BULGARIE
LE SURRÉALISME EN BULGARIE
Il n’y a pas de groupe surréaliste constitué en Bulgarie. Nos recherches ont alors pris deux orientations : chercher des surréalistes authentiques, quoique solitaires et relever des rapports entre les écrits avant-gardistes bulgares et le surréalisme.
Il n'y a qu'un seul surréaliste authentique bulgare : le peintre Georges Papazoff (Voir FRANCE). Il s'est cependant formé dans un contexte extra-culturel. Après avoir fait des études à Prague, Vienne et Munich (1919-1919) et ayant subi l'influence de l'expressionnisme de Kokoschka, et de Kandinsky, il s'oriente vers des collages (1920), pratique une peinture automatique à partir de 1922.
Après un séjour d'un an en Suisse (1923) il s'installe définitivement à Paris (1924). De cette époque datent ses véritables tableaux surréalistes : Rythmes biologiques (1924), L’Âme d'une source (1924), Flammes cosmiques (1924-1925), La mer, (1922), etc... Ils se caractérisent par une grande abstraction, par la transposition de visions oniriques et de figures dans un espace imaginaire. Les formes triangulaires le présentent comme l'adepte du surréalisme "géométrique". Bien que ces tableaux coïncident avec ses premiers contacts avec les surréalistes français, Papazoff avoue qu'il a abouti intuitivement à cette poétique, ce qui permet au critique français J. P. Crespelle de le considérer comme "le premier surréaliste avant le surréalisme" ( Montparnasse vivant, Paris, 1962).
En 1924, Max Ernst introduit Papazoff dans le groupe surréaliste de Breton, mais bien qu'il partage complètement les conceptions et le programme esthétique des surréalistes, il n'adhère jamais au mouvement car il trouve que ces "réunions au café de la Place Blanche sont trop protestantes". Cependant, restant en dehors du groupe, Papazoff entretient des rapports très étroits avec Éluard, Masson, Miró, Ernst, Desnos, dont les vers l'inspirent pour faire des frottages. En 1925, le peintre bulgare participe à deux manifestation surréalistes à Paris : L'Exposition surréaliste et l'exposition L'Art contemporain (voir FRANCE). Sa période surréaliste se prolonge jusqu'aux années 1937-1938, lorsqu'il s'oriente vers une peinture de figures stylisées, à tendance cubiste.
Papazoff a sauvegardé sa nationalité bulgare et pendant toute sa vie entretient des contacts étroits avec son pays natal. En 1934-1935, il y fait un séjour de deux ans et donne deux conférences sur l'art moderne, en particulier le surréalisme. Vivant la plupart du temps à l'étranger, il n'a pas influencé le développement de la peinture bulgare.
Quant à l'état du surréalisme, formé par le contexte national, il s'est manifesté dans une certaine mesure, mais surtout dans le domaine de la poésie. Vers les années vingt, les tendances avant-gardistes, appelées par le nom générique d'expressionnisme et qui se manifestaient dans la poésie bulgare (vers fragmentaire, associations inattendues, goût de la surprise, incompatibilité sémantique, art fondé sur l'irrationnel et l'affectivité), rappellent les expériences parallèles des surréalistes. Cependant, il ne s'est jamais formé de groupe surréaliste en Bulgarie.
De tous les poètes avant-gardistes de cette époque, le système poétique d'Ivan Hadjchristov contient le plus de similitudes avec le surréalisme. Ayant débuté par des poèmes symbolistes et expressionnistes, son premier recueil Perte lui réserve déjà une place assez particulière dans le développement de la poésie bulgare. Bien qu'il n'ait jamais pratiqué l’écriture automatique ou partagé les conceptions surréalistes, les visions mystérieuses de ses poèmes, l'enchevêtrement entre réel et irréel, les jeux de mots, le chaos verbal conçu comme illustration du chaos cosmique, la sémantique énigmatique, les associations illogiques, le présentent plutôt comme un surréaliste non revendiqué sur le terrain littéraire bulgare.
Sur le plan théorique plusieurs aspects du surréalisme sont présentés dans les revues avant-gardistes : Vezni, Balances, et Crescendo, mais sans être assez clairement formulés. Ces tendances avant-gardistes sont malheureusement interrompues après la Seconde guerre mondiale. Le régime communiste avec son esthétique officielle du réalisme socialiste, basé sur la dialectique marxiste, ne tolère pas l'abstraction, les éléments oniriques, l'irrationnel, le rôle accru de l'inconscient. Cependant, vers les années soixante, on assiste à un certain affranchissement des dogmes esthétiques. A cette époque apparaît une nouvelle génération, se caractérisant par une nouvelle sensibilité poétique.
Le poète le plus original et en marge de toutes les tendances esthétiques officielles est Constantin Pavlov. Son premier recueil Vers (1965) contient des éléments nouveaux pour le contexte bulgare : logique inhabituelle et mobilité des images non motivées, rôle accru de l'inconscient et de l'intuition, jeux de mots, destruction des liens grammaticaux, désémantisation fréquente, décalages entre signifiant et signifié, enchevêtrement entre le tragique et le grotesque, le réel et l'irréel, etc... Ces éléments qui l'apparentent au surréalisme, ainsi que sa révolte contre le régime, en font un auteur incommode pour les critiques bulgares et il est condamné à un long silence poétique. Son recueil suivant paraît vingt-cinq ans plus tard ( Apparition). Ce n'est qu'après les changements politiques survenus en 1989 que Constantin Pavlov publie sa poésie originale qui le présente comme un surréaliste "attardé".
Actuellement, le surréalisme jouit d'un grand intérêt dans la culture bulgare. La revue littéraire Ah, Maria, qui parait depuis 1990 lui consacre un numéro spécial où sont publiés pour la première fois en bulgare les deux manifestes de Breton, des textes de Picasso, Lautréamont, Desnos et d’Éluard, ainsi qu'une brève chronologie du mouvement. En 1992 le public bulgare découvre encore mieux le surréalisme grâce à une Anthologie de la poésie surréaliste française qui comprend non seulement les vrais surréalistes, mais également leurs précurseurs, ainsi que les poètes qui se réclament du mouvement.
Dina Mantchéva (Sofia)
SURRÉALISTES ET COMPAGNONS DE ROUTE
PAPAZOFF Georges | Voir FRANCE |