« Tristan Tzara historiographe de Dada », Mélusine, n° XI, 1990, pp. 29-40.

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Texte reproduit dans : Henri Béhar, Histoire des faits littéraires, Paris, Classiques Garnier, 2022, pp. 87-99.

Prolongements :

Voir la thèse de Cécile Bargues, Dada après Dada (années 1930-1940) :Cécile Bargues

Résumé

Pour Jean Arp, Kurt Schwitters ou encore Raoul Hausmann, le propre de Dada serait de se survivre en changeant sans cesse de visage. Cette thèse retrace ce qu’il advient du mouvement dans les années 1930 et 1940. Elle s’attache d’abord à montrer son caractère de transformation permanente en s’appuyant sur les œuvres des dadaïstes se considérant toujours comme tels, ce qui est particulièrement le cas de Raoul Hausmann. Dans un deuxième temps, une étude historiographique, et une analyse des expositions, tant en France qu’aux États-Unis, viennent préciser les rapports de Dada avec le champ de l’histoire de l’art. Son rejet (en France) et son intégration progressive (aux États-Unis) agissent comme un révélateur des présupposés de la discipline. Par un effet miroir, Dada vient servir un questionnement sur les thèmes constitutifs du discours des historiens de l’art de la période étudiée, qu’il s’agisse du nationalisme, ou du modernisme. Ces deux approches sont imbriquées l’une dans l’autre, les dadaïstes assistant, et participant, à l’historicisation du mouvement.

Voir aussi : Agathe Mareuge & Sandro Zanetti, Retour de Dada (après 1945), Dijon,Les presses du réel, 2022, 764 p.

et le commentaire ci-dessous, à propos de Raoul Hausmann :

« Ainsi une Histoire de DADA est permise… »L’historiographie paradoxale des dadaïstes vieillissants, entre production de savoir(s) et mystification persistante Dada soluble dans l’historiographie ?Une Histoire de DADA dévoile le caractère de toute Histoire. L’Histoire n’est que la pseudologie qu’un individu se fait de la réalité, rien qu’un mauvais reflet de l’objectivité complexe, dans un mauvais matériau. Ainsi une Histoire de DADA est permise. Elle ne se présente pas plus mal que beaucoup d’œuvres d’hommes célèbres, et il se pourrait qu’à cette occasion elle dévoile une véritable partie de l’histoire. Pas l’histoire des héros, des rois et des dictateurs, mais seulement un côté de notre dégoût devant la stupidité, de notre dégoût de la civilisation, du cacacosmosorganisé. Car ce n’était pas nous qui avions ‘fait’ dada, DADA était une nécessité.1 C’est sur ces lignes que s’ouvre l’ouvrage Courrier Dada de Raoul Hausmann paru en 1958, dans lequel le « dadasophe » se livre à une reconstruction complexe de ce que fut Dada, particulièrement Dada Berlin, dont il fut l’un des acteurs principaux aux côtés de Baader, Heartfield et Herzfelde, Grosz, Höch ou Huelsenbeck. Un dadaïste historiographe ? Sur quoi se fonderait donc sa légitimité à écrire une histoire de Dada ? Premièrement, selon Hausmann, toute histoire (à comprendre dans le sens de toute écriture de l’histoire, toute historiographie) est nécessairement subjective : l’Histoire objective n’existe pas – alors pourquoi les dadaïstes n’écriraient-ils pas leur propre récit ? Deuxièmement, Dada n’était pas une affaire privée qui aurait concerné quelques artistes et poètes  ; il en va du rapport au monde, plus précisément d’un dégoût à l’égard de la civilisation occidentale, qui a fait de Dada une nécessité, au point que ses acteurs n’ont été, semble-t-il, que contingents  : à travers eux, par eux s’est fait un moment de l’histoire occidentale, une histoire qui n’est pas l’histoire politique, diplomatique, celle des grands.

1. Raoul Hausmann, Courrier Dada, Paris 1958, 13. Une version abrégée de l’original allemand Kurier Dada a paru à titre posthume  : Raoul Hausmann, Am Anfang war Dada, Steinbach et Gießen 1992 (1972).https://doi.org/10.1515/9783110569230-023