Tombeau pour Tom Gutt

Tombeau pour Tom Gutt*, indomptable, indompté 

par Alain Delaunois

https://le-carnet-et-les-instants.net/2022/12/16/wallenborn-avec-tom-gutt/

Jean WALLENBORNAvec Tom Gutt. Souvenirs et choix de textes, Samsa, 2022, 260 p., 22 €, ISBN : 978-2-87593-384-3

wallenborn avec tom guttDans la vie professionnelle, Jean Wallenborn est essentiellement connu comme professeur et chercheur en sciences physique à l’ULB, où il a effectué lui-même ses études. Dans une vie parallèle, il a participé de manière essentielle, dès 1960-61, aux manifestations d’un petit cercle d’activistes surréalistes, regroupé autour du poète, écrivain, éditeur, avocat et polémiste bruxellois Tom Gutt (1941-2002). De ce petit noyau remuant et virulent, notamment par ses tracts, Louis Scutenaire disait : « Son gang et lui (Tom Gutt), c’est de très loin ce qu’il y a de meilleur dans le sillage du bateau surréaliste ». Wallenborn était déjà l’auteur, en 2016, d’une monographie qui révélait véritablement le parcours d’un peintre surréaliste anversois trop peu connu : Roger Van de Wouwer, l’incorruptible.

Jean Wallenborn récidive aujourd’hui, vingt ans après le décès de celui qui fut dès l’adolescence son ami, en publiant Avec Tom Gutt. Un ensemble de souvenirs sur le jeune étudiant mystificateur devenu un poète surréaliste engagé, accompagné d’un très bon choix de poèmes et de textes qu’on ne trouve guère dans les librairies. Tom Gutt, s’il a en effet beaucoup écrit et édité – très tôt, au sortir de l’adolescence, à l’entame de ses études de droit à l’ULB – n’a volontairement diffusé ses textes que de manière confidentielle, dans le cercle restreint de ce noyau amical, et parfois conflictuel, qu’il avait agrégé autour de lui ou dans ses parages.

L’ouvrage de Wallenborn est à cet égard remarquable par ce qu’il donne à lire – comme pour Van de Wouwer en peinture –, de l’activité poétique de Gutt : fourmillante, happant le réel, échappant au romantisme mou, mais surréaliste jusqu’à la chair du corps-blason féminin, toujours sensuel. Wallenborn propose ainsi au lecteur des suites de textes, plutôt qu’un poème d’ici ou de là. Osons cependant relever celui-ci :

Là où les saisons ne se risquent guère
charge tes mains de lilas
va comme une aube qu’on fend
(dans une rumeur de branches qui pourrissent)
comme une aube qui se retourne  [dans La désertion permanente, 1973]

et presque trois décennies plus tard :

La chanson prisonnière des lèvres
le début d’un mot sans suite
un regard long comme le souvenir
et lourd
tu lui porteras cela comme un bouquet d’herbe
elle ne te reconnaitra jamais
l’heure tombait    [dans L’avenir du charbon, 2001]

Tom Gutt poète, lecteur de Nougé autant que de Breton, acteur principal du film-pamphlet L’imitation du cinéma de Marcel Mariën, devenu l’intime fidèle du couple Scutenaire-Hamoir, est encore le fondateur des éditions Après Dieu (1961), des revues Vendonah (1963), Une passerelle en papier (1967), Le vocatif (1972-1992), et, dans les années 1990, La vie dure (avec Wallenborn) ou encore L’écho du Var et de l’Aveyron réunis (avec Gilles Brenta et Christine Wendelen). Avec son épouse, l’illustratrice et créatrice d’objets Claudine Jamagne, Gutt fut également l’animateur de la galerie La marée, sise au rez-de-chaussée d’une ancienne poissonnerie de Watermael-Boitsfort. Durant plus de deux décennies, il y accueillit (en signant de multiples préfaces toujours fines, subtilement en retrait mais d’un enthousiasme sans faille) des artistes surréalistes ou proches, Robert Willems, Armand Simon, Max Servais, Colette Deblé, Rachel Baes, Claude Galand, Adrien Dax, André Stas, Van de Wouwer ou encore Brenta.

Gutt écrivain réussit également la délectable prouesse de donner une suite et fin aux aventure du Comte de Monte-Cristo, Cette mémoire du cœur, ouvrage publié sous le pseudonyme (dédaigneux à son égard) de Thomas Rien, constitué en partie de collages d’autres auteurs (tel Scutenaire dans Les jours dangereux, les nuits noires) qui reçut, en 1988, le prix triennal du roman de la Communauté française. Et on ne saurait passer sous silence qu’il est à l’origine, avec l’aide logistique du galeriste Isy Brachot, de la publication de trois volumes de Mes inscriptions et du recueil de poèmes La citerne de Louis Scutenaire, ainsi que ceux d’Irène Hamoir.

Wallenborn ne s’épanche pas démesurément sur l’homme lui-même, ses amitiés et ses inimitiés, aussi fidèles et inflexibles les unes que les autres. Il évoque pudiquement une insurpassable cicatrice de l’enfance, des parents tragiquement disparus. Souligne le talent de rassembleur de celui qui, comme Mariën, s’évertua à mieux faire connaître les différentes générations du surréalisme en Belgique. N’élude pas non plus le caractère entier, blessant, agressif voire injurieux de Gutt, à l’égard de ceux qui n’adoptaient pas sa rigueur, sa révolte contre l’injustice, ou ceux qui l’avaient déçu. Mais rappelle combien Gutt pouvait pratiquer avec générosité au quotidien « cette mémoire du cœur », à laquelle Wallenborn, par ce salut fraternel et sans fard, contribue lui aussi, en toute fidélité.

Alain Delaunois

*Tom Gutt, chef de file jusqu’à son décès il y a vingt ans, en 2002, de la dernière génération active du surréalisme en Belgique. Ecrivain, polémiste et surtout poète méconnu.

Marie-Christine Brière: Hurlevent. Une anthologie autour de Cordes…

Marie-Christine BRIÈRE : HURLEVENT. Une anthologie autour de Cordes, du surréalisme et du féminisme.

Postface de Christophe Dauphin. Collection « Pour une Terre interdite », dirigée par Paul Sanda et imprimée par Rafael de Surtis. Cordes-sur-Ciel. 2022.

Par Françoise PY

80 pages. Avec six photos couleur originales de Ludwig Raynal prises à Cordes ou dans les environs de Cordes, deux photos noir et blanc des archives de l’auteure et la reproduction d’une aquarelle de sa main.

Ce recueil de poèmes — allant de 1965 à 2017 — choisis par Françoise Armengaud parmi les ouvrages publiés de Marie-Christine Brière (1941-2017) et parmi ses archives doit son titre à la maison familiale de Hurlevent à Cordes. Maison de vacances aimée qu’il a fallu quitter. Dans un poème intitulé « Ne vendez pas la maison », la poète écrivait :

Adieu la maison familiale, les étoiles qui risquent
leurs pointes sur le puech bourré d’aluminium
d’où les corneilles en colonies échappent des pruniers.
Mettez du sel pour les conteurs surgis des deux rives […]
Mettez du sel, il nous faudra traverser les Ténèbres.

On comprend que Jean Breton ait affirmé naguère que la poésie de Marie-Christine Brière « est un mélange de réalisme autobiographique, baroque et de surréalisme par l’image déferlante, dépaysante, à bout portant ». Citons encore à ce titre un poème extrait du Romancero contraire, publication posthume dans l’ouvrage Du rouge à peine aux âmes, consacré par Françoise Armengaud à la poésie de Marie-Christine Brière chez qui Christophe Dauphin décèle un remarquable don d’observation des annonces du réel, « que la poétesse sait élever au Merveilleux, dans la magie des jours heureux ordinaires ». Ainsi dans l’une des plus belles strophes de ce très long poème Romancero contraire :

C’était parfois les cinq heures les cinq doigts
de la main royale du midi occitan
les cinq châteaux de lumière en sandales
toucher c’est comme dire
dire c’est toucher des cinq doigts
et parler découvre, défait la pudeur
infuse du désir, a le goût du corps spirituel.

Françoise Py . Janvier 2023