Erik Satie

Ambroise Thomas [1]

Son art ? Je n'en parlerai pas, s'il vous plaît, me bornant à conter ici quelques impressions vagues.

Pourquoi parler de sa si curieuse prosodie ? Philine chante :— « Je-e suis Titania la blonde » ; Laërte nous dit : — « Belle, ayez pitié de-e nous. » C'est assez.

Mais où donc j'ai laissé mon parapluie ?

Son grand âge le désigna pour représenter la grandeur musicale de France. Il fut accepté sans protestation, comme il le fut sans joie, du reste. Cela indifférait.

Heureusement que ce parapluie n'avait pas une grande valeur.

La place qu'il occupa dans le monde de la musique officielle s'offrit considérable, mais ne l'augmenta pas dans l'esprit des artistes : quelque chose comme les superbes fonctions d'un général commandant de Corps d'Armée, très en vue et très honoraire. Ce n'est pas mal, direz-vous. Je veux bien.

J'ai dû oublier mon parapluie dans l'ascenseur.

Physiquement ? Il était grand, d'aspect sec, bourru : une sorte d'épouvantail. Avec obstination, il se singularisait en ne passant pas les bras, qu'il tenait contre le corps, dans les manches d'un copieux pardessus en ratine, fortement vaste, ce qui lui donnait l'air de porter perpétuellement un de ses amis sur son dos. C'était sa manière, à lui, de porter des longs cheveux.

Mon parapluie doit être très inquiet de m'avoir perdu.

Peut-être avait-il les bras trop gros ; ou bien, ne les pouvait-il mouvoir, direz-vous ? Je ne le crois pas : sa redingote et son gilet le revêtaient suivant l'usage établi depuis longtemps, se montrant corrects et noirs.

Il est mort comblé d'honneurs.

Erik Satie

 

 

 

Observations d'un imbécile (Moi)

JUSTE REMARQUE (fragment) [2]

 

Pour Henriette Sauret

Je n'aime pas les plaisanteries, non plus que les choses s'en approchant. Que prouve une plaisanterie ?

La Grande Histoire du Monde en relate fort peu de remarquables. Il est rare qu'une plaisanterie puise sa source aux gracieuses entrailles de la Beauté ; mais il est certain qu'elle sort bien souvent des aisselles infectes de la Méchanceté.

Aussi, je ne plaisante jamais ; et ne puis-je que vous conseiller d'en faire autant

Une des plaisanteries les plus sottes qui soient venues à la connaissance des hommes est, je crois, celle qui eut pour but le Déluge. Il est aisé de voir combien cette plaisanterie fut grossière et inhumaine, même à son époque ; aussi bien que l'on constate qu'elle n'a absolument rien prouvé, et que la Philosophie n'en a été augmentée d'aucune manière.

Évidence : Par cela, il apparaît, sur les délicieux sommets de la Raison, que la Plaisanterie n'est qu'un Art inférieur qui ne se doit pas enseigner, qui ne se peut magnifier, quelque en soit son titre, quelque en soit la fin que l'on se propose.

Erik Satie


[1] L’Œil de veau. Revue encyclopédique à l’usage des gens d’esprit, 1 e année, n° 2, février 1912, p. 33.

[2] Ibid., 1 e année, n° 4, mai-juin 1912, p. 117.

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