MÉLUSINE

Suivre le fil de la parque

tentative d'exploration des strates rozsdéennes

1er mars 2015

Suivre le fil de la parque, tentative d'exploration des strates rozsdéennes, par Borbála Kálmán, publié dans la revue Mélusine numérique n° 1

Endre Rozsda est né le 18 novembre 1913, un mardi. L’enfant dessinant sans cesse sur les murs de la maison familiale déclare quelques années plus tard : « je serai peintre ». Et comme « dans le cas de celui qui affirme : je serai conducteur de train » (1), il est en effet devenu conducteur de train, ou plus exactement machiniste de son propre engin à remonter le temps. « C’est le matériau qui crée la surface mentale d’où je peux partir à la recherche du temps. La machine à remonter le temps me transporte dans le passé et me fait découvrir les choses que je ne comprenais pas au moment où je les vivais » (2). En lisant ces lignes, il nous vient soudainement une envie puissante de rejoindre Rozsda dans ses promenades temporelles, ou, tout simplement, d’avoir accès à ces expériences. Malheureusement, la machine de Rozsda ne se trouve pas à portée de main ; il subsiste cependant des souvenirs capables de nous transporter vers le passé et grâce auxquels l’ambiguïté de quelques aspects de la carrière du peintre, encore peu examinés, deviennent mieux compréhensibles pour nous, spectateurs tardifs de ses œuvres. Prenons par exemple le rapport qui liait Rozsda au surréalisme ou la vision qu’avaient de lui certains de ses contemporains. Il s’en dégage de manière plus spécifique une coupe transversale que représentent les années 1957-1965 : le début du second séjour de Rozsda en France, ainsi que sa première exposition à la Galerie Furstenberg – la reconnaissance internationale de son rapport au surréalisme et l’insertion de son œuvre au sein de l’une des publications importantes d’André Breton. Voici les événements considérables encadrant ces quelques années caractéristiques d’une période courte mais d’autant plus intense. En examinant de plus près les strates de cette coupe, ce sera par la mise en relief des méthodes de théories, de pratiques et de techniques picturales qu’il sera possible d’explorer les aspects de l’œuvre de Rozsda ayant incité les acteurs influents du surréalisme français à compter le peintre hongrois dans le groupe. Il devient alors possible de mettre en évidence la signification véritable du « surréalisme spécifique » d’Endre Rozsda.

Perception et réception

L’année en question : 1961. L’œuvre d’Endre Rozsda (Fenêtres) figure avec celles de Meret Oppenheim et de Toyen, entre autres, à la Mostra Internazionale del Surrealismo, soit à l’Exposition Internationale du Surréalisme, à Milan. La direction de l’exposition revient à André Breton, l’organisation à José Pierre, membre fidèle, depuis longtemps, du navire piloté par Breton, ainsi qu’à Tristan Sauvage qui n’est autre qu’Arturo Schwarz : l’une des premières expositions dans sa librairie transformée en galerie est une coopération avec Breton (3). Au total, mille cinq cents catalogues quittent l’imprimerie pour rendre compte de l’événement, suivis de cinquante exemplaires contenant chacun des gravures originales de certains des artistes participants (4). L’édition frappe immédiatement le spectateur non averti par sa couverture : une photographie en noir et blanc, coloriée en jaune, occupe l’espace entier du format vertical ; il s’agit d’une photo de groupe.

Couverture du catalogue

Des figures humaines, nous en comptons vingt-deux (peut-être vingt-trois) : chaque figurant porte un masque devant son visage, certains le complétant de lunettes de soleil, d’autres de pipes. Semblables à des apparitions, des esprits sans expression, raides, qui auraient revêtu l’aspect humain. Dix-huit artistes participent à l’exposition (5), d’où la probabilité qu’à côté des participants, les « organisateurs » soient aussi présents sur la photographie. D’après nos connaissances actuelles, il s’agirait de la seule photographie existante et publiée où Rozsda, photographiant sans relâche son environnement et lui-même mais n’apparaissant que sur un nombre insignifiant de clichés pris par d’autres, serait « visible ensemble » avec Breton et plusieurs de ses collègues artistes. Dans l’arrière-plan surgit un mur couvert d’un manteau de lierre avec au centre une porte en bois dotée de ferrure ; de la végétation abondante les entoure. Le lieu où nous sommes : Milan. Sur la première page du catalogue apparaît le titre du texte : « Le désespoir des jardiniers ou le Surréalisme et la peinture depuis 1950 » (6). Les organisateurs sont clairs sur l’objectif de cette exposition de groupe : prouver que le surréalisme suit bien une ligne existante et même prospère, et dont les artistes exposant à la mostra sont parmi les chefs de file – nettement dissociés des « ersatz » ayant envahi galeries et musées les quinze années précédentes (7). Le texte signé José Pierre « met en garde » le public d’une part contre les « sous-produits » surréalistes utilisant l’une des recettes bien connue de quelques grands prédécesseurs (Max Ernst, Roberto Matta, André Masson), d’autre part contre les « vulgaires arrivistes » qui, incapables d’obtenir la reconnaissance de leur travail par leur propre nom, mobilisent une armée de reporters autour de leur « prétendue activité surréaliste » – en exemple, il cite Salvador Dalí et Simon Hantaï (8). Pierre entreprend par ailleurs d’éclairer quelques notions : « … le Surréalisme ne se définit pas par les moyens utilisés, mais par une conception révolutionnaire de l’existence étendue au comportement moral comme au comportement créateur » (9). L’exposition en question est, d’après ses affirmations, formellement exempte de grands noms, ne souhaite pas être rétrospective, et a pour unique but de représenter l’« actualité » du surréalisme (avec des œuvres datant tout au plus de dix ans) et, peut-être le plus important : seules des œuvres « peintes par des Surréalistes au sens propre du terme » figurent à l’exposition. Pierre distingue au sein de ce cercle les artistes qui « découverts et accueillis avec enthousiasme par les Surréalistes, ont accepté de se voir considérés comme des leurs ». Endre Rozsda est nommé précisément au sein de ce groupe-là. Il devient donc manifeste que le peintre hongrois, qui évite la plupart du temps la « catégorisation » et le classement de son art, estime cette « étiquette » encore envisageable. Du point de vue de la recherche sur l’œuvre de Rozsda, le catalogue milanais de 1961, resté longtemps dans l’ombre, met en évidence que les porte-parole contemporains de cette époque du surréalisme évoquaient bien les œuvres du peintre hongrois parmi les plus actuelles du dit mouvement.

La relation entre Rozsda et l’écrivain, poète et théoricien français André Breton est à compter à partir du texte d’introduction de ce dernier rédigé en 1957 pour l’exposition de Rozsda, présentée à la Galerie Furstenberg à Paris. Ce texte est devenu soi-disant emblématique de l’œuvre rozsdéenne (10), mais il n’est pas le seul document à témoigner de l’attention professionnelle que Breton portait au peintre hongrois, comme le révèle aussi entre autres l’exposition milanaise. Un projet pour un numéro hors-série du magazine français L’Œil, tapé à la machine, anonyme et subsistant sous forme de brouillon, indique indéniablement que, selon la pléiade composée par des rédacteurs professionnels comme Breton, José Pierre, et Joyce Mansour, Rozsda appartenait à la catégorie du rêveur parmi les cinq types de peintres surréalistes identifiés au sein d’une nébuleuse de noms illustres liés au surréalisme (11). Ce nouveau « classement », plus spécifique, permet de souligner un élément essentiel à la présente tentative : l’aspect clairement onirique de l’art de Rozsda. Mentionnons une réminiscence verbale également :

Une fois, lorsque Breton, sa deuxième femme et Simone Collinet dînaient chez moi, je leur ai montré mes tableaux récemment exécutés et leur ai demandé si, selon eux, j’étais bien surréaliste, car j’avais l’impression que mes tableaux n’étaient plus vraiment surréalistes. A quoi Breton avait répondu : « Naturellement, car c’est votre perception de la vie qui est surréaliste, et c’est ce qui importe » (12).

Cette soirée a peut-être eu lieu en même temps que la publication de l’édition corrigée de la « bible artistique » de Breton, le volume du Surréalisme et la peinture, soit le « panthéon bretonnien » dans lequel l’auteur avait inséré une œuvre de Rozsda accompagnée de son texte de 1957 (13).

Françoise Gilot et Endre Rozsda en 1963

Ces publications et récits, ainsi que le prix Copley attribué à Rozsda en 1964 (et dont l’un des aspects les plus importants réside en ce que plusieurs d’entre ceux qui lui avaient décerné le prix, alors déjà tout à fait indépendants de Breton, avaient aussi assisté à la naissance du surréalisme – donc Marcel Duchamp ou Max Ernst portaient bien un « regard surréaliste » différent sur le lauréat) semblent suffire à consacrer une attention sérieuse au surréalisme de Rozsda et à son importance – surtout à la lumière de certains propos du groupe français –, en se fondant tout d’abord sur cette coupe temporelle 1957-1965 mentionnée auparavant. En reprenant la pensée de Breton, il est nécessaire de déchiffrer l’essence même de la perception entière de Rozsda pour pouvoir comprendre pourquoi son activité, son art, avaient une portée si intéressante aux yeux des surréalistes : Rozsda incarnait – même malgré lui – quelques-uns des « critères » énoncés comme révolutionnaires environ quarante ans plus tôt par un certain groupe dans la volonté d’appliquer la méthode visant à libérer l’existence et la conscience humaines.

Calquage

Deux notions presque inséparables sont à l’œuvre dans la pensée et l’approche créative de Rozsda : le temps et le rêve. Deux notions qui s’unissent pour ne former qu’une seule dimension s’entrelaçant avec la réalité, et pouvant néanmoins fonctionner en parallèle et de façon perméable l’une à l’autre.

Je me rêve vivant dans un monde où je puisse marcher sur la dimension du temps, en avant, en arrière, vers le haut, vers le bas ; où je puisse marcher, adulte, dans un temps où je fus en réalité enfant. […] Je capte des sons, je tisse des fils multicolores pour les attraper et j’écoute leurs appels. Je saute ici et là, pinceau en main, occupé à vite fixer le passé (14).

Bien que nous puissions voir ces peintures, empreintes d’aventures fugaces, comment concevoir cette capacité de Rozsda à « marcher dans le temps » ? Il ne l’exerçait assurément pas dans le sens physique du terme. Méditation : c’est passer dans une autre dimension (un autre champ psychologique), soit le résultat de l’état onirique auquel Rozsda parvient « consciemment ». Le voyage est donc la conséquence d’une activité intellectuelle, soit un état atteint à travers le processus de création. « C’est le matériau qui crée la surface mentale d’où je peux partir à la recherche du temps » ; la phrase fait écho. Pour Rozsda, le rêve – en tant qu’activité cérébrale inconsciente – n’était pas uniquement saisissable par le sommeil, puisqu’il était capable de déclencher ce processus en état d’éveil lorsqu’il peignait. Les voyages se déroulant psychiquement, ses rencontres engendrées avec le passé (à travers des connaissances, des inconnus, des événements et lieux historiques) le coupaient en effet de la réalité mais elles se cristallisaient en de « véritables » souvenirs. Cet état lui était donc constamment disponible, tout autant que la liberté du « voyage dans le temps ». De manière intéressante, les premières observations de Rozsda dans le domaine du rêve relèvent d’expériences vécues en tant que jeune homme, cependant qu’il aspire consciemment à s’ouvrir de nouvelles dimensions. Françoise Gilot se rappelle des débuts l’artiste :

Je suis toujours surprise par les biographies parce que cela a en fait commencé en 1942. [...] C’était progressif, [...] comme quelque chose venue par le côté et ayant éliminé petit à petit sa période précédente, [...] une motivation plutôt métaphysique. [...] Il disait tout le temps qu’il voulait se mettre dans un état de rêve, c’est-à-dire justement de procéder comme faisaient les surréalistes qui voulaient ne plus raisonner avec la raison mais au contraire [se servir de] l’inconscient. [...] C’est en quelque sorte par le dessin qu’il a obliqué, qu’il est allé vers cet aspect beaucoup plus surréaliste, [...] plus vite que [dans] sa peinture (15).

Sans tenir compte, donc, des visions « prophétiques » d’enfance racontées par Rozsda à plusieurs reprises, ni de son rapport à la peinture qui s’était révélé très tôt (16), le peintre se laisse absorber par la redécouverte de sa méthode, oubliée après l’âge tendre, au cours de son premier séjour à Paris, et même, plutôt vers la fin de cette période, créant lui-même la possibilité de pouvoir s’immiscer dans une autre réalité : suite au réveil du matin, il se recouche consciemment pour rêver, et pour ensuite tenter de capturer dans sa propre langue picturale ce qu’il avait vu. Cette méthode a sans doute fortement contribué à ce que Rozsda puisse plus tard dissoudre son univers formel grâce à son propre vocabulaire.

Dans son ouvrage publié en 1974, Sarane Alexandrian examine le rapport du « surréalisme et du rêve », en « connaissance de l’inconscient » (17). La singularité du volume d’Alexandrian réside en ce qu’il complète à travers des récits, événements et documents inédits ou encore non examinés les premiers pas du groupe surréaliste – à partir de l’histoire de la recherche sur le rêve, en passant par les débuts de la carrière de Breton (comment l’assistant en neurologie du centre psychiatrique de l’armée devient quelques années plus tard l’élaborateur de la technique de l’écriture automatique et le créateur du groupe surréaliste et de son manifeste) –, tout ceci dans le cadre d’une entreprise tentant d’éclaircir le réseau d’interconnexions quasiment indénouables entre le surréalisme et le rêve. Grâce à cet ouvrage, le rapport des surréalistes au rêve et le rôle que celui-ci occupait au sein de toutes leurs initiatives devient évident. La technique de l’écriture automatique élaborée au commencement est l’enregistrement, le calque même sur papier de l’afflux d’images accumulées dans l’inconscient, une source encore non contaminée par la nécessité du sens, soit exempte de tout contrôle, de toute préoccupation esthétique ou morale (18). Le surréalisme était né avant tout comme une méthode influençant l’existence et la pensée dans toute leur intégralité : l’écriture automatique servait donc plutôt l’enregistrement d’un état inconscient à un niveau linguistique et non sa représentation. Breton craignait justement de voir le dessin fixer les images de rêves en « trompe l’œil » (soit en faire des duplications, des copies ne pouvant en aucun cas être des transcriptions originales) (19). A partir de l’année 1922, on voit se multiplier les séances expérimentales, durant lesquelles plusieurs des membres du groupe accèdent à un état second, une sorte d’hypnose : ces rencontres à caractère exclusif dans la vie du groupe, qui souhaitait élucider l’inconscient en s’y enfonçant de plus en plus, sont devenues absolument décisives. Simone, la première femme de Breton, future propriétaire de la Galerie Furstenberg (20), est une habituée de ces séances. Les périodiques publiés par le groupe, de plus en plus importants et réguliers, enregistrent les différentes expériences et leurs résultats, ainsi que le rapport des surréalistes au rêve qui s’affirme progressivement : ils ont alors déjà largement dépassé les conceptions (scientifiques) existantes jusqu’alors sur le rôle du rêve et ont formellement contribué à la « révolution » de la pensée sur le rêve. Le périodique qui paraît à partir de 1930, Le Surréalisme au service de la Révolution, plaçait clairement l’accent, par exemple, sur l’analyse constante du sommeil et du phénomène du rêve, méthode par laquelle les surréalistes cherchaient de plus en plus à atteindre la libération sans condition de l’esprit humain (21). Suivant toujours le raisonnement de Breton, par le fait que le rêve est la parfaite émancipation interne même, le rêve reste grâce à cette essence pure supérieur au texte automatique, ainsi qu’au processus de l’enregistrement de l’inconscient. Le rêve doit cependant être isolé de la mémoire qui est son ennemie. Par rapport aux critères extrêmement fermes de Breton, ce dernier critère mentionné s’avère éloigné de Rozsda puisque dans son art et dans sa pensée, (le lierre de) la mémoire, les souvenirs jouaient un rôle principal (en tant que matière première) ; en revanche, les « voyages » de Rozsda à l’aide des rêves (lucides), soit la démarche de sa réflexion et sa méthode créatrice étaient loin d’être négligeables pour un esprit surréaliste.

Le surréalisme a toujours vécu en relation avec ce que nous avons appelé le merveilleux. Ce merveilleux était revendiqué très précisément dans le manifeste de 1924 où il était dit que le merveilleux est beau, il n’y a même que le merveilleux qui soit beau. Nous avons toujours manifesté la plus grande curiosité de l’activité onirique et des explorations que l’on pouvait reporter sur elles, et ce côté de merveilleux dans le rêve nous a toujours tenu et sollicité (22).

Mes premiers pas en enfer, 1945-1946

L’un des critères indiqués par le projet hors-série mentionné plus haut, caractéristique du peintre « rêveur » est « la dissolution dans le sommeil », ce qui dans le cas de Rozsda est tout à fait concevable. La « négation espace et temps » n’est valable qu’en partie chez Rozsda, puisqu’il n’était pas question chez lui de négation dans le sens propre du terme : il s’agissait plutôt d’une sorte de transvaluation tenant compte de la manière dont il utilisait, concevait l’espace et le temps par rapport à la définition générale de ces deux termes. Ces derniers formaient donc une dimension à part où il pouvait se déplacer à son gré. « Fusion avec les forces naturelles » : ainsi, dans le texte de Breton (1957), comme dans celui de Joyce Mansour publié en 196123, et dans de nombreux autres documents parus sur Rozsda24, est-il question de l’universalité de la peinture de Rozsda, de la force de ses matières incorporant pour ainsi dire le cosmos même (il est intéressant sur ce point de se référer à la technique de Rozsda consistant à intégrer des empreintes d’objets [organiques] variés dans ses œuvres). « On me dit souvent que je bâtis mes tableaux. Il n’en est pas question, car c’est le tableau qui me bâtit. Il me transporte de telle manière que je suis différent en terminant une toile de ce que j’étais en la commençant. » (25) La technique de Rozsda paraît encore plus captivante à la lumière des propos de Breton :

[la main du peintre] n’est plus celle qui calque les formes des objets mais bien celle qui, éprise de son mouvement propre et de lui seul, décrit les figures involontaires dans lesquelles l’expérience montre que ces formes sont appelées à se réincorporer (26).

Le mécanisme de la peinture de Rozsda est donc produit par cet état de « rêve lucide » examiné plus haut. Ainsi peut-on considérer ses œuvres comme les calques directs de ses « voyages psychiques ». Le terme d’automatisme s’avère en revanche excessif dans le cas présent, puisque Rozsda ne cherchait pas à trouver un état second ou extatique, il n’aspirait pas à extraire de la « matière brute » de son inconscient ; toujours est-il que l’affirmation de Breton reste valable : « Une œuvre ne peut être tenue pour surréaliste qu’autant que l’artiste s’est efforcé d’atteindre le champ psychologique total (dont le champ de conscience n’est qu’une faible partie) » (27). Les souvenirs de Rozsda deviennent matière première et les tableaux de Rozsda des histoires, mais en vain y cherchet-on la narration vu que ce qui était pour lui indicible par la voie de la parole, c’est-à-dire ses réponses au monde, Rozsda les formulait à travers les lignes, les couleurs, les formes qui condensaient en un tissu dense le flux d’images traversant l’esprit du peintre. « Je suis la Parque qui tresse le fil du temps, qui crée les choses, mais non celle qui les achève » (28).

Stratification

Suivons donc le conseil, la sollicitation de Rozsda : immergeons-nous dans ses toiles, promenons-nous dans ses tableaux. Il ressort de façon apparente, autant sur ses œuvres sur papier que sur ses peintures, l’utilisation d’empreintes d’objets variés. Cela a sans doute commencé au cours des années suivant la Seconde Guerre Mondiale lorsque, dans l’évolution du peintre entamant la trentaine, le peintre Marcel Jean, « ambassadeur » en Hongrie du surréalisme français, a pu jouer un rôle d’entremetteur. Jean entretenait de bonnes relations avec Rozsda à cette époque (29), il n’est donc pas improbable que l’utilisation de la technique de la décalcomanie (ou transfert) provienne de lui (30). Rozsda a dû s’en servir en tant que point de départ pour quelques-unes de ses œuvres sur papier après 1945 : de la peinture étalée par une feuille de papier et par pression manuelle. Cette technique, à côté du frottage initié et utilisé par Max Ernst, opérait sur l’artiste comme une sorte de force stimulante, ou plus spécifiquement, elle ouvrait la possibilité de procéder à l’association libre. En revanche, la technique que Rozsda utilisa le plus fréquemment par la suite, quasiment jusqu’à la fin de sa vie, ne fait pas partie des techniques picturales surréalistes en général. C’est probablement le terme d’« empreinte d’objet » qui la décrit le mieux. Ces empreintes deviennent partie intégrante de la technique créative et de l’œuvre même en tant que « taches » abstraites (des textures) fixées. Il est difficile de définir au sein des œuvres sur papier de Rozsda quelles sont celles qui ont pu être réalisées en même temps que des peintures telles que La Tour, Face-à-main de ma grand-mère ou Amour sacré, Amour profane ; ces tableaux conservent en tout cas l’empreinte de certains éléments. De plus, sur Revenant perpétuel – bien qu’il s’agisse sans doute d’une œuvre un peu plus tardive – Rozsda emploie, quoique de façon modérée, la méthode consistant à faire gicler de la peinture sur la surface de la toile. Sur certains de ses tableaux, il développe ces points répandus en les reliant, évoquant des toiles d’araignées ou des constellations astronomiques. Les empreintes d’objets (peu identifiables) apparaissent manifestement aux alentours des années 1960 et se poursuivent, en particulier sur ses œuvres sur papier faites avec de l’encre de chine : éponge, dentelle, tissu froissé, feuille, plume, etc. se conjuguent avec sa technique pointilliste extrêmement fine pour créer une entité indissoluble. « Je m’allonge dans l’herbe et regarde les nuages s’enrouler ; je cherche la girafe, le poisson, les chevaux galopants. » (31) Les taches fonctionnent la plupart du temps comme un jeu d’associations, mais dans certains cas, il semble que l’œuvre se construise elle-même de cette façon, pareille à un « cadavre exquis » joué par une seule personne : à chaque tour survient une nouvelle empreinte et un nouveau supplément jusqu’à ce que le dernier trait ait trouvé sa place (32). Rozsda associe et lie les formes, traits et figures avec une liberté effrénée, s’amusant à se déplacer entre la figuralité et l’abstraction totale. Une de ces œuvres, intitulée le Rêve (cca. 1960), fait partie de la collection permanente du Centre Pompidou, Musée National d’Art Moderne (33).

Le rêve (détail)
Le rêve (détail)
Le rêve, c. 1960, MNAM - Centre Pompidou

Les principes de Rozsda employés dans ses peintures restent les mêmes que ceux servant ses œuvres sur papier, mais s’y rajoutent l’univers vibrant de ses couleurs, ainsi que sa méthode consistant à faire tourner ses œuvres pendant la phase de création jusqu’à ce qu’elles ne trouvent leur direction appropriée. Et même, jusqu’à ce que – selon Rozsda lui-même (34) – elles ne deviennent des entités indépendantes, qui existent par leurs propres destins souverains. Les empreintes se superposent dans ses peintures telles des strates archéologiques, elles se juxtaposent à son univers formel, créant un tissu imbibé de lumière (Babylone, La Symétrie est rompue). Les différentes empreintes servent souvent de points de départ, se transformant en une sorte de surface « auto-génératrice » : lors d’une nouvelle peinture, Rozsda commençait par éliminer sur la toile tout ce qui était blanc pour créer une nouvelle surface trouble et y construire un nouvel ordre personnel. Quelquefois, sur la surface de ses peintures, une sorte de technique de raclage devient perceptible, qui évoque l’expérience de l’adolescent Rozsda auprès des peintres de sa ville natale de Mohács : selon Rozsda, les artistes restaurant des fresques « raclaient » la surface pour les repeindre – la couche ainsi émergeante réfléchissait à la fois les précédentes et celles qui lui étaient ultérieures, mettant aussi à jour le point de départ de l’œuvre. Après la période de l’École Européenne, dans un contexte où la création libre n’avait rien d’évident, et que l’équipement de l’artiste ne brillait pas par son abondance (35), Rozsda employait volontiers des crayons de couleur pour réaliser ses œuvres sur papier. La dimension de l’arsenal technique de Rozsda utilisé pour l’établissement des surfaces peintes devient aisément concevable rien qu’en avançant quelques-unes de ces solutions : giclée, raclage, stratification, enregistrement des empreintes (saisissant le cosmos) d’objets (organiques)… Il utilisait des solutions particulières dans ses photographies aussi, comme la doubleexposition – bien évidemment encore grâce à une technique analogue –, à travers laquelle il superposait différentes prises, et sans travail de laboratoire ultérieur, il aboutissait à des compositions échappant tout à fait de la réalité et se servant pourtant pleinement d’éléments réels. Rozsda, suivant fidèlement sa voix intérieure, découvre progressivement le chemin qui le mène vers son surréalisme spécifique sans qu’il ait forcément voulu être « accueilli », de manière consciente par le groupe.

Exploration

La copie d’un brouillon de lettre est conservée dans les Archives de l’Atelier Rozsda, au Bateau-Lavoir (Paris) : Simone Collinet écrit à un ami lointain. La lettre date de mars 1980, sans mention du jour exact – Collinet est décédée cette année même, le 30 mars. Il est uniquement question de l’art de Rozsda tout au long des deux pages et demie. Elle y cherche la raison pour laquelle l’art de Rozsda ne s’était pas encore vu attribué jusqu’alors le mérite qui aurait dû lui revenir et le fait qu’il n’était pas célébré comme il se devait.

Si on le compare à ceux qui bénéficient des succès actuels, on est saisi d’une injustice révoltante. [...] un maître a le droit d’être reconnu. Et il est un maître : par la force de sa personnalité, par son talent de coloriste, par son inventivité, par son savoir technique qui lui permet de sauver son art que tant d’autres actuellement mènent au naufrage. J’en parle avec assurance, car tous les peintres auxquels je me suis intéressée ont connu plus ou moins la gloire. Bien qu’il faille trop souvent appliquer le dicton de Jacques Villon : ‘Le plus dur, ce sont les premiers soixante-dix ans !’. [...] Faire connaître Rozsda équivaudrait à mon avis à le faire admirer, le faire admirer, à le faire apprécier.

Collinet avait été témoin des premières années du groupe surréaliste, elle se rendait tout à fait compte de ce que le groupe « exigeait » d’un esprit dit surréaliste. Elle croyait en Rozsda et pendant les « années post-bretonniennes », grâce à sa galerie, elle s’efforça d’offrir la possibilité au peintre hongrois de « s’élancer ».


Rozsda aurait eu cent ans le 18 novembre 2013. Pendant les trente années qui se sont écoulées depuis la lettre de Collinet jusqu’à cette date, l’art de Rozsda s’est progressivement démarqué de son cours habituel pour atteindre et conquérir des espaces de plus en plus lointains. L’exploration de son œuvre nous promène à travers de multiples strates, contribuant à faire ressurgir des souvenirs particuliers, longtemps fermés par l’ambre de la mémoire, pour enfin être exposés publiquement.




Le présent essai fut rédigé à l’occasion de la série d’expositions accompagnant à Budapest le centenaire d’Endre Rozsda, au sein du volume publiée par la Galerie Várfok : Rozsda100 // A Párka fonala | Le Fil de la Parque | The Parca’s Thread textes inclus de : Péter Esterházy, Françoise Gilot, Sándor Hornyik, Borbála Kálmán, József Készman, Arturo Schwarz. Galerie Várfok, Budapest, 2013.

Turbulante, c. 1969

  1. István Szakály, Róbert Római et Gyula Stenszky : film inédit – Entretien avec Endre Rozsda, Paris, 1991, 53 minutes.
  2. Endre Rozsda : « Méditations », in : Endre Rozsda – Rétrospective. Catalogue d’exposition, sous la direction de David Rosenberg, Műcsarnok, Budapest, 1998, p. 61.
  3. Pour plus d’informations sur Arturo Schwarz : cf. p. 17., in : Rozsda100 // A Párka fonala | Le Fil de la Parque | The Parca’s Thread – textes inclus de: Esterházy Péter, Françoise Gilot, Hornyik Sándor, Kálmán Borbála, Készman József, Arturo Schwarz. Galerie Várfok, Budapest, 2013.
  4. Mostra internazionale del Surrealismo, Galleria Schwarz Milano, mai 1961, intérieur de couverture.
  5. Artistes participant à l’exposition : J. Benoît, G. J. Bodson, A. Dax, Y. Elléouët, E. F. Granell, R. Lagarde, Y. Laloy, Le Maréchal, E. L. T. Mesens, J. H. Moesman, P. Molinier, M. Oppenheim, W. Paalen, M. Parent, E. Rozsda, F. Schroeder-Sonnenstern, M.-W. Svanberg, Toyen.
  6. José Pierre : Le désespoir des jardiniers ou le Surréalisme et la peinture depuis 1950, Ibid., p. 1.
  7. Breton rentre des États-Unis en mai 1946, après avoir voyagé à travers le continent américain tout en continuant indéfectiblement son œuvre accompagné d’autres et entouré d’une sérieuse attention ; il rencontre une scène française où la majorité des artistes, ayant vécu le traumatisme de la guerre, ressent la nécessité de faire table rase et va jusqu’à questionner le fondement des arts plastiques. Breton tente de poursuivre son propre raisonnement sur un plateau (surréaliste) de plus en plus en désaccord et où certaines tensions (de caractère politique et artistique) font surface, mais qui resteront toutefois plus ou moins dissimulées jusqu’à sa mort. Les dernières années du groupe surréaliste sont récapitulées par l’ouvrage suivant : Alain Joubert : Le Mouvement des surréalistes ou Le fin mot de l’histoire : Mort d’un groupe, naissance d’un mythe. Paris, 2001. La synthèse de Joubert, autrefois membre et témoin des événements, emploie expressément un ton personnel et a pour but de lever le voile sur « l’auto-dissolution » du groupe surréaliste en 1969. Joubert présente par exemple l’activité de José Pierre suite à la mort de Breton sous un angle assez défavorable ; cependant les objectifs du groupe naviguant encore dans le même bateau en 1961 semblent pleinement concorder et peuvent ainsi servir de point de départ.
  8. Mostra Internazionale..., op.cit., p. 4. L’évocation de Hantaï sur ce point n’est pas surprenante si l’on tient compte de la position de Pierre : au milieu des années cinquante, de sérieux débats ont éclaté entre autres à cause des différents propos provocateurs émis par Hantaï au sein du groupe. La perte de sa foi dans les méthodes et la perception surréalistes conduit Hantaï à considérer la dissolution du groupe surréaliste comme seule perspective, et c’est d’ailleurs ce qu’il propose à Breton. Les adeptes de ce dernier, de manière « compréhensible », estiment inadmissible cette façon « d’arriver et de partir ».
  9. Ibid, p. 3.
  10. Le texte a été publié à plusieurs reprises, p.ex. dans : Rozsda – Rétrospective, Műcsarnok, op.cit., p. 52.
  11. Soit : « dissolution dans le sommeil – perte du sentiment de l’identité ; fusion avec les forces naturelles – négation espace et temps ; vision de l’inconnu ». Source : [http://www.andrebreton.fr/fr/ item/ ? GCOI=56600100742020#] (Septembre 2013). Le numéro n’est finalement pas paru. En détail : Borbála Kálmán : Le Temps en images – L’œuvre d’Endre Rozsda, mémoire de MA, PPKE-BTK, Piliscsaba, 2011, pp. 61-62.
  12. Júlia Cserba : Rozsda és a bronz [Rozsda et le bronze], In : Új Művészet, 1995/5, p. 56.
  13. André Breton : Le Surréalisme et la Peinture, Gallimard, Paris, 1965, p. 249.
  14. E. Rozsda : Méditations, op. cit., p. 61.
  15. Entretien de Françoise Gilot et de Borbála Kálmán, inédit, 12 juin 2013, Paris.
  16. Comme quoi ce qui se déroulait sur la peinture l’intéressait bien mieux que ce qui se passait dans la vie ; il « se promenait dans les peintures » pendant des heures, assis dans un fauteuil, regardant les toiles accrochées au mur, In : Rozsda: « Souvenirs », Rozsda - Retrospective, Műcsarnok, op.cit., p. 57.
  17. Sarane Alexandrian : Le Surréalisme et le Rêve, Gallimard, coll. « Connaissance de l’Inconscient », Paris, 1974. Alexandrian était de même un membre proche de la branche tardive du surréalisme. Il contribua au catalogue de l’exposition de Rozsda au Musée des Beaux-Arts de Budapest (Szépművészeti Múzeum, 2001) par un texte dans lequel il souligne qu’il fut surpris de remarquer la similitude des dessins de la première période de Victor Brauner qu’il connaissait si bien et les dessins de Rozsda des années 1950.
  18. Ibid., III. Psychogenèse de l’écriture automatique, pp. 71-102.
  19. Rosalind Krauss : « La Photographie au service du Surréalisme », In : Explosante-fixe. Photographie et surréalisme, sous la direction de : Dawn Ades, Rosalind Krauss et Jane Livingstone. Centre Georges Pompidou, 1985, p. 20. « J’ai toujours été très prudent dans l’appréciation de [ce qu’on dit être la peinture surréaliste], parce qu’à l’origine nous avions pensé qu’il ne pouvait pas [y avoir] de peinture surréaliste. Le matériau qui est employé en peinture se prêtant fort mal semblait-il alors à l’automatisme que nous voulions promouvoir par exemple en matière de langage. [...] C’est seulement peut-être à l’époque de la dernière guerre que cette sorte de handicap portant sur la peinture automatique a été levé. Il l’a été par des éléments du genre de Jackson Pollock et il a pratiquement donné existence à tout ce mouvement dit abstraction lyrique ». Dans : Entretien d’André Breton avec Judith Jasmin, 1961. L’émission (Premier Plan) avait été réalisée pour la télévision canadienne. [http://archives.radio-canada.ca/emissions/568-14416/] (Septembre 2013).
  20. Simone Collinet a organisé plusieurs expositions pour Rozsda dans sa galerie, la Galerie Furstenberg : en 1957 et 1963 des expositions individuelles, en 1965 elle présente quelquesunes de ses nouvelles œuvres. Collinet ferme sa galerie en 1965 pour des raisons personnelles.
  21. Alexandrian : V. La clé du Surréalisme, op.cit., pp. 133-148.
  22. Entretien d’André Breton avec Judith Jasmin, op.cit.
  23. Joyce Mansour, In : Mostra Internazionale..., op.cit.
  24. Rozsda – L’Œil en fête, sous la direction de David Rosenberg, Somogy Art Éditions, Paris, 2002.
  25. E. Rozsda : « Méditations », op.cit., p. 61.
  26. A. Breton : Le Surréalisme et la Peinture, op.cit., p. 68.
  27. Ibid, p. 70. old. Il est intéressant de noter que certains dessins d’André Masson, notamment ceux des années 1930, donc datant d’une période bien plus tardive que les premiers dessins automatiques, montrent une similitude remarquable avec certaines œuvres sur papier de Rozsda, réalisées avec de l’encre de chine.
  28. E. Rozsda : « Méditations », op.cit., p. 61.
  29. Entretien entre Antal Székely, Borbála Kálmán et Krisztina Kovács, inédit, Várfok Galéria, Budapest, 2009. Jean travaillait pour l’usine de textile Goldberger ; il paraît qu’il avait aidé Rozsda en Hongrie, en tant que citoyen français, à cacher ses tableaux pendant la guerre. C’est lui qui avait inauguré l’exposition de Rozsda et de Lajos Barta en 1948 à la Galerie des Artistes (Művész Galéria) (In : Péter György –Gábor Pataki : Az Európai Iskola és az Elvont Művészek csoportja [L’École Europenne et le Groupe des Artistes Abstraits], Corvina, Budapest, 1990, p. 154.)
  30. Surrealist Vision and Technique – Drawings and Collages from the Pompidou Center and the Picasso Museum (Paris) – catalogue d’exposition, sous la direction de et écrit par: Clark V. Poling, Michael C. Carlos Museum / Emory University, Atlanta, 1996, p. 46. Selon Poling, la technique de la décalcomanie initiée par Oscar Dominguez puis développée avec Marcel Jean avait été placé par Breton dans le contexte du « délire d’interprétation », Breton le cite même en rapport avec le « hasard objectif », puisque les figures se dessinant à partir des taches sont en fait considérées comme des « objets trouvés ».
  31. E. Rozsda : « Méditations », op.cit., p. 61.
  32. Nous n’avons pas d’informations concernant le moment de l’application des empreintes, si Rozsda les appliquait en une fois ou s’il les intégrait dans l’œuvre petit à petit. Il « tachait » ses œuvres la plupart du temps en imbibant les objets de peinture puis les imprimant sur la surface, mais sur certaines œuvres, les objets sont imprimés dans des couches de peinture déjà appliquées.
  33. D’après le registre de l’institution accessible sur son site [www.centrepompidou.fr], cette œuvre avait été acquise par l’État en 1960 (N° d’inventaire : AM 2551 D). Le genre du dessin surréaliste est fortement représenté au sein du département des œuvres graphiques de la collection.
  34. Rozsda : « Pensées », In : Rozsda – Retrospective, Műcsarnok, op.cit., p. 59.
  35. Cserba: Rozsda és a bronz, op.cit., p. 56.