MÉLUSINE

Tracts surréalistes, Tome II, 1952-1954


1952-1954

BAS LES MASQUES !
BAS LES PATTES !

Voici donc Alfred Jarry sacré, de par l'autorité de MM. Charbonnier et Trutat, protégés par la soutane d'un R.P., “ un de nos plus grands poètes chrétiens ”. La protestation élevée par l'un d'entre nous (“ Arts ” du 21-12-51) contre l'émission “ Bonjour, M. Jarry ” que diffusait, le 5-12, la Chaîne nationale vient de contraindre ces individus à se démasquer complètement, en réitérant par écrit leurs allégations mensongères.

Nous enregistrons leurs affirmations comme autant d'aveux de la sale besogne à laquelle ils se livrent en essayant de vider de son contenu subversif une oeuvre comme celle de Jarry, qui met en péril les assises intellectuelles et sensibles du système répressif qu'on nous impose ; en tentant de retourner contre la pensée même qui anime cette oeuvre son non-conformisme absolu et de la faire servir, rendue méconnaissable par l'ignoble cuisine qui diffère si peu de celle de la police, à l'édification la plus conformiste.

Il resterait à savoir si ces procédés diffamatoires sont connus dans tous leurs détails par des directeurs de chaîne ou de programme qui ne désirent sans doute pas couvrir de leur autorité les faux et usages de faux commis par de petits arrivistes.

Face au détournement et à l'avilissement systématiques de toutes les valeurs qui sont la négation de cette société, il est urgent de poser la question du DROIT DE REPONSE RADIOPHONIQUE. Existe-t-il, oui ou non, un droit de réponse à la radio ? S'il en existe un, nous réclamons qu'une émission, autant que possible de même durée, à la même heure, sur la même chaîne, soit consacrée à la diffusion de textes de Jarry non truqués, non commentés, non bruités au clairon. Ce qu'offre au lecteur n'importe quelle anthologie honnête, il ne semble pas outrancier de l'attendre de la radio. Nous réclamerions, de même, que justice soit rendue à tous ceux dont nous tenons nos meilleures raisons d'être, au cas où des chiens se mêleraient de les malmener à l'abri des murs insonorisés des studios.

NOUS METTONS SOLENNELLEMENT AU DÉFI LES TRUTAT, CHARBONNIER ET CONSORTS DE PERPETRER LEURS EXPLOITS EN SÉANCE PUBLIQUE.

Jean-Louis Bédouin, Robert Benayoun, André Breton, Adrien Dax, Guy Doumayrou , Jacqueline et Jean-Pierre Duprey, Jean Ferry, Georges Goldfayn, Jindrich Heisler, Adonis Kyrou, J. Lambert, Gérard Legrand, Nora Mitrani, Benjamin Péret, Maurice Raphaël, Bernard Roger, Jean Schuster, Anne Seghers, Roland Sig, Toyen, Michel Zimbacca.

[Le Libertaire, 4 janvier 1952.]


A L'ASSASSIN !

L'exposition de l'art mexicain des temps précolombiens à nos jours, organisée par Fernando Gamboa (1), comporte une salle réservée à David Alfaro Siqueiros. Il importe que le public soit informé de la personnalité de cet exposant.

David Alfaro Siqueiros est un stalinien militant de longue date. On le voit participer à la guerre d'Espagne dans la brigade de Lister, “ de sinistre mémoire ” (Victor Serge). Revenu au Mexique après la défaite espagnole, il dirige la nuit du 24 mai 1940 un assaut donné contre la résidence de Léon Trotsky. Cette nuit-là, un groupe de staliniens revêtus d'uniformes de la police que Siqueiros leur avait procurés et commandés par un major (Siqueiros) et un lieutenant se présentait au poste de garde chargé par le président Cárdenas d'assurer la sécurité de Léon Trotsky. En un instant, les vrais policiers étaient désarmés et ligotés et les staliniens pénétraient dans la maison, armés de mitraillettes et de bombes incendiaires. Plus de soixante coups de feu furent tirés et le petit-fils de Léon Trotsky, alors âgé d'une dizaine d'années, fut blessé tandis qu'un des secrétaires de l'ancien commissaire du peuple, Robert Sheldon Harte, était enlevé. Son corps devait être retrouvé le 25 juin à quelques kilomètres de là, dans une masure louée par Leopoldo et Luis Arenal, beaux-frères de Siqueiros. Le cadavre entouré de chaux, portait la trace de deux balles. “ Il fut tué pendant son sommeil ” (Victor Serge). Arrêté le 4 octobre suivant par le Général Sanchez Salazar, Siqueiros fut remis en liberté provisoire sous caution en avril 1941 et s'enfuit en avion le 5 mai, grâce à la complicité de Pablo Neruda, alors consul général du Chili au Mexique, qui fut même soupçonné d'avoir permis que les staliniens se déguisent en policiers à son domicile.

L'enquête montra que Siqueiros avait agi sous les ordres d'un certain Felipe qui disparut aussitôt après l'attentat. Siqueiros avait été, de toute évidence, en rapport avec Jackson Mornard qui devait assassiner Trotsky le 20 août 1940, puisque l'adresse donnée par Mornard à sa compagne était celle d'un bureau loué par Siqueiros.

Rentré au Mexique en 1947, après un séjour de six ans au Chili, Siqueiros déclarait au journal Excelsior, de Mexico, le 23 mai 1947 : “ Je n'ai jamais décliné et je ne déclinerai jamais la responsabilité qui m'incombe dans


(1) Fernando Gamboa et sa compagne Zaradina Libovitch (alias Suzana Steel, alias Suzana Gamboa), tous les deux staliniens, se sont distingués en 1939, alors qu'ils avaient la confiance du ministre stalinien du Mexique à Paris, Narcisso Bassols, en empêchant, contre les instructions du président Cárdenas, le départ pour le Mexique de réfugiés espagnols non staliniens qu'ils allaient jusqu'à faire descendre des navires où ils avaient réussi à embarquer. De nombreux réfugiés espagnols leur doivent d'avoir connu les camps de concentration hitlériens où certains d'entre eux ont péri.


cette affaire (l'assaut du 24 mai 1940 et l'assassinat de Robert Sheldon Harte), tout en affirmant que j'ai agi en franc-tireur. Je dois constater que je tiens ma participation pour un des plus grands honneurs de ma vie. ” A cette époque, le dossier de son affaire avait déjà été subtilisé par les staliniens.

David Alfaro Siqueiros ne peut être qu'un agent de la police (N.K.V.D.). Il vient de faire un séjour de plusieurs mois derrière le rideau de fer. Sa présence dans une exposition et la place qui lui est accordée s'expliquent uniquement par les intérêts politiques des organisateurs. Sa participation à cette exposition, par ailleurs admirable, constitue une provocation qu'il importe de dénoncer. Elle est inadmissible à tous égards et nous oblige à élever la plus véhémente protestation.

MOUVEMENT SURREALISTE. FEDERATION ANARCHISTE. UNION OUVRIERE INTERNATIONALE. GRUPO DE COMBATE REVOLUCIONARIO (Espagne). PARTI COMMUNISTE INTERNATIONALISTE.

N.B. : Consulter : Victor Serge : Vie et Mort de Trotsky ; Général Sanchez Salazar, ancien chef du service secret mexicain, et Julian Gorkin : Ainsi fut assassiné Trotsky.

[Le Libertaire, 23 mai 1952.]


ÉTOILE DOUBLE

Lettre à un groupe de militants (1)

Chers Camarades,

Il y a quelques semaines, l'un d'entre nous essayait de dégager ici même le sens de la rencontre entre Anarchistes et Surréalistes. Nous avons accueilli très favorablement votre article relatif à ce texte, publié dans le dernier numéro du Libertaire, parce qu'il témoigne d'un vif intérêt suscité par le Surréalisme dans les milieux militants anarchistes et montre ainsi qu'une possibilité de dialogue s'offre à nous désormais. Un tel dialogue se doit toutefois de ne pas engendrer une confusion qui risquerait de sévir si nous ne prenions soin, au préalable, de réaffirmer notre position irréductible à l'égard de ce qu'on nomme “ littérature engagée ”, “ poésie de circonstance ”, “ art réaliste socialiste ”. C'est ainsi que nous croyons nécessaire d'en venir à l'essentiel, alors que nous aurions aimé répondre point par point à votre article.

Le Surréalisme entend ne jamais confondre l'attitude révolutionnaire qui est sienne sur le plan social et son attitude poétique en général, non moins


(1) De la Fédération Anarchiste. (N.D.E.)


révolutionnaire, mais se définissant sur un plan différent. Nous avons maintes fois motivé cette volonté et nous vous demandons de vous reporter à Position politique du Surréalisme, au Déshonneur des Poètes et au billet surréaliste du 25-2-52. En bref, nous estimons que la poésie authentique est révolutionnaire en soi et que la soumettre à une configuration circonstancielle (par exemple, en mettant les choses au mieux, lui assigner pour tâche l'exaltation d'un soulèvement révolutionnaire) équivaut à la fois à une stérilisation de la poésie et à une édulcoration du mouvement révolutionnaire.

Vous n'ignorez pas que toutes les factions réactionnaires espèrent ainsi régler son compte à l'expression poétique (voir les odes de M. Claudel à Pétain, à de Gaulle, aux parachustistes d'Indochine et celles de M. Eluard au Congrès du Parti Communiste et à Staline). Que penseriez-vous de nous, camarades, si nous en passions par leurs moyens ? Mais peut-être objecterez-vous que les moyens importent peu, que c'est le choix du sujet qui prime ? A cela, nous répondrons qu'un poème à la gloire des militants anarchistes assassinés par Franco ne ferait qu'éclabousser leur mort parce que : 1° la poésie ne peut, sous peine de se nier, exploiter sentimentalement un fait particulier, historique et objectif qui nous bouleverse de lui-même et que, 2°, de tels moyens menant habituellement à l'apologie de la canaille sont eux-mêmes définitivement avilis.

Une fois pour toutes, notre démarche poétique se poursuit sur un autre plan, ce qui ne nous empêche nullement de prendre part, individuellement ou collectivement, aux manifestations et aux débats d'ordre purement politique et social, bornons-nous à citer la série d'articles que l'un d'entre nous vient d'écrire dans Le Libertaire sur le syndicalisme. Ces deux aspects de notre activité sont inséparables, mais distincts et complémentaires. L'un et l'autre tendent, comme il est souligné dans le billet mis en cause, “ à la restitution intégrale des pouvoirs dont l'homme a été spolié ”. Vous trouvez cette phrase vague. Est-il nécessaire, camarades, chaque fois que nous formulons une exigence de ce caractère, de répéter qu'à nos yeux elle ne saurait être satisfaite sans la révolution sociale ?

Vous nous reprochez également de n'être point clairs. Ceci ne porte pas, croyons-nous, sur notre collaboration au Libertaire mais plutôt sur nos recherches spécifiquement surréalistes, c'est-à-dire poétiques et picturales. Or, les notions de clarté et d'obscurité, d'accessibilité et d'inaccessibilité qui se justifient pour toutes les disciplines rationnelles de l'esprit n'ont absolument pas cours en poésie et en art. La poésie passe ou ne passe pas et ceci indépendamment du degré de culture de celui qui a maille à partir avec elle. Il en va de celui-là comme d'une matière dont on peut dire qu'elle est ou n'est pas bonne conductrice d'électricité. La poésie est, pour ne pas abandonner cette analogie, lorsqu'il y a court-circuit entre l'image qu'elle propose et celle que l'homme se fait du monde et de lui-même. Il n'existe pas de clé modèle standard apte à ouvrir tous les individus au choc poétique. Qui ne se trouve pas d'emblée avec Rimbaud dans “ les pavillons en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ”, avec Jarry et sa “ chauve-souris, doublure de sexe tentaculaire, fourré de chevreuil, desséchant dans un grimoire sa main de gloire ”, ou avec Lautréamont pour assister à l'apparition du passant “ beau comme... la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie ” s'aliène, dans une large mesure, la possibilité de recevoir le message poétique. Et qu'on nous comprenne. Nous soutenons que la réception de ce message n'est pas l'apanage exclusif des intellectuels et qu'il a, de toutes manières, plus de chances de s'épanouir dans les centres d'apprentissage que dans les bureaux des Temps Modernes.

Il convient par ailleurs de dissiper une équivoque concernant le mot hermétisme. Vous n'êtes pas sans savoir qu'il désigne une tradition philosophique, scientifique et poétique remontant à l'antiquité et qui nous est parvenue grâce à son occultation car elle est opposition révolutionnaire aux modes de penser définis en Occident par l'amalgame du christianisme et du rationalisme. Sur ce point encore, nous pensons nous être expliqués avec suffisamment de clarté (B.S. du 30-11-51). Mais il semble que le mot hermétisme soit employé par vous dans son acception la plus commune et la plus large, englobant tout ce qui échappe à la compréhension rationnelle.

Il nous aurait été utile de connaître votre conception de l'art. Nous savons que vous ne pouvez vous rallier à celle des staliniens qui consiste à redorer le blason de l'académisme. Vous avez tous vu les “ chefs-d'oeuvre soviétiques ” où l'imagination est résolument bannie, où sont reproduites avec une plus ou moins grande minutie (mais c'est elle qui est ici le critère) les attitudes humaines les plus conventionnelles, l'apparence la plus dérisoire des objets. Ces tableaux, nous n'en doutons pas, sont fort compréhensibles. Une toile portant le titre : Réunion du politburo représente effectivement une réunion du politburo. Mais, passée la petite satisfaction de reconnaître parmi ces Messieurs peints Staline, Molotov, Vorochilov, que devient le désir, qui possède tout homme à quelque degré, de découvrir au-delà du monde connu l'image d'un monde perpétuellement nouveau dont il ne serait plus le témoin médusé mais tout à la fois l'habitant et l'explorateur ? Est-ce l'abdication de ce qui qualifie réellement un artiste : l'imagination, la sensibilité, que vous exigez des peintres surréalistes ? Et cela, parlons franchement, parce que vous n'auriez pas su vous débarrasser des oeillères imposées par des siècles d'obscurantisme, alors que vous avez pris parfaitement conscience du joug de l'oppression capitaliste et de la nécessité de le jeter bas. En tant que révolutionnaires, vous ne pouvez demeurer plus longtemps tributaires d'une sensibilité frelatée qui vous met malgré vous, sur le plan artistique, dans le même camp que vos ennemis, les apôtres du conservatisme social. Ceux-ci ne s'y trompent guère ; ils ont depuis longtemps réalisé le danger révolutionnaire que représente l'art moderne et s'emploient à le conjurer de deux manières : les uns en ne cessant depuis trente ans de l'accabler de leurs sarcasmes ; les autres, plus habiles, en s'assurant le concours très spécial de quelques artistes qui ne demandent qu'à être corrompus (2) et peuvent ainsi se targuer sans inconvénient d'idées “ avancées ” en matière d'art. Ce qui ne fait qu'ajouter à la confusion intellectuelle régnante.

L'art doit exprimer le contenu latent - en d'autres termes ce qui est secret, indicible en chacun de nous. Il est en un certain sens le propagateur d'une étrange beauté qui, dans l'homme, a su jusqu'à ce jour se soustraire aux coups de ceux qui entendent en finir avec l'homme. Vouloir lui faire exprimer


(2) Mais ils cessent alors d'être des artistes pour devenir des commerçants.


le contenu manifeste ne peut que l'exposer à ces coups ; l'art perdrait alors sa qualité de toujours qui est de défier par sa nature même toutes les formes d'oppression.

Nous nous sommes fréquemment expliqués avec la plus grande précision sur ces problèmes et lorsque vous déclarez que c'est aux Surréalistes de répondre aux questions des militants concernant le Surréalisme, nous avons conscience que chacun de nos billets tend à nous situer sur un point particulier et que l'ensemble, ainsi que le choix de citations de plusieurs d'entre nous recueillies dans Le Libertaire du 16-11-51 sous le titre : “ Ce que pensent, ce que veulent les Surréalistes ”, doivent donner aux militants de la F.A. une idée assez exacte du Surréalisme aujourd'hui.

En outre, nous avons toujours recommandé à nos camarades de prendre connaissance des grandes oeuvres poétiques sans lesquelles aucune compréhension de notre mouvement n'est possible. (Voir B.S. du 11-1-52 : “ Baudelaire, Rimbaud, Jarry, que tous nos jeunes camarades libertaires devraient connaître comme tous ils devraient connaître Sade, Lautréamont, le Schwob du Livre de Monelle. ”)

L'Anarchisme, écrivez-vous plus loin, a dépassé le stade de la révolte et lutte pour une révolution totale. Notre attitude, sur ce point, n'a jamais varié et récemment encore nous avons pu l'exposer en détail dans la plaquette Révolte sur mesure. En résumé, il est évident, pour nous, que le stade de la révolte doit être dépassé ; nous avons toujours considéré et la F.A. et le Surréalisme comme des mouvements révolutionnaires et non pas uniquement comme des pôles de révoltes individuelles. Mais nous affirmons que le révolutionnaire doit toujours être révolté sous peine de devenir bureaucrate. C'est pourquoi, mettre l'accent sur la révolte totale ne préjuge nullement un sort fait à l'idée de révolution, mais témoigne seulement du souci de maintenir en nous un feu vivant qui nous préserve de toute soumission à un idéal qui, si magnifique soit-il, ne manquerait pas, sans la révolte, de se transformer tôt ou tard en dogme.

Lorsque d'autre part nous nous sommes servis de l'expression “ éléments spécialisés ”, c'est au sens faible du terme qu'il fallait l'entendre, dans la mesure où l'on peut dire du Surréalisme que le domaine sensible est plus de son ressort que le domaine social, mais sans préjudice du fait que sa place est marquée dans la lutte sociale, sans cela que ferions-nous parmi vous, camarades ? De même, si l'Anarchisme est un tout, il est hors de doute que c'est sur le plan économico-social que se produit avant tout son intervention. Ici encore, les deux mouvements sont complémentaires.

Nous n'espérons pas non plus avoir fait le tour de la question. Nous pensons toutefois avoir montré qu'une volonté révolutionnaire commune doit, selon un critère d'efficacité qui corrobore en ce cas le critère moral, s'exprimer différemment suivant qu'on se place sur le plan social et politique ou sur le plan sensible et poétique.

Fraternellement.

Jean-Louis Bédouin, André Breton, Adrien Dax, Georges Goldfayn, Gérard Legrand, Benjamin Péret, José Pierre, Jean Schuster, François Valorbe.

Octobre 1952.


[EXPOSITION TOYEN]

Mariée au plissé d'une feuille, la volute d'un corps de femme oppose à la décrépitude des apparences l'éternelle jeunesse du monde.

J.-L. Bédouin.

Thé de liber, la taie du lit de l'étang de Berre, les temps de la liberté.

J. Schuster.

Elle ne dort pas et voit ses rêves dans les pierres.

B. Péret.

L'eau a brûlé le feu qui a brûlé les miroirs. L'étoile végétale va paraître.

B. Roger.

La langue de l'eau, comme un ver luisant, se love dans une touffe de vent étalée pile et face.

G. Goldfayn.
L'image rêvée lui offrirait à son tour cette unique paire de gants blancs que l'initié ne pouvait donner qu'une seule fois dans sa vie, à celle qu'il estimait le plus.
Trost.

Un rayon de soleil silencieusement s'évapore de petits pots d'émail bleu, oubliés sur les fenêtres et sur les rebords des façades.

J. Heisler.

Un monde perdu se retrouve sur l'eau de deux regards croisés.

G. Doumayrou.

Le nid de varech dresse l'oeuf des vitres brisées, où va s'allumer l'éternité.

G. Legrand.

Et dans sa bague toutes les sourdes combustions d'où va jaillir le printemps.

A. Breton.

Ses doigts jouent avec le sourire des oiseaux.

A. Kyrou.

La rose du spectre agrafe la robe vivante.

J. et J.-P. Duprey.

[5 mai 1953.]


FACE À LA MEUTE

Le 21 novembre dernier, les assises de la Seine ont condamné aux travaux forcés à perpétuité Pauline Dubuisson, 26 ans, meurtrière de son amant, à l'issue d'un procès qui restera un modèle dans le genre scandaleux.

Jamais on n'avait vu le Président, le Ministère public, la partie civile ainsi que les témoins à charge mettre un tel acharnement, une telle frénésie dans l'accomplissement de leur sinistre tâche. Venaient se joindre à eux les âmes serves d'une certaine presse, parmi lesquelles, hurlant plus fort que les autres, il faut distinguer l'ordure stalinienne Madeleine Jacob, de “ Libération ”, et Jean Laborde, de “ France-soir ”, qui nous avait habitués à mieux.

Il semblait véritablement que de la rigueur du verdict dépendait le sort de cette société.

Et sans doute n'était-ce pas une apparence, dans un monde où toute catégorie correspond à une oppression, celle d'une classe par une autre ne dissimulant guère la séculaire exploitation de la jeunesse par les vieillards non plus que l'état de sujétion dans lequel l'homme persiste outrageusement à tenir la femme.

Car, plutôt que de traduire en justice pour détournement de mineure les saligauds universitaires et respectés de la Faculté de Lille qui abusèrent de Pauline Dubuisson lorsqu'elle avait dix-huit ans, on a préféré lui reprocher de s'être donnée à eux pour obtenir ses diplômes. On demandait des comptes à la jeune fille de quinze ans qui rencontrait des Allemands dans la maison de son père : en somme voilà qu'on l'accusait de n'avoir pas eu de conscience nationale.

L'acte de Pauline Dubuisson, conséquence passionnée d'un drame qui dure depuis l'enfance, allait être condamné par ceux-là, MM. Jadin et Lindon, qui acquittèrent, il n'y a pas si longtemps, la femme Chevallier, meurtrière bourgeoise et stupide, héroïne d'un roman à l'eau de rose et protectrice du foyer.

Mais de ce procès immonde, de l'émulation des accusateurs un individu a incarné tous les aspects : c'est Floriot. Qu'un avocat s'efforce de confondre les accusés inspire le plus grand dégoût : il s'ensevelit dans l'abjection. On n'oubliera pas de sitôt Me René Floriot, les procédés inqualifiables (ne serait-ce que la réduction au silence des psychiatres), dont il fit usage au cours des audiences, et, devant la remarquable dignité humaine dont Pauline Dubuisson fit preuve face à ses juges, la morgue de ce personnage donnant des conseils sur la manière de réussir un suicide.

La grande ombre de boue que le nommé Floriot porta sur sa profession fut heureusement dissipée en partie par l'admirable plaidoirie du défenseur de Pauline Dubuisson, Me Baudet, auquel il nous plaît de rendre ici l'hommage le plus sensible.

La Rédaction

[Médium, Communication surréaliste, nouvelle série n° 2, février 1954.]


Ça commence bien !

Messieurs les Critiques, où en est la véritable érudition française ? Le numéro spécial du Bateau Ivre (dépôt à Paris : E d. Messein) consacré au centenaire de Rimbaud a été entièrement rédigé par M. Pierre Petitfils, qu'on put croire naguère un exégète passable. De ces quelques pages, où un vent soufflant des Ardennes a bousculé l'ordre des préséances au point que le “ commerçant ” y tient autant sinon plus de place que “ l'homme de lettres ” (sic), nous ne relèverons pas les diverses énormités : ainsi Rimbaud, vivant portrait de sa mère (p. 14). Il est vrai qu'ici l'iconographie est d'une indigente fantaisie, pour ne pas dire pis, ce qui ne saurait surprendre au souvenir du tableau de Jeff Rosman, véritable inédit celui-là, que M. Petitfils, dans une lettre du 5 avril 1947, déclara être “ incontestablement un faux ”. Ce que devait contredire formellement l'expertise.

Mais notre homme se surpasse d'entrée de jeu : il étudie gravement l'attribution très probable à Rimbaud d'un texte qui serait son premier poème, recopié par lui, ou par quelque peste déjà dévote à sa gloire. “ Il n'y a aucun doute possible, nous sommes en présence d'une composition personnelle d'un écolier d'une douzaine d'années. Tout l'indique... ” Si le manuscrit peut être “ d'Arthur ou de l'une de ses soeurs ” l'esprit qui y règne, “ l'impassibilité déjà parnassienne ”, sont bien d'un garçon :

Superbes monuments de l'orgueil des humains,
Pyramides, tombeaux dont la noble structure
Témoigne que l'art par l'adresse des mains
Et l'assidu travail peut vaincre la nature,

Vieux palais ruinés, chef-d'oeuvre des Romains,
Et les derniers efforts de leur architecture,
Colysée, où souvent deux peuples inhumains
De s'entre assassiner se donnaient tablature,

Par l'injure des ans vous êtes abolis,
Ou du moins la plupart vous êtes démolis !
Il n'est point de ciment que le temps ne dissoudre.

Si vos marbres si durs ont senti son pouvoir,
Dois-je donc m'étonner qu'un méchant pourpoint noir
Qui m'a duré dix ans, soit percé par le coude ?

Le malheur est qu'il s'agit d'un sonnet presque célèbre... de Paul Scarron (1610-1660).

Cette pièce figure en bonne place, non seulement dans les Œuvres (choisies) de Scarron, réimprimées par M. Ch. Bausset en 1877 sur l'édition de 1663 (T. I, p. 80), mais dans l'Anthologie poétique française (XVIIe siècle) de M. Maurice Allem (Paris, Garnier, 1916, T. II, p. 84). Elle est si connue que le grand Larousse Universel du XIXe siècle la reproduit (s.v. Sonnet) à titre de “ curiosité du genre ”. D'après ces versions concordantes, signalons que l'erreur de copie au troisième vers consiste à avoir écrit témoigne au lieu de a témoigné. Au onzième vers, la faute de français qui “ ahurit ” M. Petitfils n'est pas un “ tâtonnement ” mais la transcription maladroite d'un archaïsme. Scarron écrivait : Il n'est point de ciment que le temps ne dissoude (sans r). “ La conjugaison de ce verbe est difficile ” avoue Littré, qui cite ce vers comme exemple, et y ajoute, d'après Ambroise Paré, dissoudant en participe présent : hésitations dues à la similitude des formes latines du subjonctif présent et du futur (je dissoudrai).

On ne peut que regretter la manière dont la mémoire de M. Jules Mouquet est mêlée à cette espièglerie. M. Petitfils s'abrite derrière un brouillon que celui-ci n'aurait pas eu “ l'audace ” (?) ou “ le temps ” de publier. S'il n'a pas le temps de feuilleter un dictionnaire, M. Petitfils par contre ne manque pas d'effronterie. Il découvrirait demain un Rimbaud-Turoldus ou un Rimbaud-Casimir Delavigne que nous n'en serions pas autrement saisis. Au fait, qu'en pensent MM. les membres du Comité de Patronage des fêtes de Charleville, et tout particulièrement M. Georges Duhamel, président des “ Amis (sic) de Rimbaud ”, dont le Bateau Ivre est en principe le bulletin de liaison ? Qu'en pensent les membres du Comité d'Action, parmi lesquels figure M. Pierre Petitfils - on aimerait savoir à quel titre ? Sans doute par voie d'héritage, comme le prouve cette dédicace à son Œuvre et visage d'Arthur Rimbaud :

“ A la mémoire de M. Elysée Petitfils, architecte de la ville de Charleville, auteur du socle du monument élevé à Rimbaud, Square de la Gare, son descendant dédie cet autre monument à la gloire du poète. ”

Et maintenant, bon voyage !

Pour le mouvement surréaliste : Jean-Louis Bédouin, Robert Benayoun, André Breton, Adrien Dax, Charles Flamand, Georges Goldfayn, Simon Hantaï, Alain Lebreton, Gérard Legrand, Nora Mitrani, Wolfgang Paalen, Benjamin Péret, José Pierre, Judith Reigl, Jean Schuster, Anne Seghers, Toyen, François Valorbe.

Pour l'internationale lettriste : Michèle Bernstein, Mohamed Dahou, Guy-Ernest Debord, Jacques Fillon, Gil J Wolman.

[Septembre 1954.]


ENFIN

La honte de ce temps sera, jusqu'à ce 23 novembre 1954, d'avoir permis que sous un déguisement de “ diplomate ” parvienne à se dérober la plus sinistre figure de l'histoire. Au lendemain de sa mort, il reste confondant de voir présenter Vichinsky comme “ un excellent serviteur du régime soviétique ”\*, alors que son nom est la négation forcenée de tous les espoirs que ce régime incarnait et l'émanation même, à son flanc, d'une plaie purulente. Le technicien des “ aveux spontanés ”, le bourreau n° 1 (celui qui réussit à saper l'âme avant le corps), l'assassin bien à l'aise des compagnons de Lénine, le souilleur d'Octobre, un monde, le seul où il soit désirable de vivre, sépare ceux qui étaient sensibles à son “ éloquence ” et ceux qui se félicitent de voir enfin trébucher l'hyène des hyènes.
André Breton et Benjamin Péret.

[Médium, Communication surréaliste, nouvelle série n° 4, janvier 1955.]
Le Monde, 24 novembre 1954.