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Castant Alexandre, Esthétique de l’image, Fictions d’André Pieyre de Mandiargues, Publications de la Sorbonne, 2001, 289 p.

 

Cette étude est à la mesure de notre temps, alliant exploration minutieuse et recherche d’une dynamique. Alexandre Castant analyse ainsi les différents versants de l’image (mentale, visuelle, rhétorique) à partir des œuvres de Mandiargues, fictions ou réflexions. Comme clés pour l’approche du corpus, il utilise aussi des textes où Mandiargues présente un autre artiste, dans la mesure où ces présentations reposent sur la sympathie qui associe l’artiste et son commentateur, celui-ci dévoilant comme par réflexion sa propre démarche. La première partie est alerte et se lit aisément, recensant différentes actualisations de l’image, assez immédiates. Il n’en sera plus de même dans les deux étapes suivantes, Castant dégageant des traits plus ténus, plus secrets de la démarche de Mandiargues, l’analyse se faisant plus serrée ; le lecteur est amené sur des terres plus arides, et pourtant non moins importantes quant à la portée de ce qui est mis au jour.

 

L’élément premier est le constat de la rupture entre les arts plastiques et la littérature, établie par Lessing au 18e siècle dans une étude sur la sculpture du Laocoon. Castant étudie comment Mandiargues, qui tantôt observe, enregistre, tantôt écrit ou plutôt transcrit, va tendre des fils à travers cette rupture, le texte devenant le réceptacle du vu, fruit de la « vision [qui] doit précéder les mots. » (Un Saturne gai, cité p. 138). A partir de là, deux forces s’affrontent au sein du texte.

 

D’abord, le texte peut mettre en avant l’impossible saisie mimétique du réel. L’image se résout dans le désastre, image de la mémoire, du temps disparu, qui débouche sur l’hallucination et le vide, sur une page où les mots s’avèrent vains. Castant nomme ce phénomène l’« image blanche » et l’associe à l’annonce traumatique de la mort paternelle durant l’enfance de Mandiargues. Dans ce cas de figure, la volonté de faire image pousse le mot à dévoiler une béance, proche de la mort souvent annoncée du protagoniste.

 

Parallèlement, une autre constellation se dégage au sein de l’œuvre, celle de l’« image ouverte ». Le texte s’imagine, s’ancre en l’image. Castant dévoile comment l’écriture, le récit, dans leur fonctionnement, dans leur texture, deviennent le matériau même de l’image, pour laisser s’élaborer un nouvel espace, un nouveau temps, marqués par la suspension. Le roman n’est plus un cheminement vers la disparition, mais un « miroir » (p. 201) de soi, au sens où le romancier y projette l’expérience dont il est lui-même le reflet, pour qu’elle y reprenne une nouvelle dimension, que Castant associe au merveilleux surréel, puisqu’elle participe au dépassement des contradictions qui minent le réel, le vécu du réel.

 

L’« image blanche » et l’« image ouverte » hantent les œuvres de Mandiargues, exhibant dans le même univers textuel l’inéluctable disparition biologique de soi et l’accès au dédoublement qui extrait le Moi du visible catastrophique. Mais Castant ne repère pas ce que Mandiargues fait d’un tel dépassement. Se réduit-il à un divertissement qui masquerait le terme de l’existence ? Est-il le signe d’un dépassement assuré vers un indicible ?

 

Néanmoins, les analyses menées par Castant sont fortes en ceci qu’elles montrent comment une œuvre, par-delà les questions d’appartenance et d’orthodoxie, peut se nourrir des découvertes surréalistes. Enfin, elles forment un travail précieux pour le profane qui approche l’œuvre étrange de Mandiargues.

 

 

Thierry AUBERT.