cet ordre d’idées, il n’est pas mauvais de faire preuve d’érudition, et de montrer qu’on pourrait en remontrer aux plus savants. On allègue donc les antécédents, faisant un amalgame jubilatoire (aux seuls yeux de l’érudit). Corneille et Molière ne manquent pas au rendez-vous. De là qu’on évoque les théories révisionnistes, il n’y a qu’un pas, allègrement franchi par les ignares du Net. Ce qui, bien entendu, fait bondir notre jeune chercheur, lequel n’a pas de mots trop durs pour ces théories d’origine nazie, et dont la seule ambition est de les éradiquer de notre horizon autant que de l’avenir des hommes.

Or, vérification faite auprès de l’éditeur, le chroniqueur n’a pas pu se procurer le livre (ni les bonnes feuilles), qui a subi un retard de livraison… De sorte que la prétendue information n’est qu’une élucubration, élaborée à partir du prière d’insérer et, plus grave, de notules traînant sur le réseau, elles aussi incertaines. Tout ce qu’avance ledit chroniqueur est faux et sans fondement. Notez que j’ai vu encore pire : un recenseur rend compte d’un gros dictionnaire en dénonçant l’absence d’une entrée qui se trouve bien imprimée dans tous les exemplaires, sauf le sien peut-être ? Les auteurs seraient-ils désormais tenus d’offrir des lunettes à leurs contempteurs ? Le même érudit d’occasion prétend que Breton n’est pour rien dans la création de la Compagnie de l’Art brut, ce que tout un chacun peut vérifier, sans qu’il lui coûte un sou, en interrogeant le site « Atelier André Breton » où sont stockés tous les documents nécessaires, y compris de la correspondance. Grande bête que je suis, va ! je n’ai toujours pas compris que la critique littéraire actuelle n’avait qu’une seule raison d’être : le dénigrement.

N’est pas Lanson qui veut, même si Lanson est encore l’objet d’une lourde méprise dans l’enseignement secondaire, et l’on sait bien pourquoi, puisqu’il fut des premiers à se préoccuper de l’enseignement de masse, et à préconiser des objets et des méthodes de recherche qui ne sont toujours pas mises en œuvre de nos jours.

Reprenons dès le début. Afin de prouver que je n’invente pas pour les besoins de la cause, voici le problème tel qu’il se posait auparavant, et tel que je l’ai résumé pour le supplément annuel de l’Encyclopédie Quillet en 2008 :

« Le recueil Illuminations, publié en 1886 par les soins de Félix Fénéon, pose les mêmes problèmes que les Pensées de Pascal. Selon l’ordre dans lequel on les lit, selon le sens que l’on donne au titre, selon leur date présumée de composition, on se forme une idée différente de leur signification. Une chose est sûre : Rimbaud n’a jamais écrit ce titre sur aucun de ses manuscrits, et il ne se serait préoccupé de rassembler ses poèmes en prose en vue d’une publication qu’en 1875, sans y donner suite. Selon Verlaine, “Illuminations”, en anglais, serait “coloured plates”, c’est-à-dire gravures coloriées, ou encore verres enluminés, pour la lanterne magique ; mais on peut comprendre autrement : inspiration soudaine, ou bien fêtes de l’esprit.

« La date d’écriture ne laisse pas de poser problème. Sous l’influence de la glose familiale d’Isabelle Rimbaud et de Paterne Berrichon son mari, on a longtemps cru qu’Illuminations était antérieur à Une Saison en enfer, recueil par lequel Rimbaud renonçait à la littérature, et de bons esprits comme Étiemble n’en démordent pas. Jusqu’au moment où dans sa thèse, Bouillane de Lacoste, s’appuyant sur une analyse graphologique des manuscrits et des copies a cru prouver l’antériorité de la Saison. Aujourd’hui, avec André Guyaux, on pense plutôt que certaines des Illuminations sont antérieures à la Saison, d’autres postérieures (entre 1872 et 1874, jusqu’en 1875 selon certains), et que de l’une aux autres s’établissent des connivences, voire une interdépendance, le poète conduisant simultanément ses deux registres. Ainsi les Illuminations sont encore un projet littéraire inabouti, dont Rimbaud s’est dépris après s’y être adonné avec ferveur.

« De même qu’on se fait une opinion différente des Pensées de Pascal selon qu’on les

lit dans l’édition Brunschvicg ou dans celle de Lafuma, on aura une vision orientée par le

groupement effectué par Fénéon, habituellement reproduit par tous les éditeurs, qui ne

repose sur aucune justification chronologique ni logique, et celui d’André Guyaux en

rapport avec ce qu’il nomme “la poétique du fragment”.

« Cette théorie, selon laquelle Rimbaud aurait justement refusé l’idée d’une œuvre concertée de bout en bout, autorise divers classements, selon la forme ou le contenu.

« Du point de vue de la forme, ces cinquante-quatre pièces vont du récit en plusieurs séquences (“Enfance”, “Vies”, “Veillées”, “Jeunesse”), lesquelles se trouvent correspondre à un projet narratif de caractère autobiographique, aux phrases isolées, bribes de pensées arrachées à l’impondérable, comme celle-ci : “J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse”. Il arrive que la discontinuité prédomine, les phrases nominales, les mots juxtaposés, les points de suspension, les blancs donnent à chaque fragment sa respiration particulière, au point que “Marine” peut passer pour le patron du vers libre tel que les symbolistes l’ont répandu.

« Cette discontinuité formelle s’inscrit dans une rhétorique fabuleuse, comme si le poète

essayait de jeter un pont entre les différents genres littéraires et la forme nouvelle du petit poème en prose inaugurée par Aloysius Bertrand et Baudelaire. Dans le désordre se succèdent les contes, la légende biblique (“Après le déluge”), l’énigme (“H”), la prière (“Dévotion”), la description parnassienne (“Fleurs”), le tableau réaliste (“Ouvriers”) ou impressionniste

(“Les Ponts”), l’utopie (“Ville”), jusqu’aux fragments, qui ne sont pas des notations en vue d’un texte plus élaboré, mais bien des poèmes complets, se suffisant à eux-mêmes.

« La multiplicité des personnalités incarnées par le narrateur, celui qui dit “je”, déconcerte le lecteur. On admet difficilement que le même pronom personnel puisse représenter à la fois le jeune Rimbaud, dont on partage les sentiments, les émotions et les impressions :

“Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j’ai connu le monde, j’ai illustré la comédie humaine” (“Vies”) ; le compagnon infernal, dont on comprend qu’il évoque un moment de sa liaison avec Verlaine : “J’avais en effet, en toute sincérité d’esprit, pris l’engagement de

le rendre à son état primitif de fils du soleil, — et nous errions, nourris du vin des cavernes

et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la formule” (“Vagabonds”) ; et celui

qui déclare “Je suis le saint, en prière sur la terrasse…” (“Enfance”). C’est qu’ici le poète se

trouve dans un état second, exalté au point qu’il ne se reconnaît pas et passe aisément d’une

personnalité à une autre, à toutes les figures de l’humanité s’il le faut. “Voici le temps des

ASSASSINS”, déclare-t-il à la fin de “Matinée d’ivresse”, signifiant par un jeu de mots que l’état

poétique s’annexe toutes les facultés, y compris celles que procurent les paradis artificiels,

le vin ou le haschisch.

« Comme pour le sonnet des “Voyelles”, une lecture érotique est toujours possible sur

l’ensemble du recueil. Elle est même indispensable pour certaines pièces comme “Antique” qui dépeint l’hermaphrodite, et “Bottom” qui, plus que la métamorphose d’un âne dans Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, évoque les matins triomphants de la virilité. À un autre niveau, le poète, en état de transe, explore le monde connu et inconnu, passé et futur. Il se situe dans une temporalité nouvelle, “Après le déluge”, qui n’a rien à voir avec le quotidien banal. Aussi peut-on considérer que ce poème devait ouvrir le recueil, en prélude aux tableaux que Rimbaud rapportait de son exploration aux confins du possible, avant d’arriver au bilan négatif de “Solde”, où il semble brader ses trouvailles. Entre ces deux piliers, se déroulerait le panorama du monde nouveau, la suite des imaginations vécues, des féeries entrevues, des fêtes déployées. Aussi a-t-on fort justement rapproché certains de ces poèmes de l’univers théâtral, où tout est à la fois matériel et factice, effet de langage.

« Tout est nouveau dans les Illuminations, mais le poète se heurte à l’indicible, à l’incommunicable, et l’on a pu voir un aveu d’échec dans la manière dont Rimbaud s’est désintéressé de leur publication. C’est ne pas tenir compte de son caractère impulsif, qui le portait à se démarquer de ce qu’il venait d’accomplir et à se tourner vers d’autres horizons, abandonnant à ceux qui le souhaitaient ces textes réputés illisibles, dont il affirmait pourtant : “ça veut dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens”.

« À l’époque où Rimbaud est supposé avoir achevé les Illuminations, celui-ci se trouve en Angleterre avec le poète Germain Nouveau qui l’aide à recopier certains de ses poèmes.

Il vivote de leçons de français et cherche un emploi de précepteur. À la fin de 1874, il rentre à Charleville. À partir de là commence une ère d’errances et de vagabondages, qui a intrigué tous ses admirateurs, y compris Verlaine qui le désigne comme “l’homme aux semelles de vent”, par allusion à ses qualités de marcheur infatigable. Mais surtout, il se détourne définitivement de la poésie, pour devenir un homme d’action, déclarant à un compagnon qui l’informait de la publication de ses poèmes dans La Vogue, en 1886, qu’il ne voulait plus entendre parler de ces “rinçures” ! »

À partir de cette situation, Eddie Breuil s’en retourne aux manuscrits, dont certains sont passés en vente il y a peu. Il compare les écritures, confronte les thèmes familiers de l’un et de l’autre poète, et se dit que Germain Nouveau a pu apporter sa pierre à l’édifice autrement que par la copie.

Qu’on le lise bien : il demande seulement qu’on discute une hypothèse, selon laquelle le texte donné pour les Illuminations ne serait pas du seul Rimbaud. Que deux mains différentes, deux têtes, ont pu intervenir successivement et même simultanément. Ce faisant, il apporte des arguments suffisamment convaincants pour attribuer quelques poèmes à leur auteur véritable. Mais cela n’entraîne pas que l’ensemble des poèmes habituellement regroupés sous le titre des Illuminations ne doivent rien à Rimbaud. Eddie Breuil suggère, laissant le lecteur trancher, en appelant à la recherche prise comme entité collective.

Ce faisant, il ne s’aventure pas sans biscuits, ni sans précurseurs. Sans parler des gens dont c’est le métier (du latin ministerium), les poètes se sont exprimés. Avant lui, André Breton disait qu’on ne saurait jamais quelle part de réciprocité il y eut dans la confection de ces poèmes : « Sur ce séjour du 178 Stamford Street, Waterloo Road, qui fut en commun le leur, se referme une des grandes parenthèses de notre temps. […] Rimbaud-Nouveau,

Nouveau-Rimbaud : on n’aura rien dit, on n’aura rien franchi poétiquement tant qu’on n’aura pas élucidé ce rapport. » Et, à son habitude, Aragon poussait le bouchon le plus loin possible : « les rimbaldiens ont peur que, dans le miroir de Nouveau, on n’aperçoive comment ils ont défiguré (ou transfiguré) Rimbaud. [S]ur la destinée même de la poésie, la poésie de Nouveau, et sa parenté avec la poésie rimbaldienne, apportent un témoignage gênant pour ceux qui veulent que, peu après 1870, la poésie ait, avec Rimbaud, tout entière changé de signification et de route. »

Comment répondre aux questions posées par les poètes eux-mêmes ? Certes, nul ne peut le faire d’un jet de plume. Et il y faut unir bien des forces, bien des méthodes, bien des compétences.

D’abord, pousser la recherche historique : a-t-on bien exploré toutes les traces laissées par le mendiant d’Aix ? Ne se trouve-t-il pas des preuves dans le terrier des notaires ? Qui s’est assuré de leur exploitation systématique ? Félix Fénéon passe généralement pour un homme sérieux. Mais son souci de brièveté, consigné dans ses fameuses nouvelles en trois lignes, ne l’aurait-il pas conduit à mettre quelque document de côté, dont la recherche actuelle ferait son miel ?

Ne revenons pas sur la graphologie alléguée jadis par Bouillane de Lacoste, mais est-on certain d’avoir tiré tout le parti possible des instruments mis à disposition par les

techniques actuelles ? Pourquoi le Palais aurait-il droit aux faveurs de la science, qui ne seraient pas de mise en la circonstance ?

Ce n’est pas d’aujourd’hui que la pratique artistique nommée littérature appelle une science de la littérature, une « science des textes et documents » comme on disait naguère à Jussieu, ou bien des « faits littéraires », comme je préfère. Le premier pas consiste à établir ces faits, et quand on ne sait pas, à le dire. Avouer cela, ce n’est pas un acte d’honnêteté ni

d’humilité, c’est se respecter soi-même.

Henri BÉHAR

Voir l’ouvrage en question :

L’histoire de la littérature est faite d’erreurs, de rectifications, qui mettent parfois du temps à être admises, qu’il s’agisse d’erreurs d’attribution (les œuvres prêtées à Louise Labé, les Lettres portugaises) ou d’approximations éditoriales (les diverses formes des Pensées de Pascal). Les Illuminations ont connu plusieurs grandes versions : mélange de vers et de proses ou seules proses. Peut-on seulement connaître avec certitude le contenu de ce recueil ? En retraçant le parcours des manuscrits et en réexaminant les témoignages de première main, on s’aperçoit que de nombreuses approximations ont été progressivement présentées comme des certitudes. Concernant ce recueil, tout est à revoir !

Cette étude permet de refaire le point en remontant aux premières traces du projet et au moment crucial que fut le compagnonnage entre Arthur Rimbaud et Germain Nouveau, commencé à Paris et prolongé quelques mois à Londres, durant lequel les manuscrits généralement recueillis dans les Illuminations ont été mis au net. Lorsqu’on suit pas à pas cette aventure littéraire, les anciennes vérités s’effondrent et d’autres émergent. Une nouvelle lecture de l’ensemble des textes est proposée, lecture non plus étiologique mais basée sur des éléments concrets et donnant à réinterpréter la poétique de l’auteur.

Eddie Breuil prépare une thèse sur l’édition critique sous la direction de Philippe Régnier dans l’équipe LIRE (UMR 5611) de Lyon. Il poursuit des travaux sur l’édition critique et électronique de textes littéraires.

« La transparence et l’obstacle », dans La Maison de verre, André Breton initiateur découvreur, Les Éditions de l’amateur/Musée de Cahors, p. 11-18.

Catalogue de l’exposition André Breton la maison de verre, Cahors, du 20 septembre 2014 au 1er février 2015.

Voir le site de l’exposition :

La Maison de verre, André Breton initiateur découvreur – Musées Occitanie (musees-occitanie.fr)

et l’article : André Breton œuvre surréalisme : l’expo à voir | A vos agendas, le blog sur les dates à ne pas manquer (cotemaison.fr)

Le catalogue :

Table des matières :

[Télécharger l’article en PDF]

Que vlo-ve ?

Bulletin international des études sur Guillaume Apollinaire

n°21, janvier-mars 2003

[Télécharger l’intégralité de ce numéro de la revue rédigé par H. Béhar en PDF]

Je suis particulièrement reconnaissant envers Michel Décaudin (1919-2004) d’avoir pris l’initiative de publier ce travail qui n’était, à l’origine, qu’un ensemble de citations, relevées dans mon propre corpus numérique, destinées à alimenter la discussion d’un groupe de recherche. De fait, en dépit des signalements relevés ci-après, cette publication appelle toujours les commentaires.

Texte repris dans: Henri Béhar, La Littérature et son golem. Tome II, Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 189 à 216. Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 10.

Signalements :

1. Aa. Vv., «Que vlo‑ve?»

https://doi.org/10.4000/studifrancesi.39797

Bibliographical reference

«Que vlo‑ve?», 42 serie, 21, janv.‑mars 2003, pp. 1‑28; 22, avril juin 2003, pp. 29‑56; 23, juillet-sept. 2003, pp. 57‑84; oct.‑déc. 2003, pp. 85‑112

Le premier fascicule est occupé (pp. 5‑27) par une communication d’Henri Béhar au Séminaire Apollinaire (à la Sorbonne nouvelle): La Jambe et la roue ‑‑ Apollinaire et le surréalisme. Dans sa conclusion l’A. dit qu’il s’agit d’un «inventaire». C’est la citation d’à peu près tous les passages des oeuvres de Tzara, Aragon et Breton, où il est question d’Apollinaire, selon trois chapitres: I – Merveilleux quotidien. II ‑ La transmutation du réel. III ‑ Le surréel. Dès sa première phrase, l’a. se dit «confus de n’avoir rien à dire de neuf’; mais son travail est très utile.

https://journals.openedition.org/studifrancesi/39797?lang=en :

2. Antonio Rodriguez« Du nouveau dans la « surprise » ? Une notion conventionnelle devenue emblématique de l’année 1917 », Littérature2017/4 (N° 188), p. 28 à 38.

https://www.cairn.info/revue-litterature-2017-4-page-28.htm

3.  Apollinaire. Le renouvellement de l’écriture poétique du xxe siècle, p. 331-351, Paris, Classiques Garnier, Coll. Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 42.

https://classiques-garnier.com/apollinaire-le-renouvellement-de-l-ecriture-poetique-du-xxe-siecle-bibliographie.html?displaymode=full

4. Bibliographie de Jacques Vaché: https://www.xn--jacquesvach-lbb.fr/Bibliographie.html

5. Philippe Wahl, « pollinaire, la rime et le rire. « Ça a l’air de rimer », études françaises olume 51, n° 3, 015 La corde bouffonne. De Banville à Apollinaire:

https://www.erudit.org/en/journals/etudfr/2015-v51-n3-etudfr02276/1034134ar.pdf

« Locus solus ou bis repetita placent », in Raymond Roussel, n° 1, « nouvelles impressions critiques », Lettres modernes Minard, Paris-Caen, 2000, pp. 75-91.

Voir la série Raymond Roussel sur le site des éditions Minard :

https://www.lettresmodernesminard.org/roussel.html

Raymond Roussel : nouvelles impressions critiques 

[Télécharger le PDF de l’article HB]

Article figurant dans : HB, La Littérature et son golem, t. 1, Paris, Honoré Champion, 1996, p. 227-240.

Lire Raymond Roussel, Locus Solus  en mode image ou en mode texte sur Gallica :

Locus Solus / Raymond Roussel | Gallica (bnf.fr)

Voir la page de l’exposition : https://palaisdetokyo.com/exposition/nouvelles-impressions-de-raymond-roussel/

NOUVELLES IMPRESSIONS DE RAYMOND ROUSSEL

DU 24/02/2013 AU 19/05/2013

Sous les auspices de la figure excentrique et fascinante de Raymond Roussel (1877-1933), le Palais de Tokyo accueille une exposition ambitieuse qui cartographie l’influence de ce génie fulgurant sur les artistes d’aujourd’hui.

Avec : Mathieu K. Abonnenc, Jean-Michel Alberola, Jean-Christophe Averty, Zbynek Baladrán, Thomas Bayrle, Jacques Carelman, Guy de Cointet, Collège dePataphysique, Joseph Cornell,  Salvador Dalí, Gabriele Di Matteo, Thea Djordjadze, Marcel Duchamp, Giuseppe Gabellone, Rodney Graham, João Maria Gusmão & Pedro Paiva, Mike Kelley, Revue Locus Solus, Pierre Loti, Sabine Macher, Man Ray, Mark Manders, André Maranha, Pedro Morais, Jorge Queiroz et Francisco Tropa, Jean-Michel Othoniel, Victorien Sardou, Joe Scanlan, Jean Tinguely, Jules Verne. 

« Mon âme est une étrange usine »Raymond Roussel

Raymond Roussel est enfin célébré à Paris. C’est justice bien tardive pour cet écrivain qui tient depuis un siècle dans l’imaginaire des artistes — de quelques-uns seulement, mais non des moindres — une place centrale, incarnant la figure de l’artiste entièrement dédié, jusqu’aux frontières de la raison, à son oeuvre, celle de l’artiste créateur d’un « monde complet », « ne suivant que la pente de son imagination » (André Breton). Les « Nouvelles impressions de Raymond Roussel » sont une suite et un complément à l’exposition « Impressions de Raymond Roussel », qui a eu lieu au Museo Reina Sofia (Madrid) en 2011 et au Museu Serralves (Porto) en 2012. S’y traçait une histoire diagonale de l’art du XXe siècle, reliant les points entre les artistes et créateurs qui ont dit l’influence de cet auteur, de ses écrits, sur leur oeuvre. Pour commencer Marcel Duchamp, puis les surréalistes, mais aussi Michel Foucault ou Georges Perec. Ces « Nouvelles impressions de Raymond Roussel » proposent cette fois de laisser une plus large place à l’aujourd’hui et réunit des artistes rencontrés au cours de ces dernières années de recherche autour de Roussel. Il n’a pas paru nécessaire que leur relation à cet écrivain prenne la forme d’un hommage, ni même s’y réfère explicitement.Ce serait sous-estimer la nature de ces influences, aussi profondes que souterraines, que de les réduire à des jeux de citation. Ces oeuvres ne sont pas réductibles à un thème et leur réunion ici est un exercice de dépliage des motifs – toujours différents – que les artistes ont puisé chez Roussel, consciemment ou non, selon une lecture dont il faut bien assumer la partialité. C’est bien le « plus grand magnétiseur des temps modernes », selon André Breton, que cette exposition vient rappeler aux mémoires ; celui qui, pour Michel Leiris, a réalisé « l’évasion du domaine de la Réalité dans celui de la Conception ». C’est dire le pouvoir de la poésie, sa capacité à faire passer dans un « monde à l’envers » ; ce vaste théâtre, enfantin et parfois cruel, qu’est l’univers de Raymond Roussel.

Pour mémoire : la revue Mélusine, n° 6, « Raymond Roussel en gloire », dirigé par Anne-Marie Amiot, et ma contribution n° 55 : « Heureuse méprise : Raymond Roussel et les surréalistes », Mélusine n° 6, 1984, pp. 41-59.

« Le bordel métaphysique ou le théâtre de Picasso », Esprit, janvier 1981, n° 1, pp. 76-79.

[Télécharger l’article d’Henri Béhar en PDF]

Lire le texte de Picasso :

Voir enfin : « Du surréalisme et du baroque dans l’écriture de Picasso », Les Cahiers de l’Herne, Pablo Picasso, 2014, p. 264-270.

Sur le théâtre de Picasso, voir :
https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070354061-le-theatre-dada-et-surrealiste-henri-behar/

Entre «ce besoin de réalité qui nous tourmente», caractérisant l’esthétique naturaliste, et la «scène libre au gré des fictions» postulée par le symbolisme, la scène de notre siècle a choisi une troisième voie, non de compromis mais de dépassement, représentée par le théâtre dada et surréaliste, faisant place à la surprise, à la poésie, au rêve, au merveilleux. L’aventure commence avec Ubu roi d’Alfred Jarry (1896) pour s’épanouir mondialement avec Le Regard du sourd de Bob Wilson (1971). Étudiant des œuvres peu connues, montées par des théâtres de fortune en France entre les deux guerres, cet essai met en lumière les traits essentiels d’une esthétique dramatique Qui ne cesse de féconder la création actuelle. La première partie est consacrée aux précurseurs et marginaux:Alfred Jarry, Apollinaire, Albert-Birot, Yvan GolI, le Douanier Rousseau, Raymond Roussel. La deuxième analyse quelques pièces dada d’Erik Satie, Ribemont-Dessaignes, Tristan Tzara, etc. Enfin la troisième partie évoque le théâtre surréaliste d’André Breton, Aragon, Artaud, Vitrac, Desnos, Huidobro, Georges Neveux, Georges Hugnet, Picasso; et, pour la nouvelle génération, Julien Gracq et Georges Schehadé.

Voir aussi : la revue Mélusine https://melusine-surrealisme.fr/wp/la-revue-melusine/

N° 34, LE SURREALISME ET LES ARTS DU SPECTACLE

L’exégèse du surréalisme se concentre essentiellement sur la littérature et sur les arts visuels, alors que ce courant culturel, le plus novateur du XXe  siècle, a fécondé avec succès d’autres modes d’expression. Le présent dossier en témoigne : il porte sur le théâtre comme art scénique autant que comme genre littéraire, et sur d’autres arts du spectacle. Convoquant diverses approches, il fait se rencontrer deux professions qui trop souvent s’ignorent l’une l’autre : les critiques universitaires (dramaturges, théâtrologues ou spécialistes du surréalisme) et praticiens de la scène. Avant d’en venir au surréalisme historique, le premier tiers du dossier remonte aux siècles antérieurs, tant pour éclairer la pensée du groupe de Breton que pour retourner à ses sources esthétiques, en matière de représentation. Les deux derniers tiers se situent en aval du courant et s’étendent jusqu’à l’extrême contemporain, tout en couvrant un territoire qui embrasse l’Europe et l’Amérique du Nord – ce qui atteste de l’ampleur du rayonnement de la scène surréaliste. Le vaste domaine du spectacle a accompli des réformes depuis une centaine d’années, qui portent leurs fruits. Plusieurs présentent des affinités avec le surréalisme. Des pratiques émergentes ressortent comme une voie que celui-ci avait ensemencée, où il se régénère sous des formes inédites. En somme, la fortune scénique du mouvement lui garantit un perpétuel renouvellement.

Voir aussi le catalogue de l’exposition :

http://www.artaujourdhui.info/a5372-picasso-et-le-theatre.html

Enfin, voir mes autres articles sur Picasso :
https://melusine-surrealisme.fr/henribehar/wp/?page_id=1969

106. « Picasso au miroir d’encre », dans L’Artiste en représen­tation, textes réunis par René Démoris. Paris, Éditions Des­jonquères, 1993, pp. 199-213.

252. « Du surréalisme et du baroque dans l’écriture de Picasso », Les Cahiers de l’Herne, Pablo Picasso, 2014, p. 264-270.

« Pourquoi le Théâtre Alfred-Jarry ? », Antonin Artaud 2, Artaud et les avant-gardes théâtrales, Minard, 2005, pp. 9-24.

[Télécharger l’article d’Henri Béhar en PDF]

La Revue des lettres modernesArtaud et les avant-gardes théâtrales

  • Type de publication : Collectif
  • Directeur d’ouvrage : Penot-Lacassagne (Olivier)
  • Résumé : Fondée par Michel Minard en 1954, « La Revue des Lettres modernes » est une collection de séries monographiques et thématiques consacrées aux écrivains modernes et contemporains.
  • Nombre de pages : 193
  • Parution : 28/06/2023
  • Réimpression de l’édition de : 2005
  • Revue : La Revue des lettres modernes
  • Série : Antonin Artaud, n° 2

Autres informations ⮟

  • Thème CLIL : 4027 — SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES — Lettres et Sciences du langage — Lettres — Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406148210
  • ISBN : 978-2-406-14821-0
  • ISSN : 0035-2136
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14822-7
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 28/06/2023
  • Périodicité : Mensuelle
  • Langue : Français Mot-clé : Théâtre de la Cruauté, Living Theater, Orient, Mexique, René Daumal, Peter Brook, Jerzy Grotowski, Eugenio Barba, Ariane Mnouchkine, Japon

Voir comptes rendus : https://www.fabula.org/acta/document995.php

http://srhlf.free.fr/PDF/Artaud_et_avant_gardes_theatrales.pdf

https://journals.openedition.org/studifrancesi/33607

Artaud et les avant-gardes théâtrales | French Studies | Oxford Academic (oup.com)

Voir https://www.regietheatrale.com/index/index/thematiques/auteurs/vitrac/roger-vitrac-3.html

Voir aussi : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k856920z/f17

Lire en version numérique : Le théâtre et son double/Texte entier – Wikisource

Article reproduit dans : Henri Béhar, Ondes de choc, nouveaux essais sur l’avant-garde, Lausanne, L’Age d’Homme, 2010, p. 117-128.

Trois points communs et simultanés caractérisent les différents courants de l’avant-garde désormais dite « historique » : la rupture, la constitution d’une communauté, enfin une détermination politique. Ayant établi que toute avant-garde est nécessairement politique, Henri Béhar n’élude pas le délicat problème de l’engagement du critique et de l’historien.
Regroupant un choix de communications et d’essais publiés en revue, ce volume s’ordonne en trois parties.
La première regroupe des recherches ayant trait aux éclats de la bombe Dada que Max Ernst se refusait à rassembler : le rôle de Tristan Tzara dans la diffusion du Futurisme, sa découverte de la poésie nègre, son amitié productrice avec Hans Arp ; le facteur politique à l’œuvre dans le mouvement, et sa découverte de l’inconscient.
La seconde partie examine les lames de fond qui se produisirent, en général, sur les planches, tant par le traitement de scénarios shakespeariens que par la fondation du Théâtre Alfred-Jarry, l’irruption du rire d’Artaud, les mises en scène surréalistes de Sylvain Itkine avec le Diable écarlate, le rôle généralement ignoré de Roger Vitrac au cinéma et enfin un examen global de la provocation comme catégorie dramaturgique.
Par analogie avec le langage des géologues qui désigne ainsi la zone du Pacifique où se produisent 75 % des séismes terrestres, la troisième partie se prend à analyser la ceinture de feu surréaliste à travers des figures ou des moments singuliers : la relation Paulhan-Breton, les rapports avec le Grand Jeu, la critique littéraire à l’œuvre dans les revues surréalistes, le rôle éminent joué par Dali, de la scatologie à l’eschatologie, les rapports du mouvement avec le politique et, pour finir, son rôle dans l’élaboration du Manifeste des 121.
L’ensemble est précédé d’un large panorama, jetant un regard lucide et amusé sur une cinquantaine d’années de travaux personnels sur la question.

« Le rire d’Artaud », dans : Antonin Artaud « littéralement et dans tous les sens », actes du colloque de Cerisy-la-Salle, 30 juin-10 juillet 2003

Texte publié dans :

– Antonin Artaud 3, textes présentés et réunis par Olivier Penot-Lacassagne, Caen, Minard, Lettres modernes, 2009, pp. 127-151.

[Télécharger la contribution d’Henri Béhar]

Le Programme du colloque de Cerisy :

Lundi 30 juin
Après-midi:
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée:
Présentation du Centre, des colloques et des participants

Mardi 1er juillet
Matin:
Henri BÉHAR: Le rire d’Artaud
Isabelle KRZYWKOWSKI: Artaud et Gertrude Stein: vers un renouvellement de l’écriture théâtrale

Après-midi:
Guy DUREAU: De l’obsession mythographique: invention et réinvention de la fable chez Antonin Artaud
Bernard BAILLAUD: Artaud/Paulhan/Thévenin

Soirée:
Artaud/Rimbur de Jean-Pierre Verheggen, par le Théâtre-Poème (Monique Dorsel, Fabienne Crommelynck, Franck Dacquin)

Mercredi 2 juillet
Matin:
Anne TOMICHE: (Anti)lyrisme d’Artaud?
Myriam BOUCHARENC: Artaud et Van Gogh: variations sur l’entre-deux-morts

Après-midi:
Ludovic CORTADE: Artaud et le mysticisme chrétien
Olivier PENOT-LACASSAGNE: L’invention de soi

Soirée:
La Danse du Peyolt et Tutuguri, films de Raymonde Carasco

Jeudi 3 juillet
Matin:
Giorgia BONGIORNO: L’évidant: écriture et dessin chez Antonin Artaud
Emmanuel RUBIO: Artaud/Breton: androgynie et amour fou

Après-midi:
Monique BORIE: Artaud et le modèle oriental
Marcello GALLUCCI: Artaud et le mythe de l’Atlantide

Soirée:
À la dérive d’Artaud, lecture théâtrale par Georges BAAL et Gérard NAURET

Vendredi 4 juillet
Matin:
Itzhak GOLDBERG: Le visage chez Artaud
Laurent DANCHIN: Dubuffet à Rodez: Artaud ou l’art brut?

Après-midi:
L’édition des Œuvres complètes par Paule Thévenin, atelier avec Olivier PENOT-LACASSAGNELaurent DUBREUIL et Delphine LELIÈVRE

Samedi 5 juillet
DÉTENTE

Dimanche 6 juillet
Matin:
Stamos METZIDAKIS: Du Dé d’Artaud: Ceci n’est pas la pensée d’Artaud
Céline SZYMKOWIAK: La méthode du corpus dans l’étude des glossolalies d’Artaud

Après-midi:
Jean-Luc STEINMETZ: La poésie vraie d’Artaud
Marie-Christine LALA: Artaud-Bataille, aujourd’hui

Soirée:
La passion de Jeanne D’Arc, film de Dreyer (1926)

Lundi 7 juillet
Matin:
Guillaume BRIDET: Artaud et le ressourcement mythique des années 1930
Jacob ROGOZINSKI: La décision du vide (sur Les Nouvelles Révélations de l’Etre)

Après-midi:
Artaud et les Tarahumaras, film de Raymonde Carasco

Soirée:
Que Viva Mexico !, film de Eisenstein

Mardi 8 juillet
Matin:
Béatrice BONHOMME: Antonin Artaud: le corps dans tous ses états
Guilhem FABRE:Pour en finir avec le jugement de Dieu: un théâtre de la voix

Après-midi:
Diogo SARDINHA: Artaud lu par Foucault et Deleuze
Laurent DUBREUIL: Les impossibilités de la lecture

Soirée:
Ciguri 99: le dernier chaman, film de Raymonde Carasco

Mercredi 9 juillet
Matin:
Georges BAAL: Quand le souffle d’Artaud passe par la bouche de l’acteur
Pierre-Antoine VILLEMAINE: Le vertige de l’auteur

Après-midi:
Martine ANTLE: Artaud théâtralisé
Kuniichi UNO: La pantoufle d’Artaud – Artaud et Hijikata
Mari SAKAHARA: Comment Artaud a-t-il été reçu au Japon?

Jeudi 10 juillet
Matin:
Actualité d’Antonin Artaud?, table ronde avec Georges BAALBéatrice BONHOMMERaymonde CARASCO et Marie-Christine LALA
Aliénier l’acteur, lecture par Pierre-Antoine VILLEMAINE

Le Centre culturel international de Cerisy organise, du lundi 30 juin (19 h) au jeudi 10 juillet (14 h) 2003 une décade: ANTONIN ARTAUD. QUESTIONS OUVERTES, sous la direction d’Olivier PENOT-LACASSAGNE

Annonce Fabula : https://www.fabula.org/revue/document6675.php

L’œuvre d’Artaud est une œuvre engagée dans le procès de la « modernité européenne ». Ce colloque sera l’occasion d’en repérer les trajets discursifs, poétiques et politiques, d’en répertorier les points de fixation, de rupture ou d’éclatement, d’analyser l’évolution complexe de la pensée d’Artaud sans en interrompre arbitrairement le mouvement.

Le geste critique que cela suppose n’est pas indifférent, toujours menacé de replis frileux ou partisans. Non seulement il exige de lire tout Artaud, récusant de la sorte les découpages abusifs et le morcellement de ses écrits, mais il demande également la suspension des a priori critiques et cliniques. Nous n’écarterons donc aucune des postures, aucun des parcours qui traversent cette œuvre.

Quelques-uns, largement débattus (le théâtral, le religieux, le mythique, les pratiques d’écriture, l’imagination spéculative), seront l’occasion d’analyses nouvelles ; d’autres, encore peu étudiés, seront interrogés (nom propre et signature ; communauté et secret ; détermination chrétienne de la chair et déconstruction du christianisme ; souffrance et rémunération ; tentation de savoir et reniement ; abjection et fécalité ; métaphysique, pataphysique et athéisme ; écriture et dessin…).

COMMUNICATIONS (suivies de débats) :

– M. ANTLE : Artaud théâtralisé – H. BÉHAR : Le rire d’Artaud – G. BONGIORNO : L’évidant – B. BONHOMME : Artaud, le corps dans tous ses états – M. BORIE : Artaud et le modèle oriental – M. BOUCHARENC : Artaud/Van Gogh : variations dans l’entre-deux-morts – G. BRIDET : Artaud et le ressourcement mythique des années 1930 – P. BRUNO : Homme abstrait jusqu’au corps – R. CARASCO : Artaud et les Tarahumaras – L. CORTADE : Artaud et le mysticisme chrétien – L. DANCHIN : Dubuffet à Rodez : Artaud ou l’art brut ? – L. DUBREUIL : Les impossibilités de la lecture – G. DUREAU : De l’obsession mythographique, invention ou réinvention de la fable chez Artaud – G. FABRE : Pour en finir avec le jugement de Dieu : un théâtre de la voix – M. GALLUCI : Artaud et le mythe de l’Atlantide – I. GOLDBERG : Le visage chez Artaud – I. KRZYWKOWSKI : Artaud et G. Stein – M.-C. LALA : Artaud-Bataille, aujourd’hui – D. LELIÈVRE : Théâtralité dans les Cahiers de Rodez – S. METZIDAKIS : Du Dé d’Artaud : ceci n’est pas la pensée d’Artaud – L. PAVONE : Artaud et la rencontre avec l’autre : « l’arve et l’aume » – O. PENOT-LACASSAGNE : De l’invention du divin au jugement de Dieu – F. QUILLET : Artaud et le théâtre d’aujourd’hui l J. ROGOZINSKI : « Ce spasme auquel la mort veut nous plier » – E. RUBIO : Artaud/Breton : androgynie et amour fou – F. RUFFINI : Artaud et l'”action consciente » – M. SAKAHARA : Artaud et le Japon – pour une histoire du théâtre transnationale – D. SARDINHA : Artaud lu par Foucault et Deleuze – J.-L. STEINMETZ : La poésie vraie d’Artaud – C. SZYMKOWIAK : Les glossolalies d’Artaud l’A. TOMICHE : (Anti)lyrisme d’Artaud ? – K. UNO : La pantoufle d’Artaud Artaud et Hijikata.

2. Édition dans la série Antonin Artaud, Minard, Lettres Modernes (Caen)

Voir le site de l’éditeur : https://www.lettresmodernesminard.org/artaud.html

Antonin Artaud 3 : “Antonin Artaud ‘littéralement et dans tous les sens’” (Actes du colloque de Cerisy-la-Salle : 30 juin – 10 juillet 2003)”. Caen, Lettres Modernes Minard, 2009. Coll. « La Revue des Lettres modernes ». Un volume broché, rogné 19 cm. 334 p. 25 € ISBN 978-2-256-91140-8

Un pas au-delà, par Olivier Penot-Lacassagne

I. À PROPOS DE L’ÉDITION DES ŒUVRES COMPLÈTES

1. « Une existence hantée par lui… », par Olivier Penot-Lacassagne.

2. Les Cahiers de Rodez et l’édition Gallimard : une lecture incompatible, par Delphine Lelièvre.

3. Plus Artaud que Paule. Sur l’édition de l’inédit, par Laurent Dubreuil.

II. QUESTIONS OUVERTES

4. Artaud et le ressourcement mythique des années Trente, par Guillaume Bridet.

5. De l’obsession mythographique : invention et réinvention de la fable chez Antonin Artaud, par Guy Dureau.

6. Artaud et le mysticisme chrétien – la question des médiations sensibles, par Ludovic Cortade.

7. Antonin Artaud et le mythe de l’Atlantide, par Marcello Gallucci.

8. Antonin Artaud et André Breton entre amour fou et androgynie, par Emmanuel Rubio.

9. La Décision du vide (sur Les Nouvelles révélations de l’Être d’Antonin Artaud), par Jacob Rogozinski.

10. Le Rire d’Artaud, par Henri Béhar.

11. Du Dé d’AA : ceci n’est pas une pensée d’Antonin Artaud, par Stamos Metzidakis.

12. (Anti)lyrisme d’Artaud ? De l’« ancien souffle lyrique » au souffle de la « révolte contre la poésie », par Anne Tomiche.

13. La « poésie vraie » d’Artaud, par Jean-Luc Steinmetz.

14. Artaud et Van Gogh : variations sur l’entre-deux-morts, par Myriam Boucharenc.

15. “L’ÉvidAnt”. Écriture et dessin chez Antonin Artaud, par Giorgia Bongiorno.

16. L’Impossible témoin. Prevel avec Artaud, par Laurent Dubreuil.

17. Artaud/Bataille ou la poésie au présent, par Marie-Christine Lala.

18. Actualité poétique d’Antonin Artaud, par Béatrice Bonhomme.

19. Entre délaissement et radicalisation : les utilisations d’Artaud par Foucault et Deleuze, par Diogo Sardinha. –

20. Artaud théâtralisé. Dessins et portraits dans les discours contemporains, par Martine Antle.

III. ARTAUD et LA N.R.F.

21. « Cette sacro-sainte N.R.F… », par Guy Dureau.

Texte repris dans : Henri Béhar, Ondes de choc, nouveaux essais sur l’avant-garde, Lausanne, L’Age d’Homme, 2010, p. 129-148.

Voir compte rendu par Marc Décimo : https://www.fabula.org/revue/document6675.php

« Apollinaire champion d’Europe », Europe, n° 1043, mars 2016, p.  234

Mensuelle, Europe ne fut pas toujours, comme aujourd’hui, une revue littéraire. S’occupant de culture et d’idées politiques, on conçoit que les noms des écrivains et des poètes n’y figurent pas en permanence, et qu’elle ne se soit pas préoccupée d’établir un classement des valeurs littéraires dès son apparition, en 1923. D’autant plus que, tournée vers l’Europe et, pour ainsi dire, le monde entier, les Français ne devaient absolument pas occuper le devant de la scène. Fondée par des anciens du groupe de l’Abbaye et des amis de Romain Rolland, elle était plus préoccupée de revendication et de justice sociale que d’avant-garde. Néanmoins, elle ne pratiquait pas d’ostracisme envers l’avant-garde contemporaine, qu’elle regardait d’un œil souvent amusé, parfois horrifié, en attendant le moment où, une fois leur gourme jetée, ces jeunes, tel Philippe Soupault, viendraient la rejoindre. N’oublions pas que son premier numéro publiait un inédit du comte de Gobineau !

S’adressant à un public que l’on peut qualifier globalement « de gauche », sans risque d’être démenti, composé d’instituteurs, d’autodidactes, mais aussi de cadres, d’ouvriers organisés, de lecteurs éclairés qui ne demandaient qu’à l’être davantage, elle se devait de lui apporter des éléments d’information et de réflexion, lui découvrant de larges perspectives vers des cultures étrangères et dressant d’indispensables panoramas sur l’histoire des idées, des influences réciproques, d’un pays à l’autre, des esthétiques à l’œuvre ici et là. À ses débuts, la publication de textes étrangers contribua vivement à sa diffusion. Si bien qu’au bout d’une centaine d’années d’existence, elle occupe une place notable dans le champ culturel français. Qu’elle le veuille ou non, elle a procédé à un classement des valeurs et elle contribue, aujourd’hui encore, à la « panthéonisation » de certains auteurs, tant étrangers que français, et à leur divulgation en France, notamment à travers ses numéros spéciaux. À tel point que ceux-ci sont devenus la norme.

Pour vérifier chacune des assertions précédentes, nous disposons d’un outil incomparable, que bien des chercheurs nous envient. Cette source exhaustive, c’est le DVD de la revue, en texte intégral, reproduisant à l’identique toute la collection des livraisons de 1923 à l’an 2000, en mode image et en mode texte par conséquent. Un spécialiste de la mesure lexicale (lexicométrie), Étienne Brunet, l’a ainsi caractérisé : « de 1923 à 2000 il y a 860 numéros, compte tenu d’une suspension entre 1939 et 1945. Cela fait 13 mètres de rayons dans une bibliothèque, ou, si l’on compte en unités plus petites, 7 500 auteurs différents, 28 000 articles, 140 000 pages et 58 millions de mots. On se rapproche des sommets gigantesques de l’Encyclopaedia Universalis (6 025 auteurs, 30 000 articles, 52 millions de mots), et du Grand Larousse du XIXe siècle (90 millions de mots). »

Ainsi, l’amateur d’Apollinaire s’assure immédiatement que le nom du poète y apparait 3 224 fois, ce qui en fait l’un des plus fréquents dans l’ensemble indiqué, bien après Romain Rolland, cela va de soi, mais bien avant tous ses contemporains (il faudrait aussi tenir compte de la trentaine d’apparitions du dérivé apollinarien). C’est pourquoi le titre de cet article s’est imposé à moi, mathématiquement, si je puis dire. Apollinaire est un champion d’Europe par sa présence sous la plume des rédacteurs, par son aura chez les lecteurs, et peut-être, implicitement, parce qu’il n’a pas dédaigné, de son vivant, l’idée européenne, lui que la biographie montre européen avant tout, lui qui vécut « À travers l’Europe vêtue de feux multicolores ».

Surpris de l’étonnante réception critique du poète par la revue Europe, j’établirai la place qu’il occupe dans les 860 numéros considérés, j’analyserai ensuite les œuvres saillantes de son répertoire, pour, enfin, m’attarder sur l’image que les collaborateurs de la revue donnèrent de lui.

***

En quoi Apollinaire est-il le champion d’Europe ? Eh bien, tout simplement, parce qu’il est l’auteur le plus fréquemment nommé des membres de sa génération. J’appellerai génération d’Apollinaire, au sens que Thibaudet donnait à ce terme dans son Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours, tous les auteurs nés entre cinq ans avant, et jusqu’à cinq ans après lui. Voici, dans l’ordre des fréquences décroissantes, le relief que donne, aux dix premiers, le corpus considéré (c’est-à-dire toutes les livraisons de la revue de 1923 à 2000) : Apollinaire = 3 224 occ., Max Jacob = 2 524, Jules Romains = 1 464, Giraudoux = 1 368, Ramuz = 1 349, Raymond Roussel = 1 171, Victor Segalen = 842, François Mauriac = 823, Valery Larbaud = 817, Jules Supervielle = 724… Ce qui signifie, si l’on s’en tenait à ces seules fréquences, qu’il faudrait consacrer un numéro à Jules Romains, à Giraudoux et à Ramuz, après l’avoir fait pour Max Jacob et Apollinaire.

Quoi qu’on puisse penser des comptages, ce classement donne une image remarquable de la considération que la revue porte à certains écrivains de cette génération, tel Jacques Chardonne, tant prisé par un ancien Président de la République, ou bien le Paul Géraldy de Toi et moi (recueil qui figurait dans toutes les bibliothèques des familles) avec un score de 18 occurrences. Pour divers que soient ces contemporains, aucun n’est aussi considérable et considéré qu’Apollinaire, le fait est évident.

Le second, Max Jacob, que l’on peut tenir pour son frère d’armes, en dépit des variations de leur amitié, épouse une courbe de fréquence tout à fait parallèle à celle d’Apollinaire, à cette différence près que le dossier Jacob précède de neuf ans celui que la revue a consacré à Apollinaire, et qu’il est plus fortement question du premier en 1949, en raison des nombreux articles évoquant son destin tragique.

Mais, dira-t-on avec raison, de tels scores doivent toujours être relativisés. Ainsi, Romain Rolland, champion toutes catégories, apparait-il 6 671 fois, en incluant un numéro spécial (n° 109-110, 1955) consacré à ce père tutélaire. On notera avec curiosité la fréquence accordée à un Claudel, à qui fut dédié un dossier en 1982, soit 2 242 occ., Gide n’atteignant que 2 183 occ. et Péguy, 1 836, à peine plus que Jarry son « conscrit », né la même année que lui, soit 1 696 occ.

Plus jeunes que lui, ses voisins les plus proches ne lui font aucune ombre. Cendrars n’a que 1 975 occ. (tout en y incluant un dossier en 1976) ; Reverdy seulement 1 182 occ. en dépit d’un numéro double en 1994 ; sans parler du dévoué André Salmon (191 occ.), non plus que de Pierre Albert-Birot, injustement moqué par ses contemporains, les surréalistes.

On notera, au passage, que le fait de consacrer un numéro à un écrivain accroît systématiquement sa fréquence dans la revue d’un millier d’occurrences.

***

Ainsi, notre poète occupe bien la première place dans sa génération et même au-delà. La haute fréquence de son nom ne signifie pas qu’il apparaisse dans la revue d’une façon également répartie dans les 218 articles où il est nommé, de 1923 à l’an 2000. La statistique année par année (qu’un graphique traduirait plus éloquemment), montre des pics de fréquence en 1953, 1958, 1966, 1970, 1982, etc. Il va de soi que la haute fréquence de 1 100 occ. en 1966 correspond, comme indiqué précédemment, à la livraison entièrement consacrée au poète. Inversement, il y a des années totalement creuses, où il n’est jamais nommé (en 1928, 1929, 1930, 19332, 1934…). D’autres où il l’est à peine : 4 fois en 1949, 9 fois en 1965, l’année-même qui précède le numéro dédié à son œuvre !

Pour résumer cette prise de vue chronologique, disons qu’il est nommé 62 fois dans la période d’avant-guerre (1923-1939), dont 29 fois en 1924, essentiellement dans la chronique que René Lalou lui consacre, pour le cinquième anniversaire de sa mort. Chronique mitigée, sans réserve pour le poète d’Alcools, très critique envers le théoricien de « l’Esprit Nouveau » !

Il est nommé 1 748 fois dans la période 1946-1968, majoritairement dans le n° 451-52 de 1966, déjà signalé, auquel je consacrerai un examen particulier ci-après.

À la reprise de la revue, après de si dures épreuves nationales, nul ne s’étonnera de voir Aragon parler d’Apollinaire conjointement avec Max Jacob au sujet du poème en prose dans ses « Chroniques du Bel-Canto » (avril 1946, p. 106) et Claude Roy dresser en 1948 un panorama des livres récemment parus d’André Rouveyre, Louise Faure-Favier, André Billy, Aegerter et Labracherie, à la recherche d’un « lyrisme du discontinu » parfois capté par Apollinaire.

Poursuivant ce décompte, je relève qu’entre 1969 et 1984, il y a 1 031 occ. de ce nom choisi, dont 278 en 1970 et 222 en 1982, surtout dans le numéro de juin-juillet, tranchant de « Cubisme et littérature ».

À noter un net recul pour la dernière période : de 1985 à 2000 inclus, il n’y a que 383 occurrences du patronyme, dont 67 en 1993 et 57 en 1997, ce qui est tout de même six fois plus que durant l’avant-guerre !

Soit, dira-t-on, Apollinaire est fort souvent nommé dans votre revue. Mais cette haute fréquence ne dit pas si c’est en bien ou en mal, pour le louer ou pour en médire !

Je regrette de ne pouvoir reproduire ici, comme on fait dans les études bibliques, un tableau de la totalité des « concordances » (index alphabétique, ligne par ligne, des 3 224 apparitions du patronyme Apollinaire, avec sa localisation dans la collection complète de la revue) afin d’en dégager, d’un seul coup d’œil, la valeur (positive ou négative) et l’usage. Malgré la gageure, je me hasarderai toutefois à montrer, à titre d’exemple, ce qu’on pourrait lire pour la première période (1923-1939), avec un tri à la gauche du mot vedette :

2910329e| s de Strawinsky , de Picasso , d’ Apollinaire ? Plutôt faubourg Saint –

3523999d| in des coups d’ oeil complices d’ Apollinaire , de ses sous – entendus ,

3523997b| nous nous arrêtions aux images d’ Apollinaire : Ta langue poisson roug

3523996h| emblait très fort à ces images d’ Apollinaire à la boue près , à la merd

3827779i| jours été . Les grandes ombres d’ Apollinaire et de Reverdy y planent pa

3727080a| souvent les poèmes de Fagus ou d’ Apollinaire : c’ est une mélodie d’ un

3727046b| ses communicants , à la poésie d’ Apollinaire et de Fargues . Mais depui

3930025a| Manuel poétique d’ Apollinaire , par Jeanine MOULIN ( Les

3829048e| ne note curieuse sur le Séjour d’ Apollinaire en Rhénanie , par E . – M

2910616e| piration font de lui une sorte d’ Apollinaire italien . En dehors de ses

3930350e| ci : notez au passage des vers d’ Apollinaire de Montherlant , de Reverd

3523996i| ne . Et j’ ai pourtant à dire qu’ Apollinaire mentait , parce que dans l

3115404f| isation , quand ils demandèrent à Apollinaire clé graver à la Sorbonne L

3828781i| t avec ceux gui , de Dioseoride à Apollinaire , ont fait servir la litté

242286a| s la dédicace de l’ Hérésiarque , Apollinaire donnait ses contes pour «

264720j| oux , Morand , Larbaud , Proust , Apollinaire … Bref , ni chronologie ré

241885c| ition , vrai Baedeker universel , Apollinaire était un esprit essentiell

277679g| vention du ressort et du détail . Apollinaire a accroché là , à de modes

242284d| une époque féconde en doutes . Apollinaire nous propose une oeuvre ,

241885b| un véritable « esprit nouveau » ? Apollinaire , qui a tant chéri la myst

241885i| autre , c’ est en grande partie à Apollinaire qu’ on le doit . A lui , e

242285f| nébuleuses … Or c’ est un autre Apollinaire qu’ on nous somme d’ admir

242284g| t richesse profonde . Il y a chez Apollinaire une incontestable virtuosi

241885e| térature européenne . J’ ai connu Apollinaire à ses débuts . C’ était al

242284c| e la piété qui pousse les amis d’ Apollinaire à lui apporter leur témoig

265730b| lant , baptisé du nom chrétien d’ Apollinaire , ceci , votre portrait en

231502a| CHRONIQUES 497 au « côté d’ Apollinaire » ; des survivants de l’ è

242286h| prit nouveau » ! Tout le drame d’ Apollinaire est là . Le poème final de

242285h| qui vient , dans l’ esthétique d’ Apollinaire , d’ un Picasso et d’ un B

242284d| alaisée . L’ origine étrangère d’ Apollinaire entre ici en ligne de comp

299987d| mour de Picasso , l’ imitation d’ Apollinaire doivent empêcher M . Cocte

242284b| Duhamel définissait l’ oeuvre d’ Apollinaire « une boutique de brocante

242287a| , qu’ elle recouvre les singes d’ Apollinaire ! A lui , nous devons – mi

253301j| dont , depuis . Mallarmé , depuis Apollinaire , il court , chez les poèt

242285b| e des poèmes – conversations dont Apollinaire fut l’ inventeur . Et nous

242284a| es paroles graves : ils ont égalé Apollinaire à Rimbaud . Cependant pers

242284a| GUILLAUME APOLLINAIRE Le cinquième anniversaire

241885b| et , faire un maître de Guillaume Apollinaire ? Et n’ a – t – on pas été

242284a| iversaire de la mort de Guillaume Apollinaire a provoqué des manifestati

299969j| de Maurice Scève ou de Guillaume Apollinaire au moment – du pourboire .

242286e| ent un infranchissable intervalle Apollinaire rêva d’ être un enchanteur

242286f| e bel Amicitioe sacrum qu’ est l’ Apollinaire Vivant d’ André Billy , il

242531c| ines publiées dans le Mercure par Apollinaire . Il ne faudrait pas , e

242285j| stériles imitateurs . Reste pour Apollinaire – l’ honneur d’ avoir invo

242285i| nomme le cubisme littéraire , si Apollinaire en fut l’ instigateur , el

242285e| abilement Villon et Verlaine . Si Apollinaire tenait tout entier dans le

242285h| nie de cet étonnant jongleur ; si Apollinaire avait vraiment le sens de

242285c| oque qui obscurcit tout débat sur Apollinaire . Ses dévots en sont respo

3320214a| ARTS ) . Vers 1910 , Guillaume Apollinaire et quelques poètes découvr

3829056c| gate l’ image fidèle de Guillaume Apollinaire , « la cétoine au coeur de

3727077d| est dans les poèmes de Guillaume Apollinaire que les échos des ancienne

3523996a| t au destin surprenant Guillaume Apollinaire était , au temps où j’ ava

3930190d| hique du pont Mirabeau dont parle Apollinaire , l’ héliotrope d’ Arthur

3726774a| Après avoir publié sur Apollinaire , Max Jacob , Mallarmé , d

3523998b| e officiel qu’ ambitionnait jadis Apollinaire , Marinetti déclare dans L

3523996e| TT RATURE 475 fruit défendu . Et Apollinaire nous apparaissait , derriè

2910364a| es vers oscillent entre Moréas et Apollinaire , préconise dans son roman

3930163d| époque de Braque et de Picasso et Apollinaire va mourir . Il y a Max Jac

3523996f| a guerre est jolie Mais pourtant Apollinaire pratiquait avec une habile

2910527g| t – on pas une métaphysique chez Apollinaire qui n’ en parle pas ? Et ,

À noter que, sur la machine, un simple clic me renvoie au contexte intégral, ce qui me permet de constater que le « nom chrétien d’Apollinaire » fait partie d’un récit d’Isaac Babel, et ne nous concerne pas ici (il y a 9 occ. du prénom Sidoine, et le fait qu’il soit compté dans la fréquence totale n’a guère d’incidence sur un grand ensemble de 3224 occ.). Un examen superficiel du tableau montre que le poète est, d’emblée, désigné par son patronyme seul, sans prénom, signe incontestable de notoriété. Poussant plus loin, on relèvera les noms les plus proches d’Apollinaire, et les termes qui l’accompagnent le plus fréquemment : images, esthétique, poétique… La vertu de tels outils n’est, heureusement, plus à démontrer (encore que peu nombreux soient ceux qui s’en servent). Dans le souci de situer Apollinaire parmi les préoccupations des collaborateurs de la revue Europe, je m’attarderai plus précisément sur les diverses catégories de textes le nommant.

***

La première, la plus évidente, est celle des documents qui portent la signature du défunt. Elle se trouve dans trois fac-similés autographes, insérés dans le numéro spécial de 1966, puis au bas du manifeste L’Antitradition futuriste, imprimé reproduit selon la même technique en mars 1975. Dans tous les cas, ce sont des documents rares, des manuscrits de poèmes (« Apothéose », fragment – Coll. Chobot ; « Exercice » – à G. Turpin. Coll. Adéma), ou une lettre (Carte-lettre de mars 1916, Coll. Madeleine Pagès) confiés par Jacqueline Apollinaire, André Salmon, Pierre-Albert Birot, et surtout son biographe-collectionneur, Pierre-Marcel Adéma, qui avait largement ouvert ses archives. Sous une couverture reproduisant une aquarelle de Max Jacob, l’illustration de ce n° 451-52 est d’autant plus remarquable qu’avant les années 2000 la revue ne comportait guère d’illustrations. C’est dire le prix qu’on attachait à l’écriture même du poète, sans parler de la qualité des documents inédits, montrés au lecteur pour la première fois.

Viennent ensuite les études et les articles, de ce premier dossier consacré à l’Enchanteur lui-même, qui fit réellement date : il coïncidait avec le programme des agrégations de Lettres, et beaucoup s’en souviennent encore.

La structure des numéros spéciaux de la revue imposait, à l’époque, une présentation par son responsable éditorial, une situation de l’écrivain dans son époque et une chronologie. Cette livraison ne déroge pas à la règle, avec une introduction de Pierre Gamarra qui, de retour de Géorgie, dresse, sous le titre « De faïence et d’escarboucle », un curieux parallèle entre Apollinaire et le huitième centenaire du poète national Roustaveli, auteur d’un poème de 7 000 vers, Le Chevalier à la peau de tigre, dont le peuple est capable de réciter spontanément de longues laisses (Gamarra m’a lui-même récité, sinon la totalité de La Légende des siècles, du moins Le Petit roi de Galice de Victor Hugo, en y mettant le ton et la respiration ; il eût été capable de faire de même pour ce chevalier-là, si on lui en avait donné le temps). Ce qui le conduit à réfléchir sur la notion de popularité, qui caractérise désormais Apollinaire, et sur le mélange de classicisme et d’anticipation, formule même de la modernité. La « Couleur du temps », brossée à grands traits par Maurice Bouvier-Ajame, ne manque pas d’être utile à ceux qui ne croient pas que la poésie sort tout habillée du cerveau de l’artiste. Enfin la chronologie, établie par Michel Décaudin, remet les pendules à l’heure, sur bien des points controversés.

Dans le cadre de ce dénombrement, il serait impertinent d’examiner chaque contribution par le détail. Qu’on me permette de reproduire le sommaire, tel qu’il se présente au lecteur :

Jacques Gaucheron, Etoile Apollinaire, 31

Michel Décaudin, Un chapitre impossible, 36

Jean-Claude Chevalier, Apollinaire et le calembour, 56

P.M. Adéma, “Le Festin d’Esope”, 78

Franz Hellens, Apollinaire avec le recul, 86

Claudine Chonez, Apollinaire parmi nous, 97

Simone Delesalle, Le langage d’Apollinaire, 105

Roger Chateauneu, Inventer l’alphabet du phénix, 112

Pierre Lagrue, Guillaume et Blaise, 118

Hélène Henry, Guillaume et Max, 124

Roger Navarri, Poète du déracinement, 132

Henri Meschonnic, Illuminé au milieu d’ombres, 141

Françoise Han, Images du futur, 169

Noémie Blumenkranz Onimus, Vers une esthétique de ” La Raison ardente “, 173

Georges Dupeyron, Espace et temps, 193

Bernadette Morand, L’absence et la guerre, 202

Lionel Follet, L’amour malheureux, dans “Les Sept Épées”, 206

Frédéric Robert, Apollinaire et ses musiciens, 239

Durey Louis, “Belle clarté, chère raison”, 248

Jean-Claude Chevalier, Apollinaire et la critique, 251

Marie-Louise Coudert, Apollinaire 66, 257

Albert Fournier, Des pied-à-terre au pigeonnier, 295

Il est difficile d’y déceler un principe d’organisation, tant les articles thématiques se mêlent aux études historiques et aux approches plus techniques, sinon le fait que la place d’honneur revient à un poète familier de la revue, lequel, par une image forestière, indique à la fois la place incontestable qu’occupe Apollinaire dans les lettres contemporaines, mais exprime aussi ses propres réticences (comme n’y manquèrent pas certains disciples immédiats d’Apollinaire), à l’égard de sa conception de la modernité, de l’ordre et de l’aventure. C’est, toute proportion gardée, ce qu’exprime, quelques pages plus loin, un autre poète, Franz Hellens, « avec le recul », comme il dit. Nul doute que le jugement de Georges Duhamel, comparant la poésie d’Apollinaire à une boutique de brocanteur, pèse encore sur plusieurs esprits, qui s’efforcent alors de le contredire, ainsi Lionel Follet qui tente avec conviction d’éclairer l’intermède insolite des « Sept Épées ».

Ainsi, les études d’histoire littéraire, au sens large du terme, ne manquent pas de signaler les points obscurs de son œuvre-vie (Décaudin), marquent les rapports conflictuels du poète avec ses complices Max et Blaise, montrent son rôle comme animateur de revues, analysent avec finesse les matériaux qui étaient donnés à lire à l’époque, tel le recueil des lettres à Madeleine Pagès, Tendre comme le souvenir (Bernadette Morand). Albert Fournier poursuit une entreprise savoureuse qui consiste à situer les écrivains dans leurs demeures et à faire entrer, en quelque sorte, la littérature par la promenade, qu’elle soit réelle ou imaginaire.

Mais ce qui, à mes yeux, fit date, et qu’on ne retrouvera plus guère dans la revue, ce fut la publication d’un travail d’équipe : celui que menaient Jean-Claude Chevalier, Simone Delesalle, Henri Meschonnic et leurs collègues à la faculté des Lettres de Lille. Car tel était leur lieu d’exercice. Je puis témoigner de leur réflexion collective, de leur souci d’employer un vocabulaire scientifiquement justifié, moi qui les ai souvent vus travailler dans la Flèche du Nord. Je ne devais pas tarder à descendre, eux à poursuivre leurs débats jusqu’à Lille. Le résultat revêt la forme d’articles autonomes mais interdépendants. C’était l’époque où la linguistique tendait à occuper tout le terrain des études littéraires. Elle s’avance ici à découvert, avec un sourire bienveillant, voire séducteur. Simone Delesalle en explorant tous les pouvoirs de la métaphore, Jean-Claude Chevalier en exposant une théorie, dont l’urgence se faisait sentir, du calembour créateur. Quant à Meschonnic, il lui revenait de tout dire, en raison d’une méthode qu’à l’époque j’aurais qualifiée de structuro-globale, ce qu’il m’aurait aussitôt refusé, afin d’y opposer sa conception du rythme comme totalité.

Un troisième groupe de contributions donnait sa couleur spéciale à la revue Europe, que l’on n’imagine pas renfermée sur son territoire. Apollinaire était ainsi vu de Prague, ou de Géorgie. Hubert Juin y relevait les traces de sa Wallonie natale, N.I. Balachov donnait une leçon sur les cosaques Zaporogues, enfin Michèle Loi y nommait la génération des jeunes poètes chinois tournés vers l’occident, et se référant explicitement à Apollinaire, au moment même où ladite « révolution culturelle » s’en prenait aux suppôts de l’étranger1.

***

La qualité exceptionnelle d’une telle livraison ne saurait faire oublier les cent-quatre-vingt autres articles mentionnant le poète d’Alcools durant toute la période considérée. Pour aller à l’essentiel, je ne mentionnerai que les textes le désignant par leur titre. Le DVD nous le permettant, nous mettrons de côté les notes de lecture pour analyser les articles de fond.

Signe indubitable de notoriété, trois poètes, appartenant à des générations différentes, lui consacrent chacun un poème. Ce sont, tour à tour, Anatol Stern2, ex-avant-gardiste polonais, qui prétendait avoir découvert la filiation napoléonienne du poète, évoquant en 17 chants la trajectoire du bon Guillaume, à la manière de « Zone » ; puis Walter Lowenfels3, poète américain, dont l’élégie (en anglais) avait été d’abord publiée en 1930 par Nancy Cunard chez Hours Press, sa petite maison rurale d’édition, traduite par Charles Dobzynski, lui-même poète fort attaché à la revue et partisan de l’adage baudelairien selon lequel le meilleur commentaire d’un texte est encore un poème.

Proches de ces hommages poétiques, viennent les évocations de son milieu, de sa vie quotidienne, avec le témoignage d’Henri Hertz4, récemment disparu, rappelant sa capacité à prendre le ton des gens rencontrés, son intérêt pour les Juifs, sa fantaisie comme journaliste, les aventures du Festin d’Ésope. Il concluait par son indéfectible foi en l’avenir. Piéton de Paris à sa manière, Albert Fournier5 rendait compte, au lendemain de sa mort (le 21 août 1967) d’une visite à Jacqueline Apollinaire, en décrivant ce qu’il nommait le musée Apollinaire, tout en répétant les assurances données par son neveu sur l’accès à la collection. Auparavant, un certain Laurent6 (qui ne donne que l’initiale de son prénom) rapportait sa participation à la réunion internationale de Stavelot, sa visite des lieux historiques où le jeune Apollinaire et son frère avaient vécu, sous la houlette de Pierre Adéma, et recensait la plupart des poèmes nés en cette Ardenne féconde.

Parmi les articles de fond, dirons-nous, apparaît d’abord, en prolongement de son important essai intitulé Plaisir poétique, plaisir musculaire, un curieux document convoqué par André Spire7. Il s’agit d’un texte fort circonstancié de George Sand protestant contre l’usage de la majuscule au début de chaque vers. Pour Spire, la disparition de ces majuscules est bien plus importante que celle de la ponctuation, initiée par Apollinaire sur les épreuves d’Alcools (récemment publiées par Tristan Tzara en 1953). Dix ans après, dans le volume consacré à l’année 1914, Roland Pierre8 commente la formidable création poétique d’Apollinaire pendant la guerre, et, bien évidemment, son exclamation « Ah Dieu ! que la guerre est jolie ». C’est qu’il pense à l’avenir, aux nouveaux domaines à explorer. Calligrammes désespère A. Breton, tandis qu’Aragon ne voulait y voir que l’ironie et la provocation indirecte. Et Couleur du temps, représentée après son décès, dit tout l’espoir qu’il place dans l’amour. C’est aussi à l’occasion d’un dossier consacré cette fois à Picasso que Michel Pierssens9 avance une opinion tranchée sur Apollinaire critique d’art. Il rappelle leur rencontre au Bateau Lavoir, renvoie une idée reçue selon laquelle Apollinaire aurait expliqué le cubisme. Poète, celui-ci donne une critique impressionniste, et il évolue vers le cubisme. Son commentaire, de plus en plus lyrique, n’explique pas mais accompagne l’élan créateur du peintre. Dans la dernière période analysée, l’érudition s’affiche en tant que telle. Quatre articles viennent ainsi éclairer le lecteur d’Europe. Le premier, d’un hispanisant, examine « Les Sources espagnoles d’Apollinaire dans Les Trois Don Juan »10, et montre chez Apollinaire une connaissance très fine de l’espagnol. Le second, dans l’ordre chronologique, met un point final à l’interrogation sur « L’Écriture cubiste d’Apollinaire »11. Le numéro entier étant consacré au cubisme littéraire, l’auteure recherche les affinités entre peinture cubiste et poésie d’avant-garde à travers les ouvrages qui se trouvaient dans sa bibliothèque. Elle fait ressortir la notion de « nécessité intérieure », employée par Kandinsky dans Du spirituel dans l’art, qui aura une belle fortune par la suite, chez Breton notamment. Mais surtout elle met en valeur l’influence d’un ouvrage de Gaston de Pawlowski, le Voyage au pays de la 4e dimension, qui ouvre sur une mise en cause de l’ordre de la lecture, favorisant l’apparition des Calligrammes. La même livraison nous donne un exemple de « Lecture du cubisme par deux poètes : Apollinaire et Reverdy »12. Les poètes ont su dire la théorie du cubisme mieux que les peintres et théoriciens. D’où une application en deux volets, opposant Apollinaire à Reverdy. Apollinaire met en évidence le « réel comme représentation » et le « travail-matière ». Enfin, dans le numéro consacré à Fernand Léger, Michel Décaudin insiste sur l’importance du second titre dans l’essai d’Apollinaire, Méditations esthétiques, où le poète distingue les peintres nouveaux, sous la bannière du cubisme13.

Chacun sait que la période considérée fut riche en republications des œuvres d’Apollinaire, et en publications d’inédits, ce dont les lecteurs sont le plus avides, notamment au sujet de ses lettres intimes, de ses carnets, et des œuvres dites licencieuses, qui lui permettaient de vivre honnêtement. Ce qui a donné lieu à une dizaine de recensions, dénommées notes de lecture dans la revue (ndl dans le DVD). On en relève dix entre 1948 et 2000, traitant de la publication d’œuvres d’Apollinaire lui-même.

La première est une brève notule, signée de Jacques Gaucheron, nouveau venu dans l’équipe d’Europe, dans les fourgons d’Aragon14. Il se réjouit d’une publication attendue depuis vingt ans, celle d’Ombre de mon amour (chez Pierre Cailler, Genève, 1948). Après tant d’exégèses savantes, il y trouve un bain de fraîcheur, ce qui ne résout d’ailleurs pas le mystère qui émane du poète, qu’il convient d’aimer en bloc, sous toutes ses formes, et surtout sans aucune censure. Il y a là un ensemble de matériaux qui invite à la poursuite des recherches, conclut-il.

La seconde, sous la plume d’Alain Guérin, salue la publication intégrale de Que faire ?, « excellent feuilleton » dit-il, d’autant plus qu’il est préfacé par Jean Marcenac, l’un des piliers de la revue d’après-guerre15. Couleur du temps : il considère que la poésie, ce qu’on nomme justement l’Esprit Nouveau, place désormais son espoir dans la science, et cite le fameux Lysenko, tant apprécié par Aragon pour ses théories génétiques, ce qui fit plonger Europe dans le stalinisme pour dix années, et lui colla une fâcheuse réputation ! Heureusement, Apollinaire ne devait pas faire les frais d’un tel sectarisme, comme le prouve le numéro spécial qui lui fut consacré en 1966, illustrant, par là-même, le nouveau cours d’Europe.

Auparavant, Marc Le Bot commente les Chroniques d’art publiées par L.-C. Breunig, souligne leur immense intérêt pour la connaissance du goût et de la société du temps, appelle à retoucher l’image du poète, son éclectisme, son rôle dans le développement de l’art contemporain, comment il se fait l’écho de ses amis16.

C’est à nouveau Jacques Gaucheron qui, dans la lignée de ce numéro, rend compte des Lettres à Lou, éditées et annotées par Michel Décaudin, qu’il salue en retraçant la genèse du volume résultant de « l’étrange intermède », pour reprendre l’expression du préfacier17. À ses yeux, poèmes et lettres sont inséparables, et la poésie s’éclaire de l’expérience sensuelle, laquelle réinvente l’amour, dans une âme et dans un corps. Comme on le voit, l’analyse est loin du vocabulaire marxiste. Gaucheron distingue deux versants dans cette correspondance : le premier, du 28 septembre 1914 jusqu’en mars 1915, c’est-à-dire jusqu’au moment où Apollinaire est au front. Le second où Lou devient invisible, où le poète projette un livre qu’il intitulerait « Correspondance avec l’ombre de mon amour ». Comme rien n’est simple, passe alors l’ombre mentale de Madeleine, qu’il rêve de former à sa main. Le commentateur souligne, pour finir, la révision des valeurs poétiques à laquelle l’ouvrage nous soumet.

Par la suite, les notes de lecture rendront compte de la correspondance d’Apollinaire. Une notule de Max Allau sur les lettres du poète à sa mère et à son frère relève le caractère bien connu de la mère, exigeante et toujours inquiète, en insistant sur la personnalité d’Albert, frère admiratif et généreux18. La note des Virmaux sur la correspondance du poète avec Picasso19 mentionne la curiosité croissante du public pour ce genre d’écrits intime, espérant percer un secret, et par conséquent toujours déçu. Ici, l’apport est incontestable, par les dessins dont Picasso parsème ses messages, par les poèmes qui viennent étayer ceux d’Apollinaire. Surtout, c’est la nature exigeante de cette amitié qui s’exprime, heureusement éclairée par les notes minutieuses de Pierre Caizergues, à l’évocation de toute une génération. Dans la même veine, la Correspondance Cocteau-Apollinaire, présentée par les mêmes érudits, est élogieusement signalée par Jean Pandolfi20. Il y voit revivre tout un pan de la vie artistique et littéraire de Noël 1916 au 5 novembre 1918.

Dans le même numéro, Jean-Paul Corsetti rend compte du Journal intime d’Apollinaire, publié par Michel Décaudin21. Brièvement, il en dit combien il reflétait les diverses facettes du poète, sa curiosité, son goût de l’étrange et du singulier. Il concluait : « Un livre singulier et divertissant et un fort bel objet bibliophilique. »

Il faut dire ici combien la recension d’une publication dans Europe est aléatoire, dépendant parfois d’un service de presse qui mésestime la revue, ou, inversement, d’une équipe fluctuante de recenseurs, ce qui, dans tous les cas, aboutit à des incohérences. Ainsi, on aurait pu penser que la nouvelle publication des Œuvres complètes dans la bibliothèque de la Pléiade devait susciter la publication d’un compte rendu à la parution de chacun des volumes. Ce ne fut pas le cas, ce qui ne signifie pas, au contraire, que l’auteur d’Alcools ait été méprisé. C’est donc le deuxième tome des Œuvres en prose qui suscite la réflexion de Max Alhau22. Il souligne le vœu d’unité chez le critique d’art Apollinaire, dont les Méditations esthétiques se concentrent sur cette formule : « J’aime l’art d’aujourd’hui parce que j’aime avant tout la lumière et tous les hommes aiment avant tout la lumière, ils ont inventé le feu. » Quant à la critique littéraire, Alhau en montre la triste évolution vers un certain patriotisme. Et de conclure sur la remarquable érudition des présentateurs, Décaudin et Caizergues. C’est le même Max Alhau qui, l’année suivante, rend compte du tome III des œuvres en prose23. Celui qui comblera le plus la curiosité du lecteur, tant avec les écrits anecdotiques que les érotiques (Les Diables amoureux), voire pornographiques (Les Exploits d’un jeune don Juan), de telle sorte que « la surprise du lecteur n’est jamais déçue ».

L’apollinarien exigeant voudrait sans doute qu’Europe signale ou rende compte, dans ses Notes de lecture, de tous les textes du poète, ou des ouvrages à lui consacrés. Il conviendra avec moi que dix signalements durant la période considérée, c’est loin d’être négligeable. D’autant plus qu’il faudrait y inclure deux notes sur des monographies. La première, en mars 1946, signale avec sympathie le petit livre d’André Rouveyre sur son ami, publié chez Gallimard24. Il n’en va pas de même avec la seconde, rendant compte de l’essai de Robert Couffignal dans la collection « Les Écrivains devant Dieu »25, que Jacques Gaucheron dénonce vigoureusement comme « un abominable petit livre », totalement faux, notamment dans son analyse de « Zone ».

***

L’image d’Apollinaire dans la revue Europe est loin d’être négligeable, tant quantitativement que qualitativement. Pour de multiples raisons, ne serait-ce que sa position au cœur des avant-gardes qui explosèrent après la Première Guerre mondiale, le poète d’Alcools et de Calligrammes devint, en quelque sorte, la pierre de touche de la poésie contemporaine, au-delà des articles qui lui furent explicitement consacrés. On se réfère constamment à lui, à propos de chaque écrivain de la génération qui lui succéda, tant pour dire la dette contractée à son égard, que la déférence dont elle témoigna. Ainsi dès la deuxième ligne de l’article que Georges Sadoul consacre à Paul Éluard (juil.-août 1953, p. 39) : il avait eu le défaut de mourir trop tôt… Il en est de même dans les dossiers consacrés à Tzara, à Breton, etc.

Certes, il n’apparait pas une « École Apollinaire », du moins pas dans cette revue. Encore que, par sa seule présence au Comité, Aragon ait pu en rappeler la figure tutélaire, nul n’a cherché à l’attirer vers soi. Au contraire, il semble que, pour échapper à cette tentation, les directeurs successifs aient délibérément donné la parole aux universitaires, aux chercheurs, aux meilleurs connaisseurs du poète, en évitant toute polémique, toute agressivité, et, inversement, toute sanctification.

À cet égard, il serait intéressant de connaître, de la même façon, et durant la même période, l’attitude du Mercure de France, qui publia le premier « La Chanson du Mal-Aimé », aussi bien que de La Nouvelle Revue Française. Reste que nul n’était mieux placé pour enchanter la revue Europe, que le poète qui, dans Calligrammes, annonçait les « Sons de cloches à travers l’Europe ».

Henri BÉHAR

1 En voici la référence : Brett Vladimir, « M. de Kostrowitzky à Prague », 273/ Juin Hubert, « Apollinaire et la Wallonie », 276/ Balachov N.I., « Apollinaire et les Zaporogues », 281/ Boitchidzé Gaston, « Apollinaire en Géorgie », 283/ Loi Michelle, « Apollinaire en Chine », 285

2 « La Maison d’Apollinaire », janv. 1970, p. 196.

3 « Apollinaire, une élégie », juin-juil. 1977, p. 143-148.

4 « Guillaume Apollinaire », janv. 1970, p. 132.

5 « Jacqueline Apollinaire », nov. 1967, p. 213

6 « Guillaume Apollinaire en Ardenne », nov. 1950, p. 111.

7 « George Sand précurseur d’Apollinaire », juin-juil. 1954, p. 22.

8 « Guillaume Apollinaire et l’avenir », mai-juin 1964, p. 155.

9 « Apollinaire, Picasso et la mort de la poésie », avril-mai 1970, p. 178.

10 Sanchis-Banus José, sept. 1976, p. 161.

11 Claude Debon, juin-juil. 1982, p. 118-126.

12 Denis Milhau, juin-juil. 1982, p. 44.

13 Michel Décaudin, « Léger, Apollinaire et les Futuristes », juin-juil. 1997, p. 97.

14 Jacques Gaucheron, « Apollinaire Guillaume, Ombre de mon amour, Genève, Pierre Cailler », 04/1948 p. 123.

15 Alain Guérin, « Guillaume Apolinaire : Que faire ? », 02/1951 p. 99.

16 « Guillaume Apollinaire critique d’art », fév.-mars 1962, p. 254.

17 Jacques Gaucheron’ « Apolinaire, Lettres à Lou », 06/1970 p. 268.

18 Max Alhau, « Apollinaire Guillaume : Correspondance avec son frère et sa mère », 06-07/1988 p. 220.

19 Alain et Odette Virmaux, « Picasso, Apollinaire : Correspondance », 06-07/1993 p. 217

20 Jean Pandolfi Ndl : Caizergues Pierre, Décaudin Michel : Correspondance Cocteau-Apollinaire, mars 1992, p. 215.

21 Jean-Paul Corsetti, « Apollinaire Guillaume : Journal intime », 03/1992 p. 214.

22 Max Alhau, « Apollinaire Guillaume : Œuvres complètes en prose, tome II (Pléiade, Gallimard) », 03/1992 p. 213.

23 Max Alhau, « Apollinaire : Œuvres complètes en prose, tome III (Pléiade, Gallimard) », 08-09/1993 p.  212.

24 Apollinaire. André Rouveyre 03/1946 p. 119.

25 Apollinaire. Robert Couffignal 12/1967 p. 310.

« Sur une page autographe de Jarry », Histoires littéraires, Hommage à Jean-Jacques Lefrère, juil.-sept. 2015, vol. XVI, n° 63, p. 4-9.

Henri Béhar, 2015, HL63, Sur une page autobiographique de Jarry, Hommage à Jean-Jacques Lefrère.

Numéro coordonné par Jean-Paul Goujon
Henri Béhar – Patrick Besnier – Chantal Bigot – Julien Bogousslavsky – Anne Borrel – Philippe Chauvelot – Alain Chevrier – Bertrand David – Sylvain-Christian David – Jean-Louis Debauve – Catherine Delons – Philippe Didion – Jacques Duprilot – René Fayt – Patrick Fréchet – Jean-Paul Goujon – Roger Grenier – Jean-Marc Hovasse – Maurice Imbert – Nelly Kaplan – Jean-Pierre Lassalle – Claude Makowski – Bertrand Marchal – Jean-Louis Meunier – Laure Murat – Steve Murphy – Eric Nicolas – Benoît Noël – Jean de Palacio – Marie-France de Palacio – Gilles Picq – Michel Pierssens – Olivier Roussel – Claude Schopp – William Théry – Daniel Zinszner

Illustration de couverture : Jean-Jacques Lefrère par Bertrand David

Sur une page autographe de Jarry

En m’annonçant la création d’Histoires littéraires, Jean-Jacques Lefrère me demanda de lui adresser quelque inédit surréaliste ou de même farine. Je n’en avais pas sous la main. Chaque fois que nous nous rencontrions, il renouvelait sa demande, toujours insatisfaite, hélas pour nous deux.

Pour me faire pardonner, s’il est encore possible, voici ce qu’à proprement parler on ne peut nommer un inédit, puisque le texte en a été imprimé de longue date, en 1902 exactement, mais le fac-similé d’une page manuscrite de premier jet de : Le Surmâle, roman moderne d’Alfred Jarry. L’existence de ce manuscrit avait été portée à la connaissance du public lors de l’Expojarrysition, à Paris, en mai-juin 1953. Il était ainsi décrit :

« Ce manuscrit relié, en parfait état de conservation, comprend 337 feuillets format 20 X 15. Signé. La numérotation des pages a été modifiée au moins deux fois par Jarry lui-même (chiffres au crayon bleu et rouge). Visiblement plusieurs feuillets ont été ajoutés après une première élaboration. Jarry prend soin de signaler à la page 163 (devenue 181) puis à la table des matières : « Il y a 324 pages de manuscrit (il y a 7 bis à partir de la page 161). » En réalité finalement, c’est bien 337 feuillets qu’on y trouve, se suivant dans l’ordre. Le texte est ainsi tout à fait complet. »

Suivait la mention « Coll. Bérès », ce qui signifie que ce manuscrit était alors la proprété du libraire-collectionneur-bibliophike Pierre Bérès.

Heureux les visiteurs de cette historique exposition, à la galerie Jean Loize à Paris, qui purent admirer ce manuscrit directement utilisé par l’imprimeur, comme l’attestent le nom de l’ouvrier chargé de la composition, à chaque changement de typographe, et des marques au crayon bleu et rouge d’imprimerie !

Frustrés les visiteurs de cette exposition historique, comme d’ailleurs de toute exposition livresque, puisqu’ils devaient se contenter de contempler une reliure placée sous verre ou, au mieux, une double page inamovible !

Frustrés les amateurs de Jarry, et surtout ses éditeurs successifs, qui espéraient tenir ce document entre leurs mains, sans y parvenir.

Pourtant, je ne crois pas que Pierre Bérès le leur eut refusé, s’ils avaient argumenté. Au vrai, il s’en défit le 25 mars 1991, lors d’une vente à Drouot, où la bibliothèque de Laval s’était portée acquéreur. C’est donc dès cette année-là que les amateurs auraient pu prendre connaissance du contenu, s’ilis s’étaient rendus dans la ville de naissance de Jarry. Un peu plus tard, ils n’avaient même plus besoin de se déplacer, puisque la totalité de ce document était numérisée et installée sur le serveur de la ville, lui-même accessible par le réseau1.

On connaît, en gros, le propos de ce roman. Après avoir prouvé dans Messaline, par des références historiques incontestables, que le désir humain ne fait que croitre à chaque fois que l’on pratique l’acte sexuel, ne pouvant s’éteindre que par la mort du sujet, Jarry veut opérer la même démonstration, située dans le futur, à propos d’un homme. Comme son qualificatif le laisse entendre, le Surmâle est capable de dépasser « l’Indien tant célébré par Théophraste », dont nous entretient Rabelais, et qui le faisait 70 fois en 24 heures.

Magnanime, j’ai choisi de reproduire le folio 276 de cet ensemble qui en comporte 337. Il fait partie du chapitre XII, intitulé « O beau rossignolet ». C’est le moment où les sept femmes, mobilisées pour l’expérience, et enfermées par l’héroïne qui s’est substituée à elles, ont enfin pu se libérer. Persuadées que rien ne s’est passé entre les deux amants avant leur propre irruption, elles assistent, en guise de mise en bouche (si je puis dire), à une scène de fellation.

Voici donc la page manuscrite, suivie de sa transcription diplomatique, telle du moins que nous l’autorisent nos actuels traitements de texte :

216

Comme une m Majesté ouvrirait
avec orgueil l’écrin unique des
diamants royaux, elle elle repoussa
de l’Indien détacha les bras de
puis hors du lit à genoux
devant l’homme elle ravala un orgueil
de souverains

les bras
l’Indien, qui, l’enlaçant, cachaient
demi corps
un peu de ses épaules.
Puis hors du lit à genoux 
devant l’homme elle ravala son orgueil
et noblement Puis elle fit le geste
qui n’est permis qu’aux souveraines,
elle se mit à genoux devant
l’homme.

Il n’y a que les filles, nées
servantes, qui se croient obligées
de racheter leurs services par
un supplément de tarif.
Ellen caressait Marcueil avec
qui mordait,
emportement. Sa bouche, en voulait
ne
à l’homme de n’être pas encore


Quels sont les enseignements d’un tel document ?

D’abord, et ce n’est pas inutile quand on connait les ragots qui ont couru sur les rapports de Jarry avec Rachilde, l’auteure de Monsieur Vénus (1884), celle-là même qui le qualifiera de Surmâle de lettres (1928). Ne disait-on pas qu’outre ce petit service qu’elle lui rendait à la demande, elle se substituait à lui pour rédiger des passages entiers de ses romans, afin de lui montrer comment « écrire comme tout le monde » ? Or, il n’y a pas de doute sur l’authenticité de la graphie, du moins pour ceux qui ont lu des centaines de pages manuscrites de l’auteur ou ses papiers officiels.

Ensuite, mais ce n’est pas nécessairement dans l’ordre chronologique, on voit Jarry à l’œuvre, comme si l’on assistait à une cinétique de l’écriture. Tel mot, telle proposition, à peine posés, sont effacés, pour être recopiés à l’identique quelques lignes plus loin, et cela non pas lors d’une relecture, mais bien dans le mouvement même de la rédaction.

Contrairement à ce que l’on imagine en lisant un passage scabreux, les biffures ne dissimulent aucune énormité, aucun terme que la morale réprouve et que l’auteur serait tenu de supprimer en vue de la publication.

En conclusion, cette page donne une représentation visuelle de Jarry au travail, de son contrôle du texte, de sa rapidité d’écriture.

Dès lors que la totalité du manuscrit est disponible sur Internet, qu’il est possible à tout un chacun de le comparer au texte imprimé, convient-il encore de le publier en fac-similé intégral, comme cela a pu se faire, avec des moyens classiques, pour d’autres œuvres2 ?

C’est évidemment indispensable pour l’amateur, et même l’érudit, qui se réjouira de pouvoir tenir en mains un document semblable au manuscrit de travail original, avec ses dimensions vraies, sa texture, ses taches et ses ratures, et, en supplément au programme, ss transcription littérale.

Hélas ! ce l’est moins pour le grand public, qui n’est pas habitué à manipuler de tels documents. Non qu’il faille créer une hiérarchie des manuscrits, en fonction de la qualité du texte final, de sa réputation, de son classement dans l’opinion publique, ou même de la difficulté relative que présente chaque manuscrit autographe, mais, plus simplement, parce que l’étude d’ensemble de celui-ci, qui se révèle fort intéressante pour l’attitude de Jarry au travail, ne laisse espérer aucune révélation, aucun repentir autre que ce qu’en avaient pu relever l’auteur du catalogue et, plus récemment, Henri Bordillon3 à propos du changement de papier, des deux écritures, de l’attention particulière portée au titre des chapitres, de la prolitérisation du nom de Marcueil.

En somme, le lectorat actuel s’en remet aux conclusions des savants, et ne demande pas à y aller voir par lui-même. Attitude regrettable, pourtant fort compréhensible. De même, il demande un robot de bonne qualité, sûr, obéissant aux injonctions humaines, et ne se soucie pas de se procurer les bleus des ingénieurs ou les rapports des différents essais pour savoir comment il a été conçu.

On s’en tiendra donc, aujourd’hui, à ce complexe : édition originale (ou reproduite à l’identique) +numérisation du manuscrit +édition critique contenant un examen des variantes.

De même que nos aînés, au XIXe siècle, ont mis des années à nous habituer au protocole d’édition qu’ils avaient fixé, il nous en faudra autant pour intégrer les moyens que nous donnent les progrès technologiques.

Voir le texte intégral des Gestes et opinions du Docteur Faustroll patapphysicien, établi et annoté par Alain Chevrier dans les Œuvres complètes d’Alfred Jarry, Classiques Garnier, tome III, p. 45-212.

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Jean-Jacques Lefrère, co-fondateur de la revues Histoires Littéraires , biographe de Lautréamont, Rimbaud, Laforgue, etc., est mort le 16 avril 2015.
La revue qu’il dirigeait de main de maître entend lui consacrer un numéro d’hommage.
En attendant sa parution prochaine, j’ai retrouvé cette recension de son Arthur Rimbaud, Fayard, 2001. Destiné à la revue Europe, qui me l’avait commandé, il ne parut point, pour d’obscures raisons tenant à la localisation de la maison Rimbaud à Aden. Et Jean-Jacques, qui l’avait lu, en fut attristé. Le voici tel qu’il fut composé, sans aucune modification, en personnel hommage à ce bouillant défenseur des Lettres.”

Jean-Jacques Lefrère, Arthur Rimbaud, Fayard, 2001, 1248 p. ; Rimbaud à Aden, photographies Jean-Hugues Barrou, textes Jean-Jacques Lefrère et Pierre Leroy, Fayard, 2001, 168 p.

Bien entendu, le lecteur commencera par feuilleter l’album photographique supposé montrer Rimbaud à Aden, tant est puissante l’attraction de la photographie. Les auteurs sont sûrs d’y reconnaître le poète parmi les hôtes d’Hassan Ali à Sheick-Othman. Est-ce Rimbaud ce jeune homme raide, au cuir tanné, au cheveu court, vêtements de coutil blanc, appuyé sur son fusil la crosse au pied ? Supposons-le et contemplons Aden du temps qu’il y était commerçant, grâce à cet ensemble de photos prises vers 1880, confrontées, à quelque distance, à la même vue prise aujourd’hui, en noir et blanc pour rester dans le ton. On n’y voit plus de chameaux, les constructions s’étendent anarchiquement, dominées par quelques minarets, la maison de César Tian (qui fut le premier commerçant français à s’implanter là en 1869) est à l’abandon, et celle de Bardey, qui employa Rimbaud, a disparu, remplacée par un immeuble anonyme, agrémenté de quelques climatiseurs disparates. Et l’ex Centre culturel français ouvert sur les lieux mêmes où Rimbaud demeura, est devenu le « Rambow Tourist Hotel ». Photos à l’appui, Lefrère établit qu’on s’est trompé de quelques dizaines de mètres en inaugurant avec de grands effets médiatiques cette éphémère Maison Arthur Rimbaud, pour le centenaire de sa mort, en 1991. Quoi qu’il en soit, la tristesse domine, et l’on comprend l’exclamation du jeune homme écrivant aux siens : « Il faut être bien forcé de travailler pour son pain, pour s’employer dans des enfers pareils ! ».

Mais ce jeune homme que je dis est-il le même que le poète ? Oui, affirme Lefrère sans hésiter dans le deuxième ouvrage qui se veut une biographie strictement factuelle, conduite dans l’ordre chronologique, avec le moins possible d’anticipations. C’en est fini du système d’oppositions duelles concer­nant Rimbaud : voyant ou voyou, poète maudit ou mystique à l’état sau­vage, esclavagiste ou saint martyr, système solaire ou trou noir. Comme le préconisait cet autre poète de la révolte, Tristan Tzara, pour le centenaire de sa naissance, c’est l’unité d’une vie que Lefrère considère, sans rien gom­mer des oppositions et des renoncements.

Un constat, tout d’abord : de son vivant, Rimbaud n’a pu­blié ou laissé publier que six écrits (« Les Étrennes des or­phelins » dans La Revue pour tous, janv. 1870 ; « Trois bai­sers », dans La Charge, août 1870 ; « Les Corbeaux », dans La Renaissance littéraire et artistique, sept. 1872 ; le recueil Une saison en enfer imprimé à ses frais en Belgique, octobre 1873 ; le rapport sur l’Ogadine, dans les Comptes rendus des séances de la Société de Géographie, février 1884, des notes sur une expédition au Choa dans Le Bosphore égyptien en août 1887). Par ailleurs, il a marqué de son dédain la publication de certaines Illuminations et de « Vers nouveaux » dans La Vogue en 1886, réunis en plaquette la même année par Verlaine. C’est dire d’emblée son ambivalence à l’égard de la chose littéraire : il veut être publié, que ce soit comme poète ou comme explo­rateur, puis se désintéresse de son œuvre, comme si, étant allé jusqu’au bout d’une expérience, il laissait à d’autres le soin d’en tirer la conclusion pour l’avenir.

Rimbaud n’a pratiquement pas connu son père, capitaine d’infanterie, ancien chef du bureau arabe de Sebdou (Algérie), qui abandon­nera le foyer conjugal vers 1860, à la naissance de son qua­trième enfant, Isabelle. Son absence semble avoir donné lieu à une idéalisation, de la part du fils, et à une identification partielle, au moins par la quête des pays désertiques et la connaissance des peuples orientaux. Sa mère, Vitalie Cuif, drapée dans une dignité bourgeoise, manifestera une très grande autorité sur ses enfants. Mais, contrairement à l’image simpliste répandue à son sujet, elle est toujours restée très proche d’Arthur, tolérant tous ses écarts, pour incompréhen­sibles qu’ils fussent à ses yeux.

Dès l’âge scolaire, Arthur se montre un écolier doué de grandes facilités. Comme tous ses semblables de même condition sociale au même âge (voir Flaubert ou Jarry) ses productions personnelles illustrent parfaitement la cul­ture potachique, compromis entre la culture classique des parents et de l’école, et la culture populaire des milieux fréquentés durant les vacances.

Rimbaud saute la classe de 5ème. Virtuose en vers latins, il adresse une lettre au Prince impérial à l’occasion de sa pre­mière communion ; il obtient le premier prix au concours aca­démique en 1869, et ses chefs d’œuvre sont régulièrement pu­bliés dans le Bulletin de l’Académie de Douai. Ses compositions scolaires montrent chez lui une très grande facilité mais aussi une certaine originalité, ses goûts, ses ambitions, ses désirs s’exprimant à travers le jeu convention­nel des vers.

En 1870, en classe de Rhétorique, la rencontre d’un jeune professeur suppléant de Lettres, Georges Izambard, l’amène à la littéra­ture la plus moderne et le conduit à vouloir acquérir une gloire littéraire. En se vieillissant un peu, il écrit à Théo­dore de Banville, le chef de file de l’École parnassienne, et lui envoie trois poèmes de facture parfaite, dont la teneur est faite pour convenir au Parnasse contemporain où il espère, vainement, être publié.

Première fugue : à seize ans, en pleine guerre franco-prussienne, Rim­baud se rend à Paris par le train. Sans billet, il est arrêté et jeté en prison à Mazas le 31 du mois d’août. Izambard le fait libérer et l’accueille à Douai. C’est là qu’il recopie pour un jeune poète local, Paul Demeny, ses premiers poèmes, en vue, là encore, d’une prompte publication. Une semaine après son retour au do­micile maternel, deuxième fugue : il reprend la route, à pied, jusqu’à Bruxelles. Revenu à Douai, il complète le cahier De­meny avec des sonnets réguliers composés en chemin : « La Ma­line », « Au Cabaret-vert », « Ma bohème », qui disent sur un ton familier « l’aise » de ce vagabondage automnal, la poésie de la marche, toujours plus avant, le cœur plein de cette nature qui le pénètre par tous les sens.

L’occupation prussienne est cause de vacances prolongées pour les écoliers. Rimbaud fait de longues promenades en forêt avec son ami Ernest Delahaye, auquel il aurait dessiné une société future : « Toute vallée sera comblée, toute colline abaissée, les chemins tortueux deviendront droits et les raboteux seront aplanis. On rasera les fortunes et l’on abattra les orgueils individuels. Un homme ne pourra plus dire “Je suis plus puis­sant, plus riche”. On remplacera l’envie amère et l’admiration stupide… par la paisible concorde, l’égalité, le travail de tous pour tous ». Puis, c’est sa troisième fugue, il séjourne à Paris, du 25 février au 10 mars 1871, dans des conditions misérables, se présentant à des journalistes. Il est de retour à Charleville avant la proclamation de la Com­mune de Paris, pour laquelle il prend aussitôt parti.

Rien ne dit qu’il soit retourné à Paris s’engager dans les corps-francs. Du moins, ses contempo­rains le croyaient-ils. Tout en citant l’abondante littérature relative à cette prétendue quatrième fugue, Jean-Jacques Lefrère en doute, dans la mesure où Rimbaud lui-même n’en a soufflé mot (p. 247).

En tout cas, il est à Charleville lors de la Semaine sanglante (21-28 mai). Outre un hypothétique projet de Constitution communiste, il y écrit coup sur coup, à Georges Izambard le 13 mai, à Paul Demeny le 15, les lettres désormais connues sous le nom de « lettres du Voyant », qui énoncent sa poétique nouvelle, accompagnées des poèmes « Le Cœur supplicié », « Chant de guerre parisien », « Mes petites amoureuses » et « Accroupissements », à titre d’illustration. Comme traversé par une soudaine illumination, Rimbaud s’exprime dans la hâte, de façon désordonnée, suivant les mouvements de son cœur et de son âme, pour dire la fonction du poète à venir, chargé, par élection, de cultiver ce don inné qu’est l’inspiration. La seconde de ces lettres précise : « La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connais­sance, entière […] Le Poète se fait voyant par un long, im­mense et raisonné dérèglement de tous les sens. » Il faut com­prendre que le poète se considère comme « le suprême Savant », celui qui explore méthodiquement l’inconnu, par des voies ir­rationnelles. Après avoir été moyen d’expression, la poésie est donc activité de l’esprit et ins­trument de connaissance, projection en avant, marche au pro­grès. Et Rimbaud annonce un langage universel, qui serait com­préhensible par tous : « Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfum, sons, couleurs, de la pensée accrochant de la pensée et tirant ». À la femme il prédit un rôle éminent, lorsqu’elle sera émancipée, et distingue quelques uns de ses prédécesseurs qui furent de vrais voyants : Baudelaire et Verlaine.

Il écrit à Demeny le 10 juin 1871, lui demandant de brûler tous les vers qu’il lui a confiés auparavant : « brûlez, je le veux, et je crois que vous respecterez ma volonté comme celle d’un mort… » Tel Max Brod, soumis à une pa­reille injonction de Kafka, celui-ci n’en a rien fait, et c’est grâce à lui que nous pouvons lire le premier Rimbaud.

Celui qui « travaille à se faire voyant » n’a pas renoncé à l’idée d’être un poète reconnu. Il adresse à Banville un nou­veau poème ironique où les lys sont des « clystères d’extases », : Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs, signé d’un pseu­donyme plaisant, et dès septembre, par l’intermédiaire de Charles Bretagne (p. 309), prend contact avec Verlaine à qui il adresse ses dernières productions. Enthousiaste, ce dernier lui répond : « Venez, chère grande âme, on vous ap­pelle, on vous attend », et propose de le loger chez lui. Rim­baud vient à Paris avec, en poche, divers poèmes qui vont as­surer sa réputation, notamment « Le Bateau ivre », et peut-être le sonnet « Voyelles » qui par sa perfection formelle et le mystère de ce qu’il désigne a suscité bien des interpréta­tions contradictoires. Lefrère les élude en énumérant les précurseurs de la vision colorée (p. 433).

Dès lors, Rimbaud est vite intégré au groupe des poètes nouveaux, baptisés les Vilains Bonshommes, devenus, pour la plupart d’entre eux, les Zutistes. Il les étonne par sa facilité, ses excès en tout. Ses contributions à l’Album Zu­tique, révélées depuis 1943, montrent sa virtuosité dans le parodique, les « vieux-Coppée », le graveleux et l’obscène. Citons quelques titres : « Conneries », « État de siège ? », « Les Remembrances du vieillard idiot », le « Sonnet du trou du cul » composé avec Verlaine, « Nos fesses ne sont pas les leurs… ». N’exagérons pas leur importance : ils confirment la précocité de Rimbaud et l’étendue de sa pa­lette mais ils n’étaient pas destinés à la publication, pas plus que les autres, constitués en recueil malgré lui. Plus certainement, c’est de son séjour au local des Zutistes que date son ascendant sur Verlaine et sa mauvaise réputation d’homosexuel. Les excès de Rimbaud et de Verlaine scandalisent leur fa­mille et leurs amis, même les poètes, d’autant plus que Verlaine est marié et qu’il vient d’avoir un enfant. Les deux amants connaîtront deux années de vie commune et d’errances, entrecoupées de séparations et de repentirs. Au chapitre intitulé « le repas des communards », Lefrère consacre un long développement au Coin de table, tableau de Fantin-Latour sur lequel ils figurent tous deux, immortalisant à la fois le peintre et ses modèles.

Au printemps de 1872, Rimbaud retourne à Charleville après un détour par Arras, sur lequel le biographe reste ignorant (p. 456). Il fréquente la bibliothèque municipale où il lit toutes sortes de livres : « J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs », écrira-t-il. Il compose des « Études néantes », qu’il recopie en mai, durant un nouveau séjour, relativement secret, à Paris. Lefrère nous apprend que Verlaine a logé son « giton des Ardennes » (p. 468, l’expression passe mal aux oreilles de certains rimbaldiens) rue Monsieur-le-Prince. Si on a pu recueillir l’ensemble que les éditeurs intitulent « Derniers vers » ou « Vers nouveaux », divers textes semblent à jamais disparus : son Cahier d’expressions dont parlait Richepin, des poèmes en prose, et La Chasse spirituelle objet d’une théâtrale mystification en 1949.

Le 7 juillet 1872, Rimbaud et Verlaine fuient en Belgique, où ils demeurent deux mois, puis « le drôle de ménage » séjourne à Londres, parmi les émigrés de la Com­mune, sur qui le biographe est intarissable.

Au printemps de l’année suivante, Rimbaud se replie dans la ferme familiale de Roche, rencontrant le dimanche Verlaine et Delahaye près de la frontière belge. Il compose encore des vers, et les pre­miers textes de ce qui deviendra Une saison en enfer qu’il nomme un « Livre païen » ou « Livre nègre ». C’est peut-être de cette époque aussi qu’il faut dater deux ébauches en prose : « Les Déserts de l’amour », relation onirique des expériences précédentes, et une suite évangélique, ou proses johanniques, réécrivant le Nouveau Testament, ou plutôt en comblant les silences.

Dès le 28 mai, les deux compères, passés par la Belgique, se retrouvent à Londres, où ils essaient de survivre en donnant des leçons de français. Après une violente querelle, Verlaine s’enfuit pour Bruxelles, puis il demande à Rimbaud de le rejoindre, annonçant à tous qu’il va se suicider. Le 10 juillet, il tire un coup de revol­ver sur son ami, le blessant à la main. L’affaire de Bruxelles, « est un des faits divers les plus fameux de l’histoire littéraire » (p. 595) dit Lefrère qui retourne aux archives policières pour la conter et l’interpréter par le menu : on lira l’effarant rapport d’experts sur l’examen corporel de Verlaine (p. 617). Celui-ci sera condamné à deux ans de prison, bien que Rimbaud ait retiré toute plainte. Le jeune homme revit son « pitoyable frère » à sa sortie de prison, et l’aurait rossé de la belle façon (mais Lefrère n’en croit rien) au cours d’une promenade à Stuttgart, où il apprenait l’allemand, ce qui signe leur rupture définitive à la fin février. Pourtant Verlaine, qui l’avait introduit dans le monde littéraire, et aimé dans le déchire­ment, ne cessera de se préoccuper de son oeuvre, présentant « Voyelles » et « Le Bateau ivre » dans la revue Lutèce en 1883, lui consacrant une part importante dans son étude sur Les Poètes maudits en 1884, rédigeant la notice des Illuminations (dont Rimbaud lui avait confié le manuscrit en Allemagne) deux ans après, puis la préface aux Poésies complètes en 1895, chez Vanier, l’éditeur des Décadents.

De retour à Roche, Rimbaud y achève en un mois, dans la fureur et l’exaltation, le recueil de poèmes en prose, Une saison en enfer, qu’il fait imprimer en Belgique, ayant convaincu sa mère d’avancer les frais d’édition. « Mon sort dé­pend de ce livre… », écrit-il à l’ami Delahaye, dans la pers­pective d’une carrière littéraire à laquelle il n’a pas re­noncé. Il retire les exemplaires d’auteur, qu’il distribue à quelques amis parisiens. Mais, par manque d’argent, l’ensemble du tirage reste en dépôt chez l’imprimeur Jacques Poot, à Bruxelles, où un collectionneur le découvrira au début du vingtième siècle.

À l’époque où Rimbaud est supposé avoir achevé les Illumi­nations, il se trouve en Angleterre avec le poète Germain Nou­veau qui l’aide à recopier certains de ses poèmes. Il vivote de leçons de français et cherche un emploi de précepteur. À la fin de 1874, il rentre à Charleville. À partir de là commence une ère d’errances et de vagabondages, qui a intrigué tous ses admirateurs, y compris Verlaine qui le désigne comme « l’homme aux semelles de vent », par allusion à ses qualités de marcheur infatigable. Mais surtout, il se détourne définitivement de la poésie, pour devenir un homme d’action, déclarant à un compa­gnon qui l’informait de la publication de ses poèmes dans La Vogue, en 1886, qu’il ne voulait plus entendre parler de ces « rinçures » !

Avec la même passion qu’il a vouée à la poésie, Rimbaud veut se consacrer à l’industrie. En 1875, il envisagera de passer le baccalauréat es sciences en candidat libre (p. 728). Il apprend les langues étrangères. Après l’Allemagne, il séjourne un mois à Milan. Frappé d’insolation sur la route de Livourne à Sienne, il est rapatrié à Marseille, où il aurait tenté de s’engager dans les troupes carlistes et de passer en Espagne. Et le voilà de retour à Charleville où il se place comme répétiteur et envisage de devenir Frère des Écoles chrétiennes, pour enseigner en Extrême-Orient ! La mort de sa jeune sœur Vitalie l’affecte : à son enter­rement, il paraît le crâne rasé. Puis il repart pour Vienne, où il se fait voler. Retour à Charleville, départ vers la Hol­lande. Il s’y engage dans l’armée coloniale, va jusqu’à Suma­tra, déserte, s’embarque sous un nom d’emprunt sur un navire écossais qui le mène à Liverpool en passant par l’Irlande. En décembre 1876, il est de retour à Charleville. Dès les beaux jours, il repart à l’étranger. Agent recruteur pour les Hol­landais, employé de cirque en Suède et en Norvège. À l’automne, il s’embarque à Marseille pour l’Égypte. La maladie l’oblige à débarquer en Italie. Il passe à nouveau l’hiver chez les siens. Puis second départ vers l’Orient à partir de Gênes afin, croit-il, d’économiser sur le transport. Franchis­sant à pied le Saint-Gothard, un jour de tempête de neige ; il s’embauche comme contremaître dans une carrière de marbre à Larnaca (Chypre). Disputes avec les ouvriers, fièvre typhoïde, il est contraint de se rapatrier à Roche où il passe l’été. Nouvelle tentative de départ en automne, nouvel accès de fièvre à Mar­seille, nouveau repli à Roche pour l’hiver. En mars 1880, il regagne Chypre où il est engagé comme chef de travaux pour la construction du palais du gouverneur. En juillet, il démis­sionne, peut-être à la suite du meurtre d’un ouvrier, qu’il aurait commis dans un mouvement de colère. Cet épisode, revisité par Lefrère (p. 778), reste toujours aussi hypothétique. C’est alors qu’il s’embarque pour l’Arabie.

Aden, port sur la mer Rouge, le voit employé par la maison Bardey, comptoir d’import-export. De là, il est envoyé tenir l’agence d’Harar, en Abyssinie. Il y restera dix années sur lesquelles on est surpris d’avoir tant de détails, entrecoupées de séjours à Aden, et d’explorations dans les territoires alors peu connus de l’Ogadine et du Choa. Assoiffé de connaissances, il apprend les langues vernacu­laires, se fait envoyer des livres techniques et scientifiques les plus récents, un outillage de photographe très perfec­tionné dont il apprend seul le maniement. Il veut toujours être le meilleur en tout, et particulièrement dans les tech­niques modernes. Mais, tel Bouvard et Pécuchet réunis, rien de ce qu’il entreprend ne peut réussir. La poisse. En 1884, il vit maritalement avec une femme d’Abyssinie dans une maison d’Aden. Un jour, à la fin de 1885, il flaire la bonne affaire en revendant un lot de fusils hors d’âge au roi Ménélik qui dispute à son su­zerain le trône du Négus. Son associé meurt prématurément ; le gouvernement français, soucieux de se ménager de bons rapports avec les Anglais, refuse l’exportation d’armes, et finit par l’accorder. Rimbaud tente seul l’aventure. Il court après Mé­nélik qui lui prend sa livraison à bas prix et le condamne à payer les dettes de son associé… Après de vaines tentatives de départ en Extrême-Orient, il retourne à Harar installer une agence commerciale. « Je m’ennuie beaucoup, toujours ; je n’ai même jamais connu personne qui s’ennuyât autant que moi » écrit-il aux siens. En 1891, il souffre du genou droit. Obligé de s’aliter, il dirige ses affaires de sa terrasse. Dur à la peine, il se résout enfin à se faire soigner à Aden. En douze jours, sous des pluies torrentielles, à travers trois cents kilomètres de désert, une équipe de porteurs mène sa litière au port de Zeilah où il s’embarque pour Aden. Le médecin bri­tannique suspecte un cancer du genou. Il arrive à Mar­seille, hôpital de la Conception où, le 27 juin, il est amputé. De retour à Roche pour sa convalescence, son état ne fait qu’empirer. Il retourne à Marseille en compagnie de sa sœur Isabelle. Dès le lendemain, il doit être hospitalisé. Entièrement paralysé, il dicte une lettre délirante au directeur des Messageries maritimes, où il demande à être porté à bord du prochain navire en partance pour Aden. Il s’éteint quinze jours après s’être confessé, pour faire plaisir à sa sœur, pense Lefrère (p. 1165).

Ironie du sort, à l’heure de sa mort paraît Reliquaire. Poésies de Rimbaud, édition procurée par Rodolphe Darzens, re­tirée du commerce à la suite d’un conflit avec l’éditeur et la famille de Rimbaud. S’étant détourné de la poésie quinze ans auparavant, avait-il pour autant renoncé à l’écriture ? Il ne semble pas, comme le prouvent les nombreuses lettres qu’il adresse à sa famille, où il annonce à mainte reprise son désir de relater, en vue d’une publication, ses expéditions dans les contrées inconnues. « Car je vais faire un ouvrage pour la So­ciété de géographie, avec des cartes et des gravures, sur le Harar et le pays des Gallas » écrit-il le 18 janvier 1882. Cette intention se concrétisera par un rapport publié deux ans après, et une suite de notes dans un journal égyptien. En d’autres termes, de son vivant, Rimbaud se fait autant connaître comme explorateur que comme poète. Pas plus, pas moins. Il appartiendra à d’autres de recueillir ses poésies et de les publier, de la même façon qu’on trouvera dans sa cor­respondance personnelle tous les éléments d’une aventure où « la réalité rugueuse » est notée avec concision et précision, sans littérature, si l’on ose dire, dans un but de connais­sance. Mais, dans les deux cas, ne s’agit-il pas de la même volonté exprimée dans les lettres du Voyant ?

Unité de Rimbaud, donc, ce qui ne veut pas dire simplicité. Le suivant pas à pas, sans idée préconçue, Jean-Jacques Lefrère en montre toute l’ambivalence. On appréciera la scrupuleuse démarche du biographe fournissant toutes les pièces du dossier, les replaçant dans leur contexte en les analysant, rectifiant les légendes, rétablissant les lieux exacts avec une faconde jaculatoire. Faisant fi des théories du texte, il revient à l’histoire littéraire positive. Mais au fait, Rimbaud n’était-il pas poète ?

Henri BÉHAR
26/07/2001




1 Voir le document fourni par la Société des Amis d’Alfred Jarry:

http://alfredjarry.fr/oeuvresnumerisees/PDFJarry/Jarry_BM_Laval_51754.pdf

2 Pensons, par exemple, à la beauté du cahier autographe d’Arcane 17 offert par André Breton à sa femme, Elisa, publié par mes soins chez Biro éditeur, en 2012.

3 “Marcueil dans le texte”, L’Étoile-absinthe, n° 132-133, 2015.