Les inconnu(e)s du surréalisme

Les inconnu(e)s du surréalisme

formule

Par Émilie Frémond

Sur : Georges Sebbag, Foucault Deleuze. Nouvelles Impressions du Surréalisme, Hermann, coll. « Philosophie », 318 p.

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 On sait tout ce que l’on doit à Georges Sebbag, infatigable défenseur du surréalisme, témoin et acteur des dernières années du mouvement qui, tout en poursuivant une carrière de professeur de philosophie, sut à la fois servir la mémoire du mouvement et tisser sa propre toile autour de lui. C’est à lui que l’on doit d’avoir rendu accessibles les archives du rêve, le souvenir des séances de jeux surréalistes, le contenu des célèbres enquêtes (sur le suicide, la rencontre capitale, le désir etc.), mais aussi d’avoir retracé scrupuleusement le parcours des éditions surréalistes ou encore édité la correspondance de Jacques Vaché[i] — autrement dit d’avoir assuré une fonction de conservation et de diffusion de ces documents qui font l’histoire du surréalisme et permettent d’en poursuivre ou d’en actualiser la lecture. Loin de se limiter cependant à un rôle de conservateur ou d’archiviste de la mémoire surréaliste, Georges Sebbag a publié depuis 1972 une série d’essais dans lesquels il développe une philosophie personnelle dont on peut d’ailleurs trouver les différents « concepts » sur le site de l’auteur[ii] — philosophie qui s’élabore plus ou moins étroitement à partir d’une relecture du surréalisme.

Ce nouvel essai, loin d’introduire une rupture, en juxtaposant, comme il le fait, le nom de deux autorités de la philosophie post-moderne, opère au contraire une véritable ressaisie de la pensée critique de son auteur, qui met ici à profit quelques réflexions menées dans les parages du surréalisme, à la faveur de plusieurs expositions[iii]. Depuis Le Temps sans fil paru en 1984, jusqu’aux Microdurées. Le temps atomisé, en passant par L’imprononçable jour de ma naissance 17NDRÉ 13RETON où s’élaborait, à partir d’un fait tragique (Breton écrivant à Jacques Vaché sans savoir encore qu’il était mort) une réflexion sur le hasard, mais aussi les textes écrits sur le rêve, sur la philosophie du déguisement de Grandville ou sur l’objet surréaliste, chacun de ces éléments se trouve réinvesti dans un éclectique et vaste parcours, dont le titre Foucault Deleuze, pas plus que le sous-titre — Nouvelles Impressions du Surréalisme — ne permettent de prendre véritablement la mesure. Si le but premier de l’essayiste est bien de remonter le cours du temps afin de révéler une filiation méconnue entre Foucault, Deleuze et les surréalistes, la démonstration embrasse en fait un spectre beaucoup plus large — Grandville, Brisset, Roussel, Jarry, Nietzsche, Vaché, Rigaut, Breton, Aragon, Heidegger, Foucault et Deleuze — selon une série de coïncidences et d’analogies qui, de proche en proche, transforment l’arbre généalogique en un rhizome proprement deleuzien.

L’ouvrage précédent (Potence avec paratonnerre, Surréalisme et philosophie), publié en 2012 dans la même collection, avait beau annoncer que le présent « ouvrage, centré sur l’entre-deux-guerres, pourrait avoir une suite dans laquelle il serait notamment fait appel à Salvador Dali, Georges Bataille, Ferdinand Alquié Jacques Lacan, Gilles Deleuze et Michel Foucault », c’est à une vaste réunion de famille qu’il nous est donné d’assister, dans la plus pure tradition surréaliste : pulsion analogique, cousinages et hybridations défiant la chronologie et jeu de l’un dans l’autre. Avec ces Nouvelles Impressions du Surréalisme, c’est un peu comme si le lecteur de 2015 découvrait les notices imaginaires, actualisées et complétées, d’une Anthologie de l’humour noir toujours continuée.

Littérature et philosophie : les vases communicants

Publié dans la collection « Philosophie » des éditions Hermann, ce Foucault Deleuze rappelle d’abord par son titre quelques-uns des couples de philosophes dont la postérité a fixé pour longtemps les liens de parenté : Voltaire et Rousseau, Diderot et d’Alembert, Marx et Engels. L’absence de copule entre les noms des deux hommes (fût-ce un trait d’union) produit toutefois un effet de brouillage, manière de rappeler peut-être discrètement que Deleuze est l’auteur d’un Foucault (éditions de Minuit, 1986), et que les deux philosophes n’eurent de cesse de s’entre-gloser. Nul, quoi qu’il en soit, ne s’étonnera de voir mis en lumière au sein d’une collection de philosophie, le duo le plus médiatique de la philosophie, duo qui se met à occuper le devant de la scène au moment même où le groupe surréaliste se dissout, la fin des années soixante et le début des années soixante-dix. La relève, en somme. Le sous-titre surprend davantage et introduit un passager clandestin qui ne le restera pas longtemps, pour qui n’aurait pas reconnu derrière ces Nouvelles Impressions du Surréalisme les Nouvelles Impressions d’Afrique de Raymond Roussel. Trois autorités tutélaires donc, trois hommes : Foucault, Deleuze, Roussel, à partir desquels Georges Sebbag propose une histoire croisée du surréalisme et de la philosophie qui lui a succédé, en réaction à l’ennemi commun : l’existentialisme.

L’ambition de l’essai n’est donc rien moins que de réunir littérature et philosophie. En remontant le cours du temps, selon deux trajectoires successives — depuis Diderot jusqu’à l’entre-deux guerres, époque du surréalisme triomphant, et depuis l’après-guerre jusqu’aux années 1980 — G. Sebbag entend montrer ce que deux des philosophes majeurs de la deuxième moitié du xxe siècle, tous deux préoccupés par la question du langage et les enjeux spécifiques de la littérature, doivent à la Révolution surréaliste, et ce, en procédant à un inventaire des motifs empruntés, dissimulés, transformés ou assimilés.

Au fil des quatorze chapitres qui composent l’essai — quatorze chapitres autonomes, pour certains monographiques[iv], dont on perd parfois de vue l’objectif initial, mais qui apparaissent peu à peu comme les différents temps d’une démonstration dont les fils finissent par se nouer [v] — Georges Sebbag recompose pour nous des généalogies secrètes et procède à la manière de Breton lorsqu’il annexait au surréalisme naissant, dès le Manifeste, une série de surréalistes par anticipation[vi], avant de récidiver dans l’Anthologie de l’humour noir et le Dictionnaire abrégé du surréalisme en assimilant, au sens littéral, un certains nombre d’auteurs élus. Georges Sebbag n’annexe pourtant au surréalisme aucun ascendant qui n’ait reçu l’assentiment des pères de famille — Roussel, Jarry, Brisset et Grandville sont célébrés par Breton, Leiris ou Ernst — mais il nous invite à considérer sur un même plan Foucault, Deleuze et les surréalistes, comme autant de « mains électives » capables de relayer ces « précurseurs sombres »[vii] que furent pour chacun d’entre eux Roussel et Jarry.

Véritable dénominateur commun de la pensée de Foucault, Deleuze et des surréalistes, l’œuvre de Roussel et de Jarry, constitue donc le spectre qui hante ces trois ensembles — ce dont Georges Sebbag semble avoir eu l’intuition en lisant l’article de Deleuze publié dans Critique et clinique (1993) : « Un précurseur méconnu de Heidegger, Alfred Jarry ». À la manière de Deleuze qui semblait ne pas se préoccuper de savoir si Heidegger avait pu lire Jarry mais considérait plutôt la littérature comme un système clos à l’intérieur duquel il observait les différences de potentiel[viii] et isolait le « différenciant de ces différences » (Deleuze, Différence et répétition, cité p. 281), G. Sebbag fait de « Huysmans le précurseur sombre de Breton », de Jean-Pierre Brisset « le précurseur sombre de Deleuze » et de « Roussel, le précurseur sombre de Foucault » (p. 285). Dans cette nouvelle généalogie surréaliste, l’originalité de Georges Sebbag se situe donc plutôt du côté des descendants. Or, si l’essai nous permet de découvrir des liens particulièrement intéressants entre les philosophes de la post-modernité et le surréalisme (mais, disons-le tout de suite, sans doute pas tous les surréalismes, celui de Breton n’étant pas celui d’Artaud, ni celui de Gherasim Luca, ni même celui d’Aragon), faire de Foucault et Deleuze les héritiers du surréalisme déconcertera sans doute plus d’un philosophe. Les amis de mes amis ne sont pas tous mes amis.

Le pari de Georges Sebbag, qui apparaît dès l’introduction, est audacieux, mais c’est aussi le pari de l’essai, au meilleur sens du terme : éprouver une hypothèse jusque dans ses conséquences ultimes, partir d’une œuvre fantôme pour considérer tout ce que cette fiction critique peut avoir de productif. C’est en effet par une œuvre virtuelle que débute l’essai, œuvre-pagure écrite à quatre mains, quarante ans après Les Champs magnétiques de Breton et Soupault, où l’on reconnaît le sous-titre de l’essai : « En 1966, au moment où il annonce la disparition de l’homme, Michel Foucault marche sur les brisées du mouvement surréaliste. Il trouve un allié en Gilles Deleuze avec qui il rédige à l’encre sympathique de Nouvelles Impressions du Surréalisme ». L’introduction est assez claire sur le projet qui inspire l’essai, sur ce que Foucault emprunte à Roussel (« les concepts de doublure et de pli », p. 9), Roussel à qui les surréalistes empruntent eux aussi (mais lui empruntent-ils les mêmes choses ? la réponse est moins sûre), sur ce que Deleuze emprunte à Foucault … qui emprunte lui-même à Roussel[ix]. Apparaît ici l’un des traits caractéristiques de l’essai : dans cette chaîne d’inspirés et ce concert de voix enchâssées, on n’est jamais certain de ne pas avoir perdu le fil. La démonstration devient cependant plus claire à partir du chapitre VIII :

Nous formulons l’hypothèse que Deleuze et Foucault, sans se concerter, se sont mis à deux pour développer une philosophie de la différence et de la répétition. Le socle de cette pensée, Foucault l’a exposé dans son Raymond Roussel. Cinq ans plus tard, en 1968, Deleuze publiera Différence et répétition […]. (p. 184)

Le projet, enfin, prend tout son sens à partir du chapitre X, « L’homme et ses doubles » :

En 1966, Foucault expose une philosophie de la doublure pendant que Deleuze creuse sa pensée de la différence et de la répétition. Mais tous deux adoptent, bon gré mal gré, la plupart des tenants et des aboutissants du projet philosophique surréaliste. (p. 238)

Au-delà des analogies thématiques (la folie, le rêve, le goût des procédés) G. Sebbag déplace enfin le lien entre le surréalisme et les deux philosophes sur le plan plus général de l’humanisme :

deux vides s’étendent à présent sous le sol des années 1960. Il y a celui laissé par l’homme récemment apparu et qui est sur le point de disparaître. Il y a celui que le surréalisme et le « nageur entre deux mots » ont creusé dans le vide humaniste depuis plus de quarante ans. Le creux surréaliste, le vide évidant l’homme et la modernité, est un oui décisif sans arrière-goût nihiliste. Qui dépliera le geste ou la geste surréaliste, qui déplacera cette case vide, opérera un redoublement surréaliste et écrira de Nouvelles Impressions du Surréalisme. (p. 304)

En montrant comment, d’une manière non concertée, Foucault et Deleuze ont développé une pensée de la « différence et de la répétition », G. Sebbag s’intéresse en somme aux bénéfices de la rencontre fortuite sur une table de travail d’un rhizome (le « rhizomorhododendron » de Jarry), d’un procédé (le métagramme de Roussel), d’un corps sans organes (celui d’Artaud) et d’un philosophe, adepte des simulacres ou des doublures : « Jarry, Roussel et leurs acolytes surréalistes (praticiens du collagisme matériel, passionnel et temporel) tombaient alors à pic » conclut-il (p. 304). On comprend mieux, grâce à cet essai, ce que chacun des deux philosophes avait à gagner à reprendre tel ou tel élément du surréalisme qui consonnait avec ses préoccupations : « la question du « comment écrire » » et la question du temps — la conception de l’événement pur de Deleuze ayant à voir, comme le montre l’auteur, avec la théorisation de la rencontre et du hasard objectif chez Breton.

La conclusion de l’essai achève le tressage mis en œuvre au long des quatorze chapitres qui se chargent, l’un après l’autre, d’administrer les preuves : « au tournant de 1963, Foucault et Deleuze ont [donc] fait cause commune pour découvrir un procédé d’écriture et supprimer les cloisons séparant les rayons de philosophie et de littérature ». Selon une méthode largement éprouvée dans le reste de l’essai — méthode qui consiste à interrompre le récit des événements de résumés ou bilans en n points — G. Sebbag récapitule les chefs principaux de la démonstration :

Aragon & Breton, Foucault & Deleuze ont trois points en commun : 1. ils traduisent au plus haut l’esprit de leur génération ; 2. procédistes à la manière de Brisset et Roussel, ils fendent les mots et les choses ; 3. ils suivent la trajectoire double du rêve et de la philosophie, empruntée par Diderot, Grandville, Hervey de Saint-Denys, Jarry et Bergson.

La preuve est faite, la cause entendue, pour qui aura réussi néanmoins à ne pas se perdre dans un tourbillon d’analogies, puisque l’essai se donne à lire comme un véritable jeu de combinatoires où les couples se font et se défont, non sans quelques acrobaties. À côté des couples légitimes comme Aragon et Breton (incarnations du surréalisme), Breton et Soupault (auteurs des Champs magnétiques), Deleuze et Guattari (auteurs de Mille plateaux), Luca et Trost (inventeurs du « non oedipien »), on trouve en effet des couples de circonstance, comme Jarry et Heidegger, Brisset et Deleuze, Foucault et Roussel, mais aussi quelques couples illégitimes (légitimés par la seule croyance aux coïncidences dirons-nous), Jacques le fataliste et Jacques Vaché, le neveu de Rameau et le neveu d’Oscar Wilde (Arthur Cravan).

On peut regretter qu’il faille attendre la conclusion pour découvrir que l’ouvrage fait suite à un autre essai dont il n’a pourtant jamais été fait mention auparavant, ouvrage de 2012 dans lequel sont définis la plupart des concepts forgés par G. Sebbag, ici utilisés comme s’ils étaient parfaitement transparents : les trois types de collage (spatial, passionnel, temporel) et les durées automatiques, respectivement définis dans les chapitres IV et V de la Troisième partie (Concepts surréalistes) ou encore « le temps sans fil ». Or, il s’avère que Foucault Deleuze reprend plusieurs des éléments développés dans le précédent essai, ce qui explique en partie le style elliptique pour happy few[x], en particulier dans le chapitre I (« Aragon & Breton, un projet philosophique ») qui synthétise les deux premières parties de Potence avec paratonnerre, voire en reprend certains développements (sur Les Déracinés de Barrès par exemple).

L’arbre (généalogique) à n branches : formules et démonstrations

Entrons à présent dans le détail de l’essai pour comprendre la manière dont progresse la démonstration, la table des matières étant probablement un peu trop descriptive et thématique pour en révéler le mouvement. Le chapitre I, mené tambour battant, brosse à grand traits une « identité double face » du surréalisme, « inséparable » selon G. Sebbag « d’un projet philosophique » (p. 13) dont la dimension morale serait ce qui distingue le surréalisme de Dada. Kant, Hegel, Berkeley, Schelling sont envisagés comme les relais essentiels de l’idéalisme de la première période et ce, d’une manière tout à fait claire, le seul reproche qu’on puisse faire ici à Georges Sebbag étant le principe auquel il adhère, corrélatif au genre de l’essai et qui consiste à négliger les travaux universitaires menés sur la question. Lorsque G. Sebbag déclare en conclusion que « les historiens, les critiques et même la tradition interne au groupe surréaliste ont superbement ignoré cette composante philosophique » (p. 339), on regrette que certains vases ne communiquent pas davantage si l’on considère les nombreux travaux consacrés à la question depuis une quinzaine d’années[xi].

Le chapitre II paraît d’abord décalé par rapport au précédent, qui exposait les prémisses de la démonstration, en rappelant que le surréalisme était sous-tendu par un projet philosophique. Quelques transitions, si elles avaient pu être ménagées, auraient sans doute facilité la lisibilité de la démonstration. « La peinture animée du rêveur surréaliste », qui mêle le titre d’un article de Breton (« La peinture animée ») et le thème du transformisme emprunté à L’Autre monde de Grandville, offre cependant un utile panorama en douze points des recherches surréalistes sur le rêve, qu’on pouvait déjà lire en 2013 (en espagnol ou en anglais) dans le catalogue de l’exposition El Surrealismo y el sueño[xii]. Sans transition (p. 40), le chapitre revient ensuite à la question philosophique avec Diderot et Le Rêve de d’Alembert, la perd de vue de nouveau avec les développements sur Grandville (au demeurant tout à fait intéressants) et la retrouve grâce à Bergson, avec un parti pris de syncrétisme affiché : « Bergson théorise les expériences de Diderot, les intuitions de Grandville et les recherches d’Hervey de Saint-Denys ». Bergson et Breton étant reliés sous le signe de la distraction « vis-à-vis du monde réel », on passe ainsi tout naturellement aux récits de rêve surréalistes, au rapport ambigu des surréalistes à la psychanalyse freudienne, pour voir formulée enfin « une philosophie du rêve » (p. 40) dont G. Sebbag résume les sept postulats (p. 62). Le but paraît ici de déporter l’expérience surréaliste du côté de la « philosophie dormante de Diderot » et de la dissocier du freudisme.

À partir du concept de « précurseur sombre » emprunté à Gilles Deleuze et en vertu d’un renouvellement de la question du temps qu’il retrouve à la fois chez Jarry, les futuristes, les surréalistes et chez Heidegger[xiii], G. Sebbag se risque dans le chapitre III à faire parler quelques coïncidences de pensée. De la même manière que l’hostilité des surréalistes à l’égard de la philosophie de Bergson n’empêchait pas G. Sebbag de faire figurer le philosophe dans l’arbre généalogique du mouvement[xiv], l’ignorance ou la faible estime dans laquelle fut tenu Heidegger (moqué et ridiculisé par Max Ernst dans une interview de 1954 parue dans Médium) n’empêche pas G. Sebbag de proposer, après un résumé d’Être et temps en douze points, un portrait d’« Heidegger en futuriste et surréaliste » inspiré, on le comprend rétrospectivement, de l’article de Deleuze reliant Heidegger et Jarry. C’est sans doute là que Georges Sebbag se montre le plus fidèle à l’esprit surréaliste : en faisant fi des goûts et des aversions proclamés et en n’hésitant pas à habiller, comme dans les dessins de Grandville, un philosophe allemand d’un costume de poète italien ou, comme dans les cadavres exquis graphiques, de faire quelques exercices de critique fictionnelle : la tête de Marinetti, le tronc d’Heidegger et les jambes de Breton — sans fil comme le « temps sans fil » au nom duquel G. Sebbag relie ces personnalités pourtant contrastées. Ou sans filet.

Le chapitre IV approfondit dès lors assez logiquement la pensée de Jarry, et dans la mesure où ce dernier constitue l’un des inspirateurs du surréalisme, « dégag[er] la conception du temps chez Jarry », c’est pour G. Sebbag accéder simultanément au futurisme, au surréalisme et à Heidegger (p. 88). Avec les chapitres IV et V commence néanmoins un jeu complexe de poupées gigognes : Jarry étant le précurseur sombre d’Heidegger selon Deleuze, il devient aussi aux yeux de G. Sebbag celui de Deleuze lui-même, de Breton et des futuristes (p. 104). Ce jeu d’influences croisées finit par devenir un véritable palais des glaces quand on lit que le rapport de Deleuze au surréalisme, « non déclaré » (p. 124) « se déduit de sa longue connivence avec Michel Foucault […] qui d’emblée va beaucoup miser sur Raymond Roussel » (ibid.). Ne redescend pas qui veut de cet arbre généalogique touffu.

Procédant à une sélection des éléments utiles à sa démonstration, l’essayiste nous permet de reparcourir l’œuvre de Jarry, mais aussi celle de Lautréamont pour établir une filiation commune au surréalisme et à l’œuvre de Deleuze (en particulier le rhizome). Dans un style alerte qui ne dissimule pas son plaisir à jouer avec les mots (« Les duettistes de Mille plateaux choisissent le dessin contre le dessein » p. 112), G. Sebbag ne cesse de tisser des fils, lui pourtant défenseur du « temps sans fil » :

L’auteur du Père Ubu se drogue sans drogue en rêvant les Jours et en veillant les Nuits. Les surréalistes se droguent sans drogue en usant du Stupéfiant Image. Deleuze et Guattari se droguent en forgeant des concept et en empruntant certaines lignes de fuite. (p. 119)

Le chapitre achève de réunir Breton et Deleuze, transformés à la faveur d’une analogie en nouveaux Thésée rompant le fil du temps. Le chapitre VI suspend provisoirement la démonstration philosophique pour s’intéresser à l’œuvre de Grandville et à son influence sur le surréalisme, filiation dont G. Sebbag voit la preuve dans une lettre de Breton à Lise Meyer. Si l’on ne voit pas immédiatement comment « la philosophie du déguisement » de Grandville s’articule avec l’œuvre de Foucault et Deleuze, c’est peut-être parce que G. Sebbag reprend ici un article publié dans Grandville : un autre monde, un autre temps, à la faveur d’une exposition organisée au Musée du temps de Besançon en 2011[xv]. Seuls les voyages dans le temps du personnage inventé par Grandville, Kracq, rappellent la réflexion menée sur le temps sans fil tandis que les machines-automates préparent peut-être les machines désirantes de Deleuze.

Le chapitre VII, consacré au « concept de doublure » dans l’œuvre de Roussel pourra être rattaché au chapitre précédent si l’on sait percevoir ce que le déguisement suggère de duplicité et comprendre dans quelle mesure la doublure peut-être un avatar du déguisement. Du roman de Roussel publié en 1904, La Doublure, G. Sebbag va tirer l’essentiel des chapitres à venir, en particulier parce que la philosophie de la différence et de la répétition de Foucault trouverait là son origine. G. Sebbag évoque les différents sens de la doublure dans la mesure où « la problématique de Roussel repose sur l’équivocité du langage et la duplicité des images » (p. 152) — on comprend mieux le lien avec Grandville — mais s’attache à fournir une définition extensive de la notion : « on appellera doublures des plans externes ou internes juxtaposables » (ibid.), « représentations mentales ou théâtrales, subjectives ou concrètes, sujettes à répétition » (p. 153), auxquelles s’ajoutent les « doublures sémantiques et phonétiques ». G. Sebbag reprend l’intrigue de Locus solus et procède au relevé des doublures (en 6 points qui correspondent aux stations des visiteurs), puis s’adonne au même exercice avec L’Étoile au front en 18 points, qui correspondent aux 18 objets qui défilent dans la pièce de Roussel, pris aux yeux de l’essayiste dans un vaste réseau de doublures. Peu à peu les éléments du puzzle se mettent en place et l’on finit par comprendre que le rapprochement entre Grandville et Roussel est emprunté à un article de Robert de Montesquiou (p. 172-173) dont on aurait pu souhaiter qu’il soit placé au début du chapitre plutôt qu’à la fin, pour éviter de donner l’impression que l’initiateur du rapprochement vient confirmer celui qui s’en est inspiré. La fin de ce chapitre permet toutefois de tendre les fils entre Diderot, Grandville et Roussel :

Grandville raisonne comme Diderot. Le décousu du rêve n’est qu’apparent car toute une dynamique emporte les images qui se métamorphosent et se relaient. […] Or cette peinture animée du rêve on la retrouvera intacte chez Roussel dans sa traversées des doublures […]. (p. 175)

Le chapitre VIII, le plus long de l’ouvrage, constitue probablement le carrefour de l’essai : nous sommes désormais en 1963 et la parole est à Foucault, lecteur de Roussel. G. Sebbag rappelle alors le procédé roussellien du métagramme, et nous permet de découvrir ou de redécouvrir l’œuvre de Roussel à travers le discours de Foucault, mais aussi de découvrir le philosophe par ce qui le retient et l’appelle, dans l’œuvre de Roussel. C’est en effet sans doute l’un des atouts de l’essai que de nous présenter un instrument d’optique inédit, loupe à double foyer, qui permet de rendre l’objet et le sujet réversibles l’un à l’autre. À lire Foucault, on comprend mieux, encore une fois, le raisonnement de G. Sebbag : « le mot comme un visage de carton bariolé cache ce qu’il redouble » (cité p. 179). Foucault lecteur de Roussel révèle en effet comme par un phénomène de hasard objectif la parenté entre le carnaval de Grandville et celui de Roussel dans La Doublure. La suite du chapitre prend véritablement son essor car la thèse initiale, à partir de là, passe au premier plan. Le Raymond Roussel de Foucault est mis en regard du Proust et les signes de Deleuze, la préface de La Grammaire logique de Jean-Pierre Brisset par Foucault confrontée à celle que fournit Deleuze à l’ouvrage de Louis Wolfson, Le Schizo et les langues, préfaces publiées l’une et l’autre en 1970 et dont G. Sebbag montre bien à quel point elles viennent former un canon à deux voix. Foucault cite Deleuze, tandis que Deleuze cite Roussel par l’intermédiaire de Foucault. Tout l’enjeu de la fin du chapitre est alors de remonter aux surréalistes pour montrer qu’ils surent, les premiers, jeter un pont entre Jean-Pierre Brisset et Raymond Roussel et poursuivre leur entreprise en inventant à leur tour de nouveaux procédés d’écriture.

Le chapitre IX a pour but de montrer comment Foucault, par l’hommage qu’il rend au surréalisme, par la manière dont il utilise certaines expressions de René Char ou d’André Breton (en particulier « l’infracassable noyau de nuit ») parle surréaliste sans le savoir (« Foucault et Breton disent en réalité la même chose » p. 205) ou sans le dire et marche ainsi sur les traces du surréalisme : quand il s’intéresse au rêve et rédige une introduction pour l’ouvrage de Binswanger, Le Rêve et l’Existence, paru en 1930 et quand il s’intéresse à l’histoire de la folie. La première partie du chapitre offre des points de convergence particulièrement intéressants, même si l’on est en droit de douter que citer René Char ou Yves Bonnefoy (qualifiés un peu hâtivement d’« ardents surréalistes », si l’on considère les œuvres citées p. 209) soit la preuve qu’on souscrit à l’héritage surréaliste. Si dans la préface de son Histoire de la folie à l’âge classique, supprimée, rappelons-le, à partir de 1972, Foucault omet d’attribuer les emprunts qu’il fait aux poètes surréalistes, il faut peut-être voir aussi une volonté de ne pas revendiquer l’héritage d’un mouvement. Dire que « la préface de la thèse de Foucault est placée sous les auspices de Nietzsche et de deux anciens ardents surréalistes » (p. 209) est peut-être donc un peu forcé, dès lors que leur nom est soigneusement éludé et les citations parfois transformées, ce que note lui-même Georges Sebbag mais pour y voir le souvenir d’une pratique d’Isidore Ducasse. Le rappel (p. 209-212) des diverses voies par lesquelles s’est exprimé l’intérêt des surréalistes pour la folie est tout à fait utile et c’est l’une des vertus de l’essai que de procéder régulièrement à des chronologies thématiques ordonnées en plusieurs points. La suite du chapitre est moins convaincante, qui tente de relier L’Art magique et L’Histoire de la folie sous le signe de Bosch, Jacques Vaché et Artaud derrière la notion d’absence d’œuvre, caractéristique de la folie et qui réunit sur « la scène théâtrale et philosophique du multiple » de « l’opéra fabuleux » rimbaldien une série de personnages dont on peine à comprendre ce qui justifie qu’ils soient ici rassemblés.

Le chapitre X intitulé « L’homme et ses doubles » et le chapitre XI font encore entrer sur cette « scène du multiple » de nouveaux personnages : Lautréamont, Bachelard, Nietzsche, Klossowski, Bataille, Blanchot et le groupe Tel quel (il ne manque personne de la scène intellectuelle des années 1960), tous introduits par un intercesseur, surréaliste ou ancêtre du surréalisme. Le tour de force de G. Sebbag est néanmoins de faire une lecture des Mots et les choses paru en 1966 à partir du Raymond Roussel (qui date de 1963) en affirmant que « l’archéologie des sciences humaines décrite » dans l’essai « n’est que l’histoire intermittente de l’homme et ses doublures » (p. 233) et de faire apparaître les liens sous-jacents entre Deleuze et Roussel, qui passent par Klossowski, auquel Deleuze et Foucault s’intéressent par l’intermédiaire de Nietzsche — où l’on retrouve cette chaîne d’inspirés tourbillonnante déjà mentionnée. Le panorama de la scène intellectuelle que dresse G. Sebbag permet de comprendre comment se font les échanges, comment la lecture du surréalisme par Blanchot peut rendre le surréalisme lisible et audible pour Foucault et comment ce dernier peut en arriver à rendre un vibrant hommage à Breton l’année de sa mort. On saluera Georges Sebbag de nous permettre ici de relire ou de découvrir (quoiqu’il ne le cite pas en entier, son résumé en fournit une éclairante paraphrase) une réflexion d’une remarquable finesse de la part de Foucault dans cet entretien intitulé « C’était un nageur entre deux mots ». C’est d’ailleurs après avoir rappelé scrupuleusement les termes de l’hommage que l’auteur peut donner l’estocade : « L’auteur des Mots et les choses montre […] qu’il n’a plus rien à cacher. Il assume tout l’héritage surréaliste portant sur le langage, le savoir et l’expérience » (p. 260) et de surenchérir à la page suivante : « dans les années 1960, Foucault ne peut pas fonder le structuralisme puisqu’il renouvelle le surréalisme ». De la même manière que Grandville proposait une immersion dans l’autre monde, G. Sebbag propose donc au lecteur de découvrir l’autre monde de la philosophie. Quant à savoir comment Foucault peut-être simultanément surréaliste et structuraliste en Roussel[xvi], peut-être la réponse se trouve-t-elle dans la manière dont Roussel est désigné au regard du couple Foucault/Deleuze : un « joker » (p. 265).

Les trois derniers chapitres (XII à XIV), largement inspirés de la philosophie et des concepts de Deleuze s’appliquent enfin à relier la philosophie de l’auteur de Logique du sens, en particulier la notion d’événement pur, au surréalisme et à tout ce que la pensée du hasard et des « pétrifiantes coïncidences » (Breton) supposent d’implication dans une réflexion sur le temps. Ainsi le cas de Joë Bousquet auquel s’intéresse Deleuze est-il mis en relation, par exemple, avec l’énucléation accidentelle de Victor Brauner qui s’était représenté quelques années plus tôt avec un œil crevé ; la référence à Novalis, commune au poète et au philosophe, permet ensuite de montrer que « Deleuze s’accorde avec l’auteur du Manifeste sur l’idéalité de l’événement » (p. 289) et il n’est pas jusqu’à l’usage de la métaphore électrique des différences de potentiels qui ne soit reliée à la pensée de Deleuze (p. 284), avec il est vrai quelques précautions. Si l’on parvient encore à peu près à suivre la démonstration du chapitre XII, l’enchâssement des discours atteint un tel degré de complexité, dans le chapitre suivant (« Fendre les mots et les choses ») que la virtuosité du jeu d’agrès auquel se livre G. Sebbag risque de perdre définitivement le lecteur peu versé da,s cette gymnastique. Il y est question en effet du commentaire par Deleuze de l’œuvre de Foucault, lui-même commentateur de l’œuvre de Roussel et l’on comprend implicitement que l’idée de réinterpréter l’œuvre de Foucault à partir de son Raymond Roussel trouve son origine chez Deleuze. Les plis de Deleuze sur Leibniz finissent par rejoindre les plis de Michaux, les doublures de Roussel, les « grands transparents » de Breton, tout cela dans un virevoltant jeu d’analogies et d’échanges putatifs. La fin du chapitre XIII, qui voit se rencontrer Derrida jouant à inventer la différance, Lacan retrouvant Roussel dans l’objet a, Deleuze opposant différenciation et différentiation fait l’effet d’un salut final de tous les acteurs réunis sur la scène de ce « theatrum philosophicum » (titre d’un article de Foucault commentateur cette fois de Deleuze) pour rendre hommage à Raymond Roussel où semble s’originer, si l’on en croit Georges Sebbag, l’avant-garde poétique et l’avant-garde philosophique les plus importantes du xxe siècle.

Après ce finale grandiose où tous les acteurs du structuralisme semblent communier dans le souvenir de Roussel, le chapitre XIV fait l’effet d’un ajout après terme ou d’une excroissance. Certes le développement sur la pensée des deux surréalistes roumains, Gherasim Luca et Dolfi Trost, dont certains des concepts deleuziens héritent directement, apporte des informations intéressantes et convainc d’une certaine connivence entre Deleuze et certains surréalistes, le bégaiement de la langue permettant de jeter un pont entre Roussel et Luca. Cependant, on aurait pu souhaiter voir cité (et qui sait, débattu ?) l’ouvrage de Paolo Scopelliti qui date de 2002, L’Influence du surréalisme sur la psychanalyse, dans lequel l’auteur étudie assez minutieusement la question des rapports entre Deleuze et les deux roumains[xvii]. De même, comme c’était déjà le cas de Foucault citant dans la préface de son Histoire de la folie Char et Bonnefoy sans les nommer, Deleuze et Guattari occultent l’appartenance au surréalisme des deux roumains dont ils font pourtant l’éloge et qu’ils préfèrent considérer comme des « auteurs étrangement méconnus » (cité p. 336). Sans négliger un tel déni, G. Sebbag se contente souvent de s’en étonner là où on aurait aimé voir s’ouvrir un débat. Creuser ce refus du surréalisme, le désir de Foucault et Deleuze d’effacer les traces eût peut-être nui à la cohérence d’un essai qui s’évertue justement, à révéler traces et sillons, quitte à en suggérer seulement parfois les possibles[xviii]. L’essai n’est-il pas construit sur une œuvre-fantôme ?

Vertiges de la doublure

Si l’on reprend la métaphore de la couture dont l’auteur use à de nombreuses reprises en vertu de l’un des sens du mot doublure, l’essai de Georges Sebbag apparaîtra donc comme un essai-rhapsodie. Composé à certains endroits de textes publiés ailleurs, dans d’autres contextes et pour d’autres fins (sans que la chose soit d’ailleurs formulée), l’ensemble n’évite pas les redites[xix], mais il témoigne d’une passion vivace et vivifiante pour le surréalisme et révèle un esprit en prise directe avec l’ensemble de la constellation du mouvement. C’est un peu comme si G. Sebbag, reprenant la célèbre double page parue dans Littérature en 1923 (no 11-12) intitulée, on s’en souvient Errutaretil [xx] — lecture renversante de la littérature s’il en est — comme si Georges Sebbag avait choisi sans le dire d’inventer un parcours entre les différents noms qui figurent sur ce frontispice de l’histoire du surréalisme[xxi], de tracer au crayon tous les itinéraires possibles et d’inscrire, à l’encre sympathique, quelques noms supplémentaires. D’écrire en somme une autre histoire renversante, celle de la philosophie, un Eihposolihp inavoué, beaucoup moins facile à lire et à prononcer, on en conviendra.

On peut n’être pas toujours convaincu par les jeux d’influences et l’ajout de ces nouvelles branches à l’arbre généalogique du surréalisme, d’autant plus qu’on entend finalement peu la voix du surréalisme parmi les philosophes des années soixante, moment sur lequel G. Sebbag choisit de faire porter l’accent. La réflexion se fait souvent à sens unique, à partir des deux philosophes Foucault et Deleuze, G. Sebbag faisant un peu avec le surréalisme ce que Benedetto Croce faisait avec la philosophie de Hegel en écrivant en 1910 Ce qui est vivant et ce qui est mort de la philosophie de Hegel. On ignore tout de ce que les surréalistes des années soixante, rejoints par Georges Sebbag en 1964, disent ou pensent de Foucault et Deleuze et même s’ils les ont lus.

Si, pour finir, on choisit pourtant de substituer au réseau d’analogies et à l’interprétation déterministe qui le sous-tend une série d’homologies, pour ne plus considérer qu’une histoire des schèmes de la pensée, poétique ou philosophique (simulacre, répétition, procédé), on trouvera dans l’essai de Georges Sebbag de bonnes raisons de croire que l’interrogation sur le langage des poètes et des philosophes a quelque chance de se rencontrer ailleurs que sur le terrain de la pensée spéculative.


[i] Un grand nombre de ces ouvrages a été publié aux éditions Jean-Michel Place dans la collection « Surréaliste », voir notamment Enquêtes surréalistes, En Jeux surréalistes, Sommeils et rêves surréalistes tous publiés en 2004. Voir également Les éditions surréalistes 1926-1968, IMEC, coll. « L’Édition contemporaine », 1993 ; Jacques Vaché, Soixante-dix neuf lettres de guerre, Jean-Michel Place, 1989.

[ii] http://www.philosophieetsurrealisme.fr

[iii] Les expositions Charles Fourier et Grandville à Besançon en 2010 et 2011, l’exposition El Surrealismo y el sueño à Madrid en 2013, ou encore une collaboration avec Emmanuel Guigon, directeur du Musée des Beaux-Arts de Besançon sur l’objet surréaliste.

[iv] Par exemple « Aragon &Breton, un projet philosophique » (chap. I), « Heidegger en futuriste et surréaliste » (chap. III), « Les courses immobiles d’Alfred Jarry » (chap. IV) ou encore « Grandville philosophe du déguisement » (chap. VI).

[v] Il faut par exemple attendre la pages 93 pour voir apparaître, après l’introduction, Gilles Deleuze à la faveur d’un développement sur Alfred Jarry et la page 126 pour qu’un développement soit consacré à Michel Foucault.

[vi] On se souvient de la liste célèbre : « Chateaubriand est surréaliste dans l’exotisme », « Victor Hugo est surréaliste quand il n’est pas bête », « Jacques Vaché est surréaliste en moi ».

[vii] L’expression « sombre précurseur » ou « précurseur sombre » est employée par Deleuze dans Différence et répétition en 1968 et constitue l’un des concepts directeurs de l’essai de G. Sebbag. En revanche, nous empruntons l’expression « main élective » à André Breton qui dans « Fronton-virage » désignait ainsi Jean Ferry et Maurice Heine, tous deux proches du surréalisme, pour la manière dont ils étaient parvenus à dépasser leur rôle de simple commentateur en réunissant les conditions pour faire rayonner les œuvres élues : celle de Roussel, précisément, et celle de Sade. Voir La Clé des champs, Œuvres complètes, t. III, Marguerite Bonnet et alii éd., Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 840

[viii] « Deleuze suppose, écrit Sebbag, qu’il y a dans tout système un précurseur sombre, invisible et insensible, qui détermine en creux et à l’avance le chemin de la foudre qui va éclater entre les intensités différentes », où l’on voit G. Sebbag préparer le rapprochement entre la définition par Breton de l’image surréaliste et la question des potentiels chez Deleuze, p. 283-284.

[ix] « le concept de doublure […] p[ouvant] être converti en termes de différence et de répétition » (p. 9).

[x] Les passages cités sont dépourvus de note. Aussi mieux vaut-il savoir où trouver le texte « Du décor » d’Aragon et avoir en tête la citation de Kant « sur le cinabre tantôt rouge, tantôt noir » dans Le Paysan de Paris, supposée être « la plus significative », si l’on veut suivre la comparaison en quatre points dressée par G. Sebbag entre l’histoire racontée par Barrès dans Les Déracinés et l’histoire du groupe surréaliste. Idem pour certains passages où la spécificité de chaque auteur se voit résumée dans une parenthèse elliptique : « D’autres individus double face sont venus après Ducasse : Alfred Jarry (identité des contraires), Raymond Roussel (doublure), Francis Picabia (indifférence immobile), Arthur Cravan (poète et boxeur), Marcel Duchamp (méta-ironie), Arp (pile ou face) » (p. 24) sans parler de ces collages citationnels non démarqués qui flatteront l’initié, mais agaceront les autres. Voir par exemple p. 26 et 27 où les motifs de L’Amour fou s’enchevêtrent à la faveur d’une série de jeux de mots sans qu’il soit jamais fait mention de l’œuvre elle-même.

[xi] Voir d’Emmanuel Rubio : Les Philosophies d’André Breton 1924-1941, L’Âge d’homme, 2009 ouvrage tiré d’une thèse soutenue en 2002 sous la direction d’Henri Béhar ; « Présences de Schelling dans Le Paysan de Paris », Recherches croisées Aragon/ Elsa Triolet, no 8, 2002 ; « Hegel, l’amour et Le Paysan de Paris », in L’Atelier d’un écrivain : Le xixe siècle d’Aragon, textes réunis par Edouard Béguin et Suzanne Ravis, Publications de l’Université de Provence, coll. « Textuelles littérature », 2003 ; « Le mythe de Moedler », Une tornade d’énigmes, Le Paysan de Paris de Louis Aragon, textes réunis par Anne-Elizabeth Halpern et Alain Trouvé, Éditions L’Improviste, 2003 ainsi que l’article de Nathalie Piégay-Gros, dans le même ouvrage, « Philosophie de l’image ». Voir également de Franck Merger, « L’allégorie de la « grotte » : enjeux philosophiques et littéraires d’un passage du Paysan de Paris », Annales de la société des amis de Louis Aragon et Elsa Triolet, no 4, 2002 ; de Philippe Sabot, Pratiques d’écriture, pratiques de pensée : figures du sujet chez Breton, Éluard, Bataille et Leiris, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Problématiques philosophiques », 2001 (dont le chapitre I comporte une section intitulée « Y a-t-il une philosophie du surréalisme ? »), mais aussi l’ouvrage déjà ancien de Roger Garaudy, Du Surréalisme au monde réel. L’Itinéraire d’Aragon, Gallimard, 1961, dans lequel la dette envers Kant, Hegel et D’Holbach était déjà abordée.

[xii] Georges Sebbag, « La pintura animada del surrealista que sueña », El Surrealismo y el sueño, Madrid, Museo Thyssen- Bornemisza, 2013, p. 57-65. La reprise de ce texte dans le présent essai n’est cependant à aucun moment signalée, pas plus qu’elle ne l’est sur le site de l’auteur.

[xiii] La question du temps est celle qui revient le plus, semble-t-il, dans les ouvrages de G. Sebbag.

[xiv] Citons par exemple cette phrase tirée d’un tract surréaliste : « Nous a-t-on assez couru sur le haricot avec M. Bergson, le bergsonisme et les bergsoniens ? » (« À suivre », 1929) et dans le célèbre Lisez/ Ne lisez pas, on se souvient peut-être qu’il faut lire Freud, mais ne pas lire Bergson, associé en matière d’idiotie à cette autre bête noire des surréalistes : Paul Claudel. Aragon parle quant à lui dans Traité du style de ce « philosophe [qu’il] n’aime guère ».

[xv] Texte consultable en ligne sur le site de l’auteur à l’adresse suivante : http://www.philosophieetsurrealisme.fr/grandville-philosophe-du-deguisement/ . Seule une phrase a été modifiée dans le chapitre VI (p. 131-150) et un titre ajouté.

[xvi] « Foucault ne peut être structuraliste que sur un plan roussellien » (p. 261).

[xvii] Paolo Scopelliti, L’influence du surréalisme sur la psychanalyse, Lausanne, L’Âge d’homme, coll. « Bibliothèque Mélusine » , 2002, p. 121-178.

[xviii] Prudent malgré tout, Georges Sebbag multiplie les formules suspensives (nous soulignons) : « Toutes ces visions mouvantes [celles de Grandville] que Diderot n’aurait pas reniées » (p. 44), « on peut se demander, à l’issue de ce survol, si les surréalistes ne fréquentaient pas les mêmes sentiers philosophiques que l’auteur d’Être et Temps » (p. 75) ; ou encore « comme s’il [Foucault] avait en tête la table d’opération évoquée par Breton dans Ralentir travaux » (p. 224) ; « c’est probablement en pensant au métagramme de Roussel pourvoyeur en doublures que Foucault détecte la fonction de métathèse produite par le miroir [dans les Ménines] ( p. 225), « les pages finales sur la double affirmation d’Ariane [chez Deleuze] inspireront sans doute Michel Foucault » 237 ; « on imagine que deux phrases ont dû tinter dans la tête du natif de Poitiers [i.e. Foucault] » (p. 268) ; « Peut-être un clin d’œil aux Champs magnétiques de Breton et Soupault » (p. 306).

[xix] Notamment p. 22/ 32 ; p. 20/50 ; p. 8./59 ; p. 32/80 ; p. 79/131 ; p. 147/174.

[xx] Pour découvrir l’original de cette double page on se reportera au site de la Bibliothèque Jacques-Doucet à l’adresse suivante : http://www.doucet-litterature.org/spip.php?article51 et à l’article de Marie-Claire Dumas « Errutaretil, ou la littérature selon André Breton (et Cie ?) qui en fournit une première description. On pourra lire alors avec profit l’article de Marie-Paule Berranger qui en fournit une lecture éclairante dans « Errutaretil : ciel de lit du surréalisme » : http://www.doucet-litterature.org/spip.php?article55

[xxi] Sade, Diderot, Grandville, Jarry, Roussel, Vaché, Cravan ou Lautréamont figurent en bonne place au sein de cette constellation.