Louis JANOVER/MÉLUSINE

Louis JANOVER/MÉLUSINE
Intervention du 13 novembre 2021(prévue pour la journée d’étude sur Louis Janover, à la Halle Saint-Pierre le 14 décembre 2019)

 

par Henri Béhar

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Répertoire : Contributions LJ dans Mélusine
1. Janover Louis « Lettre à Mélusine à propos d’une ombre qui a perdu son corps », n° 7, 1985, L’Age d’homme-L’Age d’or, 1986, p. 249-262
2. Janover Louis, Breton / Blum : Brève rencontre qui en dit long du temps que les surréalistes étaient marxistes, n° 8, L’Âge ingrat, 1986, p. 91-109
3. Janover Louis, » Ce que dit Vaché du surréalisme » 10 241-247
4. Janover Louis, « Le surréalisme révisé » 10 271-273
Les relations de Louis Janover avec la revue
Mélusine ont commencé par une lettre de 13 pages, excusez du peu, qui s’annonçait comme une discussion de l’introduction que Pascaline Moutier et moi-même avions donnée au numéro 5 de notre revue, lequel portait en sous-titre « Politique-Polémique ». La paronomase proposée à nos collaborateurs était plutôt une interrogation, portant
sur le trait d’union. N’y avait-il pas, chez les surréalistes, une manière
constamment polémique d’envisager la politique, et même le politique ?
Janover nous concède que les textes surréalistes auxquels nous faisons référence sont toujours aussi brillants et stimulants, même si leur contexte et le public auxquels ils sont destinés sont totalement différents. Toutefois, il soutient que le surréalisme a, dès le début, adopté un « écart absolu », ce qui impliquait une sorte d’auto-défense, une violence destinée à marquer sa situation hors du
monde, de ce monde. D’où l’aspiration au point sublime, la polémique consubstantielle au mouvement servant à l’isoler, tant de ses racines que de son contexte présent. Mais le fait qu’il produise des œuvres d’art le ramène dans la polémique. Phénomène nouveau, l’artiste, l’écrivain surréaliste veut abolir la distance entre la théorie et la pratique. Ce que dénote « la double structure du
surréalisme ». Et, de fait, le critique ne peut manquer d’épouser l’éthique du
mouvement s’il veut en rendre compte avec pertinence. Le surréalisme a cru pouvoir unifier ses deux tendances sous la bannière du marxisme-léninisme, mais il s’est heurté au Parti communiste. Reste l’art subversif. Ce faisant, il produit de nouveaux codes, un nouvel académisme et, pour finir, se condamne à
devenir lui-même une institution.
On le voit, cette lettre ouverte était moins une critique qu’un prolongement des opinions émises par les deux responsables de ce numéro de
Mélusine. La conversation se poursuivit hors de tout cadre et me conduisit à demander à Louis Janover de nous confier un article pour le numéro suivant de la revue, portant
sur la rencontre Breton-Blum, régulièrement mentionnée dans les histoires du mouvement, et trop minimisée à mes yeux. Je souhaitais que nos lecteurs puissent se faire une opinion circonstanciée de cette rencontre, sollicitée par Breton, dont il rendit compte lui-même d’une manière caricaturale. Nul n’était mieux armé pour fournir une relation sérieuse et circonstanciée de cette
rencontre au sommet que le co-directeur de la publication des œuvres complètes de Karl Marx dans la Bibliothèque de la Pléiade et de la revue
Études de marxologie.
Publié dans le numéro VIII de
Mélusine, sous-titre L’Age d’or, L’Age
d’homme, l’article de Louis Janover s’intitule « Breton / Blum : Brève rencontre qui en dit long du temps que les surréalistes étaient marxistes », 1986, p. 91-109.
L’auteur s’attache donc à expliquer les raisons de la rencontre voulue par les intellectuels, qui ont détaché l’un des leurs pour rencontrer le leader de la SFIO, et décider avec lui de ce qu’il convenait de faire en réponse aux violences des ligues fascistes qui, le 6 février 1934, avaient tenté de liquider la république. Il s’arrête d’abord sur le Manifeste des intellectuels qui publièrent, le 10 février,
un
Appel à la lutte, signé par 90 personnalités.
Au préalable, il s’en prend au présentateur de la réédition, José-Pierre, lequel mentionne les mots d’ordre d’unité d’action et de Grève générale sans les situer, tout en faisant implicitement référence à Georges Sorel, et donc à l’anarchosyndicalisme. Laissant de côté ce débat, qui mériterait d’amples développements, Janover postule une démarche historique capable d’analyser le
mythe élaboré par les surréalistes afin d’en venir à l’événement lui-même.
Car il s’agit d’expliquer comment le meneur d’un groupe d’intellectuels s’est vu confier le soin de s’adresser au chef du socialisme français. Janover retrace la situation du mouvement social à cette date, replace les forces en présence, la
surrection des masses contre leurs leaders, les violences fascistes et leurs ambitions, sans oublier les 6 travailleurs morts. Relatant les faits dans ses
Entretiens, Breton s’intéresse plutôt à l’intelligentsia. Il s’appuie en effet sur le souci d’allier l’artistique et le politique, en rompant avec l’ordre établie. Or, le triomphe du bolchevisme en Russie leur avait offert, en quelque sorte, le moyen de s’identifier à la révolution sociale. Leurs ancêtres, Robespierre et Saint-Just,
justifient leur idéologie et leur permettent de prendre la tête du mouvement, en défendant leur statut spécifique.
Ce pourquoi, analysant la situation en Union Soviétique, certains surréalistes commencent à se défier du stalinisme (ce qui amènera Breton à s’allier avec Trotski, 4 ans après), au nom de leur indépendance d’esprit.
L’entrevue de Breton et de Blum est comme une inversion de leur devenir :
Breton veut parler en politique, tandis que Blum, qui se souvient de sa position littéraire considérable du temps du symbolisme, ramène la conversation sur ce sujet. L’échec était évident. Un extrait des
Entretiens de Breton en témoigne magnifiquement.
Très astucieusement, Janover termine en citant un extrait des
Conversations de Goethe avec Eckermann (1828) Imaginairement, Goethe, c’est Blum. Puis il se reporte aux Nouvelles Conversations (1901)… où il considère que c’est désormais Breton qui incarne Hegel.
Janover dépasse cet entretien pour situer la position politique des
surréalistes, s’attardant plus particulièrement sur les dissidents de
Contre-attaque, etc. il discerne une fuite en avant dans un hyperbolchevisme. Il termine par un exposé de la théorie marxienne de la
révolution.
La contribution suivante de Louis Janover à
Mélusine est un peu plus
qu’une note de lecture sur l’ouvrage de Michel Carassou :
Vaché et le
Groupe de Nantes
(Ce que dit Vaché du surréalisme n° 10 241-247).
s’attarde ici sur la figure d’un non-être, de quelqu’un qui a précédé le
surréalisme en posant la question de son devenir. Contradiction entre l’aspect précurseur et la fin tragique. Tendances anarchistes du groupe de lycéens, révolte dadaïste de Vaché à travers Breton. Contradiction fondamentale entre refus de l’art et destin envisagé dans les lettres… dépassement éthique dans le surréalisme. Or, « le refus de la littérature revient à la littérature, quoi qu’on fasse. L’arrivée s’inscrit dans le départ » écrivais-je. Sur quoi Janover conclut que « la révolte reste à la révolte ».
Outre le fait qu’elle signale au lecteur les points d’intérêt de volume, qui est en quelque sorte le dossier exposant les écrits de ces jeunes lycéens nantais, cette « réflexion critique » nous permet de voir comment Janover s’intéresse à un ouvrage, comment il en dégage les lignes de force et comment il les replace dans le cadre historique et intellectuel, privilégiant le principe éthique par-dessus tout.
La dernière contribution de Louis Janover que je relève au sommaire de
Mélusine, s’intitule « Le surréalisme révisé », dans le même numéro X, en 1988, pages 271-273. C’est aussi une réflexion critique, portant sur les Révisions déchirantes d’André Thirion, paru en 1987 aux éditions du Pré aux clercs.
Dans le cas présent, on sent bien que le recenseur n’a aucune affinité, au contraire, envers André Thirion, un ancien membre du groupe surréaliste, qui se qualifiait de marxiste orthodoxe, ayant quitté le groupe pour se ranger, à la Libération, parmi les supporters du Général de Gaulle. Il s’était fait connaître du grand public, en 1977, par son livre de mémoires,
Révolutionnaires sans révolution (ce titre disait déjà la distance qu’il avait prise à l’égard de ses
amours de jeunesse), publié chez Laffont, qui avait bénéficié d’extraits dans la presse hebdomadaire et d’une large couverture médiatique.
Ici, Louis Janover s’en prend d’abord au vocabulaire marxiste de l’auteur, qui lui parait totalement erroné, ainsi qu’aux formules déformées de Marx. Il a rejoint le camp de la bourgeoisie et s’il revisite les positons antérieurs des surréalistes, c’est bien pour montrer qu’il a toujours eu raison. Janover détaille
ensuite les procès d’intention du mémorialiste qui s’en prend à Benjamin Péret, par exemple. Son anti-stalinisme relativement ancien semble justifier l’ensemble de sa trajectoire et surtout la distance prise à l’égard du groupe.
Fin connaisseur de la pensée et des écrits de Marx, Janover fournit ici un compte rendu énergique, fort éloigné des recensions universitaires, engagé si je puis dire, qui a le mérite de faire clairement la part des choses et de refuser qu’on jette le bébé avec l’eau du bain.
Ici s’achève la collaboration immédiate de Louis Janover à notre revue. Pour quelle raison ? On ne sait. Peut-être le programme des livraisons suivantes ne lui convenait-il plus, peut-être s’était-il tourné vers d’autres sujets, plus généraux, sollicitant davantage ses connaissances en marxologie. Ce qui n’entrava pas nos
discussions personnelles et les projets concrets qui justifient la présente journée d’étude.

Henri Béhar