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Wolfgang Paalen, Artist and Theorist of the Avant-Garde

285 pages, publié en anglais par Praeger, Westport, Connecticut, 2003

par Susan POWER [1]

 

 

Membre du mouvement surréaliste dès les années 30, artiste, éditeur de la revue DYN, théoricien de l’art, collectionneur de l’art amérindien et précolombien, Wolfgang Paalen demeure une figure essentielle des avant-gardes européennes et américaines et du surréalisme en particulier.

Dans la préface au catalogue de la rétrospective Paalen, organisée par Georges Dupin à la Librairie Loliée en 1960 (un an après la mort de l’artiste), le poète mexicain Octavio Paz parle de la difficulté de situer son oeuvre dans l’histoire de l’art moderne ainsi que dans le surréalisme, et de celle de « saisir sa véritable signification ». [2]   Dix ans après en 1970, José Pierre proteste contre l’oubli dans lequel est tombé Paalen. [3]   Il aura donc fallu attendre encore plus de trois décennies pour, qu’enfin, nous disposions d’un livre décisif sur Paalen.

 

Ce livre, c’est Amy Winter, historienne d’art [4] qui a su nous l’apporter.

Il est le fruit de longues années de recherche dans le cadre d’un doctorat. Il est l’aboutissement d’un travail documentaire important de reconstitution biographique. Il est aussi une analyse approfondie de sa production artistique, appuyée sur l’étude minutieuse des textes théoriques et critiques de l’artiste, sur une multitude de documents d’archives, et sur de nombreux entretiens avec les proches de l’artiste.

À mi-chemin entre la biographie et l’interprétation critique, cet ouvrage précieux reconstruit la vie mouvementée de Paalen entre l’Europe et l’Amérique : son enfance partagée entre Vienne et Berlin, sa formation artistique à Paris, à Rome, à Berlin, à Munich et en Provence, le début de sa carrière à Paris entre 1929 et 1939, puis les séjours au Nouveau Monde, l’exil au Mexique, les visites à New York et en Californie.

 

Divisé en onze chapitres, cet ouvrage suit chronologiquement le périple hors du commun de Paalen, de ses origines autrichiennes (il est né près de Vienne en 1905), jusqu’à sa fin tragique au Mexique en 1959.

Bien que Paalen soit principalement connu par sa participation au groupe surréaliste à Paris et comme l’inventeur de la technique automatique du fumage, Amy Winter s’intéresse surtout à sa période d’exil mexicain, à partir de septembre 1939. Pendant cet exil, il édita la revue Dyn, en six numéros entre 1942 et 1944. Cette période sera aussi la plus féconde en ce qui concerne son œuvre plastique.  L’auteur nous montre combien les idées de Paalen et de sa revue ont eu des répercussions sur les artistes de l’expressionnisme américain.

 

Il ne nous est pas possible ici de rendre un compte exact de la densité des informations et des analyses contenues dans cette étude, tant sa richesse en ce domaine est grande. Nous pouvons cependant dire que ce livre fait définitivement date, et espérons qu’il pourra ouvrir enfin un nouveau cycle de recherches sur Paalen, ces recherches disposant avec lui d’un point de départ solide, du livre de référence tant attendu.

 

Arrêtons-nous cependant sur deux des nombreuses propositions avancées par notre auteur.

Amy Winter attribue la monographie de l’artiste de 1946, signé Gustav Regler, à Paalen lui-même. Cette hypothèse s’appuie sur la découverte de manuscrits dans les archives de Paalen. Leur texte s’avère identique à celui de la monographie de Regler.  De plus, ce propos a été corroboré par des entretiens avec un autre spécialiste de Paalen, Christian Kloyber, qui a suggéré que Paalen aurait pu confier à Gustav Regler l’honneur d’être le signataire de sa monographie, en reconnaissance de son soutien financier et moral.

Dans sa deuxième proposition, Amy Winter s’efforce de réinscrire Paalen dans l’histoire de l’art du vingtième siècle et de réévaluer l’apport de Paalen, le théoricien, au mouvement d’expression abstraite américaine. C’est bien là, nous semble-t-il, l’apport le plus décisif de cette étude. Une bonne moitié du livre s’applique - avec érudition et avec quelle maestria ! - à tracer minutieusement les liens entre Paalen et l’École de New York. Ces influences ont agi principalement par le biais de la revue d’avant-garde Dyn. Par exemple, Amy Winter souligne avec raison les affinités entre les écrits de Paalen et ceux de Barnett Newman. 

 

Deux chapitres entiers sont consacrés au dépouillement de Dyn, avec une précieuse annexe qui précise le contenu des six numéros [5] . A eux seuls, ces deux chapitres justifieraient, s’il en était besoin, l’achat de cet ouvrage, indispensable à toute bibliothèque sur le surréalisme et les avant-gardes du siècle dernier.

Tirant son titre du mot grec dynaton, qui signifie le possible, Dyn a offert une approche interdisciplinaire, réunissant des images et des textes théoriques, poétiques et ethnographiques, en anglais et/ou en français. A la fin de la seconde mondiale, André Breton, au-delà des divergences de point de vue et l’éloignement provisoire de Paalen vis-à-vis du surréalisme, reconnut que Paalen avait « raison sur bien des points », comme il l’écrit à Benjamin Péret. Et il est en effet difficile de comprendre l’évolution de nombre des conceptions du surréalisme des années quarante, cinquante et soixante si on néglige les recherches de Paalen, que ce mouvement se réappropria à sa manière.

La revue Dyn est pour Paalen l’occasion d’expliciter ses propres théories, comme en témoigne le premier numéro, sorti en 1942, avec trois textes fondamentaux : « Farewell to Surrealism », « The New Image », et « Suggestion for an Objective Morality ». [6]   Le double numéro 4-5, publié en 1943 et sous-titré « Amérindian », mettait en valeur la collection d’art amérindien appartenant à Paalen, dont le premier texte « Totem Art » introduisait un ensemble d’écrits sur les diverses cultures natives d’Amérique.

 

Le chapitre suivant, intitulé « Cosmic Creation », pose les jalons pour la discussion développée par la suite sur les ressemblances entre les théories sur l’art de Paalen et celles de Newman. Amy Winter examine les idées de Paalen par rapport à celles de John Graham, dans son texte Systems and Dialectics of Art, texte phare pour les artistes américains à la fin des années 30. Le lien entre Graham et Newman s’établit en faisant un détour par Paalen, qui, selon Winter, « suivait et mettait en question Graham, de la même manière que Newman s’appropriait et renversait les idées de Paalen ». [7]   Pourtant, la filiation entre Paalen et les expressionnistes américains ne se limitait pas qu’à la théorie.

Les artistes américains ont certainement vu ses œuvres « Cosmic », de la période entre 1941 et 1945, reproduites dans les revues de l’époque, ou accrochées lors des expositions monographiques consacrées à Paalen, à la galerie de Peggy Guggenheim, Art of This Century, en avril 1945, et par la suite à la galerie Karl Nierendorf en 1946.

 

Sans doute Wolfgang Paalen, Artist and Theorist of the Avant-Garde est une première réponse au défi lancé par Breton dans le court texte qu’il écrit en 1950 pour la première exposition de Paalen à Paris depuis la deuxième guerre mondiale : « A la critique vraiment indépendante et soucieuse de s’écarter des chemins battus ne saurait se proposer meilleure tâche que de rendre compte attentif de l’évolution de Paalen, telle qu’elle se précipite de son époque dite « cycladique » à son époque actuelle, en passant par son époque « totémique » et qu’elle se dégage de ses textes théoriques dans la revue Dyn, qu’il a dirigée de 1942 à 1945 au Mexique [8] . »

Telle une pierre précieuse avec une multitude de « facettes », pour remprunter les mots d’Octavio Paz [9] , dans ce livre d’Amy Winter, l’œuvre fascinante de Paalen se dévoile, tout comme le paysage défilant de sa vie. Elle a su nous les présenter dans un puissant panoramique, avec en même temps une richesse de détails passionnants.


[1] Doctorante en Histoire de l’Art à l’Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, thèse en cours « Les surréalismes du Nouveau Monde (États-Unis, Mexique, Caraïbes) », sous la direction de Madame Marina Vanci.

[2] Octavio PAZ, « Préface à une rétrospective », in Rétrospectif Wolfgang Paalen, Paris Librairie Loliée, 1960.

[3] José PIERRE, Domaine de Paalen, Paris, Éditions Galantis, 1970.

[4] Amy Winter est aussi actuellement Directrice and Conservatrice du Godwin-Ternbach Museum au Queens College of The City University of New York.

[5] La revue Dyn a été rééditée en fac-similé, Wolfgang Paalen’s Dyn : The Complete Reprint, Christian KLOYBER (Ed.), Vienne, Springer-Verlag, 2000. Bilingue Anglais-Français.

[6] Si les deux premiers de ces textes étaient au cœur des divergences d’alors entre Paalen et les surréalistes, le troisième rencontra, lui, l’approbation sans réserve des surréalistes exilés à Mexico, et nombre des surréalistes de New-York, comme André Breton. Tout en boycottant toute collaboration directe à Dyn (excepté Pierre Mabille, mais compagnon du mouvement, il n’était pas concerné par ce boycott), ils lisaient attentivement cette revue - comme le montrent les archives disponibles à Doucet -, qu’ils commentaient article par article, puis, quand le rapprochement fut opéré, Paalen fut un peintre et un penseur auquel ils rendirent à plusieurs reprises, par delà l’épisode de rupture provoqué par le premier texte, des hommages sans ambiguïté. 

[7] Amy WINTER, Wolfgang Paalen, Artist and Theorist of the Avant-Garde, Westport, Connecticut, Praeger, 2003, p. 189.

[8] André BRETON, « Un homme à la jonction des grands chemins », in Le surréalisme et la peinture, Nouvelle édition revue et corrigée 1928-1965, Paris, Gallimard/Folio, (1965), 2002, p. 184.

[9] Octavio PAZ, « Préface à une rétrospective », in Rétrospectif Wolfgang Paalen, Paris Librairie Loliée, 1960.