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« Débris, collage et invention poétique », Europe, n° 566, juin 1976, pp. 102-114.

Sommaire :

Textes de Cendrars, Soupault, C. Leroy, C. Dobzynski, M. Décaudin, Gustave Le Rouge, Henri Barbusse, Henri Béhar, inédits de Cendrars…

Nouvelle édition 1995

Quatrième de couverture :

Cendrars a passé longtemps pour un écrivain à découvrir. Ce n’est pas qu’on l’ignorait, cet inconnu célèbre, mais on le connaissait plus de nom que de plume. Malraux, qui le tenait pour un des plus grands poètes du siècle, le jugeait « distraitement reconnu ». Dans la mémoire collective, sa présence était aussi turbulente qu’émiettée. Il faisait sa croisière, ici ou là, dans les parages d’Apollinaire ou auprès des peintres de l’École de Paris (Delaunay, Léger, Chagall…), dont il s’était fait le poète dès son installation en France, en 1912. On le rencontrait encore sous le signe de la modernité, mais d’une modernité très début de siècle, plus portée, semblait-il, à l’exaltation des machines et de la vitesse, des trains et des paquebots, qu’à l’expérimentation formelle. Il fournissait, enfin, l’archétype des écrivains-voyageurs : le bourlingueur, c’était lui. Énorme et truculent, fort en gueule et en coups d’éclat, porté à l’épate, tirant à lui la couverture de ses livres, le personnage de Cendrars jetait trop d’ombre sur son écriture… Le présent numéro d’Europe, publié pour la première fois en 1976, fut le premier acte collectif de la critique cendrarsienne moderne. Parce qu’il frayait maints passages au-delà des images reçues, il était aussi, à sa façon, un manifeste. Sous la figure du bourlingueur, il fallait révéler l’alchimiste des mots. Après la parade du baroudeur, le temps était venu de se porter « au cœur du texte ». Depuis longtemps épuisé, recherché par de nombreux amateurs de Cendrars, ce numéro historique méritait assurément d’être réédité.

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Texte repris dans : Henri Béhar, Littéruptures, Lausanne, L’Age d’Homme, 1988, p. 169-180.

Voir la version numérique (Attention : livre en entier fichier lourd et long à charger!) : https://melusine-surrealisme.fr/henribehar/wp/wp-content/uploads/2014/12/Litt%C3 %A9ruptures_ADH.pdf

Prolongements : l’exposition

DÉBRIS – COLLAGES : RÉCUPÉRER, ASSEMBLER ET RECONSTRUIRE
LAM, VILLENEUVE D’ASCQ – 21 Juin 2018 16 Sept. 2018

Présentée dans le cadre des 50 ans de la MEL (Métropole Européenne de Lille), l’exposition propose de redécouvrir les collections du musée de manière inédite et transversale, à travers l’art moderne, l’art contemporain et l’art brut. À travers son parcours, l’exposition présentera la pratique du collage, très répandue au XXᵉ siècle, tout en la mêlant à celle de la récupération, du démontage, de la déconstruction voire de la destruction. Les visiteurs seront invités à découvrir la pratique du bricolage en art, qui fut une des réponses aux grands bouleversements du siècle dernier.

A cette occasion, le LaM présentera des nouvelles acquisitions ainsi que des œuvres très peu, voire jamais exposées, telles que les affiches lacérées ou déchirées de Jacques Villeglé et de Mimmo Rotella ou encore les décollages de François Dufrêne.

« De la méthode en littérature », Europe, n° 1031, mars 2015, p. 359-363.

257. « De la méthode en littérature », Europe, n° 1031, mars 2015, p. 359-363.

DE LA MÉTHODE EN LITTÉRATURE

Ceux qui ont eu le bonheur de lire Le Chat du rabbin ont mémoire de cette très brève séquence où le rabbin Sfar se désespère parce qu’il sait que la lettre qu’il vient de recevoir, et qu’il n’ose ouvrir, lui annonce son échec au certificat d’études imposé par le Consistoire. Son cousin musulman, le cheik Sfar, lui ordonne de l’ouvrir, pour apprendre sa réussite. Ils sont nombreux ceux qui font comme notre savant rabbin ! À tel point qu’il a fallu théoriser cette attitude si répandue. Naguère, après bien d’autres, Pierre Bayard s’y est attaché avec brio dans son essai : Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? (Minuit, 2007). Mais ce qui est divertissant dans la bande dessinée ou encore dans une pratique sociale tout en surface, est-il tolérable dans une activité critique ?

Dans un récent numéro d’Europe, on pouvait lire ceci, à quoi je souscris au point de retranscrire intégralement le premier paragraphe : « J’entends par esprit critique l’attitude consistant à ne porter des jugements que sur ce que l’on s’est d’abord efforcé de comprendre ; à recourir autant que faire se peut à des sources d’information de première main plutôt qu’à des synthèses toutes faites ; à ne rien tenir pour définitivement acquis et à refuser par principe tout argument d’autorité ; à se méfier de l’admiration stérilisante comme des aspirations puériles à l’originalité ; à toujours se demander si ce dont on nous parle existe réellement, pourquoi certains discours paraissent séduisants alors qu’ils ne résistent pas à un examen approfondi, et comment faire en sorte qu’une pensée soit à la fois logiquement cohérente et empiriquement vérifiable, rigoureusement argumentée et ouverte à la discussion, même lorsque celle-ci prend une tournure polémique » (Jean-Marc Mandosio, Europe n° 1027-1028, novembre-décembre 2014).

Inutile de gloser la citation, tant ce qui est consigné ici devrait constituer le socle, la charte de base, le serment d’Hippocrate de la critique littéraire. Charte, hélas ! rarement observée. Un épisode récent, amplifié par le réseau Internet, nous en fournit la preuve. Un tout jeune historien de la littérature, travaillant pour sa thèse, se heurte à un phénomène qui lui paraît demander une attention particulière. Si étonnant qu’avec l’accord de son directeur de recherche, il décide, non pas d’en faire un appendice à son investigation en cours, mais un petit volume spécifique, pour autant qu’un éditeur veuille bien s’en saisir. Peu après, l’éditeur annonce la sortie de cet essai sous le titre « Du Nouveau chez Rimbaud ». Notez la majuscule transformant l’adjectif en substantif, elle donne toute sa valeur au calembour qu’on aurait aimé trouver soi-même, puisqu’il s’agit du poète ami (et même davantage) de Rimbaud.

Aussitôt, on pouvait lire dans Libération du 31 octobre 2014 : « Selon un essai, le recueil Illuminations du poète serait dû à son mentor Germain Nouveau. Il y a quelques années, un serpent de mer en cuir écaillé refaisait surface : Corneille aurait écrit les pièces de Molière. Il a depuis regagné le fond de son loch. Prenant soin de se distinguer du précédent, Eddie Breuil publie ce vendredi aux éditions Champion Du Nouveau chez Rimbaud. Il cherche à démontrer que les Illuminations du second auraient été écrites par son ami Germain Nouveau, le merveilleux auteur des Valentines, grand poète et son héros. Comme toujours dans ces cas-là, la démonstration s’engouffre dans des incertitudes qu’elle retourne en révélations… »

On voit de quoi il retourne : être le premier à informer le public d’une riche découverte, et la démolir du même mouvement, afin qu’il n’en soit plus question ailleurs ! Le scoop qui fait pschitt aussitôt, nouvelle figure de l’exceptionnel journalistique. Au passage, il n’est pas mauvais de déverser son venin sur les universitaires qui se préoccupent de lire des manuscrits (pensez donc, à l’heure du numérique !) et de vérifier l’exactitude de faits qui sont donnés pour vérité d’Évangile. Encore mieux si l’on peut casser ce tout jeune homme qui ne s’en tient pas à la lecture évangélique des quotidiens dits d’information !

Dans cet ordre d’idées, il n’est pas mauvais de faire preuve d’érudition, et de montrer qu’on pourrait en remontrer aux plus savants. On allègue donc les antécédents, faisant un amalgame jubilatoire (aux seuls yeux de l’érudit). Corneille et Molière ne manquent pas au rendez-vous. De là qu’on évoque les théories révisionnistes, il n’y a qu’un pas, allègrement franchi par les ignares du Net. Ce qui, bien entendu, fait bondir notre jeune chercheur, lequel n’a pas de mots trop durs pour ces théories d’origine nazie, et dont la seule ambition est de les éradiquer de notre horizon autant que de l’avenir des hommes.

Or, vérification faite auprès de l’éditeur, le chroniqueur n’a pas pu se procurer le livre (ni les bonnes feuilles), qui a subi un retard de livraison… De sorte que la prétendue information n’est qu’une élucubration, élaborée à partir du prière d’insérer et, plus grave, de notules traînant sur le réseau, elles aussi incertaines. Tout ce qu’avance ledit chroniqueur est faux et sans fondement. Notez que j’ai vu encore pire : un recenseur rend compte d’un gros dictionnaire en dénonçant l’absence d’une entrée qui se trouve bien imprimée dans tous les exemplaires, sauf le sien peut-être ? Les auteurs seraient-ils désormais tenus d’offrir des lunettes à leurs contempteurs ? Le même érudit d’occasion prétend que Breton n’est pour rien dans la création de la Compagnie de l’Art brut, ce que tout un chacun peut vérifier, sans qu’il lui coûte un sou, en interrogeant le site « Atelier André Breton » où sont stockés tous les documents nécessaires, y compris de la correspondance. Grande bête que je suis, va ! je n’ai toujours pas compris que la critique littéraire actuelle n’avait qu’une seule raison d’être : le dénigrement.

N’est pas Lanson qui veut, même si Lanson est encore l’objet d’une lourde méprise dans l’enseignement secondaire, et l’on sait bien pourquoi, puisqu’il fut des premiers à se préoccuper de l’enseignement de masse, et à préconiser des objets et des méthodes de recherche qui ne sont toujours pas mises en œuvre de nos jours.

Reprenons dès le début. Afin de prouver que je n’invente pas pour les besoins de la cause, voici le problème tel qu’il se posait auparavant, et tel que je l’ai résumé pour le supplément annuel de l’Encyclopédie Quillet en 2008 :

« Le recueil Illuminations, publié en 1886 par les soins de Félix Fénéon, pose les mêmes problèmes que les Pensées de Pascal. Selon l’ordre dans lequel on les lit, selon le sens que l’on donne au titre, selon leur date présumée de composition, on se forme une idée différente de leur signification. Une chose est sûre : Rimbaud n’a jamais écrit ce titre sur aucun de ses manuscrits, et il ne se serait préoccupé de rassembler ses poèmes en prose en vue d’une publication qu’en 1875, sans y donner suite. Selon Verlaine, “Illuminations”, en anglais, serait “coloured plates”, c’est-à-dire gravures coloriées, ou encore verres enluminés, pour la lanterne magique ; mais on peut comprendre autrement : inspiration soudaine, ou bien fêtes de l’esprit.

« La date d’écriture ne laisse pas de poser problème. Sous l’influence de la glose familiale d’Isabelle Rimbaud et de Paterne Berrichon son mari, on a longtemps cru qu’Illuminations était antérieur à Une Saison en enfer, recueil par lequel Rimbaud renonçait à la littérature, et de bons esprits comme Étiemble n’en démordent pas. Jusqu’au moment où dans sa thèse, Bouillane de Lacoste, s’appuyant sur une analyse graphologique des manuscrits et des copies a cru prouver l’antériorité de la Saison. Aujourd’hui, avec André Guyaux, on pense plutôt que certaines des Illuminations sont antérieures à la Saison, d’autres postérieures (entre 1872 et 1874, jusqu’en 1875 selon certains), et que de l’une aux autres s’établissent des connivences, voire une interdépendance, le poète conduisant simultanément ses deux registres. Ainsi les Illuminations sont encore un projet littéraire inabouti, dont Rimbaud s’est dépris après s’y être adonné avec ferveur.

« De même qu’on se fait une opinion différente des Pensées de Pascal selon qu’on les

lit dans l’édition Brunschvicg ou dans celle de Lafuma, on aura une vision orientée par le

groupement effectué par Fénéon, habituellement reproduit par tous les éditeurs, qui ne

repose sur aucune justification chronologique ni logique, et celui d’André Guyaux en

rapport avec ce qu’il nomme “la poétique du fragment”.

« Cette théorie, selon laquelle Rimbaud aurait justement refusé l’idée d’une œuvre concertée de bout en bout, autorise divers classements, selon la forme ou le contenu.

« Du point de vue de la forme, ces cinquante-quatre pièces vont du récit en plusieurs séquences (“Enfance”, “Vies”, “Veillées”, “Jeunesse”), lesquelles se trouvent correspondre à un projet narratif de caractère autobiographique, aux phrases isolées, bribes de pensées arrachées à l’impondérable, comme celle-ci : “J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse”. Il arrive que la discontinuité prédomine, les phrases nominales, les mots juxtaposés, les points de suspension, les blancs donnent à chaque fragment sa respiration particulière, au point que “Marine” peut passer pour le patron du vers libre tel que les symbolistes l’ont répandu.

« Cette discontinuité formelle s’inscrit dans une rhétorique fabuleuse, comme si le poète

essayait de jeter un pont entre les différents genres littéraires et la forme nouvelle du petit poème en prose inaugurée par Aloysius Bertrand et Baudelaire. Dans le désordre se succèdent les contes, la légende biblique (“Après le déluge”), l’énigme (“H”), la prière (“Dévotion”), la description parnassienne (“Fleurs”), le tableau réaliste (“Ouvriers”) ou impressionniste

(“Les Ponts”), l’utopie (“Ville”), jusqu’aux fragments, qui ne sont pas des notations en vue d’un texte plus élaboré, mais bien des poèmes complets, se suffisant à eux-mêmes.

« La multiplicité des personnalités incarnées par le narrateur, celui qui dit “je”, déconcerte le lecteur. On admet difficilement que le même pronom personnel puisse représenter à la fois le jeune Rimbaud, dont on partage les sentiments, les émotions et les impressions :

“Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j’ai connu le monde, j’ai illustré la comédie humaine” (“Vies”) ; le compagnon infernal, dont on comprend qu’il évoque un moment de sa liaison avec Verlaine : “J’avais en effet, en toute sincérité d’esprit, pris l’engagement de

le rendre à son état primitif de fils du soleil, — et nous errions, nourris du vin des cavernes

et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la formule” (“Vagabonds”) ; et celui

qui déclare “Je suis le saint, en prière sur la terrasse…” (“Enfance”). C’est qu’ici le poète se

trouve dans un état second, exalté au point qu’il ne se reconnaît pas et passe aisément d’une

personnalité à une autre, à toutes les figures de l’humanité s’il le faut. “Voici le temps des

ASSASSINS”, déclare-t-il à la fin de “Matinée d’ivresse”, signifiant par un jeu de mots que l’état

poétique s’annexe toutes les facultés, y compris celles que procurent les paradis artificiels,

le vin ou le haschisch.

« Comme pour le sonnet des “Voyelles”, une lecture érotique est toujours possible sur

l’ensemble du recueil. Elle est même indispensable pour certaines pièces comme “Antique” qui dépeint l’hermaphrodite, et “Bottom” qui, plus que la métamorphose d’un âne dans Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, évoque les matins triomphants de la virilité. À un autre niveau, le poète, en état de transe, explore le monde connu et inconnu, passé et futur. Il se situe dans une temporalité nouvelle, “Après le déluge”, qui n’a rien à voir avec le quotidien banal. Aussi peut-on considérer que ce poème devait ouvrir le recueil, en prélude aux tableaux que Rimbaud rapportait de son exploration aux confins du possible, avant d’arriver au bilan négatif de “Solde”, où il semble brader ses trouvailles. Entre ces deux piliers, se déroulerait le panorama du monde nouveau, la suite des imaginations vécues, des féeries entrevues, des fêtes déployées. Aussi a-t-on fort justement rapproché certains de ces poèmes de l’univers théâtral, où tout est à la fois matériel et factice, effet de langage.

« Tout est nouveau dans les Illuminations, mais le poète se heurte à l’indicible, à l’incommunicable, et l’on a pu voir un aveu d’échec dans la manière dont Rimbaud s’est désintéressé de leur publication. C’est ne pas tenir compte de son caractère impulsif, qui le portait à se démarquer de ce qu’il venait d’accomplir et à se tourner vers d’autres horizons, abandonnant à ceux qui le souhaitaient ces textes réputés illisibles, dont il affirmait pourtant : “ça veut dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens”.

« À l’époque où Rimbaud est supposé avoir achevé les Illuminations, celui-ci se trouve en Angleterre avec le poète Germain Nouveau qui l’aide à recopier certains de ses poèmes.

Il vivote de leçons de français et cherche un emploi de précepteur. À la fin de 1874, il rentre à Charleville. À partir de là commence une ère d’errances et de vagabondages, qui a intrigué tous ses admirateurs, y compris Verlaine qui le désigne comme “l’homme aux semelles de vent”, par allusion à ses qualités de marcheur infatigable. Mais surtout, il se détourne définitivement de la poésie, pour devenir un homme d’action, déclarant à un compagnon qui l’informait de la publication de ses poèmes dans La Vogue, en 1886, qu’il ne voulait plus entendre parler de ces “rinçures” ! »

À partir de cette situation, Eddie Breuil s’en retourne aux manuscrits, dont certains sont passés en vente il y a peu. Il compare les écritures, confronte les thèmes familiers de l’un et de l’autre poète, et se dit que Germain Nouveau a pu apporter sa pierre à l’édifice autrement que par la copie.

Qu’on le lise bien : il demande seulement qu’on discute une hypothèse, selon laquelle le texte donné pour les Illuminations ne serait pas du seul Rimbaud. Que deux mains différentes, deux têtes, ont pu intervenir successivement et même simultanément. Ce faisant, il apporte des arguments suffisamment convaincants pour attribuer quelques poèmes à leur auteur véritable. Mais cela n’entraîne pas que l’ensemble des poèmes habituellement regroupés sous le titre des Illuminations ne doivent rien à Rimbaud. Eddie Breuil suggère, laissant le lecteur trancher, en appelant à la recherche prise comme entité collective.

Ce faisant, il ne s’aventure pas sans biscuits, ni sans précurseurs. Sans parler des gens dont c’est le métier (du latin ministerium), les poètes se sont exprimés. Avant lui, André Breton disait qu’on ne saurait jamais quelle part de réciprocité il y eut dans la confection de ces poèmes : « Sur ce séjour du 178 Stamford Street, Waterloo Road, qui fut en commun le leur, se referme une des grandes parenthèses de notre temps. […] Rimbaud-Nouveau,

Nouveau-Rimbaud : on n’aura rien dit, on n’aura rien franchi poétiquement tant qu’on n’aura pas élucidé ce rapport. » Et, à son habitude, Aragon poussait le bouchon le plus loin possible : « les rimbaldiens ont peur que, dans le miroir de Nouveau, on n’aperçoive comment ils ont défiguré (ou transfiguré) Rimbaud. [S]ur la destinée même de la poésie, la poésie de Nouveau, et sa parenté avec la poésie rimbaldienne, apportent un témoignage gênant pour ceux qui veulent que, peu après 1870, la poésie ait, avec Rimbaud, tout entière changé de signification et de route. »

Comment répondre aux questions posées par les poètes eux-mêmes ? Certes, nul ne peut le faire d’un jet de plume. Et il y faut unir bien des forces, bien des méthodes, bien des compétences.

D’abord, pousser la recherche historique : a-t-on bien exploré toutes les traces laissées par le mendiant d’Aix ? Ne se trouve-t-il pas des preuves dans le terrier des notaires ? Qui s’est assuré de leur exploitation systématique ? Félix Fénéon passe généralement pour un homme sérieux. Mais son souci de brièveté, consigné dans ses fameuses nouvelles en trois lignes, ne l’aurait-il pas conduit à mettre quelque document de côté, dont la recherche actuelle ferait son miel ?

Ne revenons pas sur la graphologie alléguée jadis par Bouillane de Lacoste, mais est-on certain d’avoir tiré tout le parti possible des instruments mis à disposition par les

techniques actuelles ? Pourquoi le Palais aurait-il droit aux faveurs de la science, qui ne seraient pas de mise en la circonstance ?

Ce n’est pas d’aujourd’hui que la pratique artistique nommée littérature appelle une science de la littérature, une « science des textes et documents » comme on disait naguère à Jussieu, ou bien des « faits littéraires », comme je préfère. Le premier pas consiste à établir ces faits, et quand on ne sait pas, à le dire. Avouer cela, ce n’est pas un acte d’honnêteté ni

d’humilité, c’est se respecter soi-même.

Henri BÉHAR

Voir l’ouvrage en question :

L’histoire de la littérature est faite d’erreurs, de rectifications, qui mettent parfois du temps à être admises, qu’il s’agisse d’erreurs d’attribution (les œuvres prêtées à Louise Labé, les Lettres portugaises) ou d’approximations éditoriales (les diverses formes des Pensées de Pascal). Les Illuminations ont connu plusieurs grandes versions : mélange de vers et de proses ou seules proses. Peut-on seulement connaître avec certitude le contenu de ce recueil ? En retraçant le parcours des manuscrits et en réexaminant les témoignages de première main, on s’aperçoit que de nombreuses approximations ont été progressivement présentées comme des certitudes. Concernant ce recueil, tout est à revoir !

Cette étude permet de refaire le point en remontant aux premières traces du projet et au moment crucial que fut le compagnonnage entre Arthur Rimbaud et Germain Nouveau, commencé à Paris et prolongé quelques mois à Londres, durant lequel les manuscrits généralement recueillis dans les Illuminations ont été mis au net. Lorsqu’on suit pas à pas cette aventure littéraire, les anciennes vérités s’effondrent et d’autres émergent. Une nouvelle lecture de l’ensemble des textes est proposée, lecture non plus étiologique mais basée sur des éléments concrets et donnant à réinterpréter la poétique de l’auteur.

Eddie Breuil prépare une thèse sur l’édition critique sous la direction de Philippe Régnier dans l’équipe LIRE (UMR 5611) de Lyon. Il poursuit des travaux sur l’édition critique et électronique de textes littéraires.

« Apollinaire champion d’Europe », Europe, n° 1043, mars 2016, p.  234

Mensuelle, Europe ne fut pas toujours, comme aujourd’hui, une revue littéraire. S’occupant de culture et d’idées politiques, on conçoit que les noms des écrivains et des poètes n’y figurent pas en permanence, et qu’elle ne se soit pas préoccupée d’établir un classement des valeurs littéraires dès son apparition, en 1923. D’autant plus que, tournée vers l’Europe et, pour ainsi dire, le monde entier, les Français ne devaient absolument pas occuper le devant de la scène. Fondée par des anciens du groupe de l’Abbaye et des amis de Romain Rolland, elle était plus préoccupée de revendication et de justice sociale que d’avant-garde. Néanmoins, elle ne pratiquait pas d’ostracisme envers l’avant-garde contemporaine, qu’elle regardait d’un œil souvent amusé, parfois horrifié, en attendant le moment où, une fois leur gourme jetée, ces jeunes, tel Philippe Soupault, viendraient la rejoindre. N’oublions pas que son premier numéro publiait un inédit du comte de Gobineau !

S’adressant à un public que l’on peut qualifier globalement « de gauche », sans risque d’être démenti, composé d’instituteurs, d’autodidactes, mais aussi de cadres, d’ouvriers organisés, de lecteurs éclairés qui ne demandaient qu’à l’être davantage, elle se devait de lui apporter des éléments d’information et de réflexion, lui découvrant de larges perspectives vers des cultures étrangères et dressant d’indispensables panoramas sur l’histoire des idées, des influences réciproques, d’un pays à l’autre, des esthétiques à l’œuvre ici et là. À ses débuts, la publication de textes étrangers contribua vivement à sa diffusion. Si bien qu’au bout d’une centaine d’années d’existence, elle occupe une place notable dans le champ culturel français. Qu’elle le veuille ou non, elle a procédé à un classement des valeurs et elle contribue, aujourd’hui encore, à la « panthéonisation » de certains auteurs, tant étrangers que français, et à leur divulgation en France, notamment à travers ses numéros spéciaux. À tel point que ceux-ci sont devenus la norme.

Pour vérifier chacune des assertions précédentes, nous disposons d’un outil incomparable, que bien des chercheurs nous envient. Cette source exhaustive, c’est le DVD de la revue, en texte intégral, reproduisant à l’identique toute la collection des livraisons de 1923 à l’an 2000, en mode image et en mode texte par conséquent. Un spécialiste de la mesure lexicale (lexicométrie), Étienne Brunet, l’a ainsi caractérisé : « de 1923 à 2000 il y a 860 numéros, compte tenu d’une suspension entre 1939 et 1945. Cela fait 13 mètres de rayons dans une bibliothèque, ou, si l’on compte en unités plus petites, 7 500 auteurs différents, 28 000 articles, 140 000 pages et 58 millions de mots. On se rapproche des sommets gigantesques de l’Encyclopaedia Universalis (6 025 auteurs, 30 000 articles, 52 millions de mots), et du Grand Larousse du XIXe siècle (90 millions de mots). »

Ainsi, l’amateur d’Apollinaire s’assure immédiatement que le nom du poète y apparait 3 224 fois, ce qui en fait l’un des plus fréquents dans l’ensemble indiqué, bien après Romain Rolland, cela va de soi, mais bien avant tous ses contemporains (il faudrait aussi tenir compte de la trentaine d’apparitions du dérivé apollinarien). C’est pourquoi le titre de cet article s’est imposé à moi, mathématiquement, si je puis dire. Apollinaire est un champion d’Europe par sa présence sous la plume des rédacteurs, par son aura chez les lecteurs, et peut-être, implicitement, parce qu’il n’a pas dédaigné, de son vivant, l’idée européenne, lui que la biographie montre européen avant tout, lui qui vécut « À travers l’Europe vêtue de feux multicolores ».

Surpris de l’étonnante réception critique du poète par la revue Europe, j’établirai la place qu’il occupe dans les 860 numéros considérés, j’analyserai ensuite les œuvres saillantes de son répertoire, pour, enfin, m’attarder sur l’image que les collaborateurs de la revue donnèrent de lui.

***

En quoi Apollinaire est-il le champion d’Europe ? Eh bien, tout simplement, parce qu’il est l’auteur le plus fréquemment nommé des membres de sa génération. J’appellerai génération d’Apollinaire, au sens que Thibaudet donnait à ce terme dans son Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours, tous les auteurs nés entre cinq ans avant, et jusqu’à cinq ans après lui. Voici, dans l’ordre des fréquences décroissantes, le relief que donne, aux dix premiers, le corpus considéré (c’est-à-dire toutes les livraisons de la revue de 1923 à 2000) : Apollinaire = 3 224 occ., Max Jacob = 2 524, Jules Romains = 1 464, Giraudoux = 1 368, Ramuz = 1 349, Raymond Roussel = 1 171, Victor Segalen = 842, François Mauriac = 823, Valery Larbaud = 817, Jules Supervielle = 724… Ce qui signifie, si l’on s’en tenait à ces seules fréquences, qu’il faudrait consacrer un numéro à Jules Romains, à Giraudoux et à Ramuz, après l’avoir fait pour Max Jacob et Apollinaire.

Quoi qu’on puisse penser des comptages, ce classement donne une image remarquable de la considération que la revue porte à certains écrivains de cette génération, tel Jacques Chardonne, tant prisé par un ancien Président de la République, ou bien le Paul Géraldy de Toi et moi (recueil qui figurait dans toutes les bibliothèques des familles) avec un score de 18 occurrences. Pour divers que soient ces contemporains, aucun n’est aussi considérable et considéré qu’Apollinaire, le fait est évident.

Le second, Max Jacob, que l’on peut tenir pour son frère d’armes, en dépit des variations de leur amitié, épouse une courbe de fréquence tout à fait parallèle à celle d’Apollinaire, à cette différence près que le dossier Jacob précède de neuf ans celui que la revue a consacré à Apollinaire, et qu’il est plus fortement question du premier en 1949, en raison des nombreux articles évoquant son destin tragique.

Mais, dira-t-on avec raison, de tels scores doivent toujours être relativisés. Ainsi, Romain Rolland, champion toutes catégories, apparait-il 6 671 fois, en incluant un numéro spécial (n° 109-110, 1955) consacré à ce père tutélaire. On notera avec curiosité la fréquence accordée à un Claudel, à qui fut dédié un dossier en 1982, soit 2 242 occ., Gide n’atteignant que 2 183 occ. et Péguy, 1 836, à peine plus que Jarry son « conscrit », né la même année que lui, soit 1 696 occ.

Plus jeunes que lui, ses voisins les plus proches ne lui font aucune ombre. Cendrars n’a que 1 975 occ. (tout en y incluant un dossier en 1976) ; Reverdy seulement 1 182 occ. en dépit d’un numéro double en 1994 ; sans parler du dévoué André Salmon (191 occ.), non plus que de Pierre Albert-Birot, injustement moqué par ses contemporains, les surréalistes.

On notera, au passage, que le fait de consacrer un numéro à un écrivain accroît systématiquement sa fréquence dans la revue d’un millier d’occurrences.

***

Ainsi, notre poète occupe bien la première place dans sa génération et même au-delà. La haute fréquence de son nom ne signifie pas qu’il apparaisse dans la revue d’une façon également répartie dans les 218 articles où il est nommé, de 1923 à l’an 2000. La statistique année par année (qu’un graphique traduirait plus éloquemment), montre des pics de fréquence en 1953, 1958, 1966, 1970, 1982, etc. Il va de soi que la haute fréquence de 1 100 occ. en 1966 correspond, comme indiqué précédemment, à la livraison entièrement consacrée au poète. Inversement, il y a des années totalement creuses, où il n’est jamais nommé (en 1928, 1929, 1930, 19332, 1934…). D’autres où il l’est à peine : 4 fois en 1949, 9 fois en 1965, l’année-même qui précède le numéro dédié à son œuvre !

Pour résumer cette prise de vue chronologique, disons qu’il est nommé 62 fois dans la période d’avant-guerre (1923-1939), dont 29 fois en 1924, essentiellement dans la chronique que René Lalou lui consacre, pour le cinquième anniversaire de sa mort. Chronique mitigée, sans réserve pour le poète d’Alcools, très critique envers le théoricien de « l’Esprit Nouveau » !

Il est nommé 1 748 fois dans la période 1946-1968, majoritairement dans le n° 451-52 de 1966, déjà signalé, auquel je consacrerai un examen particulier ci-après.

À la reprise de la revue, après de si dures épreuves nationales, nul ne s’étonnera de voir Aragon parler d’Apollinaire conjointement avec Max Jacob au sujet du poème en prose dans ses « Chroniques du Bel-Canto » (avril 1946, p. 106) et Claude Roy dresser en 1948 un panorama des livres récemment parus d’André Rouveyre, Louise Faure-Favier, André Billy, Aegerter et Labracherie, à la recherche d’un « lyrisme du discontinu » parfois capté par Apollinaire.

Poursuivant ce décompte, je relève qu’entre 1969 et 1984, il y a 1 031 occ. de ce nom choisi, dont 278 en 1970 et 222 en 1982, surtout dans le numéro de juin-juillet, tranchant de « Cubisme et littérature ».

À noter un net recul pour la dernière période : de 1985 à 2000 inclus, il n’y a que 383 occurrences du patronyme, dont 67 en 1993 et 57 en 1997, ce qui est tout de même six fois plus que durant l’avant-guerre !

Soit, dira-t-on, Apollinaire est fort souvent nommé dans votre revue. Mais cette haute fréquence ne dit pas si c’est en bien ou en mal, pour le louer ou pour en médire !

Je regrette de ne pouvoir reproduire ici, comme on fait dans les études bibliques, un tableau de la totalité des « concordances » (index alphabétique, ligne par ligne, des 3 224 apparitions du patronyme Apollinaire, avec sa localisation dans la collection complète de la revue) afin d’en dégager, d’un seul coup d’œil, la valeur (positive ou négative) et l’usage. Malgré la gageure, je me hasarderai toutefois à montrer, à titre d’exemple, ce qu’on pourrait lire pour la première période (1923-1939), avec un tri à la gauche du mot vedette :

2910329e| s de Strawinsky , de Picasso , d’ Apollinaire ? Plutôt faubourg Saint –

3523999d| in des coups d’ oeil complices d’ Apollinaire , de ses sous – entendus ,

3523997b| nous nous arrêtions aux images d’ Apollinaire : Ta langue poisson roug

3523996h| emblait très fort à ces images d’ Apollinaire à la boue près , à la merd

3827779i| jours été . Les grandes ombres d’ Apollinaire et de Reverdy y planent pa

3727080a| souvent les poèmes de Fagus ou d’ Apollinaire : c’ est une mélodie d’ un

3727046b| ses communicants , à la poésie d’ Apollinaire et de Fargues . Mais depui

3930025a| Manuel poétique d’ Apollinaire , par Jeanine MOULIN ( Les

3829048e| ne note curieuse sur le Séjour d’ Apollinaire en Rhénanie , par E . – M

2910616e| piration font de lui une sorte d’ Apollinaire italien . En dehors de ses

3930350e| ci : notez au passage des vers d’ Apollinaire de Montherlant , de Reverd

3523996i| ne . Et j’ ai pourtant à dire qu’ Apollinaire mentait , parce que dans l

3115404f| isation , quand ils demandèrent à Apollinaire clé graver à la Sorbonne L

3828781i| t avec ceux gui , de Dioseoride à Apollinaire , ont fait servir la litté

242286a| s la dédicace de l’ Hérésiarque , Apollinaire donnait ses contes pour «

264720j| oux , Morand , Larbaud , Proust , Apollinaire … Bref , ni chronologie ré

241885c| ition , vrai Baedeker universel , Apollinaire était un esprit essentiell

277679g| vention du ressort et du détail . Apollinaire a accroché là , à de modes

242284d| une époque féconde en doutes . Apollinaire nous propose une oeuvre ,

241885b| un véritable « esprit nouveau » ? Apollinaire , qui a tant chéri la myst

241885i| autre , c’ est en grande partie à Apollinaire qu’ on le doit . A lui , e

242285f| nébuleuses … Or c’ est un autre Apollinaire qu’ on nous somme d’ admir

242284g| t richesse profonde . Il y a chez Apollinaire une incontestable virtuosi

241885e| térature européenne . J’ ai connu Apollinaire à ses débuts . C’ était al

242284c| e la piété qui pousse les amis d’ Apollinaire à lui apporter leur témoig

265730b| lant , baptisé du nom chrétien d’ Apollinaire , ceci , votre portrait en

231502a| CHRONIQUES 497 au « côté d’ Apollinaire » ; des survivants de l’ è

242286h| prit nouveau » ! Tout le drame d’ Apollinaire est là . Le poème final de

242285h| qui vient , dans l’ esthétique d’ Apollinaire , d’ un Picasso et d’ un B

242284d| alaisée . L’ origine étrangère d’ Apollinaire entre ici en ligne de comp

299987d| mour de Picasso , l’ imitation d’ Apollinaire doivent empêcher M . Cocte

242284b| Duhamel définissait l’ oeuvre d’ Apollinaire « une boutique de brocante

242287a| , qu’ elle recouvre les singes d’ Apollinaire ! A lui , nous devons – mi

253301j| dont , depuis . Mallarmé , depuis Apollinaire , il court , chez les poèt

242285b| e des poèmes – conversations dont Apollinaire fut l’ inventeur . Et nous

242284a| es paroles graves : ils ont égalé Apollinaire à Rimbaud . Cependant pers

242284a| GUILLAUME APOLLINAIRE Le cinquième anniversaire

241885b| et , faire un maître de Guillaume Apollinaire ? Et n’ a – t – on pas été

242284a| iversaire de la mort de Guillaume Apollinaire a provoqué des manifestati

299969j| de Maurice Scève ou de Guillaume Apollinaire au moment – du pourboire .

242286e| ent un infranchissable intervalle Apollinaire rêva d’ être un enchanteur

242286f| e bel Amicitioe sacrum qu’ est l’ Apollinaire Vivant d’ André Billy , il

242531c| ines publiées dans le Mercure par Apollinaire . Il ne faudrait pas , e

242285j| stériles imitateurs . Reste pour Apollinaire – l’ honneur d’ avoir invo

242285i| nomme le cubisme littéraire , si Apollinaire en fut l’ instigateur , el

242285e| abilement Villon et Verlaine . Si Apollinaire tenait tout entier dans le

242285h| nie de cet étonnant jongleur ; si Apollinaire avait vraiment le sens de

242285c| oque qui obscurcit tout débat sur Apollinaire . Ses dévots en sont respo

3320214a| ARTS ) . Vers 1910 , Guillaume Apollinaire et quelques poètes découvr

3829056c| gate l’ image fidèle de Guillaume Apollinaire , « la cétoine au coeur de

3727077d| est dans les poèmes de Guillaume Apollinaire que les échos des ancienne

3523996a| t au destin surprenant Guillaume Apollinaire était , au temps où j’ ava

3930190d| hique du pont Mirabeau dont parle Apollinaire , l’ héliotrope d’ Arthur

3726774a| Après avoir publié sur Apollinaire , Max Jacob , Mallarmé , d

3523998b| e officiel qu’ ambitionnait jadis Apollinaire , Marinetti déclare dans L

3523996e| TT RATURE 475 fruit défendu . Et Apollinaire nous apparaissait , derriè

2910364a| es vers oscillent entre Moréas et Apollinaire , préconise dans son roman

3930163d| époque de Braque et de Picasso et Apollinaire va mourir . Il y a Max Jac

3523996f| a guerre est jolie Mais pourtant Apollinaire pratiquait avec une habile

2910527g| t – on pas une métaphysique chez Apollinaire qui n’ en parle pas ? Et ,

À noter que, sur la machine, un simple clic me renvoie au contexte intégral, ce qui me permet de constater que le « nom chrétien d’Apollinaire » fait partie d’un récit d’Isaac Babel, et ne nous concerne pas ici (il y a 9 occ. du prénom Sidoine, et le fait qu’il soit compté dans la fréquence totale n’a guère d’incidence sur un grand ensemble de 3224 occ.). Un examen superficiel du tableau montre que le poète est, d’emblée, désigné par son patronyme seul, sans prénom, signe incontestable de notoriété. Poussant plus loin, on relèvera les noms les plus proches d’Apollinaire, et les termes qui l’accompagnent le plus fréquemment : images, esthétique, poétique… La vertu de tels outils n’est, heureusement, plus à démontrer (encore que peu nombreux soient ceux qui s’en servent). Dans le souci de situer Apollinaire parmi les préoccupations des collaborateurs de la revue Europe, je m’attarderai plus précisément sur les diverses catégories de textes le nommant.

***

La première, la plus évidente, est celle des documents qui portent la signature du défunt. Elle se trouve dans trois fac-similés autographes, insérés dans le numéro spécial de 1966, puis au bas du manifeste L’Antitradition futuriste, imprimé reproduit selon la même technique en mars 1975. Dans tous les cas, ce sont des documents rares, des manuscrits de poèmes (« Apothéose », fragment – Coll. Chobot ; « Exercice » – à G. Turpin. Coll. Adéma), ou une lettre (Carte-lettre de mars 1916, Coll. Madeleine Pagès) confiés par Jacqueline Apollinaire, André Salmon, Pierre-Albert Birot, et surtout son biographe-collectionneur, Pierre-Marcel Adéma, qui avait largement ouvert ses archives. Sous une couverture reproduisant une aquarelle de Max Jacob, l’illustration de ce n° 451-52 est d’autant plus remarquable qu’avant les années 2000 la revue ne comportait guère d’illustrations. C’est dire le prix qu’on attachait à l’écriture même du poète, sans parler de la qualité des documents inédits, montrés au lecteur pour la première fois.

Viennent ensuite les études et les articles, de ce premier dossier consacré à l’Enchanteur lui-même, qui fit réellement date : il coïncidait avec le programme des agrégations de Lettres, et beaucoup s’en souviennent encore.

La structure des numéros spéciaux de la revue imposait, à l’époque, une présentation par son responsable éditorial, une situation de l’écrivain dans son époque et une chronologie. Cette livraison ne déroge pas à la règle, avec une introduction de Pierre Gamarra qui, de retour de Géorgie, dresse, sous le titre « De faïence et d’escarboucle », un curieux parallèle entre Apollinaire et le huitième centenaire du poète national Roustaveli, auteur d’un poème de 7 000 vers, Le Chevalier à la peau de tigre, dont le peuple est capable de réciter spontanément de longues laisses (Gamarra m’a lui-même récité, sinon la totalité de La Légende des siècles, du moins Le Petit roi de Galice de Victor Hugo, en y mettant le ton et la respiration ; il eût été capable de faire de même pour ce chevalier-là, si on lui en avait donné le temps). Ce qui le conduit à réfléchir sur la notion de popularité, qui caractérise désormais Apollinaire, et sur le mélange de classicisme et d’anticipation, formule même de la modernité. La « Couleur du temps », brossée à grands traits par Maurice Bouvier-Ajame, ne manque pas d’être utile à ceux qui ne croient pas que la poésie sort tout habillée du cerveau de l’artiste. Enfin la chronologie, établie par Michel Décaudin, remet les pendules à l’heure, sur bien des points controversés.

Dans le cadre de ce dénombrement, il serait impertinent d’examiner chaque contribution par le détail. Qu’on me permette de reproduire le sommaire, tel qu’il se présente au lecteur :

Jacques Gaucheron, Etoile Apollinaire, 31

Michel Décaudin, Un chapitre impossible, 36

Jean-Claude Chevalier, Apollinaire et le calembour, 56

P.M. Adéma, “Le Festin d’Esope”, 78

Franz Hellens, Apollinaire avec le recul, 86

Claudine Chonez, Apollinaire parmi nous, 97

Simone Delesalle, Le langage d’Apollinaire, 105

Roger Chateauneu, Inventer l’alphabet du phénix, 112

Pierre Lagrue, Guillaume et Blaise, 118

Hélène Henry, Guillaume et Max, 124

Roger Navarri, Poète du déracinement, 132

Henri Meschonnic, Illuminé au milieu d’ombres, 141

Françoise Han, Images du futur, 169

Noémie Blumenkranz Onimus, Vers une esthétique de ” La Raison ardente “, 173

Georges Dupeyron, Espace et temps, 193

Bernadette Morand, L’absence et la guerre, 202

Lionel Follet, L’amour malheureux, dans “Les Sept Épées”, 206

Frédéric Robert, Apollinaire et ses musiciens, 239

Durey Louis, “Belle clarté, chère raison”, 248

Jean-Claude Chevalier, Apollinaire et la critique, 251

Marie-Louise Coudert, Apollinaire 66, 257

Albert Fournier, Des pied-à-terre au pigeonnier, 295

Il est difficile d’y déceler un principe d’organisation, tant les articles thématiques se mêlent aux études historiques et aux approches plus techniques, sinon le fait que la place d’honneur revient à un poète familier de la revue, lequel, par une image forestière, indique à la fois la place incontestable qu’occupe Apollinaire dans les lettres contemporaines, mais exprime aussi ses propres réticences (comme n’y manquèrent pas certains disciples immédiats d’Apollinaire), à l’égard de sa conception de la modernité, de l’ordre et de l’aventure. C’est, toute proportion gardée, ce qu’exprime, quelques pages plus loin, un autre poète, Franz Hellens, « avec le recul », comme il dit. Nul doute que le jugement de Georges Duhamel, comparant la poésie d’Apollinaire à une boutique de brocanteur, pèse encore sur plusieurs esprits, qui s’efforcent alors de le contredire, ainsi Lionel Follet qui tente avec conviction d’éclairer l’intermède insolite des « Sept Épées ».

Ainsi, les études d’histoire littéraire, au sens large du terme, ne manquent pas de signaler les points obscurs de son œuvre-vie (Décaudin), marquent les rapports conflictuels du poète avec ses complices Max et Blaise, montrent son rôle comme animateur de revues, analysent avec finesse les matériaux qui étaient donnés à lire à l’époque, tel le recueil des lettres à Madeleine Pagès, Tendre comme le souvenir (Bernadette Morand). Albert Fournier poursuit une entreprise savoureuse qui consiste à situer les écrivains dans leurs demeures et à faire entrer, en quelque sorte, la littérature par la promenade, qu’elle soit réelle ou imaginaire.

Mais ce qui, à mes yeux, fit date, et qu’on ne retrouvera plus guère dans la revue, ce fut la publication d’un travail d’équipe : celui que menaient Jean-Claude Chevalier, Simone Delesalle, Henri Meschonnic et leurs collègues à la faculté des Lettres de Lille. Car tel était leur lieu d’exercice. Je puis témoigner de leur réflexion collective, de leur souci d’employer un vocabulaire scientifiquement justifié, moi qui les ai souvent vus travailler dans la Flèche du Nord. Je ne devais pas tarder à descendre, eux à poursuivre leurs débats jusqu’à Lille. Le résultat revêt la forme d’articles autonomes mais interdépendants. C’était l’époque où la linguistique tendait à occuper tout le terrain des études littéraires. Elle s’avance ici à découvert, avec un sourire bienveillant, voire séducteur. Simone Delesalle en explorant tous les pouvoirs de la métaphore, Jean-Claude Chevalier en exposant une théorie, dont l’urgence se faisait sentir, du calembour créateur. Quant à Meschonnic, il lui revenait de tout dire, en raison d’une méthode qu’à l’époque j’aurais qualifiée de structuro-globale, ce qu’il m’aurait aussitôt refusé, afin d’y opposer sa conception du rythme comme totalité.

Un troisième groupe de contributions donnait sa couleur spéciale à la revue Europe, que l’on n’imagine pas renfermée sur son territoire. Apollinaire était ainsi vu de Prague, ou de Géorgie. Hubert Juin y relevait les traces de sa Wallonie natale, N.I. Balachov donnait une leçon sur les cosaques Zaporogues, enfin Michèle Loi y nommait la génération des jeunes poètes chinois tournés vers l’occident, et se référant explicitement à Apollinaire, au moment même où ladite « révolution culturelle » s’en prenait aux suppôts de l’étranger1.

***

La qualité exceptionnelle d’une telle livraison ne saurait faire oublier les cent-quatre-vingt autres articles mentionnant le poète d’Alcools durant toute la période considérée. Pour aller à l’essentiel, je ne mentionnerai que les textes le désignant par leur titre. Le DVD nous le permettant, nous mettrons de côté les notes de lecture pour analyser les articles de fond.

Signe indubitable de notoriété, trois poètes, appartenant à des générations différentes, lui consacrent chacun un poème. Ce sont, tour à tour, Anatol Stern2, ex-avant-gardiste polonais, qui prétendait avoir découvert la filiation napoléonienne du poète, évoquant en 17 chants la trajectoire du bon Guillaume, à la manière de « Zone » ; puis Walter Lowenfels3, poète américain, dont l’élégie (en anglais) avait été d’abord publiée en 1930 par Nancy Cunard chez Hours Press, sa petite maison rurale d’édition, traduite par Charles Dobzynski, lui-même poète fort attaché à la revue et partisan de l’adage baudelairien selon lequel le meilleur commentaire d’un texte est encore un poème.

Proches de ces hommages poétiques, viennent les évocations de son milieu, de sa vie quotidienne, avec le témoignage d’Henri Hertz4, récemment disparu, rappelant sa capacité à prendre le ton des gens rencontrés, son intérêt pour les Juifs, sa fantaisie comme journaliste, les aventures du Festin d’Ésope. Il concluait par son indéfectible foi en l’avenir. Piéton de Paris à sa manière, Albert Fournier5 rendait compte, au lendemain de sa mort (le 21 août 1967) d’une visite à Jacqueline Apollinaire, en décrivant ce qu’il nommait le musée Apollinaire, tout en répétant les assurances données par son neveu sur l’accès à la collection. Auparavant, un certain Laurent6 (qui ne donne que l’initiale de son prénom) rapportait sa participation à la réunion internationale de Stavelot, sa visite des lieux historiques où le jeune Apollinaire et son frère avaient vécu, sous la houlette de Pierre Adéma, et recensait la plupart des poèmes nés en cette Ardenne féconde.

Parmi les articles de fond, dirons-nous, apparaît d’abord, en prolongement de son important essai intitulé Plaisir poétique, plaisir musculaire, un curieux document convoqué par André Spire7. Il s’agit d’un texte fort circonstancié de George Sand protestant contre l’usage de la majuscule au début de chaque vers. Pour Spire, la disparition de ces majuscules est bien plus importante que celle de la ponctuation, initiée par Apollinaire sur les épreuves d’Alcools (récemment publiées par Tristan Tzara en 1953). Dix ans après, dans le volume consacré à l’année 1914, Roland Pierre8 commente la formidable création poétique d’Apollinaire pendant la guerre, et, bien évidemment, son exclamation « Ah Dieu ! que la guerre est jolie ». C’est qu’il pense à l’avenir, aux nouveaux domaines à explorer. Calligrammes désespère A. Breton, tandis qu’Aragon ne voulait y voir que l’ironie et la provocation indirecte. Et Couleur du temps, représentée après son décès, dit tout l’espoir qu’il place dans l’amour. C’est aussi à l’occasion d’un dossier consacré cette fois à Picasso que Michel Pierssens9 avance une opinion tranchée sur Apollinaire critique d’art. Il rappelle leur rencontre au Bateau Lavoir, renvoie une idée reçue selon laquelle Apollinaire aurait expliqué le cubisme. Poète, celui-ci donne une critique impressionniste, et il évolue vers le cubisme. Son commentaire, de plus en plus lyrique, n’explique pas mais accompagne l’élan créateur du peintre. Dans la dernière période analysée, l’érudition s’affiche en tant que telle. Quatre articles viennent ainsi éclairer le lecteur d’Europe. Le premier, d’un hispanisant, examine « Les Sources espagnoles d’Apollinaire dans Les Trois Don Juan »10, et montre chez Apollinaire une connaissance très fine de l’espagnol. Le second, dans l’ordre chronologique, met un point final à l’interrogation sur « L’Écriture cubiste d’Apollinaire »11. Le numéro entier étant consacré au cubisme littéraire, l’auteure recherche les affinités entre peinture cubiste et poésie d’avant-garde à travers les ouvrages qui se trouvaient dans sa bibliothèque. Elle fait ressortir la notion de « nécessité intérieure », employée par Kandinsky dans Du spirituel dans l’art, qui aura une belle fortune par la suite, chez Breton notamment. Mais surtout elle met en valeur l’influence d’un ouvrage de Gaston de Pawlowski, le Voyage au pays de la 4e dimension, qui ouvre sur une mise en cause de l’ordre de la lecture, favorisant l’apparition des Calligrammes. La même livraison nous donne un exemple de « Lecture du cubisme par deux poètes : Apollinaire et Reverdy »12. Les poètes ont su dire la théorie du cubisme mieux que les peintres et théoriciens. D’où une application en deux volets, opposant Apollinaire à Reverdy. Apollinaire met en évidence le « réel comme représentation » et le « travail-matière ». Enfin, dans le numéro consacré à Fernand Léger, Michel Décaudin insiste sur l’importance du second titre dans l’essai d’Apollinaire, Méditations esthétiques, où le poète distingue les peintres nouveaux, sous la bannière du cubisme13.

Chacun sait que la période considérée fut riche en republications des œuvres d’Apollinaire, et en publications d’inédits, ce dont les lecteurs sont le plus avides, notamment au sujet de ses lettres intimes, de ses carnets, et des œuvres dites licencieuses, qui lui permettaient de vivre honnêtement. Ce qui a donné lieu à une dizaine de recensions, dénommées notes de lecture dans la revue (ndl dans le DVD). On en relève dix entre 1948 et 2000, traitant de la publication d’œuvres d’Apollinaire lui-même.

La première est une brève notule, signée de Jacques Gaucheron, nouveau venu dans l’équipe d’Europe, dans les fourgons d’Aragon14. Il se réjouit d’une publication attendue depuis vingt ans, celle d’Ombre de mon amour (chez Pierre Cailler, Genève, 1948). Après tant d’exégèses savantes, il y trouve un bain de fraîcheur, ce qui ne résout d’ailleurs pas le mystère qui émane du poète, qu’il convient d’aimer en bloc, sous toutes ses formes, et surtout sans aucune censure. Il y a là un ensemble de matériaux qui invite à la poursuite des recherches, conclut-il.

La seconde, sous la plume d’Alain Guérin, salue la publication intégrale de Que faire ?, « excellent feuilleton » dit-il, d’autant plus qu’il est préfacé par Jean Marcenac, l’un des piliers de la revue d’après-guerre15. Couleur du temps : il considère que la poésie, ce qu’on nomme justement l’Esprit Nouveau, place désormais son espoir dans la science, et cite le fameux Lysenko, tant apprécié par Aragon pour ses théories génétiques, ce qui fit plonger Europe dans le stalinisme pour dix années, et lui colla une fâcheuse réputation ! Heureusement, Apollinaire ne devait pas faire les frais d’un tel sectarisme, comme le prouve le numéro spécial qui lui fut consacré en 1966, illustrant, par là-même, le nouveau cours d’Europe.

Auparavant, Marc Le Bot commente les Chroniques d’art publiées par L.-C. Breunig, souligne leur immense intérêt pour la connaissance du goût et de la société du temps, appelle à retoucher l’image du poète, son éclectisme, son rôle dans le développement de l’art contemporain, comment il se fait l’écho de ses amis16.

C’est à nouveau Jacques Gaucheron qui, dans la lignée de ce numéro, rend compte des Lettres à Lou, éditées et annotées par Michel Décaudin, qu’il salue en retraçant la genèse du volume résultant de « l’étrange intermède », pour reprendre l’expression du préfacier17. À ses yeux, poèmes et lettres sont inséparables, et la poésie s’éclaire de l’expérience sensuelle, laquelle réinvente l’amour, dans une âme et dans un corps. Comme on le voit, l’analyse est loin du vocabulaire marxiste. Gaucheron distingue deux versants dans cette correspondance : le premier, du 28 septembre 1914 jusqu’en mars 1915, c’est-à-dire jusqu’au moment où Apollinaire est au front. Le second où Lou devient invisible, où le poète projette un livre qu’il intitulerait « Correspondance avec l’ombre de mon amour ». Comme rien n’est simple, passe alors l’ombre mentale de Madeleine, qu’il rêve de former à sa main. Le commentateur souligne, pour finir, la révision des valeurs poétiques à laquelle l’ouvrage nous soumet.

Par la suite, les notes de lecture rendront compte de la correspondance d’Apollinaire. Une notule de Max Allau sur les lettres du poète à sa mère et à son frère relève le caractère bien connu de la mère, exigeante et toujours inquiète, en insistant sur la personnalité d’Albert, frère admiratif et généreux18. La note des Virmaux sur la correspondance du poète avec Picasso19 mentionne la curiosité croissante du public pour ce genre d’écrits intime, espérant percer un secret, et par conséquent toujours déçu. Ici, l’apport est incontestable, par les dessins dont Picasso parsème ses messages, par les poèmes qui viennent étayer ceux d’Apollinaire. Surtout, c’est la nature exigeante de cette amitié qui s’exprime, heureusement éclairée par les notes minutieuses de Pierre Caizergues, à l’évocation de toute une génération. Dans la même veine, la Correspondance Cocteau-Apollinaire, présentée par les mêmes érudits, est élogieusement signalée par Jean Pandolfi20. Il y voit revivre tout un pan de la vie artistique et littéraire de Noël 1916 au 5 novembre 1918.

Dans le même numéro, Jean-Paul Corsetti rend compte du Journal intime d’Apollinaire, publié par Michel Décaudin21. Brièvement, il en dit combien il reflétait les diverses facettes du poète, sa curiosité, son goût de l’étrange et du singulier. Il concluait : « Un livre singulier et divertissant et un fort bel objet bibliophilique. »

Il faut dire ici combien la recension d’une publication dans Europe est aléatoire, dépendant parfois d’un service de presse qui mésestime la revue, ou, inversement, d’une équipe fluctuante de recenseurs, ce qui, dans tous les cas, aboutit à des incohérences. Ainsi, on aurait pu penser que la nouvelle publication des Œuvres complètes dans la bibliothèque de la Pléiade devait susciter la publication d’un compte rendu à la parution de chacun des volumes. Ce ne fut pas le cas, ce qui ne signifie pas, au contraire, que l’auteur d’Alcools ait été méprisé. C’est donc le deuxième tome des Œuvres en prose qui suscite la réflexion de Max Alhau22. Il souligne le vœu d’unité chez le critique d’art Apollinaire, dont les Méditations esthétiques se concentrent sur cette formule : « J’aime l’art d’aujourd’hui parce que j’aime avant tout la lumière et tous les hommes aiment avant tout la lumière, ils ont inventé le feu. » Quant à la critique littéraire, Alhau en montre la triste évolution vers un certain patriotisme. Et de conclure sur la remarquable érudition des présentateurs, Décaudin et Caizergues. C’est le même Max Alhau qui, l’année suivante, rend compte du tome III des œuvres en prose23. Celui qui comblera le plus la curiosité du lecteur, tant avec les écrits anecdotiques que les érotiques (Les Diables amoureux), voire pornographiques (Les Exploits d’un jeune don Juan), de telle sorte que « la surprise du lecteur n’est jamais déçue ».

L’apollinarien exigeant voudrait sans doute qu’Europe signale ou rende compte, dans ses Notes de lecture, de tous les textes du poète, ou des ouvrages à lui consacrés. Il conviendra avec moi que dix signalements durant la période considérée, c’est loin d’être négligeable. D’autant plus qu’il faudrait y inclure deux notes sur des monographies. La première, en mars 1946, signale avec sympathie le petit livre d’André Rouveyre sur son ami, publié chez Gallimard24. Il n’en va pas de même avec la seconde, rendant compte de l’essai de Robert Couffignal dans la collection « Les Écrivains devant Dieu »25, que Jacques Gaucheron dénonce vigoureusement comme « un abominable petit livre », totalement faux, notamment dans son analyse de « Zone ».

***

L’image d’Apollinaire dans la revue Europe est loin d’être négligeable, tant quantitativement que qualitativement. Pour de multiples raisons, ne serait-ce que sa position au cœur des avant-gardes qui explosèrent après la Première Guerre mondiale, le poète d’Alcools et de Calligrammes devint, en quelque sorte, la pierre de touche de la poésie contemporaine, au-delà des articles qui lui furent explicitement consacrés. On se réfère constamment à lui, à propos de chaque écrivain de la génération qui lui succéda, tant pour dire la dette contractée à son égard, que la déférence dont elle témoigna. Ainsi dès la deuxième ligne de l’article que Georges Sadoul consacre à Paul Éluard (juil.-août 1953, p. 39) : il avait eu le défaut de mourir trop tôt… Il en est de même dans les dossiers consacrés à Tzara, à Breton, etc.

Certes, il n’apparait pas une « École Apollinaire », du moins pas dans cette revue. Encore que, par sa seule présence au Comité, Aragon ait pu en rappeler la figure tutélaire, nul n’a cherché à l’attirer vers soi. Au contraire, il semble que, pour échapper à cette tentation, les directeurs successifs aient délibérément donné la parole aux universitaires, aux chercheurs, aux meilleurs connaisseurs du poète, en évitant toute polémique, toute agressivité, et, inversement, toute sanctification.

À cet égard, il serait intéressant de connaître, de la même façon, et durant la même période, l’attitude du Mercure de France, qui publia le premier « La Chanson du Mal-Aimé », aussi bien que de La Nouvelle Revue Française. Reste que nul n’était mieux placé pour enchanter la revue Europe, que le poète qui, dans Calligrammes, annonçait les « Sons de cloches à travers l’Europe ».

Henri BÉHAR

1 En voici la référence : Brett Vladimir, « M. de Kostrowitzky à Prague », 273/ Juin Hubert, « Apollinaire et la Wallonie », 276/ Balachov N.I., « Apollinaire et les Zaporogues », 281/ Boitchidzé Gaston, « Apollinaire en Géorgie », 283/ Loi Michelle, « Apollinaire en Chine », 285

2 « La Maison d’Apollinaire », janv. 1970, p. 196.

3 « Apollinaire, une élégie », juin-juil. 1977, p. 143-148.

4 « Guillaume Apollinaire », janv. 1970, p. 132.

5 « Jacqueline Apollinaire », nov. 1967, p. 213

6 « Guillaume Apollinaire en Ardenne », nov. 1950, p. 111.

7 « George Sand précurseur d’Apollinaire », juin-juil. 1954, p. 22.

8 « Guillaume Apollinaire et l’avenir », mai-juin 1964, p. 155.

9 « Apollinaire, Picasso et la mort de la poésie », avril-mai 1970, p. 178.

10 Sanchis-Banus José, sept. 1976, p. 161.

11 Claude Debon, juin-juil. 1982, p. 118-126.

12 Denis Milhau, juin-juil. 1982, p. 44.

13 Michel Décaudin, « Léger, Apollinaire et les Futuristes », juin-juil. 1997, p. 97.

14 Jacques Gaucheron, « Apollinaire Guillaume, Ombre de mon amour, Genève, Pierre Cailler », 04/1948 p. 123.

15 Alain Guérin, « Guillaume Apolinaire : Que faire ? », 02/1951 p. 99.

16 « Guillaume Apollinaire critique d’art », fév.-mars 1962, p. 254.

17 Jacques Gaucheron’ « Apolinaire, Lettres à Lou », 06/1970 p. 268.

18 Max Alhau, « Apollinaire Guillaume : Correspondance avec son frère et sa mère », 06-07/1988 p. 220.

19 Alain et Odette Virmaux, « Picasso, Apollinaire : Correspondance », 06-07/1993 p. 217

20 Jean Pandolfi Ndl : Caizergues Pierre, Décaudin Michel : Correspondance Cocteau-Apollinaire, mars 1992, p. 215.

21 Jean-Paul Corsetti, « Apollinaire Guillaume : Journal intime », 03/1992 p. 214.

22 Max Alhau, « Apollinaire Guillaume : Œuvres complètes en prose, tome II (Pléiade, Gallimard) », 03/1992 p. 213.

23 Max Alhau, « Apollinaire : Œuvres complètes en prose, tome III (Pléiade, Gallimard) », 08-09/1993 p.  212.

24 Apollinaire. André Rouveyre 03/1946 p. 119.

25 Apollinaire. Robert Couffignal 12/1967 p. 310.

« 2016. Le triomphe de Dada », Europe, n° 1041-1042, janv.-fév. 2016, p. 346-47.

Texte publié dans la section « Correspondance » de la revue :

2016 : le triomphe de Dada

Aujourd’hui, les médias ne bruissent que de l’édition prochaine, annoncée par les éditions Fayard, de Mein Kampf [Mon combat], tombant dans le domaine public cette année.

Faut-il, en cette période de régression mentale caractérisée, redonner la parole au plus criminel des hommes ?

Les uns protestent, au nom de milliers de morts.

Les autres, dont je suis, pensent, comme Apollinaire, qu’il faut tout publier.

Publier, oui. Mais pour quels lecteurs ? Les esprits adultes, sachant reconnaître la performativité d’un texte, ont le droit de connaître la bibliothèque de base du nazisme. Faut-il pour autant en écarter les autres ?

À cet égard, je me souviens des difficultés que je rencontrai lorsque, préparant cette anthologie critique sur Dada, qui finirait par être publiée, avec la collaboration de Michel Carassou, sous le titre Dada, histoire d’une subversion (Fayard, 1990, 2005). Sachant qu’Hitler avait annoncé qu’il ferait sa fête à Dada dès son arrivée au pouvoir, il me fallait trouver le passage exact de Mein Kampf où cette menace était consignée.

La bibliothèque la plus proche, pour moi, était alors celle de la Sorbonne. Je n’avais qu’un étage à monter pour me procurer cet ouvrage maudit. S’il y avait bien une fiche à cet auteur et à ce titre dans la salle de bibliographie, l’ouvrage, ou plus exactement, sa traduction française, ne se trouvait pas sur les rayons, auxquels j’avais un droit d’accès direct, comme tous les professeurs titulaires.

Je m’en ouvris au directeur de cet établissement interuniversitaire, et lui demandai d’éclairer ma lanterne sur cette disparition matérielle. Ne fermait-on pas régulièrement les salles pour raison d’inventaire, à la recherche des ouvrages non restitués, disparus, mais pas pour tout le monde ? Et quand bien même un lecteur indélicat se serait approprié le volume, n’avait-on pas le moyen de le remplacer ?

Ce cher directeur m’expliqua alors qu’à la Libération, un comité d’épuration s’était constitué de lui-même pour mettre un certain nombre de titres à l’abri des lecteurs. L’Enfer politique, quoi.

Fort de mes convictions rationnelles, je lui demandai de combler le vide. Ce qu’il fit aussitôt, me prévenant dès l’arrivée de l’ouvrage, muni d’un papillon qui, conformément à la loi, mettait le lecteur en garde contre les effets morbides d’une telle lecture.

Voici le passage que j’en tirai concernant Dada :

« Si le jugement sur Dada porté par Camus traduit une com­préhension qui ne peut manquer de surprendre, celui d’Adolf Hitler en revanche, en parfaite conformité avec ses convictions intimes, traduit la menace que Dada faisait peser sur la culture : ‘’Mais un tel développement [de l’épidémie dadaïste] de­vait finir un jour ; en effet, le jour où cette forme d’art correspondrait vraiment à la conception générale, l’un des bouleversements les plus lourds de conséquences se serait produit dans l’histoire de l’humanité. Le développement à l’envers du cerveau humain aurait ainsi commencé… mais on tremble à la pensée de la manière dont cela pourrait finir » (Adolf Hitler : Mon combat (1924), Nouvelles Editions Latines, 1984, p. 258). Hitler l’avait compris, Dada entendait bien provoquer « un effondrement culturel ». Prétendant défendre la culture, lui-même devait provoquer un tout autre effondrement qui donnerait encore raison à Dada. Pour défendre les valeurs d’une « culture » et des intérêts particuliers, le dictateur allait causer la mort de millions d’hommes. A l’inverse, Dada s’attaquait à ces valeurs et à ces intérêts au nom de la vie, d’une vie qui serait pleinement vécue par tous les hommes. » (p. 42)

Aujourd’hui, Dada a clairement triomphé sur son adversaire nazi. Le centenaire de sa naissance à Zurich devrait marquer cette victoire, par des cérémonies publiques à la hauteur de l’événement.

En sera-t-il toujours de même ?

Si, en 1979, un jugement de la Cour d’appel enjoignait aux Nouvelles Éditions Latines de publier la seule traduction autorisée de Mein Kampf munie d’un avertissement, le fait que l’original entre dans le domaine public au 1er janvier 2016 entraîne que n’importe qui pourra l’éditer comme il le voudra, de le faire retraduire, et de le proposer à la vente sans aucun avertissement. D’autant qu’il ne peut être visé par la loi sur la liberté de la presse, ni par son complément dit Loi Gayssot (qui ne porte que sur la contestation des crimes nazis).

Une seule observation, mais de taille : les libraires interrogés nous disent tous que la mise en vente d’une traduction française ne serait pas une bonne affaire commerciale.

Je le répète : seules des raisons intellectuelles justifient la mise à disposition des lecteurs de cet ouvrage infâme. Mieux vaut qu’il soit accompagné d’un important appareil critique, rédigé par les meilleurs historiens, comme l’annoncent les éditions Fayard.

Reste, hélas, que nul éditeur n’est maître de la qualité de la lecture, ni des égarements ou détournements auxquels elle peut conduire. Heureusement, les lois françaises ne sont pas seulement faites pour la protection des animaux.

Henri BÉHAR
19 octobre 2015