Segura, Une saison avec Marianne. La dernière surréaliste par B. Aleksic

Segura, Une saison avec Marianne. La dernière surréaliste. Ed. Plein chant, coll. « La font secrète », XIX. Bassac, 2022, 92 p., 15 €

Marianne Ivsic (dite Ivšić, née Nikolić à Belgrade, en 1919, morte à Paris en 1995), artiste, à l’époque de la contestation révolutionnaire étudiante en 1968, a signé un tract de protestation, qu’Alain Segura juge comme « un des plus beaux tracts de Mai 68 ». Elle se prévalait de son amitié avec André Breton et Benjamin Péret, ce qui intimidait le groupe de jeunes anarchistes et situationnistes. Le livre de souvenirs enfouis de Segura rapporte les faits méconnus des relations entre Guy Debord et Marianne : il l’a appelée « la dernière surréaliste ». Elle se préférait en Anonyme du XXe siècle. Mais les lignes du pouvoir sont en fuite : arts, pensées, mode de vie – tout est englobé dans le projet d’Alain Segura de ressusciter les fantômes d’anciennes photographies, et de donner le nom au passé. L’écriture sensible, très réflective, découpe les tranches de l’archéologie de l’époque effervescente de Mai 68, où l’auteur avait dix-sept ans. Marianne devait déterrer avec un marteau et une scie les solives et les poutres des demeures extravagantes parisiennes qu’elle choisissait pour atelier, et où elle recevait le cercle d’amis poètes et artistes. Joe – – projette un monument éphémère à Charles Fourier, Segura lit les pages de son roman Don Juan, qui restera inédit… Selon Marianne, l’atelier du 42, rue Galande abrite pour quelque temps André Breton, menacé par la bombe que le commando de l’OAS a déposée dans sa boîte à lettres, au 42 rue Fontaine.

Le texte principal de ce livre a été présenté dans la revue A contretemps en mai 2011. Le livre entier a été propulsé en orbite à l’instigation de deux amis anarchistes serbes, Relja Knežević et Aleksa Golijan, l’un historien, l’autre traducteur, qui projettent un livre de documents et de poèmes inédits de Marianne, auxquels est dédié le volet « Vingt ans après ». Le titre de l’avant-dire, « Explosante fixe », fait allusion à la définition de la Beauté que Breton donna jadis dans L’Amour fou. Marianne cite Breton qui, lassé des expositions de peinture, disait avec l’ironie : « C’était beau… » Il parait évident que pour exprimer l’univers de Marianne on a besoin non seulement d’une Saison… de Rimbaud avec « Being beautiful », mais aussi de l’explosante fixe de Breton. On conclut qu’il y a des beautés et des beautés plus difficiles, elles sont, plus fixes elles restent en mémoire. C’est le cas du livre rimbaldien d’Alain Segura en souvenir de Marianne Ivsic.

12 février 2023
Branko ALEKSIĆ