MÉLUSINE

André Breton et l'astrologie

4 avril 2020

CONFÉRENCE « ANDRÉ BRETON ET L’ASTROLOGIE. »
HALLE ST PIERRE LE 11 JANVIER 2020

En complément voir le texte d’Alain Roussel « Cheminement dans le champ étoilé » qui a paru dans la revue Signe ascendant (Fabrice Pascaud) numéro 1, automne 2010

C’est avec infiniment d’émotion que je m’adresse à vous aujourd’hui. En effet, le thème de ma conférence m’invite à vous parler d’un homme, André Breton, dont le passage ici-bas a donné à la vie, à la pensée et à la sensibilité une dimension nouvelle. Il a, comme le soulignait Ionesco, apporté à la poésie une troisième dimension de l’esprit.

Le thème de mon intervention : « André Breton et l’astrologie » nécessite au préalable que je clarifie ce que le surréalisme signifie puisqu’il est impossible d’évoquer André Breton sans parler du surréalisme. Je rappellerai donc l’objectif qu’André Breton avait assigné au surréalisme et qu’il avait baptisé la quête du point suprême dans le Second manifeste du surréalisme parut en 1930 : « Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. Or c’est en vain qu’on chercherait l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de détermination de ce point. » Le haut et le bas autrement dit le macrocosme et le microcosme. Or, quel est le but de l’astrologie si ce n’est de rétablir ce lien, de réparer ce divorce entre l’homme et le cosmos ? L’astrologie nous rappelle que nous sommes des enfants de l’univers.

André Breton a tenté de créer une ligne de force entre la tradition ésotérique et la pensée de Hegel : « (…) Pour moi, sa méthode a frappé d’indigence toutes les autres. Où la dialectique hégélienne ne fonctionne pas, il n’y a pas pour moi de pensée, pas d’espoir de vérité. (…) c’est seulement toutes les vannes de cette dialectique ouverte en moi que j’ai cru constater qu’il n’y avait pas si loin du lieu où la pensée hégélienne débouchait au lieu où affleurait la pensée dite traditionnelle. L’un et l’autre ont tendu pour moi à devenir un seul et même lieu. » Entretiens avec André Parinaud en 1952.

On peut également rapprocher cet espoir de détermination de ce qu’enseigne la tradition ésotérique. Comment ne pas penser à ce que dit René Guénon dans son livre, « Le symbolisme de la croix » : « Le centre de la croix est donc le point où se réconcilient et se résolvent toutes les oppositions : en ce point s’établit la synthèse de tous les termes contraires, qui, à la vérité ne sont contraires que suivant les points de vue extérieurs et particuliers de la connaissance en mode distinctif. » Nous sommes bien là à l’intersection de deux mêmes courants de pensée avec cependant cette différence fondamentale : le surréalisme rejette toute idée de transcendance et tout rattachement à « un principe supérieur » tel que l’entendait René Guénon. André Breton fut cependant un grand lecteur de René Guénon. Si l’on se reporte à l’inventaire de sa bibliothèque consultable sur internet[1], on voit qu’il possédait : « L’erreur spirite – L’ésotérisme de Dante – Le symbolisme de la croix – Le roi du monde – Aperçus sur l’initiation – Les principes du calcul infinitésimal – Le règne de la quantité – Initiation et réalisation spirituelle — Les états multiples de l’être. » D’ailleurs, dans les années 20, Breton avait lancé un appel en direction de René Guénon pour l’inviter à se joindre à l’activité collective surréaliste. Le surréalisme prônant la psychanalyse, le marxisme, l’écriture automatique, autant de points sur lesquels René Guénon ne pouvait adhérer, il suffit de se reporter à son livre : « Aperçu sur l’initiation » pour savoir ce qu’il pensait de la psychanalyse qui pour lui s’inscrivait dans la contre-initiation. Les lignes de force et par conséquent d’opposition étaient clairement définies. À propos de sa position vis-à-vis de René Guénon, voici ce que dit André Breton dans un texte daté du 31 mai 1956 traitant des rapports entre le surréalisme et la Tradition : « (…) S’il m’est arrivé et s’il m’arrivera sans doute encore de citer René Guénon, c’est que je tiens en grande estime la rigueur de déroulement de sa pensée, sans toutefois être disposé à reprendre à mon compte l’acte de foi sur lequel se fonde, au départ, sa démarche. » Si j’insiste sur ce point c’est afin de bien mettre en relief un point de résistance qui n’a jamais failli chez Breton et qui pourrait se résumer par la défense absolue de la liberté libre telle que l’entendait Rimbaud. Jamais Breton n’a accepté d’assujettir le surréalisme à un courant de pensée philosophique, à un dogme spiritualiste et peu importe la qualité de ceux-ci. Pour bien comprendre ses relations avec l’astrologie, il est essentiel d’avoir toujours ceci présent à l’esprit.

PIERRE PHILOSOPHALE : SURRÉALISME

Le surréalisme a été pour André Breton la pierre philosophale, ce creuset à partir duquel il est possible de transformer le monde (Marx) et changer la vie (Rimbaud). Son génie est d’avoir emprunté les outils expérimentaux de domaine aussi singuliers que la médiumnité, la télépathie, les arts divinatoires pour les appliquer à l’expérience poétique afin de parvenir à la surréalité. Le tout vidé des valeurs du spiritualisme, nulle exogénéitée comme l’entend le spiritisme, pas de vie après la mort pas plus que de communication entre les vivants et les morts : (…) Il va sans dire qu’à aucun moment, du jour où nous avons consenti à nous prêter à ces expériences, nous n’avons adopté le point de vue spirite. En ce qui me concerne, je me refuse formellement à admettre qu’une communication quelconque existe entre les vivants et les morts, précise-t-il dans son texte intitulé « Entrée des médiums. »

Ce qui dominait chez André Breton était une généralisation de l’expérience poétique. Élargir l’expérience poétique à des activités qui ne ressortent pas exclusivement de la littérature. Ne pas garder à l’esprit la présence de cette émotion appelée poésie pour paraphraser Pierre Reverdy et cet espoir infini qu’il plaçait en la toute-puissance de l’amour et de la poésie c’est se vouer irrémédiablement au malentendu quant à l’intérêt manifeste qu’il porta à l’hermétisme, l’alchimie, la voyance, l’astrologie et les arts divinatoires.

Breton n’a jamais rien mis au-dessus de la poésie et de l’amour ; L’acte d’amour et l’acte poétique sont incompatibles avec la lecture du journal à haute voix, écrit-il dans son poème « Sur la route de San Romano » puis, il conclut ce poème par : L’étreinte de chair et l’étreinte d’amour, tant qu’elle dure défend tout échappée sur la misère du monde.

LA RÉSOLUTION DES ANTINOMIES

Dans le tract intitulé Haute Fréquence de 1951, nous lisons : « La volonté du surréalisme de rendre à l’homme les pouvoirs dont il a été spolié n’a pas manqué de le conduire à interroger tous les aspects de la connaissance intuitive, en particulier ceux qu’embrassent les doctrines ésotériques, dont l’intérêt est de dévoiler dans l’espace et le temps certains circuits ininterrompus. »

« (…) Interroger tous les aspects de la connaissance intuitive (…) dont l’intérêt est de dévoiler dans l’espace et le temps certains circuits ininterrompus. » Ce désir de dévoilement dans l’espace et le temps est au cœur de l’astrologie. Par le ressort du lien analogique, elle met précisément en lumière ces circuits ininterrompus. Pour ce qui est de la connaissance intuitive, implicitement présente dans la pratique astrologique, il n’est que de feuilleter la revue « Minotaure », dont le premier numéro paru en 1933, pour voir cette connaissance en action. S’y déploie une pluridisciplinarité, des interrelations entre des sciences qui n’ont pas les mêmes procédés d’investigations et d’analyses. On y trouve : l’anthropologie, l’ethnologie, la psychanalyse, l’astrologie, la poésie, etc. Par exemple, dans le numéro 6 de 1935, nous trouvons un article du docteur Lotte Wolff intitulé : « Les révélations psychiques de la main » qui est une étude psychanalytique des lignes de la main à partir de la chiromancie (mancie pratiquée par les Tziganes qui se traduit par la lecture des lignes de la main — la diseuse de bonne aventure) ou nous voyons reproduites les mains de Breton, Gide, Ravel, Derain, Huxley, St Exupéry, Eluard et Duchamp. Puis dans les numéros 3/4 de cette même revue figure l’étude astrologique de Rimbaud faite par Paul Cheridon. Enfin, dans le numéro 12/13, le docteur Pierre Mabille dresse le thème astrologique de Lautréamont. Autant de disciplines qui conduiront André Breton à déclarer dans l’un de ses poèmes « Vigilance » : « Je ne touche plus que le cœur des choses, je tiens le fil. » Que peut bien être ce fil autre que le surréalisme ? Ainsi, comment aurait-il pu louper la correspondance avec l’astrologie ? Dans une interview qu’il avait accordée en avril 1954 à Jean Carteret et Robert Knabe pour le n° 12 de la revue du Centre International d’Astrologie dirigée par André Barbault, il avait déclaré : « (…) Démêler une destinée à partir de la situation des planètes et de leurs aspects mutuels dans les différents signes et maisons suppose un tel doigté que cela devrait suffire à frapper de dérision, à convaincre d’enfantillage les modes habituels de raisonnements synthétiques. Ce que j’ai toujours apprécié au plus haut point dans l’astrologie, ce n’est pas le jeu lyrique auquel elle prête, mais bien le jeu multidialectique qu’elle nécessite et sur lequel elle se fonde. Que l’astrologie soit la langue d’or de l’analogie, celle qui tend à permettre les plus grands échanges entre l’homme et la nature, je ne saurais y contredire. »

L’ASTROLOGIE

En avril 2003 s’était tenue à Paris la vente à Drouot de ce que les médias avaient nommé à tort « La collection André Breton ». Parmi les nombreux documents figurait un dossier contenant des thèmes astrologiques dressés à la main par André Breton. On y trouvait le thème astral de Philippe Soupault, de Robert Desnos, de René Char, de Yves Tanguy, d’Aragon, de Rimbaud, de Lautréamont, de Huysmans, de Benjamin Péret, de Georges Sadoul… la liste est longue. Certaines de ces cartes du ciel étaient accompagnées d’une interprétation astrologique faite par Breton. D’autres étaient corrigées de sa main ce qui témoigne du sérieux qu’il accordait à l’étude astrologique. Je précise à la main, car à cette époque, c’est-à-dire dans les années 1920, l’ordinateur n’avait pas encore vu le jour, il fallait donc calculer le thème à la main et cette technique réclame un sérieux apprentissage. Les ouvrages expliquant comment dresser une carte du ciel étaient peu nombreux où plus précisément ils n’étaient pas aux nombres de ceux que l’on recense de nos jours. Dresser une carte du ciel est, je dirais, la partie ingrate de l’astrologie, mais on ne peut faire l’économie de cet apprentissage. De nos jours où l’ordinateur supplée aux calculs, il suffit d’entrer les données de naissance du sujet pour avoir dans les secondes qui suivent la carte du ciel. Si effectivement cela facilite grandement les choses et évite les erreurs de calcul, il est regrettable de constater qu’un grand nombre d’astrologues de nos jours ne savent pas dresser une carte du ciel à la main. Si j’insiste sur ce point, c’est pour bien montrer l’importance de l’implication de Breton dans la pratique astrologique. Sur certains thèmes, on voit des modifications qu’il avait apportées à la suite d’une erreur de positionnement planétaire ayant pour origine une heure de naissance inexacte ou un mauvais calcul.

LES DÉBUTS EN ASTROLOGIE. AVEC QUI ? QUELS LIVRES ?

Contrairement à l’idée répandue, ce n’est pas Pierre Mabille, docteur en médecine, qui a initié André Breton à l’astrologie. En fait, c’est durant les années 20 qu’André Breton commence à s’intéresser à l’astrologie. Valentine Penrose[2], également férue d’astrologie, lui a ouvert quelques pistes, prodigué certains conseils et ce n’est qu’aux alentours des années 30 que Pierre Mabille lui fera bénéficier de son savoir en la matière.

Quels ont été les ouvrages qu’André Breton a consultés ? Tout porte à croire qu’il a été un assidu de la libraire Chacornac sise 11 quai Saint-Michel à Paris. Je rappelle que cette librairie a vu le jour en octobre 1884 et s’appelait alors « Libraire générale des sciences occultes ». En 1920 elle se fera appeler « Chacornac frères » puis en 1950 « Les éditions traditionnelles » dirigées par Nicole et André Braire.

À ce propos, lorsque l’on consulte le catalogue de la bibliothèque Charcornac de 1912, dans la partie consacrée à l’astrologie, on trouve un grand nombre d’ouvrages, par exemple : les livres de Paul Choisnard (1867 – 1930), polytechnicien, qui prendra le pseudonyme de Paul Flambart. André Breton possédait l’un de ses livres intitulés « Influence astrale » (essai d’astrologie expérimentale). Dans ce livre, Paul Choisnard pose les bases d’une astrologie scientifique et répond de manière scientifique aux questions : Les astres nous influencent-ils ? Et dans quelle mesure peut-on déterminer leurs lois de correspondances ? Breton avait également puisé dans le livre « Le miroir de l’astrologie. » du poète Max Jacob et Conrad Moricand (ce dernier répondant au pseudonyme de Claude Valence). Ce livre est nettement moins pointu et d’une envergure plus modeste. Ce qui a dû séduire Breton, ce sont les analogies poétiques qu’établit Max Jacob avec les signes du zodiaque.

Autres livres consultés et tenus en haute estime par André Breton sont ceux d’André Barbault (1921 – 2019). Par exemple : « Défense et illustrations de l’astrologie » publiée en 1955 aux éditions Grasset. L’exemplaire en sa possession était accompagné d’un envoi d’André Barbault : « À André Breton en souvenir de sa belle réponse au questionnaire d’“Astrologie moderne” avec ma vive estime. »

Dans le numéro 5 de la revue « Le surréalisme, même » de printemps 1959, dans un texte d’introduction d’un jeu intitulé « De qui est-ce ? » Ce jeu, qui fait appel à la connaissance intuitive, consistait en regardant simplement l’écriture d’une enveloppe sans en connaître l’auteur à tenter de dresser un portrait sensible de celui-ci. Dans ce texte, André Breton parle d’André Barbault : « (…) les vues caractérologiques qui s’expriment dans les douze petits ouvrages d’André Barbault Le zodiaque transcendent à tous égards la psychologie qui s’enseigne dans les Facultés. » André Barbault avait fait partie des personnes invitées à répondre à une enquête lancée par le groupe surréaliste en 1962 pour la revue La Brèche. Le thème de cette enquête était : « Le monde à l’envers ? »

Pour conclure sur les ouvrages astrologiques consultés par André Breton, il a beaucoup puisé dans les deux « Nouveaux traités d’astrologie classique » de Julevno (Jules Evenot, 1845 – 1915). Lors de la vente de 2003, j’ai eu l’occasion de les parcourir et ils étaient annotés dans les marges de la main d’André Breton. On lisait le nom de tel ou tel de ses amis qui correspondait à l’une des interprétations astrologiques données.

LA PRATIQUE ASTROLOGIQUE

Lorsqu’on lit attentivement les notes astrologiques qu’il a faites sur les différents thèmes de ses amis, il est clair qu’il n’avait pas acquis ce qu’on appelle une lecture globale du thème, il procédait de manière morcelée, il n’y avait pas de vision d’ensemble du thème. Cela dit, je mets des réserves à mes propos, car c’est au vu des notes sur des thèmes se situant entre les années 20 et 30. Peut-être avait-il acquis par la suite une meilleure maîtrise de la lecture d’un thème ? Ainsi, si son intérêt pour l’astrologie est incontestable, quelle place occupait-elle à la fois dans sa vie et son œuvre et je m’empresse de préciser que l’œuvre est indissociable de sa vie.

Si l’on se reporte attentivement à ses textes, on trouve de nombreuses références à l’art d’Uranie. Ne serait-ce par exemple que ce titre « Signe ascendant ». En astrologie, on nomme signe ascendant, le signe zodiacal qui se lève à l’orient au moment de la naissance d’un sujet. Pour Breton, par exemple, naissance sous le signe des Poissons avec pour signe ascendant celui de la Balance. Il est utile de rappeler que dans ce magnifique texte « Signe Ascendant », André Breton précise de nouveau qu’il n’éprouve de plaisir intellectuel que sur le plan analogique. L’analogie et la loi des correspondances qui s’y rattache furent un champ opératif dans l’acception alchimique du terme dans l’existence d’André Breton. Et de l’analogie et la loi des correspondances à la langue des oiseaux, il y a à peine un battement d’aile qui les sépare. Nous nous inscrivons dans l’interdépendance, dans la pensée que tout est dans tout, que rien n’est séparé et que précisément c’est à cette source que se nourrit et se crée l’image poétique, car la poésie surréaliste ne se compose pas sur la portée musicale, mais donne à voir d’où la formule : L’œil existe à l’état sauvage qui ouvre « Le surréalisme et la peinture » (éd. Brentano’s 1945).

Dans d’autres textes, nous trouvons des indications planétaires clairement explicitées. En fonction des situations marquantes, bouleversantes qu’il vivait, André Breton consultait ce qu’on appelle les éphémérides lesquelles marquent les positions des planètes dans les signes au jour le jour.

Par exemple dans son livre « L’amour fou » au chapitre I (page 20 éd. Gallimard 1964), André Breton donne une date le 10 avril 1934 et parle d’une occultation de Vénus par la Lune. Ce jour-là, il déjeunait dans un restaurant situé près de l’entrée d’un cimetière, ce qui le troublait beaucoup. Au mur se trouvait une horloge vide de son cadran. Et la serveuse portait : début de citation : « (…) sur un col blanc à pois une très fine chaîne retenant trois gouttes claires comme de pierre de lune, gouttes rondes sur lesquelles se détachait à la base un croissant de même substance, pareillement serti. J’appréciai, une fois de plus, infiniment, la coïncidence de ce bijou et de cette éclipse. » Nous touchons là le point suprême entre le haut et le bas, si j’ose dire. Nous voyons que cette rencontre de Vénus et de la Lune (Vénus, la beauté, l’amour, la Lune, le rêve, le féminin) coïncide pour lui avec la rencontre de cette serveuse, symbolisée par Vénus, et l’attrait de son bijou, pierre de lune, symbolisée par la Lune. Nous sommes bien là à la croisée de l’analogie astrologique et poétique ou de ce que le psychiatre et psychologue C.-G. Jung avait baptisé un phénomène de synchronicité. La synchronicité est l’occurrence simultanée d’au moins deux événements qui ne présentent pas de lien de causalité, mais dont l’association prend un sens pour la personne qui les perçoit. Comme l’a si justement formulé le psychanalyste J.-B. Pontalis : « Si les séances de télépathie de Jersey préfiguraient nos séances d’analyses qui font parler le disparu ? Si le guéridon d’enfant était l’ancêtre de nos divans ? Si c’était l’ombre qui donnait de la lumière ? »

Toujours dans « L’amour fou » au chapitre VI (page 113 éd. Gallimard 1964) il écrit : « (…) Serait-ce l’effet de la conjonction de Vénus et de Mars à telle place dans le ciel de ma naissance, il m’a été donné trop souvent d’éprouver les méfaits de la discorde à l’intérieur même de l’amour. » Sur un plan astrologique, cette réflexion résonne en parfaite analogie avec les valeurs symboliques présentes dans son thème de naissance. Ce qui là aussi montre sa finesse d’analyse et sa maîtrise du clavier symbolique.

Dans une communication portant sur le hasard objectif publiée dans « Document 34. Intervention surréaliste ». Puis reprise sous le titre « Crise de l’objet » dans le livre « Je vois, J’imagine » (éd. Gallimard 1991), nous retrouvons le même procédé. André Breton relate un événement, toujours dans un restaurant, qui concerne directement Benjamin Péret qui manque être accidenté par, de nouveau, une serveuse qui échappe un couteau lequel en tombant sur la table fend en deux le verre de ce dernier. Breton est encore plus précis, puisqu’en plus de donner la date du 1er mai 1933, il précise : « À titre de simple information et sans préjudice, à priori, d’une explication rationnelle qui exclurait tout usage de telles données, cet état des positions planétaires, assez remarquables le 1er mai à 9 h du soir ». S’en suit la liste des configurations planétaires. J’ai pris soin de procéder à une vérification des indications planétaires données et elles sont exactes. Ce qui démontre une fois de plus de sa parfaite connaissance de la technique des transits. Le transit étant le mouvement des planètes appliquées sur un thème de naissance et qui permet d’actualiser celui-ci, de l’inscrire dans l’ici et maintenant. C’est cette technique qui permet de faire, entre autres, de l’astrologie prévisionnelle.

Pour André Breton l’astrologie était un domaine d’investigation et d’interprétation qu’il utilisait à des fins poétiques. Dans « Les vases communicants », il a une phrase très significative : « Toute erreur dans l’interprétation de l’homme entraîne une erreur dans l’interprétation de l’univers ; elle est par suite un obstacle à sa transformation. » Marquant ainsi l’interrelation de l’un à l’autre. L’astrologie était pour lui un moyen de se situer dans la nature, de se frayer un chemin poétique dans le monde.

Dans le mouvement surréaliste, d’autres se sont intéressés à l’astrologie. En dehors de Pierre Mabille, il y a René Alleau, Elie-Charles Flamand, Bernard Roger, Kurt Seligmann à qui l’on doit le livre « le miroir de la magie » et qui a beaucoup aidé André Breton lors de la rédaction d’« Arcane 17 » en lui procurant de la documentation sur le tarot, sur la science sacrée des nombres, etc., et Guy René Doumayrou à qui nous devons l’ouvrage « La géographie sidérale » qui a été réédité aux éditions Arma Artis. Sans oublier « Un Saturne gai » d’André Pieyre de Mandiargues[3] (Ed. Gallimard 1982). Ce livre est une série d’entretiens avec Yvonne Caroutch qui prend pour base le thème astrologique du poète. Je précise par ailleurs qu’Yvonne Caroutch est la grande spécialiste du mythe de la Licorne.

NAITRE OU NE PAS NAITRE… SUIVEZ LE SIGNE

Je vais maintenant aborder un sujet passionnant qui va nous placer au cœur de la question astrologique. André Breton avait modifié sa date de naissance.

Cette modification intervient clairement dans le courant de l’année 1934. Il disait être né le 18 février 1896 à 22 h 30, alors que selon son acte de naissance, il est né le 19 février 1896 à 22 h à Tinchebray dans l’Ornes. Du signe des Poissons pour le 19 février il passait au signe du Verseau pour le 18. Pourquoi un tel changement ? Certains ont sauté à pieds joints sur ce point en disant : « Vous voyez, Breton ne croyait pas en l’astrologie, la preuve, il avait changé sa date de naissance ! » Ces personnes ne se rendant pas compte que l’on peut retourner l’argument par : « Breton, croyait en l’astrologie, la preuve, il avait changé sa date de naissance. » Bref, réactions puériles qui ne présentent aucun intérêt. De plus, j’ouvre une parenthèse : l’astrologie n’est pas une affaire de croyance, mais d’observation d’un mouvement céleste et de sa correspondance avec les manifestations ici-bas. Autrement dit la loi des correspondances. Je ferme la parenthèse.

On pourrait croire Breton, qu’il serait effectivement né le 18 février et que par conséquent l’acte de naissance serait inexact, ce qui arrive parfois. Seulement, si l’on se reporte à ses écrits, il indique clairement être né sous le signe des Poissons, donc le 19 février. Par exemple, le poème intitulé « Âge » achevé le 10 février 1916 est daté du 19 février 1916, ceci afin de le faire coïncider avec sa date de naissance, c’est ce que rapporte Margueritte Bonnet à la suite d’une conversation avec André Breton datant — est-ce un hasard objectif ou une pure coïncidence — datant du 18 février 1962. Dans un autre texte « Introduction au discours sur le peu de réalité », André Breton fixe un rendez-vous à « onze ans et quarante jours après le 10 janvier 1925. » Si l’on fait le calcul, cela conduit à la date du 19 février 1936, son quarantième anniversaire. Enfin dans le « Manifeste du surréalisme » de 1924, il écrit : « (…) moi le poisson soluble, je suis né sous le signe des Poissons. » Je stoppe ici cette énumération, car celle-ci ne répond toujours pas à la question du Pourquoi ?

Jean Richer à qui l’on doit des études astrologiques, symboliques et psychologiques de Nerval, Hugo, Verlaine avait avancé l’explication suivante : à la fin du 3e ajour du livre d’André Breton intitulé « Arcane 17 » (faisant ainsi référence à l’arcane de L’étoile du tarot de Marseille qui symbolise l’espoir et la transmission) Breton dit avoir cheminé, sur le plan symbolique, avec Nerval le long du sillon doré. Puis, il précise : la jeunesse éternelle 1808 = 17 Naissance de Nerval et publication de « Théorie des quatre Mouvements et des Destinées générales » de Charles Fourrier. Non seulement l’année de naissance 1808 par une réduction arithmosophique donne un total de 17 (1 +8 +0 +8), mais la date de naissance complète de Nerval 22/5/1808 donne également le chiffre 17 (2 +2 +5 +1 +8 +0 +8). Ainsi, pour suivre André Breton à la trace dans son cheminement symbolique, il faut se livrer au même calcul pour la date du 18/2/1896 : 1 +8 +2 +2 +4 = 17. Richer avance donc l’hypothèse que Breton avait opéré cette modification afin d’être sur la même fréquence arithmosophique de Gérard de Nerval.

J’apporte ici ma version. L’arcane 17 du tarot de Marseille est généralement associé au signe du Verseau, signe qui correspond, je le rappelle, à la date du 18 février. Mais sur cet arcane figure un groupement d’étoiles dont la plus grosse est, non la planète Vénus comme on le prétend souvent, mais Fomalhaut du Poisson austral, situé vers le 3e et 4e degré du signe des Poissons. Cette observation nous ramène ainsi à l’ambivalence ressentie par Breton qui, en prenant l’arcane 17 comme emblème, synthétise à la fois le signe du Verseau et celui des Poissons, comme un jeu de va-et-vient entre ces deux signes. Reste à savoir si André Breton a orchestré ces mouvements astrologiques consciemment ou non. Je dis cela, car Breton était un homme doté d’une sensibilité et d’une intuition tout à fait remarquable, pour ne pas dire hors du commun. Il avait l’art de saisir la manifestation subtile des objets, de créer des connexions, il possédait ce don précieux de donner à voir. Dans le manifeste de 1924, il a cette phrase ô combien éclairante : « Je veux qu’on se taise quand on cesse de ressentir. » À ce propos, je me permets de préciser que cette déclaration relève d’une valeur neptunienne liée au signe des Poissons, ce qui nous ramène à la date officielle de sa naissance à savoir le 19 février.

Une autre explication a été avancée par Mark Pollizotti dans sa biographie : André Breton. (Ed. Gallimard 1999). Selon lui, c’est parce que Breton était amoureux d’une cousine maternelle, Manon, née le 18 février 1898. Cette explication est douteuse et de peu de fondement.

Plus intéressantes, en revanche, sont les investigations de Georges Sebbag rapportées dans son livre intitulé : « L’imprononçable jour de ma naissance André Breton. » publié aux éditions Jean-Michel Place. À partir des écrits de Breton et des indications de temps, de lieux et de date qui y figurent, Georges Sebbag retrace un itinéraire où se mêlent le réel et le surréel afin d’apporter un éclairage sur ce point. Je ne vais pas poursuivre plus avant concernant cet ouvrage, mais je vous invite à vous y reporter.

EXPLICATION ASTROLOGIQUE

Pour ma part, j’ai essayé de chercher une explication d’ordre astrologique. Pour ce faire, j’ai dressé les deux cartes du ciel, celle du 18 et celle du 19 février. Je tiens de suite à préciser que mes observations n’ont pas valeur de vérité absolue, mais ne sont, elles aussi, que de pures hypothèses.

Les différences sont les suivantes : tout d’abord, les luminaires c’est-à-dire le Soleil et la Lune. Pour le thème du 18 février, nous avons un Soleil qui se trouve à 29° 49 du Verseau et la Lune à 26° 53 du Bélier. Pour le 19 février, le Soleil est à 0° 48 des Poissons et la Lune à 8° 37 du Taureau. À ceci s’ajoute une modification dans l’axe du méridien céleste (Milieu du ciel/Fond du ciel), car l’heure de naissance présente un écart de 30 minutes (18/02 = 22 h 30 – 19/02 = 22 h) : pour le 18 février, nous avons un Milieu du ciel à 2° 52 en Lion et un Fond du ciel à 2° 52 en Verseau alors que pour le 19 février, nous avons un M.C. à 26° 36 en Cancer et un F.C. à 26° 36 en Capricorne. Au premier regard, il apparaît que le thème dressé pour le 18 février présente beaucoup plus d’aspects de tensions. Par exemple, dans un thème astrologique, la Lune symbolise le rêve, l’enfance, l’imagination, le clan, le féminin… dans le signe du Taureau pour le 19 février, symboliquement cela se traduit succinctement par : dans le signe vénusien (l’amour) du Taureau, il y a une exaltation de tout ce qui relève du raffinement, de la beauté, de la volupté et la grande importance (dans une nativité masculine) accordée au féminin (anima). De plus par sa maîtrise sur le M.C., elle engage l’être vers le rêve, l’expression du sensible, la poésie, etc.

Je ne pousserai pas plus loin l’analyse astrologique en tant que telle afin de ne pas compliquer le propos pour celles et ceux d’entre vous qui ne sont pas rompus à la lecture astrologique. Je vais donc vous livrer ma vision des choses, vision qui, je le rappelle, n’est que pure hypothèse.

En 1998, j’avais rédigé pour le n° 122 de la revue « L’astrologue » dirigée alors par André Barbault, une étude complète et très détaillée du thème astral d’André Breton pour la date du 19 février 1896 selon l’acte de naissance. Après avoir appliqué la technique des transits planétaires sur les moments déterminants de la vie d’André Breton, il est apparu nettement qu’il y avait une parfaite corrélation entre la nature de l’événement et le clavier symbolique de telle ou telle planète en transit à ce moment précis de sa vie. Je suis donc enclin à considérer le 19 février comme étant bel et bien le jour « réel » de sa naissance. Mais cette affirmation n’explique toujours pas le pourquoi du changement de date.

URANUS ET LE MOUVEMENT SURRÉALISTE

Dans le « Second manifeste du surréalisme (1930) », dans la partie où il prône l’occultation profonde, véritable du surréalisme, André Breton fait allusion à l’importance de la planète Uranus sur le mouvement surréaliste et il demande à ce que l’on procède à une étude astrologique approfondie en ce sens. Voici ce qu’il dit : « Quand on songe, d’autre part, à ce qui s’exprime astrologiquement dans le surréalisme d’influence “uranienne” très prépondérante, comment ne pas souhaiter, au point de vue surréaliste, qu’il paraisse un ouvrage critique et de bonne foi consacré à Uranus, qui aiderait sous ce rapport à combler la grave lacune ancienne ? Autant dire que rien n’a encore été accompli en ce sens. (…) De la conjonction d’Uranus avec Saturne qui eut lieu de 1896 à 1898 et qui n’arrive que tous les quarante-cinq ans, de cette conjonction qui caractérise le ciel d’Aragon, celui d’Eluard et le mien — nous savons seulement, par Choisnard, que, peu encore étudiée en astrologie, elle “signifierait selon toute vraisemblance : amour profond des sciences, recherche du mystérieux, besoin élevé de s’instruire.” (…) “Qui sait, ajoute-t-il, si la conjonction de Saturne avec Uranus n’engendrera pas une école nouvelle en fait de science ? Cet aspect planétaire placé en bon endroit dans un horoscope pourrait correspondre à l’étoffe d’un homme doué de réflexion, de sagacité et d’indépendance capable d’être un investigateur de premier ordre.” Ces lignes, extraites de “L’influence astrale”, sont de 1893 et, en 1925, Choisnard a noté que sa prédiction semblait être en train de se réaliser. »

Dans cet extrait, nous voyons la grande précision d’André Breton et sa connaissance aiguë du processus astrologique. De plus, nous pouvons noter aussi la pertinence des analyses prospectives de Paul Choisnard. En effet, comment ne pas voir se dessiner en filigrane le surréalisme (école nouvelle en fait de science) et la personnalité d’André Breton (un homme doué de réflexion, de sagacité et d’indépendance capable d’être un investigateur de premier ordre.) Certes le terme « école » pour désigner le surréalisme est une maladresse, mais Choisnard n’avait pas de vision précise définie lorsqu’il rédigea ces lignes en 1893, Breton n’était pas né !

Une petite précision pour rester dans le même registre. La revue S.A.S.D.L.R.[4] présente en couverture un blason avec sur fond vert la représentation des glyphes Uranus et Saturne, imbriqués l’un dans l’autre, reproduisant ainsi la fameuse conjonction Uranus Saturne dont parlait Paul Choisnard.

Pour répondre à l’attente d’André Breton, j’ai procédé à cette étude[5] et je dois reconnaître qu’André Breton ne s’était pas trompé — ce qui démontre une fois de plus sa fine connaissance de l’astrologie —, car Uranus est effectivement la planète dominante du surréalisme avec en co-dominante la planète Neptune. Uranus est la planète du Verseau et Neptune celle des Poissons. Une fois de plus, nous sommes bel et bien à l’intersection Verseau Poissons. Uranus symbolise le côté insurrectionnel, révolutionnaire, innovateur du surréalisme, c’est l’énergie prométhéenne en action et Neptune symbolise les forces de l’inconscient, l’écriture automatique, l’utopie, la poésie et la pensée magique. Je pense donc qu’André Breton avait reculé sa date de naissance d’un jour pour correspondre totalement, ne faire qu’un avec le signe du Verseau régit par la planète Uranus, la dominante du surréalisme. Mais il avait toujours gardé secrètement la signature des Poissons, le titre de l’un de ses recueils de poèmes publié en 1934 : « L’air de l’eau » est significatif lorsque l’on sait que le Verseau est un signe d’air et les Poissons un signe d’eau. Je tiens en outre à préciser que la planète Mercure, qui en astrologie symbolise le mouvement, la pensée, la communication se trouve dans le signe du Verseau à la fois dans le thème du 18 et du 19 février, ce qui signe la dynamique intellectuelle de Breton. D’ailleurs, l’astrologue André Barbault a eu une formulation dans laquelle l’intuition l’emprunte au paradoxe. Dans la collection Zodiaque qui se compose de 12 fascicules traitant de chacun des signes astrologiques, dans celui consacré au signe du Verseau, il déclare en conclusion du portrait astrologique d’André Breton établi pour le 18 février : « Un hasard objectif a voulu que cet homme, en appel d’ivresse de vie, à la limite des audaces et illusions de l’esprit, soit précisément de ce signe (sous-entendu le Verseau). » Breton aura donc effectivement « forcer » non pas le hasard, mais le destin en décidant de sa propre naissance.

Mais il est un autre point « sublime » qui apporte un éclairage saisissant sur ce déplacement astrologique. Si l’on dresse le thème astrologique de Lautréamont, le poète phare des surréalistes, que voit-on ? Né le 4/04/1846 à Montevideo. Bélier ascendant Taureau. Lorsque l’on observe le méridien céleste, nous voyons un Milieu du Ciel en Verseau dans lequel trône la planète Neptune ! Or, comme déjà précisé : Verseau = Uranus et Poissons = Neptune. Nous retrouvons là l’alternance Verseau Poissons par le jeu dialectique de la maîtrise de l’un sur l’autre. Ce qui m’amène à penser : Breton a-t-il opéré ce mouvement solaire pour correspondre analogiquement et dialectiquement avec Monsieur le conte ? L’hypothèse mérite d’être retenue et sa dimension poétique a valeur d’insistance.

L’ASTROLOGIE JUSQU’OU ?

Dans « Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non », André Breton écrit en ouverture : « Sans doute y a-t-il trop de Nord en moi pour que je sois jamais l’homme de la pleine adhésion. » Cette phrase est très significative. Ainsi, il y allait de sa volonté de changer sa date de naissance d’un désir viscéral de ne pas s’en laisser compter par les astres, de les infléchir à la puissance de son désir, le seul apte à transformer le réel. À ce propos, voici une anecdote que m’a rapportée André Barbault très révélatrice de la résistance d’André Breton. C’était durant les années 50, André Breton pour la revue « Médium » fit demander à André Barbault d’écrire un texte sur l’astrologie. André Barbault était le grand spécialiste de l’astrologie mondiale. Il travaillait alors sur les grands cycles planétaires et il note que le surréalisme relève du cycle Saturne-Pluton. (Je tiens à préciser au passage qu’il ne faut pas confondre le cycle avec la dominante, le premier marque l’émergence et la fin d’une chose alors que la dominante marque la teinte d’une chose.) André Barbault rédige donc son texte sur ce point et l’adresse à André Breton. Après avoir pris connaissance de l’article, André Breton refusa de le publier, car il ne pouvait pas accepter l’idée que le surréalisme puisse s’inscrire dans un cycle planétaire, c’était à ses yeux du déterminisme, un non-sens vis-à-vis de ce que prône et défend le surréalisme. On peut ainsi constater les contradictions et comprendre aussi les raisons qui l’ont poussé à modifier sa date de naissance.

Est-ce à dire que Breton réfutait l’astrologie prévisionnelle pour autant ? Non. Dans une lettre datée du 20 septembre 1961 adressée à Jean-Pierre Lassalle (que je tiens à remercier ici de m’avoir autorisé à reproduire un extrait), voici ce que dit André Breton : « (…) Je suis anxieux d’observer à quoi correspondra l’extraordinaire amas planétaire dans le Verseau et sous la queue du dragon qui se produira en février 1962. La guerre ? La révolution ? Des épidémies ? Des réalisations cosmonautiques exceptionnelles ? Rien ? Nous verrons, mais, en attendant, si j’étais à la place de Kennedy ou de Kroutchev, je proposerais une trêve de six mois et une conférence sur Berlin en mars 1962. »

Or, si l’on remonte dans l’Histoire, que s’est-il passé de marquant précisément en février 1962 ? Voici :

5 février, de Gaulle appelle à l’indépendance de l’Algérie. 8 février, ce sont les manifestations contre l’OAS à l’appel des organisations syndicales, du PSU, du PCF qui furent interdites par le gouvernement. Cela se soldera par une violente répression policière en particulier au métro Charonne ou 8 personnes furent tuées. 18 mars 1962, Les accords d’Évian qui mettront un terme à la guerre d’Algérie. Dans cette dédicace, André Breton se lance dans un pronostic qui relève de la grande tradition astrologique, fort peu pratiquée, qui est celle de l’astrologie mondiale qui repose sur l’observation des grands cycles planétaires dont André Barbault fut le grand spécialiste.

Autre envoi très significatif. Celui destiné à Edmond Bomsel de « Farouche à quatre feuilles. Éd. 1964 », voici ce qu’écrit André Breton :

« Le ciel de Kennedy, avec une problématique Saturne proche de sa culmination — ce “Saturne en maison X est la pire des positions qui soient pour un politique : c’est elle que l’on rencontre le plus souvent chez les souverains détrônés et homme d’États qui ont mal fini, de Napoléon III à Hitler, en passant par Charles X, Louis-Philippe et Laval…” Voilà ce que je lisais le 22 novembre au matin dans l’ouvrage d’André Barbault : 1964 et la crise mondiale de 1965 qui venait de ma parvenir. Le soir de ce même jour, c’était l’attentat de Dallas.

À Edmond Bomsel pour une révision globale des signes auxquels se fier. André Breton

Cet envoi mérite que l’on s’y arrête, car il est extrêmement troublant et riche d’enseignement. Déjà, il témoigne de la pertinence des études d’André Barbault qui avait fort bien mis en relief la problématique de cette position planétaire dans les thèmes de chefs d’État. Confirmation fut donnée par l’assassinat de Kennedy qui présentait une telle position. Mais de plus, nous avons là, de nouveau, la manifestation non d’un hasard objectif, mais d’une synchronicité (C.-G. Jung) qui met en parallèle dans un même espace-temps deux événements qui de prime abord n’ont pas de lien causal (lecture d’André Breton et, plus tard dans la même journée, l’assassinat qui avère les propos lus), mais qui prennent tout leur sens pour André Breton.

CONCLUSION

Le but de mon intervention n’était pas de démontrer qu’André Breton fut un astrologue dans l’acception forte et classique du terme. Ce que j’ai voulu mettre en relief c’est le fait qu’il avait appris scrupuleusement les rudiments de l’astrologie et qu’il les avait mis en pratique dans sa vie, son œuvre. Son intérêt n’a jamais fléchi de 1920 jusqu’à sa disparition en 1966. Ceci pour infirmer les propos qui tendent à dire que son intérêt fut mineur juste une passade. Au même titre que la psychanalyse, l’alchimie, etc. l’astrologie fut pour lui l’un des nombreux phares qui apportaient une autre vision de l’homme. Par son rattachement à la voûte céleste, l’astrologie permet de parvenir à cette résolution des antinomies c’est-à-dire réunir le haut et le bas en un point sublime. Et pour Breton, ce point sublime n’a jamais cessé d’être la poésie et l’amour fondus l’un dans l’autre dans le creuset surréaliste.

Ainsi, André Breton fut surréaliste dans sa pratique de l’astrologie et ailleurs.

Je finirai par cet extrait de “Poisson Soluble” : “J’ai ri jadis de la bonne aventure et je porte sur l’épaule gauche un trèfle à cinq feuilles. Il peut m’arriver chemin faisant de tomber dans un précipice ou d’être poursuivi par les pierres, mais ce n’est chaque fois, je vous prie de le croire, qu’une réalité.”

[1] https://www.andrebreton.fr/

[2] Voir à ce sujet, une lettre de Valentine Penrose adressée à André Breton et traitant de l’astrologie reproduite sur le site André Breton : Lettre astrologique Penrose Breton

[3] André Pieyre de Mandiargues rédigea un article intitulé “Parler d’astrologie” pour la revue L’astrologue (dirigée par André Barbault) publié dans le n° 2 – deuxième trimestre 1968.

[4] Surréalisme Au Service De La Révolution

[5] N° 122 de la revue L’astrologue – 2e trimestre 1998