MÉLUSINE

Esquisses sur la peinture surréaliste

1er mars 2015

Ce sont les arts des années quarante qui jouèrent le rôle le plus déterminant dans la réception du surréalisme en Hongrie. Arpàd Mezei, l'un des fondateurs, en 1946, de l'École européenne, a longtemps collaboré avec Marcel Jean. Les membres de l'Ecole européenne pratiquent le surréalisme en peinture, non sans d'ailleurs le teinter d'abstraction (Jozsef Jakovits, Endre Rozsda ou Ferenc Martin), tandis que d'un point de vue théorique surgissent des conceptions telles que l'usage des traditions ancestrales des busójàràs de Mohàcs (1) dans la recherche d'un inconscient collectif et la quête du surréalisme. Cette génération (Dezso Komis, Endre Bàlint, Jozsef Jakovits, Julia Vajda, sans oublier la jeune Lili Orszàg), renouvela également les genres du montage et du photomontage à partir de la fin des années cinquante. Dans les années soixante et soixante-dix, le surréalisme devait rester d'actualité, avec l'abstraction: ces deux tendances constituaient les cibles de prédilection de l'establishment politico-culturel. L'apparition des « surnaturalistes » dans la première moitié des années soixante est un des premiers signes de ce changement, que nous qualifierons de nouvelle avant-garde. On a coutume de faire remonter les racines de cette tendance à la peinture d'Aurél Bernàth, moins empreinte d'avant-garde, pourtant, que d'un réalisme lyrique en déliquescence : en effet, c'est un disciple de ce peintre, Tibor Csemus, qui, par le recours à diverses techniques, comme le frottage, donna au réalisme une dimension magique. Dès 1964, Csernus émigra à Paris, pour y devenir, quelques années plus tard, un représentant avant la lettre de l'hyperréalisme. Nouvelle émigration à Paris, un an plus tard, celle d'Akos Szab6, plus acerbe et moins pictural que Csernus, son aîné, mais d'autant plus « surréaliste ». L'élaboration d'un « surréalisme magique » à partir des éléments de la nature occupe le devant de la scène artistique au moins pour deux raisons: d'une part parce que les débats stériles autour de l'abstraction avaient suscité un nouveau besoin de matérialité, concrétisé, entre autres choses, par l'adaptation du principe de montage (3), d'autre part parce qu'une telle tendance travaillant à partir d'éléments somme toute réalistes ne pouvait pas irriter le pouvoir politico-culturel autant que l'art non figuratif, qualifié de formaliste et de totalement étranger à la classe ouvrière. Parmi les autres représentants marquants du surnaturalisme, citons Làszló Lakner, avec des peintures méticuleuses et encombrées, telles que Placard polytechnique à outils (1962-64) ou Locomotive planisphérique (1963). Lakner cependant ne tarda pas à s'orienter vers le pop art et l'hyperréalisme. Làszló Gyémànt tenta de restituer l'atmosphère du jazz et du style de vie américains par des œuvres basées sur le principe de montage. Dans la peinture mi-abstraite et « végétative » de Ignàc Kokas, on note l'influence sporadique de la peinture paysagiste traditionnelle de l'Alfóld (la grande plaine hongroise). Quant au succès et à la popularité, la palme revient à Gyórgy Korga et Endre Szàsz, qui surent le mieux commercialiser la vision surnaturaliste. Face à tous ces artistes, la variante la plus étrange du surnaturalisme est la peinture de Sàndor Altorjai, même si parmi les œuvres sauvées de la disparition, une seule nous paraît appartenir à cette catégorie, Ça m'émeut tant (1966). Altorjai, au même titre que les autres représentants de cette tendance, expérimenta une technique qui lui est caractéristique, les coulées de peinture. A ses compositions tour à tour figuratives et non figuratives, il associa l'idéologie du « diadiaisme », dont le porte-parole, le père Diadia, personnage créé par Altorjai, est à la fois l'incarnation de la bêtise, une sorte de roi Ubu hongrois, et l'alter ego fictif du peintre. Dans la mesure où la peinture informelle des années cinquante et soixante pratique la technique d'écriture automatique surréaliste, nous pourrions citer un nombre important de jeunes artistes adonnés à l'abstraction lyrique, la calligraphie et la peinture-acte, comme par exemple Krisztiàn Frey ou Endre Tót. Vu à une distance historique, le surnaturalisme s'avère donc avoir été un phénomène marquant, mais seulement temporaire : aucun de ses représentants ne resta longtemps fidèle à cette vision artistique. C'est au pop art, à l'hyperréalisme et à l'art conceptuel que les routes menèrent ensuite.

Galerie nationale, Budapest


  1. Le dimanche du Carnaval (mi-février), à Mohàcs, non loin de Pécs, les habitants revêtent les costumes les plus étranges et les masques aux expressions les plus cruelles. Ils descendent ensuite dans les rues et forment le cortège busô, qui doit être le plus bruyant et le plus effrayant possible. Il s'agit par cette très ancienne coutume héritée du chamanisme de chasser les mauvais esprits de l'hiver et d'annoncer la venue du printemps. (N.de G.B.)
  2. Cette appellation est celle de Géza Perneczky, « A magyar "szürnaturalizmus" problémâja » [Le problème du "surnaturalisme" hongrois], in (Jj Iràs , Budapest, 1966/1, pp. 100-109.
  3. À ce sujet, voir Miklós Erdély, in Valôsàg, 1964/4, pp. 100-106.