Double jeu de la subversion : entre dadaïsme, surréalisme et art contemporain

Double jeu de la subversion : entre dadaïsme, surréalisme et art contemporain

par Élisabeth SPETTEL[1]

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Les prémices du sujet

Cette thèse porte sur le Double jeu de la subversion: entre dadaïsme, surréalisme et art contemporain. Il s’agit d’une recherche menée en esthétique qui questionne également des notions littéraires, historiques et sociologiques. Celle-ci s’articule en deux axes: d’une part, une comparaison historique entre trois périodes artistiques et, d’autre part, une analyse conceptuelle de la subversion. En repérant dans la production contemporaine des résonances de l’art dadaïste et surréaliste sur le plan de la forme et des thématiques abordées, il s’agit de questionner cet héritage, au sens de continuité comme de rupture, à travers le concept de subversion.

La lecture de l’ouvrage d’Henri Béhar et de Michel Carassou, Dada : histoire d’une subversion[2] a été fondamentale pour mon étude puisqu’il explique la nécessité d’une telle table rase. Cette notion peut se lire à plusieurs niveaux. La subversion renvoie d’abord au champ politique. Les provocations des dadaïstes, loin d’être gratuites, défient les valeurs occidentales qui n’ont pas empêché la première guerre mondiale. L’art devient une catharsis qui mène à une « poétique de l’insurrection »[3]. Influencés par l’anarchisme de Bakounine, les dadaïstes veulent détruire tous les pouvoirs autoritaires qui entravent la liberté d’expression et de création. La subversion politique accompagne une véritable révolution plastique : les dadaïstes remettent en question le statut de l’oeuvre d’art et transgressent les conventions. Cette dialectique entre art et politique s’observe également chez les surréalistes, inspirés par le cri de rage de leurs aînés. Le surréalisme réunit aussi des personnalités très diverses, mélangeant les genres, décloisonnant les arts, inventant de nouvelles poïétiques : écriture automatique, collages, frottages, rayographies, mannequins… D’abord attirés comme les dadaïstes par les philosophies libertaires, ils cherchent à structurer leur engagement et se tournent vers le parti communiste, durant la montée des fascismes de l’entre-deux guerres. Le dilemme entre un art libre et la tentative d’un art « au service de la révolution »[4] auxquels ils ont été confrontés a penché en faveur d’un art indépendant doté d’une véritable force critique. L’artiste subversif, loin d’être un militant asservi à la propagande, crée librement une œuvre dont la polysémie soulève des questions d’ordre historique, sociologique, politique… Son seul mot d’ordre : le désir, symbole de vie et de révolte.

L’intérêt pour l’actualité, la lecture régulière de publications concernant l’art contemporain, les visites fréquentes dans les ateliers, les galeries et musées, les déambulations dans les villes et campagnes offrant « l’art à ciel ouvert » m’ont amenée à repérer des correspondances avec les avant-gardes qui ont ouvert une brèche dans l’histoire de l’art.  Leur caractère subversif influence encore aujourd’hui de nombreux artistes occidentaux sur le plan des formes, des sujets abordés ou des processus de création (citons Philippe Ramette, Cindy Sherman, Andreas Serrano, Wim Delvoye…) Néanmoins, le changement de contexte amène à redéfinir la subversion qui se transforme parfois en provocation chez les artistes actuels.

 Double jeu : nature et enjeux

La mise en place d’une méthode de recherche a été fondamentale afin d’approfondir cette intuition première. Tout d’abord, l’étymologie précise cette dialectique entre subversion et provocation : subversion vient du latin subvertere : renverser, bouleverser, mettre sens dessus dessous et le préfixe sub  indique une logique discrète, souterraine. Provocation vient du latin pro : en avant et vocare : appeler et entre davantage dans une logique démonstrative voire exhibitionniste. Ainsi, la subversion n’est pas nécessairement provocante et la provocation, pas nécessairement subversive. Le titre de cette thèse « double jeu » révèle cette ambiguïté conceptuelle. Il correspond également à la méthode de comparaison employée : mettre en tension ces époques, en montrer les continuités et les ruptures : les années 1910-1940 pour le dadaïsme et le surréalisme et les années 1980-2010 pour l’art contemporain car c’est à partir des années 1980 qu’il devient institutionnel et constitue un genre à part entière avec ses codes, ses institutions, ses réseaux de diffusion.

Tout l’intérêt de cette étude est de mêler une double approche : à la fois conceptuelle et historique. L’analyse du concept de subversion s’effectue à travers l’examen d’oeuvres de périodes différentes, une méthode qui conduit à éclairer plusieurs formes de subversion. La confrontation des œuvres amènent à repérer des correspondances sur le plan des thématiques : anticléricalisme, transgression de la morale, contestation des normes sociales, sexuelles et sur le plan des médiums : collages, ready mades, installations, environnements. Néanmoins, les artistes actuels, même lorsqu’ils revendiquent une filiation avec ces avant-gardes prennent conscience de leur posture postmoderne. Contrairement aux avant-gardes, groupe structuré avec un chef de file et un manifeste, les artistes contemporains occidentaux en vue affichent leur individualité et des esthétiques plus éclatées. Certains assument leur démarche appropriationniste : en 2013, Gilles Barbier détourne ainsi L’œil cacodylate de Picabia, respectant la composition originelle tandis que les signatures sont devenues des tampons, Sherrie Levine reprend le fameux urinoir de Marcel Duchamp mais change le matériau  : dans son œuvre After Marcel Duchamp (1991), la céramique se transforme en bronze, comme si elle inversait la logique du ready made, passant d’un objet banal à un objet sculptural à la matière noble. D’autres sont inspirés par l’humour et le jeu de mot des avant-gardes : dans le sillage dadaïste, le collectif Présence Panchounette s’attaque à tout esprit de sérieux et privilégie le mélange des genres. Dans leur installation Le poids de la culture[5], des livres remplacent les disques de fonte d’un banc de musculation. L’humour naît de l’introduction d’un objet dans un autre contexte que le sien, créant un effet insolite. Ici, le livre rappelant la sphère culturelle investit étrangement l’espace sportif. De plus, l’illustration d’une expression populaire au premier degré crée aussi un choc visuel et sémantique. Sous un aspect « potache », cette pièce interroge sur le rôle de la culture dans nos sociétés contemporaines. De plus, Présence Panchounette vise l’esthétique qui est une forme d’idéologie. L’autodérision devient sérieuse et fait naître une réflexion sur l’artiste, l’œuvre et le spectateur. D’autres artistes s’inscrivent encore dans l’activisme comme Gianni Motti qui joue le rôle du bouffon. Figure de l’artiste-parasite[6], il s’infiltre dans les brèches du pouvoir et exploite les médias pour diffuser ses actions. Celles-ci s’inscrivent dans le registre de l’absurde lorsque, par exemple, en juin 1992, il contacte l’agence Keystone et se déclare responsable du tremblement de terre qui provoque, entre autres, dans le désert californien, une fissure de soixante-quatorze kilomètres de long.[7] Il pose ainsi dans les journaux en détenu de prison, tenant un panneau sur lequel est inscrite la cause de son arrestation. Sur d’autres photographies, il montre à l’objectif un schéma révélant l’amplitude du séisme sur l’échelle de Richter. Ses actions peuvent apparaître plus politiques lorsqu’il parvient à s’infiltrer dans une session des Droits de l’Homme à l’ONU en novembre 1997 et prend la place du délégué indonésien absent. L’artiste trublion pénètre des territoires extérieurs au monde de l’art et ses bouffonneries ont un impact direct sur le réel (même s’il ne révolutionne pas le cours des choses, ce qu’il se garde de revendiquer). Ainsi, lors de cette session de l’ONU, Gianni Motti prend la parole en faveur des minorités et rallie à sa cause d’autres représentants provoquant l’interruption de la séance, en guise de protestation. Même si cette dernière performance semble être guidée par une finalité plus sérieuse que son « ready made tellurique »[8], les gestes de Motti empruntent au registre de la farce et se rapprochent des actions dadaïstes. Quant à Olivier Blanckart, ses invectives et ses performances provocantes ne sont pas sans rappeler les scandales surréalistes. Cependant, il agit seul et ne prétend pas à un élan révolutionnaire qui animait ses aînés.

Néanmoins, sa lutte farouche contre l’institution et la finance s’oppose à de nombreux artistes tels que Jeff Koons, Maurizio Cattelan, Damien Hirst, sponsorisés par les seigneurs des temps modernes. La subversion avant-gardiste qui rimait avec radicalité et innovation se transforme dans ce contexte en effet de style et prend une dimension spectaculaire. La subversion est alors atrophiée, stérilisée par le marché de l’art qui la phagocyte. En effet, lorsqu’elle est récupérée par un pouvoir, elle devient plus provocante que subversive et perd de sa portée irrévérencieuse. Ces relations contradictoires entre subversion et subvention selon l’expression de Rainer Rochlitz ont été au cœur de mes préoccupations, en particulier dans le troisième chapitre.

Méthode et plan

Cette approche transversale a débouché sur l’élaboration d’un plan en trois parties : la subversion-destruction dans laquelle sont abordés le contexte de la guerre et la naissance de pratiques imprégnées d’un humour iconoclaste et d’un nihilisme qui déboulonne les idoles. Cependant, la subversion ne peut être envisagée comme seule destruction. La table rase engendre à son tour d’autres poïétiques et éthiques développées dans le second chapitre : la subversion – construction. Les dadaïstes et les surréalistes mettent à mal l’ancienne beauté pour créer de nouveaux savoir-faires : ready mades, photomontages, mannequins, solarisations, frottages…Cependant, la mise en place de codes, aussi novateurs soient-ils, peut aussi se renverser en conventions. La subversion se transforme parfois en un impératif de création, un effet de mode, rejoignant alors la logique de la provocation. Celle-ci est exploitée par de nombreux pouvoirs : médiatiques, politiques et financiers ce qui nous a amenés à réexaminer la posture et l’engagement de l’artiste actuel dans le troisième chapitre intitulé la subversion – convention. Ces chapitres, loin d’être des catégories qui emprisonnent, favorisent les passages entre les trois notions.

Face à une bibliographie très dense portant sur une notion transversale et trois périodes, s’impose la nécessité d’opérer des choix et de hiérarchiser. Les ouvrages théoriques, les textes historiques, catalogues d’exposition, revues, émissions radiophoniques mais aussi écrits littéraires et philosophiques ont apporté différents éclairages sémantiques et plastiques. Ils constituent également de précieux outils en permettant d’éviter plusieurs écueils. Il s’agit tout d’abord de ne pas adopter un regard trop manichéen en restant prisonnier d’un passé nostalgique et en faisant l’apologie de l’artiste dadaïste et surréaliste, à l’engagement sincère, prenant des risques et en jugeant de manière moralisatrice l’artiste contemporain récupéré par le marché de l’art, cynique, opportuniste et uniquement provocateur. Au fil de cette étude, j’ai pu distinguer des œuvres contemporaines subversives comme Him de Maurizio Cattelan, davantage connu pour ses scandales gratuits. Cette installation se compose d’un mannequin de cire représentant un petit garçon agenouillé, les mains jointes dans une attitude de recueillement et de pardon. Le spectateur aperçoit la silhouette de dos et est amené à faire le tour pour découvrir le personnage de face. C’est à cet instant qu’il est pris de stupeur en découvrant le visage de Hitler. L’oeuvre pose des questions d’ordre éthique : peut-on reproduire Hitler sous les traits d’un enfant, expiant sa faute, lui qui dans l’insconscient collectif demeure un monstre ? Le titre Him à la fois impersonnel et dénonciateur traduit l’ambivalence de l’oeuvre. Celle-ci privilégie une complexité sur le plan plastique et sémantique. J’ai dressé plusieurs portraits d’artistes tout en dégageant des lignes de force et en constatant la mutation de la subversion en provocation chez certains artistes actuels de premier plan. La deuxième difficulté était de prendre en compte l’actualité avec une distance nécessaire à la posture du chercheur. Les attentats tragiques au siège de Charlie Hebdo dont j’ai été informée au moment de la correction d’une partie consacrée au « rire de résistance »[9] m’ont d’abord atteinte sur le plan émotionnel. Puis, lorsque l’émotion a laissé place à l’analyse, j’ai pu mettre en perspective cet événement avec mes travaux. Les passages consacrés au contexte de création et de réception des œuvres d’art déjà rédigés ont été mis en valeur, ce paramètre étant essentiel. La subversion et la provocation ne sont pas des essences immuables mais se définissent et se redéfinissent selon des critères, des règles, lois liées à un pouvoir politique, religieux, social ou artistique.

L’Esthétique : au carrefour des champs disciplinaires

Ce sujet de thèse m’a incitée à explorer différents territoires : l’esthétique bien sûr mais aussi la littérature, l’histoire, la philosophie, la sociologie, à emprunter des chemins de traverse, à développer une pensée « en archipel »[10], selon les mots du poète René Char. J’ai effectué des « pas de côté » en menant des activités différentes mais complémentaires : la mise en place d’un partenariat entre l’université Bordeaux Montaigne, le Centre Pompidou Mobile et la Région Aquitaine avec l’organisation d’une journée d’étude intitulée Utopies concrètes[11] et le commissariat d’une exposition intitulée Tangentes, la participation à un colloque international intitulé Transgression(s) organisé par l’ADEFFI[12] et à une journée d’étude portant sur la provocation organisée par la revue Les chantiers de la création de l’université de Provence à Aix en Provence[13], la préparation de l’exposition Le surréalisme et l’objet [14] aux côtés du conservateur Didier Ottinger lors d’un stage effectué en 2011 au Musée National d’Art Moderne. Je devais choisir les pièces contemporaines en écho avec les œuvres surréalistes : une application pratique de ma problématique de thèse. Les échanges avec les galeristes et les artistes ont affiné mon regard sur la scène artistique actuelle et la retranscription de l’entretien avec Arnaud Labelle-Rojoux (exposé dans le cadre du Surréalisme et l’objet) témoigne de la complexité de l’héritage dadaïste et surréaliste.

Toutes ces expériences concrètes renvoient au sens premier d’esthétique, à son étymologie aiesthesis : la science du sensible. Ma méthode a évolué entre le début du doctorat et la fin. Tout d’abord, je suis partie des concepts pour aller vers les œuvres puis j’ai pris le chemin inverse. La confrontation avec les œuvres dans toute leur matérialité, leur chair était nécessaire pour ne pas les emprisonner dans une grille de lecture et mener une approche sensible. A ce titre, l’esthétique est autant une pratique qu’une théorie. Cette pratique est avant tout celle du regard. Il est  le déclencheur du questionnement philosophique, il suscite une révolution de l’esprit. La dernière partie du troisième chapitre met en relief cette relation entre subversion du regard, érotisme et révolution.

La subversion privilégie un rapport érotique à l’œuvre tandis que la provocation recèle une dimension pornographique. Dans le troisième chapitre, les analyses des œuvres de Salvador Dalí et de Jeff Koons ou encore de Max Ernst et de Maurizio Cattelan visent à comparer les dispositifs plastiques. Ainsi, par exemple, la peinture de Max Ernst La vierge Marie donnant la fessée à l’enfant Jésus devant trois témoins qui semble beaucoup plus sage au premier abord que La Nona Ora de Maurizio Cattelan est en réalité la plus subversive. Elle joue subtilement avec les codes artistiques, religieux et moraux tout en introduisant des détails transgressifs qui font appel à un érotisme du regard. Celui-ci ne pénètre pas directement l’œuvre comme dans le cas de La Nona Ora mais se laisse séduire et égarer par les différents niveaux de lecture. Ce désir de voir débouche sur une émancipation du regard. Celle-ci va de pair avec une force révolutionnaire. L’Age d’or réalisé un an après Un chien andalou insiste plus particulièrement sur la putréfaction provoquée par la morale bourgeoise qui détruit les désirs et espoirs de l’homme. L’ « Amour fou »[15] devient une arme de combat qui défie les contingences sociales : « Mon idée générale en écrivant avec Buñuel le scénario de L’Age d’or a été de présenter la ligne droite et pure de « conduite » d’un être qui poursuit l’amour à travers les ignobles idéaux humanitaires, patriotiques et autres misérables mécanismes de la réalité. »[16] Luis Buñuel et Salvador Dalí font hommage à la puissance du désir amoureux, le seul propre à libérer l’homme. Ce désir incarne la révolte contre l’idée de patrie, de religion et de civilisation : « … À la violence dont nous voyons la passion amoureuse animée chez un être nous pouvons juger de sa capacité de refus, faisant bon marché de l’inhibition passagère où son éducation la maintient ou non, lui prêter mieux qu’un rôle symptomatique, du point de vue révolutionnaire. […] La frénésie tant décriée, hors de laquelle nous, surréalistes, nous pouvons, refusons de tenir pour valable aucune expression d’art… » [17]

Le parallèle entre la passion amoureuse et la subversion politique traverse le film. Cette puissance révolutionnaire du désir n’est pas seulement un thème mais une manière d’être au monde et de créer. « L’expression d’art » ne peut se concevoir sans cette « frénésie » essentielle, du côté de l’artiste comme du spectateur. L’Age d’or comme Un chien andalou fascinent l’oeil du spectateur et déclenchent un désir intense amoureux et révolutionnaire.

 Ce film symbolise le moteur de la subversion. Celle-ci est une relation vivante entre l’artiste, l’oeuvre et le spectateur. L’artiste doute, se remet en question pour éviter une répétition mortifère. Il crée une œuvre qui privilégie la suggestion, l’image absente faisant appel à l’imaginaire du spectateur qui complète ces espaces de réserve comme on le dirait pour une aquarelle. Cette œuvre l’amène à subvertir son propre regard, se situant toujours au-delà de ce qu’elle laisse entrevoir, « une subversion hors de soupçon »[18] comme l’écrit Edmond Jabès. La subversion est une éthique de vie, de création et de recherche. Toujours en mouvement, elle incite à déplacer notre regard et mettre à l’épreuve nos certitudes, et préconise de « se méfier en général de tout [savoir] qui menace de se fixer »[19] mais aussi de « tout art qui menace de se fixer. »


[1] L’auteur présente ici les principaux éléments de la thèse en Arts (Histoire, Théorie, Pratiques) qu’elle a soutenue devant l’Université Montaigne, Bordeaux III. Elle était dirigée par : Pierre Sauvanet (Bordeaux Montaigne) et Miguel Egaña (Paris I, Panthéon Sorbonne)

[2] Henri Béhar, Michel Carassou, Dada : histoire d’une subversion, Paris, Ed. Fayard, 2005.

[3] Marc Dachy, « Une poétique de l’insurrection », Dada & les dadaïsmes, Paris, Ed. Gallimard, 2004, rééd. 2011, p. 11-21.

[4] Le Surréalisme Au Service De La Révolution (SASDLR) est le titre donné à la revue surréaliste publiée sous la direction d’André Breton à partir de juillet 1930 jusqu’à mai 1933 et qui a succédé à la revue La Révolution Surréaliste parue du 1er décembre 1924 au 15 décembre 1929.

[5] Présence Panchounette, Le poids de la culture, 1983.

[6] Voir Parasite(s) : une stratégie de création, Paris, Ed. L’Harmattan, 2010.

[7] www.mamco.ch/artistes_fichiers/M/motti.html

[8] C’est ainsi que Gianni Motti qualifie sa performance où il se revendique responsable du tremblement de terre qui provoque une fissure de soixante-quatorze kilomètres de long dans le désert californien.

[9] Jean-Michel Ribes, Le rire de résistance : de Diogène à Charlie Hebdo, tome 1, Paris, Ed. Du Théâtre du Rond-Point, 2007.

[10] René Char, La parole en archipel, 1962.

[11] Utopies concrètes : les figures du cercle et du carré en art, architecture et sciences, journée d’étude organisée le 10 décembre 2012 à l’Hôtel de Région de Bordeaux. Conférences en ligne sur : http://webtv.u-bordeaux3.fr/sciences/utopies-concretes

[12] Colloque Transgression(s) organisé par l’Association Des Études Françaises et Francophones d’Irlande et l’université de Provence du 21 au 22 octobre 2011. Publication dans la revue Synergies Royaume-Uni et Irlande n°6 en ligne sur http://gerflint.fr/Base/RU-Irlande6/Article13Elisabeth_Spettel.pdf

[13] Journée d’étude La provocation organisée par la revue Les chantiers de la création de l’école doctorale « Langues, Lettres et Arts » de l’université de Provence le 13 février 2013. Conférence en ligne sur https://archive.org/details/LeschantiersdelacreationElizabethSpettel et article en ligne sur http://lcc.revues.org/532 « Splendeurs et misères de la provocation : une esthétique de la limite respectée ? ».

[14] Le surréalisme et l’objet, exposition présentée au Musée National d’Art Moderne du 30 Octobre 2013 au 3 Mars 2014, commissariat : Didier Ottinger.

[15] André Breton, L’amour fou, Paris, Ed. Gallimard, 1976.

[16] Revue-programme du Studio 28, reproduit en fac-similé dans L’Age d’or, correspondances Luis Buñuel – Charles De Noailles, Ed. Les Cahiers du Musée National d’Art Moderne, 1993 et reproduit sur le site http://www.cineclubdecaen.com/

[17] Texte signé des membres du surréalisme cité par Gaëtan Picon, Journal du Surréalisme : 1919-1939, Genève, Ed. Skira, 1976, p. 120.

[18] Edmond Jabès, Le petit livre de la subversion hors de soupçon, Paris, Ed. Gallimard, 1982.

[19] Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, § 296, Paris, Ed. Flammarion, 2007.

CC

Nadja Cohen, Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930)

Cohen Nadja, Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930), Paris, Classiques Garnier, coll. « études de littérature des XXe et XXIe siècles », 2013, 449 p.

Recension par Léa Buisson

Issu d’une thèse de doctorat[1] dirigée par Jean-Pierre Bobillot à l’Université Stendhal-Grenoble 3, l’ouvrage de Nadja Cohen constitue un précieux document nous éclairant sur le rôle qu’a pu jouer le cinéma – « stupéfiant image[2] » porteur d’une mythologie propre à l’éclosion du XXe siècle – dans le discours poétique de la modernité. Spécialiste des rapports entre la poésie et les médias[3], l’auteure place d’entrée de jeu son étude « sous le signe d’Apollinaire, “prophète médiologique (p. 9)” » qui prédisait déjà, en juin 1917, la fin du livre imprimé, voué, selon lui, à être rapidement concurrencé par les productions phonographiques et cinématographiques. « Homme-époque » (p. 10, Nadja Cohen reprend ici une expression employée par Savinio dans une lettre de 1916 à Apollinaire), Apollinaire fait office de jalon pour l’analyse d’un corpus poétique français s’étendant de 1910 à 1930, qui est celui d’une génération littéralement sous l’emprise du medium cinéma, et appartenant à ce que François Albera désigne par « épistémè du cinéma », soit un « nouveau paradigme de pensée et de représentation qui innerve tout l’espace de la communication et de l’expression et dont le cinéma n’est point le tout mais la concrétisation la plus achevée, qui l’éclaire de ce fait mieux que quiconque[4] ». Partant du constat qu’il n’existe à ce jour que très peu de travaux consacrés aux relations entretenues par les poètes modernes avec le cinéma, Nadja Cohen nous propose un ouvrage qui ne se limite pas à l’analyse d’œuvres appartenant au mouvement surréaliste – dont on connaît la passion pour le septième art, et cela dès ses débuts –, mais qui tente de « défricher un terrain critique encore presque vierge tout en soulignant à la fois les phénomènes de continuité et les divergences entre l’avant et l’après-guerre, mais aussi l’avant et l’après-Manifeste de 1924 » (p. 20). Choisissant une « optique générationnelle » (p. 20), plutôt qu’un mouvement littéraire en particulier, cet ouvrage met en avant aussi bien certains protagonistes du surréalisme – avec l’analyse de textes de Louis Aragon, Robert Desnos, Antonin Artaud et Philippe Soupault – que des poètes modernistes d’horizons variés mais ayant manifesté un profond attachement pour le cinéma – comme Max Jacob, Blaise Cendrars, Henri Michaux et Pierre Reverdy –, ou d’autres, moins connus, comme Benjamin Fondane et Pierre Albert-Birot.

Poésie et cinéma : une rencontre

Souhaitant couvrir un phénomène de grande envergure, aussi bien esthétique qu’historique et culturel – voire anthropologique –, Les Poètes modernes et le cinéma est composé de trois grandes parties qui ont la qualité de faire s’articuler astucieusement réflexions théoriques et études de cas. La première d’entre elles, intitulée « Poésie et cinéma au début du XXe siècle : les raisons d’une rencontre », s’attache à expliquer ce qui put aimanter si irrésistiblement les poètes modernes au cinématographe, divertissement initialement populaire et anti-intellectuel, mais témoignant d’une perpétuation « du goût romantique pour les arts dits primitifs et, plus directement, dans la lignée des revendications provocatrices de Rimbaud (p. 29) ». Après avoir survolé la généalogie d’une tradition poétique moderne captivée par la trivialité des arts populaires et les « refrains niais[5] », Nadja Cohen consacre une sous-partie à la poétique baudelairienne et au phénomène de « prosaïsation » de la poésie, terme qui « présente […] l’intérêt de faire entendre à la fois le mot “prose” et l’adjectif “prosaïque” (p. 34) », et qui désigne la contamination du vers par la prose, mais aussi le renouvellement des sujets poétiques, du lexique et du niveau de langue, ouvrant sur une poésie du quotidien. Baudelaire fut de ce fait l’initiateur d’une poésie de (la) circonstance, mais son projet se démarqua grandement de celui des avant-gardes de 1910, en ce qu’il pensait encore pouvoir extraire de sa pratique scripturale une forme d’éternité.

Par ailleurs, les relations entre poésie et journalisme constituent un jalon important dans la genèse du modernisme, des poètes comme Apollinaire ou Cendrars considérant le « lyrisme visuel » des affiches publicitaires comme un « moyen d’élargir le champ d’action de la poésie (p. 52) », rejoignant en cela les manifestes futuristes, ainsi que les expérimentations picturales cubistes. Bien que « [l]a valorisation de la culture populaire et l’éloge du banal [soient] un des points de rencontre entre le modernisme et le premier surréalisme (p. 61) », un usage différent sera fait de la réclame par les futurs surréalistes, qui la considéreront avant tout comme une « puissance de mort » de laquelle résulte une « poésie-activité de l’esprit (p. 57. La seconde expression est de Tristan Tzara.) ». En outre, l’une des caractéristiques les plus notables de la poésie moderniste consiste en la remise en question du lyrisme personnel, le sujet poétique étant appelé à se dissoudre dans l’anonymat de la foule « avec laquelle il vibre à l’unisson (p. 70) ». Partant, le problème de la simultanéité taraude les poètes – en témoignent les « poèmes-conversations » d’Apollinaire –, à l’instar d’une volonté de produire une poésie objective qui semblerait jaillir naturellement de l’immanence des choses et du monde, et non d’un « je » lyrique. Et c’est ici qu’entre en jeu le medium cinéma qui, au moment de sa naissance, est « [p]erçu non comme un art mais comme une machine à enregistrer le réel », et se révèle ainsi « un modèle esthétique rêvé dans le cadre de la revendication d’une poésie objective, où le sujet lyrique s’effacerait pour céder la place aux faits et aux images (p. 86) ».

Après avoir dressé un panorama des différentes technologies pré-cinématographiques, Nadja Cohen entre de plain-pied dans l’histoire du cinéma des premiers temps, commençant par opposer deux conceptions très différentes, soit le « film documentaire et réaliste des “vues” Lumière » et le « film onirique et illusionniste, riche en trucages, de Georges Méliès » (p. 110), pour ensuite analyser diverses strates du discours sur le cinéma en ce début de siècle. Divertissement populaire par excellence, le cinématographe est d’abord dédaigné par la bourgeoisie, entre autres raisons parce qu’il serait, et cela depuis sa naissance, associé à une forme de violence physique et/ou psychique. Peu valorisé socialement, ce nouveau type de spectacle souffre également de la faiblesse des films produits, qui, compte tenu d’une technique encore balbutiante, s’apparentent davantage à du théâtre filmé. Bien que l’apparition progressive d’un public d’esthètes contribuera à l’émergence de la cinéphilie dans les années 1920, les détracteurs de cette « école du vice[6] » n’auront de cesse d’envahir les journaux de leurs discours « édifiants », pour la plupart péjoratifs. Enfin, achevant ce premier chapitre, l’auteure se penche sur les modalités de la vision moderne, soulignant notamment le rôle crucial joué par les théories bergsoniennes dans l’élaboration de plusieurs conceptions philosophiques et artistiques : Bergson a de la sorte « contribué à imposer les paradigmes photographique et cinématographique comme analogies privilégiées avec le processus de la mémoire » (p. 141).

« Projection et projectile : le cinéma et l’homme moderne. Vitesse, violence et subversion »

La deuxième grande partie de cet ouvrage, intitulée « Projection et projectile : le cinéma et l’homme moderne. Vitesse, violence et subversion », porte sur la conjonction même du cinéma et de l’homme moderne. Elle fait la part belle à Walter Benjamin, pour qui le septième art était à l’origine d’une « esthétique du choc », bien que le philosophe n’ait jamais condamné ce medium, car, selon lui, comme l’avait déjà fait l’œuvre dadaïste, le film mettait en œuvre un « choc traumatique » (p. 177), mais cette fois-ci sur un plan perceptif et non moral, le cinéma ayant pour but de « délivrer l’effet de choc physique de la gangue morale où le dadaïsme l’avait en quelque sorte enfermé[7] ». En parfaite adéquation avec l’expérience moderne de la vie urbaine, le cinéma agissait donc comme un révélateur de ses attributs, en premier lieu la vitesse :

« Le Cinéma, venu au monde avec ces machines, machine lui-même et l’une des plus belles, perçoit mécaniquement la photogénie mécanique. Une fraternité curieuse rapproche l’invention prodigieuse de la reproduction du mouvement de ces autres inventions qui ont porté le mouvement à sa limite la plus intense[8]. »

Le cinéaste et critique français Jean Tedesco analyse avec justesse ce qui participera de l’engouement de bon nombre d’artistes et de poètes pour un medium qui semblait prendre en charge et devancer l’évolution de l’appareil sensoriel humain requise par l’ère mécanique et citadine. Grand admirateur du cinématographe, Aragon soulignait déjà, dans Le Paysan de Paris, l’ampleur de la contrainte adaptative imposée à l’être humain par la fulgurance moderne : « [Les effets de la vitesse] modifient à un tel point celui qui les éprouve qu’on peut à peine dire […] qu’il est le même qui vivait dans la lenteur[9] ». L’éloge de l’énergie se situe ainsi en plein cœur de la polarisation des poètes vers le medium cinéma, certains personnages mythiques, tels Charlot ou Fantômas, incarnant – chacun à sa manière – un idéal de rapidité et d’efficacité propre au film d’action. Et c’est à point nommé que Nadja Cohen met en lumière les travaux méconnus de Jean Epstein sur le cinéma et la poésie, deux essais[10] qui cherchent à démontrer que les poètes modernistes ont donné la prééminence à la sensation plutôt qu’à l’idée, « l’émotion étant un levier de mise en marche du cerveau d’un rendement bien supérieur à l’intelligence » (p. 186). Bien que ses théories manquent de précision et s’avèrent parfois quelque peu fantaisistes, le futur cinéaste est convaincu que la poésie moderne et le cinéma sont faits pour s’entendre à merveille, et, par conséquent, rêve d’une collaboration fructueuse entre ces deux arts « où prédominent les notions de vitesse, de choc, et de sensualité » (p. 187). Mais la vitesse n’est pas l’unique vecteur d’enthousiasme entre la poésie et le cinéma, ce divertissement absorbant largement son public grâce au climat subversif qui l’englobe dès ses débuts. Violence et érotisme sont par conséquent au rendez-vous de la dernière partie clôturant la deuxième grande section de l’ouvrage, l’auteure examinant plusieurs cas spécifiques, cheminant de l’imaginaire sensuel – voire obscène – des salles obscures au mythique maillot noir de Musidora.

Poésie et cinéma : étincelles ou effectivité ?

La dernière grande section de cette étude, titrée « Le cinéma : outil polémique ou instrument de renouvellement esthétique ? », se propose d’analyser les résultats effectifs d’une rencontre poésie/cinéma, circonscrite et analysée avec précision dans les deux sections précédentes – principalement sur les plans historiographique et anthropologique. Au-delà des affinités électives qui sont celles de ces deux media, il s’agit à présent de comprendre quels sont les véritables enjeux et les retombées esthétiques de ce confluent artistique. Pour ce faire, l’auteure choisit de procéder à une analyse en trois temps, s’attardant en premier lieu sur l’ambivalence du discours poétique portant sur le cinéma. En effet, les poètes avant-gardistes – tels Aragon, Cendrars, ou encore les dadaïstes –, ont toujours exprimé leur préférence pour un cinéma populaire, finissant par cultiver un « dandysme de l’anti-culture (p. 262) » qui prendra une ampleur particulière chez les surréalistes :

« Alors pourquoi aller au cinéma sinon pour y découvrir, comme dans les paysages, les enseignes, les affiches, les maisons en démolition, les gros titres des journaux, des choses (ou des films) qui soient surréalistes, mais sans que les auteurs aient jamais entendu parler de notre mouvement[11]. »

Peu importe, donc, la qualité du film, le cinéma joue le rôle d’une corne d’abondance pourvoyeuse d’une matière susceptible de se métamorphoser en merveilleux surréaliste. Mais Breton ira encore plus loin, puisqu’il affichera à plusieurs reprises un mépris caractérisé pour le cinéma, l’éloge de son « idiotie » n’étant pas, à première vue, une panacée qui légitimerait le septième art : « Je dois confesser mon faible pour les films français les plus complètement idiots. Je comprends, du reste, assez mal, je suis trop vaguement. Parfois cela finit par me gêner, alors j’interroge mes voisins[12]. » Il faut bien reconnaître que l’usage qui est fait ici du cinéma relève davantage d’un goût pour le scandale que d’un réel parti pris cinématographique. Par la suite, il sera d’ailleurs reproché aux surréalistes d’avoir complètement ignoré la réalité technique et matérielle de ce nouveau medium, de s’être contentés de rêvasser en « consommant » de la pellicule sans but précis.
Dans un second temps, Nadja Cohen fait l’état des lieux de cette relation pour le moins ambiguë et recense les réflexions théoriques et esthétiques majeures engendrées par plusieurs poètes s’étant momentanément mués en penseurs du cinématographe. Il en ressort avant toute chose un intérêt significatif pour la visualité du cinéma, et, symétriquement, un rejet massif de l’élément narratif, duquel découle, très logiquement, un refus de toute forme de théâtre filmé. Ce pan critique du cinéma, issu du champ poétique, plaide souvent pour un « lyrisme de la matière » (p. 311), vouant un culte certain à la technique du gros plan, car « [c]ette nouvelle vie des objets ouvre la voie à une nouvelle esthétique du fragment, où l’hyperréalisme engendre l’abstraction. En effet, la médiation de la machine permet d’accéder à la profondeur de l’objet, à son intimité » (p. 309). Medium éminemment visuel, le cinéma que les poètes portent aux nues se doit d’être silencieux, la mutité ouvrant plus aisément les portes du merveilleux et de l’inconscient, il s’ensuit un affranchissement du logos et des contraintes corrélatives à la logique et à la raison.

Polysémie du cinéma

Objet de réflexion consacré de l’avant-garde poétique[13], le cinéma, réservoir d’images au « caractère alogique et pulsionnel » (p. 325), a fasciné sans pourtant jamais devenir une véritable menace pour le langage et l’écriture, les surréalistes ayant notamment fait de cet art un « adjuvant du renouvellement » (p. 326) qu’ils souhaitaient si ardemment. C’est pourquoi Nadja Cohen, alors que sonne l’heure des bilans, préfère parler de confluence plutôt que d’influence, s’agissant du cinéma et de la poésie. Et, finalement, afin de mettre en lumière la production artistique tangible résultant de cette singulière rencontre, l’auteure entreprend l’analyse détaillée d’une sélection de scénarios, « poèmes cinématographiques » et « ciné-poèmes[14] », qui constituent peut-être les seules traces résiduelles d’une passion somme toute avortée. Concluant son ouvrage avec une série d’études textuelles et transmédiatiques fort subtiles[15], Nadja Cohen cherche à souligner l’ambiguïté terminologique du substantif « cinéma » dans l’esprit des différents poètes modernes appartenant à son corpus, « le terme ne désign[ant] que rarement l’art visuel tel que nous le connaissons (p. 399) ». À l’orée du XXe siècle, l’apparition d’un tel dispositif optique innovant, capable tout à la fois de capter des vues animées et de les projeter ensuite sur un écran, bouleverse considérablement la place et le rôle de l’artiste. Divertissement populaire élu par une frange d’intellectuels, de poètes et de plasticiens, l’arrivée de ce medium visuel inédit a permis de relancer, puis de nourrir les questionnements sur l’efficacité ou les failles éventuelles du langage, venant concurrencer la « fonction imageante (p. 399) » de la poésie, et l’invitant donc à se surpasser. Cependant, ne se limitant pas à la réflexion théorique, les poètes visités dans cet ouvrage regorgent d’inventivité et créent de nouvelles formes poétiques – souvent inspirées du scénario –, ces textes hybrides représentant désormais une archive de taille pour mesurer l’ampleur d’un phénomène propre à une époque donnée, où le cinéma se fait « le cadre cognitif à travers lequel le XXe siècle pense sa propre culture[16]. »


[1] Nadja Cohen, « Place et effets du cinéma dans le discours poétique de la modernité », thèse de doctorat soutenue le 1er décembre 2010.
[2] Expression citée en quatrième de couverture et provenant du Paysan de Paris de Louis Aragon, Gallimard, coll. « Folio », 2007 [1926], p. 82.
[3] Voir à ce sujet les actes du colloque qu’elle a co-organisé en 2008 à la Sorbonne : Poésie et médias : XXe-XXIe siècles, Paris, Nouveau monde éditions, coll. « Culture-médias », 2012.
[4] François Albera, L’Avant-garde au cinéma, Paris, Armand Colin, coll. « Armand Colin cinéma », 2005. Cité par Nadja Cohen, op. cit., p. 23.
[5] Arthur Rimbaud, « Alchimie du verbe », Une Saison en Enfer, Gallimard, coll. « Poésie », 1999, p. 139. Cité par Nadja Cohen, op. cit., p. 33.
[6] Édouard Poulain, « Contre le cinéma, école du vice et du crime. Pour le cinéma, école d’éducation, moralisation et vulgarisation », Imprimerie de l’Est, Besançon, 1918. Cité par Nadja Cohen, op. cit., p. 136.
[7] Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, dans Œuvres III, Gallimard, Paris, coll. « Folio essais », 2000 [1935], p. 97. Cité par Nadja Cohen, op. cit., p. 177.
[8] Jean Tedesco, « Le cinéma, expression de l’esprit moderne », Cinéma-Ciné pour tous, n° 82, avril 1927. Cité par Nadja Cohen, op. cit., p. 179.
[9] Louis Aragon, op. cit., p. 146. Cité par Nadja Cohen, op. cit., p. 181.
[10] Bonjour cinéma et La poésie d’aujourd’hui, un nouvel état d’intelligence, tous deux parus en 1921 [réédités en 1974-1975 et 2014].
[11] Georges Sadoul, « Souvenirs d’un témoin », Études cinématographiques, n° 38-39, 1965, p. 10. Cité par Nadja Cohen, op. cit., p. 263.
[12] André Breton, Nadja, dans Œuvres complètes, t. 1, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988 [1928], p. 663. C’est Breton qui souligne. Cité par Nadja Cohen, op. cit., p. 264.
[13] Entre autres Pierre Albert-Birot, Blaise Cendrars, Pierre Reverdy, Louis Aragon, Robert Desnos, Antonin Artaud, ou encore Benjamin Fondane.
[14] L’Étoile de mer de Desnos/Man Ray, La Coquille et le clergyman d’Artaud/Dulac, La Bréhatine d’Apollinaire, La Perle fiévreuse de Cendrars, Les dix-huit secondes d’Artaud, etc.
[15] À ce titre, la belle trouvaille de « l’homophonie entre “verre” et “vers” qui met en relation les composantes matérielles du film et celles du poème » L’Étoile de mer est exemplaire (cf. p. 335).
[16] Philippe Ortel, « L’envers du cinéma dans la poésie de Pierre Reverdy », Poésie et médias, op. cit., p. 33. Cité par Nadja Cohen, op. cit., p. 400.

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