En mémoire de Marie Wilson-Valaoritis

De Ioanna Papaspyridou

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« Une minute de silence surréaliste » : c’est ainsi qu’un journal grec intitulait son article consacré à Marie Wilson-Valaoritis qui s’est éteinte le 17 octobre 2017 à Athènes à l’âge de 95 ans. Une vie consacrée à l’art, une vie et une œuvre que peu de gens connaissent actuellement, même les Grecs, même les habitants de Kolonaki, quartier coquet de la capitale athénienne où avait résidé depuis plus de vingt ans Marie Wilson, épouse du grand écrivain surréaliste grec, peut-être le dernier survivant de ce mouvement, Nanos Valaoritis.
Cette grande dame du surréalisme est née le 4 août 1922 à Cedarville, ville californienne. Son grand-père était pasteur et sa grand-mère l’épouse délicate d’un prêtre qui collectionnait des objets indiens, fabriqués à la main . Marie a fait ses études au Collège de Sacramento en se spécialisant dans l’art, puis a obtenu une bourse pour poursuivre ses études au Collège Mills pendant les années 1942 – 1944. C’est là qu’elle a obtenu une licence en Beaux-arts. Après la fin de ce cycle d’études, elle a déménagé à Los Angeles où résidait la sœur de son grand-père et y a travaillé dans une usine de fabrication d’armes.
Peu après, elle a obtenu une nouvelle bourse, pourtant donnée à condition qu’elle travaille en tant qu’enseignante au Collège Mills, alors qu’elle poursuivait parallèlement ses études à l’Université Berkeley en Californie. Elle a aussi travaillé en tant qu’enseignante d’art au gymnase de Sacramento pendant deux ans, puis a donné des cours à des étudiants d’universités périphériques au musée d’Oackland.

Jusqu’à cette époque-là, sa formation en peinture (ou, si l’on veut, aux Beaux-arts en général) ne peut être caractérisée que comme conventionnelle. Or, tout va changer pour elle, quand elle rencontrera Jean Varda, qui deviendra son mécène. Grec expatrié, aventurier, Varda avait travaillé à Paris avec des artistes tels que Georges Braque et Joan Miro. Alors que les artistes de l’époque – qui rompaient avec les formes et la symétrie – ne savaient pas comment enseigner (ils montraient juste leurs tableaux et disaient « fais-le comme ça »), Varda possédait tout le bagage artistique et lui a inculqué les principes de l’art moderne.

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Marcel Lecomte, surréaliste appliqué dans la discrétion

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Une exposition et une publication rappellent à Bruxelles le souvenir de Marcel Lecomte, acteur discret du surréalisme en Belgique, écrivain, poète, critique d’art, auteur notamment de L’Homme au complet gris clair et de Le Carnet et les Instants

Alain Delaunois 

La place de Marcel Lecomte (1900-1966) au sein du surréalisme en Belgique et d’autres mouvements d’avant-garde, est l’une des plus particulières qui soit : à 18 ans, il fréquente déjà le poète et graveur dadaïste belge Clément Pansaers, auteur du Pan-Pan au Cul du Nu Nègre. Un peu plus tard, par son entremise, Lecomte publie un premier recueil chez Paul Neuhuys à Anvers. Puis se retrouve, avec Paul Nougé et Camille Goemans, l’un des trois signataires des tracts de Correspondance (1924-1925), avant d’en être éjecté sèchement, car trop enclin à faire œuvre littéraire aux yeux de Nougé. Dès 1922, Lecomte a rencontré René Magritte, qui illustre son recueil Applications en 1925, et que Lecomte accompagnera, malgré une période de brouille, dans tout son parcours de peintre et d’éditeur de revues. Préoccupé de taoïsme et de pensée chinoise, pétri de spiritualité et d’occultisme, tout comme des différentes tendances de l’art moderne, l’écrivain (Nougé ne s’était pas trompé) s’est également approché des œuvres de Léon Spilliaert, René Guiette, Henri Michaux, Rachel Baes ou Jane Graverol. Il est encore tout juste là pour repérer le devenir d’un certain Marcel Broodthaers. Il a donné quantité d’articles et de chroniques sur la littérature et les arts dans un nombre impressionnant de publications belges – outre une série d’articles de politique internationale, avant-guerre dans Le Rouge et le Noir, et après-guerre, au quotidien populaire La Lanterne, davantage faut-il dire, pour des raisons alimentaires que pour ses compétences d’analyste politique. Et l’on pourrait poursuivre, en soulignant qu’il était dès les années 1930 suffisamment proche de Jean Paulhan pour que ce dernier le publie dans la N.R.F., et préface encore en 1964 son livre de récits Le Carnet et les Instants

En dépit d’un titre qui semble plus racoleur que nécessaire (Les alcôves du surréalisme…), l’exposition consacrée à Marcel Lecomte par les Musées royaux des Beaux-Arts, à Bruxelles, réussit à situer assez justement, par le recours à des chapitres groupant œuvres et documents, le parcours tout en réseaux multiples de cet homme aussi méconnu qu’atypique. Figure discrète au sein du surréalisme belge, qu’il ne parvint jamais tout à fait à quitter et dont il évite les polémiques, Lecomte fut souvent remarqué (et moqué) pour son physique ingrat, et pour son verbe d’une lenteur toute cérémonielle. L’écrivain surréaliste Irène Hamoir (et compagne de Louis Scutenaire), dans l’une de ses nouvelles de La Cuve infernale, l’a à peine transformé, sous le personnage de Marcel Marquisat, « qui portait droit la tête, le regard hautain, le regard papal, dominant le groupe ou l’individu ». Lecomte est également au centre d’une célèbre peinture « pétrifiée » de Magritte, Souvenir de voyage (1955), que l’on peut voir aujourd’hui au Moma de New York. L’exposition propose de nombreuses archives intéressantes, et pêchées à bonne source puisque l’auteur de L’Accent du secret termina sa vie comme lecteur-rédacteur de fiches et notices au département des archives des Musées royaux des Beaux-Arts. Une fonction qui convenait bien à cet inlassable curieux, un lettré à l’ancienne plongé dans le bain de la modernité, soucieux de dénicher en toute œuvre, plastique ou poétique, le caractère de sa « spectralité ».

La publication qui entoure cette exposition ajoute, elle aussi, de l’intérêt au projet. Concocté par Philippe Dewolf, chercheur minutieux à qui l’on doit déjà la redécouverte des chroniques littéraires et artistiques de Lecomte (chez Labor, Les Voies de la littérature, en1988 et Le Regard des choses, en 1992), ce livre-catalogue est enrichi d’une belle iconographie, ainsi que d’une série de textes de Lecomte, et de lettres, pour certaines inédites, adressées par Magritte à Lecomte, de 1923 à 1966. Au gré des pages, l’on croise de nombreux complices, plus ou moins proches de Lecomte selon les périodes, de l’aventure surréaliste en Belgique : Magritte évidemment, Louis Scutenaire, Irène Hamoir, Paul Colinet, le photographe Georges Thiry. Mais Lecomte est décidément homme à chercher la synthèse des éléments, parfois même diamétralement opposés (ainsi collabore-t-il au Journal des Poètes de P.-L. Flouquet, honni par Mariën et Magritte). Paul Aron, dans un texte consacré à l’unique numéro de la revue Réponse (1945), souligne pour sa part comment Lecomte avait réussi à constituer, dans sa quête d’une « expérience magique » de l’écriture, un recueil de contributions disparates, animées par ce que Lecomte nommait « une critique interne élaborée ». « Au-delà de toutes les contradictions, écrit Paul Aron, jetant des ponts entre Bruxelles et Paris, entre le mysticisme chrétien et le merveilleux laïc du surréalisme, seul Marcel Lecomte pouvait organiser leur improbable rencontre. »

 

Marcel Lecomte. Les alcôves du surréalisme. Textes de Paul Aron et Philippe Dewolf, lettres de René Magritte, préface de Michel Draguet. Cahier n° 22 des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 144 p., 20 euros.

Exposition jusqu’au 18 février 2018 aux Musées royaux des Beaux-Arts, rue de la Régence, 3, 1000 Bruxelles.