MÉLUSINE

Tracts surréalistes, Tome II, 1967


1967

Holà !

Lorsque vers 1960, sa juste haine envers feu Cocteau conduisit M. Philippe Soupault à reparaître dans nos alentours, à l'occasion du débat causé par le titre de “ Prince des Poètes ”, personne parmi nous n'envisagea cette venue comme une invite à le “ restaurer ” au sein du Groupe surréaliste. Pas davantage, le projet alors formé d'une réédition des Champs Magnétiques. Aujourd'hui, c'est lui qui nous oblige à mettre les points sur les i.

Au soir du décès d'André Breton, M. Soupault prononça quelques paroles véritablement émues. Dès le surlendemain son besoin effréné de publicité personnelle reprenait le dessus : il s'épandit à la télévision en propos aussi monotones que brouillons. Et en novembre, il publiait précipitamment une plaquette, Le Vrai André Breton, “ en hommage à sa mémoire et (sic) au tirage de n exemplaires... ” (1) reproduisant un texte paru dans les Nouvelles Littéraires, où il affirme parler au nom d'une amitié de cinquante années : sur cette amitié, il nous appartient seulement de rappeler que sa “ mise entre parenthèses ” fut longue, et - toute polémique à part, - de renvoyer au Second Manifeste.

En tout état de cause, ce texte aligne des contradictions non exemptes de venin, qui atteignent l'absurde : “ Il était très difficile de connaître (c'est M. Soupault qui souligne) André... aimable, presque trop aimable... enthousiaste jusqu'au délire, il pouvait être d'une affreuse dureté, et même quelquefois injuste. Pourtant il avait horreur de l'injustice... ce qui m'a toujours (sic) surpris, c'est le besoin, j'allais écrire maladif, de brûler ce qu'il avait adoré et d'adorer ce qu'il avait brûlé. ” Etc, etc.

M. Soupault le dit lui-même : “ Je ne crains pas de me répéter ” (ça, nous le savions). Mais ce qu'il ne sait plus, c'est s'il a vécu “ 2, 3, ou 4 années ”, “ une expérience inoubliable ” (textuel). Par contre, ce qu'il sait, c'est que Breton, “ grand et très grand poète ”, ne “ se prenait pas tellement au sérieux ” : la preuve en serait son amitié pour Péret, “ dont l'humour le


(1) E d. Dynamo, Liège, coll. Brimborions (sic).


bouleversait ”, et qui serait à l'origine de la publication de l'Anthologie de l'Humour Noir !

Indépendamment du sens que M. Soupault peut prêter au mot sérieux, ce sont là autant d'affirmations fausses et perfides, présentées en sourdine malgré l'incroyable prétention du titre. Elles sont reprises, beaucoup plus carrément, dans un nouveau “ témoignage ” confié en janvier 1967 à l'Institute of Contemporary Arts (Londres). Ici M. Soupault jette par-dessus bord “ l'amitié ” témoignée malgré tout par le “ grand poète ” à sa modeste personne : il commence par reprocher à Breton son côté méthodique et “ codifiant ” (assurément, le désordre mental illimité s'inquiète à la lecture des Manifestes). “ Plus qu'un révolutionnaire, André Breton était un homme révolté ” (sûrement point au sens de Camus, et ses efforts pour renouer un lien entre révolte et révolution furent déterminants dans la “ disparition ” de M. Soupault dès avant 1930). Plus grave : le suicide de Vaché aurait été pour André une invitation à penser à la mort, une “ Invitation au Suicide ”, écrit imprudemment M. Soupault qui baptisa ainsi un peu plus tard un recueil de poèmes, et qui se fait, de la sorte, une publicité à retardement, tout en agitant, après tant d'autres, la crécelle du “ Pourquoi ne vous suicidez-vous pas ? ” sur notre passage, et hélas, sur celui d'André Breton.

On apprend ensuite que Breton avait le rare don de se rappeler ses rêves, qu'il rêvait chaque nuit, que tous ses poèmes sont d'origine onirique (?)... mais qu'il “ était victime d'insomnies depuis son adolescence ” et qu'il passait ses nuits sans sommeil à “ planifier ” l'activité du groupe de Littérature. Ce serait bouffon, si ne s'ensuivait la suggestion qu'à l'époque Breton ne pouvait faire un pas sans le concours de M. Soupault : celui-ci l'aurait décidé à commencer la publication du Paysan de Paris ; Breton, “ ou plutôt nous ” (sic) accueille Tzara avec enthousiasme, mais survient la rupture, et M. Soupault se donne les gants de déclarer : “ Toute sa vie, il lui fut à la fois nécessaire et agréable de briser des relations... Il avait peur d'être sentimental... ” Mais non, M. Soupault, vous devriez savoir comme nous que, s'il fut parfois nécessaire à Breton de rompre, ce lui fut toujours extrêmement pénible.

Arrive la fondation du Surréalisme, et “ l'évanouissement ” conséquent de M. Soupault dans diverses activités journalistiques... Pourquoi Breton tenait-il aux réunions où, M. Soupault le disait “ avec émotion ” en novembre, “ il aimait accueillir des poètes jeunes ” ? C'est ou bien “ parce qu'il avait horreur de la solitude, ou bien parce qu'il n'était plus sûr de lui, s'il l'avait jamais été (2) ”. Notre palotin ajoute : “ Je me suis souvent posé la question sans trouver la réponse. ”

Où M. Soupault fabule et exagère, c'est lorsqu'il affirme qu'il rencontra Nadja, “ qui ne s'appelait pas encore Nadja ” et que Breton aurait baptisée ainsi : “ elle n'était pas aussi folle qu'elle s'efforçait de le paraître, mais le devint à force de le prétendre ” : Breton qui “ adorait le mystère ” (!) n'aurait jamais pardonné à M. Soupault d'avoir été le témoin de cette aventure. On n'en finirait pas de relever les coups de pouce, faux souvenirs, festons et astragales par quoi le bavard orne sa mémoire ; mais ici, nous touchons à la calomnie.


(2) C'est nous qui soulignons.


Il déplore encore que Breton lui en ait “ voulu un peu ” d'être né sous le signe du Lion, et non comme lui sous celui du Verseau. Quant au Surréalisme d'après-guerre, M. Soupault, bien sûr, lui refuse toute portée : André Breton “ lançait des revues qui ne scandalisaient plus personne ”, personne ne parlait plus du Surréalisme, tare majeure, assurément, aux yeux de M. Soupault, - et Breton, bien que la critique reconnaisse son influence, n'était pas content ! Ce qui surprenait M. Soupault chez ce grand malade (sic), c'est que, “ envers et contre tout, il reste fidèle à lui-même ”.

Assurément. Nous ne songeons guère à empêcher M. Soupault de rester fidèle, lui aussi : fidèle à cette agitation perpétuelle et dérisoirement narcissique qui lui sert de personnalité. Mais l'annexion qu'il tente grâce à ses innombrables relations, points d'appui et “ copains ” pas difficiles sur la qualité de la copie, mérite d'être contée. Le rôle qu'il joua dans la genèse du Surréalisme, et que nul ne conteste, il se gardera bien d'en avouer le caractère irresponsable. Pour n'avoir pas su, autrefois, mesurer la grandeur de la démarche à laquelle il participa, il est conduit tout naturellement aujourd'hui à la minimiser, à la taxer de “ rigorisme ”, à la noyer dans un flux de pauvres remarques “ psychologiques ” et d'anecdotes invérifiables qui, si l'on n'y met un terme, le restitueront à sa vocation cyclique de faux-témoin.

Par pitié pour M. Soupault, pour le poète qu'il fut parfois, ne lui demandez plus rien. Pour le Mouvement surréaliste : Gérard Legrand, José Pierre, Jean Schuster. Paris, le 15 février 1967.


[Lettre à Franklin et Penelope Rosemont]

L'Archibras le Surréalisme, le 1er mai 1967, 81e anniversaire de l'émeute ouvrière de Chicago.

Cher Franklin, chère Penelope Rosemont,

Cette année 1966, que vous avez choisie pour situer le Surréalisme aux U.S.A. a été, pour nous, en France, mais aussi, bien sûr, pour tous les Surréalistes dans le monde, l'année où le feu s'est dérobé. Il dépendait de peu que ce fût, pour chacun, sans retour. Il dépend de tous qu'il continue de couver, puis se ranime. Nous savons enfin, nous savons maintenant que le lumineux revers de la difficulté d'être est la difficulté de mourir. Que la mort soit à la fois une réalité et une apparence, nous venons d'en conquérir la certitude, libérant notre esprit d'un des plus graves sophismes de l'entendement occidental.

Mais pourquoi nier, pourquoi vous dissimuler qu'une force égarante a, depuis le 28 septembre, menacé tous nos gestes et freiné une coordination nécessaire et purement matérielle ? Notre exigence a été de conjurer au plus vite le danger d'une solution de continuité, en nous-mêmes, et pour ce faire, nous n'avons eu cesse que de dire au-dehors, de porter l'effort sur le manifeste pour que s'attise le feu latent. Il nous fallait surtout donner corps à un projet d'avant le malheur pour affirmer les “ raisons d'être toujours ”. Nous vous adressons par avion le n° 1 de L'Archibras, dont les grandes lignes avaient été définies par André Breton. Les derniers mois ont été, hélas, gâchés par de médiocres batailles avec l'éditeur, l'imprimeur et autres, et cette revue, qu'il aurait fallu publier dès décembre, n'est diffusée que depuis quelques jours.

Aujourd'hui seulement, nous entendons votre magnifique message. C'est la voix même du Surréalisme. Vos analyses de la situation politique aux Etats-Unis et la perspective d'une action surréaliste dans ce contexte nous paraissent dictées par la lucidité de la passion, qu'il nous appartient de faire prévaloir au détriment d'une prétendue passion de la lucidité dont on sait où elle mène le monde.

Nous tenons à vous dire toute notre affection et notre accord total.

Notre souhait le plus ardent est d'inaugurer, par cette lettre, une liaison permanente avec vous, de commencer par un échange d'informations et de passer très vite à des modalités d'action commune.

Sur le plan politique, nous sommes impatients de savoir comment nous, ici, pourrions vous aider, en prenant un certain nombre d'initiatives destinées à promouvoir une action efficace, en France et en Europe, contre la guerre menée par Johnson, le Pentagone et la C.I.A. au Vietnam. Vous savez, bien sûr, que notre position est rendue difficile par le paradoxe gaulliste. Nous préparons néanmoins, avec quelques écrivains non-surréalistes, un projet de déclaration internationale que nous vous communiquerons, sitôt qu'il sera au point. Nous vous avouons que le tour pris par ce projet ne nous donne pas vraiment satisfaction, car il ne nous paraît pas devoir déboucher sur des possibilités d'action réelle. Nous le signerons néanmoins, mais comme une tentative minimum, et sans grande illusion. Nous aurions été favorables à un projet beaucoup plus vaste qui aurait pu préluder à un regroupement de l'intelligence révolutionnaire en procédant par l'analyse explicite des situations nationales (U.S.A., Chine, Russie, Cuba, Amérique Latine, France, etc.) d'où aurait découlé implicitement le procès en carence des organisations de gauche (nouvelles ou anciennes) et des “ penseurs ” de la gauche du type Russell ou Sartre. Nous aurions aussi sacrifié une efficacité à court terme (tout hypothétique d'ailleurs) à la possibilité de constituer une association internationale véritablement révolutionnaire et dure.

Sur un autre plan, mais en fait sur le même plan, nous attendons beaucoup d'une exposition surréaliste à Chicago. Ne nous cachons pas que les difficultés seront considérables ; mais pensons-y dès maintenant. Nos projets d'expositions à Sao-Paulo et à Bratislava, cette année, se heurtent à d'innombrables obstacles, mais nous espérons aboutir. Notre conception générale, à cet égard, est de considérer chacune de ces expositions comme une machine de guerre dirigée contre la forme spécifique que prend l'appareil répressif dans le pays où elle a lieu. Nous aimerions avoir l'accord des Surréalistes agissant hors de France, et le vôtre en particulier, sur cette stratégie de base, compte tenu du fait que ses modalités d'application ne sauraient mieux s'inventer que sur place.

Enfin, nous préparons le n° 2 de L'Archibras dans lequel nous publierons, sauf avis contraire de votre part, votre texte : “ Situation du Surréalisme aux U.S.A. en 1966 ”. Peut-être pourriez-vous, de toute urgence, nous communiquer un bref additif indiquant l'évolution de cette situation depuis un an ?

A vous, Franklin et Penelope Rosemont, notre affection la plus vive.

Philippe Audoin, Jean-Claude Barbé, Jean Benoît, Vincent Bounoure, Elisa Breton, Claude Courtot, Guy Flandre, Giovanna, Jean-Michel Goutier, Radovan Ivsic, Alain Joubert, Annie Le Brun, Gérard Legrand, Joyce Mansour, Mimi Parent, Jean Schuster, François-René Simon, Toyen, Michel Zimbacca.

Pour un demain joueur

Résolution intérieure destinée à enrayer la formation des poncifs et à interdire la formation des dogmes dans le Surréalisme.

Croire ou ne pas croire à la possibilité d'une action surréaliste aujourd'hui, sous la forme qui lui a été donnée depuis plus de quarante ans, c'est-à-dire la mise en commun des ressources individuelles, qu'elles soient d'ordre intellectuel ou sensible, créateur ou critique, expérimental ou théorique, c'est la première question que nous entendons poser.

Cette question enveloppe toutes les autres. Il n'appartient à personne de refermer, pour l'avenir immédiat du Surréalisme, l'intervalle aujourd'hui béant entre le Oui et le Non. Breton s'est voulu l'instrument par lequel la vie de chacun débouchait dans l'aventure collective et y puisait sa force. C'est grâce à lui que la pensée individuelle a été depuis 1920 multipliée par le coefficient collectif et que l'histoire du Surréalisme, au lieu d'une collection d'inventions successives, fut l'invention commune de nouveaux moyens d'agir et de sentir. La mise en commun de la pensée peut-elle survivre à Breton ? Chacun doit en juger personnellement. Il s'agit d'évaluer la fécondité immédiate et ultérieure de la pensée surréaliste envisagée comme fait de Groupe. Nul d'entre nous ne sera incriminé pour estimer que la disparition de Breton frappe de nullité toute aventure, toute perspective collectives.

La présente résolution est le fait de ceux qui forment le pari inverse et qui estiment que ce choix ne doit pas rester à l'état de voeu pieux. Cette option doit être claire ; elle s'assortit nécessairement des modalités qui permettent aujourd'hui d'aller de l'avant et de trouver une articulation nouvelle de l'individuel et du collectif. Nous croyons que ceux-là même qui souhaitent la poursuite d'une aventure collective sans s'en offrir les moyens doivent tirer immédiatement les conclusions qu'appellent leurs convictions.

Chacun est-il décidé à participer pleinement à l'activité collective ? : c'est la deuxième question que nous entendons poser.

Cette participation suppose :

  1. — Pour les Parisiens, une fréquentation régulière de La Promenade de Vénus (au moins trois fois par semaine). Il ne s'agit aucunement de systématiser, certains d'entre nous pouvant temporairement n'être pas disponibles, d'autres se trouvant de façon permanente dans l'impossibilité d'assister aussi assidûment à nos réunions. Chacun devrait cependant se convaincre que le Surréalisme n'est pas un passe-temps auquel, le crépuscule venu, on pourrait en préférer un autre. D'autre part l'assiduité demandée à tous ne dispense personne de faire de sa présence le signe et l'instrument d'une participation efficace. Vous n'avez rien à dire : restez au chau d. Que chacun se persuade de la nécessité d'animer nos réunions par des informations neuves et par une réflexion qui nous permettrait de n'en pas rester toujours au stade de la révolte verbale ou de l'enthousiasme sans commentaire.

  2. — La communication des travaux individuels destinés à s'insérer dans un cadre collectif (L'Archibras ; expositions surréalistes à l'étranger, catalogues correspondants, etc.).

  3. — Le souci d'exercer et de stimuler sa propre imagination à des fins autres que d'expression individuelle, si intéressante et si nécessaire pour tous que soit cette dernière. Il est particulièrement déplorable que les possibilités techniques offertes par la formule de L'Archibras n'aient suscité aucune initiative de la part de ceux d'entre nous que leurs moyens désignent tout particulièrement pour inventer le paysage surréaliste en 1967. Rappelons, une fois de plus, que la formule : poème ou texte à quoi vient se juxtaposer avec plus ou moins d'à-propos un dessin d'un artiste surréaliste, créé ou non pour la circonstance, rappelons que cette formule est condamnée. Il en va de même de la reproduction pure et simple des oeuvres de tel ou tel d'entre nous, sauf si elles développent un thème et forment un tout significatif. Le critère qui a toujours présidé à la conception des expositions surréalistes, critère qui tend à en faire un “ événement ” et, à tout le moins, le contraire d'un accrochage, d'une confrontation de talents, ce critère est valable également pour la participation des artistes à L'Archibras. La communication d'Alechinsky dans le n° 1, qui fait ressortir une série de recoupements entre ses propres recherches et un faisceau de documents (du bonze Sengaï, de Lewis Carroll, de Matta), la communication de Camacho dans le n° 2, qui tente de retrouver graphiquement la démarche roussellienne constituent, très spécifiquement, le type de ce que nous devons présenter dans L'Archibras : elles mettent l'une et l'autre les moyens de la peinture au service de préoccupations extra-picturales. Toutefois il s'agit là d'apports individuels nécessaires, mais nullement suffisants. Aucun d'entre nous ne peut s'y tenir, sauf à estimer qu'il pourrait légitimement poursuivre une carrière d'artiste à l'intérieur du Groupe que nous formons, sans se croire obligé à orienter ses recherches vers des résultats non signés. A cet égard, le manque de propositions pour les couvertures de L'Archibras nous paraît significatif.

  4. — Le respect des délais dans la remise des textes et des documents promis. Il devrait être inutile d'insister sur les difficultés que nous éprouvons du côté de l'éditeur de L'Archibras. La solidarité la plus élémentaire consisterait à faciliter la tâche de ceux qui assument les contacts avec Losfeld et Faucheux. Cela toutefois n'est que l'aspect superficiel du problème. Sa signification profonde tient à l'image que chacun de nous se fait de L'Archibras : il s'agit de savoir si nous voulons en faire l'expression vivante du Surréalisme avec toute la spontanéité de la vie elle-même, ou bien l'anthologie de la pensée de chacun dans sa forme la plus achevée et la plus minutieuse. En pareille matière, il est vain de légiférer, chacun restant souverain juge. Cependant, le souci de la perfection la plus hautement souhaitable doit être dénoncée comme le pire de nos maux quand il procède d'une majoration inadmissible du Moi qui signe et qu'il conduit à la paralysie personnelle et à l'impuissance collective.

  5. — La recherche de “ tribunes extérieures ”, soit pour s'y manifester à titre individuel mais néanmoins surréaliste, soit pour s'y exprimer au nom de tous. Nous estimons souhaitable d'examiner toutes les propositions qui nous sont faites et même de prendre l'initiative de proposer des articles à certaines publications (La Quinzaine littéraire, par exemple).

Le Surréalisme est-il un Mouvement, c'est-à-dire une idée qui se développe dans l'histoire ou doit-il se considérer comme clos dans l'espace et dans le temps, ayant résolu tous ses problèmes, du moins les ayant énoncés de telle sorte qu'aucune réponse valable ne saurait venir de l'extérieur ? C'est la troisième question que nous entendons poser. La réponse à cette question implique l'accord ou le désaccord sur une ligne générale qui avait été formulée par Breton lui-même et qui se résume par le mot d'“ ouverture ”. Il s'agit de savoir si nous entendons limiter notre horizon à La Promenade de Vénus et assujettir notre activité à l'observance de canons poétiques, picturaux, philosophiques ou politiques grâce auxquels le Surréalisme s'est exprimé au cours de son histoire. Il s'agit de savoir si les formes que le Surréalisme a assumées sont l'illustration définitive d'une volonté figée pour jamais dans des options anciennes ou si cette volonté demeure aujourd'hui active.

En peinture par exemple, le Surréalisme dès ses origines s'alimente de deux courants apparemment contradictoires dont les expressions-limites sont, en gros, l'automatisme et la fixation, éventuellement en trompe-l'oeil, des images du rêve. Ce n'est pas d'aujourd'hui que le Surréalisme refuse de privilégier l'une de ces deux modalités d'expression. Toute autre attitude le conduirait à se transformer en “ école ” picturale. Nul, parmi nous, n'est habilité, qu'il soit peintre ou non, à donner des directives dans un sens ou dans un autre. La seule directive qu'il conviendrait d'admettre en commun serait le refus du déjà-vu, qu'il vienne de l'intérieur ou de l'extérieur. L'ouverture vis-à-vis de certains peintres non Surréalistes implique que nous ne saurions attendre d'eux, sur le plan moral notamment, ce à quoi nous-même nous nous croyons tenus. Elle ne signifie pas non plus que nous devions tout leur passer, ni qu'ils soient autorisés à intervenir en toute occasion dans la détermination de nos activités. Il y a là un jeu qui ne saurait se codifier une fois pour toutes. Nous en appelons à toute forme neuve, où qu'elle se présente, contre le traditionalisme, la répétition et la paresse.

Dans le domaine politique, on peut constater que les interventions surréalistes sont à peu près nulles depuis trois ans environ. Sans doute, un certain nombre de causes extérieures excusent en partie ce silence. Mais là encore le refus d'analyser les situations autrement qu'à travers les schémas conduit à une abstention hautaine et à un culte de l'impuissance que ne saurait masquer la phraséologie révolutionnaire. Pour qui nous prenons-nous, à juger au nom de notre pureté morale du bien-fondé de la lutte des guerilleros péruviens ou des partisans du Viêt-Cong, les uns comme les autres systématiquement réprimés par le gouvernement américain ou ses complices ? Qui sommes-nous, pour assister en silence aux pluies de bombes sur Haïphong ou aux fusillades de Saint-Domingue ? Quelle Vérité nous autorise à mettre dans un même sac le policier du Guepeou et le militant du Viêt-Cong, le bureaucrate maoïste et le maquisard d'Amérique du Sud ? Nous n'avons pas eu la crainte de passer pour complices des Américains au moment de la révolution hongroise. Et pourtant, qui d'entre nous ne savait que le triomphe de l'insurrection de Budapest favoriserait à certains égards le bloc occidental ? Si le Surréalisme entend continuer d'intervenir sur le plan politique, il n'a d'autre attitude à prendre à l'échelle internationale que celle-ci : soutenir en tout ce qui dépend de lui les mouvements qui s'opposent aux trois pouvoirs qui se partagent le monde, le pouvoir américain, le pouvoir russe et le pouvoir chinois. A nos yeux, l'ennemi est le même, il change de nom suivant les zones géographiques où il exerce sa domination.

Là aussi, il nous paraît souhaitable de confronter nos points de vue avec d'autres intellectuels, quitte à marquer les limites de notre accord avec eux. Sur les positions extrêmes qui peuvent être les nôtres, il nous est loisible de nous exprimer soit dans la revue, soit par tract ; mais il n'y a pas de contradiction à joindre notre voix à d'autres pour une action minimum.

En ce qui concerne l'existence même du Groupe, le libre mouvement des affinités sensibles et même intellectuelles, en ce qu'elles ont d'électif, ne saurait être tenu pour un substitut valable du commerce des idées. Tout comme il advient qu'un Surréaliste ait des amitiés hors du Groupe, il advient que des Surréalistes soient, à l'intérieur du Groupe, plus particulièrement liés d'amitié : cette possibilité naturelle ne doit pas dégénérer en ce type d'alliances qui, à plusieurs reprises, du vivant de Breton, a été dénoncé sous le nom de “ copinage ” et qui conduisit quelquefois à l'activité fractionnelle lorsqu'il n'en était pas le substitut. Précisons bien que l'accord sur ces points, au nom d'une ligne générale indispensable à la continuation du Mouvement, n'oblige nullement chacun à renoncer à ses préférences subjectives ou autres (pour prendre un autre exemple, en ce qui concerne des phénomènes “ littéraires ” extérieurs tels que le nouveau roman ou le structuralisme). Nous demandons seulement que ceux qui, sur un sujet donné, librement débattu, se trouvent minoritaires, s'abstiennent de contrecarrer ou de freiner la ligne générale, notamment en rouvrant des discussions closes.

Nous ne leur demandons ni d'abandonner leur point de vue, ni de faire une “ autocritique ”. Rappelons enfin que l'intérêt porté par le Surréalisme à tel ou tel phénomène artistique, intellectuel ou politique n'a jamais impliqué pour lui le vocabulaire de l'adhésion.

Cette déclaration pose à l'ensemble de ceux qui se réclament, aujourd'hui, du Surréalisme trois questions essentielles. Rédigée par le Comité de rédaction de L'Archibras et le Secrétariat, elle comporte les réponses que croient devoir faire d'un commun accord les membres de ce Comité et de ce Secrétariat. Elle définit par conséquent les directions principales du Mouvement pour la période présente et l'avenir immédiat. C'est dans un souci démocratique que nous avons tenu à la rendre aussi explicite que possible. L'accord définitif sur ce texte sera exigé par signature sur le présent document, à usage rigoureusement interne, de tous ceux qui entendent souscrire aux conditions actuelles de l'activité collective.

Le Comité de Rédaction de L'Archibras et le Secrétariat : Philippe Audoin, Vincent Bounoure, Elisa Breton, Claude Courtot, Gérard Legrand, Joyce Mansour, José Pierre, Jean Schuster, Jean-Claude Silbermann, François-René Simon.

Paris, le 10 mai 1967.


A PROPOS DE “ L'APPEL À LA RÉSISTANCE CONTRE L'AUTORITÉ ILLÉGITIME ”

Les Surréalistes ne sauraient contresigner la déclaration des intellectuels américains en faveur des insoumis et déserteurs de la guerre au Vietnam, qui vient d'être diffusée par les soins de Geneviève Serreau.

Toutes les manifestations auxquelles ils ont participé, notamment pendant la guerre d'Algérie, montrent assez bien que leur volonté d'élargir les bases d'action et de contribuer à une insertion plus efficace de la pensée dans la réalité politique les dispose, bien souvent, à de nombreuses concessions.

De là à contribuer à maintenir, “ dans la génération actuelle, les anciennes traditions religieuses et philosophiques ”. De là à admettre, contre toute évidence, que la tradition religieuse occidentale qualifie depuis longtemps d'injustes les guerres du type de celles menées au Vietnam. De là à en appeler aux “ Eglises pour qu'elles fassent honneur ” à un prétendu “ héritage de fraternité ” il y a un fossé que nous ne sommes pas près d'enjamber, fossé où l'humanisme, sous sa forme la plus imbécile, dissimule un manque élémentaire de rigueur révolutionnaire et sert de caution aux menées politiques des prêtres “ dans le vent ”.

Nous estimons par ailleurs abusif que le nom de Geneviève Serreau, donné pour la correspondance, soit suivi de la mention “ 121 ”.

Philippe Audoin, Jean-Louis Bédouin, Robert Benayoun, Jean Benoît, Vincent Bounoure, Claude Boussard, Elisa Breton, Guy Cabanel, Bernard Caburet, Jorge Camacho, Claude Courtot, Adrien Dax, Hervé Delabarre, Gabriel Der Kevorkian, Xavier Domingo, Guy Flandre, Jean-Michel Goutier, Henri Ginet, Robert Guyon, Radovan Ivsic, Charles Jameux, José Pierre, Alain Joubert, Annie Lebrun, Gérard Legrand, Joyce Mansour, Paolo Paranagua, Mimi Parent, Jean Schuster, Georges Sebbag, Jean-Claude Silbermann, François-René Simon, Jean Terrossian, Michel Zimbacca.

Juin 1967.


Le Chevalier à la Charette

[Texte manquant -> à saisir]


Beau comme BEAU COMME

[Texte manquant -> à saisir]


Le paysan du Tout-Paris

[Texte manquant -> à saisir]