MÉLUSINE

Le surréalisme belgradois et le freudo-marxisme

9 mai 2019

Le surréalisme belgradois et le freudo-marxisme

Références à Freud et à la psychanalyse

Le surréalisme serbe qui se développe à Belgrade, parallèlement au surréalisme français et dont les représentants entretiennent des relations étroites avec Breton et le groupe surréaliste de Paris, est marqué, lui aussi, par des références à la psychanalyse freudienne[1]. En 1923, dans son premier numéro, la revue Putevi [Chemins], dirigé par Marko Ristić, publie des renseignements sur Freud et la psychanalyse et dans le deuxième l’article « [De la psychanalyse de Freud] » de Dušan Matić qui met en évidence l’importance des découvertes freudiennes et examine la possibilité de les utiliser dans la création surréaliste qui conteste les données de la raison et tout le système de pensée régnant. En 1925 le numéro 6 de la revue Svedočanstva [Témoi­gnages] publie des poésies, des dessins, des lettres et diffé­rents textes choisis dans les archives des asiles d’aliénés, parmi lesquels se distingue le roman en images Le Vampire, écrit par un mythomane, et qui sera reproduit, dans une traduction de Monny de Boully, dans le numéro 5 de La Révolution surréaliste. En 1929, Koča Popović, qui fait ses études de philosophie à Paris, prête une attention particulière à la pensée gauchiste en Europe et à la propagation de la psychanalyse de Freud dans les cercles intellectuels parisiens. Il écrit une étude sur les recherches psychanalytiques intitulée « [Notes d’un asile d’aliénés] », qui est le résultat de ses visites dans un asile d’aliénés à Paris, mais qui est perdue[2]. La même année paraît le texte de Marko Ristić « [La pensée révolutionnaire] »[3], où la psychanalyse est présentée comme une lumière qui éclaire les coins sombres de la vie et qui produit des changements dans la conception de la morale. Dans l’ « [Introduction à la métaphysique de l’esprit] », publiée dans l’almanach des surréalistes serbes Nemoguće – L’Impossible (1930), Vane Bor rend hommage à Freud pour avoir découvert les actions inconscientes et montré le caractère répressif de la culture, et dans son texte « [Psychanalyse ou psychologie individuelle (à propos d’ un article de M. August Cesarec)] », paru dans le numéro 2 de la revue des surréalistes de Belgrade Nadrealizam danas i ovde [Le Surréalisme aujourd’hui et ici] (1932), il opte pour Freud à l’opposé d’Adler, en constatant « qu’une psychologie vraiment matérialiste ne pourra pas être fondée sans reprendre à la psychanalyse ses inventions fondamentales »[4]. La psychanalyse de Freud se présente comme un événement capital dans l’histoire de l’humanité.

Application des théories freudiennes

La création surréaliste, qu’elle soit verbale ou visuelle, se présente soit sous forme d’applications concrètes des théories freudiennes (textes et tableaux automatiques, récits de rêves, peintures oniriques), soit sous forme d’élaborations théoriques (théorie du désir, théorie de l’humour).

Les surréalistes de Belgrade glorifient le désir au sujet duquel ils lancent une enquête en 1932 dans [Le Surréalisme aujourd’hui et ici], et dans laquelle prennent part aussi les surréalistes parisiens (André Breton, Salvador Dali, Paul Éluard, René Crevel). En 1930 déjà, Vane Bor esquisse une théorie du désir dans l’« [Introduction à la métaphysique de l’esprit] » et en 1934 il traite de ce sujet dans son texte « [Talent et culture] ». Dans son élaboration théorique, il prend pour point de départ Le Malaise dans la culture, où Freud représente le développement de l’homme comme un processus de refoulement des instincts, en trouvant dans l’éducation et dans l’organisation sociale les sources d’affections nerveuses. Le refoulement des désirs a rompu « le rapport spontané de l’homme au monde extérieur »[5] et l’homme est devenu « un être misérable et faible, une fourmi capable de vivre son petit train-train quotidien », mais « profondément malheureux »[6].

Les seuls domaines où ce rapport spontané de l’homme au monde est conservé sont ceux de la poésie et de l’art. Dans l’Esquisse d’une phénoménologie de l’irrationnel (1931), Koča Popović et Marko Ristić constatent que la valeur des produits artistiques est dans leur capacité de rendre possible l’expression de l’inconscient. Car, si, d’une part, « la faculté de lier les mots, de les faire mutuellement s’appeler et se répondre, appartient à cette participation directe de la conscience », d’autre part, « elle dépend de la question de savoir si et dans quelle mesure ces mots, dans leurs rapports mutuels, correspondent aux rapports de l’inconscient, aux hauts et aux bas, à la pulsation vivante et à la mobilité de l’inconscient, aux inégalités de la structure de l’inconscient, aux rugosités de son relief disharmonieux et perpétuellement changeant[7] ». De ce point de vue la création surréaliste a une fonction révélatrice.

Dans le cadre de la création verbale, cette fonction est accordée à l’écriture automatique, qui découvre « le fonctionnement réel de la pensée ». Les surréalistes belgradois ont commencé à la pratiquer assez tôt, avant de connaître ce qui se passait à Paris. En parlant des jeux de société où chacun devait réciter un poème par cœur et auxquels il participait lui-même quand il avait douze ou treize ans, Vane Bor dit que, au lieu de faire ce qu’on lui demandait, il se mettait à parler français automatiquement, en appréciant surtout la phrase : « Les rivières descendent dans les bateaux » qui l’obsédait et qui était antérieure et non moins belle que la phrase « Il y a un homme coupé en deux par la fenêtre », que Breton mentionne comme un de ses premiers produits automatiques[8]. Selon le mot d’Oskar Davičo, à l’époque de sa prime jeunesse, il a entendu une « voix » qui s’était présentée à lui sous forme de mots qui provenaient des profondeurs marines[9] et avec lesquels il a commencé à jouer, en les associant d’une manière inhabituelle et peu logique. Ses textes automatiques seront insérés dans son livre [Anatomie] (1930). Parmi les surréalistes de Belgrade, c’est Marko Ristić qui publie en 1924 le premier texte automatique sous le titre « Exemple », dans le troisième numéro de la revue Svedočanstva [Témoignages], en le qualifiant d’« exemple d’écriture surréaliste sans aucune prétention au beau, au compréhensible » et comme un « pur document du courant de la pensée non appliquée »[10]. Une variante de l’écriture non dirigée est son « antiroman » Sans mesure (1928), où sa pensée suit automatiquement sa plume et où la description cède la place à la « radiographie » et aux « reflets en profondeur » où se dessinent les secrets enfouis dans l’inconscient.

L’inconscient est aussi l’objet principal de la création visuelle des surréalistes belgradois, qui ont toujours en vue le monde intérieur et qui ne considèrent la réalité extérieure que comme une symbolisation des désirs refoulés, qui est souvent le produit d’un hasard. L’huile sur toile de Vane Bor, Boules aux algues à l’horizon apparent (1928), conservée aujourd’hui dans le Musée d’art contemporain à Belgrade, est, comme le dit l’auteur lui-même, une image qui s’est présentée à lui, un matin, dans un demi-sommeil, et qu’il a peinte sans être conscient de ses implications théoriques, étant donné que, dans la réalité, les algues ne flottent pas au vent, mais dans l’eau et que l’horizon peint n’est qu’apparent[11]. Il s’agit d’une sorte de peinture automatique qui met en lumière le paysage intérieur du peintre, c’est à dire son inconscient. Une des méthodes privilégiées pour rendre visible cet inconscient est la « paranoïa critique » que K. Popović et M. Ristić définissent, en se référant à Salvador Dali, comme « un mécanisme de subversion, dont l’inconscient se sert activement afin d’introduire, par ses propres forces, une confusion fondamentale dans les constructions de la conscience et dans les relations de celles-ci avec la réalité »[12]. Vane Bor applique cette méthode dans son tableau Œdipe dans l’espace, reproduit en 1930 dans l’almanach L’Impossible et dont l’original est perdu. C’est un « tableau à double vision »[13] qui représente le trio freudien. La mère et son fils occupent le premier plan, tandis que le père est repoussé au second plan. Ce tableau pourrait aussi être vu d’une manière tout à fait différente si on le retourne, mais cette autre vision est cachée, « comme dans le subconscient » et elle n’est pas « réalisée au moyen d’une illusion d’optique », comme chez Dali, comme l’écrira Vane Bor plus tard, en remarquant que ce tableau avait été peint « avant la “paranoïa” de Dali »[14]. On dit que cette autre partie n’a pas été reproduite à cause de la censure. La même connotation œdipienne apparaît dans l’encre rouge Mère et fils (1929), conservée dans le legs de Marko Ristić.

Dans les années 1960, Vane Bor, qui a quitté clandestinement la Yougoslavie en 1944 pour s’installer à Londres et qui est resté fidèle au surréalisme jusqu’à la fin de sa vie, fait une série de tableaux qui glorifient l’érotisme, en suggérant l’irruption du désir tout-puissant qui viole les lois de la morale « dogmati­que »[15]. Il peint des objets-symboles, dont l’oiseau qui se présente comme le double de la femme, vue dans son double aspect, à la fois maternel et érotique (La Femme-œuf dans le paysage, La Femme-œuf aux chiens) (Oiseau mamelé dans le paysage), bienveillant, mais aussi menaçant, ce côté étant suggéré par la position des ailes mamelles qui sont souvent tournées vers l’intérieur (L’oiseau introverti, Deux oiseaux contemplent l’incendie). Ces tableaux ne sont pas sans rappeler la femme-oiseau du « [Rêve renversé] » de Breton[16], publié en traduction serbe dans le numéro 2 du [Surréalisme aujourd’hui et ici], aussi bien qu’à une suite de tableaux surréalistes où les parties du corps de la femme ou de l’homme s’identifient aux éléments de la nature (L’homme-oiseau de Vane Bor, L’arbre des yeux de Radojica Živanović-Noe, reproduit dans le numéro 3 du [Surréalisme aujourd’hui et ici]).

Ces tableaux demandent une interprétation psychanalytique que nous trouvons dans l’article « Bor, peintre de la nostalgie » de l’historien de l’art Dejan Sretenović, qui se réfère aux thèses de Rosalind Krauss sur la représentation surréaliste : « La lecture psychanalytique des femmes-oiseaux de Bor comme symboles surréalistes révélerait la chose suivante : les oiseaux sont des fétiches – des substituts qui atténuent l’anxiété apparue dès l’enfance lors de la séparation d’avec le sein maternel et le corps comme objet de projection érotique primaire (d’où l’insistance sur le fruit et les ailes-mamelles : l’artiste redevient l’enfant qui éprouve en toute quiétude la chaleur du corps maternel travesti en oiseau) mais également des symboles du complexe de castration qui semble être atténué par la transformation de la femme en fétiche phallique (la forme de l’oiseau rappelle les organes génitaux masculins)[17] ».

La psychanalyse freudienne a influencé aussi la conception surréaliste de l’humour, qui est mis au service de la négation de la réalité acceptée au profit d’une réalité soumise au principe du plaisir. En 1930, Ristić publie dans le journal Politika un article sous le titre « Humour et poésie » (dont la traduction française sera publiée dans le numéro XXX de Mélusine). En 1932, les surréalistes de Belgrade organisent une enquête sur l’humour (« L’humour est-il une attitude morale ? ») dans [Le Surréalisme aujourd’hui et ici]. Les réponses sont publiées dans les numéros 1 et 2 de cette revue. Celle de Marko Ristić, qui est la plus élaborée, paraîtra aussi, dans une version différente et sous le titre de « L’humour, attitude morale », dans le numéro 6 du Surréalisme au service de la Révolution, tandis que sa version originale paraîtra en français, sous le titre « Humour 1932 » dans le numéro XX de Mélusine [1988].

Dans son premier article sur l’humour, Ristić se réfère déjà à Freud qui considère l’humour comme une défense contre la pression des conditions extérieures de l’existence et comme une négation du principe de la réalité et il définit l’humour comme « un procédé par lequel le “moi” menacé se protège contre les offenses extérieures […] en les considérant comme motifs de son plaisir humoristique, en prouvant ainsi sa prédominance grandiose sur la situation réelle, en la défiant »[18]. L’humour se présente comme « une critique instinctive et authentique de l’ordre conventionnel mental et émotif »[19], donc comme un refus des conditions existantes de la vie. Ristić exprime la même position dans sa réponse à l’enquête sur l’humour : « Le moi se refuse à se laisser entamer, à se laisser imposer la souffrance par les réalités extérieures, il se refuse à admettre que les traumatismes du monde extérieur puissent le toucher ; bien plus, il fait voir qu’ils peuvent même lui devenir occasions de plaisir (Freud) »[20]. La revue [Le Surréalisme aujourd’hui et ici] exprime aussi l’orientation du surréalisme belgradois vers l’action concrète, si bien que la question qui se pose à propos de l’humour est celle de savoir s’il est une attitude morale. La réponse de Ristić, aussi bien que celles des autres surréalistes (Radojica Živanović-Noe, Koča Popović, Ðorđe Kostić, Ðorđe Jovanović) sont négatives : si, en tant que mise en question de la réalité insatisfaisante, l’humour a un aspect moral, en tant qu’attitude face à cette réalité, qui demande un engagement concret, il est en dehors de la morale pratique. Les réflexions des surréalistes belgradois sur l’humour s’éloignent de la psychanalyse freudienne pour s’orienter vers le marxisme.

Insuffisance des théories de Freud. Psychanalyse et marxisme

Ce qui intéresse les surréalistes belgradois dans la psychanalyse, c’est surtout l’aspect subversif de ses découvertes : en décrivant le mécanisme du refoulement, elle a mis en question la conception régnante de la structure psychique de l’homme, basée sur la prédominance de la conscience rationnelle, ce qui a entraîné « une négation de plus en plus profonde de la situation morale et spirituelle actuelle »[21]. Mais, tandis que Freud avait pour but de révéler au malade ses désirs refoulés afin de lui permettre de s’adapter à la vie sociale, c’est-à-dire, au fond, d’accepter ses pressions, tout en neutralisant leur action funeste sur sa vie psychique, les surréalistes belgradois, aussi bien que les surréalistes parisiens, se proposent d’abolir les contraintes sociales et morales et de rendre possible l’accomplissement des désirs. Aussi considèrent-ils la théorie de Freud comme insuffisante.

Pour Vane Bor, cette insuffisance est dans la conception même du désir, qui est statique et fixe, ayant en vue le désir individuel, isolé du monde extérieur, et non le désir dans son mouvement et dans son développement continu, dialectique. Dans son article « Contribution autocritique à l’étude de la morale et de la poésie (Le Surréalisme aujourd’hui II) », publié dans le troisième numéro du [Surréalisme aujourd’hui et ici] et repris dans Mélusine n° XXX, il se propose de la compléter par la théorie darwinienne de l’évolution : l’évolution n’est pas fondée sur l’affirmation du désir, mais sur l’adaptation de la conscience à la réalité. Aussi faut-il considérer le désir dans la dialectique du refoulement et de la libération. La triade freudienne de l’organisation psychique (id – ego – superego) cède la place à une nouvelle triade : désir primitif (thèse) – désir refoulé (antithèse) – désir libéré (synthèse dialectique du refoulement du désir et du désir primitif).

Popović et Ristić découvrent l’insuffisance de la théorie freudienne dans ses implications sociales et morales : « La psychanalyse comme méthode, qu’il ne faut pas confondre avec le “freudisme”, qui est un point de vue sur le monde, est non seulement appelée, sur la base de son expérience scientifique psychopathologique, à étudier et à interpréter le mécanisme psychique et son fonctionnement (par exemple : comment se joue ou se résout – pour chaque homme – ce conflit mystérieux de l’instinct sexuel et de l’instinct de mort), mais est appelée, et aujourd’hui peut-être est-elle la seule, à expliquer le mécanisme par lequel l’individuel est déterminé par le social, comme le matérialisme historique est le seul appelé à expliquer le mécanisme par lequel le social est déterminé par l’économie. », écrivent les auteurs de l’Esquisse[22]. Mais, en tant que doctrine, la psychanalyse n’a pas été capable de tirer de telles conclusions. Freud a montré une « hésitation timide » et a reculé devant « le renversement de la morale, qui devrait logiquement s’ensuivre des hypothèses de sa théorie »[23]. Incapable d’aller jusqu’au bout de sa théorie subversive, il se range, selon leur opinion, parmi les représentants de la même « pensée réactionnaire » contre laquelle il s’était implicitement révolté.

Cette idée correspond à celle de Wilhelm Reich qui fait la même distinction entre la psychanalyse et le freudisme et qui considère que la psychanalyse ne s’oppose pas aux prémisses fondamentales du matérialisme dialectique et que, par conséquent, elle pourrait être acceptée par le marxisme. L’article « Le matérialisme dialectique et la psychanalyse » (1929), où Reich a exprimé cette idée fera l’objet de l’examen critique de Koča Popović dans son essai « [La psychanalyse et le marxisme] », publié en 1934 dans la revue [Aujourd’hui], dont un des deux directeurs était Marko Ristić.

À ce sujet, il convient de citer aussi le mot de Dušan Matić : « Le dialogue surréalisme-marxisme a commencé dès l’été 1925 ; quelquefois, il me semble que ce dialogue est presque constitutif au surréalisme : il est le Noeud où Esprit et Révolution se rencontrent, se touchent, se brisent, se jugent, se collent (inévitablement), avec retard, d’un côté ou de l’autre, peu importe[24]. »

Orientation du surréalisme belgradois vers une action politique

Pour les surréalistes de Belgrade, l’exploration des abîmes intérieurs de l’homme devrait aboutir à une action concrète qui pourrait non seulement, selon la formule de Rimbaud, « changer la vie » par l’affirmation de l’irrationnel, mais aussi et surtout, selon la formule marxiste, « transformer le monde » par la suppression des obstacles que la société bourgeoise oppose à la libération de l’homme[25]. En liant l’affranchissement du désir à l’affranchissement de la classe opprimée, ils s’orientent de plus en plus vers l’action politique au détriment des expérimentations surréalistes. Ce déplacement de l’accent de la transformation dans l’esprit à la transformation sociale, est annoncé dans le premier numéro du [Surréalisme aujourd’hui et ici] (1931). Dans son texte « [Maintenant et ici] », Ðorđe Jovanović remarque que le surréalisme n’est ni une « doctrine absolue », ni « une image philosophique du monde », ni une « nouvelle poétique », mais une « relation de la matière avec la conscience de l’homme », en soulignant que le désaccord de ses représentants avec « le conditionnement intégral de la vie dans la plus grande partie du monde » exige que « chacune de ses manifestations soit avant tout destructrice »[26].

L’attitude des surréalistes de Belgrade est en accord avec celle d’Aragon dans son article « Le surréalisme et le devenir révolutionnaire », paru dans le numéro 3 du Surréalisme au service de la révolution (1931) où celui-ci exprime sa croyance que le surréalisme peut s’intégrer dans la lutte révolutionnaire contre la classe régnante tout en gardant son caractère spécifique. Dans la brochure [Position du surréalisme] (1931), signée par 11 membres du groupe belgradois et reproduite, dans la traduction française, dans le même numéro de la revue des surréalistes de Paris, sous le titre de « Belgrade, 23 décembre 1930 », les signataires font savoir que leur révolte contre la réalité sociale au nom de la libération intégrale de l’homme ne peut pas s’arrêter à « la négation de tout un monde de rapports », mais qu’elle doit devenir une action concrète qui va aboutir à « la destruction des conditions qui provoquent réellement cette révolte »[27].

Il ne s’agit pas encore de renoncer aux explorations de l’inconscient. Il convient de conserver le surréalisme, mais en le conciliant avec l’activité politique de la gauche et en liant la psychanalyse à une critique sociale. Dans leur explication du rôle de l’idéologie surréaliste dans le contexte du matérialisme historique, les auteurs de l’Esquisse se réfèrent aussi à la « paranoïa critique » de Salvador Dali. La revue [Le Surréalisme aujourd’hui et ici] continue à publier les résultats des expérimentations avec l’automatisme psychique et la simulation du délire paranoïaque, des textes automatiques, des récits de rêves, des reproductions de tableaux et de collages surréalistes. Mais, comme le remarque Dušan Matić, la psychanalyse n’était qu’un « accessoire théorique pour expliquer certaines choses qui dépassent une analyse purement psychologique » et le subconscient « n’était pas le subconscient purement freudien, mais un subconscient universel »[28].

L’introduction au numéro 2 (1932) de ladite revue annonce que, tout en publiant les résultats des expérimentations avec l’inconscient, ses rédacteurs tiennent compte du fait que ces expérimentations sont liées à « une influence directe de la réalité avec laquelle le désir entre en conflit »[29] et, dans leur article « Le surréalisme aujourd’hui. Introduction à une analyse générale du surréalisme », paru dans le même numéro, Ðorđe Jovanović et Vane Bor constatent qu’ « il faut interpréter le surréalisme à la lumière du matérialisme dialectique »[30].

De l’« autocritique du surréalisme » à sa défense : divergences

La tentative de relier les méthodes qui relèvent des différents domaines, du domaine psychologique et artistique d’une part, dont les explorations s’appuient sur la psychanalyse et prennent l’aspect de la « paranoïa critique » et, d’autre part, du domaine social, dont les examens s’appuient sur le matérialisme historique, met les surréalistes, comme l’ont remarqué certains critiques de Ristić[31], dans la situation contradictoire de défendre l’irrationalisme au nom des prémisses générales du matérialisme historique et la rationalité du mouvement révolutionnaire au nom de l’affirmation du désir ou de l’art qui ont leur source dans l’inconscient.

De cette contradiction fondamentale découlent les divergences au sein du groupe surréaliste de Belgrade. Ces divergences concernent surtout le rôle des surréalistes dans les actions de la gauche, comme le montrent les polémiques dans les numéros 2 et 3 du [Surréalisme aujourd’hui et ici]. Les uns (Matić, Davičo, Kostić et Jovanović) nient le surréalisme en tant qu’action concrète dans la réalité de leur temps et les autres (Aleksandar Vučo et Marko Ristić) considèrent qu’il est possible d’élargir le domaine du surréalisme en y intégrant une partie de la gauche. Mais ils entrent en conflit surtout avec les marxistes orthodoxes et les partisans de la littérature sociale, qui s’attaquent à leur tentative de lier la psychanalyse et le marxisme.

Leurs réponses aux critiques des marxistes orthodoxes paraissent dans la rubrique « [Autocritique du surréalisme] », dans le numéro 2 du [Surréalisme aujourd’hui et ici]. En constatant, dans leur texte « Le surréalisme aujourd’hui. Introduction à une analyse générale du surréalisme », qu’il faut faire la révision des positions surréalistes et interpréter le surréalisme à la lumière du matérialisme dialectique, Ðorđe Jovanović et Vane Bor ne contestent pas le surréalisme en lui-même, mais ils rejettent ses interprétations de la part de certains surréalistes eux-mêmes, ce qui signifie au fond rejeter certains de ses principes fondamentaux. Ils considèrent que la définition du surréalisme comme automatisme psychique dans le premier manifeste de Breton est insuffisante, voire erronée car elle prête à ce concept une signification philosophique qu’il n’a pas ; que la croyance de Breton dans la possibilité de résoudre dans l’avenir l’antinomie entre le rêve et l’action dans une sorte de réalité totale ou surréalité contient des éléments de nature métaphysique et idéaliste et que l’« antiroman » Sans mesure de Marko Ristić contient des éléments étrangers ou inadéquats[32].

Par contre, Aleksandar Vučo et Marko Ristić s’efforcent de conserver l’originalité de l’entreprise surréaliste et de la concilier avec la situation politique et sociale en Yougoslavie à cette époque. Dans son texte « [Une autocritique implicite] », Vučo constate qu’il n’y a pas d’abîme insurmontable entre les activités surréalistes et l’option sociale : celle-ci fait partie du programme surréaliste, où le désir se présente comme une « superstructure » de la liberté économique et sociale de l’homme. Le matérialisme historique, préoccupé surtout de changer les conditions extérieures de la vie de l’homme, a négligé sa libération intérieure. C’est cette libération intérieure qui exige le changement des conditions extérieures qui empêchent de désir refoulé de se frayer un chemin vers la conscience. Pour y aboutir, il faut travailler en collaboration avec la gauche.

Marko Ristić exprime son option dans son article « [Affaire Aragon] », paru dans le numéro 3 de ladite revue, où il se range du côté de Breton, en déclarant que sa brochure La misère de la poésie est « un exemple unique d’honnêteté de pensée, de fierté et de rigueur morale »[33] et en soulignant les contradictions entre la nouvelle position idéologique d’Aragon et sa position précédente. Par cet article Ristić répond aux critiques des gauchistes qui acceptent les surréalistes en tant qu’acteurs révolutionnaires qui agissent dans le domaine de la littérature en accord avec les positions de la gauche officielle, mais qui n’acceptent pas le surréalisme.

Dans ce numéro 3, l’autocritique du surréalisme cède la place à sa défense. Il ne s’agit plus d’interpréter le surréalisme à la lumière du matérialisme dialectique, mais de le défendre contre les critiques des idéologues marxistes. Si Vane Bor intitule son texte « Contribution autocritique à l’étude de la morale et de la poésie (Le Surréalisme aujourd’hui II) », où il reproche au surréalisme d’avoir compris le rapport entre sa poétique et un engagement révolutionnaire d’une manière statique, sans tenir compte des lois de l’évolution de la société et de l’économie politique, c’est moins une autocritique qu’une défense et un achèvement de sa théorie du désir esquissée en 1930 dans l’« [Introduction à la métaphysique de l’esprit] ». Dans leur article « [Incompréhension de la dialectique] », qui ouvre ce numéro, Dedinac, Popović et Ristić soulignent l’originalité de l’entreprise surréaliste et s’efforcent de montrer « à l’oeuvre » la précarité des attaques des gauchistes, fondées, considèrent-ils, sur de fausses prémisses et sur l’incompréhension des lois de la dialectique.

Disparition du mouvement surréaliste belgradois

C’est ainsi que le surréalisme se réalisait et s’étouffait à la fois, remarque Ðorđe Kostić dans son livre [Au foyer du surréalisme. Conflits][34]. Les uns allaient jusqu’à rejeter résolument le surréalisme en tant qu’action concrète dans la réalité culturelle et sociale de leur temps (Ðorđe Jovanović). Les autres voulaient moderniser la gauche dans sa lutte avec la droite en y intégrant les activités surréalistes (Marko Ristić). Au fond, les deux fractions se rangent du même côté et les différences concernent surtout leur rôle dans les actions de la gauche et la stratégie à utiliser pour changer le système politique et social[35]. La seule possibilité de conserver le surréalisme était l’idée que Matić, Davičo et Kostić ont exprimée dans leur brochure [Position du surréalisme dans le processus social] (1932) et qui était en accord avec celle d’Aragon dans « Le surréalisme et le devenir révolutionnaire » : le surréalisme devrait continuer à exister non comme un mouvement organisé, ce qui l’opposerait au mouvement révolutionnaire et aux partisans du matérialisme dialectique, mais comme un état d’esprit. Les surréalistes de Belgrade n’ont pourtant pas profité de cette possibilité s’étant tournés vers d’autres problèmes, si bien que, vers la fin de 1932, le mouvement surréaliste serbe s’éteint, non parce qu’il est dépassé, mais parce qu’il s’oppose à la gauche officielle. À la différence du groupe surréaliste de Paris, où les divergences disparaissent après l’abandon du groupe par ceux qui s’opposent à Breton, ce qui empêche le surréalisme français de sombrer dans l’idéologie marxiste, la vraie révolution étant pour lui, pour employer le mot de Maurice Nadeau, « la victoire du désir » [36], les divergences à l’intérieur du groupe belgradois se résolvent d’une manière pragmatique, par l’option pour une action révolutionnaire qui a en vue le changement du système social et politique. Les deux fractions s’unissent dans l’engagement dans une lutte concrète qui leur impose une discipline et une idéologie opposée aux tendances fondamentales du surréalisme.

Cette option, qui correspond, dans une certaine mesure, à l’évolution du surréalisme français de La Révolution surréaliste au Surréalisme au service de la Révolution (1930), est due à plusieurs causes politiques, historiques, culturelles. D’une part, c’est l’influence de la Russie et de la Révolution de 1917 et, d’autre part, la situation politique en Yougoslavie au moment où le surréalisme belgradois se constitue en mouvement[37] et où l’instauration de la dictature monarchique du 6 janvier 1929 et la Constitution octroyée du 3 septembre 1931, aussi bien que les arrestations et condamnations aux travaux forcés de quelques surréalistes belgradois (Oskar Davičo, Ðorđe Kostić, Koča Popović, Ðorđe Jovanović), incitent à la révolte. Comme le dit Dušan Matić dans son texte écrit à propos du décès de Breton, après ces arrestations, « le dialogue surréalisme – marxisme, Esprit – Révolution, le litige entre “il faut changer la vie” et “il faut transformer le monde”, à cette époque, dans certains pays, devinrent le drame de la lutte sociale, et non seulement, comme ailleurs, presque uniquement une discussion théorique. Le surréalisme, une forme particulière du surréalisme, y reçut une note grave et entra ainsi dans notre histoire[38] ».


[1] Cet aspect du surréalisme belgradois a déjà fait l’objet de nos recherches dans le cadre de nos études comparées sur les relations franco-serbes dans le domaine du surréalisme. Les résultats de ces recherches sont publiés dans notre article « Le surréalisme et la psychanalyse » dont nous reprenons certains passages dans cette communication (Voir : Jelena Novaković, « Le surréalisme et la psychanalyse », Filološki pregled / Revue de Philologie, XXXIV, 2007/2, pp. 31-42. Inséré, sous le titre « Le surréalisme et les acquisitions de la psychanalyse », dans : Jelena Novaković, Recherches sur le surréalisme, Sremski Karlovci – Novi Sad, Izdavačka knjižarnica Zorana Stojanovića, 2009, pp. 80-97).

[2] Cf. Gojko Tešić, « Otvorene ideje Koče Popovića », in : Koča Popović, Nadrealizam & postnadrealizam, Beograd, Prosveta, 1985, pp. 200-201.

[3] Marko Ristić, « Revolucionarna misao », Letopis Matice srpske, CIII, 322, 2, novembre 1929. Inséré dans: Marko Ristić, Uoči nadrealizma, Beograd, Nolit, 1985, pp. 167-179.

[4] Vane Bor, « Psihoanaliza ili individualna psihologija (povodom članka (povodom članka g. Augusta Cesarca) », Nadrealizam danas i ovde, 1932, No 2, p. 48.

[5] Vane Bor, « Talenat i kultura », Danas, No 4, 1er avril 1934, p.55.

[6] Ibid., p. 56.

[7] Koča Popović, Marko Ristić, Esquisse d’une phénoménologie de l’irrationnel, Sous la direction de Paolo Scopelliti, Branko Aleksić et Jelena Novaković, Éditions Mimésis / Philosophie , No 44, 2016, p. 99.

[8] Voir : Branko Aleksić, « Simulacre de l’infini par Vane Bor », Stevan Živadinović Bor, Beograd, Muzej savremene umetnosti, 1990, p. 42.

[9] Oskar Davičo, Pre podne, Novi Sad, Progres, 1960, p. 10.

[10] Cité d’après : Marko Ristić, Uoči nadrealizma, p. 122.

[11] Vane Bor, « O automatizmu u likovnoj umetnosti », in: Stevan Živadinović Bor (Pojetike srpskih umetnika XX veka), Beograd, Muzej savremene umetnosti, 1990, p. 85.

[12] Esquisse d’une phénoménologie de l’irrationnel, p. 51.

[13] Cf. Miodrag B. Protić, « Le pentacle poétique de Vane Bor », Stevan Živadinović Bor, p. 97.

[14] Cité dans : Dejan Sretenović, Urnebesni kliker. Umetnost i politika beogradskog nadrealizma, Beograd, Službeni glasnik, 1930, p. 183.

[15] Ces tableaux sont conservés au Musée d’art contemporain de Belgrade.

[16] Il s’agit du rêve du 5 avril 1931, repris dans Les Vases communicants, « un livre en préparation ».

[17] Dejan Sretenović, « Bor, peintre de la nostalgie », Stevan Živadinović Bor, Beograd, Muzej savremene umetnosti, 1990, p. 104.

[18] Marko Ristić, « Humour et poésie », Mélusine , No XXX, p. 156.

[19] Ibid., p. 157. Cette définition de l’humour correspond aux idées que Breton exprimera dans la préface de l’Anthologie de l’humour noir (1940), en se référant lui aussi à Freud et en considérant l’humour comme une défense contre la pression du monde extérieur.

[20] Cité d’après : Marko Ristić, « Humour 1932 », Mélusine, No X, p. 200.

[21] Koča Popović, Marko Ristić, Esquisse d’une phénoménologie de l’irrationnel, p. 43.

[22] Ibid., pp. 111-112.

[23] Ibid., p. 30.

[24] Dušan Matić, André Breton oblique, Frontispice de Joan Miro, Fata Morgana, 1976, p. 62.

[25] Dans cet esprit, ils établissent une autre triade dialectique qui met en lumière les implications sociales des examens psychanalytiques : conscient – inconscient – ultra-conscient, ce dernier étant défini comme un dépassement dialectique de la contradiction entre le conscient et l’inconscient. L’ultra-conscient « ne s’oppose pas à l’inconscient », mais se nourrit de « son énergie subversive reconnue, pour aider l’homme à se libérer de la censure et à connaître son inconscient, sans priver son irrationnel de sa force créatrice (Esquisse d’une phénoménologie de l’irrationnel, p. 113).

[26] Ðorđe Jovanović, « Sada i ovde », Nadrealizam danas i ovde, 1931, No 1, p. 13.

[27] « Belgrade, 23 décembre 1930 », Le Surréalisme au service de la Révolution, 1931, No 3, p. 32.

[28] À cette conception du subconscient correspond la définition que Matić donne du concept de surréel dans son livre André Breton oblique, en se référant à L’Amour fou où Breton parle des trouvailles que Giacometti et lui on faites ensemble: “… pour moi, le surréel serait le plus près du plan du sur-individuel » (André Breton oblique, 89).

[29] Nadrealizam danas i ovde, 1932, No 2, p. 1.

[30] Cité d’après : Djordje Jovanović, Vane Bor, « Le surréalisme aujourd’hui. Introduction à une analyse générale du surréalisme », Mélusine, No. XXX, p. 179.

[31] Zoran Gavrilović, « Iracionalistička estetika Marka Ristića », Svedočanstva, 1955, No 5, pp. 606-612.

[32] « Les cas où les erreurs sont totalement indépendantes et peuvent être rejetées sans la moindre interprétation sont relativement rares : “Que l’on utilise des matériaux pour fabriquer des meubles, des dynamos, le papier sur lequel j’écris, cela n’est nullement une preuve que ces matériaux ne sont pas illusoires. La fabrication d’un verre, son emploi quotidien, le bruit qu’il fait quand il se brise, le sang qui coule à l’endroit où je me suis coupé, le mal que cela me fait… et je ne suis toujours pas convaincu que le verre existe ! “ (Marko Ristić : Sans Mesure). » (Djordje Jovanović, Vane Bor, « Le surréalisme aujourd’hui. Introduction à une analyse générale du surréalisme », Mélusine, No XXX, p. 183).

[33] Marko Ristić, « Afera Aragon », Nadrealizam danas i ovde, 1932, No 3, p. 50.

[34] Cf. Ðorđe Kostić, U središtu nadrealizma. Sukobi, Beograd, Biblioteka Grada Beograda, 1991, p. 191.

[35] Cf. Ibid., pp. 191-192.

[36] Maurice Nadeau, Histoire du surréalisme, Paris, Seuil, 1964, p. 155.

[37] On considère comme le début du surréalisme belgradois la parution, dans le journal Politika du 14 avril 1930, du texte signé par 13 surréalistes ou la parution de l’almanach Nemoguće – L’Impossible au mois de mai 1930.

[38] Dušan Matić, « Un chef d’orchestre », La Nouvelle Revue française, 1er avril 1967, No 172, p. 677.

Il est à noter que certaines tendances surréalistes, fondées sur l’idée selon laquelle la poésie est à la fois « pensée » et « acte » et qu’elle ne se termine pas dans un poème, mais « quelque part là-bas, dans la vie » (Dušan Matić, « Poezija je u isto vreme i misao i akt ». Razgovor sa Boškom Ruđinčaninom, Bagdala, XXII, octobre 1980, No. 259, pp. 1-4), seront présentes dans les œuvres des surréalistes belgradois après la disparition de leur mouvement. Turpitude, rapsodie paranoïaque-didactique (1938), long poème de Ristić qui utilise la simulation du délire paranoïaque pour exprimer la conscience révolutionnaire et qui est saisi par la police, aussi bien que sa conception de la poésie comme « méthode de connaissance » et comme un « acte moral » exprimée dans son texte « [Le sens moral et social de la poésie] » (1934) et sa glorification de l’irrationnel comme source d’inspiration créatrice, exprimée dans son essai « De nuit en nuit » (1940), et plus tard, dans les années 1950, l’opposition de certains membres du groupe belgradois au réalisme socialiste, porteront des traces de la croyance surréaliste dans le pouvoir de l’irrationnel.