Archives par mot-clé : revue Mélusine

Le merveilleux dans le discours surréaliste, essai de terminologie », Mélusine n°XX, 2000, pp. 15-29.

Actes du colloque de Cerisy, 2-12 août 1999

Claude LETELLIER, Nathalie LIMAT-LETELLIER (dir.)

Le premier Manifeste du surréalisme réhabilite le merveilleux dans l’espoir de mettre fin au règne du rationalisme absolu. Pourquoi un mouvement d’avant-garde du XXe siècle, porteur d’un potentiel de rupture, exalte-t-il un vivier de l’imaginaire, héritage des contes et des mythes ? Faut-il interpréter cette quête de la merveille comme la défense et illustration d’un art magique, dont témoignent aussi certaines influences médiumniques ou hermétiques ? Cependant, en quoi le sentiment du “merveilleux moderne”, selon l’expression d’Aragon, diffère-t-il du merveilleux traditionnel ? Il appartient en effet aux pratiques expérimentales et aux théories du groupe de faire intervenir le grand ressort nouveau de la surprise, l’esprit de révolte, ou encore le hasard objectif, de sorte que le dépaysement coïncide avec l’invention subversive d’un autre rapport au monde.
Ces questions ont conduit le colloque du CERMEIL, qui s’est tenu au château de Cerisy, du 2 au 12 août 1999, à analyser les sources culturelles, les références majeures et un répertoire varié d’activités créatrices, littéraires ou plastiques, où se manifesterait, dans sa spécificité relative, le merveilleux surréaliste. Les contributions réunies dans le présent volume se proposent ainsi de déterminer les contenus d’un concept, ses liens avec d’autres données, et le devenir d’une valeur fondamentale, dont les divergences entre les surréalistes constituent historiquement plusieurs versions possibles.

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Prolongements :

Tania Collani, Le Merveilleux dans la prose surréaliste européenne, Hermann Editeurs, 2010

Résumé : Le surréalisme a prêté une attention particulière à la vaste problématique du merveilleux. En raison de la transcendance présupposée par le sujet même, l’analyse du merveilleux à l’intérieur du surréalisme doit être particulièrement rigoureuse pour être vraiment significative, surtout en ce qui concerne les limites de la problématique. Nous avons donc jugé indispensable d’analyser le sujet selon trois axes méthodologiques complémentaires : un axe historique (premier chapitre), un axe théorique (deuxième et troisième chapitres) et un axe analytique (quatrième et cinquième chapitres). L’approche historique, dans un premier temps, nous a permis de cerner les frontières d’un surréalisme plus spécifiquement européen par rapport aux foyers surréalistes internationaux successifs. En ce qui concerne les données générales, nous nous sommes fréquemment référés aux œuvres de Maurice Nadeau, Marcel Raymond, Carlo Bo, David Gascoyne, ainsi qu’à une série d’ouvrages antérieurs et postérieurs à ceux-ci, qui abordent le surréalisme d’un point de vue surtout historique. À la lumière de ces études, nous avons pu mettre en évidence l’émergence d’un surréalisme principalement européen dans la période de l’entre-deux-guerres, et ce dès 1922, car Aragon, Breton et Soupault, en prenant comme plateforme de divulgation la revue Littérature, travaillent déjà sur les thèmes et les idées qui caractériseront le Manifeste de 1924. Cette période spécifiquement européenne perdure jusqu’en l940, année qui marque le début d’une émigration massive des intellectuels vers les États-Unis et l’Amérique du Sud. En outre, cette date s’avère particulièrement significative pour notre étude sur le merveilleux, car l’année 1940 coïncide avec celle de la publication du Miroir du merveilleux, ouvrage qui rend compte du changement théorique dans l’approche du merveilleux au sein du surréalisme. Pendant cette période d’une vingtaine d’années, le mouvement surréaliste consacre de nombreux articles théoriques et essais au merveilleux. En tenant compte des différentes problématiques sous-jacentes au sujet, nous nous sommes intéressé à la définition du merveilleux surréaliste en considérant les définitions qui proviennent intrinsèquement du surréalisme, d’une part (le « merveilleux visqueux » de Limbour, le « merveilleux quotidien » d’Aragon, le « merveilleux cérébral » de Desnos, le « merveilleux moderne » de Leiris), et d’autre part, en considérant les contributions critiques sur le merveilleux datées du début du XXe siècle et avant, étant donné qu’elles peuvent avoir influencé la définition surréaliste de merveilleux, ou encore qu’elles peuvent avoir subi historiquement les mêmes influences que les surréalistes – les ouvrages de Hubert Matthey, d’Alice MacKillen, de Sucher, par exemple, se font dans un contexte historique et culturel fortement similaire. Ce qui nous semble être immédiatement évident, c’est que la définition surréaliste du merveilleux dépasse de loin la sphère spécifiquement littéraire, pour toucher au domaine de l’existence. C’est dans cette perspective qu’il faut lire les définitions de René Passeron – selon lequel le merveilleux est la « catégorie esthétique suprême du surréalisme […] l’essence même de la beauté » – et de Breton – qui, dans le Manifeste du surréalisme, déclare son amour inconditionnel pour le merveilleux et qui, dans l’article « Le merveilleux contre le mystère », plaide pour « l’abandon pur et simple au merveilleux, […] la seule source de communication éternelle entre les hommes ». Le merveilleux est donc la seule alternative possible à la réalité, la seule dimension transcendante accordée à l’homme moderne, privé du secours de Dieu. La formulation de ce merveilleux est aussi lisible au niveau fictionnel, où il se manifeste moins comme un expédient voué à provoquer un effet d’émerveillement que comme une véritable question heuristique pour l’homme moderne. Pour le cas particulier des ouvrages narratifs surréalistes, la question qui se pose est celle de l’homogénéité : d’une part, nous reconnaissons un « véritable » merveilleux surréaliste, qui se manifeste principalement au cours des années vingt dans les récits des surréalistes français ; de l’autre, un merveilleux plus « traditionnel », c’est-à-dire dépourvu des références à la modernité, qui s’exprime de préférence au cours des années trente, dans les récits des écrivains surréalistes provenant du reste de l’Europe. Il devient ainsi évident que pour le choix du corpus, il a fallu croiser les deux approches, historique et théorique. À cet égard, nous avons choisi les auteurs du corpus en utilisant comme critère de référence l’adhésion, et la signature qui en découle, aux différents manifestes surréalistes européens (à Paris en 1924 et 1930, à Prague en 1935, à Santa Cruz de Tenerife et à Bruxelles en 1935 et à Londres en 1936), ou la participation active et assidue aux revues du groupe dans la période indiquée de l’entre-deux-guerres. Anicet ou le Panorama, roman d’Aragon sera, chronologiquement, le premier roman de notre corpus de référence, tandis qu’Arcane 17 de Breton (rédigé en 1944, achevé et publié en France en 1947) en sera le dernier. Entre ces deux dates, nous avons retenu d’autres ouvrages de la période surréaliste particulièrement révélateurs pour un discours sur le merveilleux surréaliste : nous pensons surtout aux récits d’Aragon, Alexandre, Desnos, Crevel, Lecomte et Déry. À ces volumes, il faut ajouter les ouvrages narratifs surréalistes dans lesquels se manifeste un type de merveilleux plus traditionnel ; il s’agit de récits, qui se forment, en général, plus tardivement que les œuvres précédemment citées, comme les textes d’Embiricos, Carrington, Prassinos Nezval, Sykes Davies, Read, Gascoyne et Luca. Le groupe surréaliste est animé par la conviction que la réponse doit être recherchée directement en l’homme ; par la volonté de donner son juste poids à l’imagination humaine. Le merveilleux, et cela est vrai pour toutes les activités du mouvement guidé par Breton, représente un lieu de refuge sûr et un moyen efficace permettant, dans le quotidien, de dépasser la réalité tangible des choses et d’aspirer à l’infini. Nous rejoignons ici ce qu’écrit Mabille, puisqu’au-delà de l’agrément, de la curiosité que nous donnent les récits ou les contes, « le but réel du voyage merveilleux est […] l’exploration la plus totale de la réalité universelle ». https://hal.science/hal-02433174/

Acta Fabula : https://www.fabula.org/acta/document5795.php

L’homme merveilleux – Exposition, 21 mars-31 août 2008, Château de Malbrouck à Manderen –

https://www.decitre.fr/livres/l-homme-merveilleux-9782849751190.html

Après la vision méditative et automnale de Merveilleux ! D’après nature proposée au château de Malbrouck – édifice classé Monument Historique, à proximité de l’Allemagne et du Luxembourg – pendant l’hiver 2007, vient le temps printanier et estival 2008 du dynamisme et de l’épanouissement : celui de la rencontre avec cet être controversé, L’Homme merveilleux. ” Le merveilleux n’est pas le même à toutes les époques ” écrivait André Breton. Entre surréalisme et âge contemporain, le visiteur est invité à se soumettre à l’épreuve du miroir, entre ce qu’il croit et ce qu’il voit, entre ce qu’il vit et ce qu’il imagine, car l’Homme merveilleux est celui qui ne se laisse pas déposséder de son expérience : capacité à produire des rêves puissants, nostalgie ambiguë à l’égard de l’enfance, érotisme comme sommet de l’esprit humain et, enfin, cette vérité : ce que le merveilleux montre est au fond l’homme lui-même.

Carole Boulbes : Surréaliste et merveilleux:

https://caroleboulbes.blogspot.com/2009/02/surrealiste-et-merveilleux.html

« L’approche culturelle du surréalisme », Mélusine, n° 16, « Cultures, contre-cultures », 1996, pp. 9-15.

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Prolongements :

Arts et sociétés n° 13-1 | Primitivismes | Sophie Leclercq

Les choses  André BretonExpositionsPaul ÉluardSurréalisme  3

Les surréalistes ont réinventé l’idole des origines. Ils ont rêvé leur primitif à l’écart de la science et de la réalité en retrouvant curieusement les voies de l’histoire. Dès les années 1920, ils furent parmi les tout premiers à se révolter contre le servage des peuples non-occidentaux en appelant, non pas au nom des bons sentiments à tempérer les modalités de leur servage mais à condamner radicalement les conditions mêmes du colonialisme.
L’histoire de l’art retient surtout la passion d’André Breton pour les masques esquimaux, indiens, des mers du sud ou les poupées des Indiens Hopis de l’Arizona dont il gardait de beaux spécimens. C’est qu’il admirait leur valeur expressive et poétique, celle-là même qu’il recherchait partout comme autant de signes de vie dans un monde moderne dont il dénonçait inlassablement le désenchantement.
Car le fond du problème était moins l’autre que soi-même pris dans les rêts d’un Occident dont les poètes annonçaient inlassablement l’aliénation et la décrépitude. Anti-modernes mais au cœur même de la modernité, les surréalistes ont ouvert la voie à des réflexions dont l’histoire de l’art prend acte aujourd’hui.
Aby Warburg, Jean Laude et quelques autres ont dit l’apport indispensable de l’anthropologie et de l’ethnologie et combien le statut de l’artiste et de l’œuvre était vacillant et forcément les critères d’unicité, d’originalité, de supériorité. A l’heure où le nouveau Musée du quai Branly fait figure de boîte de Pandore en invitant au comparatisme avec d’autres pays et d’autres formes de présentation des collections, les remarquables études de Nélia Dias, Sophie Leclerq et Maureen Murphy rouvrent le dossier d’une identité instable.
Plus largement, c’est du malaise de la civilisation dont il est question, malaise Michel Leiris avait relevé la coexistence avec une culture où tout semblait être dit parce que l’on était parvenu à un certain développement technique mais où pareil développement n’avait été rendu possible qu’en étouffant certaines aspirations à l’infini.

Laurence Bertrand Dorléac
Séminaire du 23 novembre 2006

(In)actualité du surréalisme (1940-2020)

Une réévaluation du surréalisme depuis 1940 : un travail d’envergure et inédit couvrant sept décennies – vaste période peu étudiée et au cours de laquelle le mouvement a été souvent déconsidéré, parfois récusé –, interrogeant les discours, les récits et les débats dont les engagements poétiques, politiques et artistiques du mouvement ont été l’objet, au-delà de l’entre-deux-guerres glorieux du surréalisme dit « historique », dans le contexte des profondes mutations sociales et culturelles du monde de la seconde moitié du XXe siècle.

Le surréalisme a longtemps été amputé d’une partie de son histoire. Les littéraires, les historiens de l’art ont négligé les vingt-cinq années allant de la Libération à l’autodissolution du mouvement, en octobre 1969, et n’ont guère regardé au-delà. On peut s’en étonner tant les années jetées au rebut témoignent d’une ardente vigilance poétique, politique et artistique. Le surréalisme se confronte alors aux flux et reflux d’une Histoire excédant les frontières nationales pour devenir mondiale (décolonisation, tiers-mondisme, antistalinisme, révolution cubaine, anti-impérialisme américain, consumérisme, idéologie des Trente Glorieuses, révoltes populaires).
Couvrant sept décennies, ce livre restitue l’âpreté des débats et le courage des engagements auquel le surréalisme a été mêlé ; il examine les interpellations dont il a été la cible, les récits dont il a été l’objet : par les existentialistes, les surréalistes dissidents, les communistes, les lettristes, les situationnistes, les telqueliens… jusqu’aux diatribes d’un Jean Clair pamphlétaire qui en imagine rétrospectivement la barbarie, en un temps – les années 2000 – où des expositions à Londres, New York ou Paris, célèbrent un mouvement patrimonialisé et où les universités nord-américaines parlent de « surréalisme total » dans un monde globalisé.

« Cet ouvrage collectif dirigé par Olivier Penot-Lacassagne réunit une trentaine de contributions sur le surréalisme d’après 1940. Organisé chronologiquement autour des “déclarations” et des “tracts” publiés par le groupe surréaliste entre 1947 et 1969, le livre déborde ce cadre usuel pour couvrir sept décennies et présenter les débats intellectuels, académiques ou patrimoniaux auxquels le surréalisme a été mêlé. […] Une somme importante [qui invite] à revisiter l’histoire littéraire et le principe d’insoumission en littérature. »
Sébastien Dubois, Poezibao
« Cette étude collective propose une approche d’envergure marquant la diffraction du surréalisme depuis la Seconde Guerre mondiale. […] Au-delà de tout particularisme géographique, il [en] ressort une pratique à l’intersection des luttes décolonniales, antiracistes, féministes ou encore queer. (In)actuel(s), le(s) spectre(s) du surréalisme continue(nt) ainsi d’hanter la praxis révolutionnaire. »
Corentin Bouquet, Fabula

Une réévaluation du surréalisme depuis 1940 : un travail d’envergure et inédit couvrant sept décennies – vaste période peu étudiée et au cours de laquelle le mouvement a été souvent déconsidéré, parfois récusé –, interrogeant les discours, les récits et les débats dont les engagements poétiques, politiques et artistiques du mouvement ont été l’objet, au-delà de l’entre-deux-guerres glorieux du surréalisme dit « historique », dans le contexte des profondes mutations sociales et culturelles du monde de la seconde moitié du XXe siècle.

Le surréalisme a longtemps été amputé d’une partie de son histoire. Les littéraires, les historiens de l’art ont négligé les vingt-cinq années allant de la Libération à l’auto dissolution du mouvement, en octobre 1969, et n’ont guère regardé au-delà. On peut s’en étonner tant les années jetées au rebut témoignent d’une ardente vigilance poétique, politique et artistique. Le surréalisme se confronte alors aux flux et reflux d’une Histoire excédant les frontières nationales pour devenir mondiale (décolonisation, tiers-mondisme, anti stalinisme, révolution cubaine, anti-impérialisme américain, consumérisme, idéologie des Trente Glorieuses, révoltes populaires).
Couvrant sept décennies, ce livre restitue l’âpreté des débats et le courage des engagements auquel le surréalisme a été mêlé ; il examine les interpellations dont il a été la cible, les récits dont il a été l’objet : par les existentialistes, les surréalistes dissidents, les communistes, les lettristes, les situationnistes, les telqueliens… jusqu’aux diatribes d’un Jean Clair pamphlétaire qui en imagine rétrospectivement la barbarie, en un temps – les années 2000 – où des expositions à Londres, New York ou Paris, célèbrent un mouvement patrimonialisé et où les universités nord-américaines parlent de « surréalisme total » dans un monde globalisé.

« Cet ouvrage collectif dirigé par Olivier Penot-Lacassagne réunit une trentaine de contributions sur le surréalisme d’après 1940. Organisé chronologiquement autour des “déclarations” et des “tracts” publiés par le groupe surréaliste entre 1947 et 1969, le livre déborde ce cadre usuel pour couvrir sept décennies et présenter les débats intellectuels, académiques ou patrimoniaux auxquels le surréalisme a été mêlé. […] Une somme importante [qui invite] à revisiter l’histoire littéraire et le principe d’insoumission en littérature. »
Sébastien Dubois, Poezibao
« Cette étude collective propose une approche d’envergure marquant la diffraction du surréalisme depuis la Seconde Guerre mondiale. […] Au-delà de tout particularisme géographique, il [en] ressort une pratique à l’intersection des luttes décolonniales, antiracistes, féministes ou encore queer. (In)actuel(s), le(s) spectre(s) du surréalisme continue(nt) ainsi d’hanter la praxis révolutionnaire. »
Corentin Bouquet, Fabula

Olivier Penot-Lacassagne est maître de conférences HDR à l’université Sorbonne Nouvelle. Il a dirigé et publié plusieurs ouvrages, parmi lesquels : Antonin Artaud, l’incandescent perpétuel, éd. CNRS, 2022

« De la Place Blanche à la Ville Blanche » (avec Jelena Novaković et Branko Aleksić), Mélusine, n° XXX, 2010, p. 9-15.

Table des matières :

Mon premier stage d’enseignement eut lieu durant l’été 1962 en Yougoslavie. Ce fut l’occasion de fréquenter des enseignants de toutes les républiques composant alors ce pays, et de m’intéresser à leurs littératures. D’autre part, l’éditeur de la revue Mélusine, que nous appelions familièrement Dimitri, était un serbe, ce qui me semblait une raison évidente de lui proposer un volume consacré aux écrivains et artistes de son pays. Je savais sa critique globale du surréalisme et pensais qu’un tel ouvrage modifierait son opinion. Il le publia sans aucune réserve, mais cela ne le fit pas changer d’avis pour autant !

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Appel préalable sur Fabula :https://www.fabula.org/actualites/24593/le-surrealisme-serbe.html

Publié le 29 juin 2008 par Matthieu Vernet (Source : Henri Béhar)

Après la publication cet hiver de Mélusine XXVIII, Le Surréalisme en héritage, Les avant-gardes après 1945 ; le volume XXIX sur L’architecture surréaliste (à paraître en février 2009) étant en voie de bouclage, permettez-moi de lancer ici un appel à contribution pour la trentième livraison de la revue Mélusine, le dossier sur le surréalisme en Serbie devant paraître au début de 2010, sous la direction conjointe de Jelena Novaković et de moi-même.
Le surréalisme serbe se développe en même temps que le surréalisme français. C’est un mouvement autonome et non une des branches du surréalisme parisien, mais ses représentants (Marko Ristić, Dusan Matić, Aleksandar Vuco, Djordje Kostić, Vane Zivadinovic Bor, Milan Dedinac, Oskar Davico, Koca Popović) entretiennent des relations étroites avec les surréalistes de Paris (Breton, Aragon, Péret, Éluard, Crevel, Thirion) au cours d’une dizaine d’années. Il s’agit d’une coopération qui se déroule dans les deux sens. Ils signent des déclarations collectives, ils participent ensemble à différentes manifestations, ils échangeant des lettres et des textes pour les publier dans leurs revues respectives. Cette coopération ne repose pas seulement sur les contacts personnels, mais aussi sur les tendances communes des deux groupes, pénétrés du même esprit d’insoumission et de révolte, tendances qui se manifestent par les thèmes qu’ils traitent dans leurs textes théoriques et poétiques (position de l’homme dans le monde contemporain, rapport entre l’imaginaire et le réel, réhabilitation de l’irrationnel ; apologie du désir, de la folie, du rêve,  de l’écriture automatique, de l’amour, de la mort, de l’humour, de l’action révolutionnaire ; rapport envers la création romanesque, le symbolisme de la nuit, etc.) et par certains concepts communs qu’ils emploient dans l’élaboration de leur programme (“surréalité”, “merveilleux”, “hasard objectif”). Ces thèmes et ces concepts sont la base d’une unité typologique des deux mouvements qui évoluent de l’expérimentation avec l’irrationnel vers l’action sociale.
À la fois autonome en tant que mouvement et lié au surréalisme parisien par une coopération intense, le surréalisme serbe a enrichi la production surréaliste par un certain nombre de contributions originales qui méritent d’être connues en France aussi. De cela pourrait rendre compte un numéro de la revue Mélusine qui serait consacré au surréalisme serbe et qui serait organisé autour les axes suivants:
1. Historique des relations surréalistes franco-serbes ;
2. Concepts et thèmes communs (avec leurs modulations spécifiques) ;
3. Contributions des surréalistes de Belgrade au surréalisme parisien, et réciproquement ;
4. Choix de textes des surréalistes serbes (traduits en français). 

Compléments :

Hanifa Kapidzic-Osmanagic : Le surréalisme serbe et ses rapports avec le surréalisme français. Presses universitaires de Dijon, 1968, 281 p.

voir : Le surréalisme serbe, l’imaginaire de la nuit, de … – Mélusine

 http://nadrealizam.rs/fr/surrealisme/surrealisme-le-developpement-du-surrealisme-en-serbie

https://serbica.u-bordeaux-montaigne.fr/index.php/archives?view=article&id=543:serge-fauchereau-le-surrealisme-serbe-1985&catid=158

Le surréalisme en Yougosdlavie : https://melusine-surrealisme.fr/site/Surr-ts-pays/yougoslavie.htm

NASA STVARNOST – Revue. Surréalisme serbe – Serbian surrealism.

Belgrade, 1936-39. Edité par Aleksandar Vuco. 7 volumes au format 153X227mm brochés. Nos. 3 à 13/14 et 17/18. Très rare revue éditée par le surréaliste serbe A. Vuco. Textes de Marko Ristić, Dusan Matić, A. Vuco, Aragon, Oscar Davico, Federico Garcia Lorca, Milan Dedinac, Paul Eluard, et al. Illustrations de Adolf Hoffmeister, Pablo Picasso, Franz Masereel, Le Corbusier, Karel Capek, et al. Bon état. Voir photos. (Nadrealizam, avant garde periodical, Surréalisme, Surrealismo, Surrealism).

Prolongements :

Jelena Novaković, Le Surréalisme de Belgrade, Paris, éd. Non Lieu, 2023.

Le surréalisme de Belgrade s’épanouit entre 1922 et 1932. Il se développe en même temps que le surréalisme français, mais, en tant que mouvement organisé, il se forme un peu plus tard que celui de Paris et sa durée est plus courte.
La constitution du mouvement est précédée d’une période pré-surréaliste, qui commence en 1922 par la publication de la revue Putevi [Chemins], à laquelle s’ajoute bientôt la revue Svedočanstva [Témoignages], et elle dure jusqu’à la parution de l’almanach bilingue  Nemoguće-L’impossible (1930) . Il est à noter que la période 1927-1930 est marquée par la parution de quelques publications surréalistes capitales de Milan Dedinac, de Marko Ristić, ou d’Aleksandar Vučo.
En tant que mouvement organisé le surréalisme de Belgrade commence en 1930, au début de la période d’absolutisme en Serbie, qui va durer jusqu’à la Seconde Guerre mondiale (Dictature du 6 janvier 1929 et Constitution octroyée du 3 septembre 1931) et où l’esprit surréaliste d’opposition et de révolte prend un caractère social et politique, en accord avec l’esprit révolutionnaire du surréalisme français.
Quand on parle du surréalisme de Belgrade, trois questions se posent : sur quel terrain intellectuel, politique et littéraire ce mouvement s’est-il greffé en Serbie ? Comment a-t-il enrichi la production surréaliste ? Comment ses fleurons ont-ils été occultés, pour reparaître, d’une manière différente, plus discrète, après la Seconde Guerre mondiale, au cours des années 1950 

« L’âge ingrat », Mélusine n° 8, 1986, pp. 9-15 (avec P. Mourier).

Argument :

Nous continuons, dans le présent recueil, à nous servir des deux clés pour le surréalisme que sont les notions conjointes d’âge d’or et d’âge d’homme. Cependant la serrure s’est déplacée entre temps. L’accent se porte cette fois, non plus sur la dimension mythique et utopique du surréalisme, dans sa double dynamique régrédiente et projective, mais sur la dimension éthique et politique.

Le titre « L’Âge ingrat » donné à cette introduction au volume de Mélusine intervenant après le recueil sous-titré « L’Age d’Or l’Age d’Homme » n’apparaît que dans la table des matières. C’est dire combien les responsables de cette livraison hésitaient à qualifier l’une des périodes constitutives du mouvement comme de chacun de ses membres ! Précisons que le roman du même titre de José Cabanis (Gallimard, 1990) n’était pas encore annoncé.

Commentant notre introduction, le surréaliste José Pierre(1927-1999) émit alors toutes les réserves que nous-mêmes portions envers ce titre, qui avait cependant le mérite de cerner les points critiques du Mouvement surréaliste.

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« Intellectuel surréaliste », Mélusine, n° XII, 1991, pp. 309-315

INTELLECTUEL SURREALISTE

Intellectuel surréaliste : l’alliance de mots paraît une incongruité, sinon une antinomie, tant le surréalisme s’est voulu hors de la sphère intellectuelle. On est, on devient sur­réaliste, un point c’est tout. Considérer le surréaliste comme un intellectuel, n’est-ce pas le réduire à une fonction céré­brale ou le ranger dans une catégorie d’individus propre à la France bourgeoise ?

Au demeurant, une telle distinction ne semble pas opéra­toire aux yeux des partisans de la sociologie littéraire insti­tutionnelle, qui s’en tiennent aux traditionnelles catégories socio-professionnelles pour analyser les origines familiales ou la situation personnelle des membres du Mouvement surréaliste1. Globalement, on évoque l’appartenance de leur famille à la “ petite bourgeoisie ”, quand ce n’est pas la “ bourgeoisie ”. Pour eux-mêmes, on les classe, selon leur activité dominante, parmi les artistes, les peintres, les écrivains, les poètes, faute de pouvoir préciser le métier qui, par ailleurs, leur procurait des revenus plus ou moins réguliers. A quelques nuances près, cependant. Analysant, dans sa thèse, l’impact du pamphlet de 1924, Un cadavre, dirigé contre Anatole France, Norbert Bandier souligne le clivage provoqué entre les “ lettrés ” et les “ intellectuels révolutionnaires ” (p. 173). A l’occasion de ce premier éclat public, constitutif du Mouve­ment, pour ainsi dire, se cristalliserait cette stratégie de conquête du pouvoir symbolique consistant à éliminer les an­ciens modèles et les concurrents pour imposer un programme nou­veau, s’ouvrant vers un public différent. En bonne logique, ce­lui-ci est “ formé par les “ intellectuels révolutionnaires ” ”, et, conclut Bandier au terme d’une étude qui le conduit jusqu’à la publication du Second Manifeste du surréalisme : “ le modèle du “ lettré ” tend à s’effacer devant le modèle de l’“ intellectuel ” (p. 553). Je doute, pour ma part, que le lectorat, et qui plus est, le public des surréalistes, soit aussi orienté vers le changement de régime que le prétend notre jeune chercheur. Il ne m’est pas possible, dans le cadre de cet article, de discu­ter chacun des points d’une démonstration fort riche et nuan­cée, s’appuyant sur une documentation souvent de première main. L’important est de retenir la trajectoire qui, de 1924 à 1929, révèle l’émergence du concept d’intellectuel au sein du groupe surréaliste.

Or, ce concept, nous avons un moyen irréfutable d’en rele­ver la trace : c’est le repérage du mot, fourni par l’ordinateur, pourvu que les textes concernés aient été “ saisis ”, autrement dit mis en machine. Dans un article d’une fulgurante concision, Jean-Luc Rispail, s’aidant des sorties informatiques du Surréalisme au Service de la Révolution élabo­rées par l’unité “ Lexicologie et terminologie littéraires contemporaines ” (I.Na.L.F-C.N.R.S.), caractérise clairement l’usage que font du vocable, sous toutes ses formes, les colla­borateurs de cette revue, partagés entre leur désir de servir la classe ouvrière et celui de maintenir

au sein du mouvement marxiste le rôle expérimentateur qui fait la spécificité de l’activité surréaliste, en remettant en cause les cadres mêmes à l’intérieur desquels celui-ci tente de les enfermer (écrivains, artistes, poètes, etc.) ”2.

Mais Rispail fait plus : il nous livre, avec le mode d’emploi, les “contextes”, c’est-à-dire chacune des phrases où le terme “ intellectuel(s) ” est em­ployé, invitant le lecteur à poursuivre lui-même l’analyse et à gloser s’il le désire.

De fait, André Breton n’emploie guère le substantif “ intellectuel” dans ses propres textes (aucune occurrence dans le Manifeste du surréalisme), et s’il le fait, ce n’est pas sans réserves, avec le souci de lui donner une valeur spéci­fique, comme, d’ailleurs, pour l’ensemble du vocabulaire. Quand il reprend, en usant de guillemets, l’opposition traditionnelle entre “ manuels ” et “ intellectuels ” , dans l’article “ La dernière grève ” (La Révolution surréaliste n°2, 15 janvier 1925), c’est bien contre son gré, pour se faire mieux comprendre de ses lec­teurs et dépeindre la situation présente, qu’il ne demande qu’à bouleverser au nom de son “ attachement absolu au principe de la liberté humaine ”3. Son rapprochement temporaire avec le parti communiste l’entraîne, me semble-t-il, à user d’un vocabulaire nettement marqué, non sans réserves :

J’accepte, cependant, que par suite d’une méprise, rien de plus, on m’ait pris dans le parti communiste pour un des intellectuels les plus indési­rables ”

concède-t-il dans le Second Manifeste du surréalisme, mais c’est pour dénoncer ses anciens compagnons, ceux “ dont les déterminations morales sont plus que sujettes à caution ” qui, faute de mieux, se rabattent sur l’agitation révolutionnaire, après avoir échoué ailleurs. Dans la mesure où les surréalistes se considèrent comme de véritables révolutionnaires, traîtres à leur classe d’origine, pour employer le jargon d’époque, il va de soi qu’ils puissent être qualifiés d’intellectuels. Eti­quette qu’ils revendiquent même dans leur célèbre télégramme au Bureau International de Littérature révolutionnaire ouvrant le premier numéro du S.A.S.D.L.R., par lequel ils se déclarent prêts à suivre l’attitude du Parti Communiste français dans le cas où l’impérialisme engagerait la guerre contre le régime so­viétique, ajoutant : “ si estimiez en pareil cas un meilleur em­ploi possible de nos facultés sommes à votre disposition pour mission précise exigeant tout autre usage de nous en tant qu’intellectuels ”.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que ce soient les deux surréalistes présents au Congrès de Kharkov, Aragon et Sadoul, qui emploient le plus le substantif “ intellectuels ”, avec une coloration positive, dans les textes où ils pensaient défendre leur mouvement contre les jugements à l’emporte-pièce des écrivains prolétariens. De même, Pierre Unik, Benjamin Pé­ret et Paul Eluard, René Crevel prennent la défense des “ intellectuels ” indochinois et yougoslaves emprisonnés.

Il n’en demeure pas moins que, statistiquement, le terme, employé au singulier ou au pluriel, revêt une valeur nettement péjorative sous la plume des collaborateurs de cette revue lorsqu’ils désignent ainsi leurs adversaires, les intellectuels français bourgeois, de gauche voire communisants ou “ à ten­dances révolutionnaires ”, quand ce ne sont pas les intellec­tuels castillans et catalans contre lesquels Salvador Dali se déchaîne avec une verve paroxystique.

En somme, même s’ils acceptent d’être pris pour des intel­lectuels, lorsqu’ils débattent du devenir révolutionnaire, les surréalistes n’aiment guère ce mot pour eux-mêmes, lui préfé­rant des vocables plus adaptés à leur pratique quotidienne, comme le montrait la brève étude de Thierry Aubert en 1988, étendant son analyse du même terme dans le même corpus à des synonymes (ou presque) :

Le poète est aux intellectuels ce que le militant communiste est au prolétariat. Finalement, la spé­cificité de l’intellectuel surréaliste, cette particularité dont se réclamait Breton, est sa situation poétique ”4.

Est-ce à dire que, refusant pratiquement de s’auto-dési­gner comme intellectuel, si ce n’est durant son compagnonnage communiste, le surréaliste doit être exclu de cette catégorie dont tout le monde reconnaît l’existence depuis l’Affaire Drey­fus, même si l’on se garde d’en donner une définition ? Ici, l’historien des passions françaises, pour ne pas dire des mou­vements d’opinion politique nous est d’un grand secours, dans la mesure où il n’a pas cherché à distinguer, a priori, le rôle de chaque groupe. En étudiant un vaste corpus de manifestes et de pétitions, moyen d’expression caractéristique des intellec­tuels français au XXème siècle, Jean-François Sirinelli montre bien la place qu’y tiennent les surréalistes, parmi d’autres5.

Cela commence par la pétition en faveur d’André Malraux emprisonné en Indochine, signée conjointement par le groupe de la Nouvelle Revue Française et les surréalistes, le 6 septembre 1924, d’ailleurs précédée d’un très sensible plaidoyer d’André Breton publié dans les mêmes Nouvelles littéraires trois se­maines auparavant. Cela se poursuit par l’appel “ Les travail­leurs intellectuels au côté du prolétariat contre la guerre du Maroc ”, texte d’Henri Barbusse publié par L’Humanité du 2 juil­let 1925, contresigné par la rédaction de Clarté, l’ensemble du groupe surréaliste et du groupe Philosophies, scellant l’union de ces trois mouvements et marquant, si l’on peut dire, l’entrée en politique des surréalistes se déterminant contre la guerre du Rif. Puis c’est l’“ Appel à la lutte ” lancé par André Breton au lendemain du 6 février 1934, prônant “ l’unité d’action de la classe ouvrière ” , recueillant près de 90 signa­tures lors de sa publication dans Le Populaire, anticipant l’union des antifascistes et brûlant la politesse à l’Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires sur son propre terrain. Même s’il convient, comme l’indique Siri­nelli, de relativiser la portée de cet appel, et surtout de le mettre en relation avec d’autres textes comme le manifeste “ Aux travailleurs ” lancé par le Comité de Vigilance des Intellec­tuels Antifascistes, et d’ailleurs signé par Breton et Crevel, il n’en marque pas moins la détermination du surréalisme dans le combat contre la bête immonde. De même qu’avec les paci-fistes il proclamera son “ Refus de penser en chœur ” après l’Anschluss, s’opposant ainsi à l’initiative œcuménique du parti communiste.

A la Libération, on s’en doute, les surréalistes ne figu­rent pas parmi les membres du Comité National des Ecrivains. Ils n’ont pas à prendre parti dans les débats qui l’animent au sujet des listes d’écrivains compromis dans la collaboration. Mais, le 29 mars 1947, Breton ne peut refuser sa signature pour une pétition de Sartre en faveur de Paul Nizan calomnié par Aragon et Henri Lefebvre. Durant ce que Sirinelli nomme “ l’âge d’or des intellectuels communistes ”, il est clair que le sur­réalisme n’a guère le moyen d’investir la une des journaux. Pourtant, son activité au sein des mouvements intellectuels se fera sentir, plus ou moins discrètement, lors de la fondation, en novembre 1955, du Comité d’action contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord. Elle éclatera (non pas au grand jour, compte tenu des circonstances, mais du moins assez clai­rement pour que nul n’en ignore aujourd’hui) quelques années après, en septembre-octobre 1960, avec la “ Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie ”, autrement dit le Manifeste des 121, du nombre de ses premiers signataires, parmi lesquels les membres du groupe surréaliste, dont on sait qu’il fut à l’origine du texte en la personne de Dionys Mas­colo et de Jean Schuster. Pour élargir l’audience de cette pro­clamation, et par souci tactique, les surréalistes se mirent en retrait. Paradoxalement, alors que le parti communiste, leur vieil adversaire, commençait, pour la première fois, à perdre de son audience à cette occasion, ils cessèrent pratiquement de signer des appels collectifs avec d’autres intellectuels.

Méfiance envers ceux que naguère ils traitaient durement, repli sur soi ? L’important est d’observer que, s’ils ont pris l’initiative à plusieurs dates marquantes de l’histoire, rameu­tant leurs semblables pour des actions d’envergure, les surréa­listes n’ont donné leur signature qu’avec parcimonie, se refu­sant, pratiquement depuis 1935, à apposer leur nom à côté de ce­lui des communistes, même au sujet de la guerre d’Espagne. De même, s’ils ne font pas écho aux positions de la gauche lors de Munich, c’est qu’ils ne souscrivent pas au pacifisme militant tel que le prônent Alain, Félicien Challaye, Jean Giono.

Le parcours historique de Jean-François Sirinelli prouve, s’il en était besoin, que les surréalistes se sont effective­ment comportés en intellectuels, durant la période considérée, usant de la pétition et du manifeste, relayés par la presse, quand le besoin s’en faisait sentir, n’hésitant pas à promou­voir l’alliance la plus large dans les circonstances les plus importantes. Mais on peut aller plus loin dans cette voie et considérer que le groupe surréaliste, dans sa réalité mouvante, s’est posé, globalement, comme une formation autonome d’intellectuels de gauche, différente des groupes organisés po­litiquement, s’exprimant au moyen de tracts et déclarations collectives, naguère réunis et commentés par José Pierre6. De fait, ces moyens assurent son homogénéité et sa spécificité, quels qu’en soient le mode de diffusion et les destinataires. En tant qu’intellectuels, les surréalistes interviennent, si­multanément, dans le champ politique, comme on vient de le voir, mais aussi dans le champ socio-culturel et encore plus particulièrement dans le débat interne, contribuant à la défi­nition et à l’évolution de leur mouvement.

Dès l’origine, se posant en intellectuels à tendance révo­lutionnaire, ils affirment leur internationalisme et lancent des manifestes en faveur de leurs homologues polonais (8 août 1925), roumains (28 août 1925), hongrois (17 octobre 1925), chinois (23 novembre 1931). C’est ensuite l’Espagne républi­caine qui requiert leur attention, en 1931 comme en juillet 1936, et la Catalogne sous le régime franquiste. Puis à nouveau la Hongrie, devenue la proie des chars soviétiques (“ Hongrie soleil levant ” , novembre 1956) et encore la Pologne (4 juin 1959) dont ils saluent la résistance au stalinisme, marquant ainsi qu’il n’y avait chez eux aucune solution de continuité depuis leur défense de Trotsky (“ La Planète sans visa ”, 24 avril 1935) et leur défiance envers Staline au Congrès des Ecrivains d’août 1935 jusqu’à leurs multiples mises en garde lors des Procès de Moscou. Cette position est rappelée avec vi­gueur dans le tract “ Autour des livrées sanglantes ” (12 avril 1956), au moment où le rapport Khrouchtchev établit les crimes de Staline.

Le combat anti-colonialiste, à partir de la guerre du Rif, les montre vigilants sur l’Indochine dès le mois d’avril 1947 (“ Liberté est un mot vietnamien ”), comme, on vient de le rappe­ler, sur l’Algérie depuis 1955 jusqu’aux accords d’Evian.

Sur le plan de la politique intérieure française, ils sem­blent moins diserts, se désintéressant des jeux parlementaires, dès lors qu’ils ont appelé à “ La Révolution d’abord et tou­jours ” (21 septembre 1925). Ce qui ne les a pas empêchés d’intervenir auprès de leurs pairs lors des grandes crises, jusqu’à se mettre au service de la jeunesse révoltée en mai 1968 (“ Pas de Pasteurs pour cette Rage ”).

Dans le domaine socio-culturel, les surréalistes prennent la défense de ceux qu’ils revendiquent comme leurs précurseurs : Lautréamont (1er mars 1922, avril 1927, 15 décembre 1967), Jarry (1922, 1937), Rimbaud (22 août 1924, 23 octobre 1927). Ou encore leurs compagnons sur la voie de la libération artistique : Reverdy (26 mai 1924), Picasso (18 juin 1924), Saint-Pol-Roux (9 mai 1925), y compris leurs propres camarades, comme les au­teurs de L’Age d’or attaqués par les ligues bien-pensantes (novembre 1930). Ils ne se privent pas d’attaque les fausses gloires, tel Anatole France (Un cadavre, octobre 1924), leurs détracteurs, comme Paul Claudel (1er juillet 1925), défendant au contraire Charlie Chaplin (“ Hands off love ”, octobre 1927), Freud (mars 1938), la meurtrière d’un Camelot du Roy, des jeunes filles injustement condamnées par la société (Violette Nozières, Pauline Dubuisson), sans parler des numéros de La Ré­volution surréaliste dirigés contre toutes les entraves so­ciales. Sur un plan plus artistique, ils luttent contre le na­tionalisme dans l’art en 1939, contre le misérabilisme dans les années cinquante.

Toujours sur le qui-vive, ils se voient tenus d’expliquer leur position pour eux-mêmes (Déclaration du 27 janvier 1925) et pour ceux qui voudraient les assimiler à une simple école artistique (“ Les Intellectuels et la révolution ”, 8 novembre 1925), refusant l’intégration pure et simple au parti commu­niste (“ Au grand jour ”, mai 1927), comme la dispersion artis­tique (“ A suivre… ”, juin 1929). Il serait fastidieux d’énumérer, ici, tous les communiqués et déclarations relatifs aux exclusions, aux mises en garde aussi bien qu’aux réintégra­tions des membres du groupe surréaliste. Une critique superfi­cielle en a fait des gorges chaudes, sans comprendre en quoi de telles proclamations étaient consubstantielles à ce groupement intellectuel, constamment appelé à se protéger de ses alliés avides de les annexer ou même de ses adversaires trop enclins à les neutraliser. Le phénomène nouveau, à cet égard, est la très grande attention portée par un certain public, amateur de ce genre de règlements de compte, à ce qui, dans les partis poli­tiques, relève de la commission des conflits. Mais c’est juste­ment parce qu’il n’est pas organisé comme une formation parti­sane que le surréalisme agit ainsi au grand jour, rappelant constamment des principes, non consignés dans une charte fonda­mentale. Outre les Manifestes d’André Breton, des textes comme “ Rupture inaugurale ” (21 juin 1947), “ A la niche les glapis­seurs de Dieu”(14 juin 1948), “ Haute fréquence ” (24 mai 1951), “ Pour un demain joueur ” (1967) peuvent en tenir lieu.

Replacées dans le contexte, ces modalités

que l’on a cru propres au tempérament surréaliste apparaissent en fait comme l’attitude exacerbée d’intellectuels soucieux de transformer leurs paroles en actes, d’entraîner le plus grand nombre à leur suite. Qu’ils n’y soient parvenus que très partiellement et très épisodiquement est un autre problème. La légitimation sociale du surréalisme relève de processus bien particuliers, encore peu étudiés, qui n’ont rien à voir avec les mécanismes habituels relevant des lois du marché, des instances étatiques ni même de la compétence reconnue par les pairs. Le fait est que les surréalistes font partie de ces intellectuels qui ont forgé le paysage spirituel de la France pendant un demi-siècle, quand bien-même ils se glorifiaient de la trahison des clercs.

Henri BEHAR

Compléments :

Voir et télécharger gratuitement le volume de la collection Les Pas perdus:

Microsoft Word – Intello_surrealiste_SBIndexCorr.doc (melusine-surrealisme.fr)

Compte rendu Fabula :<<<<<<<<<<<<<<: Intellectuel surréaliste, M. Vassevière (éd) (fabula.org)

Compte rendu Fabula : https://www.fabula.org/acta/document4551.php

Pour mémoire :

Programme du séminaire 2004-2005
Figures du surréaliste en intellectuel après 1945
GDR 2223 CNRS. (Directeur : Henri BEHAR
12 novembre 04 17h-19h, s. 410
Nathalie LIMAT-LETELLIER– Maryse VASSEVIÈRE : Introduction du séminaire : problématique et contextualisation
10 décembre 04 17h-19h, s. 410
Henri BÉHAR : Le droit à l’insoumission : les surréalistes et la Guerre d’Algérie
14 janvier 05 17h-19h s. 410
Marie-Christine LALA : La dimension intellectuelle de Georges Bataille après 1945
11 février 05 16h-18h s. 410
Sophie LECLERCQ : Le discours sur l’Autre et la nouvelle légitimité de l’intellectuel surréaliste après 1945
11 mars 05 16h-18h s. 410
Carole REYNAUD-PALIGOT : Les surréalistes et le mouvement libertaire après 1945
8 avril 05 16h-18h s. 410
Pierre VILAR : Leiris, intellectuel à la corne de taureau
Les séances auront lieu à l’Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle, Centre Censier, 13 rue de Santeuil, 75005 Paris (Métro Censier-Daubenton), salle 410 (4ème étage) les vendredis de 17h à 19h au premier semestre et de 16h à 18h au deuxième semestre.

Prolongements : Voir aussi, plus récemment : Histoire du surréalisme ignoré (1945-1969) Du Déshonneur des poètes au « surréalisme éternel » Anne Foucault

  1. Présentation

L’activité surréaliste parisienne entre 1946 et 1969 est encore mal connue et relativement dévaluée en comparaison de la période de l’entre-deux guerres. Partant d’une approche résolument collective, cet ouvrage entreprend de comprendre et critiquer cette dévalorisation. Confronté aux premières entreprises historiographiques qui participent à l’institutionnalisation de son passé et de son héritage, le surréalisme parvient à inventer des voies neuves sur le plan plastique, en particulier autour de l’automatisme (Simon Hantaï, Adrien Dax), de l’objet (Hervé Télémaque, Konrad Klapheck), de la théorisation et de la pratique d’un art magique (Jean Benoît, Jorge Camacho). Sur le plan politique, cette même approche collective permet de percevoir qu’après une période d’isolement jusqu’au mitan des années 1950, les valeurs défendues par les surréalistes connaissent à la faveur de la déstalinisation et des luttes de décolonisation une reconnaissance dans les milieux intellectuels. Commence alors pour le groupe une série de collaborations dont les enjeux et les difficultés permettent de mieux comprendre ce qui put conduire à l’auto-dissolution du groupe peu de temps après Mai 68.


1 Voir : Jean-Pierre Bertrand, Jacques Dubois, Pascal Durand : “ Approche institutionnelle du premier surréalisme (1919-1924) ”, Pratiques, n°38, juin 1983, pp. 27-53 ; ainsi que la thèse de Norbert Bandier : Analyse sociologique du groupe surréaliste français et de sa production de 1924 à 1929, Université de Lyon II, 1988, 591 p. dactyl. plus annexes.

2 Jean-Luc Rispail : “ Contextes surréalistes d’Intellectuel(s) 1924-1933 ”, p. 62, dans l’ouvrage collectif dirigé par D. Bon­naud-Lamotte et lui-même : Intellectuel(s) des années trente entre le rêve et l’action, Editions du CNRS, 1989, 280 p. ill.

3 Référence signalée, avec erreur de pagination et mastic dans la citation, par Edouard Béguin dans l’article “ Intellectuel(s) chez Aragon ”, ibid, p.106.

4 Thierry Aubert : “ L’intellectuel surréaliste dans le SASDLR ”, travail de D.E.A. publié dans notre brochure de cours L’Ordinateur au service de la littérature, Université Paris III, 1988, p.95.

5 Jean-François Sirinelli : Intellectuels et passions fran­çaises –Manifestes et pétitions au XXe siècle, Fayard, 1990, 365 p.

6 José Pierre : Tracts surréalistes et déclarations collec­tives 1922-1969, Le Terrain vague, 2 vol. 1980-1982.

« Lieux-dits, les titres surréalistes », Mélusine, n° 4, 1983, pp. 77-101 (voir n° 34). « Portes battantes », Mélusine, n° 4, 1983, pp. 339-341.

Publié d’abord en polonais, suivi du corpus des titres étudiés :

34. « O tytulach surrealstycznych », Pamietnik literacki, Varsovie, 1981, N° 2, pp. 260-277.

Mélusine n°IV: Le Livre surréaliste, 1983

[Télécharger l’article en PDF : « Lieux-dits »]

Article repris dans le volume Henri Béhar, Les Enfants perdus, Lausanne, L’Age d’Homme, 2002, p. 167-194.

https://www.revue-textimage.com/12_varia_5/mjakobi1.htmloir

Voir en complément l’article de Marianne Jakobi : https://www.revue-textimage.com/12_varia_5/mjakobi1.html