MÉLUSINE

Tracts surréalistes, Tome II, 1957-1959


1957-1959

COUP DE SEMONCE

A l'époque où, guitare au poing, des Jésuites assaillent les scènes de music-hall et les studios d'enregistrement, il ne devrait surprendre personne que des peintres endossent la défroque de frères prêcheurs. Nous avons trop tendance à oublier qu'ils peuvent être, le cas échéant, des artistes comme il s'en produit dans les cirques sous une pluie de gros sous.

L'intérêt des manifestations de la Galerie Kléber est ailleurs. Qu'on puisse accrocher dans un lieu, après tout public, un crucifix de trois mètres de haut, et commémorer à son ombre et sous la protection de la police les premières manifestations médiévales de l'Inquisition, suffit à prouver la totale décadence de la “ laïcité ” officielle dans ce pays. Il y a cinquante ans, la moindre procession un peu trop tapageuse voyait se dresser contre elle toute “ la gauche ”, des opportunistes aux socialistes. Il y a cent cinquante ans, en pleine Restauration, pareil exploit eût été impensable : le régime n'y aurait pas survécu.

Bien que les organisateurs aient eu l'habileté de consacrer un cycle d'études à Descartes et à Voltaire, considérés comme les prototypes “ bourgeois ” et rationalistes de la Révolution Française, de la politique francmaçonne et de “ l'avilissement ” populaire au vingtième siècle, il est clair que toute l'opération est montée contre le Surréalisme. On n'attaque certaine conception étriquée et périmée de l'intellectualité contre laquelle le Surréalisme n'a cessé de lutter, que pour mieux atteindre, par un confusionnisme calculé, l'élan athéiste et révolutionnaire que le Surréalisme s'honore de faire sien. Aussi, son apparition antirationaliste est-elle mentionnée par ces soi-disant ennemis du rationalisme comme “ le triomphe de l'antihiérarchie ”.

Cet aspect négatif, sur lequel nous reviendrons, n'est pourtant pas le seul, et la carence de l'anticléricalisme “ lucide ” en cette affaire constitue une preuve éclatante que la fin du rôle historique de la bourgeoisie ressuscite les chances d'une certaine théocratie. L'aspect “ canularesque ” de cérémonies consacrées à un dialectien du XIIe siècle n'est là que pour dissimuler un durcissement des positions culturelles de l'Eglise catholique, durcissement dont seuls quelques naïfs peuvent s'étonner. Nous avons les plus probantes raisons de penser qu'à vingt années d'intervalle, le Pape qui, en 1943, se laissa aller à prédire que l'Europe “ serait chrétienne ou cosaque ”, a vu dans l'écrasement de la Révolution espagnole et dans l'étouffement de l'insurrection hongroise l'amorce d'une reconstitution du Saint-Empire très catholique, pour lequel il faut dès maintenant des maîtres à penser.

Or, la vieille férule thomiste est toujours prête à s'adapter à l'évolution des “ formes d'art ” et des subtilités de l'analyse mathématique, à condition qu'elles soient privées de contenu. La mise au pilori d'un “ enseignement laïc ” devenu pourtant bien timide, en compagnie du cinéma, de la vaccination et des “ assurances sociales ”, s'éclaire lorsqu'on la confronte à l'exaltation du rôle colonisateur de l'Espagne, de Fernand Cortez “ dompteur des Indiens ”, et de la Hongrie “ boulevard de la Chrétienté ”. Diverses listes de patronage ont été communiquées : les noms qu'on y relève touchent de près ou de loin la “ trésorerie ” vaticane et franquiste, mais nul n'ignore que derrière ces listes, il y a trois noms d'intellectuels : Mathieu, Hantaï, Lupasco.

Les deux premiers sont des peintres, et ils avaient pris soin de nous révéler leurs positions depuis quelque temps. Le document intitulé Judit Reigl et annonçant une exposition de cette arriviste bas-bleu en décembre-janvier derniers (1) avait été consacré par Mathieu à l'éloge de notre “ génie occidental ” et par Hantaï à celui du “ délirant excès provocant des croisés ”. Tout ceci s'étayant sur une certaine philosophie esthétique dont les grandes lignes valent d'être mentionnées : le peintre qui rejette le rationalisme ne peut le faire qu'au nom de l'extase, extase qui “ dans l'absence d'aboutir et de


(1) “ Galerie Kléber (et avec le concours de la Galerie René Drouin et Cie) du 12 décembre 1956 au 5 janvier 1957. ”


survivre ” englobe tous les possibles, n'importe quel possible, “ ressurgi dans sa gratuité essentielle de création ” (Hantaï).

Nous sommes ici en plein subjectivisme, et - si l'on peut parler de sincérité - rien n'est plus favorable à l'éclosion des idées religieuses se soldant par une “ hiérarchisation rigoureuse ” de la société. Le domaine des sensations “ matérielles ”, pour emprunter la terminologie marxiste, est celui des “ besoins ”, ou plus exactement des supports matériels du désir ; le domaine des concepts (qui ne sont pas forcément rationalistes) est celui de l'imagination, de l'élan de l'Idée qui donne sa valeur poétique à la philosophie. C'est dans l'entre-deux que prolifèrent l'erreur et l'imposture religieuses, c'est dans l'incommunicabilité du subjectif que se nouent les complots “ hiérarchiques ” : le vide est une porte ouverte sur le fascisme.

Quant au luxe de références scientifiques fournies par Lupasco, il devrait suffire à persuader les plus imbéciles que, dans la lutte contre l'ignoble fantôme de “ dieu ” qui, depuis des siècles, oppresse la conscience humaine, les théories mathématiques et physiques ne sont d'aucun secours. Nous avions déjà vu, voici quelques années, Louis de Broglie, catholique militant, revenir à une interprétation déterministe des phénomènes ondulatoires sans que personne s'en étonnât, excepté Les Lettres françaises où on lui tressait des couronnes. Et voici que Teilhard de Chardin, opportunément invoqué par Judit Reigl, admettait sans sourciller la création d'une “ néo-vie ” par la synthèse des albuminoïdes, sans que sa foi en la destinée chrétienne de l'homme en fût le moins du monde ébranlée. Combien lucide apparaît en cette occasion la grande occultiste Lotus de Païni, qui dénonçait dans la légende du Golgotha la fin et non le commencement du sacré, désormais vidé de toute substance magique et condamné à végéter “ sur le bois sec de l'intellect ”.

L'art est une liberté d'indifférence : cette belle formule de Lupasco signifie en fait la liberté de se commettre avec n'importe qui. Plein d'une vanité aigrie à force de se prendre pour le liquidateur de l'héritage hégélien, Lupasco a cru trouver la clé de l'univers dans une “ logique dynamique du contradictoire ” qui entend résorber la morale sous le nom de “ science achevée ” : et nul doute que Lupasco ne croie posséder une telle science. Dès lors la gratuité de l'art “ informel ” et “ transfini ” excuse toutes les ignominies : il est entré dans le royaume de la physique, de la science où toutes les contradictions s'annulent.

Une récente exposition est venue rappeler opportunément que “ l'aventure Dada ” n'avait eu qu'une portée épisodique. Et de fait, si le Surréalisme a entendu profaner les valeurs de la société chrétienne, il n'a jamais conclu à la profanation des idées mêmes de “ sacré ” et de “ révélation ”, ou, à plus forte raison, de la morale : bien au contraire, il a toujours accusé le christianisme (au long de sa décadence envahissante depuis Thomas d'Aquin jusqu'aux casuistes dénoncés par Pascal, et, de ces derniers, à ceux qui patronnent aujourd'hui la Galerie Kléber), d'avoir vulgarisé et transformé en un pur positivisme, indéfiniment extensible, le “ sacré ” et la “ moralité ”. Sur ces phénomènes plus anciens que l'infâme “ génie occidental ” célébré par M. Mathieu, ses complices de la Nation Française pourraient être édifiés par la belle étude ancienne de leur ami Monnerot, ou bien par quelque contact direct avec les Noirs antillais libérés grâce à la “ Déclaration des Droits ” de 1789, ou même avec les Arabes qui attendent encore cette libération, “ triomphe de l'état de droit sur l'état de fait ”, comme dit ironiquement le catalogue des cérémonies.

Annexion du Celtisme qui véhicula des traditions païennes jusqu'aux environs de l'An Mille, annexion d'ailleurs contraire au témoignage entre tous qualifié de notre ami Lancelot Lengyel ; réduction de l'ésotérisme du XVIIIe siècle au message contre-révolutionnaire du duc de Brunswick ; dénonciation d'une “ Révolution ” de 1944-1946 dont nous ne trouvons pas d'autre trace que le suicide de Drieu la Rochelle, mais pour laquelle on voudrait nous faire prendre la sanglante parodie instaurée dès lors en Europe orientale. Pour couronner cette série d'impostures, les organisateurs ont copié l'exposition surréaliste de 1947 en dénaturant son projet. Nous avions bâti à l'état de ruines des autels purement mythiques sans culte ni dogme ; avec une ambiguïté de mauvais aloi ils ont élevé des autels tantôt de célébration, tantôt de dénigrement : l'autel chrétien devant lequel ils s'agenouillaient a cédé la place aux puissances bancaires et à la technique qu'ils feignent de tourner en dérision. (Mais les uns et les autres témoignent pour nous du même caractère d'asservissement.)

Il ne suffit pas de confondre Platon, Aristote et Epicure dans un même mépris pour avoir le droit d'écrire : “ Rome se meurt... Il est des morts qu'il faut qu'on tue ! ” et s'empresser de ressusciter ladite Rome avec l'appui de quelques cardinaux et archevêques, le concours de M. Arturo Lopez pour lequel Picabia semble avoir inventé “ Jésus-Christ rastaquouère ” (2) et la bénédiction de MM. Paulhan et Pauwels. Le groupe capétien qui s'est compté à la Galerie Kléber peut disposer d'appuis puissants dont nous avons voulu signaler quelques-uns. Il peut prétendre empiéter sur certains domaines (ésotérisme, art médiéval, etc.) où le Surréalisme frayait sa propre voie. Mais sous aucun prétexte nous n'accepterons d'être confondus avec lui. Nous nous réjouissons au contraire que la preuve soit faite, une fois de plus, que l'ennemi principal, constamment et dangereusement actif, de la pensée libre dans cette moitié du monde, c'est l'Eglise. Les haussements d'épaules ou les sourires sceptiques dont quelques pseudo-révolutionnaires sont coutumiers en pareil cas, la flagornerie prétentieuse avec laquelle ces messieurs échangent leurs coups d'encensoir, la “ poudre aux yeux ” de la pseudo-philosophie universelle, tout ce décor nous persuade de demeurer vigilants. Ce serait par trop peu attendre de l'esprit que de croire qu'une pareille entreprise de publicité ne cédera pas sous la dénonciation sans relâche des risques qu'elle comporte : le Surréalisme ne laissera pas un cléricalisme fasciste se développer sur le plan théorique, à l'abri des divagations de quelques peintres en mal de gigantisme rentable. Nous savons que des éléments “ douteux ” sont constamment à la recherche d'une formule qui leur permette de passer à l'action. Ni chrétiens, ni “ cosaques ”, si nous avons pu définir le fascisme comme la plus récente tentative de la bourgeoisie pour briser par la force le cadre plus ancien qu'elle où elle s'insérait, à savoir le christianisme ; il est clair qu'aujourd'hui le


(2) Quoi de plus infâme que l'annexion, sous le prétexte d'oeuvres non figuratives, de Picabia qui écrivait :

“ Dieu n'a jamais guéri que les malades ” ? Sur le même sujet, cf. Si Paris valait une messe..., par Charles Estienne, in Combat, 25 mars 1957.


christianisme a choisi l'intransigeance et résorbé le fascisme. A ce titre, les canailles rassemblées autour de la prison de Siger de Brabant auront eu le mérite de clarifier la situation. De tout artiste, nous sommes en droit d'exiger aujourd'hui qu'il prenne un minimum d'engagement moral, mais sans équivoque, à l'égard de l'immonde tyrannie dont la tête, quel qu'en soit le masque, est à Rome.

25 mars 1957.

Jean-Louis Bédouin, Robert Benayoun, Bona, Vincent Bounoure, André Breton, J.-B. Brunius, Adrien Dax, Yves Elléouët, Charles Flamand, Georges Goldfayn, Radovan Ivsic, Louis Janover, Alain Joubert, Ado Kyrou, Jan Krizek, Gérard Legrand, Lancelot Lengyel, Alain Mangin, Joyce Mansour, Pierre Marteau, Pierre de Massot, Jehan Mayoux, Nora Mitrani, Meret Oppenheim, Benjamin Péret, José Pierre, André Pieyre de Mandiargues, Jacques Sautès, Jean Schuster, Jacques Sénelier, Jean-Claude Silbermann , Toyen.

FINIE LA CHANSON

Les chansons de M. Léo Ferré nous avaient paru apporter, dans un domaine entre tous guetté par la facilité ou la trivialité, un air assez frais, un ton assez neuf pour susciter notre intérêt. A tel point que nous n'avions pas hésité, à son propos, à évoquer quelques noms de poètes parmi les plus grands. Or, M. Ferré, jugeant sans doute que nous lui faisions trop d'honneur, n'a eu de cesse qu'il ne nous ait prouvé qu'il était, non pas un poète, mais un chansonnier dont la plume fourchait singulièrement dès qu'il s'évadait de son territoire propre. Un “ feuilleton lyrique ” assez médiocre précisa ainsi son esthétique : “ Un amoncellement d'argot ! Avec de la musique ! Un ramassis de vieux clichés ! (...) Le bottin de l'ordure ! ” (1) Outrances verbales, pensions-nous. Mais la démonstration vient de se produire sous la forme d'un second recueil nanti d'une préface-manifeste (2). Les “ poèmes ” qui s'y trouvent mêlés aux mieux venues de ses chansons suffiraient, ne serait-ce que par leurs titres (“ La Muse en carte ”, “ Les roses de la merde ”, “ Les pisseuses ”...), à montrer déjà jusqu'où a pu tomber leur auteur. Voulant cependant justifier pleinement son activité et faire passer pour révolte contre une “ poésie concentrationnaire ” (Valéry, Tzara, etc.) les plus sordides élucubrations, M. Ferré s'efforce dans sa préface de pourfendre pêle-mêle l'écriture automatique, le vers libre, la dodécaphonie, l'art abstrait et “ le snobisme scolaire ” qui établit des distinctions entre les mots amour et crachat, roses et merde, etc.


(1) La Nuit. La Table Ronde, 1956.

(2) Poète... vos papiers, La Table Ronde, 1957.


Bref, il veut mettre un bonnet rouge au dictionnaire - très neuf ! -, s'appuyer sur l'alexandrin - de mieux en mieux ! - et sur la musique - une trouvaille ! Tout ceci au nom de la “ divine Anarchie ” qui a décidément bon dos. Savoir ce qui l'emporte ici de la prétention indigente ou de la coprophilie morne, peu nous chaut. Abandonnons en tout cas M. Léo Ferré à ses délectations singulières, définitivement : pour nous, on ne saurait être poète en insultant la Poésie.

La Rédaction.

[Le Surréalisme, même n° 2, Printemps 1957.]


[LES ÉVÉNEMENTS DES DERNIERS MOIS...]

Les événements des derniers mois ont soumis à une épreuve décisive l'authenticité révolutionnaire en dissipant certaines équivoques et en transformant en affirmations les négations politiques sur lesquelles le Surréalisme avait dû se replier. Certes, ceux qui sont sans restrictions pour la révolution hongroise et pour la révolution algérienne sont peu nombreux : en se comptant parmi eux, les Surréalistes ont conscience d'être rigoureusement fidèles à leur esprit de toujours.

I. Comité des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord :

Une Assemblée générale a été convoquée le 15 décembre pour discuter de la motion suivante, que le Bureau avait adoptée par 12 voix contre 4 et 3 abstentions :

Le Comité condamne l'enlèvement des chefs du F.L.N. par le Gouvernement français et l'agression impérialiste contre l'Egypte ; il condamne l'intervention soviétique en Hongrie et l'enlèvement de Nagy ; il défend sans réserve et dans tous les cas le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Nous souhaitons voir les intellectuels soviétiques agir sur leur Gouvernement contre son agression. Nous exigeons du nôtre qu'il applique en Afrique du Nord les principes qu'il prétend faire appliquer en Hongrie : qu'il cesse les emprisonnements, les tortures, les massacres et la soi-disant (sic) pacification. Nous ne cesserons, nous, de lutter pour la fin de cette guerre désastreuse.

Au cours du débat qui suivit, les staliniens (1), comme il fallait s'y attendre, usèrent des ficelles les plus grossières pour faire repousser cette motion. Malgré l'attitude équivoque et conciliatrice du président de la séance


(1) Nous ne voyons aucun inconvénient à employer encore ce mot tant que les anciens staliniens continuent à pratiquer une politique conforme à ce qu'était le stalinisme.


Pouillon (qui abusa, d'ailleurs, de son rôle), de Lefebvre-Pontalis et de quelques autres, la motion fut approuvée à une large majorité, mais assortie d'amendements contradictoires.

II. Comité de liaison et d'action pour la démocratie ouvrière.

Le 20 décembre s'est tenue l'assemblée constitutive de ce comité, issu de l'appel d'individualités et de groupes décidés à promouvoir l'avant-garde révolutionnaire qui permettra au mouvement ouvrier de faire éclater les appareils staliniens et S.F.I.O. qui continuent de le livrer à ses exploiteurs.

Les interventions de Lecoeur et de ses amis, pour lesquels “ il conviendrait d'aider Guy Mollet à se débarrasser de Lacoste ” (sic), n'étaient pas pour nous faire augurer la clarté et le sérieux que nous aurions souhaités. Rappelons au passage l'activité confusionnelle et ridicule de M. Maurice Clavel, principal lieutenant dudit Lecoeur, qui dans les colonnes de Combat, s'adresse avec une égale tendresse à Thierry Maulnier et à Louis Aragon.

Une fois de plus, ce sont les interventions de Ruff, d'Edgar Morin, de Lambert et d'un certain nombre de camarades ouvriers qui rendirent compte des remous suscités sur les lieux mêmes de leur travail par l'agression russe en Hongrie, qui nous ont donné l'espoir de voir l'action du comité se maintenir à la hauteur de ses intentions.

La Rédaction.

[Le Surréalisme, même n° 2, Printemps 1957.]


[CONTRE CÉLINE]

Paris, le 22 juin 1957.

A Monsieur le Rédacteur en Chef de L'Express
37, Champs-Elysées
Paris.

Monsieur,

Il est à peine surprenant que le nom de Céline vienne à nouveau ramper “ à la une ” de certains hebdomadaires français. Dans les salles de rédaction, les petits sauteurs de la collaboration, rescapés des poteaux de l'automne 44, ont récupéré leurs postes. Côté public, comment une nation, dressée à 95 % pour la chasse au “ bicot ”, n'accueillerait-elle pas avec transports le retour du rabatteur de “ youpins ” ?

Nous nous indignons qu'un hebdomadaire de gauche accorde, en dépit des maigres réserves exprimées, six pages à l'infamie et à la crasse intellectuelle du monsieur en question. Nous serions curieux de savoir quelle sorte d'intérêt vos lecteurs auront trouvé aux propos ineptes, entrecoupés de pleurnicheries, qui constituent l'interview ? Nous doutons fort que ce cynisme de camelot provincial (“ Je réponds à votre interview pour que Gallimard me donne une avance ”) éblouisse personne.

Pas une ligne de l'“ oeuvre ” de Céline ne relève d'autre chose que d'une faculté toute physique de tenir une plume et de la tremper dans la fange. Est-ce suffisant pour inviter vos lecteurs à respirer les miasmes fétides qui se dégagent de sa “ pensée ”, tout entière dominée par la rage, le calcul sordide et la lâcheté ?

Assez de Céline ! Que crève le “ héros comme Darnand ” ! Cela lui évitera d'être “ si fatigué, tellement d'insomnies en retard ”, encore que cet accablant “ retard d'insomnies ” ne lui soit nullement causé par le souvenir des charniers d'Auschwitz, mais par les dangers illusoires que pouvait courir sa boueuse personne, cependant si bien protégée par les dirigeants de la IVe République.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.


DÉMASQUEZ LES PHYSICIENS, VIDEZ LES LABORATOIRES !

Rien, plus rien aujourd'hui ne distingue la Science d'une menace de mort permanente et généralisée : la querelle est close, de savoir si elle devait assurer le bonheur ou le malheur des hommes, tant il est évident qu'elle a cessé d'être un moyen pour devenir une fin. La physique moderne a pourtant promis, elle a tenu, et elle promet encore des résultats tangibles, sous forme de monceaux de cadavres. Jusqu'alors, en présence des conflits entre nations, voire du possible anéantissement d'une civilisation, nous réagissions selon nos critères politiques et moraux habituels. Mais voici l'espèce humaine promise à la destruction complète, que ce soit par l'emploi cynique des bombes nucléaires, fussent-elles “ propres ” (!) ou par les ravages dus aux déchets qui, en attendant, polluent de manière imprévisible le conditionnement atmosphérique et biologique de l'espèce, puisqu'une surenchère délirante dans les explosions “ expérimentales ” continue sous le couvert des “ fins pacifiques ”. La pensée révolutionnaire voit les conditions élémentaires de son activité réduites à une marge telle qu'elle doit se retremper à ses sources de révolte, et, en deçà d'un monde qui ne sait plus que nourrir son propre cancer, retrouver les chances inconnues de la fureur.

Ce n'est donc pas à une attitude humaniste que nous en appellerons. Si la religion fut longtemps l'opium du peuple, la Science est en bonne place pour prendre le relais. Les protestations contre la course aux armements, que certains physiciens affectent de signer aujourd'hui, nous éclairent au plus sur leur complexe de culpabilité, qui est bien dans tous les cas l'un des vices les plus infâmes de l'homme. La poitrine qu'on se frappe trop tard, la caution donnée aux mornes bêlements du troupeau par la même main qui arme le boucher, nous connaissons cette antienne. Le christianisme, et ses miroirs grossissants que sont les dictatures policières, nous y ont habitués.

Des noms parés de titres officiels, au bas d'avertissements adressés à des instances incapables d'égaler l'ampleur du cataclysme, ne sont pas à nos yeux un passe-droit moral pour ces messieurs, qui continuent en même temps à réclamer des crédits, des écoles et de la chair fraîche. De Jésus en croix au laborantin “ angoissé ” mais incapable de renoncer à fabriquer de la mort, l'hypocrisie et le masochisme se valent. L'indépendance de la jeunesse, aussi bien que l'honneur et l'existence même de l'esprit sont menacés par un déni de conscience plus monstreux encore que cette peur de l'an mille qui précipita des générations vers les cloîtres et les chantiers à cathédrales.

Sus à la théologie de la Bombe ! Organisons la propagande contre les maîtres-chanteurs de la “ pensée ” scientifique ! Et en attendant mieux, boycottons les conférences vouées à l'exaltation de l'atome, sifflons les films qui endorment ou endoctrinent l'opinion, écrivons aux journaux et aux organismes publics pour protester contre les innombrables articles, reportages et émissions radiophoniques, où s'étale sans pudeur cette nouvelle et colossale imposture.

Paris, le 18 février 1958.

Premières signatures :

Anne et Jean-Louis Bédouin, Robert Benayoun, Vincent Bounoure, André Breton, J.-B. Brunius, Adrien Dax, Aube et Yves Elléouët, Elie-Charles Flamand, Georges Goldfayn, Radovan Ivsic, Krizek, Jean-Jacques Lebel, Clarisse et Gérard Legrand, Lancelot Lengyel, Jean-Bernard Lombard, Joyce Mansour, Sophie Markowitz, Jehan Mayoux, E.L.T. Mesens, Jean Palou, Benjamin Péret, José Pierre, Jean Schuster, Jean-Claude Silbermann , Toyen.

Au même propos, voir : La Tour de Feu, numéro de décembre 1957 : “ Salut par la Tempête ” de Pierre Boujut, etc.
Qui refusera de s'en laisser imposer par les équarisseurs diplômés aura à coeur de joindre sa protestation à la nôtre. Ecrivez à C.L.A.N. (Comité de Lutte Anti-Nucléaire), 25, avenue Paul-Adam, Paris (17e).


TOYEN : “ LES SEPT ÉPÉES HORS DU FOURREAU ”

Les sept épées hors du fourreau.
G.A. [Guillaume Apollinaire.]

LA VISITEUSE VERTIGE

Elle vient à son heure, vous envahit comme un écho bruissant, et noircit les tentures en autant de buvards.
Son visage, sans doute, est un peu moins qu'un sourd pressentiment, un peu plus qu'un regret sans cause.
Son nom vous effleure l'haleine, mais à qui le prononcera, manquent déjà les cartes.
Cette nuit entre toutes, vous êtes le couloir qu'elle veut arpenter. A Lauenstein, un fin gobelet de cristal ajouré palpite comme le pouls d'un moribond.
Vous attendiez quelque méduse tête-bêche, mais sa main de carton vous dévoile un miroir.
Elle est ce qui, sans elle, vous perdrait.

Robert Benayoun.

LA SOMNAMBULE

“ Tu m'auras et tu ne m'auras pas, toute en veilleuse surgissant du plus profond des chapelles d'Eros qui battent la campagne, mise à perte de vue pour toi seul des dessous des noctuelles.

Et vers toi, du marais livide de leur lit, tes amantes, leur sang n'a fait qu'un tour, auront beau décrire mille courbes convulsives, je n'aurai, moi, qu'à glisser pour faire éclore dans ton coeur les graines de fuchsia et les bulles de Füssli. C'est pour toi que ma tête se renverse sous le haut radar du peigne. A ta rencontre je m'avance entre la lumière et l'ombre : fais de moi ce que tu ne voudras pas. Si le bas de mon voile se givre à la croisée, ne le soulève pour rien au monde, tu en serais quitte pour les ténèbres de la mémoire, mais baise ma mule cerise. ”

André Breton.

LA DAME BLANCHE

Des trilles du rossignol le vent tressait sa ceinture. La corolle de son buste s'ouvrait voluptueusement d'où naissait pour l'olfactif averti le parfum femelle du corail.
Sur la lourde robe où la lune indéfiniment multipliée frissonnait aux caresses de la mer je pus voir en d'étranges fumerolles s'enlacer les langues diaphanes des embruns.
Et mon coeur, mêlé aux étoiles crépitantes du ressac, devint à jamais cette plume d'oiseau sauvage qu'apprivoisa sa main quand, à travers la mouvante opacité de l'émeraude aux sept faces ornant son médius gauche, je sentis se poser sur moi, fermant le cercle enchanté, son terrible et inoubliable regard.

Yves Elléouët.

LA CHASSERESSE

La roche se souviendra, elle frémit encore gonflée d'odeurs, parfumée de peurs, avec un lacis subtil de fabuleux dessins où se lisent des fuites et des retours. Je frissonne ; pourrai-je ramener sur moi votre robe tissée des prairies où nous avons couru ensemble ?
Comme un arbre qui cache ses racines vous vous êtes vouée à l'attente.
Des lézards venus du soleil et du silence s'arrêtent et cèdent à la torpeur mais leur sacrifice est inutile : ouverte leur gorge accroche à peine un regard, miroir où votre impérieuse coquetterie évalue la puissance de sa séduction avant de retirer le visage derrière l'équivoque d'une pivoine, qui lui ressemble comme un masque rivé à la chair.
Le vent se repose, assis sur la montagne, il regarde le soleil éclabousser vos genoux, prendre vos seins. Vos mains sont fardées d'innocence. Vous faites un signe avec une grande douceur et j'accours vers vous en tenant mon sang à la main comme un bouquet.

Georges Goldfayn.

LA BELLE OUVREUSE

Ce disque de lumière ardente se projecte de la lune dans la toujours froide nuit et échappe triomphalement à l'observation outrageante du petit clignoteur. Sa sente y ment au sentiment non alité. A l'inverse du jabot de pluie, une eau solide s'y maintient d'office - givre de tendresse issu d'une chair éprouvée - au défi des chutes de velours consacrés.
Debout flambantes lames !
Jeunesse passe devant pour que mon oeil te couvre dans ce tunnel de claire vérité.
O lames dont l'axe est caché sous dôme byzantin praliné pour mieux briller au garde-à-vous de la serrurière beauté.

E.L.T. Mesens.

MÉLUSINE

Par les midis torrides, tu me verras surgir - non, prudence ! - tu me devineras dans les profondeurs de la source, à moins que je ne risque un oeil sous le radeau d'une feuille de nénuphar vêtant une eau léthargique. Je suis de tous les pays. Ici, j'ai un teint de nuit africaine et l'on m'honore, de l'autre côté de l'océan, un rameau de fleurs à la main. Là, au fond des rivières inconnues, je chante autant pour séduire le voyageur nocturne qui m'aperçoit dans les taches que la lune dessine sur l'eau sombre. Malheur à toi, si tu oses contempler mon visage lumineux ! Ebloui, te voilà nageant dans mon sillage, la main tendue vers mon immense chevelure couleur d'avenir et je t'entraîne. Je suis partout où l'eau peut me dissimuler. Je suis la vie de l'eau, je suis Mélusine, souveraine incontestée et mère de l'eau, sa cause et son effet, son cri et son silence feutré ; là je prends forme, je deviens femme éternellement.

Benjamin Péret.

L'EVEILLEUSE DE TENDRESSE

“ Ecoutez ma voix, apprenez l'odeur de mon corps dans les granges de mer, au coeur des marennes écloses, vous qui dénouerez ce que je noue ! ”
“ L'animal des grandes-roues m'a prise au saut du lit et nous sommes allés flamber l'écume sur les parapets illusoires. Lui, la bête, le Chien des Vestiges ; Moi, qui l'ai créé et qui suis sa créature, la Reine des Naufrageuses. ”
“ Je suis la fugitive, plus belle que le souvenir, je reviens toujours, je reviens dans longtemps. Je suis l'éternel sillage, au nid de la vague le va et vient de l'amour. Je suis l'alouette errante, le goût des luzernes sèches, le toucher de l'oeillette au fil de la main fermée sur ses rêveries, le parfum des mousselines de la toute perdition ; je suis la couleur des sous-bois à la naissance du loup. ”

Jean-Claude Silbermann.

[30 avril 1958.]


[INTRODUCTION À “ BIEF ”]

Aux écluses du Surréalisme, qu'il soit entendu une fois pour toutes que l'eau qui monte et qui descend reste la même, et cependant se renouvelle toujours : BIEF tentera de cerner, chaque mois, le reflet de cette eau. Mais ni le relevé des courses suivies qui se confondent dans le même arc-en-ciel mobile, ni le chant des bateliers ne sauraient suffire à cette entreprise : BIEF s'ouvrira aussi largement que possible aux communications de ses lecteurs, tout en s'efforçant de les persuader que le Surréalisme, loin d'être la pente facile vers “ la mort ” à quoi certains le réduisent, propose à chaque étape de son histoire le tracé de son propre dépassement. Dépassement qui se veut - quand ce ne serait que pour obéir à une dialectique bien comprise - d'abord approfondissement, fidélité à soi-même en même temps qu'exigence envers soi-même, loin de la rive où les chroniqueurs prennent pour un naufrage ce qui n'est que le passage à plus de secret, à plus de lumière.

[Bief, Jonction surréaliste n° 1, 15 novembre 1958.]


ENQUÊTE AUPRÈS D'INTELLECTUELS FRANÇAIS

I. - Ce qui s'est passé le 13 mai 1958, ce qui s'est passé ensuite constitue un ensemble dont l'importance nous paraît avoir été généralement sous-estimée. Croyez-vous qu'il s'agisse d'événements relevant du seul jugement politique ? Ne s'agirait-il pas d'un changement de sens plus grave, représentant, notamment pour la pensée, d'une manière manifeste ou encore cachée, comme un changement d'horizon ?

II. - Si vous en jugez ainsi, ne trouvez-vous pas surprenante la passivité quasi unanime des écrivains en face de ces événements, en rupture avec la tradition intellectuelle la plus constante de ce pays ? Quelle explication donnez-vous d'une abstention si prolongée ?

III. - S'il est vrai que la pensée s'affirme comme contestation de ce qui est et en particulier comme contestation du Pouvoir, le sens profond de l'exigence démocratique n'est-il pas dans ce mouvement, mode fondamental de la recherche de la vérité, qui oppose la pensée au pouvoir, les exigences humaines à l'état de choses ?

IV. - A partir de là, le pouvoir issu du 13 mai n'est-il pas déjà en dehors de la démocratie, non parce qu'il lutterait ouvertement contre la pensée, mais parce que, se fondant sur une forme singulière de la souveraineté, mettant en jeu le destin privilégié d'un homme, la puissance d'un nom providentiel, le caractère religieux de son prestige, il se présente comme un Pouvoir échappant, par son origine et son essence, aux contestations de la pensée ?

V. - Un mouvement de résistance intellectuelle à un tel régime vous paraît-il souhaitable ? Possible ? Sous quelle forme ?

Maurice Blanchot, André Breton, Dionys Mascolo, Jean Schuster.

[Le 14 Juillet, 10 avril 1959.]


LES SURRÉALISTES À DON C. TALAYESVA

(Oraïbi, Hopi Reservation, Arizona)

Ton livre, Soleil Hopi, en traduction française, est en vente dans toutes les librairies de Paris et des grandes villes de France. Nous l'avons lu avidement d'un bout à l'autre et restons pénétrés de ton message.

Contre toutes les formes d'oppression et d'aliénation de la société moderne que nous combattons de notre place, tu es pour nous l'homme dans sa vérité originelle merveilleusement sauvegardée et aussi dans toute sa dignité.

Ecrivains et artistes que nous sommes, depuis longtemps nous tenons en grand honneur l'art Hopi et ce que les travaux des ethnologues avaient pu nous révéler de la pensée qui l'inspire. L'un de nous, qui a eu la chance de visiter Oraïbi, Hotavilla, Wolpi, Mishongovi, Shungopavi, Shipaulavi et d'assister à plusieurs de vos cérémonies, s'est efforcé de nous imprégner de leur climat, qui nous est cher.

Grâce à toi, ces lieux, cette pensée, cet art nous deviennent infiniment plus proches. Du récit de ta vie, tous les hommes sont appelés à tirer une leçon de santé mentale et de noblesse.

Fervent hommage à l'immortel génie Indien d'Amérique ; prospérité à l'admirable peuple Hopi dans le respect et la défense de ses hautes traditions ; bonheur, longue vie et gloire à Don C. Talayesva !

[Bief, Jonction surréaliste n° 7, 1er juin 1959.]


MESSAGE DES SURRÉALISTES AUX INTELLECTUELS POLONAIS

Ce qui paraissait à jamais hors de question, ce qui demeure hors d'espoir dans nos démocraties bourgeoises, vous l'avez accompli ; en 1956, le pouvoir a hésité puis reculé devant l'esprit, devant votre esprit. Vous avez affronté la réalité de l'esprit à la réalité du pouvoir ; ici, nous n'en affrontons que les mots. Ici, Po Prostu n'est pas concevable. C'est pourquoi vous n'avez de leçons à recevoir de nulle part, et surtout pas de France.

Notre honneur à nous, Surréalistes, c'est notre vocation irréductible d'internationalistes. Elle va de pair avec l'exigence révolutionnaire de vérité qui reste le premier devoir de la pensée. Or, la vérité, aujourd'hui, est que le feu de la liberté ne s'attise plus en France. Il faut en finir avec le sentimentalisme de l'Histoire, lorsqu'il prête à croire, partout hors de France, que la France est encore gardienne d'une tradition émancipatrice.

Bravant la répression, vous avez su amener à composer un pouvoir colossal, maître absolu de la moitié du monde. Les intellectuels français ne savent pas mettre en cause un pouvoir dérisoire, anachronique, gonflé d'une irréelle grandeur, mais aussi intolérable dans son essence que celui qui vous écrasait l'était dans son existence. Vous risquiez tout, votre liberté, votre vie et vous les avez risquées. Les intellectuels français ne risquent rien, sinon leur pauvre tranquillité, et ils ne la risquent même pas.

Au train où vont les choses, dans quelques mois, le très officiel André Malraux viendra vous parler de la culture française. Sachez, dès aujourd'hui, que cette culture n'existe qu'à l'état de souvenir car une culture meurt, que déserte la conscience.

Ne voyez nulle amertume dans ces propos. Ce qui compte, ce qui nous aide à vivre, c'est qu'au-delà de notre plus proche paysage de misère morale, vous, l'intelligence du plus opprimé des peuples, continuiez de tenir en respect les forces de mort. Nous vous devions ce salut fraternel.

Paris, le 4 juin 1959.
Anne et Jean-Louis Bédouin, Robert Benayoun, Vincent Bounoure, André Breton, Adrien Dax, Yves Elléouët, Elie-Charles Flamand, P. A. Gette, Roger Van Hecke, Alain Joubert, Jean-Jacques Lebel, Gérard Legrand, Jehan Mayoux, Nora Mitrani, Benjamin Péret, José Pierre, Jean Schuster, Jean-Claude Silbermann. (1)

(1) Publié dans Front unique n° 2, automne 1960, avec cet additif : “ S'associent à cette déclaration : Edouard Jaguer, Jacques Lacomblez, Tristan Sauvage ”. (N.D.E.)


DERNIÈRE HEURE

L'Exécution du Testament du marquis de Sade par Jean Benoît, le 2 décembre 1959, a provoqué, de la part d'un des assistants, tels gestes de motivation affective tout à sa louange et auxquels prête le plus grand relief la lumière très spéciale de ce soir-là. Il s'agit de Matta, de qui nous a séparés il y a des années l'appréciation d'un événement grave auquel il se trouvait mêlé. Nous manquerions à l'esprit que Jean Benoît a exalté en nous ce 2 décembre et croirions démériter de la vie avec ses embûches mais aussi ses chances si nous ne reconnaissions que Matta s'est montré là sous un angle qui le requalifie totalement à nos yeux.

A la veille de la huitième Exposition internationale du Surréalisme et à l'occasion de la publication de la très belle et très pénétrante monographie que lui consacre Alain Jouffroy, nous tenons à assurer Victor Brauner que nous avons depuis longtemps passé outre au différend survenu entre lui et plusieurs d'entre nous, différend d'ailleurs d'ordre mineur touchant la discipline intérieure du Mouvement surréaliste.

A la confusion des détracteurs de ce Mouvement, nous nous flattons, par cette mise au point, de témoigner de l'idée que nous nous faisons de la vérité, dont l'authenticité manifeste nous est la meilleure garante et de la justice, qui ne saurait s'accommoder de rigueur sans appel. Nous comptons ainsi déjouer de notre mieux - soit dans la plus large mesure humaine - les coups du sort, sur lesquels finissent par prévaloir, avec deux des plus grands artistes de ce temps, les façons communes, essentielles et véritablement spécifiques que nous avons de penser et de sentir.

Paris, le 4 décembre 1959.

André Breton.

Souscrivent à cette déclaration Jean-Louis Bédouin, Nora Mitrani, Jean Schuster, Toyen, signataires de la motion de 1948 qui se trouve, de ce fait, annulée.

[Catalogue de l'Exposition internationale du Surréalisme, décembre 1959.]