MÉLUSINE

Tracts surréalistes, Tome II, 1956


1956

COTE D'ALERTE

Le résultat des élections ne nous préoccupe réellement que dans la mesure où pour la première fois siègent au Palais-Bourbon plus de cinquante députés qu'il n'y a aucune exagération à qualifier de fascistes.

Soutenus par toute la presse nazie de Paris, un ramassis de bistrots, de lutteurs de foire, de voyous d'épicerie, de bouchers habitués à mettre le pouce à la balance et à circuler dans le sang, s'apprêtent à nous gouverner avec l'aide de quelques microcéphales de la Faculté de Droit. Ces voleurs patentés n'en sont plus encore qu'à crier “ Au voleur ! ” selon une technique éprouvée. Déjà ils prétendent instaurer la discrimination raciale des Français et ressusciter l'étoile jaune.

Malgré le courage dont a fait preuve en la lançant le député Bokanowski, la formule : “ Défendre la République ” n'a pas de sens politique pour nous, Surréalistes, ni même, à proprement parler, de contenu moral : il faudrait que le système parlementaire fût effectivement l'incarnation de la République pour que nous en discutions. Mais sur le terrain spécifique où nous nous situons, nous jugeons quand même l'air de la démocratie “ bourgeoise ” moins irrespirable que celui de ces arrière-boutiques où se cultive la nostalgie des baignoires du flic Dides et des fours crématoires de M. d'Halluin dit Dorgères.

Les intérêts qu'il faut bien nommer de l'esprit ne s'incarnent pas pour nous dans une classe sociale ou dans une forme de gouvernement : il ne s'en-suit pas que nous devions contempler indifférents le massacre des populations d'Afrique du Nord par une soldatesque aux gages des bailleurs de fonds du Poujadolf. Il y a en effet d'ores et déjà un domaine où les exigences immédiates de nos néo-pétainistes sont intolérables : celui de l'Algérie.

Demain, si l'on n'y prend garde, ce seront les rues de Paris qu'ils transformeront en terrain de chasse à l'homme. Nous demandons donc au Comité d'Action des Intellectuels contre la répression en Afrique du Nord, qui, selon les paroles mêmes de Jean Cassou, constitue le plus important rassemblement qu'on ait vu depuis 1936, de déléguer sans distinction d'opinions politiques ou autres un Comité d'Action contre le Fascisme et le Colonialisme, d'organiser un boycottage systématique da la finance poujadiste, et de ne pas attendre que la violence la plus basse et la plus cynique l'emporte, pour “ mettre en garde ” une opinion publique complètement désorientée.

Paris, le 21 janvier 1956.

POUR LE MOUVEMENT SURREALISTE :

Anne Bédouin, Robert Benayoun, André Breton, Jacques Brouté, Adrien Dax, Charles Flamand, Georges Goldfayn, Louis Janover, Alain Joubert, Gérard Legrand, Nora Mitrani, Benjamin Péret, José Pierre, André Pieyre de Mandiargues, Jacques Sautès, Jean Schuster, Jacques Sénelier, Jean-Claude Silbermann , Jean-Claude Tertrais.
Notre ami Charles Estienne se déclare entièrement solidaire de ce texte.

SUS AU MISERABILISME !

Il va de soi que le misérabilisme, dont l'apparition peut être tenue pour un des phénomènes spécifiques de ces dernières années, le misérabilisme, ce fléau contre lequel le moment est venu de prendre des mesures énergiques, admet en art autant de variétés qu'il peut y avoir de catégories de la misère : misère physiologique, misère psychologique, misère morale, etc. Nous consacrerons cette page de Combat-Art à l'étudier cliniquement.

Le misérabilisme ne peut passer pour sévir en France de manière endémique. Le moyen âge, ici comme ailleurs, en est exempt. Le quinzième et le seizième siècles se rebroussent contre lui, bravant en cela l'Italie des papes, déjà déliquescente. Contre ses infiltrations, le dix-neuvième, pour qui la Bête a pris nom d'académisme, réagit de manière héroïque (Hugo, Nerval, Géricault, Corot, Baudelaire, Rimbaud, Gauguin, Seurat, Henri Rousseau). Derrière eux, le grand pont jeté - sans s'être encore posé - par Jean-Jacques, Sade, la Révolution française.

Aujourd'hui, le misérabilisme, ici-même, est issu du parfait croisement de ces deux vermines que sont le fascisme hitlérien et le stalinisme, s'entendant comme larrons en foire pour supplicier les artistes et tenter contre eux d'éjecter leur poison. Cela vaut aussi à retardement, puisqu'il nous en reste, avec le côté nauséeux de l'existentialisme, les immondes Eves en chambre à air de Léger et les Christ-clowns en baleines de parapluie retourné de Buffet - en Bourse de banqueroute cotés un million pièce ou davantage.

Est-il besoin de rappeler que les querelles de tendance ne sont ici de rien ? C'est de “ langue sacrée ” qu'il continue à s'agir. “ Peut-on, demandait déjà Eugène Soldi en 1897, séparer un fait concret d'une idée généralisée, d'une pensée abstraite ? Peut-on donner une idée de l'idéal sans exalter le sens d'une réalité ? Le cerveau humain peut-il concevoir une chose sans attache avec le réel ? Non. ” La cause est trop entendue. Mais la dépréciation - au lieu de l'exaltation, là est le misérabilisme, là est le crime.

André Breton.

LE CINÉMA-CROÛTON

Lorsque, rassasiés de labeur, l'employé, le facteur, le mécanicien et la ménagère s'offrent le plaisir d'un après-dîner de samedi soir, ils ne courent pas se faire éclabousser à hauteur de rétine par les jupons des girls de la Goldwyn, ni même se donner le vertige technicoloré des récifs de corail explorés en scaphandre autonome. Ils s'engouffrent de préférence dans les minimes avatars des facteurs, des mécaniciens, des employés, des ménagères, que dévide l'actuelle production française de films sordido-crapuleux.

Un daschund se dévisage dans une glace avec moins de curiosité stupéfaite que le Français moyen au spectacle de ses propres renvois digestifs. Je ne connais rien qui, en 1956, fasse courir le long des rangs d'orchestre autant de frissons extasiés que la vision sur un écran “ amélioré ” d'un monsieur desserrant sa ceinture après un gros repas. L'attrait du trou de serrure a transformé le cinéma, d'une baie vitrée donnant sur l'île Tsalal, en un misérable oeil-de-boeuf ouvert sur la cuisine du voisin de palier.

De l'Italie nous vint, il y a quelque dix ans, avec le néo-réalisme, une odeur sui generis qui ranima de ce côté-ci des Alpes le respect fertilisateur de l'immondice. Le fils du Voleur de bicyclette, en pissant pour de vrai sur un mur authentique, éveilla dans les seins maternels gonflés de lait français une nostalgie éperdue de l'évier qui ne demandait, au-delà des servitudes ménagères, qu'à puiser sa raison de végéter sur les écrans de nos salles obscures. Marcel Carné, en mouillant autrefois les pavés de ses rues par pur caprice poétique, avait sans s'en douter livré à l'asphalte tous prétextes voulus de se prendre pour du velours.

L'actuelle tendance du cinéma français est de pratiquer à l'interdiction des mineurs l'inédite pornographie des ongles en deuil. Pour que nos starlettes les plus ravissantes puissent se dépoitrailler, on ne leur fournit pas un nid de plumes d'autruche, de lamé or ou de satin rose, outre l'hommage discret de vingt danseurs en smoking de neige. On les pare d'un tablier sale, d'une paire de savates, d'une vaisselle de bouillon gras, d'un patron tant poussif que lutineur. Pour les distraire de leur chambre de bonne, on leur promet le passage paradisiaque d'un camionneur très las, aux bouffissures détendues par l'espoir d'un lit, vide ou non, ou la rare oisiveté d'un pompiste fleurant l'essence super (1). Il doit être à présent notoire pour tout spectateur étranger qu'il n'y a personne en France pour faire l'amour, excepté les boniches et les livreurs de veaux.


(1) Voir notamment, ou me croire sur parole, et fuir à toutes jambes, La Lumière d'en face, Des gens sans importance, Gaz oil, etc.


Mais tout cela flatte visiblement ceux qui ne sont ni facteurs ni mécaniciens, mais qui resteront saufs de toutes les intrusions, puisqu'on ne fait pas de films sur les intellectuels. Il est normal, à l'heure où l'arête de poisson enrichit les murs satinés de nos grands, et où le goût des matières rares introduit dans les arts abstraits les espèces les plus subtiles de boues et de magmas, que le regard des ventres expansifs se permette, au-dessus des buffets et dessertes, comme dans le confort moelleux des mezzanines, un retour hygiénique à l'ascétisme. De cet appui moral peuvent naître des marchés avantageux : les christs en peau de hareng de M. Bernard Buffet se vendent à Rome comme des petits pains, à deux pas des cinémas où le Vatican favorise les films sur la prostitution et la traite des blanches.

Qu'on se rassure : c'est à ce genre d'outrances que le cinéma doit de changer de palier tous les dix à douze ans. Les films-croûtons contribuent, et cela ne ravit personne, à dévaloriser le noir et blanc. Les buanderies, les stations de graissage, les relais routiers n'attirent ni l'écran large, ni la couleur. Le cinémascope n'encourage guère que l'abstraction, l'expressionnisme ou le pur remplissage, mais point le trompe-l'oeil du dénuement. C'est l'un des paradoxes favoris du cinéma que de placer le maniérisme à la merci des évolutions de la technique. Et d'ici peu le noir et blanc, définitivement dissocié du credo commercial, sera réservé aux expériences d'avant-garde. On se décidera à dévêtir Brigitte Bardot ou Françoise Arnoul dans le luxe total de la fanfreluche ziegfeldienne. L'euphorie du calva, du livarot et du sandwich au saucisson redeviendra un plaisir clandestin et Jean Gabin, peut-être, jouera la comédie : il a des dons.

J'aimerais pouvoir promettre à tous les échelons de l'expression un pareil débarras, mais on sait que dans le domaine des arts, nul ne craint plus les toiles panoramiques, et que le noir et blanc dans la peinture se présente comme une nouveauté. C'est bien pourquoi, en matière d'efficacité comme en toutes choses, il faut faire crédit à la colère. Nous en avons de reste.

Robert Benayoun.

A MESSIEURS DE LA BIENNALE DE VENISE

Messieurs,

J'ai appris par les journaux, comme tout le monde, que la France serait “ bien représentée ” à la Biennale de Venise. L'organisateur du pavillon français - mon confrère Raymond Cogniat, inspecteur général des Beaux-Arts - aurait “ dressé ”, nous signale une note de presse, “ un panorama aussi éclectique que représentatif des tendances diverses, etc. ”

Mais voyons voir. Chaque peintre se présente flanqué d'un ou plusieurs sculpteurs. Ainsi nous avons Villon et Giacometti (bien), Bazaine et Etienne-Martin (bien, bien) et enfin, et j'ai comme l'impression que c'est pour la bonne bouche, Segonzac et Yencesse, Ozouf et Arbus, et pour finir - tenons-nous bien - Buffet et César.

Or, bien que Raymond Cogniat soit un confrère ou plutôt parce que c'est un confrère, j'ai le regret et même le devoir de lui signaler que son éclectisme, comme tout éclectisme, risque de ne rien prouver, qu'un stérile état stationnaire - le contraire même de ce que l'on appelle l'art moderne - ou alors veut trop prouver.

Dans le cas présent, le bon sens et la moyenne - le nom commun - sont le “ réalisme ” et le dénominateur - le nom propre, si l'on peut dire - est certain, trop certain “ misérabilisme ”. Et si après le nom de Segonzac l'on ne peut que murmurer “ hélas ”, après celui de Buffet il faut bien s'écrier “ holà ! ”.

Ce “ holà ! ” sent peut-être son libertaire, tant pis. Ou tant mieux, car outre que je ne suis plus tout à fait seul à ne pas confondre l'école des cadavres et celle de Paris, un exercice libertaire de la critique m'apparaît comme une méthode d'urgence, un premier topique à appliquer tout de suite sur la face de ce monstre, à la fois pléthorique et impuissant, qui sous couleur d'art et de réalité depuis quelques saisons circule à Paris comme chez lui, ni plus ni moins que l'ennui, la grippe et le cancer. De ce Paris - pays - pluvieux où l'Inconnue de la Seine n'est plus que cette noyée au ventre ballonné symbolisant, paraît-il, la guerre, M. Buffet est peut-être aujourd'hui le roi, aux acclamations des bourgeois millionnaires - mais il n'est pas le seul responsable et le mal, comme l'on dit, vient de plus loin.

Car de définir la vie par sa physiologie la plus basse, supposée alors la plus vraie parce que la plus humiliante, donc la plus frappante, c'est très exactement la prendre comme la prenait le chien de Pavlov : on salive - comme ce même chien - lorsque le maître donne le coup de pied ou agite la sonnette qui remplace le poulet absent. Ainsi l'on salive, et comment, et l'on signe des chèques, devant un tableau préjugé réaliste où des hommes et des femmes d'aspect misérable, sinon en posture ignoble, singent la vie et jouent une mimique de réalité. Qui ne me croit pas sur parole n'a qu'à s'en aller au cirque, à la guerre ou à l'amour avec M. Buffet (bien entendu, je parle par métaphores, mais tous ces sujets ont été réellement traités par le maître). Cette expérience faite, je demanderai si l'on est toujours d'accord, tout aspirant au réel que l'on soit, pour définir l'amour par ses lèpres, le monde par ses puces, la Seine par ses égouts, bref le haut pas le bas, le noble - je veux dire l'être humain - par l'ignoble - je veux dire par le bestial - enfin, le beau par le lai d.

Et je demanderai si l'on est d'accord aussi pour définir l'imagination par la mémoire et la mémoire par un regard sur le néant, ainsi que, bien que non philosophe, j'ai cru le comprendre chez M. Sartre. Dans cette perspective - c'est bien le mot - l'art ne peut aboutir qu'à une “ illusion ”, à des “ farces exquises ” ou “ mémorables ”, ainsi que Sartre naguère le prouvait en long et en large sur le propos de Giacometti. Dans cette perspective encore, il n'y a plus l'extase mais la nausée, et le moindre bout de papier, de préférence sordide, provoque une réaction qu'à la rigueur, les jours où il faut bien vivre, l'on baptise extase. Mais il en va de même, je le crains, que de définir la nature par le bois de Boulogne et le bois de Boulogne par ses papiers graisseux, ou pire.

C'est là un domaine où une critique à la page (de l'existentialisme et du marxisme) ferait bien d'exercer ce travail de démystification qu'elle n'exerce en général qu'à l'encontre de la poésie, préjugée par elle le pire mythe de l'art ; tandis que le réalisme et le matérialisme, ah ! mais... Mais ces deux entités se trouvent aussi, et au niveau le plus bas malheureusement, dans une critique qui, à force de chercher l'effet de choc, et dans le but paraît-il d'appâter le public, définit la peinture par la vie du peintre, le peintre par son pittoresque et ce pittoresque par son ignoble : ainsi, dans cet ouvrage-type que sont Les Clés de l'Art moderne (1), l'on trouve Modigliani défini par “ l'alcool et la drogue ”, Soutine par une “ odeur de putréfaction avancée prenant d'assaut un immeuble ”, M. Buffet, évidemment, par “ chaque tableau (trouve) preneur à 500 000 fr. ”, tel peintre abstrait par son goût pour le saucisson, et tel autre par la taille et le poids de son fils... Utrillo, n'en parlons pas : voyez vin rouge, et aussi M. Carco, ce qui n'est pas mieux.

Dans ces conditions, l'on ne peut s'étonner qu'un peintre peut-être honorable mais aussi affligeant que Gruber fasse aujourd'hui figure de génie ; que des artisans du lugubre tels que Rohner et Humblot aient passé et passent encore pour des “ forces nouvelles ” ; que M. Lorjou visant au Van Gogh, M. Guerrier, qui joue les forts des Halles - aux dépens, me souffle-t-on, de MM. Minaux et Rebeyrolle - caricaturent la vie dans des paysages aussi faisandés que les pires natures mortes. Etc.

En tout cas, nul des grands réalistes, des prétendus “ réalistes ” du passé n'est dans le coup, dans ce genre de coup. Ni Bosch ni Brueghel, ni Grünewald ni Cranach, ni Goya ni Géricault. Car ces grands prétendus réalistes étaient avant tout, il suffit de savoir les lire, de grands conquérants de l'imaginaire, de cet imaginaire, précisons-le, qui ne pardonne pas, car il est la forme même de la vie : sa forme avant coup si l'on peut dire, sa forme antérieure.

La beauté, alors, c'est peut-être cette étrange forme retrouvée, cette “ vie antérieure ” que l'imagination retrouve dans la vie présente, ou encore cette sorte de mémoire - mais une mémoire prophétique - qui hanta, par exemple, des oeuvres aussi différentes que celles d'Edward Munch, de Gustave Moreau ou de Gauguin. Et il ne s'agit pas seulement “ des nuages, des merveilleux nuages ” et de leur charme passager, mais de l'“ île flottante en diable ” toujours à découvrir et redécouvrir entre “ la courte beauté dérobée ” et “ l'accessible et longue beauté dérobable ”.

Aucun ferry-boat n'y conduit, évidemment, ni aucun truc, et le seul bateau, si bateau il y a, est celui où la loi de la navigation a été gardée pure, entièrement et rigoureusement pure. Ce qui est dire que, comme dans l'amour, les moyens engagent la fin et que le laid ou simplement le douteux ne sauraient conduire à ce qui ambitionne d'être le beau, je veux dire à l'art ou à l'amour. Et de même que dans l'amour des moyens détournés ou médiocres n'aboutissent, outre l'échec spécifique, qu'à l'échec spirituel, de même dans l'art ce qui n'a pas en vue la beauté, ou les moyens de la beauté, se condamne de toute façon à un échec misérable qui pourra bien donner le change, si par un processus bien connu cette misère se transforme en or, mais n'en constituera pas moins un triomphe de l'ignoble, et il n'y aura même plus de pavillon pour couvrir la marchandise...

Quand Héliogabale entrait à Rome à reculons, juché sur un éléphant


(1) E d. La Table Ronde.


blanc, c'était encore la grande classe, comme dit Marie-Chantal. Mais quand la misère-au-poids-de-l'or fera son entrée à Venise, débarquant d'une Buick ou d'un pullman de luxe, ce ne sera pas le Lion de Saint-Marc qui l'accueillera, mais l'un de ces roquets de salon dont aujourd'hui, en vertu d'un dandysme à rebours et de prétendues horreurs de la guerre, on se fait gloire d'entretenir la crasse et les puces, et de les vendre.

Charles Estienne.

L'ARAIGNÉE ET LE PAPILLON

Dans son Degas, Danse, Dessin où, par ailleurs, s'accusent cruellement les limites de sa compréhension artistique, Valéry rapporte une discussion au cours de laquelle Zola soutient que l'ordure, étant aussi réelle, vaut bien le diamant. Et Mallarmé de répondre doucement : “ Oui, mais le diamant... c'est plus rare. ” A tout prendre, cette distinction suffirait si le misérabilisme ne revêtait divers aspects. Que nous importe après tout que M. Buffet trouve dans la femme, la guerre ou le cirque l'exaltation nécessaire à ses défécations, que les gens de la tribu mercantile s'enrichissent comme les bouchers ou les maquereaux ? Il existe un misérabilisme plus grave et plus sournois, celui qui guette, menace ou frappe tous ceux qu'il nous est permis de considérer comme des créateurs. Car ceux-là aussi se voient souvent à la merci des défaillances soudaines, de retombées dans l'univers des Poujade de la peinture.

“ Il n'y a plus d'homme ! ” criaient les Marquisiens de Hiva-Oa à la mort de Gauguin, et c'est ce cri qu'aujourd'hui l'on a souvent envie de pousser. “ L'oeuvre d'art sera le crocodile empaillé ”, prophétisait Jarry et, de fait, beaucoup de jeunes créateurs sont déjà mûrs pour le musée. Crocodiles empaillés, mais où sont leurs dents ? La difficulté, l'adversité, et pour tout dire l'aventure semblent de plus en plus déserter ce qui se propose cependant de plus audacieux à nos regards. Il est, bien entendu, tout à fait souhaitable que les peintres bénéficient avant leurs héritiers de la cote atteinte par leurs tableaux, mais l'absence grandissante de risque n'est pas sans émousser grandement l'intérêt et la sincérité de l'entreprise. Les plus bruyants des non-conformismes prétendus ne sont qu'astuces de camelots pour caser leur marchandise. Mathieu lui-même va bientôt décorer une chapelle ! A-t-on jamais vu une révolution faite par des nouveaux riches ? “ Pourquoi une révolution, d'abord ? ” me demanderait M. Mathieu, de La Nation française et des United States Lines... Je sais bien qu'il y a encore des peintres de valeur qui connaissent la misère. Il n'y a pas si longtemps que Jacques Villon était contraint, pour vivre, de graver les oeuvres des autres, et moins longtemps que Picabia a su ce qu'il en coûtait de se moquer pendant quarante ans des marchands de tableaux. En m'excusant de citer leurs noms au hasard, ce n'est pas encore demain que Claude Georges, Duvillier ou Sallès s'offriront une Rolls-Royce de quatre ou cinq millions. C'est de leur côté pourtant qu'il demeure quelques chances appréciables de préserver, avec la pureté de la démarche, les droits inaliénables de l'inspiration. Ce n'est pas pour rien que nous avons vu Fautrier mettre dix ans d'intervalle entre deux expositions : l'un des plus grands dangers qui menacent le créateur est sans aucun doute le Moloch des galeries, le Croc à Phynances de la peinture moderne.

Pour en avoir été (sinon trop brièvement) épargnée, l'oeuvre douloureuse de Gauguin, de Van Gogh, de Seurat semble jouir d'un singulier privilège : la maladie, le malheur, la folie, la misère l'ont mieux protégée de la défaillance, du noir tunnel de la routine que la réussite ou la consécration. Voici trente ans que Braque et Matisse se sont faits les divulgateurs paisibles de leurs conquêtes passées, tandis que Picasso sacrifie périodiquement aux plus discutables incursions dans le pompiérisme néo-romain. Telle est la rançon du succès : la tension créatrice s'affaiblit, le peintre se réveille décorateur. Misérabilisme de la “ réussite ” que d'autres ont réussi à éviter. Je pense à Tanguy se jugeant le dernier des misérables parce qu'il avait vendu un tableau, à Mondrian, qui ne connut que très tardivement une certaine aisance, peut-être pas étrangère à l'euphorie de sa période new-yorkaise. “ Je ne l'ai connu que très pauvre, écrit Michel Seuphor. Il faisait lui-même son marché, son ménage, sa cuisine. Il vivait de lentilles et de pommes de terre. ” Quel beau crachat au visage des imbéciles qui croient qu'il suffit de “ faire n'importe quoi ” - “ mon petit frère en fait autant ” - pour s'enrichir, au front des marchands de tableaux et des peintres “ arrivés ” (où ?) ! Encore une fois, je n'admire pas que l'on crève de faim et de rage au milieu de ses toiles sans “ amateurs ”, mais je déteste les repus car ils sont répugnants : Utrillo me dégoûterait du vin rouge, et la mauvaise graisse de Léger, “ barre de nouille peinte en acier ”, me soulève le coeur. Qu'ils soient morts ne change rien à la chose : il faut toujours que notre société jette son dévolu sur quelque immonde paillasse, ne serait-ce que pour se protéger contre ce qu'elle renifle de dangereux parmi les créateurs véritables.

J'ai beaucoup de sympathie pour les jeunes peintres, mais on dirait qu'il n'en est plus guère de capables d'une réflexion personnelle sur leur oeuvre, d'un approfondissement des raisons intimes de leur création. On les voit réunis par petits groupes autour d'un critique ou d'un marchand de tableaux (ou, mieux encore, d'un compromis entre les deux) à qui ils s'en remettent entièrement de justifier leur peinture.

Quels que soient le talent, le tempérament et les goûts de l'heureux élu, les peintres qui l'entourent se donnent à lui sans retour : c'est une sorte de coucherie spirituelle, parfois très sérieuse. Nous sommes au-delà de l'amitié qui pousse un poète à préfacer l'exposition d'un peintre, il s'agit essentiellement d'un des avatars de la “ critique d'art ” et, qui plus est, d'un phénomène relativement nouveau. Le plus fâcheux, c'est l'abdication de la responsabilité du créateur en faveur d'un critique qui devient ainsi oracle et paratonnerre. Rendu tout puissant par la dévotion de ses protégés, le nouveau prophète se conduit volontiers en sultan et, selon l'humeur du jour, accorde ses faveurs à telle ou telle de ses concubines.

Or, si bien intentionné, si clairvoyant que soit le critique, il ne peut l'être au même titre, au même degré que le peintre : c'est celui-ci qui est le voyant et non pas l'autre. Et cette substitution de rôle peut être fort préjudiciable au peintre comme au théoricien : ne va-t-on pas risquer d'attribuer aux erreurs du second les défaillances du premier ?

Et pourquoi Degand ne serait-il pas tenu pour responsable du raidissement de Mortensen, Tapié du désarroi sensible d'Arnal ? Tandis que nul critique ou marchand n'a mené le Cubisme, que nul n'a dirigé Duchamp ou Malevitch, Max Ernst ou Dali, Arp ou Paalen. Car les poètes qui ont participé à l'aventure de ces derniers, d'Apollinaire à Breton, se sont bien gardés de jouer les maîtres à penser ou les aiguilleurs, attentifs seulement, en poètes, à saisir l'éveil merveilleux de l'inspiration, à en interroger la précieuse flamme...

Ceux qui firent plutôt confiance aux poètes qu'aux critiques tiraient d'eux-mêmes leurs impératifs, leur justification, les impulsions de leur lyrisme : ce n'étaient pas de bêlants agneaux. Non qu'ils fussent tous théoriciens : il n'y a pas moins théoricien que Chagall ou Miró, si peu d'oeuvres offrent plus de rigueur dans leur développement interne. Mais leur imagination plastique est à ce point ancrée dans la “ nécessité intérieure ” qu'elle trouve toute seule sa lanterne et vient à bout de son propre labyrinthe.

Qu'est-ce donc qui retient sur cette voie les plus bouillants des “ abstraits lyriques ” par exemple ? La confusion soigneusement entretenue dans leur esprit entre la littérature et la poésie, ce qui les préserve de la seconde mais non de la première, la pire : celle, entre autres, de M. Tapié. Certains sont mêmes persuadés que le seul fait de savoir signer son nom est une redoutable preuve d'intellectualisme. A ce compte, qu'on ne nous parle plus de tous ces va-de-la-plume : Kandinsky, Arp, Max Ernst, Mondrian, ni même de Gauguin ou Delacroix !

Et cependant, “ le noir n'est pas si noir ”, la guerre de positions et d'étiquettes (“ tachisme ”, “ autrisme ”, “ peintrisme ”) se métamorphose, par la grâce des peintres, en bataille de confetti. Si la générosité est le contraire du misérabilisme, qui est aujourd'hui plus généreux, moins misérable que Pollock, Arnal, Hantaï, Loubchansky ? Si “ l'abstraction lyrique ” tourne le dos au misérabilisme, c'est qu'elle débouche, en fille illégitime des amours inattendues du Surréalisme et de l'Abstraction, sur les grandes jungles de la poésie et du merveilleux.

Pollock réinvente le réseau sanguin qui irrigue notre globe. Paalen dresse des buissons de cris d'oiseaux. Sam Francis déploie les plus luxueux pelages. Loubchansky et Claire Falkenstein dévoilent “ les membranes vertes de l'espace ”... Il y a aussi les faux-spontanés, les bricoleurs, les bègues de la peinture, mais tôt ou tard ils se découvrent : le misérabilisme se trahit lui-même parce qu'il a mauvaise conscience.

Je n'aurai garde d'oublier non plus, à la lisière de la forêt, les chasseurs solitaires : Svanberg, Toyen, Molinier, Sugaï, Krizek, et ces solitaires entre tous, les sculpteurs, parmi lesquels Stahly et Etienne-Martin détiennent peut-être les plus lourds secrets. Que tous ceux-là aiment mieux traquer la merveille dans le silence et la retraite, qui s'en plaindra ? Non, assurément non, le misérabilisme n'aura pas le dernier mot.

José Pierre.

[Combat-Art n° 26, 5 mars 1956.]


[PRIÈRE D'INSÉRER POUR “ LE SURRÉALISME, MÊME ”]

Une nouvelle revue surréaliste ! Pourquoi ?

  • Pour affirmer la continuité d'une forme de pensée et de sentiment qui s'est assez montrée irréductible à toute autre ;
  • Pour répondre à la confiance et à l'interrogation souvent pressante de cette partie de la jeunesse qui objecte à se laisser passer le noeud coulant ;
  • Pour affliger et confondre, une fois de plus, ceux qui - depuis trente ans - s'entêtent à proclamer la mort du Surréalisme ;
  • Pour obvier, dans l'immédiat, à la confusion qu'entraîne, pour les esprits non prévenus, l'excès croissant des entreprises se donnant à tâche de reproduire artificiellement le climat du Surréalisme aux fins de faire prévaloir, envers et contre lui, l'étrange pour l'étrange, l'humour pour l'humour ou toute autre solution pour le moins aussi aberrante que celle de l'art pour l'art ;
  • Pour garantir la stricte autonomie du témoignage surréaliste, tout de fidélité et de conséquence avec lui-même, mais épousant nécessairement les perspectives nouvelles qu'impose l'évolution des idées et des moeurs - autrement dit tenant compte scrupuleusement de la constante et de la variable ;
  • Pour poursuivre, dans le sens qu'un tiers de siècle d'obstruction et de ruses n'a pu parvenir à controuver, la quête d'une toujours plus grande libération de l'esprit.

[Avril (?) 1956.]


AU TOUR DES LIVRÉES SANGLANTES !

N'en déplaise à la critique littéraire bourgeoise, à la critique philosophique plus ou moins bien intentionnée et à l'ensemble de la critique politique dite “ de gauche ”, le Surréalisme s'insère dans l'histoire avec le souci d'assumer, jusqu'en ses conséquences les plus diverses et les plus extrêmes, le développement révolutionnaire de la pensée.

Dans son cadre historique spécifique, cette pensée est conditionnée de nos jours par la nécessité de se dresser à la fois contre l'exploitation de l'homme par l'homme en régime capitaliste ou non et contre l'exploitation de l'esprit par un prétendu rationalisme qu'infirmeraient à elles seules les plus récentes positions scientifiques. Quelles que soient, dans ces conditions, les vicissitudes auxquelles est exposée une telle pensée dans ses rapports nécessaires avec l'action révolutionnaire, le Surréalisme se donne à tâche de maintenir et exalter le contenu latent, permanent, de la révolution.

Quelles que soient les crises qu'elle traverse, la plus ou moins grande distance apparente où elle se tient de la cause prolétarienne, la profonde dépression qu'elle peut connaître après tel bond trop brutal ou tel passage à vide, le Surréalisme ne peut manquer de l'incarner dans ses faiblesses comme dans sa grandeur.

En outre, le Surréalisme revendique une conception réellement dialectique de la révolte individuelle, négation farouche et illimitée qu'il transmute en conscience révolutionnaire positive : celle-ci ne cesse donc pas d'être préservée par celle-là de tout étiolement bureaucratique, ce qui lui permet, à un palier supérieur de synthèse, de mettre en face d'elle-même la critique négative de la révolution accomplie. De par cette conception, le Surréalisme demeure le pôle de la vigilance à l'égard de toutes les atteintes à la révolution en tant qu'idée aussi bien qu'en tant que fait.

Depuis vingt ans, le Surréalisme prouve qu'une opposition irréductible au stalinisme ne s'accompagne pas obligatoirement d'un abandon de l'objectif révolutionnaire et que celui-ci, au contraire, exige une telle opposition comme garantie morale.

En 1935, un tract intitulé Du temps que les Surréalistes avaient raison signifiait une défiance des plus formelles au régime dit “ soviétique ” et à son chef.

Cette défiance, hâtons-nous de dire que Staline se chargea lui-même de la transformer en un sentiment plus précis au cours des années qui suivirent.

L'assassinat, après les simulacres de procès que l'on sait, des premiers compagnons de Lénine, le massacre de ceux de la F.A.I., de la C.N.T., du POUM qui, en Espagne, tentèrent de libérer le prolétariat mondial, enfin le lâche, l'immonde coup de piolet qui défonça le crâne de Trotsky, cette série de forfaits suffirait à faire de son instigateur la figure la plus abjecte de l'Histoire.

En 1956, trois ans après sa mort, se déchire le voile qui, selon les techniques de la religion, permettait de le représenter aux ouvriers patiemment mystifiés comme le contraire même de ce qu'il était, comme le guide “ génial ” de l'humanité, le continuateur de Lénine, - de Lénine dont il persiste scandaleusement, par delà la mort, comme il le fit durant toute sa vie, à souiller la mémoire, ne fût-ce plus que par la présence de son cadavre dans le mausolée de la Place Rouge (1), de Lénine à propos de qui Trotsky rapportait, en 1924, l'anecdote suivante :

Dans un congrès des Soviets, on vit monter à la tribune un représentant assez connu d'une secte religieuse, un communiste chrétien (ou quelque chose


(1) Aux dernières nouvelles, le mausolée serait fermé au public pour cause de nettoyage. Fort bien.


dans ce genre), très débrouillard et madré, qui, aussitôt, entonna une antienne en l'honneur de Lénine, le disant “ paternel ” et “ nourricier ”.

Je me rappelle que Vladimir Ilitch, qui était assis à la table du Bureau, releva la tête, presque effrayé, ensuite se tourna légèrement et nous dit à mi-voix, d'un ton furieux, à nous, ses plus proches voisins :

  • Qu'est-ce que c'est encore que ces malpropretés ?

Les intellectuels staliniens ont étendu considérablement les limites de ce genre de “ malpropretés ” ; ils ont démontré les premiers que certains esprits abritaient un véritable cloaque et qu'il leur suffisait d'avoir la langue assez souple pour en répandre à tous vents les émanations pestilentielles. Dommage que la mort ait ravi prématurément à notre dégoût comme à la confusion tremblante dans laquelle il se réfugierait aujourd'hui, celui d'entre eux qui, dans ce type d'exercices, manifesta les dons les plus sûrs, quoique les plus tardifs (2), ainsi qu'en témoigne ce “ poème ”, ici intégralement cité :

Joseph Staline
Les hommes surgissaient d'un lointain paysage Ils avaient tous du coeur mais ils perdaient leurs forces Ils s'embrumaient et rêvant d'or étaient de plomb Les hommes surgissaient de leur enfance naine Arriérés retardés ils adoraient les nuages Misère charité leur paraissaient sacrées

O mes semblables morts anciens ou nés d'hier Visages de santé qu'a vieillis l'esclavage Vos besoins vous donnaient le désir d'être libres Le désir d'être heureux le désir d'être forts Forts avec la douceur d'une vitre très claire Qui ne trouble pas l'onde où se reflète un frère

Et mille et mille frères ont porté Karl Marx Et mille et mille frères ont porté Lénine Et Staline pour nous est présent pour demain (3) Et Staline dissipe aujourd'hui le malheur La confiance est le fruit de son cerveau d'amour La grappe raisonnable tant elle est parfaite

Grâce à lui nous vivons sans connaître d'automne L'horizon de Staline est toujours renaissant Nous vivons sans douter et même au fond de l'ombre Nous produisons la vie et réglons l'avenir Il n'y a pas pour nous de jour sans lendemain D'aurore sans midi, de fraîcheur sans chaleur

Staline dans le coeur des hommes est un homme Sous sa forme mortelle avec des cheveux gris Brûlant d'un feu sanguin dans la vigne des hommes Staline récompense les meilleurs des hommes Et rend à leurs travaux la vertu du plaisir Car travailler pour vivre est agir sur la vie

Car la vie et les hommes ont élu Staline Pour figurer sur terre leur espoir sans bornes.
Paul Eluard

[L'Humanité, 8 décembre 1949.]


(2) Voir en quels termes il avait lui-même flétri Aragon dans Certificat (1932). En 1935, son nom figure encore parmi les signataires du tract Du temps que les Surréalistes avaient raison.

(3) C'est nous qui scandons.


Ceci n'est qu'une pièce de choix parmi d'autres, “ à toute épreuve ” du point de vue de la servilité, c'est-à-dire outrageusement contre-révolutionnaires. Publiées dans la presse ouvrière, il n'y eut, hélas, que le prolétariat d'Europe à ne pas les ressentir comme des insultes à ce que fut son intelligence. Nous, Surréalistes, ne nous en refusons pas moins à croire que la classe ouvrière qui, de juin 1848 à la défaite d'Espagne de 1939, où elle dut céder devant les forces coalisées du fascisme, de la Guépéou et de la finance internationale, a donné tant de preuves de sa volonté de transformer le monde dans le sens exclusif de la liberté, puisse plus longtemps s'en remettre de son sort à la discrétion d'une clique policière.

Il ne nous faudrait nous rendre à une si lugubre évidence que si, par impossible, dans un laps très court, les militants de base du parti “ communiste ” français, aidés de jeunes intellectuels qui, à la faveur de la nouvelle orientation, y soient entrés les mains propres, ne renversaient les dirigeants actuels, à tous les échelons de la hiérarchie du Parti, - en particulier ne chassaient de leur confortable tribune journalistique les Aragon, Wurmser, Triolet, Stil, Kanapa, Courtade et autres chiens de moindre pedigree tous apologistes stipendiés et complices des crimes de Staline.

Camarades communistes, vos chefs vous ont trahis, ils ont spéculé sur la misère intellectuelle que la société vous laisse trop souvent en partage ; ils ont canalisé votre révolte vers l'adoration religieuse ; ils ont émoussé, sinon brisé votre volonté révolutionnaire, bafoué votre espoir - partant, ils se sont faits les alliés des capitalistes, vos exploiteurs directs ; ils ont réussi à vous pétrifier en vous parlant de Moscou comme on parle du paradis aux chrétiens ; aujourd'hui, vous savez qu'il n'y a de paradis nulle part, pas plus sur la terre qu'ailleurs ; vous savez que la révolution n'a pas de “ sauveur suprême ” mais peut avoir un bourreau. Camarades, vos chefs hésitent - eux si habiles à prendre les virages - ils paraissent désorientés par celui dont il dépend de vous qu'il soit le dernier - celui de la vérité. Exigez, à l'intérieur des cellules, la discussion libre et immédiate, à partir du XXe Congrès, sur la révision de l'Histoire du Parti avec, comme conséquence première, la réhabilitation des prétendus traîtres, à commencer par celle, mais qu'elle soit solennelle, du compagnon inséparable de Lénine, de l'organisateur de l'Armée Rouge, du théoricien de la révolution permanente, le camarade Léon Trotsky ; destituez les fonctionnaires et bureaucrates soumis à Thorez, qui s'est proclamé lui-même “ le meilleur disciple de Staline ” ; extirpez de la classe ouvrière le venin stalinien qui l'a paralysée.

Paris, le 12 avril 1956.

Anne Bédouin, Robert Benayoun, André Breton, Jacques B. Brunius, Adrien Dax, Yves Elléouët, Charles Flamand, Louis Janover, Gérard Legrand, Nora Mitrani, Benjamin Péret, José Pierre, André Pieyre de Mandiargues, Jacques Sautès, Jean Schuster.

À COEUR ET À CRI

Le 6 juillet dernier, à Lamothe-Fénelon (Lot), Andrée Lignoz (21 ans) a tranché à la hache deux doigts de son fiancé Louis Mollat (20 ans), parce qu'elle refusait de le voir partir au service militaire en Allemagne (Les journaux, 8-7-56).

Andrée ne pouvait admettre l'idée d'une séparation, décidée à tout afin que Louis ne la quitte pas, elle lui avait même suggéré de se faire couper le bras par le rapide Paris-Strasbourg... Déjà, ils avaient ensemble vainement tenté de se suicider. Louis Mollat eut alors le courage d'accepter de son plein gré cette grave mutilation. Dans ces conditions, Andrée Lignoz sera sans doute poursuivie pour “ blessures volontaires ” !

Nous tenons à rendre l'hommage le plus sensible à Andrée Lignoz, dont l'acte de sang et d'amour se présente comme l'un des rares que puisse encore réaliser une femme dans un monde servile où les corps sont repus et presque toutes les consciences résignées. L'amour ne serait plus l'amour s'il ne devait parfois être mis hors de lui-même, tendu jusqu'à sa portée la plus tragique. Nous ne pouvons que renouveler nos marques de profond mépris à l'encontre des précepteurs d'hygiène sociale ou religieuse qui prétendent réprimer les élans frénétiques de la passion sublime. Tôt ou tard, au sortir du labyrinthe, la ligne de foi de l'homme s'identifiera totalement avec sa ligne de coeur.

[Eté 1956.]

André Breton, Benjamin Péret, André Laude, Charles Flamand, Jacques Sénelier, Jean Schuster, Louis Janover.

PASSAGE DES ÉTOILÉES

Deux adolescentes ont vécu pendant six semaines de l'année 1953 une aventure exceptionnelle qui ne saurait être circonscrite dans les limites étroites d'un vulgaire fait divers criminel. Pour se procurer des ressources, Anne-Marie R... (seize ans) et Émilienne G... (dix-sept ans) avaient, le 18 décembre 1953, attaqué et blessé une marchande de confection (1). Comme, par une fâcheuse occurrence, le tiroir-caisse était vide, elles n'emportèrent pour tout butin qu'un costume tailleur et un manteau. Elles devaient se faire arrêter trois jours plus tard au cours d'une rafle à Pigalle. Ayant passé deux ans à la prison de Fresnes, les deux jeunes filles viennent de comparaître, le 22 novembre, devant la cour d'assises des mineurs, qui siégea à huis clos. Anne-Marie et Émilienne furent condamnées respectivement à sept ans et cinq ans de réclusion.

Anne-Marie et Émilienne se rencontrèrent dans une “ maison d'éducation surveillée ”, l'institution du Bon-Pasteur, à Marseille, le 21 novembre 1952. Bientôt unies par une très intime amitié, elles décident de s'évader pour vivre libres ensemble. Anne-Marie dit à son amie : “ Quoi qu'il arrive, nous nous retrouverons le 1er novembre 1953, à minuit, devant l'Obélisque de la Concorde. ” Anne-Marie, qui prépare la première partie du baccalauréat (2), réussit à s'échapper le soir de l'oral et arrive à Paris le 13 juillet 1953. Comme il lui faut subsister, elle reconnaît vite les quartiers qui lui feront perdre et gagner sa vie. Dans le carnet vert qui lui tient lieu de journal, elle écrit : “ Je ne saurais très bien dire comment j'ai passé ma première semaine, toute seule dans la ville. Bien sûr, j'ai couché avec un tas de types et j'ai eu pas mal d'aventures, mais ceci n'est pas moi-même. Ceci, c'est la lutte pour la vie, la mise à profit de la bêtise et de la bestiale sensualité des hommes. En cela au moins, Paris ne diffère pas des autres contrées. Je ne voulus suivre personne pour qui je n'eusse pas d'intérêt. Je voulais être seule, pour me faire une impression toute personnelle et spontanée de ce que je voyais ” (3).

A la date et à l'heure prévues, Emilienne se trouve au pied de l'Obélisque. Elle s'est enfuie de la maison d'éducation surveillée de Han-sur-Seille (Meurthe-et-Moselle), où on l'avait transférée. Au bureau d'un hôtel élégant de la rue Lauriston, Émilienne et Anne-Marie se sont inscrites sous des noms d'emprunt. Le décor de leur vie désordonnée et exaltante sera maintenant constitué par les hôtels sordides du boulevard Sébastopol, les couloirs blancs de Saint-Lazare, les “ cages ” des commissariats où échouent les filles, les soirs de rafles, et dont elles peuvent se sortir sans mal grâce aux faux papiers qui les vieillissent. Les deux compagnes, qu'on croirait voir issues toutes brûlantes du cerveau de Sade, vont se plonger dans l'avilissement, avec une rage désespérée. Leur turpitude prend une forme intellectuelle, raffinée (4) ; elles fréquentent les galeries d'art et les bibliothèques, lisent les oeuvres de Baudelaire et de Rimbau d. Jamais elles ne voudront s'établir - comme cela arrive chez la plupart des oisifs - dans la sécurité misérable d'une vulgarité où elles s'abandonneraient aux contraintes monstrueuses et asphyxiantes


(1) Cf. France-Dimanche n° 383, du 27 décembre 1953 ; Le Parisien Libéré, 19 et 22 décembre 1953, 22 et 23 novembre 1955 ; France-Soir, 23 et 25 décembre 1953.

(2) Où, pour comble de dérision, elle sera reçue, quelques jours avant le procès, avec la mention “ Bien ” (cf. France-Dimanche, vers le 3 octobre).

(3) Plus tard, Anne-Marie expliquera l'attraction qu'exerçait sur elle le “ milieu ” : “ le seul à être franc et vrai, donc juste ; j'adore les hommes qu'on y rencontre, tigres charmants, et les femmes gorgées de sang et d'alcool ”.

(4) Anne-Marie écrit des poèmes érotiques.


de la “ vie pratique ”. Bien au contraire, face à la passivité générale et à une domestication qui règne aujourd'hui dans la quasi-totalité de la jeunesse, Anne-Marie et Émilienne échappent au “ vertige ”. Loin de chercher une évasion dans le vice qui ne serait qu'un nouvel asservissement, elles désirent être libres, éperdument. Cette liberté extrême et naturelle, cette irrévérence envers toutes les opinions et usages conventionnels se manifestent chez les deux adolescentes par un penchant pour la farce, la plaisanterie dite “ de mauvais goût ” et la mystification poussée jusqu'à l'outrance. Le carnet vert d'Anne-Marie relate avec un humour acerbe les circonstances de leurs distractions. Leurs expériences, leurs révoltes, leurs dégoûts, leurs servitudes de filles de joie s'y trouvent minutieusement consignés. Par la subversion sans mesure qui éclate en gerbes d'étincelles crépitantes, ce “ signe de vie ” exemplaire semble être, répercuté et assourdi, l'écho du plus ténébreux et illuminant naufrageur de tous les siècles, Lautréamont : “ J'ai fait un pacte avec la prostitution afin de semer le désordre dans les familles. ”

La nuit, Anne-Marie et Émilienne sont aux Ternes, à Pigalle, à la Madeleine. Le jour, elles font de longues promenades au bord de la Seine, dans les squares, sur les places publiques, transfigurant la banalité quotidienne en merveilleux : “ Mardi 3 novembre : sur les quais de la Seine, simulacre de noyade qui fait accourir deux sauveteurs improvisés, jeunes étudiants. Nous projetons de faire le mur du Père-Lachaise pour dévaliser les macchabées. Goût de meurtre dans les Arcades de la rue de Rivoli ” (sans doute devant les boutiques ?). “ 5 novembre : nous profitons de nos fonds pour lancer un appel téléphonique à Marseille. Nous voulons seulement donner des cauchemars à Mère X... de Sainte-Thérèse d'Avila. A Clichy, simulons une descente de police, chez les clodos roupillant dans une bouche de métro. ”

Lors de la reconstitution de l'agression, les deux “ indésirables ” gardèrent la même attitude, magnifiques d'orgueil et de cynisme. Au juge d'instruction, Anne-Marie déclara, imperturbable : “ Je n'ai pas encore eu le temps d'avoir des remords, mais, si j'en avais un jour, je ne manquerais pas de vous le faire savoir. ” La dernière page du carnet a la forme d'un constat : “ Si nous récapitulons, nous avons connu tout ce qui peut s'appeler vivre : émotions fortes, plaisirs, chance, argent, misère, peines, ennui. Là-dessus, tout le pittoresque, la beauté de notre double vie, cette âpre lutte pour le pain qui est basse à nos yeux, et encore plus à ceux du monde, pervers et incompréhensif. Nous sommes deux et c'est là le bonheur. Le bonheur se limite à nous deux. Trente-trois ans à nous deux et la liberté essentielle tant désirée. ”

Les éducateurs spécialistes de l'enfance délinquante et de ses problèmes auront beau “ se pencher sur ce cas intéressant ”, nous savons tous que la morale à venir gît en puissance dans la dépravation des moeurs et que le premier voeu du Surréalisme, loin d'être assouvi, devient chaque jour plus dévorant : il faut démoraliser. Par le défi lancé aux immenses supercheries d'une société en “ matière plastique ”, le présent témoignage se suffit à lui-même. A cette heure blafarde où, les dernières feuilles mortes finissant de tomber, les individus recroquevillés comme des escargots s'abandonnent déjà au sommeil hivernal, devrait-on rappeler une fois encore que la réalité de notre monde en décomposition ne peut être retrouvée qu'en la recréant sans cesse à notre mesure ? En ces deux figures de femmes “ perdues ”, dans leur sillage de lumière noire, se condense pour nous l'image fulgurante des véritables aspirations de notre temps.

Jacques Sénelier.

20 novembre 1955.

[Le Surréalisme, même n° 1, octobre 1956.]


HONGRIE, SOLEIL LEVANT

La presse mondiale dispose de spécialistes pour tirer les conclusions politiques des récents événements et commenter la solution administrative par quoi l'O.N.U. ne manquera pas de sanctionner la défaite du peuple hongrois. Quant à nous, il nous appartient de proclamer que Thermidor, juin 1848, mai 1871, août 1936, janvier 1937 et mars 1938 à Moscou, avril 1939 en Espagne, et novembre 1956 à Budapest, alimentent le même fleuve de sang qui, sans équivoque possible, divise le monde en maîtres et en esclaves. La ruse suprême de l'époque moderne, c'est que les assassins d'aujourd'hui se sont assimilé le rythme de l'histoire, et que c'est désormais au nom de la démocratie et du socialisme que la mort policière fonctionne, en Algérie comme en Hongrie.

Il y a exactement 39 ans, l'impérialisme franco-britannique * tentait d'accréditer sa version intéressée de la révolution bolchévique faisant de Lénine un agent du Kaiser ; le même argument est utilisé aujourd'hui par les prétendus disciples de Lénine contre les insurgés hongrois, confondus, dans leur ensemble, avec les quelques éléments fascistes qui ont dû, inévitablement, s'immiscer parmi eux. Mais en période d'insurrection, le jugement moral est pragmatique :

LES FASCISTES SONT CEUX QUI TIRENT SUR LE PEUPLE. Aucune idéologie ne tient devant cette infamie : c'est Gallifet lui-même qui revient, sans scrupule et sans honte, dans un tank à étoile rouge.

Seuls de tous les dirigeants “ communistes ” mondiaux, Maurice Thorez et sa bande poursuivent cyniquement leur carrière de gitons de ce Guépéou qui a décidément la peau si dure qu'il survit à la charogne de Staline.

La défaite du peuple hongrois est celle du prolétariat mondial. Quel que soit le tour nationaliste qu'ont dû prendre la résistance polonaise et la révolution hongroise, il s'agit d'un aspect circonstanciel, déterminé avant tout par la pression colossale et forcenée de l'Etat ultranationaliste qu'est la Russie. Le principe internationaliste de la révolution prolétarienne n'est pas en cause. La classe ouvière avait été saignée à blanc, dans sa totalité, en 1871, par les


* Qui vient de donner sa mesure en Egypte, selon ses techniques les plus éprouvées.


Versaillais de France. A Budapest, face aux Versaillais de Moscou, la jeunesse - par-delà tout espoir rebelle au dressage stalinien - lui a prodigué un sang qui ne peut manquer de prescrire son cours propre à la transformation du monde.

Anne Bédouin, Robert Benayoun, André Breton, Adrien Dax, Yves Elléouët, Charles Flamand, Georges Goldfayn, Louis Janover, Jean-Jacques Lebel, Gérard Legrand, Nora Mitrani, Benjamin Péret, José Pierre, André Pieyre de Mandiargues, Jacques Sautès, Jean Schuster, Jacques Sénelier, Jean-Claude Silbermann.

[Novembre 1956.]


APPEL EN FAVEUR D'UN CERCLE INTERNATIONAL DES INTELLECTUELS RÉVOLUTIONNAIRES

LE RÔLE PROPRE DES INTELLECTUELS DANS LE MOUVEMENT RÉVOLUTIONNAIRE.

Des événements d'une immense importance, ceux de Hongrie au premier rang, viennent de bouleverser le monde : ils nous mettent en face de nos responsabilités. En Pologne, en Hongrie, aux côtés des travailleurs en mouvement, les écrivains, artistes, professeurs, étudiants se sont engagés sans réserve dans le combat pour la vérité. Ils ont réussi à briser les tabous qui interdisaient, sous le couvert de la défense du communisme, toute revendication véritablement communiste. Leur contribution à la lutte révolutionnaire a été décisive. Ils ont fait la preuve à nouveau que la pensée et la parole sont une action.

Ces événements dont l'importance n'est comparable qu'à celle de la Commune ou de la Révolution Russe, nous délivrent d'une véritable oppression que nous subissions tous plus ou moins. Ils rendent les intellectuels révolutionnaires à leur tâche propre d'intellectuels : chercher la vérité et la dire publiquement sans tenir compte d'aucun interdit, soumettre les événements contemporains à un examen critique rigoureux, dénoncer les falsifications d'où qu'elles viennent, les mystifications où qu'elles soient, mettre en question le présent dans la perspective d'un changement radical des conditions existantes. Compte tenu de l'oppression dont se ressentait la pensée elle-même, il n'est pas exagéré de nommer cette tâche : libération de la pensée révolutionnaire, démocratisation de la pensée socialiste.

Il dépend de nous de précipiter la défaite d'un mensonge qui n'est plus tout-puissant. Nous appelons tous ceux qui n'ont pas renoncé au projet révolutionnaire à reprendre ce combat longtemps déserté et que Saint-Just appelait “ l'insurrection de l'esprit humain ”.

PRINCIPE D'UNE ENTENTE

L'union que nous souhaitons ne comporte aucune exclusive. Elle se fonde simplement sur la reconnaissance de certains principes.

L'exploitation de l'homme par l'homme pose le problème fondamental de notre époque.

Ce problème n'a été résolu par aucun des régimes existants, qu'ils soient capitalistes ou se disent socialistes. Bien au contraire. D'une part - tandis que persiste l'oppression coloniale sous sa forme traditionnelle - se développent de nouvelles formes de domination impérialiste, et d'autre part, dans le monde entier, apparaissent de nouvelles formes d'exploitation des travailleurs.

Cette exploitation qui sévit partout dans le monde, nous savons que de simples réformes ne visant qu'à aménager les structures sociales actuelles sont impuissantes à la supprimer.

FONCTION, ACTION ET EXTENSION DU CERCLE

Nous appelons à nous rejoindre dans un Cercle, non seulement les intellectuels libres de toute appartenance politique, mais aussi ceux qui militent dans les organisations, groupes ou partis d'extrême-gauche - et qui sont disposés à participer sans préjugé à un travail commun.

Notre tâche n'est pas de créer un parti nouveau, ou de définir un programme politique complet. Il serait insensé de croire qu'une telle initiative puisse revenir à un groupement d'intellectuels. Le Cercle que nous fondons se propose essentiellement, dans un nouveau climat de pensée, d'instituer un débat permanent entre les intellectuels révolutionnaires, de tous les pays et de toutes les cultures, sans aucune exception. Ceux qui s'exposeraient à la répression du régime sous lequel ils vivent en se manifestant ainsi pourront garder l'anonymat dans leurs travaux.

Ce Cercle se réserve d'intervenir chaque fois que les événements l'exigeront, contre les propagandes officielles, leurs dissimulations, leurs déformations, leurs mensonges. Mais son principal effort portera sur un travail plus radical et de plus longue haleine : l'étude de toutes les questions qui suscitent la théorie, la pratique et les perspectives révolutionnaires.

Les problèmes nés du mouvement ouvrier attendent, non pas d'être définitivement résolus, mais d'être solidement posés et clarifiés. En tout premier lieu nous nous consacrerons à ceux qui nous paraissent commander aujourd'hui la réflexion révolutionnaire.

  • Le problème du Pouvoir (dictature du prolétariat et démocratie ; fonction des Conseils de travailleurs ; destin de l'appareil d'Etat).
  • Le problème de l'organisation socialiste de l'économie (conditions et contenu d'une planification socialiste ; ce que signifie une gestion ouvrière de l'économie).
  • Le problème du ou des partis révolutionnaires.
  • Le problème de l'évolution actuelle du capitalisme (comment apprécier les changements survenus dans l'économie, dans la technique et dans les couches sociales).
  • Le problème de l'exploitation coloniale et des formes nouvelles de domination impérialiste.
  • Le problème de la fonction sociale de la pensée et de l'art (liberté de recherche et de création et orthodoxie ; le totalitarisme idéologique ; la culture dans une société socialiste).

Que ceux qui partagent nos refus, nos exigences et nos espoirs - quelles que soient leurs opinions sur des points politiques particuliers - sachent trouver la voie que nous ont ouverte les intellectuels hongrois et polonais.

Paris, Novembre-Décembre 1956. (1)


(1) A la date du 26 février 1957, seront signataires de cet Appel : Robert Antelme, Kostas Axelos, André Breton, Aimé Césaire, Jacques Charpier, Pierre Chaulieu, Robert Chéramy, Hubert Damisch, Jean Duvignaud, Edouard Glissant, Claude Lefort, Gérard Legrand, Michel Leiris, Dionys Mascolo, Albert Memmi, Edgar Morin, Maurice Nadeau, Benjamin Péret, J.- F. Rolland , Benno Sarrel, Jean Schuster, Joseph Tubiana, Elio Vittorini. (N.D.E.)