MÉLUSINE

Tracts surréalistes, Tome I, 1931


1931

[CARTE DE VOEUX POUR 1931]

Le Maréchal Joffre,
Le Maréchal Foch,
Georges Clemenceau
et le Président Poincaré

se rappellent à votre bon souvenir.
1er janvier 1931.

L'AFFAIRE DE « L'ÂGE D'OR »

EXPOSE DES FAITS

Du 28 novembre au 3 décembre 1930, « L'Age d'or » qui avait reçu le visa de la censure a été représenté sans incidents au Studio 28, le mercredi 3, des « commissaires » de la Ligue des Patriotes et des représentants de la Ligue Anti-Juive, interrompent la représentation en jetant de l'encre violette sur l'écran aux cris de : « On va voir s'il y a encore des chrétiens en France ! » et de : « Mort aux Juifs ! » au moment où, dans le film, un personnage dépose un ostensoir dans le ruisseau. Puis, les manifestants allument des bombes fumigènes et lancent des boules puantes pour forcer les spectateurs, sur lesquels ils se jettent avec des matraques, à quitter la salle. Ensuite, passant dans le hall d'exposition, ils y détruisent tout ce qui peut y être détruit, mobilier, vitres, lacèrent les tableaux de Dali, Max Ernst, Man Ray, Miró et Tanguy, déchirent des livres et des revues exposés, en volent une partie, coupent la ligne téléphonique. Les spectateurs assistent néanmoins à la fin du film, et, à la sortie, rédigent et signent une protestation contre les manifestants. Cinq d'entre eux s'étant, sur ces entrefaites, présentés avec « six spectateurs » au poste de police pour y dénoncer le film (?) y sont retenus pour vérification de domicile. Les dégâts effectués sont évalués à 80 000 francs. Le 4 et le 5, les journaux de droite s'emparent de cet incident pour réclamer violemment le retrait du film. La Ligue des Patriotes communique une note protestant contre « l'immoralité de ce spectacle bolcheviste » qui attaque la religion, la patrie et la famille, revendiquant l'intervention de ses commissaires et prétendant que le saccage a été fait par la foule.

Le 5, on annonce une interpellation de M. Le Provost de Launay au Conseil municipal. M. Benoît, de la Préfecture de Police, se rend au ministère de l'Instruction Publique et confère avec M. Ginisty, Président de la Censure. Le soir, la Préfecture demande à M. Mauclaire, directeur du Studio 28, par l'intermédiaire de la Censure, la suppression des « deux passages d'évêques » dans le film. Cette suppression est effectuée.

Le 7, Le Figaro et L'Ami du Peuple du soir publient des articles mettant en cause l'existence de la censure et préconisent l'application systématique des méthodes fascistes dans les spectacles.

Le 8, la Préfecture demande directement à M. Mauclaire d'abord la suppression du « passage du Christ » puis, étant donné que rien ne le mentionne à l'écran, se contente de demander la suppression, dans le programme, de la phrase « Le comte de Blangis est évidemment Jésus-Christ ».

Le 9, M. Mauclaire est avisé d'avoir à présenter le film devant une commission d'appel de la Censure le jeudi 11 au matin.

Le 10, « le très sympathique conseiller des Champs-Elysées, M. Le Provost de Launay » publie dans les journaux une lettre ouverte au Préfet de Police, dénonçant le film, la revue « Le Surréalisme au service de la Révolution » et les oeuvres de ses collaborateurs qu'il qualifie d'ordures. Il proteste du même coup contre d'autres films d'importation ou d'origine germanique qui se jouent ou vont se jouer dans le quartier des Champs-Elysées A DEUX PAS du Soldat inconnu ». Le Figaro, commentant cette lettre, invite le Préfet de Police à la répression contre le surréalisme. Au courrier du matin, les journaux du matin ont déjà reçu une lettre annonçant l'interdiction du film. M. Mauclaire n'en est avisé que le même jour à 17 heures 20.

Néanmoins, le lendemain 11, au matin, la commission assiste à la présentation du film et fait, le surlendemain, passer une note dans les journaux concluant au retrait du visa et à l'interdiction du film et annonçant des poursuites contre le directeur du cinéma en spécifiant, dans le communiqué même, le maximum de la pénalité encourable.

Le 12, le Commissaire de Police des Grandes Carrières vient saisir au Studio 28 toutes copies existantes du film, soit une qui se trouvait au Studio et une autre au domicile de son directeur.

Le même jour les présidents et délégués des sections de Paris de la Ligue des Patriotes, sous la présidence de M. Marcel Habert et du Général Pougin, chargent le Commissaire général de la ligue, M. A. Cruchon, de féliciter les commissaires de la Ligue des Patriotes « arrêtés au cours de la manifestation contre le film bolcheviste "L'Age d'or" » et remercient M. Le Provost de Launay de son intervention (1).


QUESTIONNAIRE

  1. Que pensez-vous de l'interdiction par la police du film « L'Age d'or » à la suite de la manifestation de la Ligue des Patriotes et de la Ligue Anti-Juive le 3 décembre 1930 au Studio 28 ?
  2. Depuis quand n'a-t-on pas le droit, en France, de mettre gravement en question la religion, ses fondements, les moeurs de ses représentants, etc. ?

Depuis quand la police est-elle au service de l'antisémitisme ?

L'intervention de la police sanctionnant le pogrome de la Ligue des Patriotes est-elle un encouragement officiel à l'établissement des méthodes fascistes en France ?

Faut-il comprendre cette intervention comme une autorisation donnée également à ceux qui estiment outrageante la propagande religieuse d'en interrompre par tous les moyens les manifestations (films de propagande romaine, pèlerinages de Lourdes et de Lisieux, officines d'obscurantisme telles que Bonne Presse, Congrégation de l'Index, églises, etc., perversion de la jeunesse dans les patronages et les préparations militaires, prêches à la radio, magasins de crucifix, vierges, couronnes d'épines) ?

  1. Le fait de l'interdiction de « L'Age d'or » constitue-t-il un simple abus de pouvoir de plus de la police ou bien donne-t-il la preuve de l'incompatibilité du surréalisme avec la société bourgeoise ?

Faut-il considérer comme la reconnaissance de cette incompatibilité, le fait qu'après que de jeunes bourgeois aient détruit des tableaux surréalistes et volé des livres surréalistes, après que les journaux bourgeois aient publié une lettre de provocateur signée Le Provost de Launay et excité à la répression contre la revue Le Surréalisme au service de la Révolution et au saccage du siège de cette revue, leur police ait interdit un film surréaliste, comme elle interdit les films soviétiques, comme la police d'Hitler a interdit en Allemagne A l'Ouest rien de nouveau ?

  1. L'emploi de la provocation pour légitimer une intervention ultérieure de la police n'est-il pas le signe de la fascisation ?

Cette intervention se faisant sous le prétexte de protéger l'enfance, la jeunesse, la famille, la patrie et la religion, peut-on un instant prétendre que cette fascisation évidente n'a pas pour but de détruire tout ce qui tend à s'opposer à la guerre qui vient ?


(1) Ici se placent des « Extraits du programme » que l'on trouvera dans la partie « Description et Commentaires », infra. (N.D.E.)


Et très spécialement à la guerre contre l'U.R.S.S. ?

MAXIME ALEXANDRE, ARAGON, ANDRÉ BRETON, RENÉ CHAR, RENÉ CREVEL, SALVADOR DALI, PAUL ELUARD, GEORGES MALKINE, BENJAMIN PÉRET, MAN RAY, GEORGES SADOUL, YVES TANGUY, ANDRÉ THIRION, TRISTAN TZARA, PIERRE UNIK, ALBERT VALENTIN (1).

(1) Les « Extraits de la Presse » qui encadraient le texte de ce tract figurent dans la partie « Description et Commentaires » du présent volume, infra. (N.D.E.)


[LETTRE AU « JOURNAL DES POÈTES »]

Paris, le 17 avril 1931

Céline Arnaud a battu Verhaeren (le Déroulède belge) d'une longueur de moustache. Pour Benjamin Péret, par délégation spéciale : André Breton, Paul Eluard

La merde dans l'huître. Sacher Purnal.

Le journal des poètes, Kouillasserie bruqueselloise. René Crevel

Où vât papa ? Au Journal des poètes fumier d'hôpital. René Char.

Le Journal des Poètes et des Pourritures. Tristan Tzara

Le journal en question ne me sert qu'à démerder mes chiens. Aragon

Le Journal des poètes est un phumier. Pierre Unik

Le Journal des Poètes, je me suis justement taurché avec ce matin. Excellant ! Paul Eluard

Le journal des Poètes est le rendé-vous des tappètes. Albert Valentin

Demandez le journal des Poëtes, le grand heibdomadaire de la Merde ! André Thirion

Les collaborateurs belges du Journal des Poètes belges se la font sucée tous les jours par la princesse belge Marichaussée. André Breton

Le journal des Poètes maxime putréfaction. Salvador Dali


NE VISITEZ PAS L'EXPOSITION COLONIALE

A la veille du 1er mai 1931 et à l'avant-veille de l'inauguration de l'Exposition Coloniale, l'étudiant indo-chinois Tao est enlevé par la police française. Chiappe, pour l'atteindre, utilise le faux et la lettre anonyme. On apprend, au tout du temps nécessaire à parer à toute agitation, que cette arrestation, donnée pour préventive, n'est que le prélude d'un refoulement sur l'Indo-Chine (\*). le crime de Tao ? Etre membre du Parti Communiste, lequel n'est aucunement un parti illégal en France, et s'être permis jadis de manifester devant l'Elysée contre l'exécution de quarante Annamites.

L'opinion mondiale s'est émue en vain du sort des deux condamnés à mort Sacco et Vanzetti. Tao, livré à l'arbitraire de la justice militaire et de la justice des mandarins, nous n'avons plus aucune garantie pour sa vie. Ce joli lever de rideau était bien celui qu'il fallait, en 1931, à l'Exposition de Vincennes.

L'idée du brigandage colonial (le mot était brillant et à peine assez fort), cette idée, qui date du XIXe siècle, est de celles qui n'ont pas fait leur chemin. On s'est servi de l'argent qu'on avait en trop pour envoyer en Afrique, en Asie, des navires, des pelles, des pioches, grâce auxquels il y a enfin, là-bas, de quoi travailler pour un salaire et cet argent, on le représente volontiers comme un don fait aux indigènes. Il est donc naturel, prétend-on, que le travail de ces millions de nouveaux esclaves nous ait donné les monceaux d'or qui sont en réserve dans les caves de la Banque de France. Mais que le travail forcé - ou lbre - préside à cet échange monstrueux, que des hommes dont les moeurs, ce que nous essayons d'en apprendre à travers des témoignages rarement désintéressés, des hommes qu'il est permis de tenir pour moins pervertis que nous et c'est peu dire, peut-être pour éclairés comme nous ne le sommes plus sur les fins véritables de l'espèce humaine, du savoir, de l'amour et du bonheur humains, que ces hommes dont nous distingue ne serait-ce que notre qualité de blancs, nous qui disons hommes de couleur, nous hommes sans couleur, aient été tenus, par la seule puissance de la métallurgie européenne, en 1914, de se faire crever la peau pour un très bas monument funéraire collectif - c'était d'ailleurs, si nous ne nous trompons pas, une idée française, cela répondait à un calcul français - voilà qui nous permet d'inaugurer, nous aussi, à notre manière, l'Exposition Coloniale, et de tenir tous les zélateurs de cette entreprise pour des rapaces. Les Lyautey, les Dumesnil, les Doumer qui tiennent le haut du pavé aujourd'hui dans cette même France du Moulin-Rouge n'en sont plus à un carnaval de squelettes près. On a pu lire il y a quelques jours, dans Paris, une affiche non lacérée dans laquelle Jacques Doriot était présenté comme le responsable des massacres d'Indo-Chine. Non lacérée.


(*) Nous avons cru devoir refuser, pour ce manifeste, les signatures de nos camarades étrangers.


Le dogme de l'intégrité du territoire national, invoqué pour donner à ces massacres une justification morale, est basé sur un jeu de mots insuffisant pour faire oublier qu'il n'est pas de semaine où l'on ne tue, aux colonies. La présence sur l'estrade inaugurale de l'Exposition Coloniale du Président de la République, de l'Empereur d'Annam, du Cardinal Archevêque de Paris et de plusieurs gouverneurs et soudards, en face du pavillon des missionnaires, de ceux de Citroën et Renault, exprime clairement la complicité de la bourgeoisie tout entière dans la naissance d'un concept nouveau et particulièrement intolérable : la « Grande France ». C'est pour implanter ce concept-escroquerie que l'on a bâti les pavillons de l'Exposition de Vincennes. Il s'agit de donner aux citoyens de la métropole la conscience de propriétaires qu'il leur faudra pour entendre sans broncher l'écho des fusillades lointaines. Il s'agit d'annexer au fin paysage de France, déjà très relevé avant-guerre par une chanson sur la cabanebambou, une perspective de minarets et de pagodes.

A propos, on n'a pas oublié la belle affiche de recrutement de l'armée coloniale : une vie facile, des négresses à gros nénés, le sous-officier très élégant dans son complet de toile se promène en pousse-pousse, traîné par l'homme du pays - l'aventure, l'avancement.

Rien n'est d'ailleurs épargné pour la publicité : un souverain indigène en personne viendra battre la grosse caisse à la porte de ces palais en carton-pâte. La foire est internationale, et voilà comment le fait colonial, fait européen comme disait le discours d'ouverture, devient fait acquis.

N'en déplaise au scandaleux Parti Socialiste et à la jésuitique Ligue des Droits de l'Homme, il serait un peu fort que nous distinguions entre la bonne et la mauvaise façon de coloniser. Les pionniers de la défense nationale en régime capitaliste, l'immonde Boncour en tête, peuvent être fiers du Luna-Park de Vincennes. Tous ceux qui se refusent à être jamais les défenseurs des patries bourgeoises sauront opposer à leur goût des fêtes et de l'exploitation l'attitude de Lénine qui, le premier au début de ce siècle, a reconnu dans les peuples coloniaux les alliés du prolétariat mondial.

Aux discours et aux exécutions capitales, répondez en exigeant l'évacuation immédiate des colonies et la mise en accusation des généraux et des fonctionnaires responsables des massacres d'Annam, du Liban, du Maroc et de l'Afrique centrale.

ANDRÉ BRETON, PAUL ELUARD, BENJAMIN PÉRET, GEORGES SADOUL, PIERRE UNIK, ANDRÉ THIRION, RENÉ CREVEL, ARAGON, RENÉ CHAR, MAXIME ALEXANDRE, YVES TANGUY, GEORGES MALKINE.

[Mai 1931.]


AU FEU !

Sois tolérant. Garde fermement ta foi ou ta conviction, mais admets qu'on ait une foi ou une conviction différente. Ne fais rien, ne dis rien qui puisse blesser la croyance d'un autre homme : c'est chose intime de la conscience humaine, si délicate qu'on la froisse en l'effleurant.
Paul Doumer

A partir du 10 mai 1931, à Madrid, Cordoue, Séville, Bilbao, Alicante, Malaga, Grenade, Valence, Algésiras, San Roque, La Linea, Cadix, Arcos de la Frontera, Huelva, Badajos, Jeres, Almeria, Murcia, Gijon, Teruel, Santander, La Corogne, Santa-Fé, etc., la foule a incendié les églises, les couvents, les universités religieuses, détruit les statues, les tableaux que ces édifices contenaient, dévasté les bureaux des journaux catholiques, chassé sous les huées les prêtres, les moines, les nonnes qui passent en hâte les frontières. Cent cinq édifices d'abord consumés ne cloront pas ce bilan de feu. Opposant à tous les bûchers jadis dressés par le clergé d'Espagne la grande clarté matérialiste des églises incendiées, les masses sauront trouver dans les trésors de ces églises l'or nécessaire pour s'armer, lutter et transformer la Révolution bourgeoise en Révolution prolétarienne. Pour la restauration de N.-D. del Pilar à Sarragosse par exemple, la souscription publique de vingt-cinq millions de pesetas est déjà à moitié couverte : qu'on réclame cet argent pour les besoins révolutionnaires et qu'on abatte le temple del Pilar où depuis des siècles une vierge sert à exploiter des millions d'hommes ! Une église debout, un prêtre qui peut officier, sont autant de dangers pour l'avenir de la Révolution.

Détruire par tous les moyens la religion, effacer jusqu'aux vestiges de ces monuments de ténèbres où se sont prosternés les hommes, anéantir les symboles qu'un prétexte artistique chercherait vainement à sauver de la grande fureur populaire, disperser la prêtraille et la persécuter dans ses refuges derniers, voilà ce que, dans leur compréhension directe des tâches révolutionnaires, ont entrepris d'elles-mêmes les foules de Madrid, Séville, Alicante, etc. Tout ce qui n'est pas la violence quant il s'agit de la religion, de l'épouvantail Dieu, des parasites de la prière, des professeurs de la résignation, est assimilable à la pactisation avec cette innombrable vermine du christianisme, qui doit être exterminée.

Ce qui fut, des siècles durant, l'auxiliaire et le soutien de leurs Majestés Très-Catholiques est aujourd'hui la proie d'une belle flamme dont on espère bien qu'elle gagnera tous les monastères, toutes les cathédrales d'Espagne et du monde. Déjà l'U.R.S.S., où des centaines d'églises ont été dynamitées, transforme les édifices du culte en clubs ouvriers, en hangars à pommes de terre, en musées antireligieux. La masse révolutionnaire espagnole s'en est prise immédiatement à l'organisation des prêtres qui en tous lieux sont avec la police et l'armée les défenseurs du capitalisme. Mais si le premier soin de la République bourgeoise a été de déclarer que le culte catholique restait religion d'Etat, sa deuxième tâche est de réduire par la force ceux qui sont résolus à jeter bas tous les édifices sacrés. La démarche du nonce apostolique auprès de M. Alcala Zamora a mis le gouvernement républicain et socialiste aux ordres du Pape. Une justice sommaire conduit déjà devant le peloton d'exécution les communistes coupables d'iconoclastie. Les bourgeois trembleurs maintiendront le clergé dans ses terres parce que le partage des biens ecclésiastiques ne peut être que le signal du partage des biens laïcs. Les bourgeois ont besoin des prêtres pour maintenir la propriété privée et le salariat. Ils ne pourront pas séparer l'Eglise de l'Etat. Seul, le terrorisme des masses effectuera cette séparation : le prolétariat armé et organisé fera justice des banquiers, des industriels, cramponnés aux jupons noirs des prêtres. Le front antireligieux est le front essentiel de l'étape actuelle de la Révolution espagnole.

En France, l'amplification de la lutte antireligieuse soutiendra la Révolution espagnole. Athées français, vous ne tolérerez pas qu'au nom d'un droit d'asile absolument fallacieux, la France, malgré la Séparation de l'Eglise et de l'Etat proclamée en 1905, permette l'établissement sur son territoire des congrégations qui ont fui l'Espagne révolutionnaire. C'est assez que se soient produites à l'arrivée du roi Alphonse les scandaleuses manifestations de Paris. Vous imposerez, par une agitation qui saura être digne des magnifiques bouquets d'étincelles apparus par-dessus les Pyrénées, le refoulement des religieux vers la frontière où les attendront bientôt les tribunaux de salut public. Vous exigerez du même coup le rapatriement avec leurs confesseurs des bandits royaux qui doivent être jugés par leurs sujets d'hier, leurs victimes de toujours. Vous ferez de vos revendications de solidarité avec les ouvriers et les paysans en armes de l'Espagne une étape de votre lutte pour la prise du pouvoir en France par le prolétariat qui, seul, saura balayer Dieu de la surface de la terre.

BENJAMIN PÉRET, RENÉ CHAR, YVES TANGUY, ARAGON, GEORGES SADOUL, GEORGES MALKINE, ANDRÉ BRETON, RENÉ CREVEL, ANDRÉ THIRION, PAUL ELUARD, PIERRE UNIK, MAXIME ALEXANDRE (\*).

[Mai 1931.]


(*) et dix signatures de camarades étrangers.


PREMIER BILAN DE L'EXPOSITION COLONIALE

C'est nous, les poètes, qui clouons les coupables à l'éternel pilori. Ceux que nous condamnons, les générations les méprisent et les huent.

Emile Zola

Dans la nuit du 27 au 28 juin, le pavillon des Indes Néerlandaises a été entièrement détruit par un incendie. « Et d'un ! » sera tenté d'abord de s'écrier tout spectateur conscient du véritable sens de la démonstration impérialiste de Vincennes. On s'étonnera peut-être que ne passant pas pour avoir le souci de la conservation des objets d'art, nous ne nous en tenions pas à ce premier réflexe. C'est qu'en effet, de même que les adversaires des nationalismes doivent défendre le nationalisme des peuples opprimés, les adversaires de l'art qui est le fruit de l'économie capitaliste, doivent lui opposer dialectiquement l'art des peuples opprimés. Le pavillon que les journalistes ne rougissent pas d'appeler le pavillon « de Hollande » contenait indiscutablement les témoignages les plus précieux de la vie intellectuelle de la Malaisie et de la Mélanésie. Il s'agissait, comme on sait, des plus rares et des plus anciens spécimens artistiques connus de ces régions, d'objets arrachés par la violence à ceux qui les avaient conçus et desquels un gouvernement d'Europe, si paradoxalement que cela puisse paraître, n'avait pas craint de se servir comme objet de réclame pour ses méthodes propres de colonisation (1). Ce n'était sans doute pas assez de piraterie et de ce scandaleux détournement de sens par lequel elle semblait se parachever, car ces objets pouvaient encore servir à l'anthropologiste, au sociologue, à l'artiste. Ce n'est que par une vue tout à fait superficielle de la question que l'on peut considérer l'incendie du 28 juin comme un simple accident. Ce qui vient d'être détruit, malgré l'emploi que le capitalisme en faisait, était destiné à se retourner contre lui, grâce à la valeur d'étude qu'il constituait. Seule, la science matérialiste pouvait bénéficier de cette valeur d'étude, comme Marx et Engels reprenant les observations de Morgan sur les Iroquois et les Hawaïens l'ont mis parfaitement en lumière dans leurs recherches sur l'origine de la famille. Les découvertes modernes dans l'art comme dans la sociologie seraient incompréhensibles si l'on ne tenait pas compte du facteur déterminant qu'a été la révélation récente de l'art des peuples dits primitifs. De plus, le matérialisme, dans sa lutte contre la religion, ne peut utiliser qu'efficacement la comparaison qui s'impose entre les idoles du monde entier. C'est ce que comprennent très bien les missionnaires dont le pavillon n'a pas été brûlé lorsqu'ils mutilent habituellement


(1) « Je tiens à adresser à votre Excellence l'expression de ma vive et douloureuse sympathie à l'occasion de l'incendie du pavillon principal des Indes Néerlandaises que nous avions inauguré ensemble et qui était un magnifique témoignage de l'oeuvre colonisatrice de votre pays » (Télégramme de M. Paul Reynaud au ministre des Colonies des Pays-Bas).


les fétiches et qu'ils entraînent les indigènes dans leurs écoles à reproduire les traits de leur Christ selon les recettes de l'art européen le plus bas (2) (cette comparaison s'établit au mieux dans les musées anti-religieux de Russie). Toutes raisons excellentes pour que nous considérions comme une sorte d'acte manqué de la part du capitalisme la destruction des trésors de Java, Bali, Bornéo, Sumatra, Nouvelle-Guinée, etc., qu'il avait élégamment groupés sous le toit de chaume imitation. Ainsi se complète l'oeuvre colonisatrice commencée par le massacre, continuée par les conversions, le travail forcé et les maladies (à propos, si les journaux français peuvent démentir que l'importation indigène à l'Exposition Coloniale menace Paris de la maladie du sommeil et de la lèpre, nous ne soutiendrons pas que les travailleurs de l'Exposition sont garantis tous risques contre les fléaux européens, de l'alcoolisme à la prostitution par la tuberculose).

Pour ceux qui seraient tentés de trouver abusif de tenir le capitalisme pour responsable de l'incendie du 28 juin, nous ferons remarquer que contrairement à ce qui se passe pour le mécanicien mort ou vif d'un train qui a déraillé, le gardien de nuit du pavillon détruit a été mis hors de cause. Il doit falloir pour cela qu'on n'ait pas trouvé le moindre communiste dans ses relations ! Néanmoins, l'agitation communiste en Malaisie a paru au Figaro, entre autres, en relation directe avec l'étincelle qui a mis le feu (3). Nous nous bornons sagement à considérer que le capitalisme doit répondre de tout ce qui se passe actuellement à Vincennes où il fait ses affaires, sans nous laisser aller à accuser plus particulièrement les missionnaires par exemple. Cependant, une telle imputation serait susceptible de trouver une certaine faveur si l'on songeait aux vilaines habitudes des prêtres, de l'iconoclastie à la falsification des textes.

Quant à ceux qui croiraient relever une contradiction gênante entre nos appréciations concernant les actes purificateurs du Prolétariat brûlant les couvents d'Espagne et le grossier gaspillage qui met philosophiquement en lumière le sourire en coin du maréchal Lyautey, nous ne nous contenterons pas de les renvoyer au début de ce texte. Nous ajouterons pour eux que si les fétiches de l'Insulinde ont pour nous une indiscutable valeur scientifique et qu'ils ont, de ce fait, perdu tout caractère sacré, par contre les fétiches d'inspiration catholique (tableaux de Valdes Leal, sculptures de Berruguete, troncs de la maison Bouasse-Lebel) ne sauraient être considérés ni du point de vue scientifique, ni du point de vue artistique, tant que le catholicisme aura pour lui les lois, les tribunaux, les prisons, les écoles et l'argent et jusqu'à ce qu'universellement les diverses représentations du Christ fassent modeste figure parmi les tikis et les totems.

Sans tenir compte des nostalgies qu'elle aura pu donner aux petits des bourgeois - saviez-vous que la France était si grande ? - l'Exposition dépose dès maintenant son premier bilan. Ce bilan accuse un déficit que ne comblera pas le prix du temple d'Angkor vendu à une firme cinématographique, comme ça tombe ! pour être brûlé.


(2) Voir L'Année Missionnaire 1931.

(3) Article d'Eugène Marsan.


A ce sujet, une simple question : le pavillon des Indes Néerlandaises (sauf avis contraire) n'avait pas été bâti pour brûler. Cependant, il a flambé comme une allumette. Le temple d'Angkor, lui, a été fait pour brûler. N'est-on pas fondé à penser qu'il a dû être construit en matériaux particulièrement inflammables et que de ce fait il pourrait bien se comporter de même avant le temps fixé ? Dans ces conditions, malgré l'assurance donnée par le Préfet de police au Conseil municipal que l'Exposition est l'endroit du monde le mieux gardé contre l'incendie, l'oeuvre colonisatrice de la France ne risque-t-elle pas de s'y poursuivre non seulement aux dépens de la science et de l'art, mais aussi aux dépens de la vie des figurants de l'Exposition, et d'une bonne partie de la population parisienne ?

3 juillet 1931.

YVES TANGUY, GEORGES SADOUL, ARAGON, ANDRÉ BRETON, ANDRÉ THIRION, MAXIME ALEXANDRE, PAUL ELUARD, PIERRE UNIK, RENÉ CHAR, BENJAMIN PÉRET, RENÉ CREVEL, GEORGES MALKINE (\*).

(*) Et douze signatures de camarades étrangers.


[LETTRE OUVERTE À L'AMBASSADEUR DE CHINE À PARIS]

Nous, professeurs et intellectuels français, avons appris avec indignation la condamnation à mort prononcée par les autorités du Kuomintang contre le secrétaire de l'organisation internationale des syndicats du Pacifique, à Shangaï, le citoyen suisse Ruegg. Nous élevons une ferme protestation contre cette condamnation. Nous demandons qu'elle soit rapportée et que le condamné soit remis immédiatement en liberté.

Nous protestons avec la même énergie contre la condamnation à la prison perpétuelle qui frappe celle qui n'a commis d'autre crime que d'être la femme du condamné.

Notre indignation est d'autant plus vive que nous n'ignorons pas que la sentence a été portée sans l'ombre d'un procès régulier et après une détention accompagnée d'effroyables tortures. Nous flétrissons également les bourreaux chinois et les impérialistes blancs qui, ayant arrêté Ruegg sur le terrain de la concession, l'ont livré contre leur propre légalité aux autorités du Kuomintang.

Nous savons aussi que l'avocat de l'accusé, Me Fisher, agréé par le Kuomintang, n'a été informé de la tenue du « procès » qu'après le prononcé du jugement !

Nous qui sommes pour la plupart membres ou sympathisants des syndicats unitaires de l'enseignement français et membres ou amis de l'Internationale des Travailleurs de l'Enseignement, dont nous connaissons l'oeuvre syndicale dans les pays du Pacifique, nous proclamons hautement le droit des travailleurs manuels et intellectuels, de toute race et de toute couleur, à s'organiser syndicalement et le droit des organisations syndicales à jouir d'une entière liberté dans les colonies et semi-colonies comme aussi dans les métropoles impérialistes.

Par la presse ouvrière et par nos organisations, nous avons été informés bien souvent des exécutions sommaires qui ont frappé des centaines d'étudiants, d'instituteurs et de professeurs chinois dans les provinces de Chine encore soumises au pouvoir du Kuomintang.

Nous nous déclarons solidaires de toutes les victimes de la contre-révolution chinoise. Nous partageons les deuils et les espoirs de la Chine révolutionnaire. Nous sommes avec Ruegg. Nous avons la ferme résolution de tout mettre en jeu pour empêcher l'exécution de l'inique condamnation portée contre lui, et en général pour faire reculer la terreur blanche en Chine.

ARAGON, HOMME DE LETTRES, PARIS ; BABY, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, PARIS ; BARRUÉ, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, BORDEAUX ; BERTHÉLÉMY, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, TOURS ; BRETON, HOMME DE LETTRES, PARIS ; BRUHAT, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, NANTES ; RENÉ CHAR, HOMME DE LETTRES, PARIS ; RENÉ CREVEL, HOMME DE LETTRES, PARIS ; G. COGNIOT, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, DIJON ; M. COHEN, PROFESSEUR À L'ECOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, PARIS ; DARVES, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, GRENOBLE ; DAUDIN, PROFESSEUR À LA FACULTÉ DE BORDEAUX ; ELUARD, HOMME DE LETTRES, PARIS ; C. FRIEDMANN, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, BOURGES ; DR GALPÉRINE, PARIS ; GUÉHENNO, RÉDACTEUR EN CHEF DE LA REVUE EUROPE ; HUSSON, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, PARIS ; A. JULIEN, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, PARIS ; LABÉRENNE, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, CHARTRES ; MAUBLANC, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, PARIS ; NIZAN, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, PARIS ; POLITZER, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, EVREUX ; ROMAIN ROLLAND ; GEORGES SADOUL, HOMME DE LETTRES, PARIS ; ANDRÉ THIRION, HOMME DE LETTRES, PARIS ; PIERRE UNIK, HOMME DE LETTRES, PARIS ; VERNOCHET, ANCIEN PROFESSEUR D'ECOLE NORMALE, PARIS ; LÉON WERTH, RÉDACTEUR EN CHEF DE MONDE ; DR WALLEN, DIRECTEUR À L'ECOLE DES HAUTES ETUDES, PARIS ; JOSEPH MARTIN, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, NEVERS.

[L'Humanité, 23 novembre 1931.]


LISEZ : NE LISEZ PAS :

Heraclite. Platon.

        Virgile.

Lulle. St Thom. d'Aquin.

Flamel.

Agrippa. Rabelais.

Scève. Ronsard

        Montaigne.

Swift. Molière.

Berkeley.

        La Fontaine.

La Mettrie.

Young.

Rousseau. Voltaire.

Diderot.

Holbach.

Kant. Schiller.

Sade. Mirabeau.

Laclos.

Marat. Bern. de St Pierre.

Babeuf. Chénier.

Fichte. Mme de Staël.

Hegel.

Lewis.

Arnim. Hoffmann.

Maturin.

Rabbe. Schopenhauer.

A. Bertrand. Vigny.

Nerval. Lamartine.

Borel. Balzac.

Feuerbach. Renan.

Marx.

Engels. Comte.

        Mérimée.

        Fromentin.

Baudelaire. Leconte de Lisle.

Cros. Banville.

Lautréamont. Kraft-Ebbing.

        Taine.

Rimbaud. Verlaine.

Nouveau. Laforgue.

Huysmans. Daudet.

Caze.

Jarry. Gourmont.

Becque. Verne.

Allais. Courteline.

Th. Flournoy. Mme de Noailles.

Hamsun. Philippe.

Freud. Bergson.

Lafargue. Jaurès.

        Durckheim.

        Lévy-Brühl.

Lénine. Sorel.

Synge. Claudel.

Apollinaire. Mistral.

Roussel. Péguy.

Léautaud. Proust

Cravan. d'Annunzio.

Picabia. Rostand.

Reverdy. Jacob.

Vaché. Valéry.

Maïakovsky. Barbusse.

Chirico. Mauriac.

Savinio. Toulet.

Neuberg. Malraux.

        Kipling.

        Gandhi.

        Maurras.

        Duhamel.

        Benda.

        Valois.

        Vautel.

        Etc., etc., etc...

IMP. UNION, 13, RUE MECHAIN, PARIS


[C'ÉTAIT UNE ENQUÊTE DE MARINETTI...]

« Crépuscule des poètes, mouches en chemises noires sur les mots en liberté, déclin de la poésie, antitradition passéiste, croix gammée de l'inspiration-tête de mort : ce sont les formules que les gens redisent comme des trouvailles et qui sont déjà à la portée de tout le monde, c'est-à-dire des vérités. Pan, encore un ouvrier mort, vive Victor-Emmanuel ! La poésie se porte bien. Elle est née à Fiume et elle doit partager le destin du fumier tant que l'argent reluira sur les malheurs des hommes. Notre vie moderne, l'âge de l'espionnage et de la bombe d'avion, du travail à la chaîne et du repos éternel, n'est pas en opposition avec la botte italienne. La sensibilité corporelle des artistes peut-elle coïncider avec les aspects de la vie de la péninsule ? Le poète est-il celui qui se fait fouetter ?

Est-ce vrai ce qu'assurent les fascistes, c'est-à-dire que notre vie moderne ne peut pas remonter les sources d'inspiration des poètes au-delà du ventre ?

Sur ces points fondamentaux, sur les aspects spirituels et esthétiques du problème de la poésie dans le monde, nous venons d'ouvrir une enquête pour répondre à laquelle (sic) nous battons le rappel des représentants les plus illustres de l'art et de la pensée de tous les pays. Nous avons égorgé, abruti, tenté de faire circuler l'huile de ricin dans les veines. Voici le questionnaire :

  1. Quelle est aujourd'hui, par le fascisme, la condition qui est faite à l'ordure dans le monde ?
  2. Quelles sont les sensibilités nouvelles qui s'y découvrent, avez-vous vu la gueule des fils Mussolini ?
  3. Existe-t-il de nouveaux laxatifs ?
  4. Quelles sont les possibilités techniques nouvelles d'infection générale, de tout-à-l’égout par le coeur des poètes renégats, des révolutionnaires vendus, des athées à la croûte d'hostie ? »

....

C'était une enquête de Marinetti à laquelle nous n'avons pas cru devoir répondre.

[Le Surréalisme A.S.D.L.R. n° 3, décembre 1931.]