MÉLUSINE

Cheminement dans le champ étoilé

15 novembre 2020

Cheminement dans le champ étoilé, par Alain Roussel

Cet article a paru dans la revue Signe ascendant (Fabrice Pascaud) numéro 1, automne 2010

Je fis connaissance avec l’astrologie en 1965. Je venais d’avoir dix-sept ans. Je vivais alors à Boulogne-sur-Mer, ma ville natale. J’allais souvent à la bibliothèque municipale, dirigée à l’époque par Louis Seguin que de nombreux cinéphiles connaissent grâce à sa collaboration, pendant de nombreuses années, à la revue « Positif ». C’était une bibliothèque assez exceptionnelle, pour sa qualité et sa diversité. Passionné de spiritualités orientales et d’ésotérisme, je fouillais assidûment les fichiers, sous l’œil soupçonneux et visiblement agacé du commis qui devait régulièrement aller à la « réserve » me chercher tous ces livres à odeur de soufre qui décidément n’étaient « pas de mon âge ». Je ne me souviens plus du premier livre que j’ai emprunté concernant l’astrologie. Mais c’est à cette époque que le désir d’en connaître davantage me mis sur la piste d’une petite librairie où je pus commander les livres de Julevno, Max Heindel, Georges Muchery, Robert Ambelain et de quelques autres.

C’est ainsi que, m’aidant des éphémérides dites de « Raphaël », je commençai, ardemment et patiemment, à monter des thèmes astraux. Dans la naïveté de ma jeunesse, je croyais que j’allais tout connaître de la psychologie de mes « consultants » et que l’Avenir allait m’ouvrir ses portes, avec la même rigueur arithmétique que celle avec laquelle j’avais dressé les cartes du ciel, juste récompense de mon labeur. Je dus rapidement déchanter. Je persévérai néanmoins les années suivantes, élargissant mes connaissances par la lecture d’André Barbault, de Hadès, de Choisnard, de Rolt-Wheeler, de Volguine, des Cahiers Astrologiques dont je possède toujours une collection. Je l’étudiais aussi dans les rapports étroits qu’elle entretenait avec la Magie, les religions et surtout l’Alchimie dont les opérations s’effectuent sous certaines configurations célestes comme l’a très bien montré le spagyriste Armand Barbault, frère d’André et par ailleurs excellent astrologue, dans « L’or du millième matin ».

La poésie, l’écriture m’accaparant, j’ai parfois délaissé, au fil du temps, cette « très grande dame, fort belle et venue de si loin », ainsi que le disait naguère André Breton, dans un entretien avec Jean Carteret. Mais je reviens régulièrement lui rendre visite. Elle détient certaines clefs oubliées du symbolisme. En sa compagnie, j’exerce au mieux cette faculté d’analogie que les modes de raisonnement contemporains ont si souvent mise à mal. Réglée par le Nombre et le Rythme, elle introduit de l’ordre dans le chaos et m’initie, malgré les dissonances, à une sorte d’harmonie universelle. En un mot, l’astrologie m’apporte du Sens et me donne l’impression, en mon lieu d’espace et de temps, aussi restreint soit-il, de faire partie d’un tout. Si je la considère comme un langage, je dois admettre qu’elle a, comme tout langage, sa part d’arbitraire, du moins de conventionnel. Mais cette part ne se situe pas au même niveau. Dans la langue, le signifié est « la représentation psychique de la chose ». Il est construit par les sens à partir des choses, et présente donc une sorte de représentation objective, j’allais dire naturelle. C’est le lien entre le signifiant et le signifié qui, dans la langue, est arbitraire. En astrologie, c’est souvent l’inverse. Par exemple, le signifiant planétaire ♄ évoque assez précisément son signifié, le dieu de la mythologie gréco-romaine, Saturne, que l’on représente tenant une faux à la main. Cette fois, contrairement à la langue, c’est le lien entre le signifié et la chose qui est arbitraire : Saturne, en tant que dieu mythique n’a rien à voir avec la planète Saturne telle que l’Astronomie la décrit.

Je n’exclus pas complètement une influence réelle des planètes qui, de toute façon, est indéniable pour les luminaires, soleil et lune. Cette possibilité a été défendue par d’éminents astrologues, y compris parmi les plus anciens dont le célèbre et énigmatique Ptolémée. Mais je trouve plus stimulant de mettre en jeu, dans l’interprétation, un des mécanismes les plus fondamentaux de l’esprit : le fonctionnement analogique. Nommer, c’est appeler à l’existence. En donnant le nom de divinités mythologiques aux planètes, on leur confère le même pouvoir. Ce ne sont plus des planètes, mais des dieux qui agissent, avec leurs alliances, leurs affinités, leurs discordes. Ils règnent sur certains lieux du zodiaque, mais peuvent aussi être en disgrâce. Il est donc nécessaire de bien connaître la mythologie pour interpréter un thème.

Ainsi Mercure est-il le protecteur des voyageurs, des marchands et, aussi d’une certaine manière, celui des voleurs. Il est par ailleurs le dieu de l’éloquence qui, dans un thème, peut faire les orateurs, et un messager par ses attributs : sa sandale ailée lui permet symboliquement de voyager entre le ciel et la terre, et le caducée est une clef avec laquelle il ouvre la porte des Enfers, c’est-à-dire le monde souterrain.

Saturne n’est que trop souvent envisagé sous son aspect négatif de « vieillard à la faux », qui serait lié aux aspects inexorables du temps et à la mort. C’est oublier que, chassé de l’Olympe par son fils Jupiter, il vint se réfugier sur terre et s’installa, accueilli par Janus, sur le Capitole, à l’emplacement de la future Rome. Son règne fut celui d’un véritable âge d’or. Il donna des lois aux hommes qui vivaient en cet endroit et leur apprit l’agriculture. C’est même d’ailleurs pour cette raison, trop souvent ignorée, que la faux figure parmi ses attributs. En astrologie, ce côté civilisateur de Saturne, dispensateur de bonheur ne doit pas être occulté. Par ailleurs, il est intéressant de constater que, dans la mythologie, Saturne est l’ami de Janus qui préside, comme son nom l’indique, le mois de janvier, marquant le début de la nouvelle année. Janus porte en effet un double visage : l’un tourné vers l’année écoulée, l’autre vers l’année à venir. Ce même mois est aussi, pour une large part, celui du Capricorne, domicile de Saturne. En symbolisme, une telle « coïncidence » ne saurait être gratuite. La même logique associe presque naturellement le Verseau (Aquarius) avec le mois de février qui vient du latin februarius, « purification ».

Ce ne sont que quelques exemples. Ils ont valeur d’incitation à une recherche plus vaste. Je suis certain que les astrologues trouveront avantage à puiser dans cette matière mythologique à la source de leur art. Elle n’a pas été suffisamment exploitée ou, si elle l’a été, ce n’est que trop souvent à travers des clichés. Tout commence avec le nom. En conférant le nom de dieux aux planètes, l’homme leur a donné âme, au sens non religieux, et cette âme est indissolublement liée avec notre représentation du monde la plus cachée, avec notre inconscient dans ses dimensions individuelles et cosmiques. C’est en ce sens que l’astrologie peut redevenir une science sacrée.

Alain Roussel (Juin 2010)