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Simone Breton, Lettres à Denise Lévy. 1919-1929, édition établie par Georgiana Colvile, Paris: Éditions Joëlle Losefeld, 2005, 317 p.

 

Compte-rendu par Tania Collani

 

Dans une très belle édition brochée parue chez Joëlle Losefeld, avec une couverture où le rose vif contraste avec la photo en noir et blanc de Simone Breton qui tient une statue d’art “primitif” dans ses mains, Georgiana Colvile a recueilli les lettres que Simone Kahn écrivit à sa cousine Denise, dans la période 1919-1929 indiquée dans le titre, devenue sa correspondante à peu près depuis sa rencontre et son mariage avec André Breton.

En lisant cette correspondance, on retrouve la perspective très personnelle, et néanmoins extrêmement perspicace, que Simone Breton offre des années surréalistes. À travers la médiation lointaine de sa cousine bien-aimée – Denise habite à Sarreguemines et déménagera à Strasbourg après son mariage avec Georges Lévy en 1920, tandis que Simone habite Paris depuis son départ du Pérou natal lorsqu’elle était encore un enfant – Simone dépasse sa difficulté d’écrire et raconte ses fréquentations avec les tout premiers membres du groupe (Desnos, Éluard, Morise, Crevel, Péret, Aragon), les réunions et les séances de sommeil hypnotique qui se tenaient chez le couple 42, rue  Fontaine, son activité dans les galeries locales, ses contacts avec les peintres et les artistes contemporains, ses flirts, amitiés et tourments avec les hommes qui l’entouraient - de son amour de jeunesse Valdomar à Max Morise, de Jacques-André Boiffard à sa passion non partagée pour Robert Tual.

Les confidences privées concernant les sentiments et les problèmes familiaux d’une jeune fille parisienne aisée et cultivée s’entremêlent donc avec l’aperçu du panorama culturel du Paris des années 20: les sorties au théâtre et au cinéma, les fréquentations des cafés et des cabinets culturels, les leçons de piano et les cours à la Sorbonne, la description des dernières tendances de la mode parisienne et de très nombreuses références aux livres et aux essais en vogue dans son entourage. Simone parle avec Denise de Nietzsche, de son admiration pour Barrès, Oscar Wilde, Stendhal, Gide, Claudel, Baudelaire, Verlaine et, bien évidemment, de toutes les nouvelles parutions de ceux qui étaient assidus de la rue Fontaine.

Les lettres de Simone sont, au fur et à mesure que l’atelier des Breton devient le point de rencontre de tous les surréalistes (voire futurs surréalistes avant 1924), de plus en plus denses de portraits des personnages qui se réunissent chez le couple tous les soirs. Breton est depuis le début le modérateur et le point de repère de tous les autres; Desnos est l’âme lyrique de la rue Fontaine et le protagoniste des sommeils hypnotiques; Aragon pose des problèmes pour sa collaboration avec Paris-Journal et sa tendance à vouloir être au centre de l’attention; Soupault, après avoir rédigé Les Champs Magnétiques avec Breton, prend ses distances vis à vis des activités du groupe; Artaud et De Chirico sont des météores lumineux dans la correspondance de Simone. Une place privilégiée est réservée à Max Morise, qui sera l’ami fidèle de Simone tout au long des années 20 et aussi, en partie, la cause de son divorce avec André Breton. Marcel Noll et Pierre Naville sont aussi au centre des préoccupations des deux femmes, à cause de leur rapport très proche avec Denise (Pierre Naville sera son second mari en 1927, quand elle décidera de déménager à Paris).

C’est en raison de cet échange très prolifique que nous regrettons de ne pouvoir lire dans le même ouvrage les réponses que Denise écrivit à Simone. Georgiana Colvile parle justement de ces lettres dans son introduction et y retrouve un style tout à fait différent, beaucoup moins soigné que celui de Simone ; or, cette remarque doit se référer aux lettres que Simone écrivit après 1922 parce que, à la lecture, les deux premières années de correspondance surtout, ne nous paraissent pas tellement impeccables.

Dans la présente édition, les lettres de Simone Breton sont enrichies par des documents, assez hétérogènes à vrai dire, qu’elle a rédigés à des époques différentes, ce qui rend l’idée du titre complet de l’ouvrage: Lettres à Denise Lévy 1919-1929 et autres textes 1924-1975. À l’unité très forte de la première partie, fondée sur la symétrie entre sa vie affective à côté de Breton et son contact avec le groupe surréaliste, suit une deuxième partie, beaucoup plus réduite et très fragmentaire, si l’on considère la nature des documents et leur distribution temporelle. Nous retrouvons un petit texte onirique de 1924 tiré du n° 1 de La Révolution surréaliste; une conférence inédite sur la peinture surréaliste que Simone présenta dans plusieurs pays d’Amérique latine à l’occasion d’un voyage d’affaires de son deuxième mari Michel Collinet, en 1965; le texte Les Cadavres exquis, que Simone rédigea pour le catalogue d’une exposition à Milan en 1975 dans la galerie d’Arturo Schwarz; et, à la fin, quatre lettres à Sarane Alexandrian (datées 1971-1975) pour le remercier de l’envoi de ses œuvres.

Impossible de confronter l’évolution de Simone avec des matériaux aussi hétéroclites : les lettres de jeunesse à la cousine, amie et confidente Denise ne sont pas à comparer avec les lettres très formelles échangées avec Sarane Alexandrian, qu’elle écrit cinquante ans après. Nous restons donc avec l’image de cette jeune femme vivante et passionnée, qui aimait se sentir au milieu d’un mouvement littéraire et révolutionnaire. Nous voulons rester avec l’autoportrait de cette femme qui aimait s’entourer d’amis, surtout lorsqu’ils étaient du sexe opposé, mais qui ne mit jamais en doute son amour inconditionnel pour André Breton, la «montagne» et «l’empereur» qui - même dans les dernières lettres de 1928, alors qu’il était en compagnie de Suzanne Muzard et Simone à La Ciotat avec Max Morise - ne perdit pas sa place privilégiée dans le cœur de Simone. Elle écrit à Denise, le 8 septembre 1928: « André est vraiment un homme merveilleux et exquis, toujours au-dessus de ce qu’on peut attendre de lui, et d’un homme ».