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« Figures du chassé-croisé », Mélusine, n° XVII, « Chassé-croisé Tzara-Breton », 1997, p. 9-31.

Cette livraison de Mélusine consignait les actes du colloque organisé sur le même sujet à la Sorbonne à l’occasion du centième anniversaire de chacun des deux poètes.

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Au cours du colloque, les élèves de Monique Sebbag interprétèrent de manière inopiné une partie du Procès Dada. La surprise fut totale et bien venue.

De la même façon, mais cela figurait au programme, le metteur en scène Sylvain Dhomme donna, Le Coeur àgaz de Tzara, dans une salle du Centre Censier, avec les étudiants de l’Université Partis III ; spectacle qu’il reprit peu après en ville, dont rendit compte le journal Libération.

Critique : https://www.liberation.fr/culture/1996/05/24/theatre-grace-a-sylvain-dhomme-redecouverte-a-paris-de-coeur-a-gaz-une-piece-du-roumain-dada-tristan_170831/

THÉÂTRE. Grâce à Sylvain Dhomme, redécouverte à Paris de «Coeur à gaz», une pièce du Roumain Dada Tristan Tzara, dont les personnages (Nez, oeil ou Bouche) oeuvrent avec brio dans l’absurde et le non-sens. Le Dada de Tzara repart bon pied bon oeil. Coeur à gaz, de Tristan Tzara, m.s. Sylvain Dhomme, du 27 au 31 mai, 21 heures, à Confluences, 190, boulevard de Charonne, Paris.

Par Jean-Pierre THIBAUDAT

publié le 24 mai 1996 à 5h13

«COU est au dessus de la scène, NEZ vis-à-vis au-dessus du public.

Tous les autres personnages entrent et sortent ad libitum. Le cœur chauffé au gaz marche lentement, grande circulation», dit énigmatiquement un hurluberlu roumain, sur une scène de la rive droite, en juin 1921.

L’homme a 25 ans, il est arrivé à Paris l’année précédente et parle avec un accent qui surprit ceux qui le connaissaient par ses écrits, il se nomme Tristan Tzara. Il anime ce jour-là une «soirée Dada» et poursuit le prologue de sa pièce Cœur à gaz : «C’est la seule et la plus grande escroquerie du siècle en 3 actes, elle ne portera bonheur qu’aux imbéciles industrialisés qui croient à l’existence des génies. Les interprètes sont priés de donner à cette pièce l’attention due à un chef-d’œuvre de la force de Macbeth et de Chantecler, mais de traiter l’auteur, qui n’est pas un génie, avec peu de respect et de constater le manque de sérieux du texte qui n’apporte aucune nouveauté sur la technique du théâtre.» Les spectateurs sont prévenus. Entrent les interprètes parmi lesquels Soupault, Ribemont-Dessaignes et Aragon. Une partie du public semble avoir quitté la salle dès l’introduction de Tzara.

Une deuxième représentation aura lieu en juillet 1923 au théâtre Michel avec costumes de Sonia Delaunay, acteurs pros et mise en scène. Les surréalistes en herbe vinrent faire le baston. «André Breton, canne en main, menait son escouade. En deux vagues, ils partirent à l’assaut de la scène. Breton cassa un bras à Pierre de Massot, Paul Eluard gifla Tzara et Crevel. Il y eut intervention de la police, interdiction préfectorale de la deuxième représentation, échange de papiers bleus», raconte Sylvain Dhomme. Il n’y était pas, mais c’est tout comme.

Depuis, la pièce végétait en français dans son édition rare illustrée par Max Ernst. Ici et là, certains (Belges, Suédois) s’aventurèrent à la monter, Andy Warhol avec d’autres en fit une lecture à New York. Ces dernières années, on pouvait la dénicher dans les oeuvres complètes de Tzara (Flammarion) dues aux bons soins de Henri Béhar. Or voici que, conjointement, ce dernier publie Coeur à gaz avec d’autres textes en poche dans Dada est tatou tout est dada (GF Flammarion) et que Sylvain Dhomme ressuscite la pièce avec une bande de jeunes acteurs très en verve du groupe XYZ (Chérif Daara, Jean Duprat, Mélanie Elsner, Frédéric Jaubert, Isis Peyrade, Jean-Jacques Verger).

Qui est Sylvain Dhomme? Un touche-à-tout, mais pas à n’importe quoi. Le premier metteur en scène des Chaises de Ionesco au Théâtre de Lancry en 1952 avec, déjà Tsilla Chelton, c’est lui. Du Figaro à Libération (l’autre), un éreintement. Quand la pièce rencontre le succès quatre ans plus tard dans la mise en scène de Jacques Mauclair (qui la joue en tandem avec Chelton), le plus clairvoyant des critiques de l’époque, Jacques Lemarchant, rend hommage à Sylvain Dhomme, «inventeur perspicace et metteur en scène aussi subtil que courageux». Sa présente mise en scène alerte de Cœur à gaz prouve que c’est toujours le cas.

Entre-temps, Dhomme a monté bien des spectacles, élargi son éventail au cinéma (il a signé l’un des sketches des Sept Péchés capitaux, côtoyé Orson Welles et réalisé une tripotée de films pédagogiques), à la télévision (il a filmé remarquablement plusieurs spectacles dont la Leçon de Ionesco que l’on a vu sur Arte), à la radio (auprès de Pierre Schaeffer), etc. Il a aussi écrit un gros ouvrage, la Mise en scène d’Antoine à Brecht, qui se lit comme un roman et mériterait amplement d’être réédité.

Il y a deux ans, à l’école de Robert Cordier, il pilotait un stage pour jeunes acteurs. «Un jour, je leur ai lancé dans les pattes un bout de Coeur à gaz en leur disant, je reviens dans une demi-heure. Je suis revenu: il se passait des quantités de choses.» L’envie de faire un spectacle est venue ainsi.

Et, comme on fête cette année le centenaire de la naissance de Tzara, le spectacle est devenu un moment fort du colloque «Chassé-croisé Tzara-Breton», coorganisé par la Sorbonne nouvelle; Dhomme a pu récolter 5.000 francs, de quoi payer quelques frais, car, dans l’histoire surprenante mais véridique de Cœur à gaz, personne n’est payé, d’autant plus que tout le monde se dépense sans compter. Sylvain Dhomme en tête: «J’ai l’impression de vivre une aventure comme je n’en ai même pas vécu lorsque j’étais jeune metteur en scène.» A la lecture, la pièce (dont les «personnages» se nomment Nez, Bouche, Sourcil, œil, Oreille) semble injouable, ce qui est toujours bon signe. A la scène, Dhomme et ses jeunes acteurs, convaincus de son évidence, la rendent transparente. «Le grand secret est là: la pensée se fait dans la bouche», écrit Tzara dans l’un de ses manifestes, et, dans d’autres, il dit haïr «le bon sens» et vouloir, entre autres réjouissances, «chier en couleurs diverses pour orner le jardin zoologique de l’art de tous les drapeaux des consulats».

La preuve par Coeur à gaz. «Hé, là-bas, l’homme aux plaies mollusques laines chaînes, l’homme aux peines diverses et aux poches, l’homme tarte à la géographie, d’où êtes-vous?», demande Nez. Et, après que Sourcil ait dit: «Une fois par jour nous avortons de nos obscurités», oeil lâchera: «La conversation devient ennuyeuse n’est-ce pas.» Dadaïssime et dinguement d’aujourd’hui. «Elle est charmante votre pièce, mais on n’y comprend rien», précisera Nez, à toutes fins utiles.

Ajoutons que mettre en piste ce texte longtemps après le théâtre de Ionesco laisse à penser que ce dernier a dû lire, dans sa jeunesse, cette pièce de Tzara, Roumain comme lui, avant d’écrire la Leçon ou la Cantatrice chauve. Logiquement, par-delà les ans, la curieuse carrière de Sylvain Dhomme jette un pont entre les deux loustics.

Prolongements :

1. Jean-Pierre Lassalle, « Catalogue Chassé-croisé Dada-surréaliste 1916-1969 », Cahiers d’Occitanie, nouvelle série, n° 50, juin 2012. Voir le compte rendu par Georges Sebbag : https://www.philosophieetsurrealisme.fr/jean-pierre-lassalle-recense-chasse-croise-dada-surrealiste/

Voir :

colloque Cerisy 2016 : Poéésie et politique: https://cerisy-colloques.fr/poesiepolitique-pub2011/

POÉSIE ET POLITIQUE AU XXe SIÈCLE, Henri BÉHAR, Pierre TAMINIAUX (dir.)

Issu des travaux du colloque international organisé à Cerisy-la-Salle en juillet 2010, Poésie et politique au XXe siècle éclaire d’un jour nouveau les rapports de la poésie de langue française aux événements historiques et politiques qui ont traversé et informé ce siècle tragique et tourmenté.
Cernant au plus près le caractère éternel et universel des questions éthiques et philosophiques que l’événement soulève, cet ouvrage offre des perspectives actuelles, détachées des simples circonstances du moment.
Il s’agit de mettre en question une conception traditionnelle de la poésie comme simple expression esthétique et formelle de l’homme et de son langage. À travers l’étude de mouvements modernistes ou d’avant-garde, de dada au surréalisme jusqu’au situationnisme, ressort l’importance déterminante de l’engagement du poète dans la communauté.
Les rapports étroits et complexes de personnalités telles que Tristan Tzara, André Breton, Paul Éluard et Benjamin Péret à l’idée de révolution poétique sont ici considérés comme des cas exemplaires. L’enquête s’étend au parcours de figures singulières, de René Char à Francis Ponge en passant par Aimé Césaire. Tous ont accompagné de manière radicale et existentielle les actions de la résistance à l’occupation nazie ou la lutte des peuples du tiers-monde pour leur indépendance.
Au-delà, on examine l’expression politique de la poésie contemporaine dans la mouvance de mai 68 (comme celle de la revue TXT), celle de Jean-Clarence Lambert et me me les recherches formelles ludiques effectuées par l’Oulipo. Enfin, une place particulière est accordée à la poésie issue des cultures francophones hors de l’hexagone, du Québec à Haïti.

Florian Cunière : ”Tristan Tzara. Pour une poétique de la connaissance (1925-1937)” Thèse, 2023

Résumé par l’auteur :

Cette thèse se propose de revenir sur une période charnière de l’œuvre de Tristan Tzara (1925- 1937) pour mettre en lumière le rôle joué dans son écriture par les savoirs scientifiques. Marqué par une succession de révolutions intellectuelles dans de multiples champs disciplinaires, le premier tiers du XXe siècle est en effet le témoin de nouveaux paradigmes qui entérinent une approche inédite de l’être humain et du cosmos. Désirant s’affranchir de systèmes de pensée (positivistes, rationalistes, capitalistes et ethnocentristes) qu’ils jugent obsolètes, les avant-gardes littéraires et artistiques prennent acte de ces bouleversements philosophiques et scientifiques. Animé par une curiosité sans bornes et influencé par les recherches menées par le groupe surréaliste auquel il se rallie de 1929 à 1935, Tristan Tzara, encore trop souvent considéré sous l’angle du seul mouvement Dada, s’est lui-même emparé de ces problématiques nouvelles, lesquelles ont durablement infléchi son imaginaire et sa pratique artistique. À travers divers modes de réappropriation et d’hybridation tels que le collage, la réécriture ou encore la reprise d’un vocabulaire spécialisé, ses écrits théoriques et poétiques témoignent ainsi de sa volonté d’élaborer une nouvelle méthode de connaissance dans laquelle art, science et politique œuvrent désormais de concert.