Pourquoi l’homme approximatif ?

Pourquoi L’Homme approximatif  ?

Henri BÉHAR

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Ce titre en forme d’interrogation pose en réalité deux questions : d’une part il demande comment il faut comprendre le titre du recueil de Tristan Tzara ; d’autre part, il s’interroge sur le libellé donné à l’exposition de Strasbourg, laquelle qualifie ainsi le poète lui-même. Je cite : « TRISTAN TZARA/ L’homme approximatif/ Poète, écrivain d’art, collectionneur ».

Je n’entrerai pas dans le détail du parcours qui nous a conduits, de changements de responsables en reports, jusqu’à l’inauguration de cette magnifique présentation strasbourgeoise, la première à montrer la totalité de l’activité artistique de Tristan Tzara. La directrice du Musée d’art moderne et contemporain, Estelle Pietrzyk, qui est aussi commissaire de l’exposition, m’écrit qu’elle l’a choisi un peu intuitivement, en considérant que L’Homme approximatif (1931) est certainement le texte qui demeurera parmi la cinquantaine d’ouvrages de l’auteur, et surtout en se souvenant de ce vers baudelairien : « homme approximatif comme moi comme toi lecteur et comme les autres ») l’invitant à penser qu’il n’y est pas question uniquement d’un individu extérieur à l’auteur. Pour ma part, je me souviens seulement d’avoir fait remarquer, à plusieurs reprises, que je ne trouvais aucune explication du sous-titre faisant appel au titre de Tzara, « L’Homme approximatif », dans le catalogue en cours de rédaction, à plus forte raison dans le communiqué ni dans le dossier adressé à la presse.

Ce qui présente, malgré tout, un avantage : à défaut d’explication, d’encadrement, de guide, le lecteur, le visiteur (qui sont souvent les mêmes) peuvent l’interpréter à leur guise : Tzara = L’Homme approximatif, c’est-à-dire l’auteur du recueil ainsi dénommé, qu’on ne connait pas totalement, quelque peu imparfait, inachevé, et donc complété par la présentation d’un poète, d’un écrivain d’art et, ce qui est moins connu, d’un collectionneur. Mais on peut lire la formule autrement, en se disant que l’exposition sera focalisée sur cet ouvrage de la maturité du poète, son chef-d’œuvre au dire de la critique contemporaine.

La lecture du dossier de presse, qui m’a été aimablement communiqué par la direction du Musée, nous convainc que nul commentateur ne s’est attardé sur le recueil de poésie, ni même sur le titre de l’exposition.

Il semble aussi que tous les efforts des organisateurs ont porté sur le souci, non pas d’éliminer Dada (toujours présent), mais de le réduire à sa plus simple expression, par peur de le voir tout envahir, par son énergie intrinsèque.

Circonstances du poème

C’est à partir du printemps de 1925 que commencent à paraitre, en français et même en anglais, dans diverses revues d’avant-garde, plusieurs chants d’un long poème de Tristan Tzara intitulé L’Homme approximatif. Jusqu’au moment, en décembre 1929, où La Révolution surréaliste en donne un fragment, qui deviendra le dernier chant de l’édition définitive du recueil du même titre. Le choix ne pouvait être plus judicieux, au moment où la revue officielle du mouvement interrogeait son public : « Quelle sorte d’espoir mettez-vous dans l’amour ? ». En prélude, André Breton, directeur de cette publication, expliquait pourquoi elle avait cessé de paraitre. Son argumentaire revêtait la forme d’un manifeste : le Second Manifeste du surréalisme, publié en totalité avant qu’il ne sorte en volume, légèrement augmenté.

C’est évidemment à cette rédaction, de premier jet dira-t-on, qu’il faut se reporter pour lire en son entier l’appel qu’il lance à Tzara, après s’être livré à un examen général de la situation poétique depuis le premier manifeste :

Ceci dit, il nous prend par contre l’envie de rendre à un homme de qui nous nous sommes trouvés séparés durant de longues années cette justice que l’expression de sa pensée nous intéresse toujours, qu’à en juger par ce que nous pouvons lire encore de lui, ses préoccupations ne nous sont pas devenues étrangères et que, dans ces conditions, il y a peut-être lieu de penser que notre mésentente avec lui n’était fondée sur rien de si grave que nous avons pu croire. Sans doute est-il possible que Tzara qui, au début de 1922, époque de la liquidation de « Dada » en tant que mouvement, n’était plus d’accord avec nous sur les moyens pratiques de poursuivre l’activité commune, ait été victime de préventions excessives que nous avions, de ce fait, contre lui – il en avait aussi d’excessives contre nous – et que, lors de la trop fameuse représentation du Coeur à barbe, pour faire prendre le tour qu’on sait à notre rupture, il ait suffi de sa part d’un geste malencontreux sur le sens duquel il déclare – je le sais depuis peu – que nous nous sommes mépris. C’est très volontiers, pour ma part, que j’accepte de m’en tenir à cette version et je ne vois dès lors aucune raison de ne pas insister, auprès de tous ceux qui y ont été mêlés, pour que ces incidents tombent dans l’oubli.

Depuis qu’ils ont eu lieu, j’estime que l’attitude intellectuelle de Tzara n’ayant pas cessé d’être nette, ce serait faire preuve d’étroitesse d’esprit que de ne pas publiquement lui en donner acte. En ce qui nous concerne, mes amis et moi, nous aimerions montrer par ce rapprochement que ce qui guide, en toutes circonstances, notre conduite, n’est rien moins que le désir sectaire de faire prévaloir à tout prix un point de vue que nous ne demandons pas même à Tzara de partager intégralement, mais bien plutôt le souci de reconnaître la valeur – ce qui est pour nous la valeur – où elle est. Nous croyons à l’efficacité de la poésie de Tzara et autant dire que nous la considérons, en dehors du surréalisme, comme la seule vraiment située. Quand je parle de son efficacité, j’entends signifier qu’elle est opérante dans le domaine le plus vaste et qu’elle est un pas marqué aujourd’hui dans le sens de la délivrance humaine. Quand je dis qu’elle est située on comprend que je l’oppose à toutes celles qui pourraient être aussi bien d’hier et d’avant-hier : au premier rang des choses que Lautréamont n’a pas rendu complètement impossibles, il y a la poésie de Tzara. « De nos oiseaux » venant à peine de paraître, ce n’est fort heureusement pas le silence de la presse qui arrêtera sitôt ses méfaits.

Sans donc avoir besoin de demander à Tzara de se ressaisir, nous voudrions simplement l’engager à rendre son activité plus manifeste qu’elle ne put être ces dernières années. Le sachant désireux lui-même d’unir, comme par le passé, ses efforts aux nôtres, rappelons-lui qu’il écrivait, de son propre aveu, « pour chercher des hommes et rien de plus ». À cet égard, qu’il s’en souvienne, nous étions comme lui. Ne laissons pas croire que nous nous sommes ainsi trouvés, puis perdus.

Je cite longuement, intégralement. Tant d’autres se sont référés à ce Second Manifeste comme à un simple livre de comptes, de règlement de comptes, veux-je dire, qu’il me faut bien faire entendre en son entier le raisonnement d’André Breton lorsqu’il accepte de revenir sur son attitude antérieure. Il n’était pas homme à se repentir, et il faut croire qu’il avait d’excellentes raisons pour en arriver là, sans savoir si son appel serait entendu. Il avait suivi attentivement les publications de Tzara depuis le moment où il l’avait, en quelque sorte, exclu du groupe, et il reconnaissait en son œuvre les qualités qu’il attendait de toutes les œuvres publiées à l’enseigne du surréalisme. Il faut croire qu’il était si loin du compte qu’il acceptait de revenir sur son intervention personnelle lors de la soirée du Cœur à barbe en juillet 1923, sur les injures tant verbales qu’autographes proférées à son encontre. L’excuse alléguée ne manque pas de sel : il se serait mépris sur la signification du geste de Tzara devant la police, à l’entrée du Théâtre Michel. En conséquence, il lui offre la paix des braves, sans lui demander compte de ses opinions du moment.

En effet, tandis que le surréalisme évoluait vers l’engagement auprès du Parti communiste, Tzara, qui, depuis les débuts de Dada, se défiait de tout enrôlement politique, continuait à prêcher l’indépendance totale du poète. C’est pourquoi Breton n’hésite pas à dire que la poésie de Tzara est la seule qui soit située. Le terme est à prendre dans le sens que lui confère Max Jacob en préface au Cornet à dés : « Tout ce qui existe est situé » (1916). Une poésie située est une poésie issue du langage personnel, une poésie de son époque, qui exprime les idées et les sentiments des hommes.

C’est pourquoi Breton lui rappelle le but qu’il assignait à la poésie : « chercher des hommes », et lui demande de reprendre cette quête en commun.

En résumé, Tzara n’avait pas tort de poursuivre son chemin solitaire, mais, au vu de sa production poétique, il devrait rejoindre le mouvement surréaliste. Il ne lui sera fait aucun reproche, et même on ne lui demandera pas d’épouser les thèses communisantes de ses nouveaux anciens amis. La preuve en est fournie par la publication du dernier chant de L’Homme approximatif immédiatement à la suite du Manifeste, à la manière de Poisson soluble, destiné à suivre et exemplifier les thèses du Premier Manifeste du surréalisme.

En revue, le lecteur ne pouvait savoir qu’il lisait une partie du chant XIX et dernier d’un long poème épique, qui ne devait paraitre intégralement en volume que deux ans plus tard, sous le même titre.

Le texte de la Révolution Surréaliste

D’après ce seul fragment, nous pouvons déterminer ce qui a pu séduire les surréalistes jusqu’à fraterniser avec son auteur dissident.

Au premier chef, il y a ce fait, surprenant pour certains lecteurs, que Dada n’a pas réduit l’activité poétique à néant. Au contraire, pourrait-on dire, elle est ressortie toute neuve et comme régénérée par le traitement qu’il lui a fait subir. La poésie de Tzara ne concède rien au lecteur. L’auteur n’accepte aucun compromis, aucun retour vers la poésie formelle ou narrative. De même, il n’accepte aucune des recettes de l’automatisme surréaliste (je dis bien recettes, et non aspirations). De sorte qu’un ton nouveau émane de ce chant individuel, qui proclame les difficultés de l’homme à vivre au monde, au sein d’une nature fondamentalement hostile.

Comment ne pas se sentir impliqué par ce repetend[1], à la manière baudelairienne, cette sorte de refrain de trois ou quatre vers revenant à plusieurs reprises avec une variation interne :

et rocailleux dans mes vêtements de schiste j’ai voué mon attente
au tourment du désert oxydé
et au robuste avènement du feu

La suite du chant, non publiée dans La Révolution surréaliste, montre bien que, dès l’origine, il était pensé pour servir de conclusion à cette épopée lyrique en récapitulant toutes les approximations humaines, les inquiétudes et les vertiges à quoi l’homme se trouve confronté, à la mesure de ses épreuves. L’efficacité de cette poésie ne s’apprécie pas en termes de pratique mais d’action spirituelle, d’adhésion du lecteur contemporain, je veux dire du temps de l’écriture comme du temps présent.

Ce faisant, je n’ai pas expliqué le titre, L’Homme approximatif. Il me semblait conforme à la définition du Littré, plus exactement du Petit Littré que Tzara pratiquait assidument : « Approximatif : Qui est fait par approximation. Estimation approximative. Calcul approximatif. » C’est dire que l’adjectif désigne des approches successives, tout en marquant sa proximité avec le vocabulaire mathématique. Apparemment, il n’y a là aucune difficulté particulière, d’autant plus quand nous savons le goût prononcé de Tzara pour cette discipline.

Toutefois, la dernière traduction du volume proposée en Espagne et en espagnol, met en évidence la double acception de l’adjectif. Elle est titrée El hombre aproximado (2014), remplaçant l’académique El hombre aproximativo (1975). Même si l’on n’a pas été élevé dans la langue de Picasso, on sent bien la différence[2]. Le traducteur s’en explique en accusant son prédécesseur d’user d’un gallicisme. En somme, il s’agirait de distinguer entre la forme passive et la voie active : une valeur fixe, toute relative, s’opposant à une connaissance par des approches répétées.

Pour connaitre le sens que Tzara voulait donner à ce titre (qui revient 7 fois dans les vers), et en avoir le cœur net, je ne connais pas d’autre méthode que de relever toutes les occurrences du vocable dans l’œuvre complet de Tzara, afin de voir quel sens, quelle nuance particulière il conférait à ce vocable. Dans tous ses écrits, vers et prose mêlés, il emploie approximatif 14 fois, approximative 4 fois, et 10 fois le substantif approximation (au singulier et au pluriel). Dans le cadre de la présente journée d’étude, je n’ai pas le loisir d’afficher chaque occurrence avec son contexte. On les trouvera en annexe ci-après. Retenons seulement cette déclaration du Manifeste Dada 1918 : « l’approximation fut inventée par les impressionnistes » (I, 360), qui nous ramène à l’univers de la création picturale. Vient ensuite un poème intitulé « Approximation », publié en 1924 et repris dans L’Arbre des voyageurs (II, 31). C’est, à n’en pas douter, le noyau primitif du chant III de notre recueil, et même de l’ensemble du texte, le poète interpellant :

tu viens tu nages tu rêves tu lis
Tu cours parfois après le clair l’illimité pourquoi de tes actions (OC II, 31)[3]

Plus tard, au temps des souvenirs, Tzara s’est expliqué très clairement sur sa réalisation, au cours de ses entretiens radiophoniques avec Georges Ribemont-Dessaignes :

L’Homme approximatif a été écrit entre 1925 et 1930. C’est en 1929 qu’un fragment de ce poème parut dans La Révolution Surréaliste, les événements m’ayant amené à me réconcilier avec les surréalistes. Parallèlement à eux, mon évolution me fit abandonner le caractère démonstratif, provocant, et négateur de la poésie pour une expression plus constructive de la matière poétique. Je me dirigeais vers une conception de la vie où l’individualisme extrême qui était le mien allait se concilier avec les sentiments de base communs à la plupart des hommes. Ce n’étaient plus les mots qui, par leur rapprochement insolite faisaient éclater leur signification coutumière, mais c’est le complexe de l’image poétique qui se substituait comme une composante à mes premières préoccupations. C’était là le passage vers une nouvelle objectivité. (OC V, 405)

Mais nous possédons un témoignage du temps même de l’élaboration du recueil, que les surréalistes français ne devaient guère connaitre, car ils se seraient certainement insurgés contre certains jugements concernant leur récent engagement politique. Le paradoxe est bien là : tandis que, de nos jours, Tzara passe pour le poète le plus lié au Parti communiste (après Aragon, évidemment), c’est lui qui, de Dada jusqu’aux années trente, est le plus hostile au rapprochement du groupe avec toute organisation politique ! Il dit :

Reconnaître le matérialisme de l’histoire, dire en phrases claires même dans un but révolutionnaire, ceci ne peut être que la profession de foi d’un habile politicien : un acte de trahison envers la Révolution perpétuelle, la révolution de l’esprit, la seule que je préconise, la seule pour laquelle je serais capable de donner ma peau, parce qu’elle n’exclut pas la Sainteté du moi, parce qu’elle est ma Révolution, et parce que pour la réaliser je n’aurai pas besoin de la souiller à l’aide d’une lamentable mentalité et mesquinerie de marchand de tableaux. […] Le communisme est une nouvelle bourgeoisie partie de zéro ; la révolution communiste est une forme bourgeoise de la révolution… (OC II, 418)

Or, tenez-vous bien, il dit cela au poète Ilarie Voronca, venu l’interroger dans sa magnifique villa de l’avenue Junot, qui publie ses propos dans la revue roumaine Integral en avril 1927, (intégralement reproduits dans les Œuvres complètes).

Deux formules les résument : en 1920, il écrivait « pour chercher des hommes ». Déçu de sa quête, il poursuit : « Je continue à écrire pour moi-même, pour l’instant, et à défaut de trouver d’autres hommes, je me cherche toujours. » (OC I, 417)

S’agissant d’une quête de soi-même, il convient de bien dater chacun des propos. C’est le moment, en effet, où, tout en proférant ses attaques contre le groupe surréaliste et son meneur, Tzara en vient à réviser ses positions, à tel point que, deux ans plus tard, il serrera la main de celui qui l’avait le plus ostracisé.

À l’inverse, il est fort possible, comme l’expliquent les historiens et le sociologue du surréalisme, que Breton ait vu là une occasion de rééquilibrer ses troupes après les ruptures et les grandes purges qui firent suite à la réunion du Bar du Château. Avec le départ de Soupault, Vitrac, Artaud, Desnos, Baron, Leiris, Limbour, Prévert, Queneau, etc., le retour d’un poète de la dimension de Tzara était une aubaine pour le groupe, d’autant plus qu’il allait s’accompagner de l’entrée en scène de René Char, Dali, Georges Hugnet, Georges Sadoul, André Thirion, René Magritte. Cependant je reste persuadé que, par-dessus tout, la qualité poétique des œuvres de Tzara est la cause nécessaire et suffisante de ce rapprochement.

En ce temps là, nous en avons maint exemple, les poètes se lisaient encore entre eux ! Ils n’avaient pu demeurer insensibles à la remarquable évolution qui, des Vingt-cinq Poèmes et des Sept Manifestes dada (1924) menait à L’Indicateur des chemins de cœur (1928) et à L’Arbre des voyageurs (1930), pour aboutir à ces dix-neuf chants de L’Homme approximatif. La profondeur du chant prenait le pas sur l’anecdote, la mesquine fâcherie humaine, à tel point que les éclats de la représentation du Cœur à gaz (1923), les propos accusateurs des Pas perdus et de Nadja se trouvaient dénoncés par leur propre auteur. La réconciliation se fit en 1929, et nous avons plusieurs exemples de l’amitié retrouvée, mais je préfère citer, car il est d’ordre privé, ce témoignage moins connu de leur réconciliation, que l’on peut découvrir dans une des vitrines de l’exposition :

À Tristan Tzara
à la poésie qu’il incarne
et qui aura eu son front ses yeux
son rire (son rire inoubliable) quand
j’avais vingt ans, trente ans et
encore bien d’autres âges,
et à l’homme que j’adore
qui est fait d’idées étonnantes pour les cheveux, de sentiments hors ligne
pour les moindres mouvements, d’actions
futures pleines de signification et de grandeur pour la main fine et parfaite,
avec l’orgueil et la joie de
le connaître à toutes les minutes
où je ne me tue pas
17ndré 13reton.

C’est l’envoi autographe porté sur un exemplaire de l’édition originale du Revolver à cheveux blancs (1932). L’individu Tzara est donc la poésie en soi, et le meilleur remède contre la déprime, l’angoisse et le désespoir !

La lycanthropie

Ce n’est pourtant pas l’image que le commun des lecteurs se fait dudit poète. J’en déduis que Tzara, tout aussi ambivalent que l’ami retrouvé, avait réussi, au moyen du poème, justement, à dominer sa propre solitude, le sentiment de ce qu’il nommait la lycanthropie[4]. Ce terme, caractérisant la nature même du poète, n’apparait pas dans le recueil L’Homme approximatif. Tzara le définira peu après dans son « Essai sur la situation de la poésie » comme « un état latent de fureur et de haine, d’explosion et de frénésie » (1931), puis au sujet des Bousingos, dont Pétrus Borel fait partie. Il se nommait lui-même « le lycanthrope », faisant de cette attitude mentale le symbole de la révolte d’individus s’estimant supérieurs, contre la société et contre Dieu. Il commente :

La Lycanthropie de Pétrus Borel n’est pas une attitude d’esthète, elle a des racines profondes dans le comportement social du poète […] qui prend conscience de son infériorité dans le rang social et de sa supériorité dans l’ordre moral. (OC V, 111)

En ce qui le concerne, l’auteur de L’Homme approximatif est partisan d’une révolution individuelle et perpétuelle. Le moi solitaire se livre à une longue introspection :

je me vide devant vous poche retournée
j’ai abandonné à ma tristesse le désir de déchiffrer les mystères
je vis avec eux je m’accommode à leur serrure (OC II 87)

Tout se passe comme si l’individu devait retourner aux origines du monde pour se connaître et comprendre sa destinée, à travers une révolte toujours contenue.

Épopée de l’homme solitaire, L’Homme approximatif, toujours aussi gauche et inachevé, émerge des profondeurs de l’inconscient, surgit du magma originel. Le chant est si puissant qu’on a pu parler de poésie épique, d’une sorte de Légende des siècles se référant à l’histoire de l’homme dans ses relations avec la nature. Tzara se révèle ici pasteur de mots, les guidant à travers l’obscurité primitive jusqu’au soleil de la vie. Saisi dans son être incertain, avant toute reconstruction logique, c’est un homme, ou une pierre, ou un arbre qui parle, comme au quatrième des Chants de Maldoror.

Toujours l’angoisse domine : « la terre me tient serré dans son poing d’orageuse angoisse » (OC II 83), déclare-t-il au seuil d’une longue errance. Lycanthrope, le poète l’est plus que jamais dans ce chant IX où il s’identifie à l’animal solitaire, celui qui veut ignorer l’instinct grégaire de la meute :

le loup embourbé dans la barbe forestière
répue et brisée par saccades et fissures
et tout d’un coup la liberté sa joie et sa souffrance
bondit en lui un autre animal plus souple accuse sa violence
il se débat et crache et s’arrache
solitude seule richesse qui vous jette d’une paroi à l’autre
dans la cabane d’os et de peau qui vous fut donnée
comme corps
dans la grise jouissance des facultés animales paquets de chaleur
liberté grave torrent que tu puisses enlever ma chair mon entrave
la chaîne charnue autour de mes plantes vertigineuses impétueuses tensions
aventures que je voudrais jeter par flaques paquets et poignées
à ma face honteuse timide de chair et de si peu de sourire
ô puissances que je n’ai entrevues qu’à de rares éclaircies
et que je connais et pressens dans la tumultueuse rencontre
frein de lumière marchant d’un jour à l’autre le long des méridiens
ne mets pas trop souvent ton carcan autour de mon cou
laisse jaillir ma fuite de ma terreuse et terne créature
laisse-la tressaillir au contact des terreurs corporelles
s’échapper des caverneuses veines des poumons velus
des muscles presque moisis et des ténèbres délirantes de la mémoire (OC 114)

À la fin de ce chant, le loup désembourbé va trouver son berger, « le berger des incommensurables clartés » que l’on pourrait identifier à je ne sais quel dieu des religions mais qui, pour Tzara, ne peut être que le principe ordonnateur du langage, régnant sur les « célestes pâturages des mots »[5].

Ce qui fera dire à Jean Cassou dans Les Nouvelles Littéraires :

extraordinaire poème primitif, l’un des plus résolus, des plus complets témoignages de la poésie contemporaine. Il démontre qu’en poésie il n’y a jamais d’impasses et que, seules les positions extrêmes sont valables. En s’obstinant dans ce qui pouvait ne paraître qu’un acte de négation stérile, une explosion fatale, Tristan Tzara produit une œuvre positive, abondante, généreuse, passionnée, et qui imite tout ce qu’il y a de plus ardent et de vorace dans la création. (OC II 419)

Tzara développera et radicalisera cette image du poète comme loup solitaire, mu par un désir excessif de pureté, dans Où boivent les loups (1932), paru l’année suivante, et il en analysera la fonction particulière dans son « Essai sur la situation de la poésie », une poésie qui, selon lui, s’est développée sur deux axes simultanés et successifs, la « poésie activité de l’esprit » et la « poésie moyen d’expression », qui se rejoignent et rivalisent à l’époque contemporaine, destinés à produire la « poésie-connaissance ». Cet examen critique du « principe de lycanthropie » et de la « nécessité poétique » se poursuivra dans d’autres essais, parfaitement analysés et synthétisés par la critique.

Pour finir sur ce point central, il ne me parait pas anecdotique de préciser que, dans la correspondance déposée au fonds Doucet, sa femme, Greta Knutson, à qui L’Homme approximatif est dédié, le nomme toujours loup.

Composition

J’ai dit que L’Homme approximatif fut connu par la publication de fragments ou de chants entiers dans diverses revues. L’ordre de la publication ne suit pas nécessairement le temps de l’écriture, dans la mesure où chaque revue a son propre rythme de parution, et aussi parce que Tzara n’a classé définitivement ses dix-neuf chants qu’au moment où il a remis son manuscrit à l’éditeur. Ici encore, je reporte à l’annexe un tableau présentant l’ordre chronologique de parution des chants, confronté au choix final, en laissant au lecteur le soin de déterminer s’il y a adéquation du texte proposé à l’orientation de chaque revue. L’examen des divers états du texte, du carnet aux brouillons, aux dactylographies et aux multiples états manuscrits ne laisse apparaitre aucun plan ni aucun principe de classement. Il est clair toutefois que la forme, un long poème en plusieurs chants, est première. Dès le début, en 1925, Tzara sait ce vers quoi il tend.

Le lecteur, le public populaire que Tzara désigne dans son commentaire sur les genres littéraires, n’a pas coutume de lire des fragments de l’épopée, publiés dans le désordre, au gré de l’édition. Aussi me suis-je demandé, en présentant le recueil dans les Œuvres complètes, s’il y avait un ordre de composition préalable. J’ai recherché un projet, un plan parmi les nombreux brouillons, sans en trouver la moindre trace. Il n’empêche qu’à le lire dans sa continuité, on a bien le sentiment d’une composition cohérente, d’un mouvement allant, par approximations successives, cela s’entend, d’une expression angoissée de l’individu, à la pleine conquête de son être.

En 1929, Jean Cassou (1897-1986), conseiller littéraire du libraire-éditeur Jacques-Olivier Fourcade (1904-1966), l’informe que celui-ci souhaite reprendre la conversation au sujet de cette publication, qui comportera en frontispice une gravure de Paul Klee, signée par l’auteur et l’illustrateur, pour orner les dix exemplaires de tête.

L'homme approximatif
Paul Klee, L’homme approximatif (1931)

Paul Klee n’intervient pas par hasard dans la fabrication du volume. Aux temps de Dada, à Zurich, Tzara l’avait exposé à la Galerie Dada (17 mars 1917) et à la fin du même mois, il avait organisé une conférence à son sujet, présentée par le Dr. Waldemar Jollos. Il l’avait aussi sollicité, avec succès, pour la revue Dada. Correspondant malheureux de Vanity Fair, invité à traiter de l’expressionnisme allemand, il lui consacre un élogieux paragraphe, le présentant comme « la personnalité la plus remarquable de cette école de Weimar », ajoutant plaisamment : « Klee a réussi à faire une œuvre importante dans un petit format, au moment où tous les peintres cherchaient une monumentalité extérieure. » (OC I, 602). Plus tard, il expliquera pourquoi les surréalistes rejetèrent le cubisme au profit de ses propres peintres, ainsi que de Picasso et de Klee, lesquels assignaient à l’art le but d’éclairer les principes vitaux de la création et de l’imagination. Et surtout, il devait lui consacrer une magistrale transposition d’art (ekphrasis), « Paul Klee l’apprenti du soleil », publiée dans le numéro fêtant la résurrection des Cahiers d’art, en 1945, modulant quelque peu, avec le même enthousiasme, l’« Hommage à Paul Klee » de 1929. Il faut aussi noter que, hormis cette eau-forte, le peintre n’a jamais illustré que deux livres, tous deux en 1920 : Candide, et Postdamer Platz de Curt Corinth.

C’est donc sans surprise qu’il reçut à Dessau le papier pour l’impression de l’eau-forte, ce qu’il fit à Leipzig pour des raisons de qualité[6].

Dédié à Greta, sa femme, épousée en août 1923 à Stockholm, le recueil est daté 1925-1930, ce qui correspond exactement à l’étendue de sa composition, le premier chant (1925) et le dernier (1930) restant inamovibles dans tous les projets de classement.

Évitant de répéter ce que j’ai déjà écrit dans les notes des œuvres complètes, et afin de fonder mes impressions sur une démarche un tant soit peu scientifique, j’ai soumis le recueil à une analyse factorielle des correspondances. Et là, prodige : tous les chants se retrouvent groupés au centre du graphique, au croisement des abscisses et des ordonnées, sauf le chant X et le chant IX, qui s’opposent radicalement tout en se situant à l’écart de tous les autres. Rédigé en 1925, le chant IX qui commence par ce vers : « le loup embourbé dans la barbe forestière » est le chant de l’homme-loup errant solitaire, inquiet, affirmant sa certitude lorsqu’il proclame l’omnipotence d’un berger créateur, pasteur de mots, et fait état d’une inquiétude religieuse, ce par quoi il se distingue de l’ensemble.

À l’opposé, le Chant X n’a plus rien de mémoriel. Il est globalement tourné vers l’exploration des espaces arides et dépouillés en altitude.

Il faudrait pouvoir poursuivre l’analyse de chacun des chants, en la confrontant aux données de la statistique lexicale, sans doute la plus indiquée dans ce cas, puisque tout prélèvement cohérent ne peut apparaitre que comme un coup de force. Ce sera l’œuvre de nos successeurs !

Classement générique

Devant l’ampleur de cet ouvrage et son unité, certains se sont interrogés sur son identité générique. Soulignant son lyrisme généralisé, comme on parle de la relativité généralisée, la critique a aussitôt parlé de poésie épique, allant jusqu’à parler d’« épopée antihumaine », par référence au qualificatif que Tzara attribuait aux Chants de Maldoror (OC I, 418). Disant cela, on avançait prudemment, car le poème de Tzara ne présente aucun des traits de l’épique médiévale, et surtout on n’en voit pas le héros, sauf à considérer que l’homme moderne est toujours « antihumain ». En développant ses réflexions sur la poésie, Tzara tenait le genre épique pour un moyen d’expression, tendant à exalter le sentiment religieux ou national, ce qui n’est évidemment pas le cas du présent recueil. D’autant plus qu’à ses yeux, la seule forme à la fois lyrique et poétique s’adressant au peuple assemblé, ne se trouvait désormais qu’au cinéma, avec la série des Fantômas par exemple.

Comment pouvaient-ils penser, ces critiques à la manque, comme disait familièrement Tristan Tzara à la radio, qu’il ait pu écrire un seul mot « antihumain » ? ni qu’il ait pu s’intéresser à des adversaires de l’humanité ? Certes, il admirait Lautréamont depuis son séjour zurichois, en expliquant à qui voulait l’entendre que plusieurs personnages fictifs y prenaient tour à tour la parole : « l’assassin illuminé », « le petit bourgeois agaçant », le « prophète illuminé », autant de figures de l’antihumain, à ses yeux.

Il conviendra donc de lire cette épopée tzariste en déterminant la nature de l’homme qu’il chante et, du même élan, de fixer les caractéristiques de l’aède, celui qui dit Je, à la différence de l’épopée traditionnelle. Là encore, il me faudrait bien des pages pour suivre de près les différents acteurs de cette composition lyrique, et le sujet de leur propos. Aujourd’hui, je m’en tiendrai à ce qui me semble l’essentiel, l’homme.

Qu’est-ce que l’homme ?

« Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui ? Et le fils de l’homme, pour que tu prennes garde à lui ? » interroge le psalmiste (Psaumes, 8, 4-5). Et Kant, à son tour, sans répondre vraiment à la question. Tzara s’empare de l’interrogation et développe sa réponse tout au long de ces chants.

Soit l’expression « homme approximatif », qui donne son titre au recueil.

Elle est employée sept fois dans l’ensemble, dont 4 au Chant II et ensuite à la clôture des Chants VIII, XIV et XVI, tout en précisant l’identité d’un tel homme avec le récitant, le lecteur et, finalement, tout autre individu. Toutefois, Tzara ne se contente pas de cette reprise formelle, il varie le contexte d’une manière telle que je ne puis me dispenser de citer, d’abord dans la même laisse du Chant II :

homme approximatif comme moi comme toi lecteur et comme les autres
amas de chairs bruyantes et d’échos de conscience
complet dans le seul morceau de volonté ton nom
transportable et assimilable poli par les dociles
inflexions des femmes
divers incompris selon la volupté des courants interrogateurs
homme approximatif te mouvant dans les à-peu-près du destin
avec un cœur comme valise et une valse en guise de tête
buée sur la froide glace tu t’empêches toi-même de te voir
grand et insignifiant parmi les bijoux de verglas du paysage
cependant les hommes chantent en rond sous les ponts
du froid la bouche bleue contractée plus loin que le rien
homme approximatif ou magnifique ou misérable
dans le brouillard des chastes âges
habitation à bon marché les yeux ambassadeurs de feu
que chacun interroge et soigne dans la fourrure de caresses de ses idées
yeux qui rajeunissent les violences des dieux souples
bondissant aux déclenchements des ressorts dentaires du rire
homme approximatif comme moi comme toi lecteur
tu tiens entre tes mains comme pour jeter une boule
chiffre lumineux ta tête pleine de poésie (II, 84)

Puis en clausule de trois chants, en opérant une réduction progressive :

homme approximatif comme moi comme toi et comme les autres silences (VIII, 113) 1931
homme approximatif comme moi comme toi lecteur et comme les autres (XIV, 147) 1927
homme approximatif comme moi comme toi (XVI, 155) 1929

Or, s’il est impossible de dater la première citation, les suivantes ont paru, respectivement en 1931, 1927, 1929. On ne peut aboutir qu’à une seule conclusion : l’homme que Tzara conçoit, par approches successives, est universel et permanent, à défaut d’être éternel ! Et l’intention du poème n’a pas varié d’un chant à l’autre dans le temps de l’écriture.

L’homme est visiblement une préoccupation essentielle du poète qui l’invoque plus de cinquante fois, sous la forme composée que nous venons d’examiner, mais aussi seul, déterminé, comparé à une « fournaise d’invincible constance » dans la dernière laisse du dernier chant (XIX, 170), mais aussi soumis au feu : « un homme qui vibre aux présomptions indéfinissables des dédales de feu » (XIX, 171). Rappelons celui qui apparait au chant précédent : « homme un peu fleur un peu métal un peu homme » (XVIII, 162). De fait, comme il arrive souvent dans un corpus d’une certaine longueur, le vocable apparait comme par rafales, ainsi au centre du chant XV :

un homme voudrait brûler une forêt d’hommes
au bruit des troupes phosphorescentes dans la nuit de mes consolations
un homme voudrait pleurer un homme
un homme voudrait jeter sa tête dans la rivière fraîche sa tête
une femme voudrait pleurer sur l’homme
un homme est si peu de choses qu’un fin filet de vent l’emporte
l’homme (145)

ceci à la fin d’une laisse où l’individu est à la fois violence et faiblesse, si incertain qu’on croirait entendre les paroles de l’Ecclésiaste, fils de David ! Ce sentiment de totale vanité, le lecteur l’aura déjà éprouvé au chant IX :

tant craint l’homme la face de son dieu que dépourvu d’horizons il
tremble
tant craint l’homme son dieu qu’à son approche il tombe il se noie
tant craint l’homme sans horizons sa mort que dépourvu de dieu il
cache sa tombe
tant craint l’homme » (116)

Toutefois, il ne faudrait pas se hâter de conclure que Tzara parle de sa foi. Il me semble qu’il traite ici de l’homme primitif et des dieux qu’il a bâtis, monumentaux, en divers points de la terre. Encore l’emploi du singulier permet-il le doute. Plus loin, le récitant expliquera clairement sa fonction : « je chante l’homme vécu à la puissance voluptueuse du grain de tonnerre (XIV, 144). Non pas lui, mais tout l’homme, dans sa dimension historique.

Qu’est-ce que l’homme ? ai-je demandé ci-dessus, en le situant dans son espace cosmique. On peut aussi le définir par ses actions, que voici en série, dans l’ordre alphabétique des verbes d’état ou d’action :

« l’homme déchiquette la proie de sa rancune » (129)
« et des griffes saisissent l’homme en quête d’un merci de brique (132)
« et l’ homme grandissait sous l’ aile de silence » (113)
« l’homme marche prisonnier dans la doublure de son âme » (132)
« l’ homme nidifie ses sens et ses proverbes » (137)
« l’homme se raccourcit avec l’année infiniment » (98)
« l’homme se raccourcit avec l’ombre jusqu’à la nuit » (98)

Conclure

En répondant à l’invitation des surréalistes, Tzara leur apportait le recueil le plus beau, aussi désespéré qu’il proclame la présence d’une énergie vitale. Retraçant l’évolution de l’humanité, des cavernes primitives aux explorations cosmiques, l’ontogenèse récapitule la phylogenèse, dirai-je en parodiant le principe de Haeckel. Seule sa trajectoire poétique, partant d’un lyrisme néo-symboliste, explosant sous les coups de boutoir de Dada, ouvrant tout grand les portes de l’inconscient, pouvait lui permettre de s’exprimer ainsi, à la recherche de la vérité. Et, comme si cette interrogation sur l’homme, cette quête de l’humanité devait être sans fin, il la prolonge dans le recueil Où boivent les loups, qui sera lui-même suivi de Grains et Issues, ce poème en prose qui mêle le lyrisme onirique aux notes, à la réflexion sur la poésie en train de s’écrire. On le sait, ce volume, Tzara en fera son cadeau de divorce avec le surréalisme. Ce qui ne veut pas dire qu’il ait, à partir de là, renoncé à cette poétique. Il la poursuivra, en effet, tout en la transformant pour tenir encore meilleur compte de l’histoire dans laquelle il baignait jusqu’au cou, dira-t-il.

 

Université Paris III
Sorbonne Nouvelle

[1]. Ne pas confondre cette forme poétique avec la notion de segment répété, tel que « tout n’est que pierre », qui revient 11 fois dans le corpus, ou bien : « et tant d’autres », encore plus fréquent (17 occ.).

[2]. Voir, respectivement : Tzara, El hombre aproximativo, trad. y prologo de Fernando Millan, Madrid, Visor, 1975, 152 p. et El hombre aproximado, éd. bilingue de Alfredo Rodriguez Lopez-Vasquez, Madrid, Catedra, 316 p.

[3]. Toutes less références aux œuvres de Tzara renvoient aux volumes des Œuvres complètes, présentées et annotées par Henri Béhar, Paris, Flammarion, t. I à VI, 1975-1991, par le sigle OC suivi du tome en chiffres romains.

[4]. Voir Jeanne-Marie Baude : « Poésie et lycanthropie dans l’œuvre de Tristan Tzara », dans Amoralité de la littérature, morales de l’écrivain, actes du colloque international, réunis et publiés par Jean-Michel Wittmann, Paris, Champion, 2000, p. 215-227.

[5]. Le lecteur s’assurera du sens attribué à ce terme dans les 23 occurrences du recueil. On notera les segments répétés, notamment « l’immobile berger », le « berger des vagues ». En voici la concordance, dans l’ordre chronologique :

bateaux des oiseaux des hypocrites et berger aussi de ceux qui s’aiment
a trouvé son berger l’immobile berger celui qui mène tous les yeux
immobile berger dans le nimbe de poussière aurifère chante
a trouvé son berger le berger de la divine constellation
berger de nos défiances dans lesquelles nous nous
berger des bateaux des oiseaux des hypocrites et
de sauterelles berger des éternelles neiges et plus haut
berger des évocations guerrières se ruant les unes
berger des humbles hésitations paysannes des horizons
le berger des incommensurables clartés d’où naissent
chante berger des journées qui passent feuilletant
berger des pavés qui vont en troupeau dans le sens
berger des pluies voyageant de pays en pays berger
de pays en pays berger des tristesses déraisonnables
du berger immobile berger des vagues chevauchant
les mains confiantes et graves du berger immobile berger des vagues
barbe forestière a trouvé son berger l’immobile berger
a trouvé son berger l’immobile berger si grand
a trouvé son berger le berger de la divine constellation
a trouvé son berger le berger qui mène tous les troupeaux
périodiquement berger qui mène nos destins dans tant de sens
a trouvé son berger le berger qui mène tous les troupeaux et tous les
a trouvé son berger l’immobile berger si grand qu’il n’a pas besoin de marcher

[6]. Cf. 4 lettres en allemand de Paul Klee à Tristan Tzara, conservées au fonds Doucet, MS. TZR C 2258-TZR C 2261, [23 février 1916]-13 juillet 1931.