Bachelard et le surréalisme (Lautréamont, Flocon, Paz)

Bachelard et le surréalisme
(Lautréamont, Flocon, Paz)

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Par Valeria Chiore

Quand, en 1953, Gaston Bachelard fait la connaissance de Jean-Clarence Lambert, le philosophe est un homme âgé de 69 ans, tandis que le poète n’en a que 23. Pourtant, l’étincelle éclate entre eux et, comme il arrive souvent, ils s’estiment l’un l’autre.

Bachelard donne sans doute au jeune poète une légitimation philosophique, mais Jean-Clarence Lambert offre à notre philosophe un monde à part entière : le monde de la poésie, du songe, du surréel, auquel Bachelard avait été initié, à partir des années Trente, par Roger Caillois, qu’il avait connu en 1934 à Prague, à l’occasion du VIIIe Congrès International de Philosophie (ce n’est pas par hasard que Bachelard soit initié toujours au surréalisme par les jeunes… !), et qui lui avait inspiré la composition de Lautréamont (1939), jusqu’aux dernières poétiques composées à cheval des Années Soixante (Poétique de l’espace, 1957 ; Poétique de la rêverie, 1960 ; La Flamme d’une chandelle, 1961 ; Fragments d’une Poétique du Feu, 1988), lui inspirées justement par Jean-Clarence Lambert, avec qui il avait entretenu un épistolaire émouvant, de 1953 jusqu’à sa mort (le 16 octobre 1962), en passant par une articulation importante : la collaboration avec Albert Flocon, le graveur proche du surréalisme, avec qui il avait réalisé Paysages (1950), une œuvre singulière et magnifique.

Procédons alors avec ordre, suivant tout d’abord, la première approche de Bachelard au surréalisme, à partir de la fin des années Trente, comme elle s’est développée à travers le Lautréamont (1939)[1], à lui suggérée par le jeune Caillois, une œuvre unique dans le panorama poétique bachelardien ; ensuite, dans les années Cinquante, Paysages (1950)[2], l’œuvre composée à quatre mains avec Flocon, graveur proche du surréalisme ; enfin, l’admiration pour le poète mexicain Octavio Paz, référence parcourant les Poétiques de la vieillesse. Il y avait été initié, comme dans le cas de Lautréamont, par un autre jeune, Jean-Clarence Lambert, qui entretint avec le philosophe une correspondance (1953-1961), véritable échange de songes et de poésie, que nous avons eu l’honneur et le plaisir de traduire et d’éditer en italien en 2013[3].

Un graveur (Flocon), deux poètes (Lautréamont, Paz, tous deux d’Amérique Latine…), deux jeunes esprits géniaux (Roger Caillois et Jean-Clarence Lambert), qui séduisent Bachelard, le projetant vers un horizon particulier, surréaliste, proche du surréalisme, aux marges du surréalisme, que Bachelard, philosophe éminemment « romantique[4] », traversera d’une façon passionnée et séduisante[5].

  1. Lautréamont

 Les Chants de Maldoror d’Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont[6], analysés par Bachelard dans son Lautréamont (1939) mais aussi dans d’autres œuvres, sont exemplifiés, par Bachelard, à travers la définition psychanalytique du « Complexe de Lautréamont », qui pose son sceau sur le bestiaire qui caractérise, avec toute sa violence, cruauté, agression, « le cruel blason du Comte de Lautréamont[7] ».

C’est le cas de l’ample éventail des animaux, classés par Bachelard avec une habileté minutieuse, de leurs « organes offensifs », de leurs « moyens d’agression animale[8] », ou « schème dynamique[9] », qui définissent l’animalisme[10] de Lautréamont, sa phénoménologie animalisante [11] (voir, par exemple, la dent et la corne, la défense, la patte, la ventouse, le dard, le venin ; ou, encore, la mâchoire, le bec ; ou, enfin, la griffe et la ventouse), correspondant – selon Bachelard – « au double appel de la chair et du sang[12] », qui envahit ses « royaumes de la colère[13] ».

En somme, pas simplement les animaux, mais surtout leurs organes et leurs modalités d’action – et d’agression – définissent le cruel blason du bestiaire de Lautréamont.

Et pourtant, le sens le plus profond d’Isidore Ducasse, selon Bachelard, ne se borne pas à cette liste d’animaux et d’organes. Ce qui fait du bestiaire de Ducasse le cruel blason du Comte de Lautréamont n’est pas une chose, ou un ensemble presque infini de choses, mais plutôt une modalité précise de fonctionnement des choses : leur changement continu et épouvantable, leur fusion, leur mutation : ce qui produit enfin un dispositif de métamorphose – continu, infini, effroyable.

« Bien entendu, entre les espèces, il y a des contaminations. Ainsi le poulpe prend des ailes et les poulpes ailés ressemblent de loin à des corbeaux […] Inversement, dans l’énorme combat de l’aigle et du dragon, l’aigle, collé au dragon “par tous ses membres, comme une sangsue, enfonce de plus en plus son bec […] jusqu’à la racine du cou dans le ventre du dragon” » – cite Bachelard, en soulignant la métamorphose continue – des animaux, des organes, des gestes et des mouvements ou actions – qui promeut, valorise, agrandit, comme dans un somptueux cauchemar, la cruauté. Et il commente : « Ces interférences des actions de la griffe et de la ventouse montrent bien, croyons-nous, que la volonté d’agression garde en éveil toutes ses puissances et qu’on mutilerait le lautréamontisme si l’on polarisait sa violence dans une voie unique »[14].

La métamorphose, typique de Lautréamont ainsi que des bestiaires médiévaux et de toute mythologie ou tératologie classique[15], représente, selon Bachelard, le sens le plus profond du lautréamontisme. Un dispositif psychologique, artistique, littéraire, esthétique et donc, si vous voulez, philosophique, qui distingue Lautréamont par respect à d’autres génies de la cruauté : de Sade à Casanova, de Kafka aux poètes latins[16]. Hybridation, variation, contamination, la métamorphose s’impose dans Lautréamont tel dispositif théorique fondamental, pas seulement de Ducasse, mais du surréalisme à part entière, que le Comte de Lautréamont précède et prépare (relief témoigné, entre autres, par l’intérêt suscité par Lautréamont chez les surréalistes, à partir des peintres qui, nombreux – à partir de Magritte de l’Édition La Boétie des Chants de 1948[17] – illustreront ses personnages et ses histoires).

Un dispositif métamorphosant, dynamique, variationnel, qui, véritable tropologie (du grec tropo/trepo, varier, se transformer), soutient deux principes qui seront fondamentaux dans la poétique bachelardienne : l’imagination et la rêverie.

Je me réfère à la faculté de l’imagination conçue par Bachelard comme pouvoir non simplement de former les images, mais plutôt de les dé-former ; je me réfère au pouvoir métamorphosant du rêve et surtout de la rêverie qui se pose, chez Bachelard comme chez Lautréamont, origine, variation, création, soulignant toute sa portée ontologique, variationnelle, poïétique, dans une gemmation infinie qui, « langage en fleur »[18], transforme, renouvelle et crée des images de plus en plus différentes.

L’imagination, tout d’abord, sur laquelle Bachelard insiste dans la Conclusion à son Lautréamont, soulignant « la ligne de force de l’imagination[19] » représentée par Isidore Ducasse. Une ligne qui exalte l’imagination « créatrice » et « vitale »[20], selon une filiation qui va de Kant à Corbin[21]. À ce moment, Bachelard emprunte à deux auteurs, explicitement nommés : Roger Caillois de Le Mythe et l’homme et Armand Petitjean de Imagination et réalisation[22].

Caillois, le chanteur des pierres et des pieuvres, lui a appris cet « effort esthétique de la vie[23] », qui lie entre eux – à la manière de Lautréamont – biologie, minéralogie et imagination plus que l’on puisse imaginer. Caillois, le passant de l’Argentine et de la Patagonie, passionné des pierres et des cailloux, qui lui appréhende le démon de l’analogie, qui traverse le monde, l’enveloppant d’un réseau de coïncidences liant entre eux les règnes minéral, végétal, animal, et démontrant que « l’être vivant a un appétit de formes au moins aussi grand qu’un appétit de matière »[24], à savoir « une certaine correspondance ponctuelle entre les diverses trajectoires formelles »[25], où se développe le dispositif premier de toute imagination : la métamorphose[26].

Petitjean, lui a enseigné le caractère vital et projectif de l’imagination, encore une fois parfaitement compatible avec l’agressivité du lautréamontisme. Une imagination dynamique, ouverte, active, qui « développe des projets en tous sens »[27], et qui, encore une fois, souligne la force de la métamorphose, qui confirme pour Bachelard tel aspect spécifique de Lautréamont[28].

Métamorphose, donc, tel dispositif spécifique de l’imagination chez Lautréamont, Caillois, Petitjean. Dispositif qui se confirmera fondamental aussi dans un autre pivot de la poétique bachelardienne, à ce moment simplement ébauché : la rêverie, ce « rêve aux yeux ouverts », ce « rêve au féminin », qui, objet d’une poétique de la vieillesse, La Poétique de la rêverie (1960)[29], héritière de La Fontaine, de Chateaubriand et de Rousseau, thématisée au début du XXe siècle par Paul Souriau[30], représentera en effet le triomphe de la métamorphose, dynamique, tropologique, variationnelle, fixée, comme elle le sera, sur les principes d’origine, variation, création.

Lautréamont, donc, aube et aurore du surréalisme, en tant qu’inspirateur de Bachelard, du côté de la métamorphose, de l’imagination et de la rêverie.

Mais Isidore Ducasse n’est pas le seul génie du surréalisme fréquenté par Bachelard. Il se trouve en bonne compagnie, suivi, comme il l’est, par d’autres grands noms du surréel, souvent du côté des arts : Albert Flocon, par exemple, le graveur surréaliste avec qui Bachelard écrit à quatre mains, en 1950, Paysages, un ouvrage précieux tissé de gravures et de réflexions philosophiques.

  1. Albert Flocon

 

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Ce sont, les 15 planches qui composent Paysages. Notes d’un philosophe pour un graveur [31], la deuxième expression de la proximité de Bachelard au surréalisme.

Un graveur, Albert Flocon, de son vrai nom Albert Mentzel, réfugié allemand en France en 1933, qui aimait se confronter avec les écrivains et les philosophes de son époque (voir, au-delà de Bachelard, son ouvrage avec Éluard[32]) et qui, « à la frontière entre le surréalisme et le réalisme métaphysique »[33], sollicite en Bachelard des réflexions saisissantes, encore une fois centrées, tropologiquement, sur la notion de mouvement (tout à fait semblable, pour plusieurs aspects, au concept ducassien de métamorphose), déclinée en tant que force, provocation, volonté.

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Mouvement

Le mouvement, tout d’abord.

« Le graveur se voue au mouvement »[34]. Ainsi, lapidairement, Bachelard définit le travail du graveur. Inducteur, grâce à son intrinsèque dynamisme, d’imagination, rêve et art, le mouvement est mouvement premier, trajectoire, énergie –, capable d’entraîner des masses, redonnant à chaque forme sa propre force, direction et dynamisme. Énergie, force, dynamisme, la gravure est, pour Bachelard, expression de mouvement, et Paysages se configure comme un véritable éloge du mouvement.

« En perdant la couleur – la plus grande des séductions sensibles – le graveur garde une chance : il peut trouver, il doit trouver le mouvement. La forme ne suffirait pas. La seule forme passivement copiée ferait du graveur un peintre diminué. Mais dans l’énergique gravure, le trait n’est jamais un simple profil, jamais un contour paresseux, jamais une forme immobilisée. Le moindre trait d’une gravure est déjà une trajectoire, déjà un mouvement et, si la gravure est bonne, le trait est un premier mouvement, un mouvement sans hésitation ni retouche. […] Alors le trait entraine des masses, propulse des gestes, travaille la matière, donne à toute forme sa force, sa flèche, son être dynamique. Voilà pourquoi un philosophe qui a passé dix ans de sa vie à réfléchir sur l’imagination de la matière et sur l’imagination des forces s’enchante de la contemplation activiste d’un graveur et se permet d’exposer, sur chaque gravure du présent ouvrage, ses propres réactions »[35].

Une sorte d’induction et de coéfficientisation psychique de la matérialité qui, déjà thématisée par Bachelard dans la Doctrine Tétravalente des Tempéraments Poétiques sous forme de Imagination Matérielle – imagination de la matière, des forces, du mouvement[36] –, se résout, enfin, dans l’Introduction à Paysages (« Introduction à la dynamique du paysage »[37]), en force, provocation, volonté.

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Force

La force, donc.

« C’est cette force intime découverte dans les choses qui donne à l’objet gravé, au paysage gravé, son relief. […] C’est de dynamomètres dont le graveur a besoin. Plus exactement, il est le dynamomètre universel qui mesure les poussées du réel, le soulèvement du levain terrestre, l’opposition de la masse des objets […] Le graveur, en effet, nous permet de retrouver des valeurs de force dans le style même où le peintre nous apprend la valeur d’une lumière […] dans les formes habitées par un mouvement surabondant, impatient de surgir. […] Ces vertus de la force initiale, l’énergique gravure ne les perd pas lorsqu’elle est couchée sur la page blanche […] Elle a pour le songeur qui accepte les sollicitations de l’image, pour celui qui veut vouloir en voyant, des fonctions de stimulation sans cesse ravivées, […] des colères initiatrices, […] d’encouragements à vouloir. […] Le paysage gravé nous met au premier jour d’un monde. Il est la première confidence d’un créateur. Il est un commencement. Or commencer est le privilège insigne de la volonté. Qui nous donne la science des commencements nous fait don d’une volonté pure »[38].

Poussée initiale et initiatrice qui nous pose aux origines du monde, la force se configure ici tel premier caractère du mouvement, réclamant des prérogatives ontologiques fortes et irréductibles, se configurant tel principe d’induction, coéfficientisation, production de sens, inaugurant une sorte de lexique du pro – : production, projection, provocation.

La force, en somme, se donne en tant que provocation.

Provocation

 « Si le paysage du poète est un état d’âme, le paysage du graveur est un caractère, une fougue de la volonté, une action impatiente d’agir sur le monde. Le graveur met un monde en marche, il suscite les forces qui gonflent les formes, il provoque les forces endormies dans un univers plat. Provoquer, c’est sa façon de créer »[39].

Vecteur d’induction, le graveur se pose telle expression de provocation, attribuée quelquefois à la matière, quelquefois au sujet – poète, artiste, graveur : comme si la relation entre homme et nature, déjà traitée par Bachelard dans La Terre et les Rêveries de la Volonté[40] sous le signe conflictuel de résistance (de la matière) ou d’agression (de l’homme)[41], s’impose maintenant en tant que brusquerie et cosmodrame, reverdissant les fastes d’autres références philosophiques : l’instauration de Souriau[42], l’instant de Roupnel[43], et, surtout, la volonté, de Schopenhauer et de Nietzsche.

Volonté

 « Mais si la gravure est, comme nous le croyons, une essentielle intervention de l’homme dans le monde, si le paysage gravé est une maîtrise rapide, fougueuse de l’univers, le graveur va nous fournir des tests nouveaux, des tests de volonté. Les paysages gravés sont les tests de la volonté énorme, de la volonté qui veut tout le monde d’un coup »[44].

La volonté se configure ici tel sens profond de la gravure, d’un graveur dominé, selon Bachelard, par une sorte de « Complexe de Jupiter »[45]. Volonté qui, forte déjà depuis La terre et les rêveries de la volonté, dans le signe de Nietzsche et Schopenhauer, s’impose de plus en plus du côté nietzschéen, exaltant le surhomme et la volonté de puissance, pour les livrer à leur propre intrinsèque créativité.

Force, provocation et volonté, le Mouvement, chiffre des gravures de Flocon, représente le sens le plus authentique de la poésie, emphatisant le dynamisme typique de la métamorphose ducassienne et confirmant l’équivalence, chez Bachelard, entre surréalisme et tropologie.

Une équivalence accentuée, dans les dernières poétiques des dernières années, à travers la fréquentation établie par Bachelard avec de nouveaux artistes, provenant des quatre coins du monde, qui lui ont été présentés, encore une fois, par un nouveau jeune ami : le poète et critique d’art Jean-Clarence Lambert qui, connu dans les années Cinquante, initie le philosophe au surréalisme planétaire.

  1. Octavio Paz

 « Lettres à un jeune poète »[46], l’expression délicate employée par Françoise Py en guise d’Introduction aux Lettres de Bachelard à Jean-Clarence Lambert, nous éclaire le nouveau monde qui va s’ouvrir pour le vieux philosophe grâce à son jeune ami entreprenant.

 

Nous sommes en 1953, quand, âgé de seulement 23 ans, Jean-Clarence Lambert commence à envoyer à Gaston Bachelard les résultats de sa recherche poïétique : de Robert Lapoujade et Michel Carrade à André Pieyre de Mandiargues ; de La Jeune École de Paris au groupe Cobra, pour aboutir à Octavio Paz et Artur Lundkvist, poètes proches du surréalisme, qu’il a connus et traduits en français, donnant au philosophe la possibilité de bénéficier encore une fois de suggestions riches et séduisantes[47].

Cela sera pour Bachelard une bouffée d’oxygène lire en français, du suédois et du mexicain, d’aigles et de soleil, de feu contre feu. Un nouveau flux d’images, très intenses et captivantes, qui ravissent son imagination toujours assoiffée de songes.

Et il écrit, remerciant son jeune ami pour l’envoi de Feu contre feu[48] du poète suédois Lundkvist, dans la Lettre n° 5 du 11 mars 1959 :

« Artur Lundkvist est un génie. Son livre est une explosion de poésie. Il est du pays de la dynamite et de tous côtés il projette des étoiles ». Et, encore : « Vous avez rendu un service extraordinaire à la Poésie en transcrivant de tels poèmes ». Et, enfin : « Désormais la Suède poétique vous appartient. Il vous faut nuit et jour nous dire ce qu’est ce pays de la poésie stellaire »[49].

Et en effet les vers du poète suédois seront cités par le philosophe dans La Flamme d’une chandelle, en tant que « images poétiques de la flamme »[50].

Et encore, dans la Lettre n° 3 du 22 mai 1957, se référant à l’envoi de la traduction française de Aigle ou Soleil ?[51] du poète mexicain Octavio Paz, il s’exclame :

« Que de jours ont passé depuis ce beau jour où vous m’avez envoyé Aigle ou Soleil ?! ». Et il ajoute : « Et le livre n’a plus quitté ma table. Et ma lettre vous dira mal tout le bonheur éprouvé en lisant ces admirables pages. […] Dans les mauvaises heures je relie Octavio Paz. Et vous m’aidez à “inventer la Parole”. C’est l’essentiel quand les mots se pressent la vie s’achève ». Et il conclut, félicitant les traducteurs Lambert et Charpier : « Vous me rendez grand service en traduisant, sans vous reposer un instant, du Paz. Et je suis heureux que vous travailliez avec Charpier. À deux on va trois fois plu vite »[52].

Et Jean-Clarence Lambert, qui ensuite, répondant à l’appel de Bachelard, traduira de plus en plus du Paz et des poètes mexicains, se rappelle avoir lui-même accompagné Paz chez Bachelard, à Paris, rue de la Montagne Sainte-Geneviève, et d’avoir causé avec lui de poésie, en ajoutant :

 

« Era come se la lettura di una poesia sostituisse, per lui, la preghiera del mattino/C’était comme si la lecture d’un poème était, pour lui, la prière du matin »[53].

 

Ce n’est pas par hasard qu’Octavio Paz sera cité à plusieurs reprises par Bachelard dans La Flamme d’une chandelle, en tant qu’expression de « La verticalité des flammes », ou de « Les images poétiques de la flamme », ou de « La lumière de la lampe »[54], souvent sous le signe de la fusion et de la métamorphose qui rendent sa propre force originaire à la poésie[55].

Sans parler d’une citation qui est présente aussi dans Fragments d’une Poétique du Feu, où Aigle ou Soleil ? de Paz devient Aigle et Soleil, témoignant, grâce à la synthèse des deux images, la force de l’imagination poétique[56].

Il s’agit, ici, de la dernière confrontation bachelardienne avec le surréalisme. Et Bachelard en demeure encore une fois conquis. Et non plus, simplement, pour le pouvoir tropologique, dynamique, métamorphosant de la parole poétique, comme il fut dans le cas de Lautréamont ou de Flocon, mais, cette fois, pour la puissance pour ainsi dire radicale de la parole poétique : pour cela que, dans ses dernières poétiques, il appellera ontologie de la parole poétique.

 

Une sorte de torsion ontologique de sa réflexion sur la poésie, qui lui donnera la possibilité d’envisager, dans la parole poétique, la racine même de l’être.

Cela vaut, certainement, selon Bachelard, pour la poésie à part entière. Cela vaut surtout, pour la parole des surréalistes, qui, peut-être, plus que les autres, joue un rôle fondamental dans l’instauration et dans la création poétique[57].

Lautréamont et Flocon, Lundkvist et Paz : à travers la médiation géniale de Roger Caillois/Lautréamont, Albert Flocon et de Jean Clarence Lambert, le surréalisme s’est glissé entre les replis de la réflexion de Bachelard, homme du théorème durant le jour, mais homme du poème pendant la nuit, en éclairant ses songes et lui donnant, jusqu’à sa fin, la force du rêve.

 

« Merita ciò che sogni/Mérite ce que tu songes »[58], disait Octavio Paz, comme le rappelle Jean-Clarence Lambert : grâce à lui, à Flocon, à Caillois, grâce aux images, aux gravures et aux paroles des surréalistes, Bachelard a été sans doute à la hauteur de ses rêves.

 

[1] BACHELARD G., Lautréamont [1939], José Corti, Paris, 1995.

[2] BACHELARD G. – FLOCON A., Paysages. Notes d’un philosophe pour un graveur [1950], Éditions de l’Aire, Lausanne, 1982. L’œuvre fut publiée aux éditions Eynard, Rolle en 1950. Le texte de Bachelard a été repris in BACHELARD G., Le droit de rêver, Paris, 1970, pp. 70-93.

[3] BACHELARD G., Lettere a Jean-Clarence Lambert (1953-1961), trad. e cura di V. Chiore, pref. di F. Py, Scolii di J.-C. Lambert, Il Melangolo, Genova, 2013. Les Poétiques de la vieillesse seront citées dans le dernier paragraphe de cet article.

[4]  Cfr. LIBIS J. – NOUVEL P., Gaston Bachelard : Un rationaliste romantique, Dijon, Presses Universitaires de Dijon, 1997.

[5] Bachelard apprécie, au-delà des poètes et des artistes analysés dans ce texte, beaucoup de surréalistes, de Breton à Eluard, d’Artaud à Cocteau, de Queneau à Leiris et à plusieurs autres, cités dans ses œuvres poétiques. Pour ce qui regarde les récurrences des auteurs, surréalistes ou non, dans l’œuvre de Bachelard, voir : LIBIS J. (direction), Les Lectures de Gaston Bachelard. Index bibliographique, Presses Universitaires de Franche-Comté, Besançon, 2011. Sur le rapport entre Bachelard et le surréalisme, voir : MASSONET S., Du surrationalisme à Cobra. Gaston Bachelard et les marges du surréalisme, « bachelardiana », 7, 2012, pp. 93-104 et ID, Le bestiaire de Lautréamont. Une figure de l’imagination agressive, « bachelardiana », 8, 2013, pp. 107-114. Massonet insiste soit sur la relation entre Bachelard et Caillois, qui aboutira tant dans Lautréamont et dans Inquisitions, n° 1, 1937, la célèbre revue à numéro unique pour laquelle le philosophe composera le texte sur le surrationalisme, propédeutique à son approche du surréalisme ; que sur la relation entre Bachelard et Lambert, qui présentera au philosophe des poètes comme Paz et Lundkvist, ou des peintres du groupe Cobra, tels Dotremont, Vandercam, Jorn, qui, à leur tour, seront fulgurés par Bachelard (sur ce point, voir : Foucault M., Gaston Bachelard. Un certain regard, 02 oct. 1972, www.ina.fr.). La relation entre Bachelard et les surréalistes a été analysée inévitablement en rapport avec Breton. À ce propos, voir : CAWS M.A., Gaston Bachelard and André Breton : a poetics of possibility, University of Kansas, 1962 ; ID, Surrealism and the literary imagination : a study of Breton and Bachelard, Mouton, La Haye, Paris, 1966.

[6] DUCASSE I., COMTE DE LAUTRÉAMONT, Les Chants de Maldoror [1868/69], Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 2009.

[7] BACHELARD G., Lautréamont, op. cit., p. 29. Le poète Lautréamont recourt aussi dans les œuvres suivantes de Bachelard : L’Eau et les rêves (pp. 52, 73), La Terre et les rêveries de la volonté (p. 81), La Terre et les rêveries du repos (pp. 14, 284), Le droit de rêver (p. 180), L’engagement rationaliste (p. 33), Le Matérialisme rationnel (p. 75), Le Rationalisme appliqué (p. 42).

[8] BACHELARD G., Lautréamont, op. cit., p. 30.

[9] Ivi, p. 41.

[10] Ivi, p. 33.

[11] Ivi, p. 38.

[12] Ivi, pp. 32-33.

[13] Ivi, p. 39.

[14] Ivi, p. 46.

[15] « Dans les bestiaires du moyen âge, la frayeur continue les images comme le fait le cauchemar ducassien » (Ivi, p. 43).

[16] Ivi, pp. 15-20.

[17] DUCASSE I., COMTE DE LAUTRÉAMONT, Les Chants de Maldoror [1868/69], La Boétie, Bruxelles, 1948, illustré par R. Magritte.

[18] BACHELARD G., Lautréamont, op. cit., p. 58.

[19] Ivi, p. 142.

[20] Ivi, pp. 143-148.

[21] KANT I., Critique du Jugement, 1790 ; CORBIN H., L’imagination créatrice dans le soufìsme d’ibn « Arabi, Flammarion, Paris, 1958. À cette époque Bachelard ne connaît pas encore Henry Corbin, qu’il lira seulement dans ses dernières années, comme le démontrent les citations remarquées dans La Flamme d’une chandelle [1961], PUF, Paris, 1996, pp. 65 et 87.

[22] CAILLOIS R., Le mythe et l’homme, Gallimard, Paris, 1938. PETITJEAN A., Imagination et réalisation, Denoël et Steele, Paris, 1936.

[23] BACHELARD G., Lautréamont, op. cit., p. 143.

[24] Ivi, p. 144.

[25] Ibidem.

[26] C’est le cas du Fantastique naturel, à son tour emprunté à la Fantastique Transcendantale d’inspiration romantique et novalisienne, un aspect fondamental de l’Esthétique généralisée de Roger Caillois. « Il faut que l’être vivant, quel qu’il soit, solidarise des formes diverses, vive une transformation, accepte des métamorphoses, étale une causalité formelle réellement agissante, fortement dynamique » – dit Bachelard, posant la métamorphose tel dispositif fondamental de l’imagination, de l’art, de la poésie. C’est pour cela que « le bestiaire de nos rêves anime une vie qui retourne aux profondeurs biologiques » ; c’est pour cela que « toutes les hérésies biologiques peuvent donner des fantasmes » (BACHELARD G., Lautréamont, op. cit., pp. 144-147).

[27] Ivi, p. 152.

[28] « L’on retrouve facilement – dit Bachelard – en méditant l’ouvrage de Petitjean, les enseignements et les paradoxes ducassiens : les instants décisifs de la causalité formelle sont les instants où les formes se transforment, où la métamorphose donne le jeu complet de l’être ». Et, encore : « Les formes ne sont pas des signes, ce sont les vraies réalités. L’imagination pure désigne ses formes projetées comme l’essence de la réalisation qui lui convient. Elle jouit naturellement d’imaginer, donc de changer de formes. La métamorphose devient ainsi la fonction spécifique de l’imagination » (ibid., p. 149-153). Sur ce point, pour ce qui concerne les concepts de métamorphose, imagination, songe et rêverie, Bachelard note : « Quand le poète s’est donné le droit de schématiser ainsi les réalisations, la puissance de métamorphose est à son comble. Des morceaux d’êtres divers, comme dans un cauchemar, vont s’assembler […] Naturellement, cette genèse morcelée, hétéroclite, hébétée, construite sur un chaos biologique, a donné lieu à des diagnostics de folie ou à des accusations d’artifices macabres » – souligne Bachelard, là où, à son avis, il s’agit simplement d’un besoin poétique primaire, primitif et élémentaire : « le besoin d’animaliser (et, ajoutons-nous, de métamorphoser) qui est à l’origine de l’imagination » (Ivi, p. 51). Et bien, oui, du moment où la poésie, l’imagination et le rêve doivent, selon Bachelard, métamorphoser choses et images ; elles doivent former et dé-former, fondre et con-fondre, selon une sorte de théorème géométrique (de la géométrie projective) qui récit : « Quels sont les éléments d’une forme Poétique qui peuvent être impunément déformés par une métaphore en laissant subsister une cohérence poétique ? » (Ivi, p. 54). Et encore, à propos du principe de dé-formation : « D’une manière plus simple, c’est dans l’étude de la déformation des images qu’on trouvera la mesure de l’imagination poétique. On verra que les métaphores sont naturellement liées aux métamorphoses, et que, dans le règne de l’imagination, la métamorphose de l’être est déjà une adaptation au milieu imagé » (Ivi, p. 55). D’où les références à Eluard et à Baudelaire, qui ont entretenu avec les métamorphoses et les correspondances des relations constantes (et aussi aux peintres, tels Valentine Hugo, qui, grâce à leur « puissance transformante », ont représenté graphiquement leurs poèmes [Ivi, p. 57].

[29] BACHELARD G., La Poétique de la rêverie, PUF, Paris, 1960.

[30] LA FONTAINE J., Les Fables, 1668 [voir, surtout : « La Laitière et le Pot au lait »] ; ROUSSEAU J.-J., Rêveries du promeneur solitaire, 1782 [voir, surtout : « Cinquième Promenade »] ; CHATEAUBRIAND F.-R., Journal de voyage, 1827 ; SOURIAU P., La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète, Paris, Alcan, 1906. Sur ce point, voir : CHIORE V., Paul Souriau, La rêverie esthétique. Une brève note, « bachelardiana », 9, 2014.

[31] BACHELARD G. – FLOCON A., Paysages, op. cit. Bachelard dédiera à Flocon trois textes, qui seront recueillis dans Le Droit de rêver [1970], PUF, Paris, 2002 : Introduction à la dynamique du paysage, pp. 70-93, déjà in Paysages, op. cit. ; Le Traité du burin d’Albert Flocon, pp. 94-98 ; Châteaux en Espagne, pp. 99-121.

[32] ELUARD P. – FLOCON A., Perspectives, Maeght, Paris, 1949.

[33] Ibidem.

[34] BACHELARD G. – FLOCON A., Paysages, op. cit., p. 26.

[35] Ivi, pp. 9-10. Notre la notation en gras.

[36] Ce sont cela, respectivement, les sous-titres de L’Eau et les Rêves [1942], La Terre et les Rêveries de la Volonté [1947], L’Air et les songes [1943], trois des cinq textes qui, avec La Psychanalyse du Feu [1938] et La Terre et les Rêveries du Repos [1948], composent la Doctrine Tétravalente des Tempéraments Poétiques.

[37] BACHELARD G. – FLOCON A., Paysages, op. cit., pp. 9-18.

[38] Ivi, pp. 12-14.

[39] Ivi p. 10.

[40] À ce propos, voir : BACHELARD G., La Terre et les Rêveries de la Volonté [1947], Paris, 1988, p. 43 et p. 49.

[41] Selon une phénoménologie de la matière puisée à Leroi-Gourhan. Cfr. André Leroi-Gourhan [1911-1986], anthropo-ethnologue français souvent cité par Bachelard in La Terre et les Rêveries de la Volonté [p. 43 et p. 49], représente une référence importante pour ce qui concerne la réflexion bachelardienne sur le dynamisme en tant que conflit entre homme et matière.

[42] SOURIAU E., L’instauration philosophique, Alcan, Paris, 1939.

[43] ROUPNEL G., Siloë, Librairie Stock, Paris, 1927. Sur ce point, voir : BACHELARD G., L’Intuition de l’instant. Étude sur la Siloë de Gaston Roupnel, Paris, Librairie Stock, 1932.

[44] BACHELARD G. – FLOCON A., Paysages, op. cit., p. 15.

[45] Ivi, p. 16.

[46] PY F., « Bachelard: Lettere a un giovane poeta », pref. in BACHELARD G., Lettere a Jean-Clarence Lambert [1953-1961], op. cit., pp. 5-9.

[47] « Ho un po’ più di vent’anni, mi avvicino ai surrealisti, poi agli artisti Cobra, poi ancora a quelli dell’astrazione lirica, come Robert Lapoujade, autore, tra l’altro, di un ritratto alla ‘Ingres’ di Bachelard, spesso riprodotto » (LAMBERT J.-C., « Scolii », in BACHELARD G., Lettere a Jean-Clarence Lambert (1953-1961), op. cit., p. 50) : ainsi Jean-Clarence Lambert, rappelant sa rencontre avec Bachelard. Bachelard cite Jean-Clarence Lambert aussi dans La Poétique de la rêverie, op. cit., pp. 163 et 173 et dans La Flamme d’une chandelle, op. cit., p. 56.

[48] LUNDKVIST A., Feu contre feu [tr. fr. par J.-C. Lambert], Paris, Falaize, 1958.

[49] BACHELARD G., Lettere a Jean-Clarence Lambert [1953-1961], op. cit., pp. 38-40. Et J.-C. Lambert, de sa part, se demande : « Se ho intensificato il numero di traduzioni, fino a pubblicare una Anthologie de la poésie suédoise, ampio lavoro edito nel 1971 (UNESCO/Le Seuil), non sarà stato, forse, per non deludere Bachelard, che mi scriveva in assoluta semplicità : ‘La Svezia poetica Le appartiene’ ? » [LAMBERT J.-C., « Scolii », in BACHELARD G., Lettere a Jean-Clarence Lambert (1953-1961), op. cit., p. 57. Ici Lambert cite son livre Anthologie de la poésie suédoise, Paris, UNESCO/Le Seuil, 1971].

[50] BACHELARD G., La Flamme d’une chandelle, op. cit., p. 83. Bachelard cite les vers suivants : « le bleuet se dresse, électrique, dans le champ de blé et menace la moissonneuse comme la flamme d’une lampe à souder ».

[51] PAZ O., Aigle ou Soleil ? [tr. fr. par J.-C. Lambert], Paris, Falaize, 1957.

[52] BACHELARD G., Lettere a Jean-Clarence Lambert [1953-1961], op. cit., pp. 26-28.

[53] LAMBERT J.-C., « Scolii », in BACHELARD G., Lettere a Jean-Clarence Lambert [1953-1961], op. cit., p. 54.

[54] Ce sont les titres de trois chapitres de La Flamme d’une chandelle, op. cit., respectivement aux pp. 56-69, 70-88, 89-105. Les citations de Paz sont respectivement aux pp. 56, 76 et 79, 98.

[55] « De telles synthèses d’objets, de telles fusions d’objets enfermés dans des formes si différentes, comme la fusion du jet d’eau et de la flamme, […] ne sauraient guère s’exprimer dans le langage de la prose. Il faut le poème, la flexibilité du poème, des transmutations poétiques […] Le poète mexicain Octavio Paz le sait bien qui dit précisément : l’hymne est à la fois Peuplier de feu, jet d’eau » – dit Bachelard. Et il conclut, en soulignant la parenté entre pouvoir métamorphique et ontologique de la parole poétique : « Avec les poètes de notre temps nous sommes entrés dans le règne de la poésie brusque, […] qui toujours veut vivre en paroles premières. Il nous faut donc écouter les poèmes comme des mots pour la première fois entendus. La poésie est un émerveillement, très exactement au niveau de la parole, dans la parole, par la parole » [BACHELARD G., La Flamme d’une chandelle, op. cit., pp. 76-77].

[56] BACHELARD G., Fragments d’une Poétique du Feu, PUF, Paris, 1988, pp. 100-101 [« Le titre du livre de Paz est Aigle ou Soleil ?. Dans le présente poème, il faut lire Aigle et Soleil, et reconnaître en toute sa grandeur l’équation cosmique […] Une telle synthèse naît spontanément dans une imagination poétiquement libre », Ivi, p. 101].

[57] Ce qu’Antonin Artaud, autre génie sulfureux de la poésie, cité par Jean-Clarence Lambert à ce propos, synthétise ainsi : « Vi è in Messico, fusa nelle colate di lava vulcanica, assimilata al suolo, vibrante nel sangue indiano, la realtà magica di una cultura di cui basterebbe davvero poco per accendere materialmente il fuoco » (Cité par Jean-Clarence Lambert in LAMBERT J.-C., « Scolii », in BACHELARD G., Lettere a Jean-Clarence Lambert (1953-1961), op. cit., p. 60).

[58] PAZ O., Verso la poesia, cité par Jean-Clarence Lambert in LAMBERT J.-C., « Scolii », in BACHELARD G., Lettere a Jean-Clarence Lambert [1953-1961], op. cit., p. 55.