Tracts surréalistes, Tome I, 1934
1934
APPEL À LA LUTTE
Avec une violence et une rapidité inouïes, les événements de ces jours derniers nous mettent brutalement en présence du danger fasciste immédiat.
HIER :
Emeutes fascistes,
Défection du gouvernement républicain,
Prétentions ouvertes de tous les éléments de droite à la constitution d'un gouvernement antidémocratique et préfasciste ;
AUJOURD'HUI :
Gouvernement d'Union sacrée,
Répression sanglante des manifestations ouvrières.
DEMAIN :
Rappel du Préfet de Coup d'Etat,
Dissolution des Chambres.
L'unité d'action de la classe ouvrière n'est pas encore réalisée.
Il faut qu'elle le soit sur-le-champ.
Nous faisons appel à tous les travailleurs organisés ou non décidés à barrer la route au fascisme, sous le mot d'ordre
Cette Unité d'action, que les ouvriers veulent et que les Partis mettent à l'ordre du jour, il est nécessaire, il est urgent, il est indispensable de la réaliser en y apportant le très large esprit de conciliation qu'exige la gravité de l'heure.
C'est pourquoi nous adressons un appel pressant à toutes les organisations ouvrières afin qu'elles constituent sans retard l'organisme capable - et seul capable - d'en faire une réalité et une arme.
Nous avons tous présente à l'esprit la terrible expérience de nos camarades d'Allemagne. Elle doit servir de leçon.
10 Février 1934
Ont déja signé :
Cet appel a été envoyé notamment aux organisations suivantes : Parti communiste, Jeunesses communistes, C.G.T.U., Fédération ouvrière et paysanne, Parti socialiste S.F.I.O., Jeunesses socialistes, Jeunes-Gardes socialistes, C.G.T., Parti d'unité prolétarienne, Union communiste, Union anarchiste, Ligue communiste, Cercle communiste démocratique, etc.
AUX TRAVAILLEURS
Unis, par-dessus toute divergence, devant le spectacle des émeutes fascistes de Paris et de la résistance populaire qui seule leur a fait face, nous venons déclarer à tous les travailleurs, nos camarades, notre résolution de lutter avec eux pour sauver contre une dictature fasciste ce que le peuple a conquis de droits et libertés publiques. Nous sommes prêts à tout sacrifier pour empêcher que la France ne soit soumise à un régime d'oppression et de misère belliqueuses.
Nous flétrissons l'ignoble corruption qu'ont étalée les scandales récents.
Nous lutterons contre la corruption ; nous lutterons aussi contre l'imposture.
Nous ne laisserons pas invoquer la vertu par les corrompus et les corrupteurs. La colère que soulèvent les scandales de l'argent, nous ne la laisserons pas détourner par les banques, les trusts, les marchands de canons, contre la République - contre la vraie République qui est le peuple travaillant, souffrant, pensant et agissant pour son émancipation.
Nous ne laisserons pas l'oligarchie financière exploiter comme en Allemagne le mécontentement des foules gênées ou ruinées par elle.
Camarades, sous couleur de révolution nationale, on nous prépare un nouveau Moyen Age. Nous, nous n'avons pas à conserver le monde présent, nous avons à le transformer, à délivrer l'Etat de la tutelle du grand capital - en liaison intime avec les travailleurs.
Notre premier acte sera de former un comité de vigilance qui se tiendra à la disposition des organisations ouvrières.
Que ceux qui souscrivent à nos idées se fassent connaître.
Le Bureau Provisoire :
ALAIN.
PAUL LANGEVIN, PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE.
PAUL RIVET, PROFESSEUR AU MUSEUM (1).
5 mars 1934.
(1) Les premiers signataires de ce manifeste ont constitué un « Comité d'action antifasciste et de vigilance » et élu un bureau provisoire de 14 membres, avec Paul Rivet pour président, Alain et Paul Langevin, vice-présidents. Au 9 avril, les signataires du manifeste sont plus de 1 200, savants, ingénieurs, médecins, écrivains, artistes, professeurs au Collège de France, professeurs de facultés, de lycées, d'Ecoles Primaires Supérieures, étudiants, etc. - et 2 300 un mois plus tard. Parmi les signataires, on relève les noms de : André Breton, René Crevel, Paul Eluard, Georges Hugnet, Marcel Jean, Benjamin Péret. (Communication de Philippe Bernier.) (N.D.E.)
Camarade,
Nous constatons avec une profonde inquiétude que l'impressionnant mouvement ouvrier d'unité d'action antifasciste du 12 février n'a pas pris, par la suite, les proportions qu'on pouvait en attendre. Les manifestations récentes, ou celles qui sont prévues pour la période qui vient, ne semblent pas de nature à faire triompher le mot d'ordre « unité d'action », qui avait donné à la journée du 12 sa signification et toute sa portée.
Nous ne mettons pas en doute la sincérité de tous ceux qui, à maintes reprises, ont affirmé leur désir de réaliser le rassemblement des forces ouvrières ; mais, devant l'absence de résultats, nous sommes amenés à nous demander si cet échec ne provient pas surtout d'une certaine confusion sur le sens précis des mesures proposées de part et d'autre. Nous avons pensé qu'il appartenait aux intellectuels isolés de donner aux personnalités politiques et syndicales de la classe ouvrière l'occasion de s'exprimer à ce sujet. Le questionnaire que nous vous adressons ci-joint, et auquel nous vous prions de répondre, a été rédigé sous une forme volontairement rigide, qui s'explique par le souci de dissiper toute équivoque.
Nous espérons fermement que la publication et la diffusion des réponses contribueront, malgré tous les obstacles actuels, à forger la seule arme efficace de lutte contre le fascisme : l'unité d'action du prolétariat.
Croyez, Camarade, à nos sentiments révolutionnaires.
COMITÉ D'ACTION ANTIFASCISTE ET DE VIGILANCE
Nous vous adressons le texte d'un Manifeste auquel nous vous demandons de vous associer d'urgence, vous et vos amis. Dès le 12 Mars s'est constitué un Comité d'Action antifasciste et de Vigilance qui ne rassemble encore que les premiers signataires — mais notre nombre s'accroît sans cesse. Un Bureau provisoire de 14 Membres a été désigné. Paul RIVET en est Président, ALAIN et Paul LANGEVIN, Vice-Présidents. Nous avons besoin du concours des hommes de Paris et des hommes de la Province. Nous faisons appel aux éducateurs de tous les degrés, aux intellectuels de toutes catégories — pour collaborer étroitement avec les Organisations ouvrières. Nous veillons à ne gêner aucune des organisations existantes. En groupant des individus contre le Fascisme, nous donnons à des inorganisés l'occasion d'agir; nous créons ou facilitons un contact entre les organisés. Sous la pression de la nécessité, nous formons un Centre provisoire d'orientation et de liaison. Aux intellectuels et éducateurs qui font déjà partie de Comités analogues aux nôtres, nous demandons d'adhérer à notre Comité, sans quitter, bien entendu, leur groupement local : ce sera le meilleur moyen d'assurer la coordination des efforts. Nous avons à parer en commun aux dangers présents ou futurs de coup de force fasciste : nous avons aussi à informer l'opinion publique des réalités que lui cache la grande presse. Nous préparons une série de courtes publications que vous nous aiderez à diffuser. Dans chaque ville, nous demandons à nos adhérents de désigner un ou plusieurs correspondants, qui, pour notre action de vigilance et de diffusion, se tiendront en rapport avec Paul RIVET, 61, Rue de Buffon, Paris-5°
Paul RIVET Professeur au Muséum. ALAIN Ecrivain. Paul LANGEVIN Professeur au Collège de France.
[Voir la liste des signataires dans le site André Breton]
[Ce tract ne figure pas dans l'ouvrage de José Pierre]
ENQUÊTE SUR L'UNITÉ D'ACTION
Un réel danger fasciste s'est manifesté en France le 6 février. A travers le gouvernement des pleins pouvoirs, il s'accroît de jour en jour.Le prolétariat est, de toute évidence, la principale force qui puisse s'opposer efficacement au fascisme, en renversant la situation à son profit.
Dans ce but, il paraît nécessaire que la classe ouvrière rallie à sa cause une partie importante de la paysannerie et des classes moyennes, ou, tout au moins, acquière leur neutralité bienveillante. Pour atteindre ce premier objectif, dont va dépendre l'issue des luttes décisives, les organisation syndicales et politiques de la classe ouvrière doivent tendre au maximum de cohésion. Il apparaît clairement que l'unité d'action est la condition indispensable de la victoire.
Toutes les manifestations qui ont répondu au coup de force fasciste du 6 février, et notamment la grève générale du 12, ont amplement prouvé que le mot d'ordre « unité d'action » répondait à un besoin profond de la masse des travailleurs.
Nous nous adressons à tous ceux qui se posent réellement le problème de l'unité d'action, et leur demandons d'exposer leur point de vue sur la base des questions suivantes :
I. Estimez-vous l'unité d'action possible :
- a. sur le terrain syndical ?
- b. sur le terrain politique ?
II. Estimez-vous que l'unité d'action puisse mener à l'unité organique :
- a. sur le terrain syndical ?
- b. sur le terrain politique ?
III. Si l'unité d'action vous paraît réalisable, pouvez-vous l'envisager sous l'une des formes suivantes :
1° Par une entente entre les organisations :
- a. à l'échelle nationale ?
- b. à l'échelle régionale ?
- c. à l'échelle locale ?
2° Par le front unique à la base seulement ? Dans ce cas, le front unique à la base peut-il être conçu comme une entente entre des organismes dirigeants :
- a. à l'échelle régionale ?
- b. à l'échelle locale ?
ou, par front unique à la base, doit-on seulement comprendre l'entente des ouvriers sur le lieu du travail ?
- IV. L'unité d'action réalisée par entente entre organisations comporte-t-elle un organisme permanent de coordination :
- a. quand cette entente s'est réalisée sur la base nationale ?
- b. quand cette entente s'est réalisée sur la base régionale ?
- c. quand cette entente s'est réalisée sur la base locale ?
ou n'est-ce qu'une entente circonstancielle qui doit disparaître aussitôt que l'objectif immédiat en vue duquel elle s'est formée a cessé d'exister ?
V. L'unité d'action réalisée à la base comporte-t-elle la création d'organismes permanents de coordination, ou n'est-ce qu'une entente circonstancielle qui doit disparaître aussitôt que l'objectif en vue duquel elle s'est formée a cessé d'exister ?
VI. Quels seront les rapports des organismes de coordination, créés sur le plan régional ou local :
- a. entre eux ?
- b. avec les Partis ?
VII. Quels sont les premiers objectifs à atteindre par l'unité d'action :
- a. sur le terrain de la lutte antifasciste proprement dite ?
- b. sur le terrain politique ?
- c. dans le domaine économique et social ?
VIII. Dans quelle mesure l'abandon de la polémique violente peut-il faciliter la réalisation de l'unité d'action ?
IX. L'unité d'action une fois réalisée, sous quelle forme le droit de critique devra-t-il s'exercer ?
X. Quels moyens d'ordre pratique préconisez-vous dès maintenant pour aboutir à l'unité d'action ?
N.B. - Nous vous prions, de la façon la plus pressante, de répondre aux questions posées en développant et en précisant le plus possible votre point de vue.
Les réponses seront publiées en brochure, intégralement et sans commentaires, sous le titre : « Matériaux pour l'unité d'action ».
[18 avril 1934.]
« LA PLANÈTE SANS VISA »
Un bandit particulièrement dangereux, l'auteur de plus de crimes qu'on n'en saurait énumérer et, de plus, un maniaque de la récidive, un être entre tous sans aveu et sans asile, une véritable plaie du genre humain, tel est depuis quelques jours le portrait que la grande presse s'ingénie à nous faire de Léon Trotsky, autorisé il y a un an à résider en France et frappé brusquement d'un arrêt d'expulsion.
Il a suffi que la présence de Trotsky fût signalée aux environs de Paris, pour que pût être détournée sur sa seule personne l'excitation de l'opinion, préparée et déçue par l'imbroglio soigneusement entretenu de l'« affaire Prince » et la mise en cause, très habile, d'une « maffia ».
Le roman policier, devenu par trop languissant ces derniers jours, trouve à son cours, dans l'épisode de la « villa de Barbizon », un dérivatif précieux. Les quatre « bergers allemands » qui, d'après les journaux, hurlent sans cesse, dressés contre la grille du parc, nous donnent à penser que tous les chiens ne sont pas à l'intérieur ; le propriétaire, les journalistes bourgeois, les chauffeurs russes-blancs et les élégantes en automobile pourraient leur rendre des points. Les bagages de Trotsky sont, paraît-il, volumineux. Sans doute est-il surprenant, aussi, que ses secrétaires, ses messagers n'aient pas l'air de voyous et, si lui-même ne se montre pas, ne vient pas s'exposer aimablement à une balle, on nous donne à entendre que c'est parce qu'il a conscience de ses forfaits, qu'il a peur.
Nous déplorons que nos camarades de L'Humanité ne veuillent voir dans la série angoissante de ces persécutions contre un homme, que « publicité intéressée » destinée à tourner à son avantage. Ils soulignent par contre à très juste titre que l'expulsion de Trotsky marque le point de départ de mesures répressives contre les immigrés communistes et prépare la mise hors la loi des organisations révolutionnaires. Déjà l'on ressuscite une loi qui n'a pas été appliquée depuis 1848 pour pouvoir poursuivre les journaux révolutionnaires.
Le singulier « gouvernement de trêve » imposé par le coup de force du 6 février s'affirme l'ennemi résolu de la classe ouvrière. Sur le plan économique les décrets-lois provoquent une recrudescence du chômage ; ils entraînent l'arrestation, la révocation, de centaines de militants coupables d'avoir protesté contre la réduction brutale de leurs moyens d'existence. Sur le plan politique ce gouvernement donne également sa mesure en expulsant Trotsky, non sans organiser autour de lui la provocation ; il accepte de rompre par là avec les fameuses traditions hospitalières de ce pays.
Nous qui, ici, sommes loin de partager tous ses conceptions actuelles, ne nous en sentons que plus libres pour nous associer à toutes les protestations qui ont déjà accueilli la mesure dont il est l'objet. Qu'on veuille croire que nous y mettons toute l'indignation dont nous sommes capables. Nous saluons, à cette nouvelle étape de son chemin difficile, le vieux compagnon de Lénine, le signataire de la paix de Brest-Litovsk, acte exemplaire de science et d'intuition révolutionnaires, l'organisateur de l'Armée rouge qui a permis au prolétariat de conserver le pouvoir malgré le monde capitaliste coalisé contre lui, l'auteur - parmi tant d'autres non moins lucides, non moins nobles et moins éclatantes - de cette formule qui nous est une raison permanente de vivre et d'agir : « Le socialisme signifiera un saut du règne de la nécessité dans le règne de la liberté, aussi en ce sens que l'homme d'aujourd'hui plein de contradictions et sans harmonie, fraiera la voie à une nouvelle race plus heureuse. »