Tracts surréalistes, Tome I, 1935
1935
DU TEMPS QUE LES SURRÉALISTES AVAIENT RAISON
En adressant leur adhésion collective au « Congrès international pour la défense de la culture », les écrivains surréalistes, qui comptaient participer à une discussion réelle, s'étaient fixé deux objectifs principaux : 1° attirer l'attention sur ce que ces mots seuls : « défense de la culture » peuvent comporter d'inconditionnel et de dangereux ; 2° faire en sorte que toutes les séances prévues ne s'écoulent pas en palabres antifascistes ou pacifistes plus ou moins vagues, mais que soient largement débattues un certain nombre de questions de fond qui demeurent litigieuses, et veulent, à être laissées systématiquement dans l'ombre, que toute affirmation de tendance commune, toute volonté d'action convergente dans la période actuelle ne soient que des mots.
Les écrivains surréalistes, dans leur lettre du 20 avril aux organisateurs, précisaient que pour eux il ne peut s'agir en régime capitaliste de la défense et du maintien de la culture. Cette culture, disaient-ils, ne nous intéresse que dans son devenir et ce devenir même nécessite avant tout la transformation de la société par la Révolution prolétarienne.
Ils demandaient, notamment, que fussent mises à l'ordre du jour du Congrès les questions suivantes : droit de poursuivre, en littérature comme en art, la recherche de nouveaux moyens d'expression, droit pour l'écrivain et l'artiste de continuer à approfondir le problème humain sous toutes ses formes (revendication de la liberté du sujet, refus de juger de la qualité d'une oeuvre par l'étendue actuelle de son public, résistance à toute entreprise de limitation du champ d'observation et d'action de l'homme qui aspire à créer intellectuellement).
Cette volonté d'intervention précise ne rencontra que des obstacles : après avoir obtenu sans difficulté des écrivains surréalistes adhérents qu'un seul d'entre eux prît la parole, on les tint constamment à l'écart des travaux d'organisation et l'on saisit le prétexte dérisoire du règlement - par celui qu'ils avaient désigné pour exprimer leur point de vue - d'un différend personnel tout extérieur au Congrès, pour ne faire figurer aucun de leurs noms sur l'affiche ni sur le programme (*). Ce n'est que sur les insistances très vives de René
(*) Plus d'une semaine avant l'ouverture du Congrès, André Breton rencontrant fortuitement dans la rue M. Ehrenbourg, avait, paraît-il, eu tort de se souvenir de quelques passages de son livre : Vus par un écrivain de l'U.R.S.S., et de lui infliger une correction sévère. On se souvient des drôleries de M. Ehrenbourg : « Les Surréalistes veulent bien et du Hegel et du Marx et de la Révolution, mais ce qu'ils refusent c'est de travailler. Ils ont leurs occupations. Ils étudient, par exemple, la pédérastie et les rêves... Ils s'appliquent à manger qui un héritage, qui la dot de sa femme... Ils ont commencé par des mots obscènes. Les moins malins avouent que leur programme c'est d'embrasser les filles. Ceux qui s'y connaissent un peu comprennent qu'on n'ira pas loin avec cela. Les femmes, pour eux, c'est du conformisme. Ils mettent en avant un autre programme : l'onanisme, la pédérastie, le fétichisme, l'exhibitionnisme, et même la sodomie. Mais à Paris il est bien difficile que même cela étonne quelqu'un. Alors... Freud arrive à la rescousse et les perversions ordinaires sont couvertes du voile de l'incompréhensible. Plus c'est bête, mieux ça vaut ! »
Quelle ne fut pas notre surprise en apprenant que Breton n'avait plus sa place au Congrès, dès lors que la délégation soviétique s'était solidarisée avec notre insulteur ! A qui, des organisateurs du Congrès, blâmait son geste et lui demandait « s'il voulait faire entendre que le recours à la brutalité fut le synonyme de culture », Breton répondit : « Le recours à la brutalité n'est pas plus pour moi "synonyme de culture" que ne l'est le recours à la calomnie la plus abjecte. Le premier ne peut être envisagé dans le cas présent que comme conséquence naturelle du second. Il m'est aussi impossible d'admettre que j'ai offensé, en la personne de M. Ehrenbourg, la délégation soviétique que de me tenir moi-même pour offensé par cette délégation quand paraît un livre intitulé : Vus par un écrivain de l'U.R.S.S. J'ignorais, est-il besoin de le dire, que M. Ehrenbourg, qui vit généralement à Paris, fît partie de cette délégation et je n'ai vu en lui qu'un faux-témoin comme un autre. » Nous pensons que la question est jugée.
Crevel et sans doute en raison de l'acte de désespoir, aux causes mal connues (**), auquel il se livra dans la nuit qui suivit, que l'on permit à Paul Eluard de lire le 25 juin, tout en fin de séance, le texte que primitivement devait lire Breton. Encore le président jugea-t-il bon de l'interrompre à une phrase déterminée pour avertir le public, à ce moment très divisé, mais où les éléments d'obstruction dominaient, que la salle n'étant louée que jusqu'à minuit et demie, il se pouvait que dans quelques minutes l'électricité s'éteignît et que la fin du discours fût reportée, avec la réponse qui y serait faite, au lendemain. Bruyante, servile et inexistante à souhait, mais n'en admettant plus une autre, cette réponse, qui ouvrit le 26 juin la séance de clôture, souligna encore le manque total d'impartialité avec lequel les débats d'un bout à l'autre avaient été conduits.
Nous ne nous étonnons pas, après cela, de voir porter par le journal de M. Barbusse, dans le compte rendu des travaux du Congrès, cette assertion scandaleuse : « Eluard se prononça contre le pacte franco-soviétique et contre une collaboration culturelle entre la France et l'U.R.S.S. ».
Le « Congrès international pour la défense de la culture » s'est déroulé sous le signe de l'étouffement systématique : étouffement des problèmes culturels véritables, étouffement des voix non reconnues pour celles du chapitre. Adressée à cette majorité de nouveaux conformistes à toute épreuve, la phrase du discours d'ouverture de Gide : « Il me paraît à peu près impossible aujourd'hui, dans la société capitaliste où nous vivons encore, que la littérature de valeur soit autre qu'une littérature d'opposition », prenait un sens énigmatique assez cruel. Etouffement partiel des discours de Magdeleine Paz, de Plisnier, escamotage pur et simple de celui du délégué chinois, retrait complet de la parole à Nezval (combien d'autres, instruits de ces méthodes, avaient préféré ne pas être là !) mais par contre - dans l'intervalle d'émouvantes déclarations comme celles de Malraux, de Waldo Franck ou de Pasternak - bain de redites, de considérations infantiles et de flagorneries : ceux qui prétendent sauver la culture ont choisi pour elle un climat insalubre. La manière dont ce Congrès, d'inspiration soi-disant (sic) révolutionnaire, s'est dissous, est exactement à la hauteur de la manière dont il s'était annoncé. Il s'était annoncé par des affiches
(**) Commune, organe de l'A.E.A.R., se fait forte, bien entendu, de dégager « la leçon d'une vie, interrompue par le seul désespoir de ne pouvoir physiquement se maintenir au niveau de cette « actualité immédiate » à laquelle René Crevel entendait donner toute son attention ». Nous laissons à ses auteurs anonymes la responsabilité de cette affirmation toute gratuite, grossièrement pragmatique, foncièrement malhonnête. Quelle « leçon » contraire ne nous autoriserait-elle pas à tirer du suicide de Maïakovsky !
desquelles se détachaient certains noms en plus gros caractères et en rouge ; il a abouti à la création d'une « Association internationale des écrivains pour la défense de la culture » dirigée par un bureau de 112 membres, ayant à sa tête un présidium, bureau qui, selon toute apparence, s'est désigné lui-même puisque sur sa composition n'ont été consultés ni les participants ni les assistants du Congrès.
Ce bureau, cette association, nous ne pouvons que leur signifier formellement notre défiance.
Nous prévoyons l'usage qu'on tentera de faire contre nous d'une telle déclaration. Acharnés à la ruine de la position idéologique qui fut plus ou moins longtemps la leur et est toujours la nôtre, les anciens surréalistes devenus fonctionnaires du Parti communiste ou aspirant à le devenir, gens qui, sans doute pour se faire pardonner leur turbulence passée, ont fait abandon de tout sens critique et tiennent à donner l'exemple de l'obéissance la plus fanatique : être toujours prêts à contredire par ordre ce qu'ils ont affirmé par ordre, ces anciens surréalistes seront, bien entendu, les premiers à nous dénoncer comme des professionnels du mécontentement, comme des opposants systématiques. On sait le contenu révoltant qu'on est parvenu à donner de nos jours à ce dernier grief : se déclarer en désaccord, sur tel ou tel point, avec la ligne officielle du Parti, c'est non seulement faire acte de purisme ridicule, mais c'est desservir l'U.R.S.S., c'est vouloir arracher des militants au Parti, c'est donner des armes aux ennemis du prolétariat, c'est se comporter « objectivement » en contrerévolutionnaire. « Nous ne considérons nullement la théorie de Marx comme quelque chose de parfait et d'inattaquable ; au contraire, nous sommes persuadés qu'elle a donné seulement les bases de la science que les socialistes doivent nécessairement parfaire dans tous les sens s'ils ne veulent pas rester en retard sur la vie ». Lénine, qui s'exprime ainsi en 1899, nous donne par là tout lieu de penser qu'à cet égard il en va aujourd'hui du léninisme comme du marxisme. A tout le moins cette assurance ne nous dispose pas à accepter sans contrôle les mots d'ordre actuels de l'Internationale communiste et à approuver a priori les modalités de leur application. Ces mots d'ordre, nous penserions faillir à notre devoir d'intellectuels révolutionnaires si nous les acceptions avant de les avoir admis. S'il en est que nous ne parvenons pas à admettre, nous faillirions aussi à ce devoir en ne signalant pas que tout notre être y achoppe, que nous avons besoin d'être convaincus pour pouvoir suivre du même coeur.
Nous déplorons, encore une fois, le recours de plus en plus habituel à certains procédés de discrédit qui ont pour effet, dans la lutte révolutionnaire, de fortifier de telles résistances particulières au lieu de les réduire. Un de ces procédés, qui ne fait que venir au secours du précédent, consiste à représenter les divers éléments d'opposition comme un tout organique, presque homogène, animé de sentiments strictements négatifs, bref comme un seul engin de sabotage. Exprimer un doute sur la justesse de quelque instruction reçue que ce soit, suffit à vous faire rejeter dans la catégorie des malfaiteurs publics (c'est du moins pour tels qu'on cherche dérisoirement auprès de la masse à les faire passer) : vous êtes aux ordres de Trotsky, sinon de Doriot. Le socialisme se construit dans un seul pays, on vous l'affirme ; vous devez par suite faire aveuglément confiance aux dirigeants de ce pays. Sur quelque point qu'elle porte, toute objection, toute hésitation de votre part est criminelle. Voilà où nous en sommes, voilà la liberté intellectuelle qui nous est laissée. Tout homme qui pense révolutionnairement a aujourd'hui devant soi une pensée qui n'est pas la sienne, qu'il dépend tout au plus de son ingéniosité de prévoir, qu'il dépend tout au plus de sa souplesse de prétendre justifier au jour le jour.
Dans ce besoin frénétique d'orthodoxie, il nous est impossible, tant pour un homme que pour un parti, de voir autre chose que la marque d'une conscience débile de soi-même. « Un parti s'avère (sic) comme un parti victorieux en se divisant ou en pouvant supporter la division », disait Engels, et aussi : « La solidarité du prolétariat se réalise partout en groupements de partis différents qui se livrent un combat à vie et à mort comme les sectes chrétiennes dans l'Empire romain pendant les pires persécutions ». Le spectacle des divisions du Parti social-démocrate ouvrier de Russie en 1903 et des conflits de tendances si nombreux, si durables qui s'ensuivirent, joints aux possibilités extrêmes de regroupement des esprits les plus divergents - mais intacts - à la faveur d'une situation véritablement révolutionnaire, constitue la plus éclatante vérification de ces paroles. Passant outre aux injures et aux tentatives d'intimidation, nous continuerons nous-mêmes à nous vouloir intacts, et, pour cela, sans prétendre nous garder en toute circonstance de l'erreur, à sauvegarder à tout prix l'indépendance de notre jugement.
Ce droit, dont usèrent si largement les « révolutionnaires professionnels » dans la première partie du XXe siècle, nous en maintenons la revendication intégrale pour tous les intellectuels révolutionnaires, sous réserve de leur participation effective aux efforts de rassemblement que la situation présente, dominée par la conscience de la menace fasciste, peut nécessiter. Notre collaboration à l'Appel à la Lutte du 10 février 1934, conjurant tous les travailleurs, organisés ou non, de réaliser d'urgence l'unité d'action, d'apporter à cette réalisation « le très large esprit de conciliation qu'exige la gravité de l'heure », notre adhésion immédiate au Comité de Vigilance des Intellectuels, notre enquête sur l'unité d'action d'avril 1934, notre présence dans la rue au sein de toutes les grandes démonstrations de force ouvrière, suffisent, pensons-nous, à confondre ceux qui osent encore parler pour nous de « tour d'ivoire ». Nous n'en persistons pas moins à nous définir aussi particulièrement que possible sur le plan intellectuel, nous entendons n'avoir à renoncer sur ce plan à rien qui nous paraisse valable et qui nous soit propre, comme nous nous réservons, si besoin est, en présence de telle décision, de telle mesure qui heurte ce qu'il y a de plus profond en nous, à plus forte raison si la consacre l'approbation d'une collectivité quelconque, toujours facilement abusable, de dire : « Selon nous ceci est injuste, ceci est faux ». Nous soutenons que l'affirmation libre de tous les points de vue, que la confrontation permanente de toutes les tendances, constituent le plus indispensable ferment de la lutte révolutionnaire. « Chacun est libre de dire et d'écrire ce qui lui convient, affirmait Lénine en 1905, la liberté de parole et de presse doit être complète ». Nous considérons toute autre conception comme réactionnaire.
L'opportunisme tend malheureusement aujourd'hui à annihiler ces deux composantes essentielles de l'esprit révolutionnaire tel qu'il se manifesta toujours jusqu'ici : la nature réfractaire - dynamique et créatrice - de certains êtres, leur souci dans l'action commune de remplir jusqu'au bout leurs engagements vis-à-vis d'eux-mêmes et des autres. Que nous nous placions sur le terrain politique ou sur le terrain artistique, ce sont toujours ces deux forces : refus spontané des conditions de vie proposées à l'homme et besoin impérieux de les changer, d'une part, fidélité durable aux principes ou rigueur morale, d'autre part, qui ont porté le monde en avant. Ce n'est pas impunément qu'on peut les contenir, voire les combattre durant des années, pour leur substituer l'idée messianique de ce qui s'accomplit en U.R.S.S. et ne peut manquer de s'accomplir par l'U.R.S.S., idée qui impose l'homologation a priori d'une politique de compromis de plus en plus graves. Nous disons qu'à s'engager toujours plus loin dans cette voie, l'esprit révolutionnaire ne peut manquer de s'émousser et de se corrompre. Sur ce point, nous nous assurons encore que nous avons pour nous Lénine qui écrivait le 3 septembre 1917 : « Le devoir d'un parti révolutionnaire n'est pas de proclamer une renonciation impossible à toutes sortes de compromis, mais de savoir, à travers tous les compromis, dans la mesure où ceux-ci sont inévitables, garder la fidélité à ses principes, à sa classe, à son but révolutionnaire, à la préparation de la révolution et à l'éducation des masses qu'il faut mener à la victoire. » Si ces dernières conditions n'étaient pas remplies, nous pensons qu'il ne pourrait plus s'agir de compromis, mais bien de compromission. Devons-nous admettre qu'elles sont remplies ?
Non. Nous nous sommes émus, en effet, comme tant d'autres, de la déclaration par laquelle, le 15 mai 1935, « Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité ». De toute la force de notre désir, si tout d'abord nous n'avons voulu voir là, de la part du chef de l'Internationale communiste, qu'un nouveau compromis particulièrement douloureux, nous avons formulé aussitôt les plus expresses réserves sur les possibilités d'acceptation des instructions qu'ici l'on se hâtait d'en faire découler : abandon du mot d'ordre : transformation de la guerre impérialiste en guerre civile (condamnation du défaitisme révolutionnaire), dénonciation de l'Allemagne de 1935 comme unique fauteur de guerre prochaine (découragement, en cas de guerre contre l'Allemagne, de tout espoir de fraternisation), réveil chez les travailleurs français de l'idée de patrie. On sait quelle attitude nous avons opposée, dès le premier jour, à ces directives. Cette attitude est en tous points conforme à celle du Comité de Vigilance des intellectuels : contre toute politique d'encerclement et d'isolement de l'Allemagne, pour l'examen par un comité international des offres concrètes de limitation et de réduction des armements faites par Hitler, pour la révision par négociations politiques du traité de Versailles, principal obstacle au maintien de la paix. Il est à peine besoin de souligner que, depuis lors, la signature de la Convention anglo-allemande permettant le réarmement naval allemand est venue sanctionner cette manière de voir, dans la mesure même où cette convention ne peut être tenue que pour conséquence de la politique d'éviction croissante de l'Allemagne, rendue pour elle tout à coup plus sensible encore par le pacte franco-soviétique.
A elle seule, une telle considération ne nous dispose pas à accepter pour nous, sous quelque forme transitionnelle qu'elle se présente, l'idée de patrie. Tout sacrifice de notre part à cette idée et aux fameux devoirs qui en résultent, entrerait, du reste, immédiatement en conflit avec les raisons initiales les plus certaines que nous nous connaissons d'être devenus des révolutionnaires. Bien avant de prendre conscience des réalités économiques et sociales hors desquelles la lutte contre tout ce que nous voulons abattre serait évidemment sans issue, c'est à l'inanité absolue de pareils concepts que nous nous en sommes pris et, sur ce point, rien ne nous forcera jamais à faire amende honorable. Que se passe-t-il en U.R.S.S. ou que s'y est-il donc passé ? Aucun démenti n'est venu dissiper ici l'ombre que depuis le 15 mai avaient à flots répandue les Vaillant-Couturier, Thorez et consorts. Nous avons dit comme cette ombre pesait sur le Congrès international des écrivains (à la tribune duquel ne cessait d'ailleurs symboliquement de parader l'auteur de cette déclaration chauvine éperdue : « On me dit encore : "C'est vous qui avez forcé l'Allemagné à réarmer, par l'humiliation que vous lui imposez depuis vingt ans avec votre traité." Je réponds que cette humiliation elle devait l'accepter. L'Allemagne a voulu la guerre (j'entends le peuple allemand, pour autant que les peuples veulent quelque chose) et l'a perdue. Ces choses doivent se payer. Je n'ai aucun goût pour le pardon ») (***).
Si nous nous élevons violemment contre toute tentative de réhabilitation de l'idée de patrie, contre tout appel, en régime capitaliste, au sentiment national, ce n'est pas seulement, il faut bien le dire, parce que du plus profond et du plus lointain de nous-mêmes, nous nous sentons totalement incapables d'y souscrire, ce n'est pas seulement parce que nous y voyons l'attisement d'une illusion sordide qui n'a que trop souvent fait flamber le monde, mais c'est surtout parce qu'avec la meilleure volonté, nous ne pouvons éviter de les prendre pour symptôme d'un mal général caractérisable. Ce mal est caractérisable à partir du moment où un tel symptôme peut être rapproché d'autres symptômes également morbides et constituer avec eux un groupe homogène. On nous a beaucoup reproché, naguère, de nous être faits l'écho des protestations que soulevait le spectacle de certains films soviétiques à tendance niaisement moralisatrice, du type « Le Chemin de la Vie ». « Le vent de crétinisation systématique qui souffle d'U.R.S.S ... », n'avait pas craint de dire à ce propos un de nos correspondants. Il y a quelques mois, la lecture dans Lu des réponses à une enquête menée par les journaux soviétiques sur la conception actuelle de l'amour et de la vie commune de l'homme et de la femme en U.R.S.S. (il y avait là un choix de confidences d'hommes et de femmes toutes plus navrantes les unes que les autres) nous avait fait un instant nous demander si le propos ci-dessus - que jusque-là nous n'avions pas repris à notre compte - était tellement excessif. Passons rapidement sur la déception dans laquelle nous ont entretenu les piètres réalisations de l'« art prolétarien » et du « réalisme socialiste ». Nous n'avons pas cessé non plus de nous inquiéter du culte idolâtre par lequel certains zélateurs intéressés s'efforcent d'attacher les masses ouvrières, non seulement à l'U.R.S.S., mais encore à la personne de son chef (le « tout cela grâce à toi, grand éducateur Staline », de l'ancien bandit Avdeenko, n'est pas sans faire évoquer le « tant que vous voudrez, mon général » de l'ignoble Claudel). Mais s'il pouvait encore en nous subsister quelque doute sur l'issue désespérée d'un tel mal (il n'est pas question de méconnaître ce qu'a été, ce qu'a fait la Révolution
(***) Julien Benda (N.R.F., mai 1935).
russe, il est question de savoir, si elle vit encore, comment elle se porte), ce doute, nous le déclarons, ne pourrait pour nous aucunement résister à la lecture des lettres que, dans son numéro du 12 juillet 1935, Lu a reproduites d'après la Komsomolskaïa Pravda sous le titre :
RESPECTEZ VOS PARENTS
Le 23 mars, la Komsomolskaïa Pravda a publié la lettre d'un ouvrier de l'usine Ordjonikidzé. Cette lettre stigmatisait l'attitude d'un jeune ouvrier du nom de Tchernychev qui était arrogant avec ses parents. Appliqué au travail, il était insupportable en famille.
Le journal reçoit, à cette occasion, un nombreux courrier :
J'AVAIS HONTE
J'avais montré à mes parents la lettre concernant le jeune communiste Tchernychev. J'avais honte : cette lettre pouvait aussi s'appliquer à moi. Ma mère m'a dit : vois-tu, Alexandre, tu rappelles par certains côtés Tchernychev. Tu penses que je ne comprends rien, tu ne me laisses pas dire un mot, tu ne respectes pas tes frères et soeurs et tu ne veux pas les aider dans leurs études.
Le père confirma : oui, ton attitude n'est guère l'attitude d'un jeune communiste.
Il m'était désagréable d'entendre de tels reproches, mais ils étaient justifiés. A une réunion de famille, j'ai donné la parole de changer mes habitudes. J'ai promis de surveiller mon frère Léo qui étudie mal et boit parfois avec des camarades ; j'ai promis aussi de suivre de près les progrès de mes soeurs à l'école et les aider s'il le faut. Moi, je suis chef à l'organisation des jeunesses communistes. Si je ne tiens pas ma parole, si je n'arrive pas à me corriger, que diront alors de simples militants des rangs ? C'est moi qui dois donner l'exemple.
Smolov, Kolkhoze Frounzé.
RESPECTEZ VOS VIEUX
J'aime beaucoup ma mère, je l'aide toujours, et maintenant, devenu indépendant, je n'oublie pas de lui écrire des lettres longues et détaillées. C'est une joie que de sentir un être cher et si aimé se trouver quelque part et pouvoir toujours lui raconter sa vie.
L'attitude de nombreux de mes camarades étudiants envers leurs parents m'étonnait toujours.
Il m'arrive souvent d'entendre ces paroles :
- Voilà deux mois que je n'ai pas écrit à mes parents.
Je me souviens du fait suivant : je venais d'écrire une lettre. Le jeune communiste Savine me dit : - A qui écris-tu ? - A ma mère. - Pas trop longue, ta lettre ? - Rien que huit pages. - Huit pages ! répéta étonné Savine. Eh bien ! moi, je n'écris jamais plus d'un feuillet. Je mets : « Suis en bonne santé » et c'est tout. Que peut-elle comprendre ma mère, elle est paysanne kolkhozienne.
Ma mère aussi est une simple kolkhozienne. N'empêche qu'elle aura plaisir à recevoir une lettre détaillée de son fils, devenu brigadier de choc et étudiant.
Non, Tchernychev n'est pas un homme civilisé. Il ne mérite pas ce titre parce qu'il ne respecte pas ses parents.
Krachennikov, étudiant.
Il est à peine utile de souligner la misère toute conformiste de telles élucubrations qui pourraient à peine trouver place ici dans un journal de patronage. Le moins qu'on en puisse dire est qu'elles donnent un semblant de justification tardive au fameux « Moscou la gâteuse » d'un de ceux qui, aujourd'hui, s'accommodent le mieux, en échange de quelques petits avantages, de la servir à genoux, gâteuse ou non. Bornons-nous à enregistrer le processus de régression rapide qui veut qu'après la patrie ce soit la famille qui, de la Révolution russe agonisante, sorte indemne (qu'en pense André Gide ?). Il ne reste plus là-bas qu'à rétablir la religion - pourquoi pas ? - la propriété privée, pour que c'en soit fait des plus belles conquêtes du socialisme. Quitte à provoquer la fureur de leurs thuriféraires, nous demandons s'il est besoin d'un autre bilan pour juger à leurs oeuvres un régime, en l'espèce le régime actuel de la Russie soviétique et le chef tout-puissant sous lequel ce régime tourne à la négation même de ce qu'il devrait être et de ce qu'il a été.
Ce régime, ce chef, nous ne pouvons que leur signifier formellement notre défiance.
ANDRÉ BRETON, SALVADOR DALI, OSCAR DOMINGUEZ, PAUL ELUARD, MAX ERNST, MARCEL FOURRIER, MAURICE HEINE, MAURICE HENRY, GEORGES HUGNET, SYLVAIN ITKINE, MARCEL JEAN, DORA MAAR, RENÉ MAGRITTE, LÉO MALET, MARIE-LOUISE MAYOUX, JEHAN MAYOUX, E.-L.-T. MESENS, PAUL NOUGÉ, MÉRET OPPENHEIM, HENRI PARISOT, BENJAMIN PÉRET, MAN RAY, MAURICE SINGER, ANDRÉ SOURIS, YVES TANGUY, ROBERT VALANÇAY.
Août 1935
CONTRE-ATTAQUE
- I. RESOLUTION
- Violemment hostiles à toute tendance, quelque forme qu'elle prenne, captant la Révolution au bénéfice des idées de nation ou de patrie, nous nous adressons à tous ceux qui, par tous les moyens et sans réserve, sont résolus à abattre l'autorité capitaliste et ses institutions politiciennes.
- Décidés à réussir et non à discuter, nous considérons comme éliminé quiconque est incapable, oubliant une phraséologie politique sans issue, de passer à des considérations réalistes.
- Nous affirmons que le régime actuel doit être attaqué avec une tactique renouvelée. La tactique traditionnelle des mouvements révolutionnaires n'a jamais valu qu'appliquée à la liquidation des autocraties. Appliquée à la lutte contre les régimes démocratiques, elle a mené deux fois le mouvement ouvrier au désastre. Notre tâche essentielle, urgente, est la constitution d'une doctrine résultant des expériences immédiates. Dans les circonstances historiques que nous vivons, l'incapacité de tirer les leçons de l'expérience doit être considérée comme criminelle.
- Nous avons conscience que les conditions actuelles de la lutte exigeront de ceux qui sont résolus à s'emparer du pouvoir une violence impérative qui ne le cède à aucune autre, mais, quelle que puisse être notre aversion pour les diverses formes de l'autorité sociale, nous ne reculerons pas devant cette inéluctable nécessité, pas plus que devant toutes celles qui peuvent nous être imposées par les conséquences de l'action que nous engageons.
- Nous disons actuellement que le programme du Front Populaire, dont les dirigeants, dans le cadre des institutions bourgeoises, accéderont vraisemblablement au pouvoir, est voué à la faillite. La constitution d'un gouvernement du peuple, d'une direction de salut public, exige UNE INTRAITABLE DICTATURE DU PEUPLE ARME.
- Ce n'est pas une insurrection informe qui s'emparera du pouvoir. Ce qui décide aujourd'hui de la destinée sociale, c'est la création organique d'une vaste composition de forces, disciplinée, fanatique, capable d'exercer le jour venu une autorité impitoyable. Une telle composition de forces doit grouper l'ensemble de ceux qui n'acceptent pas la course à l'abîme - à la ruine et à la guerre - d'une société capitaliste sans cerveau et sans yeux ; elle doit s'adresser à tous ceux qui ne se sentent pas faits pour être conduits par des valets et des esclaves (1) - qui exigent de vivre conformément à la violence immédiate de l'être humain - qui se refusent à laisser échapper lâchement la richesse matérielle, due à la collectivité, et l'exaltation morale, sans lesquelles la vie ne sera pas rendue à la véritable liberté.
- II. POSITIONS DE L'UNION SUR DES POINTS ESSENTIELS
- L'UNION comprend des marxistes et des non-marxistes. Aucun des points essentiels de la doctrine qu'elle se donne pour tâche d'élaborer n'est en contradiction avec les données fondamentales du marxisme, à savoir :
- l'évolution du capitalisme vers une contradiction destructrice ;
- la socialisation des moyens de production comme terme du processus historique actuel ;
- la lutte de classes comme facteur historique et comme source de valeurs morales essentielles (2).
- Le développement historique des sociétés depuis vingt ans est caractérisé par la formation de superstructures sociales entièrement nouvelles. Jusqu'à une date récente, les mouvements sociaux se produisaient uniquement dans le sens de la liquidation des vieux systèmes autocratiques. Aux besoins de cette liquidation, une science des formes de l'autorité n'était pas nécessaire. Nous nous trouvons, nous, en présence de formes nouvelles qui ont pris d'emblée la place principale dans le jeu politique. Nous sommes amenés à mettre en avant le mot
(1) Les de la Rocque, les Laval, les de Wendel.
(2) Nous ajoutons que, dans la mesure où les partis qui se réclament du marxisme sont amenés, pour des considérations tactiques, à prendre, même provisoirement, une attitude qui les situe à la remorque de la politique bourgeoise, nous sommes radicalement en rupture avec la direction de ces partis.
d'ordre de constitution d'une structure sociale nouvelle. Nous affirmons que l'étude des superstructures sociales doit devenir aujourd'hui la base de toute action révolutionnaire.
- Le fait que les moyens de production sont la propriété de la collectivité des producteurs constitue sans discussion le fondement du droit social. C'est là le principe juridique qui doit être affirmé comme le principe constitutif de toute société non aliénée.
- Nous sommes assurés que la socialisation ne peut pas commencer par la réduction du niveau de vie des bourgeois à celui des ouvriers. Il s'agit là non seulement d'un principe essentiel, mais d'une méthode commandée par les circonstances économiques. Les mesures qui s'imposent d'urgence doivent en effet être calculées en vue de remédier à la crise et non de l'accroître par une réduction de la consommation. Les principales branches de l'industrie lourde doivent être socialisées, mais l'ensemble des moyens de production ne pourra être rendu à la collectivité qu'après une période de transition.
- Nous ne sommes animés d'aucune hostilité d'ascète contre le bien-être des bourgeois. Ce que nous voulons, c'est faire partager ce bien-être à tous ceux qui l'ont produit. En premier lieu, l'intervention révolutionnaire doit en finir avec l'impuissance économique : elle apporte avec elle la force, le pouvoir total, sans lesquels les hommes resteraient condamnés à la production désordonnée, à la guerre et à la misère.
- Notre cause est celle des ouvriers et des paysans. Nous affirmons comme un principe le fait que les ouvriers et les paysans constituent le fondement non seulement de toute richesse matérielle, mais de toute force sociale. Quant à nous, intellectuels, nous voyons une organisation sociale abjecte couper les possibilités de développement humain des travailleurs de la terre et des usines. Nous n'hésitons pas à affirmer la nécessité de la peine de mort pour ceux qui assument légèrement la responsabilité d'un tel crime. Par contre, nous ne nous prêtons pas aux tendances démagogiques qui engagent à laisser croire aux prolétaires que leur vie est la seule bonne et vraiment humaine, que tout ce dont ils se voient privés est le mal. Nous plaçant dans les rangs des ouvriers, nous nous adressons à leurs aspirations les plus fières et les plus ambitieuses - qui ne peuvent pas être satisfaites dans les cadres de la société actuelle : nous nous adressons à leur instinct d'hommes qui ne courbent la tête devant rien, à leur liberté morale, à leur violence. Le temps est venu de nous conduire TOUS en maîtres et de détruire physiquement les esclaves du capitalisme.
- Nous constatons que la réaction nationaliste a su mettre à profit dans d'autres pays les armes politiques créées par le mouvement ouvrier : nous entendons à notre tour nous servir des armes créées par le fascisme, qui a su utiliser l'aspiration fondamentale des hommes à l'exaltation affective et au fanatisme. Mais nous affirmons que l'exaltation qui doit être mise au service de l'intérêt universel des hommes doit être infiniment plus grave et plus brisante, d'une grandeur tout autre que celle des nationalistes asservis à la conservation sociale et aux intérêts égoïstes des patries.
- Sans aucune réserve, la Révolution doit être tout entière agressive, ne peut être que tout entière agressive. Elle peut, l'histoire du XIXe et du XXe siècles le montre, être déviée au profit des revendications agressives d'un nationalisme opprimé ; mais vouloir enfermer la Révolution dans le cadre national d'un pays dominateur et colonialiste ne témoigne que de la déficience intellectuelle et de la timidité politique de ceux qui s'engagent dans cette voie. C'est par sa signification humaine profonde, par sa signification universelle, que la Révolution soulèvera les hommes, et non par une concession timorée à leur égoïsme, à leur conservatisme local. Tout ce qui justifie notre volonté de nous dresser contre les esclaves qui gouvernent intéresse, sans distinction de couleur, les hommes, sur toute la terre.
[7 octobre 1935.]
LES CAHIERS DE « CONTRE-ATTAQUE »
Série de fascicules in-4° coquille comprenant ensemble 144 pages à paraître à partir de janvier 1936.
Au moment où - la succession du régime étant ouverte - une confusion des esprits sans exemple permet de parler indéfiniment de défense républicaine, le mouvement « Contre-Attaque » a été fondé en vue de contribuer à un développement brusqué de l'offensive révolutionnaire. Sans renoncer à aucun des moyens d'action disponibles, c'est en particulier par l'expression d'idées et de directives nouvelles, répondant à des circonstances nouvelles, non prévues, que « Contre-Attaque » tentera de contribuer à la lutte décisive dont le seul but possible est la prise du pouvoir. Nous nous exprimons dès maintenant dans des réunions ouvertes, nous devrons donner une expression plus approfondie à nos principes dans des conférences : nous créons aujourd'hui les Cahiers de « Contre-Attaque » qui nous permettront, au cours des mois qui vont suivre, de mettre à la disposition de ceux qui s'intéressent aux tenants et aux aboutissants de l'action révolutionnaire un certain nombre de données nouvelles.
MORT AUX ESCLAVES
par André Breton et Georges Bataille
« Les Croix de feu, les gouvernants et leurs patrons sont des esclaves au service de la patrie et du capitalisme, au service de forces qu'ils sont incapables de maîtriser, qui les dominent et les vouent à l'impuissance. Si nous ne voulons pas demeurer, nous aussi, les victimes d'un état de choses intolérable, nous devons nous apprêter à user contre eux jusqu'au bout de la violence légale, afin de débarrasser la terre, avec leurs personnes, de tout ce qu'exige aveuglément de nous la guerre et la misère. »
« Le temps est venu où le monde doit être débarrassé des dirigeants-esclaves, des aveugles qui conduisent aujourd'hui la malheureuse multitude à l'abîme. »
Nous donnons dans ce cahier, actuellement sous presse, un compte rendu vivant de l'activité de « Contre-Attaque » depuis sa fondation en octobre 1935. Nous en avons extrait ces quelques phrases qui sont significatives en ce qu'elles contiennent le principe de l'attitude morale imposée par les circonstances, le principe d'une rénovation de la violence révolutionnaire.
FRONT POPULAIRE DANS LA RUE
par Georges Bataille
Le régime démocratique, qui se débat dans des contradictions mortelles, ne pourra pas être sauvé. Ce qui domine la situation actuelle, en France, c'est que la succession du régime est ouverte.
Le Front Populaire, sous sa forme actuelle, n'est pas et ne se donne pas comme une force organisée en vue de la prise du pouvoir révolutionnaire. Il doit donc être transformé, en libérant le mouvement interne qui l'anime dans la rue, en Front Populaire de Combat.
Nous disons, nous, que cela suppose un renouvellement des formes politiques, renouvellement inévitable dans les circonstances actuelles où il semble que toutes les forces révolutionnaires soient appelées à se fondre dans un creuset incandescent.
ENQUETE SUR LES MILICES
LA PRISE DU POUVOIR ET LES PARTIS
Un mouvement enthousiaste, ascendant, violent, de milices du peuple, un mouvement de volontaires de la liberté - échappant au contrôle stérilisant des partis - telle est la condition fondamentale de la prise du pouvoir. Le pouvoir appartiendra à la Révolution quand les milices armées donneront à un groupement d'hommes issus du Front Populaire la base d'une autorité implacable. Le questionnaire d'une enquête portant sur les milices, la prise du pouvoir et les partis figurera dans le premier Cahier de « Contre-Attaque ». Il sera soumis aux diverses personnalités du Front Populaire et à un certain nombre de révolutionnaires militants. Les réponses seront publiées dans un cahier entièrement consacré à cette enquête.
POUR UN MOUVEMENT PAYSAN AUTONOME
par Jean Dautry et Henri Dubief
Parler de Révolution et laisser de côté la question paysanne, c'est manquer de conscience révolutionnaire. Résoudre la question paysanne avec des formules sans contenu - se contenter d'unir la faucille au marteau, le mot paysan au mot ouvrier - c'est vouloir faire la Révolution comme les sorciers nègres font la pluie.
Jamais les paysans, il faut le comprendre clairement, n'entreront en nombre dans des organisations foncièrement urbaines. Les paysans pensent que leurs intérêts sont toujours trahis par les gens des villes et s'ils pensent ainsi, c'est avec des raisons valables... C'est le principe des soviets qui doit présider à l'organisation politique des travailleurs des champs qui veulent changer l'ordre établi. Les paysans doivent s'organiser, non seulement pour renverser un pouvoir dont ils sont les victimes, mais pour faire valoir leur propres revendications à l'intérieur du nouveau régime.
Nous devons envisager en face les conséquences des revendications paysannes réelles, qu'il faut prendre telles qu'elles sont. La Révolution doit être fonction des mouvements sociaux réels et non des idées schématiques rabâchées par les idéologues.
LES PLANS ECONOMIQUES
Le travail humain est devenu semblable à celui d'une mouche sur du papier à glu.
Qu'a-t-on fait pour subordonner à un but les mouvements absurdes de la mouche engluée ? Rien qui empêche ces mouvements de l'engluer davantage.
Nous ne devons pas négliger cependant un petit nombre de tentatives, même si nous ne croyons pas qu'elles puissent être suivies d'effet. Des plans sont élaborés, qui tiennent compte des circonstances immédiates, ainsi le plan de la C.G.T. et, plus récemment, le plan de l'Union socialiste (plan Déat). D'autre part, des efforts de compréhension et de réaction se sont manifestés même dans des milieux nettement extérieurs au mouvement ouvrier : les ouvrages de Jacques Duboin et de Jean Nocher, l'activité du groupe J.E.U.N.E.S. ont aujourd'hui une réelle valeur significative.
Aucune indication qui puisse évidemment nous leurrer... Toute tentative de réforme économique sérieuse reste liée à la question préalable de la prise du pouvoir par les travailleurs. Et les plans projetés ne peuvent actuellement envisager qu'une réorganisation autarchique de la production... c'est-à-dire une sorte de composition avec la maladie elle-même ! La politique économique doit rester subordonnée jusqu'à nouvel ordre à l'action politique immédiate. Seule la Révolution débarrassera la mouche de la glu !
LES REVOLUTIONS DE L'EUROPE CENTRALE A LA FIN DE LA GUERRE
par Jean Dautry et Pierre Aimery
Jusqu'ici les révolutions européennes ont eu comme principe le renversement d'un pouvoir autocratique et les insurrections dites « prolétariennes » sont apparues comme la conséquence du renversement du pouvoir autocratique. Jamais une démocratie stabilisée n'a été sérieusement menacée par un mouvement ouvrier insurrectionnel. Seuls, les mouvements fascistes sont venus à bout des régimes démocratiques. De telles constatations doivent dominer actuellement les recherches théoriques sur la tactique révolutionnaire. Il est important, à cet égard, de faire connaître comment, dans plusieurs pays de l'Europe centrale, la puissance fasciste a pu l'emporter après que le socialisme eût démontré son impuissance. Nous devons rechercher les raisons de cette impuissance, en décrire les différentes phases, en particulier la plus brillante : la phase révolutionnaire.
LA VIE DE FAMILLE
par Jean Bernier et Georges Bataille
La base de la morale sociale en régime capitaliste est la morale imposée par les parents aux enfants. A cette morale de la contrainte, nous opposons comme point de départ la morale spontanée qui s'établit chez les enfants au cours de leurs expéditions et de leurs jeux. Seule cette morale turbulente et heureuse, qui coïncide avec celle des compagnons de travail, peut servir de principe à des rapports sociaux libérés des misères du système de production actuel.
LA DIALECTIQUE HEGELIENNE DU MAITRE ET DE L'ESCLAVE, CLE DE VOUTE DE LA « PHENOMENOLOGIE DE L'ESPRIT » ET DE LA DOCTRINE MARXISTE
L'esprit humain, chez Hegel, en tant qu'il est le point de départ de la connaissance philosophique n'est pas une entité indépendante des circonstances dans lesquelles il se produit. Deux modes d'existence, le maître et l'esclave, s'opposent essentiellement l'un à l'autre et, lorsque Hegel décrit la vie humaine, c'est cette opposition fondamentale, ce sont les différentes formes qu'elle assume qui sont représentées par lui. Or non seulement la philosophie hégélienne en général mais en particulier la dialectique du maître et de l'esclave ont été à l'origine de la doctrine de Marx. Hegel a représenté l'esclave et non le maître appelé à devenir l'homme (*). Il a su voir dans le travail le principe de la libération de l'esclave. L'ensemble, littéralement prodigieux, des conceptions hégéliennes sur le devenir humain - dont Marx a dit qu'elles étaient vraies
(*) Telle est la donnée essentielle de cette dialectique. Le rapport actuel maître-esclave tend à se renverser dialectiquement.
d'un bout à l'autre même si l'on en récusait le principe - demeure lié de la façon la plus féconde à la destruction créatrice des révolutions sociales et morales.
LA PATRIE OU LA TERRE
par Pierre Kaan et Georges Bataille
Un grand nombre d'hommes aiment leur patrie, se sacrifient et meurent pour elle. Un Nazi peut aimer le Reich jusqu'au délire. Nous aussi nous pouvons aimer avec fanatisme, mais ce que nous aimons, bien que nous soyons français d'origine, ce n'est à aucun degré la communauté française, c'est la communauté humaine ; ce n'est en aucune façon la France, c'est la Terre.
Nous nous réclamons de la conscience universelle qui se lie à la liberté morale et à la solidarité de ceux qui ne possèdent rien, comme la conscience nationale se lie à la contrainte et à la solidarité des riches.
Les possibilités de réalisation concrète dans ce sens, telles qu'elles résultent des données de la science et de la connaissance méthodique, doivent faire l'objet d'un exposé approfondi.
QUESTIONS SOCIALES ET QUESTIONS SEXUELLES
par Maurice Heine et Benjamin Péret
Préexistantes à la question sociale, non moins impérieuses chez les primitifs que chez les civilisés, refoulées par les tabous autant que par les codes, les questions sexuelles risquent d'échapper à leur solution révolutionnaire, pour peu que les tenants de la Révolution s'obstinent, contre toute logique, à les ignorer. Prétendre, comme ils s'en accordent trop souvent la facilité, que les « perversions » sexuelles résultent des vices sociaux du capitalisme et disparaîtront en même temps que les classes, c'est faire bon marché des leçons de l'expérience et, naïvement, trahir le matérialisme historique. En somme, la sexualité pose, de manière aiguë, un problème social, qu'il importe de soustraire aux pernicieuses conséquences du mépris et de la contrainte : tâche urgente, qui revient à arracher à la religion son masque de morale, au bras séculier son armure de lois. Aucun compromis n'est recevable entre ces pièces anatomiques du passé et les conditions de l'avenir humain.
L'AUTORITE, LES FOULES ET LES CHEFS
par Georges Bataille et André Breton
Sans aucune exception, toute révolution jusqu'ici a été suivie d'une individualisation du pouvoir. Ce fait pose pour les révolutionnaires une question essentielle, sans doute même la question capitale. Nous pensons qu'une telle question doit être élucidée de la façon la plus ouverte, sans optimisme aveugle comme sans recul. Toutes les ressources de la psychologie collective la plus moderne doivent être employées à la recherche d'une solution heureuse, écartant les facilités utopiques. Le refus devant l'autorité et la contrainte peut-il, oui ou non, devenir beaucoup plus que le principe de l'isolement individuel, le fondement du lien social, le fondement de la communauté humaine ?
LES PRECURSEURS DE LA REVOLUTION MORALE SADE - FOURIER - NIETZSCHE
L'EXTREMISME REVOLUTIONNAIRE DE SADE
par Maurice Heine
Historiens et sociologues n'ont guère, jusqu'à présent, soupçonné l'importance du rôle tenu par Sade dans les dix suprêmes années du XVIIIe siècle. Son activité personnelle, ses écrits et discours politiques, les pages philosophiques de ses romans firent pourtant du ci-devant marquis le ferment de subversion le plus virulent que la Révolution française eût extrait des puissances mêmes qu'elle méditait d'abattre. Que ce fût dans la section des Piques, où son athéisme l'opposait à Robespierre, aux séances de la Commune de Paris ou de la Commission des hôpitaux, à la barre de la Convention, en mission dans les départements, partout à l'extrême pointe du combat civique, ce quinquagénaire témoigna son ardeur juvénile et sa généreuse humanité. Il était cependant trop philosophe pour méconnaître que la révolution sociale n'obtiendrait qu'un succès éphémère, sans la révolution morale propre à lui gagner définitivement les esprits. Et c'est dans la pensée de former un homme nouveau, capable de fixer les conquêtes du régime déjà déclinant, qu'il lança le cri d'appel et d'alarme : Français, encore un effort si vous voulez être républicains ! A ce pamphlet désespérément ironique, rien, en 1795, ne pouvait répondre... Mais quand les hommes de 1848, pressentant à leur tour la précarité de leur victoire et le péril mortel qui lui vient de la religion, cherchent un texte décisif pour libérer les esprits de la discipline judéo-chrétienne, c'est encore à l'écrit de Sade qu'ils sont forcés de recourir. Ainsi, sans nom d'auteur, mais « pour une croisade contre tous les dogmes religieux », reparaît en l'an LVI de la R.F., Français, encore un effort... Aujourd'hui même, l'athéisme essentiel de ces pages continue à s'imposer comme une nécessité actuelle : l'esprit de Sade est vivant parmi nous.
FOURIER
par Pierre Klossowski
La discipline morale d'un régime périmé est fondée sur la misère économique, qui rejette le jeu libre des passions comme le plus redoutable danger. Fourier envisageait une économie de l'abondance résultant au contraire de ce jeu libre des passions. Au moment où l'abondance est à la portée des hommes et ne leur échappe qu'en raison de leur misère morale, n'est-il pas temps d'en finir avec les estropiés et les castrats qui imposent aujourd'hui cette misère, pour ouvrir la voie à l'homme libéré de la contrainte sociale, candidat à toutes les jouissances qui lui sont dues - la voie qu'il y a un siècle a indiquée Fourier ?
NIETZSCHE
par Georges Ambrosino et Georges Gilet
Il semble que seuls ont pu se réclamer de Nietzsche des hommes qui le trahissaient misérablement. Il semble que l'une des voix humaines les plus bouleversantes se soit faite entendre en vain. L'anti-chrétien violent, le contempteur de l'ânerie patriotique, pour avoir fait siennes toutes les exigences patriotiques, toutes les fiertés, demeurera-t-il la victime des philistins et des bêtes de troupeau, la victime de la platitude universelle ?
Nous ne croyons pas, nous, à l'avenir des philistins. La voix orgueilleuse et brisante de Nietzsche reste pour nous annonciatrice de la Révolution morale qui vient, la voix de celui qui a eu le sens de la Terre... Le monde qui naîtra demain sera le monde annoncé par Nietzsche, le monde qui liquidera toute la certitude morale.
POLEMIQUE ET ACTUALITE
En plus de ces cahiers consacrés à des sujets d'intérêt constant, nous nous proposons de faire paraître à chaque occasion des fascicules-suppléments de quatre pages destinés à suivre l'actualité. Le premier de ces fascicules rédigé par J. Bernier et G. Bataille paraîtra au début de février sous le titre La Révolution ou la Guerre ; il traitera des problèmes de politique extérieure et opposera radicalement notre action à tous ceux qui préparent aujourd'hui la répétition de la guerre de 1914 ; qui sous le prétexte de lutter contre le fascisme, préparent une nouvelle croisade des démocraties.
[Novembre 1935.]
LETTRE À BENJAMIN PÉRET
Selon un procédé caractéristique, j'apprends par tout autre, hélas, que par toi-même - rendons hommage à ta sordide discrétion -, la redoutable « prise » que tu viens de faire sur « l'avoir » privé de Georges Sadoul, ô poète pratique, en l'occurrence une lettre de moi. Comme tu es, je le suppose, l'adversaire logique et scrupuleux de la propriété en tous genres, tu t'es empressé, paraît-il, de restituer ladite lettre à son heureux destinataire, Sadoul, c'est-à-dire Breton ! Mes compliments.
Pour ma part, je ne verrais aucun inconvénient politique à ce geste excrémentiel - ton ancêtre le Capitaine Bouchardon, que tu n'as pas encore osé mettre en vers, l'aurait estimé à sa juste valeur - si le silence complaisant qui l'a accueilli ne risquait de me situer à nouveau dans l'atmosphère de votre rade. J'ai repris ma liberté voici treize mois, sans éprouver en revanche le besoin de cracher sur ce qui durant cinq années avait été pour moi tout au monde. On s'est montré correct à mon égard. C'est bien ainsi que je l'entendais. Que ne t'es-tu maintenu, Péret, dans cette tradition de loyauté...
Elle ne t'aura rien appris, à toi ainsi qu'à quelques autres, cette « sombre » lettre que vous n'ayez su déjà. J'ai dit, répété, développé à ceux d'entre vous dont la présence ne constitue pas un emmerdement, son contenu, au hasard des conversations particulières. C'est pourquoi je discerne mal le mobile qui t'a fait agir. Les kleptomanes, l'acte commis, obtiennent l'apaisement.
Je vais me mettre nettement en lumière, pour dissiper toute équivoque, ô dur d'oreille : « J'ai publié dans Minotaure, sous le pseudonyme de Ramuz, de loin le plus mauvais texte de ma carrière, ce, moyennant la complicité de mon cousin germain secret et confident Tériade. Ensuite pour noyer habilement ce hareng-saur, j'ai soutenu publiquement, non sans succès, les desseins surrévolutionnaires de l'illégal Minotaure, etc... »
Au cours de tes visites, rue de la Convention, je me souviens de t'avoir, très sérieusement, entretenu sur ce que je considère comme un écart de pensée autant qu'une erreur de tactique de Breton, soit le texte titré « L'actualité poétique », indésirable manifeste-aquarium où sous les projecteurs de talent habituels, nous voyons évoluer, assistés de toute la sympathie de l'auteur - où diable va se nicher le masochisme ? - les divers spécimens, du microbe au poisson plat, de la faune chrétienno-écrivassière, enfants de Luther, de Marie, de Madeleine, tournesol sous le froc, qui ont nom : Esprit, Jouve, Reverdy, etc. J'ai déploré devant témoin, et tu m'approuvais alors, ô Caméléon du mont Pelé, que Breton en arrive à utiliser cette funèbre tribune, pour faire entendre sa voix de théoricien, à cet instant égarée. Déclaration médiocre, auditoire contestable, ce fut pour certains qui ne connaissent pas la personnalité brillante-décevante-dépressive de Breton un mécompte amer. Je pense que la poésie peut sans risque disparaître en plongée, un temps indéterminé ; son action dérivée de l'occulte opère tout en cheminant ; en conséquence menus dégâts. Il en va autrement de l'apport idéologique. Dans le domaine des idées, le remarquable est de passer à l'exécution, avec un minimum de perte de temps. La Révolution a vu se lever des adversaires à sa taille. Nous ne devons pas les ignorer ; fussent-ils dans nos propres rangs. Vigilance, intransigeance, lucidité ; ces mots d'ordre brûlent dans l'actuel.
Le Surréalisme s'est carrément engagé, au cours des deux dernières années, dans une voie qui le conduit infailliblement à la maison de retraite des Belles-Lettres et de la Violence Réunies. Ce n'est pas la formation de « Contre-Attaque » qui me fera changer d'avis ; bien au contraire. Pourquoi ne pas reconnaître honnêtement qu'il y a eu abus et surestimation au départ, après l'admirable Dada ? On avait cru la distance moins longue. L'arc-en-ciel était alors un séduisant vélodrome. On s'est trompé, simplement. Ceci n'est rien. La gravité est dans le fait d'avoir manqué, à l'heure critique, de courage. Il fallait « dissoudre », en beauté, le Surréalisme pour lui éviter la honte de devenir centenaire. Mais vous n'êtes pas fatalistes ? La descendance de Sade, de Rimbaud, de Lautréamont serait-elle toute intellectuelle ?
Ce compromis affligeant entrevu, je me suis refusé à le sanctionner. Je prends congé de la foire. Si le pessimisme ne se teintait pas d'un espoir infinitésimal, nous cesserions de lui appartenir. Rien de plus ankylosant que l'exercice ! Tu ne nieras pas qu'à un moment donné, l'oeil et le goût s'irritent d'avoir à supporter tant d'indéracinables promeneurs, aux propos éculés, attristants prétentieux, arrêtés dans leur croissance ! Les convulsions de la Beauté, qui ne mouille plus son cadre, croulent en sursauts de lassitude, sous une empirique moisissure... Volonté de s'inspirer d'êtres qui quelque part, isolément dans le monde, accordent rigoureusement leurs actes du jour avec leurs pensées de la nuit. Au sein du Surréalisme j'en ai connu deux : l'un s'est tué, Crevel, l'autre est Eluard.
Maintenant, Péret, grand poète, mais triste salaud, souhaitant des jours meilleurs, d'ailleurs sans y croire, transmets mes sentiments choisis aux asticots du « Cadavre », embaumés dans « Contre-Attaque ».
[EXPOSITION DE DESSINS SURRÉALISTES]
Une main liée au coeur palpitant.
Man Ray
Peinture : je sais la beauté par peur.
Hans Bellmer
Soufre sublime écume de la solitude.
Wolfgang Paalen
Je n'attends rien de ma réflexion, mais je suis sûr de mes réflexes.
Yves Tanguy
Une course de taureaux dans l'eau.
Oscar Dominguez
Les feuilles de l'arbre avec le temps vont pourrir et disparaître. La souche seule va rester toute nue.
Joan Miró
Le rêve ne vaut pas seulement pour et par les évasions qu'il permet. Il est la base même d'une réalité nouvelle et toujours en voie de devenir.
Valentine Hugo
En cédant tout naturellement à la vocation de reculer les apparences et de bouleverser les rapports des « réalités », la peinture surréaliste a pu contribuer, le sourire aux lèvres, à précipiter la crise de conscience générale qui doit avoir lieu de nos jours.
Max Ernst
Un tableau surréaliste s'écrit comme un poème et se mange comme un objet de première nécessité.
Maurice Henry
N'attendez plus. Le rideau s'est levé sur une fenêtre en feu.
Marcel Jean
Le prîntemps vîent en mîlle feuîlles de beurre fîn.
Meret Oppenheim
La main de Michel-Ange se promène autour de sa tête.
Louis Fernandez
Un chose est certaine, c'est que je hais, sous toutes ses formes, la simplicité.
Salvador Dali
Teinturerie Rrose Sélavy : robe oblongue pour personne affligée du hoquet.
Marcel Duchamp
La réalité de l'élément qui nous livre son secret est bien le lieu d'où il ne faut s'écarter à aucun prix, c'est un point de repère.
René Magritte
Sadistiches Motiv, sadistiches Motiv, sadistiches Motiv.
Leonor Fini
[Décembre 1935.]
[LA PATRIE ET LA FAMILLE]
LA PATRIE ET LA FAMILLE (1)
Dimanche 5 janvier 1936, à 21 heures, au Grenier des Augustins, 7, rue des Grands-Augustins (métro Saint-Michel).
DE LA POSITION REVOLUTIONNAIRE
REUNION DE PROTESTATION
Un homme qui admet la patrie, un homme qui lutte pour la famille, c'est un homme qui trahit. Ce qu'il trahit, c'est ce qui est pour nous la raison de vivre et de lutter.
La patrie se dresse entre l'homme et les richesses du sol. Elle exige que les produits de la sueur humaine soient transformés en canons. Elle fait d'un être humain un traître à son semblable.
(1) Il va de soi que famille et patrie restent solidaires de religion, sujet beaucoup plus vaste qu'on n'imagine et sur lequel nous nous exprimerons dans une réunion ultérieure.
La famille est le fondement de la contrainte sociale. L'absence de toute fraternité entre le père et l'enfant a servi de modèle à tous les rapports sociaux basés sur l'autorité et le mépris des patrons pour leurs semblables.
Père, patrie, patron, telle est la trilogie qui sert de base à la vieille société patriarcale et, aujourd'hui, à la chiennerie fasciste.
Les hommes perdus d'angoisse, abandonnés à une misère et à une extermination dont ils ne peuvent pas comprendre les causes, se soulèveront un jour, excédés. Ils achèveront alors de ruiner la vieille trilogie patriarcale : ils fonderont la société fraternelle des compagnons de travail, la société de la puissance et de la solidarité humaine.
Prendront la parole dimanche 5 janvier :
Georges Bataille, André Breton, Maurice Heine, Benjamin Péret.