MÉLUSINE

titre de la revue La Révolution Surréaliste

LA RÉVOLUTION SURRÉALISTE N°5, 15 OCTOBRE 1925

SOMMAIRE
Correspondance
Ernest Gengenbach Une lettre
TEXTES SURRÉALISTES
Pierre Brasseur Dans son château vit seule une femme noble...
Raymond Queneau Des canons de neige bombardent les vallées...
Paul Eluard L'image d'homme, au dehors du souterrain...
Dédé Sunbeam Quand une femme meurt...
Monny de Boully Enrouler les rails autour de son bras clos...
POÈMES
Giorgio de Chirico Espoirs
Giorgio de Chirico Une Vie
Giorgio de Chirico Une Nuit
Michel Leiris Le Sceptre miroitant
Michel Leiris La Fronde
Paul Eluard Au hasard
Paul Eluard Ne plus partager
Robert Desnos CQFD
Marco Ristitch Se tuer
Pierre Brasseur Chacun pour soi
Robert Desnos La Colombe de l'arche
RÊVES
Michel Leiris Rêves
Max Morise Rêves
TEXTES
Jacques Baron Décadence de la Vie
Monny de Boully Le Vampire
André Breton Lettre aux voyantes
Antonin Artaud Nouvelle lettre sur moi-même
Benjamin Péret Ces animaux de la famille
Louis Aragon Avis
CHRONIQUES
Louis Aragon Au bout du quai les arts décoratifs
Robert Desnos Le Paradis perdu
André Breton Léon Trotsky : Lénine
Paul Eluard Pierre de Massot : Saint-Just
Paul Eluard et Benjamin Péret Revue de la Presse

P. 1

UNE LETTRE

Gérardmer, ce 10 juillet 1925

MESSIEURS,

Ces jours-ci, un jeune homme a tenté de se suicider, en se jetant dans le lac de Gérardmer. Ce jeune homme était, il y a un an, l'abbé Gengenbach, et se trouvait chez les Jésuites, à l'Externat du Trocadéro, 12, rue Franklin... À cause de cela on a essayé d'étouffer le scandale à Gérardmer, mais je sais que le désir de ce jeune homme était au contraire qu'on fît du bruit autour de ce suicide. Ce jeune homme c'est moi. Quand vous recevrez cette lettre, j'aurai disparu, mais si mes renseignements ne vous suffisent pas, je vous autorise à vous adresser à ma cousine, Mlle J. Viry, institutrice à Retournemer, près Gérardmer.

Il y a un an exactement, j'étais abbé chez les Jésuites à Paris et étais appelé à une belle situation dans le monde ecclésiastique. Il m'arriva une ébauche d'aventure amoureuse avec une jeune actrice de l'Odéon, à la suite d'une soirée que j'avais passée en civil, au théâtre de l'Athénée. On jouait Romance avec M. Soria. La pièce, représentant l'idylle d'un jeune pasteur protestant et d'une cantatrice italienne, m'avait beaucoup ému. Les Jésuites furent au courant. Quelque temps après, j'allai dîner, avec mon actrice, au Romano, grand restaurant dancing de la rue Caumartin. Le lendemain, les Jésuites me renvoyèrent, me laissant seul sur le pavé de Paris. Je vins à Plombières, dans ma famille, et menai une vie assez mondaine. En pleine saison, mon évêque m'interdit de porter la soutane... et je dus défroquer.

Je me trouvai ainsi tout désorienté à vingt et un ans, au milieu de l'existence... Je me rendis compte très vite que j'étais perdu. J'ai trop subi l'empreinte sacer-dotale pour pouvoir être heureux dans le monde. D'autre part, ma jeune amie, qui aurait aimé devenir ma maîtresse si j'avais continué à porter la soutane (laquelle exerce sur certaines femmes un attrait morbide), m'abandonna dès que je ne fus plus qu'un banal civil...

LE LAC DE GÉRARDMER LA NUIT

Je tombai dans la neurasthénie aiguë

P. 2

et la dépression mélancolique et devins nihiliste, ayant complètement perdu la foi, mais restant néanmoins attaché à la douce figure du Christ si pure, et si indulgente. J'ai maudit tous ceux qui, prêtres, moines, évêques, ont brisé mon avenir parce que j'étais obsédé par la femme, et qu'un prêtre ne doit pas penser à la femme. Race de misogynes, de sépulchres blanchis, squelettes déambulants !... Ah ! si le Christ revenait !

J'ai passé tout l'hiver, seul dans un salon..., faisant de la musique et lisant. C'est à ce moment que je pris connaissance de la R. S. et de votre Enquête sur le suicide, laquelle ne fit que m'ancrer davantage dans mon pessimisme et dans le désespoir le plus sombre... J'y ai vu des cris d'angoisse exprimant le désir du néant ou la nostalgie d'une vie, d'un au delà, où enfin nous pourrons, évadés d'ici-bas, être libres !

Je suis venu ici pour me suicider en me jetant dans le lac. J'ai essayé de le faire auprès de la villa Kattendick... J'y ai renoncé... Mais, je vous permets et vous demande de faire connaître cet événement, que l'on voudrait tenir sous silence, parce que j'ai été ecclésiastique... C'est justement parce que j'ai été ecclésiastique que je veux que l'on sache ce que les gens d'Église ont fait de moi : un désespéré, un révolté et un nihiliste...

Je vous prie d'agréer, Messieurs, mes salutations distinguées.

E. GENGENBACH.

P. S. – Ci-joint ma photographie en abbé et en civil, celle de l'actrice, et une photo de la Grande-Trappe où j'étais allé faire une retraite.

* * *

TEXTES SURREALISTES

PIERRE BRASSEUR :

Dans son château vit seule une femme noble jalouse des joies du peuple. Un jour elle voit passer le cortège du roi, elle a ri et depuis – il y a cent ans de cela – elle rit. Elle va mourir, je crois, dans vingt ans, elle a donc encore vingt ans à rire.

Le roi avait vu passer le peuple et jaloux de ses joies, il a pris un grand glaive d'une main et il est allé tuer son peuple, habitant par habitant, – il y a cent ans de cela – il en a tué un par an, ils étaient cent vingt, il a donc encore vingt ans à tuer.

Quand il m'a dit cela, moi, son meilleur ami, je l'en ai dissuadé, il m'a regardé et dans ses deux yeux j'ai compris que le sel des larmes faisait l'oeuvre du picon sur le marbre de ses carapaces, et dieu sait de quelles carapaces il est enveloppé, on voit les larmes quand même, mais comme des gouttes d'huile sur des glaces.

Je ne suis pas fou, et je ne dirai plus cela, non, crois-moi, il ne faut pas tuer, il ne faut pas en rire non plus, il ne faut jamais mériter des titres que l'on ne nous accroche pas à notre naissance, et tout rouge il me cria : " On me les a peut-être accrochés puisqu'il est comblé le vide, aujourd'hui. "

Le long et grand propos qui touche juste à l'instant où l'on prononce des mots doubles avec des sens triples et des couleurs quadruples, avec un seul oeil on en voit plus que la moitié. Comme des choses, il a fermé un oeil mais tournant l'autre il a presque tout vu sauf un petit coin, un tout petit coin, avec de petits mots dont il essayait de former des guirlandes de baraques qui feraient croire ses yeux moins menteurs et susceptibles d'aimer encore quelque chose – mon ciel – il a un ciel à lui, il n'y plante rien car la fumée de tout ce qui l'entoure l'empêche de voir distinctement les terrains, de juger de la qualité – il va bâtir – si les briques tombent

et y restent, il y a du terrain ; si elles n'y restent pas, il n'y a rien, que des nuages, il y faut la place, même pour une petite construction d'enfant. Dans le bleu il faut le beau bleu, et dans ce beau bleu, il faut, c'est ma grand' mère qui me l'a appris, que l'on puisse y tailler une culotte de gendarme. Pourra-t-il la tailler ? Elle annoncerait le beau temps, mais un gendarme nain me suffit à vêtir, disait-il en pleurant ; depuis le matin il cherchait. Les voisins le crurent mort. Non et voici la preuve : on l'a retrouvé vivant.

RAYMOND QUENEAU :

Des canons de neige bombardent les vallées du désastre permanent. Cadavres périmés, les périmètres de l'azur ne sont plus chambres pour l'amour et la peste au sourire d'argent entoure les fenêtres de cerceaux de platine. Les métaux en fusion sont filtrés sur des buvards de pigeons géants ; puis, concassés, ils sont expédiés vers les volcans et les mines. Traînées de plomb, traînées de marbre, minéraux et carbones, monde souterrain où personne ne voyagea, n'êtes-vous pas l'esprit chû aux pieds de la mort ? Limon rouge des océans, lacs métalliques, poissons aveugles, algues blanchâtres, mystères de la profondeur, insolubles reflets du ciel ! Et voilà la périphérie des météores et les orbites des comètes qui s'évanouissent dans la gloire d'un chêne plus vieux que la lune. Les astéroïdes se dispersent sur toutes les nations. Des femmes en recueillent pour orner leur piano, des hommes tendent leur chapeau, les enfants crient et les chiens pissent contre les murs tachés de cervelle.

Les raisins ne mûriront pas cette année ; les fleurs mourront sans fruits aux premières clameurs de la subversion des champs. La terre arable, la marne et le calcaire, l'humus et le terreau, des hommes les projettent dans l'atmosphère où l'orgueil du travail humain se disperse joyeusement. Les minerais qui déchirent si agréablement les mains, les fossiles, le granit et le feldspath, les cristaux, le mica, le sable d'or – les hommes les pétrissent de leurs doigts sanglants, ils les piétinent afin que leurs pieds même partagent leur bonheur ; ils creusent sans fin, les tunnels deviennent carrières, l'ardeur de ce monde sans vie conquiert l'humanité aux premières lueurs d'un nouvel ascétisme.

P. 4

Araignée géante qui pétrifie au centre de notre planète les épopées et les fastes des peuples, pourquoi gardes-tu si longtemps ces fossiles dans tes coffres de dentelle ? Donne-nous ces pierres comiques, ces rhomboèdres obscènes, ces résidus de vie, ces débris de vengeances et de sang, afin que nous en riions une dernière fois. Et vous, poulpes, donnez-nous ces astres et ces passions que vous conservez dans vos cavernes de l'Océan Pacifique, sinon la terre se dispersera dans le ciel, et sur chaque aérolithe né de sa mort, un homme se desséchera dans la pureté de l'éther.

PAUL ELUARD :

L'image d'homme, au dehors du souterrain, resplendit. Des plaines de plomb semblent lui offrir l'assurance qu'elle ne sera plus renversée, mais ce n'est que pour la replonger dans cette grande tristesse qui la dessine. La force d'autrefois, oui, la force d'autrefois se suffisait à elle-même. Tout secours est inutile, elle périra par extinction, mort douce et calme.

Elle entre dans des bois épais, dont la silencieuse solitude jette l'âme dans une mer où les vagues sont des lustres et des miroirs. La belle étoile de feuilles blanches qui, sur un plan plus éloigné, semble la reine des couleurs, contraste avec la substance des regards, appuyés sur les troncs de l'incalculable impéritie des végétaux bien accordés.

Au dehors du souterrain, l'image d'homme manie cinq sabres ravageurs. Elle a déjà creusé la masure où s'abrite le règne noir des amateurs de mendicité, de bassesse et de prostitution. Sur le plus grand vaisseau qui déplace la mer, l'image d'homme s'embarque et conte aux matelots revenant des naufrages une histoire de brigands : " À cinq ans, sa mère lui confia un trésor. Qu'en faire ? Sinon de l'amadouer. Elle rompit de ses bras d'enfer la caisse de verre où dorment les pauvres merveilles des hommes. Les merveilles la suivirent. L'oeillet de poète sacrifia les cieux pour une chevelure blonde. Le caméléon s'attarda dans une clairière pour y construire un minuscule palais de fraises et d'araignées, les pyramides d'Égypte faisaient rire les passants, car elles ne savaient pas que la pluie désaltère la terre. Enfin, le papillon d'orange secoua ses pépins sur les paupières des enfants qui crurent sentir passer le marchand de sable. "

L'image d'homme rêve, mais plus rien n'est accroché à ses rêves que la nuit sans rivale. Alors, pour rappeler les matelots à l'apparence de quelque raison, quelqu'un qu'on avait cru ivre prononce lentement cette phrase :

" Le bien et le mal doivent leur origine à l'abus de quelques erreurs. "

* * *

L'absolue nécessité, l'absolu désir, découdre tous ces habits, le plomb de la verdure qui dort sous la feuillée avec un tapis rouge dans les cheveux d'ordre et de brûlures semant la pâleur, l'azurine de teinte de la poudre d'or du chercheur de noir au fond du rideau dur et renâclant l'humide désertion, poussant le verre ardent, hachure dépendant de l'éternité délirante du pauvre, la machine se disperse et retrouve la ronde armature des rousses au désir de sucre rouge.

Le fleuve se détend, passe avec adresse dans le soleil, regarde la nuit, la trouve belle et à son goût, passe son bras sous le sien et redouble de brutalité, la douceur étant la conjonction d'un oeil fermé avec un oeil ouvert ou du dédain avec l'enthousiasme, du refus avec la confiance et de la haine avec l'amour, voyez quand même la barrière de cristal que l'homme a fermé devant l'homme, il restera pris par les rubans de sa crinière de troupeaux de foules, de processions, d'incendies, de semailles, de voyages, de réflexions, d'épopées, de chaînes, de vêtements jetés, de virginités arrachées, de batailles, de triomphes passés ou futurs, de liquides, de satisfactions, de rancunes, d'enfants abandonnés, de souvenirs, d'espoirs, de familles, de races, d'armées, de miroirs, d'enfants de choeur, de chemins de croix, de chemins de fer, de traces, d'appels, de cadavres, de larcins, de pétrifications, de parfums, de promesses, de pitié, de vengeances, de délivrances – dis-je – de délivrances comme au son des clairons ordonnant au cerveau de ne plus se laisser distraire par les masques successifs et féminins d'un hasard d'occasion, aux prunelles des haies, la cavalcade sanglante et plus douce au coeur de l'homme averti de la paix que la couronne des rêves, insouciante des ruines du sommeil.

DÉDÉ SUNBEAM

– Quand une femme meurt, les poissons rient. À chaque travail correspond une couleur. À chaque jour suffit sa queue. L'eau ne coule que dans les livres.

Ainsi parla le vieillard. Et moi je sortis. J'allai où vont nos jambes quand nos yeux ont le courage d'affronter l'air pur en faisant abstraction des marches nuptiales. Des assiettes plates se renvoyaient les mots d'ordre comme des bulles de savon au bout de raquettes de nacre. Des boutons se roulaient sur le sol (ma vue leur donnait le delirium tremens). Les femmes avaient déjà cessé de m'intéresser et j'en étais réduit à me souhaiter mes anni-versaires plusieurs fois par an. Le vieillard qui avait un jour de carême prétendu que les poissons riaient de la mort des femmes (quelles femmes ?) devait maintenant jaunir au bout de quelques aiguilles de sapin. Moi, je restais là, en proie aux poissons apprivoisés et aux araignées délicieuses de Montmartre. Et que faire par ces journées limitrophes des temps stupides et ces nuits bordées d'événements affligeants, que faire sinon gratter désespérément le sol aux exigences inconcevables ?

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Je prévoyais déjà le jour où il me faudrait creuser ma propre tombe avec des éclats de verre, des morceaux de bouteilles brisées pour y enfouir des partitions de musique inepte, nouvelles marseillaises d'escargots paludéens ou cardiaques. À chaque question l'Amour me répondait " cent trente ". Je pouvais lui demander n'importe quoi, la réponse était la même : " Cent trente. " Il n'y avait de variété et de ressource que dans la façon de poser les questions et de recevoir les réponses. Je posais une bouteille sur une règle pour savoir si la mer me soutiendrait longtemps, et huit heures après un groupe de poulains accourait de l'horizon et faisait le cercle autour de moi : je les comptais, ils étaient cent trente. Je pendais à chacune de mes fenêtres un oeil d'esclave noir trempé dans du lait de vache et le lendemain matin je recevais cent trente invitations à cent trente congrès différents, etc., etc.

Mon aventure finale fut celle-ci : un jour je rencontrai près d'un égout collecteur deux femmes qui m'apprirent en riant comme des folles que j'avais, par mégarde, la veille, écrasé un certain nombre de tubes de verre sur lesquels elles avaient écrit " Vive l'armée " avec le sperme du maréchal Lyautey. Après leur avoir fait l'amour, je résolus de savoir ce qu'il en était et prenant un tube de verre analogue à ceux qu'elles m'avaient décrits, je l'emplis d'eau de mer et le fis avaler à mon chat que j'enfermai aussitôt dans une salle inoccupée du musée Guimet. Le lendemain matin j'allai le voir et lui fis de nouveau absorber le tube qu'il avait rendu à l'air libre. Cela dura cent vingt-neuf jours. Le cent trentième matin, comme je voulais saisir le tube de verre, je remarquai qu'il portait une inscription. Je lus : " Vive l'Armée ".

MONNY DE BOULLY :

Enrouler les rails autour de son bras clos comme la sphère des éventails célestes, ceux que je ferais brûler si j'étais inquisiteur, montre-bracelet mordue par une minute venimeuse. Beaucoup plus lentement, bloc inouï, atome hystéro-épileptique donné à la première aventure, à celle qui n'osa demander la bague noire, porte-malheur vivant. Je lui lancerai une boule flamboyante, je tournerai la tête et je lancerai, je jetterai mon regard comme une miette aux poissons chinois. Passons, passons en contre-sens, moyen unique pour diviser jusqu'à l'infini chauve quoique ce soit, même cette soif, inassouvissable sable. O Mystérieuse couleur, si tu fardes le visage de la femme, c'est toi que j'adorerai et non la femme amoureuse de l'aurore, attentive à l'aurore, horrible aurore, horrible horreur des heures en attendant l'aurore d'or. Le risque brillera sur le disque, roulera, coulera comme une larme, ce qui me fait songer à l'inquiétude dont je voile mes gestes, pauvres baisers, calmes peurs. Venir à l'aide de ces rencontres, elles n'en ont pas besoin, ce qui ne manquera pas d'arriver involontairement. Je vois le vitrail et sur les tiges métalliques qui sondent le sacrifice que je fais, que je désire qu'on fasse comme on passe. Elle me prie de renouer le noeud blanc, elle m'assure que la blancheur dégouttera comme le lait des perles. Et je lui dis : " Si les perles sont vraies je te les donnerai, si elles sont fausses, je les avalerai comme le coq de la fable. " " Tu as autant d'imagination qu'un puits desséché ", répondit-elle en crachant un baiser que j'évitai en fermant les yeux et qui fit blanchir un cheveu sur le café noir. Donc, roulez, saccadez votre respiration, elle est jeune, elle jeûne, elle rajeunit dans la chaleur du nid, ouvrage que j'ai toujours considéré comme le fruit d'une intelligence méditant uniquement des crimes impunissables. Ingénieusement, trop supporté, trop acculé, charade-rébus, que supposer, qui supplier ? Il m'est loisible de former une épaule de cire tellement absurde que les paroles d'admiration que vous cacherez dans la poche secrète de votre syntaxe passeront leurs têtes (souris camouflées en trous de serrure) par le trou de la serrure boutonnière-giffle-fleur-fiévreuse. Un fil passé entre les orteils c'est le salut de votre inquiétude dans une forêt germanique balancée par le vent, balançoire abandonnée, feuilles folles, feuillages fous, loups dont l'élégance bondissante oblige les étoiles à faire l'amour. Pour moi, une valise voltigeant dans l'air limpide ne cache aucun secret. Un secret la cache, c'est plus compréhensible, mais tout aussi faux. J'ai dit qu'elle n'a pas de secret : elle contient des faux-fuyants pliables jusqu'à disparition.

P. 6

POEMES

ESPOIRS

Les astronomes poétisants sont bien joyeux.
La journée est radieuse la place pleine de soleil.
Sur la vérandah ils sont penchés.
Musique et amour. La dame trop belle
Je voudrais mourir pour ses yeux de velours.
Un peintre a peint une énorme cheminée rouge
Qu'un poète adore comme une divinité.
J'ai revu cette nuit de printemps et de cadavres
Le fleuve charriait des tombeaux qui ne sont plus.
Qui veut vivre encore ? Les promesses sont plus belles.
On a hissé tant de drapeaux sur la gare
Pourvu que l'horloge ne s'arrête pas
Un ministre doit arriver.
Il est intelligent et doux il sourit
Il comprend tout et la nuit à la lueur d'une lampe fumante pendant que le guerrier de pierre dort sur la place obscure
Il écrit des lettres d'amour tristes et ardentes.

UNE VIE

Vie, vie, grand rêve mystérieux ! Toutes les énigmes que tu montres ; joies et éclairs... Visions qu'on pressent.
La voiture de déménagement tourne l'angle de la rue.
Portiques au soleil. Statues endormies.
Cheminées rouges ; nostalgies d'horizons inconnus.
– Belles journées affreusement tristes, volets clos.
– Et l'énigme de l'école, et la prison et la caserne ; et la locomotive qui siffle la nuit sous la voûte glacée et les étoiles.
– Toujours l'inconnu ; l'éveil le matin et le rêve qu'on a fait, obscur présage, oracle mystérieux ; que veut dire le rêve des artichauts de fer ; j'ai mal à la gorge, mes pieds sont froids, mon coeur hélas est brûlant car la grande musique de l'espoir chante toujours en lui ; mais l'amour me fait souffrir, il est si doux de se promener avec l'amie les soirs d'hiver à l'heure où de pâles lumières s'allument dans la cellule de chaque prisonnier.
Et séparé d'elle on souffre comme...
L'enfant réveillé dans l'heure la plus profonde de la nuit
Par le bruit affreux de l'orage court pieds nus à la fenêtre et regarde à la lumière livide des éclairs l'eau couler à torrents dans les rues alors le souvenir du père qui voyage en des pays lointains
Lui serre le coeur... et il pleure.
Sa chambre est dans l'ombre l'après-midi
Car le soleil le triste soleil d'hiver tourne et descend lentement. Près de sa maison il y a une gare et une grande horloge toute neuve
Éclairée quand vient l'obscurité.
Souvent la nuit le bruit des voitures
Et des passants attardés l’empêchent de dormir
Alors il allume sa bougie et dans le grand silence il regarde d'étranges tableaux qui pendent à ses murs.
Près de son lit il a aussi un verre d'eau et un pistolet automatique, et une photographie de femme au regard triste et étonné.
– Et maintenant il attend, il cherche l'amitié
– Une guerre est finie, on veut apprendre un nouveau jeu.
Je veux que mes ongles soient polis comme de l'ivoire et mes yeux beaux et purs.
Je méprise celui qui ne s'intéresse pas à moi. Dans la ville on n'entend pas le chant du coq. La détonation de la poudre sans fumée est plus sèche et plus forte. Bouchez-vous les oreilles, le coup va partir.

P. 7

UNE NUIT

La nuit dernière le vent sifflait si fort que je croyais qu'il allait abattre les rochers en carton.
Tout le temps des ténèbres les lumières électriques
Ardaient comme des cœurs
Dans le troisième sommeil je me réveillai près d'un lac
Où venaient mourir les eaux de deux fleuves. Autour de la table les femmes lisaient.
Et le moine se taisait dans l'ombre.
Lentement j'ai passé le pont et au fond de l'eau obscure
Je vis passer lentement de grands poissons noirs.
Tout à coup je me trouvai dans une ville grande et carrée.
Toutes les fenêtres étaient closes, partout c'était silence
Partout c'était méditation
Et le moine passa encore à côté de moi. À travers les trous de son cilice pourri je vis la beauté de son corps pâle et blanc comme une statue de l'amour.
Au réveil le bonheur dormait encore près de moi.

Giorgio de CHIRICO (1911-1913.)

LE SCEPTRE MIROITANT

LA FRONDE

MICHEL LEIRIS.

P. 8

AU HASARD

Au hasard une épopée, mais bien finie maintenant.
Tous les actes sont prisonniers
D'esclaves à barbe d'ancêtre
Et les paroles coutumières
Ne valent que dans leur mémoire.

Au hasard tout ce qui brûle, tout ce qui ronge,
Tout ce qui use, tout ce qui mord, tout ce qui tue,
Mais ce qui brille tous les jours
C'est l'accord de l'homme et de l'or,
C'est un regard lié à la terre.

Au hasard une délivrance,
Au hasard l'étoile filante
Et l'éternel ciel de ma tête
S'ouvre plus large à son soleil,
À l'éternité du hasard.

NE PLUS PARTAGER

Au soir de la folie, nu et clair,
L'espace entre les choses a la forme de mes paroles,
La forme des paroles d'un inconnu,
D'un vagabond qui dénoue la ceinture de sa gorge
Et qui prend les échos au lasso.

Entre des arbres et des barrières,
Entre des murs et des mâchoires,
Entre ce grand oiseau tremblant
Et la colline qui l'accable,
L'espace a la forme de mes regards.

Mes yeux sont inutiles,
Le règne de la poussière est fini,
La chevelure de la route a mis son manteau rigide,
Elle ne fuit plus, je ne bouge plus,
Tous les ponts sont coupés, le ciel n'y passera plus,
Je peux bien n'y plus voir.

Le monde se détache de mon univers
Et, tout au sommet des batailles, Quand la saison du sang se fane dans mon cerveau,
Je distingue le jour de cette clarté d'homme
Qui est la mienne,
Je distingue le vertige de la liberté,
La mort de l'ivresse,
Le sommeil du rêve,
O reflets sur moi-même ! ô mes reflets sanglants !

PAUL ELUARD.

C. Q. F. D.

ROBERT DESNOS

SE TUER

Ce n'est pas la grandeur royale
Qui s'en ira avec les fleuves
Je suis envahi par cette pourpre loyale
Du temps où toutes les nuits s'abreuvent

L'espoir du plus grand est tordu
Dans la flamme insouciante du rêve
Ce sont les absences de couleurs mordues
De couleuvres de lèvres mortelles du glaive

Enlever à l'assaut cette certitude des champs
Tout le bleu de l'herbe et ce ciel vermeil
Les cryptogames dans la houille et les chants
Dans les chambres bercées au delà du sommeil

Plonger plus que la vie dans cette rivière
Où brûlent les jours à venir à mourir de rire
Scaphandrier noyé sur une civière
Exact au rendez-vous où la mort se mire

MARCO RISTITCH.

P. 9

CHACUN POUR SOI

Allez-vous en Dégoûtant personnage, vous n'êtes pas irréductible ; être dangereux n'est qu'un verbe – vous aurez de mes nouvelles – me faire ça – à moi – qui fait – oh ! – je vous étrangle – allons bon – je me traîne enfin à vos pieds – mes rotules dévient à chaque pardon – ton oeil est fixe tu aurais peur si je te faisais trembler, crains-moi – mes dents vont pousser si mordre est mon fort, j'hésite – sors ta montre – minute ta vie, remonte ta vie, perds ta montre, roule dans les, les tapis ne sont en somme que de la poussière artificielle – tu te colles à tes propres vitres et ce qui est plus fort, tu n'as pas honte du rouge – regarde dans l'escalier si la concierge n'écoute pas au balai du palier – reviens identique si tu le peux – aussi fou, aussi simple, si – si – si – pourquoi hurles-tu ? je le sais moi – car je suis parallèle avec les morts – j'ai vu les autres mourir à l'envers comme les moines prient en pantoufles et voient leurs âmes monter aux cieux en chaussures – tu es une bête qui mange sans le moindre hoquet trois petites soeurs des pauvres – tu as peur des vrais pauvres – tes yeux gercés glissent sous ta peau par des crevasses – avare ! tu ne veux donc rien perdre – tu es indigne de porter un tel nom qui est le tien malgré tout – tais-toi tu me diras la même chose – il me suffit de savoir que tu vas parler pour moi – est-ce pour cela que je tombe à l'instant précis où je poussais le cri qui devait éclairer ma route (en courant) excuse-moi mon cher avec mon pardessus bleu – les agents n'y verront que du feu.

PIERRE BRASSEUR.

LA COLOMBE DE L'ARCHE

Maudit
soit le père de l'épouse du forgeron qui forgea le fer de la cognée avec laquelle le bûcheron abattit le chêne dans lequel on sculpta le lit où fut engendré l'arrière-grand-père de l'homme qui conduisit la voiture dans laquelle ta mère rencontra ton père !

ROBERT DESNOS.

P. 10

RÊVES

MICHEL LEIRIS :

1° Entrant un soir dans ma chambre, je m'aperçois assis sur mon lit. D'un coup de poing j'anéantis le fantôme qui a volé mon apparence. À ce moment ma mère paraît au seuil d'une porte, tandis que par la porte d'en face entre son double, exactement semblable à elle. Je crie très fort, mais mon frère survient, accompagné lui aussi de son double, qui m'ordonne de me taire.

2° Une rue de banlieue, la nuit, entre des terrains vagues. À droite un pylône métallique dont les traverses portent sur chacun de leurs points d'intersection une lampe électrique allumée. À gauche une constellation reproduit, renversée (la base dans le ciel et la pointe vers la terre), exactement la forme du pylône. Le ciel est couvert de floraisons (bleu foncé sur fond plus clair) identiques à celles du givre sur une vitre. Les lampes s'éteignent à tour de rôle, et chaque fois que la lumière de l'une d'elles s'évanouit, l'étoile correspondante disparaît aussi.

Il fait bientôt tout à fait nuit.

3° Dialogue entre André Breton et Robert Desnos :

À . B., à R. D. – La tradition sismotérique...

R. D. (se transforme en pile d'assiettes).

4° Je pars en bateau-mouche d'un petit port fluvial dans lequel sont amarrés les vaisseaux des pirates et des corsaires du XVIIe et du XVIIIe siècles. Tous les genres d'embarcations sont représentés ; il y a même un bateau à vapeur, analogue aux remorqueurs que l'on voit sur la Seine. Le Vaisseau-Amiral est très grand, constitué par deux moitiés de coque reliées entre elles par un pont unique, de manière à ce qu'un navire plus petit puisse traverser le Vaisseau-Amiral dans le sens de la largeur et passer sous le pont comme sous une arche fixe. Les voiles ne peuvent faire qu'un mouvement, s'abaisser et se relever comme des ponts-levis, ou comme des ailes, selon le mouvement simple auquel on réduisait autrefois le vol des oiseaux.

Le bateau-mouche me conduit aux ruines de l'abbaye de Jumièges. Après une longue promenade à travers des couloirs et des escaliers, je trouve, couché dans un lit, mon frère. Je lui demande ce qu'il fait là. Il me répond qu'il dirige le " Dispensaire de l'Abbaye ", – puis il m'explique le jeu de la " Visite au Tact ", pratiqué à des dates fixes dans la région (dans une crypte du monastère, plusieurs jeunes filles se

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tiennent, nues, et le visage masqué ; un jeune homme, désigné par le sort, part à minuit d'un village voisin et s'introduit dans la crypte les yeux bandés. Il doit faire l'amour avec les jeunes filles, jusqu'à ce qu'il ait reconnu l'une d'entre elles, rien qu'au toucher, et si celle-ci de son côté l'a reconnu il est tenu de l'épouser).

5° Je suis au bord de la mer, sur une plage du genre de Palm-Beach, avec une amie nommée Nadia. Pour s'amuser à me faire peur et savoir si j'aurais du chagrin de sa mort, Nadia, qui sait très bien nager, veut faire semblant de se noyer. Mais elle se noie pour de bon, et l'on me rapporte son corps inanimé. Je commence par pleurer beaucoup, puis je finis par me consoler en faisant ce petit jeu de mots :

Nadia, naïade noyée.

MAX MORISE :

I

Les personnages de ce rêve datent de quelques années. Mon père et ma mère sont encore dans la force de l'âge, mes frères et soeurs encore jeunes. Pour moi, je suis tel qu'aujourd'hui. Ma famille constitue, avec quelques personnages que je ne me rappelle pas avoir jamais rencontrés à l'état de veille, une association de conspirateurs. L'action se passe dans une ville de proportions restreintes. Chaque quartier, maison ou rue de cette ville est figuré par une petite chambre ou une portion de jardinet limité de murs. Le tout tient sur les pentes de l'un de ces monticules sillonnés d'allées tortueuses que l'on voit dans certains jardins publics et que l'on qualifie pompeusement de labyrinthes. L'exiguïté des lieux et la pénombre qui y règne contribuent à nous pénétrer d'un insupportable sentiment d'oppression. La place la plus vaste du pays est une terrasse qui domine la mer ; c'est l'endroit de prédilection où nos oppresseurs (la presque totalité des habitants) viennent en plein soleil étaler leur luxe et leur insolence. Mon père, le chef de la conjuration, a dû s'exiler à Cannes, ville que dans les lettres qu'il nous fait parvenir secrètement il nomme Bazan pour égarer les recherches de la police. Ces lettres contiennent de magnifiques exhortations à la patience et au courage et, lorsque nous nous réunissons en grand mystère pour en faire lecture, elles nous arrachent des larmes d'émotion et de rage. Dans les lieux publics, par exemple à table, les conjurés doivent faire semblant de ne pas se connaître afin de ne pas donner prise aux soupçons des ennemis. Malheureusement il y a des gaffeurs qui laissent paraître leur indignation lorsqu'un des conspirateurs est arrêté ou malmené, et mes frères et moi sommes obligés de les rappeler à l'ordre par signes ou en faisant : Chut ! Je ne me rappelle que quelques épisodes de cette lutte contre le pouvoir établi. Une fois je passe dans un vestibule avec un de mes frères qui ne manque pas d'astuce pour bafouer les espions ; je l'engage à une extrême prudence car j'ai l'impression que nous sommes épiés. Et en effet, je ne tarde pas à apercevoir derrière une porte une tête qui se dissimule mal. Je monte sur un échafaudage de chaises et je me laisse tomber sur la porte qui se brise et démasque trois femmes, parentes et amies de ma famille qui ne m'ont jamais été sympathiques ; elles ne savent comment se disculper du flagrant délit d'espionnage ; je triomphe. Une autre fois je pars en mission avec un ou deux compagnons. Nous quittons la ville minuscule et nous arrivons, par contraste, sur une large et longue route bordée de très hauts arbres et traversant d'immenses champs que nous devinons s'étendre à perte de vue, car la nuit est obscure. Mais notre départ a été éventé ; on lance à notre poursuite les automobiles des pompiers. Nous nous dissimulons dans un champ de blé d'où nous pouvons observer les phares des rouges voitures et les casques luisants de ceux qui les montent sillonnant les routes nocturnes ; les trompes avertisseuses exécutent des airs très mélodieux où les deux notes qui annoncent habituellement le passage des pompiers ne

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reviennent que rarement et comme matière à broderies ; chaque voiture est munie, à la façon des arroseuses municipales, d'un dispositif qui envoie au loin de part et d'autre de la route de larges gerbes d'eau ; les pompiers, à la vue desquels l'obscurité nous dérobe, battant toute la campagne, espèrent ainsi nous atteindre ; mais notre abri est bien choisi et nous échappons aux gouttes d'eau. Au bout d'un long moment, nous entendons enfin les pompiers bredouilles s'en retourner vers leurs casernes. Le coeur léger du péril évité, nous poursuivons notre mission.

II

Sur la plate-forme du tramway qui gagne l'extrémité de l'avenue Henri-Martin, ma soeur (?) et moi. Il faut dire que dans le rêve qui va suivre il règne la plus grande confusion sur le sexe et l'identité apparente des personnages, quoique leur individualité ne laisse place à aucun doute. Ma compagne qui descend la première gagne l'entrée du bois. Justement le prestidigitateur grotesque est malade aujourd'hui et il a laissé dans le tramway sa fausse moustache, sa canne, son bouclier et quelques autres accessoires. Je me déguise en prestidigitateur grotesque et je m'apprête à rejoindre la personne qui m'accompagnait : elle est vêtue en Cartouche, à moins que ce ne soit en Courrier de Lyon et brandit un gros revolver en fer blanc ; nous nous livrons à une mimique hurluberlue. Nous sommes cernés entre d'inexorables gendarmes et de sombres alguazils qui se saisissent brutalement de nous ; nous protestons vivement. Mon ami s'écrie : " Je suis Monsieur *** et voici mon ami Monsieur Morise. Ce n'était qu'une plaisanterie. " Nous n'en sommes pas moins enfermés sans ménagements dans une grande salle sans fenêtre en compagnie de quelques gardiens. Ce procédé arbitraire et vexatoire nous indigne au plus haut point. Un moment, nous sommes trois prisonniers et quatre ou cinq gardiens ; une bagarre éclate ; je suis aux prises avec le plus robuste des hommes qui nous ont enlevés ; sa main est deux fois plus large que la mienne ; il me triture, il me gifle, il me brise, le lâche (1) ! " Tu dois bien boxer ", lui dis-je pour l'amadouer. En effet, il me décoche quelques coups de poings, après quoi il fait quelques reprises de boxe avec mon ami qui est de taille à lui résister. Le chef de nos gardiens est un homme terrible et mystérieux, son attitude nous inquiète. Je ne saurais dire tout ce qui se passe pendant les jours qui suivent. Chaque fois que j'entends du bruit derrière la porte, j'essaye de signaler notre présence, mais les gardiens me rabrouent. Je perds de plus en plus l'espoir de sortir jamais de ce lieu et mon esprit est en proie à une étrange angoisse, malgré la douceur et la bonté grandissante de mes compagnes. Ah ! s'il n'y avait pas cette vieille maquerelle qui nous commande. Les jours passent ; nous savons maintenant que notre fin est prochaine ; le dépit de notre impuissance nous prend à la gorge ; l'incertitude de ce qui se prépare pour nous est surtout intolérable ; l'assassinat ? la guillotine ? et pour quelles fins ? Mon amie pleure doucement. Un jour notre maître nous apparaît transformé ; il est vêtu d'une longue houppelande grise ; son visage est grave ; il a l'air très bon. Peut-être est-il le chef de quelque Ku-Klux-Klan ? Comme nous étions injustes pour lui. Il distribue à chacun de nous une poignée de petits objets : une ampoule contenant du mercure, une ampoule contenant un liquide incolore, un morceau de charbon tendre et mat et un autre objet dont je ne me rappelle plus l'apparence. À ce moment, un déplaisant vieillard ouvre la porte ; mais nous n'avons plus envie de fuir. J'ai rapidement glissé ma poignée d'objets dans la poche droite de mon manteau ; le maître m'approuve d'un regard. Une fois l'importun vieillard congédié, il nous explique enfin quel va être notre sort. Nous allons tous ensemble avaler ces singulières pilules, puis nous nous coucherons et notre esprit éprouvera des joies ineffables et s'épurera jusqu'à atteindre une subtilité inconcevable. Le maître nous énumère et nous décrit par avance les phases de notre enchantement ; la drogue qui agira en dernier lieu possède des propriétés érotiques et nous procurera un inespéré rêve d'amour. Je demande au maître : " C'est mortel ? – Oui. – Bien. " Mes compagnons, pénétrés de la volupté profonde et absolvante des martyrs, se couchent et absorbent tour à tour les singulières pilules. Je me couche à mon tour. Le maître va de l'un à l'autre et se couche le dernier.. C'est ici le lieu de tracer le plan du local dont nous sommes les vivants fantômes.

(1) Ce passage à tabac me semble être l'écho d'une manipulation à laquelle mon ami, le docteur F..., s'est livré la veille sur ma personne : compression des yeux pour mesurer le réflexe oculo-cardiaque.

À . – Mon lit.

B. – Lit du maître.

C. – Lit de ma soeur.

D. – Lit du gardien qui me battit.

EE. – Lit des autres gardiens.

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Ils sont tous au lit et je les observe ; ils commencent à s'endormir sous l'effet du charme. Le maître s'est couché sans juger utile de constater si j'avais avalé ma drogue ; cette marque de confiance me remplit de joie. De fait, je ne l'ai pas avalée ; une secrète lâcheté me retient. J'ai jeté sur mes jambes mon manteau dont la poche droite contient toujours les singulières pilules. J'ai peur de la mort. Et pourtant, atteindre le sublime comme l'a promis le maître ! Je songe à fuir, à me glisser hors de mon lit et à gagner la porte en rampant. Mes yeux se portent sur mon camarade le geôlier ; ses yeux sont grands ouverts et me glacent d'effroi ; si l'on me découvrait tentant de fuir, le châtiment serait justement terrible. Est-ce la noblesse ou la bassesse de mon coeur qui m'attache à mon lit ? Je ne sais. Ma pensée se concentre sur le contenu de la poche droite de mon pardessus ; à mesure que la nuit s'avance, avec une peur décroissante et une joie grandissante, mon être sent se développer en lui une appétence de plus en plus invincible pour le contenu de la poche droite de mon pardessus ; je sens que je vais avaler les singulières pilules ; vers le petit matin mon désir est à son comble et je suis prêt à m'unir au mystère. Mais ce désir était-il bien sincère ? ou n'ai-je simulé cette élévation de mon esprit que parce que je savais que le médecin allait arriver et que je ne me déciderais au geste que trop tard ? C'est ce que je ne saurai jamais. Le médecin entre. Aussitôt je me saisis des singulières pilules et je tente de les porter à ma bouche ; on m'en empêche. L'espace d'une seconde, je mesure toute ma vilenie et, puisque je ne suis pas capable de faire çà en rêve, que serait-ce dans la vie. Alors j'éclate en sanglots, j'injurie le malencontreux médecin, je m'écrie : " Docteur, docteur, voici ce qu'ils ont avalé ; sauvez-les, je vous en supplie ! " Mais le médecin, une espèce d'escogriffe, à la vue des singulières pilules, est pris de panique et ordonne à son aide de détruire cela car cela peut être dangereux. Cependant, un à un, les dormeurs se réveillent, le visage illuminé d'une joie intérieure. Ma tendre soeur m'enlace de ses bras et m'entraîne dans le large couloir par où longtemps avant on nous a amenés. Nous suivons longtemps ce couloir. Nous descendons des marches. Nous rencontrons Jacques Baron qui fait une grande exposition de peinture dans une église. Je n'aime pas beaucoup ses Christs ni ses anges.

....................

Un peu plus tard (je suis dans la maison que j'habitai à Sceaux avec mes parents), quoique le dîner soit servi, mon père désire par hygiène prendre le train pour Paris aller-et-retour avant de se mettre à table. Aussi bien Desnos n'est pas encore rentré et nous le retrouverons à la gare du Luxembourg. Le train est à 35. Nous avons juste cinq minutes ; hâtons-nous, d'autant plus que mon père ne marche qu'à petits pas. Mon frère André nous accompagne ; Jean nous rattrapera, c'est pourquoi je laisse la porte du jardin entr'ouverte. À peine avons-nous fait quelques pas que nous apercevons marchant vers nous Robert Desnos, vêtu d'une tenue militaire : molletières et pantalon kaki, courte veste chatoyante, chemise blanche largement ouverte sur le cou, chéchia. Il arbore un sourire épanoui et joue au football avec un gros caillou. Il a pris un train plus tôt qu'il ne pensait. Qu'à cela ne tienne, nous irons quand même à Paris ; c'est excellent avant les repas. Desnos continue, chemin faisant, à jouer au hockey ; je me mets de la partie avec quelques autres ; ce qui m'étonne et me vexe, c'est que Molière est plus adroit à ce jeu que Braque et que moi-même. Nous croisons Roland Tual qui, lui aussi, garde quelques vestiges de ses vêtements militaires, comme une teinte, des éperons. Il parle à plusieurs femmes en blanc et ne daigne pas nous apercevoir. Cependant, dans le groupe nombreux des marcheurs une conversation a pris corps. Ma mère (comme elle est jeune !) m'interpelle ; elle me demande si, dans les moments qui précèdent le réveil, mes rêves ne prennent pas un caractère tout à fait particulier. " En effet, dis-je ; par exemple, j'en ai fait un tout à l'heure qui est très curieux à ce point de vue. Seulement il est assez long et il faudrait que je vous le raconte entièrement si cela ne vous ennuie pas trop. " Et je commence à raconter le rêve précédent. Une jeune femme que j'aime beaucoup (qui est-ce ?) m'interrompt et j'ai la stupéfaction de l'entendre continuer à ma place le récit de mon propre rêve. Elle rit de mon naïf étonnement, car, à l'en croire, il est bien facile d'en faire autant. Elle continue donc le récit avec exactitude sauf quelques erreurs ; par exemple, le prestidigitateur grotesque qui apparaît à la cantonade au début de mon rêve est dans sa version un facteur et joue un rôle actif. Cependant nous arrivons à la gare. Le train me paraît bien tragique. Où l'ai-je donc déjà vu ?

III

La foudre tombe sur la grange où je me suis réfugié. Un mouvement involontaire pour regarder le globe de feu l'attire sur moi. Le temps de compter jusqu'à trois et je suis mort.

* * *

Au prochain numéro :

Glossaire : j'y serre mes gloses : Michel Leiris.
Le surréalisme et la peinture : André Breton.
Ces animaux de la famille : Benjamin Péret.

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DÉCADENCE DE LA VIE

(Suite *)

* Voir le n° 3 de la R. S.

C'était un soir où, ne sachant que faire, j'allais après l'infortune dans les rues vaguement éclairées, vaguement curieuses, mais surtout insupportables, devant moi avec un spectre à mes côtés.

Mes amis ne m'avaient peut-être pas abandonné, mais par quelque effet du hasard, ils ne m'apportaient aucune saveur nouvelle à ce goût de l'existence dont j'ai l'habitude de faire grand état. Ils n'avaient pour moi pas assez d'attentions délicates, pas assez d'intérêt ou de sympathie, vraiment, pouvais-je m'intéresser alors à leurs petites défaillances ou même à ces sursauts d'énergie qu'ils étalaient avec de multiples efforts, avec des rires effroyables, des rires sans suite et sans lendemain. Ils montraient des dents pointues et des visages tirés comme des couteaux par les affres du plaisir stupide qu'ils ont l'habitude de prendre vers les heures nocturnes et pour des raisons que je ne qualifierai pas, car moi-même j'y souris trop souvent par manque de réflexion et parce que je me croyais obligé de passer le temps. Après tout je n'ai que faire des gens qui me regardent agir. Je ne veux pas avoir de témoins ni de contradicteurs, les inconséquences de ma conduite ne regardent que moi-même et les pas que je fais dans le dégoût universel n'ont pas besoin de laisser de traces. Lorsque je me retrouve dans les égouts en comptant les marches des terreurs véritables, j'aime à me frapper la poitrine et à me demander pardon pour des raisons simples et sans intelligence et pris de sourire comme les employés de banque devant un jeu de cartes.

* * *

Ici se trouve une lettre :

" À demain, ma chère amie, à demain ou même à bientôt. Tout ce que nous disions il y a quelques semaines quand nous nous regardions en nous prenant pour des génies à cause de quelques notions banales du temps et de l'espace qui nous faisaient mal. Mais pour moi était-ce donc un caprice enfantin cette petite seconde où j'hésitais à vous baiser la main. Non plutôt vous devriez mieux me considérer parce que tout de même, tout de même... Tout ce que nous disions était-il donc faux ?

Vous avez bien des torts, ma pauvre amie, bien des torts envers moi. Évidemment je ne vaux pas mieux après tout que les tristes sires qui vous font la cour (!) Mais si, pendant une seule minute, vous aviez la bonté de regarder mes yeux rougis par la fièvre effroyable et la tristesse qui me consument et si vous aviez alors la bonté de me sourire, rien ne s'opposerait plus à ce que je devienne un charmant garçon.

Auquel cas rien ne s'opposerait non plus à ce qu'un caporal gendarme vous apporte mes vingt ans sur un plat d'argent, pendant qu'un phonographe jouerait des airs charmants !

Trop de gens sont capables de me considérer à la légère pour me comprendre. "

* * *

Je suis dans une forêt sans étoiles, dans une cuve sans vin et je bois la sueur de mon front pour étancher la soif.

Je cultive dans un pot de fleurs des brebis égarées.

Je trinque avec des nuages, avec des cloches d'échos et de fiel, avec vos yeux et même avec mon coeur !

Et je rougis des réponses des hommes lorsque je dis les seules paroles idéales dont je suis capable.

Le monde croit encore à la surface de ses étangs glauques, aux carillons de ses sornettes, à ses petites promenades dans l'intelligence, à ses musées d'animaux railleurs, à ses complaintes hystériques. Pauvres, pauvres bougres !

Et vous qui vous dites mes amis, nous tous, génies merveilleux que je contemple en silence, vous qui me montrez des chemins merveilleux et des roches de chèvrefeuille, savez-vous donc la grande fatigue dont vous me voyiez accablé, savez-vous donc pourquoi je pleure lorsque vous vous butez aux cailloux rigides d'une époque impossible et parce que souvent je ne peux pas vous suivre, vous vous détournez de mes yeux ? Je n'ai pas cette force miraculeuse qui vous fait résister aux vents des marées purulentes, je ne peux vous suivre qu'en me traînant sur les genoux et à tout hasard je regarde si quelque source folle n'est pas sur ce chemin pour y baigner mes mains sanguinolentes.

Sans autre forme, je ne tiens pas à passer pour un imbécile. C'est trop simple.

Voilà maintenant des paroles célèbres, me direz-vous ? Pauvres, pauvres êtres ! Les journalistes qui liront cela, s'amuseront beaucoup de ma jeunesse et même de cette candeur. Tant mieux donc, mes amis, je n'ai pas encore perdu ces alvéoles fraîches qui me vont si bien au teint !

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Vous vous croyez subtils parce que vous avez de la barbe et des principes, parce que vous ventripotez et redondez parmi les soucoupes et les bières lourdes, parce que vous avez les ongles mal faits ou parce que vous sentez un peu cette bonne encre d'imprimerie ! Vous suez pour faire un mauvais papier et vous savez peut-être l'usage des termes techniques.

Tant pis pour vous, je ne me plais pas dans votre milieu de cuistres crasseux et d'andouilles.

Les femmes ne sont pas des êtres ordinaires dont on s'imagine la pire horreur. Enfantement, maladies, servitude. Les femmes ne sont pas ces femmes laides ni même les femmes laides. Elles n'ont pour elles que la joie du jour des larmes de la lune ou la pluie des déluges d'acier. Femmes parfaites du temps et de l'espace, habillées d'églantines ou de liserons, femmes maudites au front pur, à l'oeil clair. Femmes accourues au bord de la Seine de l'Orient comme un sang d'une belle rougeur.

CHAPITRE
D'où vient à l'homme la plus durable des jouissances de son coeur, cette volupté de la mélancolie, ce charme plein de secrets qui le fait vivre de ses douleurs et s'aimer encore dans le sentiment de sa ruine ?
(Senancour – Oberman).

Je cherche une histoire à vous dire, une histoire dans les tressaillements de ma mémoire, mais je n'ai pas beaucoup vécu.

Non, je n'ai pas beaucoup vécu peut-être, mais j'ai peut-être quelque chose à dire, car si j'ai pu concevoir que je pouvais encore exister, c'est qu'il m'a fallu bien autre chose que la simple force de caractère à la portée de toutes les bourses, bien autre chose que l'image de la folie populaire et bien autre chose que les simples considérations agréables que je pouvais faire sur ma personne et si je parle assez souvent avec tristesse, il ne faut s'en prendre qu'à mon terrible penchant pour la poésie, ce magistral penchant que des êtres infâmes ont toujours cherché à contrarier dans mon enfance.

Non je n'ai pas beaucoup vécu mais il me semble que j'ai quelque chose à dire.

Parmi les forêts vierges où mes pas n'ont laissé que des traces de cendre, parmi les pays et les mers mauvaises, parmi l'imagination des races et les ruines de leurs enseignements, parmi mes oiseaux de tempête, parmi les animaux sauvages à l'époque où je fréquentais les déserts, parmi les petites rues froides où le vent siffle à faire peur, parmi les désirs, parmi mes poèmes, parmi mes amis, il y a peut-être un seul mot qui me touche, une seule syllabe très douce et très tendre comme les fraises des bois. O le miracle d'un nom prononcé au hasard et qui me touche, qui fasse vibrer sur mes joues une larme figée depuis l'époque de ma naissance.

Et pour ce nom qui serait de toute façon un nom de femme, la terre immédiatement folle deviendrait un boeuf pourri sans consistance voguant parmi les rêves nocturnes des planètes austères à jamais détournées de leurs devoirs.

La vie s'est ouverte pour moi dans un jardin de plumes ridicule et frais. Pour vivre, je mangeais des oiseaux minuscules vivant près des sources et tous d'un blanc lumineux.

Après cela, ce fut la prison.

La prison avec ses grillages de glaces incassables et ses murs abstraits, si hauts qu'ils dépassent le ciel et ne laissent entrevoir que leur gris taciturne, la prison avec toute sa honteuse traîtrise, la prison parmi les prêtres faux et terriblement noirs, en un mot, les prêtres qui ont terrifié mon enfance. O pauvre de moi qui fus cette victime maudite !

J'étais un écolier brutal, vague et solitaire, mais j'étais un écolier de cristal.

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J'avais assez de coeur et j'imaginais autrement mes camarades qui furent tous de véritables voyous. La richesse des uns et le travail des autres, voilà qui n'était pas pour me satisfaire. J'avais dans mon coeur cette lumière incertaine, mais terriblement brûlante qui me conduisait par delà les tableaux noirs et les pupitres fantômes vers l'infini éternel de la poésie tout entière et c'est pourquoi je me plais à raconter cette histoire, après tout peut-être extraordinairement fausse.

Je ne veux plus reconnaître les individus qui me méprisèrent à cette époque parce que mon esprit s'épouvantait devant leurs menaces et parce qu'ils ont voulu me perdre dans un but social.

Un soir, figurez-vous un soir où la pluie fine du printemps transperce à chaque minute le coeur fragile d'une prostituée de 15 ans, je faisais des rêves par delà l'amertume et vers un palais souple et gracieux, situé quelque part dans le monde moderne où devait vivre une femme blonde et douce à qui je voulus offrir mes ivresses.

J'allai par des sentiers de ronces après avoir quitté la ville, j'allai comme un jeune fou perfide pour contempler son émotion et je laissai quelque lambeau de mon coeur à toutes les haies de mûriers en fleurs :

Demain tu partiras vers les planètes folles

Les glaces qui brisèrent nos deux coeurs enlacés

O plaintes de ces nuits je m'en souviens à peine

Les corbeaux s'envolaient avec ta nudité.

Il en est bien qui savent jouer de tant de jeux

de rêves et de pardons et de grandes paroles

Mais j'ai mieux travaillé dans la chair éternelle

à bientôt donnez-moi vos plus douces paroles.

O voir où j'ai cueilli parmi vos chevelures

des couronnes de miel ô femmes bien aimées

J'ai mis sur vos épaules un beau manteau de neige

et c'est parmi le feu que je baisais vos pieds

Il y avait des ombres avec des yeux morts

et mes lèvres étaient rouges d'un sang très humain

et pour chanter ainsi que les poètes en fête

j'ai cueilli dans vos mains deux gouttes de rosée.

C'est ainsi que mon voyage à travers la folie commençait ! Mais à cette époque, ne connaissant de véritables poètes, j'étais plus heureux et je m'abandonnais aux songes les plus purs.

Il y avait bien d'autres aventures qui me torturaient l'esprit. Toujours ô monde imaginaire comme je brandissais ton emblème sacré !

* * *

Paris était une fée. Les rues étroites parcourues par de multiples étoiles s'envolaient vers le ciel. Celles-là que je reconnaissais pour les avoir vues par ma fenêtre dépolie, c'est-à-dire qu'elles brillaient depuis toujours dans mon coeur.

Des hommes d'armes moyenâgeux se disputaient près de moi la conquête des lumières et du bruit tandis que je suivais les pas de trèfle de quelques princesses voilées, très tard dans les ombres du crime. Les mots magiques me montaient au cerveau quand il s'agissait de leurs fourrures parfumées. Enflammé de leur possession, les nombres s'échappaient de mon esprit ; je n'avais plus qu'un esprit de fourrure et caché du regard vitreux des voleurs d'âmes, dissimulé derrière les traînes de leurs robes, je me jetai dans leurs bras pour l'infini.

Quelquefois je suivais les belles automobiles jetées comme des gants sur les routes polies et parfaitement nickelées pareilles aux diamants ; je suivais, je suivais des apothéoses de rêves plus loin que l'avenir, toutes les formes de la matière soluble dans mes espérances !

Mais pourquoi donc ces armées se battaient-elles au pied de mes rêves ?

Ces troupeaux d'individus qui se rendaient chaque jour vers les champs de carnage, hideux et vils et prêts à toutes les défaillances ! Il y avait vraiment pour ma jeunesse trop de vieillards, et trop de gens capables de rire.

Croyez-vous donc que vous êtes d'accord, misérables humains ? Croyez-vous donc que vous pouvez rire encore devant toutes vos putré-factions ? Et vous qui m'avez jeté dans les bras de ces marchands, ces instituteurs repus dont la seule méchanceté permet encore l'existence, supposez-vous donc que je vous pardonnerai de sitôt, pauvre société !

Oui, je n'ai jamais pu traîner que des sandales sinistres au milieu des forçats de mon enfance.

Un jour – il ne pouvait en être autrement – je partis vers une caravane pour chercher à savoir si la réalité exista.

Les sources coulent au milieu des campagnes, parfaites avant de s'embourber au milieu des villes, les fantômes ne sont pas des sources, mais aussi grands qu'ils apparaissent ils sont les vrais miroirs de notre vie.

Maintenant que je suis perdu pour toujours dans le sens des hommes, cela va bien faire de leur dire toutes ces choses. Je vous lègue au hasard, vous autres, spectres, nagez dans vos rivières froides sans songer qu'il y a aussi ceux-là mêmes que vous avez condamnés : les rêveurs du moment.

Et voilà que je rencontrai des prophètes. Ils sont couverts d'étoiles et ne marchent pas sur la terre, mais on les voit quelquefois dans la pénombre des magies surhumaines et dans toutes les failles de l'intelligence.

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CONVERSATION AVEC LES PROPHETES

Moi. – Je n'aime pas les hommes parce qu'ils ont l'intelligence à leur image. Vous convenez que je suis sacrifié à la vengeance de l'humanité

1er prophète. – Venez avec nous, Monsieur, il n'y a pas de salut pour vous de ce côté-ci de la rivière.

2e prophète. – Il y a d'autres emblèmes sacrés que l'on donne aux poètes. Il y a des fétiches inoubliables que vous porterez sur votre front.

1er prophète. – Il ne faut pas se laisser aller à la dérive parce que tout le monde n'est pas fait à l'usage des poètes. Si votre coeur éclate avant l'aube, n'oubliez pas de soigner votre coeur.

Moi. – Mais je n'ai pas de coeur, je n'ai rien connu au monde qui puisse m'en tenir lieu.

1er prophète. – Ceci est inexact.

Moi. – Oui, c'est inexact, je n'oublierai pas que les quelques étoiles qui volent de mes mains sont des parcelles d'âmes que j'aimai au hasard des terres accidentelles.

2e prophète. – L'amour est une légende inconnue des héros, parce que les héros sont vains, mais la terrible solitude des poètes, la solitude aux dents d'acier qui les mord nuit et jour, apporte dans sa brise des êtres non-pareils, des femmes d'une beauté incomparable et les âmes s'en vont dans les précipices de toute pureté, follement désespérées, ô le manque d'audace !

Et le monde ne s'écoule plus avec l'ordre, le monde est un tombeau, une étrange mer peuplée de maladies purulentes puisque l'amour est sur les montagnes, dans les cortèges d'azur et dans les puits de sang.

Et je souhaite qu'il y ait peu de mondes aussi désespérés que celui qui ne connaît pas l'amour !

Moi. – Alors les sentiers ne sont point mortels et les aiguilles de l'espace n'éprouvent point nos pas, les aiguilles sur lesquelles nous écorchons nos espoirs de neiges.

* * *

Je songe ainsi à mes amis. Il y a déjà quelques années que je les vis pour la première fois au milieu des troubles de l'humanité sauvage. Et depuis lors j'ai appris bien des choses avec eux, j'ai fixé bien des rêves que mes faibles conceptions ne faisaient qu'entrevoir.

Ainsi, par les routes sombres j'ai appris à ne pas déchoir devant la face du ciel. Avec eux nous allons dans les rues vides où passe le signe des temps à retrouver, nous allons avec les fantômes stigmatiser d'amères passions.

O vanité, que ces paroles !

Aujourd'hui je ne vois rien de large ni de grand dans l'espace, rien que des cendres qui appellent la mort, mon enfance fatale et creuse qui n'apporta jamais rien que la cruauté. C'est la réalité à la face de scie qui s'abat sur mon cou et qui m'indique de me taire. C'est le dégoût que je partage dans mon existence depuis tant d'années. Ainsi pourquoi ces mots vont-ils se perdre dans l'hécatombe des autres verbes, puisque toute mon ambition consiste à soigner ma damnation !

Après tout, mes amis, pourquoi m'avez-vous fait dire tant de choses ? Il serait bien préférable que vous pleuriez à des paroles simples.

LETTRES D'AMIS

PREMIERE LETTRE

Je suis, mon cher, perdu pour vous. Nul ici ne songe au réveil des morts ni même à ses ennuis, mais l'ON s'habille confortablement.

L'ON aime aussi à se promener et à lire. L'instruction fait des progrès considérables dans le sens de la largeur. Ainsi, j'ai rencontré plusieurs squelettes avec des gants jaunes et des chapeaux de soie.

Ne pourriez-vous aller demander au vestiaire du Etc... si l'on n'a pas retrouvé mes yeux ?

DEUXIEME LETTRE

Vraiment quel délicieux passe-temps que de faire sa correspondance au milieu d'un livre ! Si tous les romanciers le savaient, je suppose que le monde serait bien emmerdé.

À part cela je cherche toujours le moyen de retrouver cette perle qui doit voguer quelque part sur les océans.

TROISIEME LETTRE

J'accorde peu de sens à la valeur de ma pensée qui de moins en moins tente quelques efforts.

Est-ce que les Buttes-Chaumont ont rencontré la terre ferme ? Je ne l'espère pas.

Avec beaucoup de succès.

Bien à vous.

JACQUES BARON.

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LE VAMPIRE

Ce roman imagé – comme l'auteur l'appelle – est extrait du n° 6 de la revue Témoignages, paraissant à Belgrade sous la direction de M. Marco Ristitch. Ce numéro est entièrement consacré à l'activité des fous et contient, outre l'article introductif très documenté de M. Douchan Matitch, un grand nombre de dessins, lettres, essais et autres écrits choisis dans les archives des asiles d'aliénés ou présentés par des psychiatres de Serbie.

Dans leurs stratagèmes et leurs ruses pour la conservation de l'intégrité individuelle, dans l'échec de leurs incommensurables efforts pour maintenir le lien causal entre les phénomènes, leurs cycles et cercles, nous croyons entrevoir les épaves de ce monde du libre arbitre, du surréel, travesti en presque simple réel. Objectivement, il en est ainsi. Car abstraction faite du douloureux vertige qu'éprouve celui qui encore une fois essaye vainement de s'adapter aux catégories de la raison pure dissimulée aussi, partout, dans toutes les lois, règles, méthodes, systèmes, organisations ou organismes ?

Les fous ont la foi. Nous n'avons que quelques témoignages et le raide escalier des preuves. Les blanches sirènes hurlent à la lune. Les montagnes s'animent et engloutissent les forêts en se confondant avec les vagues des vagues océans de la mort.

M. de B.

Le profil de Ruben Benjamin Rosenthal, protagoniste du roman du siècle des eaux troubles.

Le vieux tuteur, professeur de Ruben ; le seul qui ait été dévoué à Ruben. Il se le rappela même quand celui-ci eut 86 ans.

M. Abraham Schujma Rosenthal, père de Ruben et créateur du fluide Paracelse, le médicament qui guérit tout.

Le fantôme que Ruben aperçut pour la première fois dans sa douzième année lorsqu'il coucha pour la première fois avec une femme, Mlle Adeline Dillenseger, son professeur de français, âgée de 43 ans et qui sentait le permanganate. Ce fantôme le poursuit toujours de sorte qu'il devient impuissant dans les moments décisifs.

Monsieur le chef de la police à " Bête " en Slovénie. Persécuteur de Ruben.

Depuis que Ruben apprit le secret de la maladie de sa soeur et cette scène terrible entre elle et leur père, depuis ce temps chaque fois qu'il s'imagine sa soeur, elle se présente à ses yeux sous la forme de cette plainte grotesque

Mlle Adeline Dillenseger, professeur de français.

Le chef de l'asile des pauvres ; le protecteur d'enfants refuse le petit Ruben.

L'éditeur de romans à bon marché pour jeunes et vieux, premier éditeur de Ruben.

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Cela n'est pas une femme ! C'est un journaliste et c'est e premier critique de Ruben.

Le grand désir de la vie de Ruben. Je le conçois dans ce symbole.

M. Zlatko. Personne ne sait ce qu'il est, ce qu'il fait ni de quoi il vit.

Le directeur d'un théâtre pour lequel Ruben travaille. Le directeur s'occupe surtout des dames du ballet et des pièces dites " à succès ".

L'avocat d'Abraham Schlujma Rosenthal, M. Vladimir Potchelaz.

Trois jurés du grand tribunal à la séance principale. Ils posent à Ruben des questions auxquelles celui-ci, daus un commencement de folie, ne répond que par : " Vampire-Vampire. "

L'avocat général qui exige qu'on punisse exemplairement Ruben pour parricide.

C'est ainsi que Ruben s'imaginait son père quand, dans un accès de folie, il répondait à toutes les questions par " Vampire-Vampire. "

Le président du jury au moment où Ruben est condamné à vingt ans de prison.

Ceci est le symbole de la réalité de mon corps.

Mais c'est ainsi que je le sens.

La ligne d'en bas est le symbole de mon moi réel, celle d'en haut, de mon moi comme je le sens.

F. N.

Asile d'aliénés de la ville de Belgrade.

(Traduit par Monny de Boully.)

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LETTRE AUX VOYANTES

À Georges Malkine.

MESDAMES,

il en est temps : de grâce faites justice. À cette heure des jeunes filles belles comme le jour se meurtrissent les genoux dans les cachettes où les attire tour à tour l'ignoble bourdon blanc. Elles s'accusent de péchés parfois adorablement mortels (comme s'il pouvait y avoir des péchés) tandis que l'autre vaticine, bouge ou pardonne. Qui trompe-t-on ici ?

Je songe à ces jeunes filles, à ces jeunes femmes qui devraient mettre toute leur confiance en vous, seules tributaires et seules gardiennes du Secret. Je parle du grand Secret, de l'Indérobable. Elles ne seraient plus obligées de mentir. Devant vous comme ailleurs elles pourraient être les plus élégantes, les plus folles. Et vous écouter, à peine vous pressentir, d'une main lumineuse et les jambes croisées.

Je pense à tous les hommes perdus dans les tribunaux sonores. Ils croient avoir à répondre ici d'un amour, là d'un crime. Ils fouillent vainement leur mémoire : que s'est-il donc passé ? Ils ne peuvent jamais espérer qu'un acquittement partiel. Tous infiniment malheureux. Pour avoir fait ce qu'en toute simplicité ils ont cru devoir faire, encore une fois pour n'avoir pas pris les ordres du merveilleux (faute d'avoir su le plus souvent comment les prendre), les voici engagés dans une voie dont le plus douloureusement du monde ils finiront bien par sentir qu'elle n'était pas la leur, et qu'il dépendit d'un secours extérieur, aléatoire du reste par excellence, qu'ils refusassent dans ce sens d'aller plus loin. La vie, l'indésirable vie passe à ravir. Chacun y va de l'idée qu'il réussit à se faire de sa propre liberté et Dieu sait si généralement cette idée est timide. Mais l'épingle, la fameuse épingle qu'il n'arrive quand même pas à tirer du jeu, ce n'est pas l'homme d'aujourd'hui qui consentirait à en chercher la tête parmi les étoiles. Il a pris, le misérable, son sort en patience et, je crois bien, en patience éternelle. Les intercessions miraculeuses qui pourraient se produire en sa faveur, il se fait un devoir de les méconnaître. Son imagination est un théâtre en ruines, un sinistre perchoir pour perroquets et corbeaux. Cet homme ne veut plus en faire qu'à sa tête ; à chaque instant il se vante de tirer au clair le principe de son autorité. Une prétention aussi extravagante commande peut-être tous ses déboires. Il ne s'en prive pas moins volontairement de l'assistance de ce qu'il ne connaît pas, je veux dire de ce qu'il ne peut pas connaître, et pour s'en justifier tous les arguments lui sont bons. L'invention de la Pierre Philosophale par Nicolas Flamel ne rencontre presque aucune créance, pour cette simple raison que le grand alchimiste ne semble pas s'être assez enrichi. Outre, pourtant, les scrupules de caractère religieux qu'il put avoir à prendre un avantage aussi vulgaire, il y a lieu de se demander en quoi eut bien pu l'intéresser l'obtention de plus de quelques parcelles d'or, quand avant tout il s'était agi d'édifier une telle fortune spirituelle. Ce besoin d'industrialisation, qui préside à l'objection faite à Flamel, nous le retrouvons un peu partout : il est un des principaux facteurs de la défaite de l'esprit. C'est lui qui a donné naissance à cette furieuse manie de contrôle que la seule gloire du surréalisme sera d'avoir dénoncée. Naturellement, ils auraient tous voulu être derrière Flamel, lors de cette expérience concluante et qui n'eut d'ailleurs, sans doute, été concluante que pour lui. Il en est de même au sujet des médiums, qu'on a tout de suite voulu soumettre à l'observation des médecins, des savants et autres ignares. Et pour la plupart les médiums se sont laissé prendre en flagrant délit de supercherie grossière, ce qui pour moi témoigne de leur probité et de leur goût. Il est bien entendu que la science officielle une fois rassurée, un rapport accablant venant renforcer beaucoup d'autres rapports, de nouveau l'Évidence terrible s'imposait. – Ainsi, de nous, de ceux d'entre nous à qui l'on veut bien accorder quelque " talent ", ne serait-ce que pour déplorer qu'ils en fassent si mauvais usage et que l'amour du scandale – on dit aussi de la réclame – les porte à de si coupables extrémités. Alors qu'il reste de si jolis romans à écrire, et des oeuvres poétiques même, qui de notre vivant seraient lues et qui seraient, on nous le promet, très appréciées après notre mort.

Qu'importe, au reste ! Mesdames, je suis aujourd'hui tout à votre disgrâce. Je sais que vous n'osez plus élever la voix, que vous ne daignez plus user de votre toute-puissante autorité que dans les tristes limites " légales ". Je revois les maisons que vous habitez, au troisième étage, dans les quartiers plus ou moins retirés des villes. Votre existence et le peu qu'on vous tolère, en dépit de toute la conduite qu'on observe autour de vous, m'aident à supporter la vacance extraordinaire de cette époque et à ne pas désespérer. Qu'est-ce qu'un baromètre qui tient compte du " variable ", comme si le temps pouvait être incertain ? Le temps est certain : déjà l'homme que je serai prend à la gorge l'homme que je suis, mais l'homme que j'ai été me laisse en paix. On nomme cela mon mystère mais je ne crois pas (je ne tiens pas) et nul ne croit tout à fait pour soi-même à l'impénétrabilité de ce mystère. Le grand voile qui tombe sur mon enfance ne me dérobe qu'à demi les

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étranges années qui précéderont ma mort. Et je parlerai un jour de ma mort. J'avance en moi, sur moi, de plusieurs heures. La preuve en est que ce qui m'arrive ne me surprend que dans la mesure exacte où j'ai besoin de ne plus être surpris. Je veux tout savoir : je peux tout me dire.

Ce n'est pas si gratuitement que j'ai parlé de votre immense pouvoir, bien que rien n'égale aujourd'hui la modération avec laquelle vous en usez. Les moins difficiles d'entre vous seraient en droit de faire valoir sur nous leur supériorité, nous la tiendrions pour la seule indéniable. Je sais : etant données les horribles conditions que nous fait le temps – passé, présent, avenir – qui peut nous empêcher de vivre au jour le jour ? Il est question tout à coup d'une assurance dans un domaine où l'on n'a pas admis jusqu'ici la moindre possibilité d'assurance, sans quoi toute une partie de l'agitation humaine, et la plus fâcheuse, serait tombée. Cette assurance pourtant, Mesdames, vous la tenez sans cesse à notre disposition, elle ne comporte guère d'ambiguïtés. Pourquoi faut-il que vous nous la donniez pour ce qu'elle vaut ?

Car on ne vous fâche pas trop en vous infligeant un démenti sur tel ou tel point où l'information d'un autre peut passer pour péremptoire, comme s'il vous prenait fantaisie de me dire que j'ai le respect du travail. Il est probable, du reste, que vous ne le diriez pas, que cela vous est interdit : toujours est-il que la portée de votre intervention ne saurait être à la merci d'une erreur apparente de cet ordre. Ce n'est pas au hasard que je parle d'intervention. Tout ce qui m'est livré de l'avenir tombe dans un champ merveilleux qui n'est rien moins que celui de la possibilité absolue et s'y développe coûte que coûte. Que la réalité se charge ou non de vérifier par la suite les assertions que je tiens de vous, je n'accorderai pas une importance capitale à cette preuve arithmétique, comme le feraient tous ceux qui n'auraient pas tenté pour leur compte la même opération. De ce calcul par tâtonnements qui fait que je suppose à chaque instant le problème de ma vie résolu, adoptant pour cela les résultats arbitraires ou non, mais toujours grands, que vous voulez bien me soumettre, il se peut que je me propose de déduire passionnément ce que je ferai. Je dois, paraît il, me rendre en Chine vers 1931 et y courir pendant vingt ans de grands dangers. Deux fois sur deux je me le suis laissé dire, ce qui est assez troublant. Indirectement j'ai appris aussi que je devais mourir d'ici là. Mais je ne pense pas que " de deux choses l'une ". J'ai foi dans tout ce que vous m'avez dit. Pour rien au monde je ne voudrais résister à la tentation que vous m'avez donnée, disons : de m'attendre en Chine. Car aussi bien grâce à vous j'y suis déjà.

Il vous appartient, Mesdames, de nous faire confondre le fait accomplissable et le fait accompli. J'irai même plus loin. Cette différence qui passait pour irréductible entre les sensations probables d'un aéronaute et ses sensations réelles, que quelqu'un se vanta jadis de tenir pour essentielle et d'évaluer avec précision, dont il s'avisa même de tirer, en matière d'attitude humaine, d'extrêmes conséquences, cette différence cesse de jouer ou joue tout différemment dès que ce n'est plus moi qui propose, qui me propose, et que je vous permets de disposer de moi. Dès lors qu'il s'agit pour moi de la Chine et non, par exemple, de Paris ou de l'Amérique du Sud, je me transporte par la pensée beaucoup plus facilement en Chine qu'ailleurs. Le cinema a perdu pour moi une grande partie de son intérêt. Par contre, on dirait que des portes s'ouvrent en Orient, que l'éclio d'une agitation enveloppante me parvient, qu'un souffle, qui pourrait bien être celui de la Liberté, fait tout à coup résonner la vieille caisse de l'Europe, sur laquelle je m'étais endormi. C'est à croire qu'il ne me manquait que d'être précipité par vous, de tout mon long, sur le sol non plus comme on est pour guetter mais

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pour embrasser, pour couvrir toute l'ombre en avant de soi-même. Il est vrai que presque tout peut se passer sans moi, que laissé à lui-même mon pouvoir d'anticipation s'exerce moins en profondeur qu'en étendue mais si l'aéronaute vous constatez par avance que c'est moi, si c'est moi l'homme qui va vivre en Chine, si cette puissante donnée affective vient saisir ces voyageurs inertes, adieu la belle différence et l'" indifférence " méticuleuses ! On voit qu'à sa manière l'action me séduit aussi et que je fais le plus grand cas de l'expérience, puisque je cherche à avoir l'expérience de ce que je n'ai pas fait ! Il y a des gens qui prétendent que la guerre leur a appris quelque chose ; ils sont tout de même moins avancés que moi, qui sais ce que me réserve l'année 1939.

En haine de la mémoire, de cette combustion qu'elle entretient partout où je n'ai plus envie de rien voir, je ne veux plus avoir affaire qu'à vous. Puisque c'est à vous qu'il a été donné de nous conserver cet admirable révélateur sans lequel nous perdrions jusqu'au sens de notre continuité, puisque vous seules savez faire s'élancer de nous un personnage en tous points semblable à nous-même qui, par delà les mille et mille lits où nous allons, hélas ! reposer, par delà la table aux innombrables couverts autour de laquelle nous allons tenir nos vains conciliabules, ira nous précéder victorieusement.

C'est à dessein que je m'adresse à vous toutes parce que cet immense service il n'est aucune d'entre vous qui ne soit capable de nous le rendre. Pourvu que vous ne sortiez pas du cadre infiniment vaste de vos attributions, toute distinction de mérite entre vous me paraît oiseuse, selon moi votre qualification est la même. Ce qui est dit sera, par la seule vertu du langage : rien au monde ne peut s'y opposer. J'accorde que cela peut être plus ou moins bien dit, mais c'est tout.

Où réside votre seul tort, c'est dans l'acceptation de la scandaleuse condition qui vous est faite, d'une pauvreté relative qui vous oblige à " recevoir " de telle à telle heure, comme les médecins ; dans la résignation aux outrages que ne vous ménage pas l'opinion, l'opinion matérialiste, l'opinion réactionnaire, l'opinion publique, la maudite opinion. Se peut-il que les persécutions séculaires vous détournent à jamais de lancer à travers le monde, en dépit de ceux qui ne veulent pas l'entendre, la grande parole annonciatrice ? Douterez-vous de votre droit et de votre force au point de vouloir paraître longtemps faire comme les autres, comme ceux qui vivent d'un métier ? Nous avons vu les poètes aussi se dérober par dédain à la lutte et voici pourtant qu'ils se ressaisissent, au nom même de cette parcelle de voyance, à peine différente de la vôtre, qu'ils ont. Assez de vérités particulières, assez de lueurs splendides gardées dans des anneaux ! Nous sommes à la recherche, nous sommes sur la trace d'une Vérité morale dont le moins qu'on en puisse dire est qu'elle nous interdit d'agir avec circonspection. Il faut que cette Vérité soit aveuglante. À quoi pensez-vous ! La voilà bien, la prochaine éruption du Vésuve ! On me dit que vous avez offert vos services pour faire aboutir certaines recherches policières mais ce n'est pas possible : il y a eu usurpation ou c'est faux. Je ne suis pas dupe de ce que les journaux impriment parfois, au sujet de révélations que vous auriez consenti à faire à un de leurs rédacteurs : on vous calomnie sûrement. Mais cette passivité, toutes femmes que vous êtes, il en est temps, je vous adjure de vous en départir. On envahira vos demeures à la veille de la catastrophe heureuse. Ne vous abandonnez pas ; nous vous reconnaîtrons dans la foule à vos cheveux dénoués. Donnez-nous des pierres, des pierres brillantes, pour chasser les infâmes prêtres. Nous ne voyons plus ce monde comme il est, nous sommes absents. Voici déjà l'amour, voici les soldats du passé !

ANDRÉ BRETON.

* * *

Il ne faut jamais oublier qu'un tableau doit toujours être le reflet d'une sensation profonde et que profond veut dire étrange et qu'étrange veut dire peu connu ou tout à fait inconnu.

G. DE CHIRICO (1913).

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NOUVELLE LETTRE SUR MOI-MÊME

CHER.

C'est en ce moment pour moi une sale époque, toutes les époques d'ailleurs sont dégueulasses dans l'état où je suis. Vous n'imaginez pas à quel point je puis être privé d'idées. Je n'ai même pas les idées qui pourraient correspondre à ma chair, à mon état de bête physique, soumise aux choses et rejaillissant à la multiplicité de leurs contacts.

Et la bête mentale n'en parlons pas. Ce que j'admire, ce pour quoi j'ai appétit, c'est la bête intelligente qui cherche, mais qui ne cherche pas à chercher. La bête qui vit. Il ne faut pas que l'agrégat de la conscience se défasse. Ce qui me fait rire chez les hommes, chez tous les hommes, c'est qu'ils n'imaginent pas que l'agrégat de leur conscience se défasse ; à n'importe quelle opération mentale qu'ils se livrent ils sont sûrs de leur agrégat. Cet agrégat qui remplit chacun des interstices de leurs plus minimes, de leurs plus insoupçonnables opérations, à quelque stade d'éclaircissement et d'évolution dans l'esprit que ces opérations soient parvenues. Il ne s'agit pas de cela, il ne s'agit jamais de cela. Car si l'on devait toujours penser à sa pensée, n'est-ce pas, pas moyen de penser, de se livrer à une opération mentale, supérieure à ce qui est proprement la pensée. Et non pas l'exsudat, la secrétion de l'esprit, mais le mécanisme de cet exsudat. J'estime avoir assez emmerdé les hommes par le compte-rendu de mon contingentement spirituel, de mon atroce disette psychique, et je pense qu'ils sont en droit d'attendre de moi autre chose que des cris d'impuissance et que le dénombrement de mes impossibilités, ou que je me taise. Mais le problème est justement que je vis. Ce qui est capable d'arracher les hommes à leurs terres, à ces terres figées de l'esprit enfermé dans son cercle, c'est ce qui sort du domaine de la pensée proprement dite, ce qui pour moi est au-dessus des relations de l'esprit. Je suis comme un aveugle au milieu des idées, toute spéculation qui ne serait pas un constat, une simple agitation de phénomènes connus m'est interdite, mais le mal à y regarder de près est que je ne vois la nouveauté, ou pour mieux dire la nécessité d'aucune opération intellectuelle. Il n'y a pas de choc dans l'esprit qui m'apparaisse le résultat d'une Idée, c'est-à-dire d'une conflagration nourricière de forces au visage neuf.

J'en suis au point où je ne sens plus les idées comme des idées, comme des rencontres de choses spirituelles ayant en elles le magnétisme, le prestige, l'illumination de l'absolue spiritualité mais comme de simples assemblages d'objets. Je ne les sens plus, je ne les vois plus, je n'ai plus le pouvoir qu'elles me secouent comme telles, et c'est pourquoi probablement je les laisse passer en moi sans les reconnaître. Mon agrégat de conscience est rompu. J'ai perdu le sentiment de l'esprit, de ce qui est proprement pensable, ou le pensable en moi tourbillonne comme un système absolument détaché, puis revient à son ombre. Et bientôt le sensible s'éteint. Et il nage comme des lambeaux de petites pensées, une illumination descriptive du monde, et quel monde !

Mais au milieu de cette misère sans nom il y a place pour un orgueil, qui a aussi comme une face de conscience. C'est si l'on veut la connaissance par le vide, une espèce de cri abaissé et qui au lieu qu'il monte descend. Mon esprit s'est ouvert par le ventre, et c'est par le bas qu'il entasse une sombre et intraduisible science, pleine de marées souterraines, d'édifices concaves, d'une agitation congelée. Qu'on ne prenne pas ceci pour des images. Ce voudrait être la forme d'un abominable savoir. Mais je réclame seulement pour qui me considère le silence, mais un silence intellectuel si j'ose dire, et pareil à mon attente crispée.

ANTONIN ARTAUD.

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CES ANIMAUX DE LA FAMILLE

L'oiseau de vers luisants.
ANDRÉ BRETON.

Dans le grand cercle blanc coupé, de distance en distance, de petites barrières de cristal, se tenait la grande ourse dont le silence est aussi favorable que ses cris sont néfastes aux navigateurs perdus dans les prairies ogivales longtemps parcourues, au sud de l'équateur, par les girafes borgnes, employées, dans l'antiquité, pour la décoration murale des temples élevés à la gloire de Minerve, par les hommes aux yeux mous, esclaves de la gerboise qu'ils gardaient éternellement dans leur estomac, comme un talisman destiné à les préserver des atteintes du froid et de l'excessive chaleur. Soudain, à l'instant où le soleil gesticulait à la façon d'un homme ivre, la grande ourse lança un cri si désespéré que le soleil cessa de s'agiter et laissa tomber sur la terre des milliers de petites bulles de savon sur lesquelles on lisait : MÉNAGERIE DES VIVANTS. Ces bulles devaient crever avant de toucher le sol. Or, il arriva que quelques-unes d'entre elles se posèrent sur la pointe des graminées qui tapissaient le grand cercle blanc. Aussitôt on entendit des cris épouvantables, capables de réveiller les volcans, capables même de rendre aux montagnes le souvenir de leur grandeur déchue et, des bulles, sortirent des tigres du Bengale qui s'ébrouèrent rejetant autour d'eux des épluchures de cacahuètes et des bobines de fil à coudre qui se déroulèrent lentement, avec la majesté d'un pape bénissant une forêt vierge dans laquelle se cache le jaguar qui, un jour, alors que le prélat sera plongé dans une prière aussi fade qu'une décoration à un militaire tué par son propre revolver qu'il avait dirigé contre son coeur parce qu'il estimait appartenir à l'armée ennemie, lui arrachera d'un coup de dents des parties sexuelles qui lui sont aussi inutiles qu'une lanterne sourde à un explorateur, au mois de juillet à midi.

Mais, si lent et si majestueux que soit le déroulement d'une bobine de fil à coudre, il arrive bien un jour où la bobine accepte avec résignation sa stupide nudité, cependant que le fil forme sur la plaine une longue ligne, droite si on a pris la précaution de toujours conserver le même but. Alors, s'il pleut, ce ne sont plus des gouttes d'eau qui tombent sur le sol mais des hérons qui, avec leur bec, ont tôt fait de découvrir la nappe d'eau souterraine où gémissent des poissons aveugles qui n'ont d'autre plaisir que de faire entendre leur voix sonore a travers les profondeurs obscures et, jusque-là, silencieuses de cet immense lac qui, d'ailleurs n'est un lac que par la volonté de son frère le gymnote.

O ! gymnote, mon ami, qui donc dira aux prêtres, ces escrocs sans envergure dont les pieds sont semblables à la pourriture de leur tête que si, un jour d'été où les fruits dont la maturité est proche, la fantaisie t'en prenait, il suffirait d'un seul de tes regards beaux comme le déroulement d'une bobine de fil pour qu'ils soient semblables aux restes d'un pauvre homme, un pauvre imbécile d'homme qui a servi sa patrie toute sa vie pour mourir une après-midi, en cueillant des pissenlits dont il pensait faire une salade pour son dîner. Les pourceaux l'ont à moitié mangé et, c'est pourquoi, après sa crémation il ne reste plus de lui que cette balle qui l'avait blessé dans quelque combat stupide contre les Pavillons-Noirs. Et voilà, gymnote, ce que tu pourrais faire d'un curé.

Mais voici la nuit ! Une nuit peuplée de bananes. Alors que, sous la voûte rouge où les sangsues glissent silencieusement comme des mains frôleuses, un homme se lève au milieu de son sommeil, tire les rideaux de sa fenêtre et jette ses meubles dehors, puis, débordant soudain d'une allégresse immense, comme un typhon qui, de son pied, balaie les montagnes inutiles, il descend les escaliers comme un chat-tigre à la poursuite d'une huître sur un rail de chemin de fer où passent d'heure en heure, des express internationaux. Ses meubles sont là ; mais, déjà, de l'armoire à glace éventrée sortent 4.000 flamants roses issus de ses chemises et de ses caleçons. Alors prenant à témoin les giroflées qui ont pris racine dans son matelas, il disparaît comme une mouche ; mais alors qu'une mouche ne disparaît pas pour tout le monde, on ne le reverra jamais.

Cependant, peu à peu, son mobilier donne naissance à toute une faune pour laquelle une flore nouvelle se crée. Le grand cheval de bataille aux oreilles d'argent et aux dents de terre se dresse au milieu du peuple affamé des rats jaunes mouchetés de gris qui s'enfuient, répandant en guise de crottes de minuscules papillons aux couleurs éclatantes, lesquels après avoir voleté un laps de temps qui n'est comparable qu'à l'épuisement progressif d'un homme qui, un beau matin, considérant l'afflux des voyageurs dans une grande gare de Paris a décide de ne plus manger et observe cette résolution – je ne dirai pas jusqu'à ce que mort s'ensuive, car avant d'en arriver là, un brave rhinocéros, de l'espèce dite cochon-mangeur-de pied-de table, s'avance de son pas pesant comme un lac et, calculant mentalement le nombre de pieds de table nécessaires pour lui rendre la santé, puis le nombre d'arbres nécessaires pour faire ces pieds de table, juge plus expéditif de le manger

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mais, auparavant, il se dresse sur ses pattes de derrière et, corne en l'air, il fait à ses frères et ennemis, un discours :

DISCOURS DU RHINOCÉROS

O ! vous qui êtes mes frères parce que j'ai des ennemis, songez, songez au sort du baobab qui se lamente dans la cuisine du roi parce qu'on veut l'accommoder en salade. Pauvre baobab ! ô toi, orgueil de la rive droite du Rhin, toi qu'on avait apporté dans ce pays, si petit que tu tenais dans un dé à coudre et que les femmes en te voyant disaient : " Oh ! qu'il est petit, qu'il est charmant ! Comme il ferait bon être couché sous son ombre avec son amant ! " Et, sous la poussée énergique des lavandières qui, tous les lundis, venaient uriner à tes pieds, leur dos osseux appuyé sur ton tronc qui leur faisait l'effet d'un membre viril se frôlant contre elles, tu étais devenu cette belle couvée d'aptéryx qui s'enfuit silencieusement à l'approche des chlamydosaures, lesquels, somme toute, ne te voulaient aucun mal mais désiraient seulement te demander d'où tu tenais cette fourrure qui te fait ressembler à l'entrée d'une station de métropolitain, l'hiver, alors que la neige tombe comme un moineau qui ne sait pas encore se servir de ses ailes lesquelles ne sont, à la vérité, que deux gaufres qu'une fillette de quatre ans ramassera pour les offrir à sa poupée. Sa poupée ! Ah parlons-en de ce poisson-volant qui se nourrit de son vol, saccadé comme les paroles d'un fiévreux en proie au délire. O délire ! C'est grâce à toi qu'un condamné à mort, la veille de son exécution, sentant déjà glisser sur son cou le couperet de la guillotine, arracha ses cils et ses sourcils qu'il noua les uns aux autres et fit ensuite tourbillonner au-dessus de sa tête en guise de fouet en criant : " Au feu ! Au feu ! Les panthères sont brûlées ! " Les panthères n'étaient pas brûlées mais un fakir leur avait promené une barre de fer rougie au feu sur l'échine et, de blanc qu'elles étaient, elles devinrent ce qu'elles sont : un serpent naja qui trône à la place d'un professeur de chimie mort subitement, au moment de commencer son cours, pour avoir avalé un porc-épic que sa myopie lui avait fait confondre avec une amande. Et le naja détient toute la science des professeurs passés et futurs, à telle enseigne que les élèves en sont émerveillés.

BENJAMIN PÉRET.

(À suivre.)

AVIS

La folie est la prédominance de l'abstrait et du général sur le concret et la poésie. La folie n'est qu'un rapport comme le raisonnable, le réel. C'est une réalité, une raison.
Je trouve l'activité scientifique un peu folle, mais humainement défendable.
Mon affaire est la métaphysique. Et non pas la folie. Et non pas la raison.
Je ne me mets pas en scène. Mais la première personne du singulier exprime pour moi tout le concret de l'homme. Toute métaphysique est à la première personne du singulier. Toute poésie aussi.
La seconde personne, c'est encore la première.
Aujourd'hui, il n'y a plus de rois, ce sont les savants qui disent : Nous voulons. Braves gens.
Ils croient toucher le pluriel : ils ne connaissent pas leur vipère.

LOUIS ARAGON.

* * *

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CHRONIQUES

Au bout du quai, les Arts Décoratifs !

Dans un monde où l'esprit ne soutient, ne gonfle plus leurs draperies de pierre les pensées à forme humaine perdent peu à peu leur rôle d'apparition sous l'écorce murale que boursouflait jadis je ne sais quel levain issu de la langueur et de la mélancolie. Elles vont s'effaçant, sous le doigt de la quiétude, au linteau tranquille où la raison trouve enfin sa satisfaction minérale et le plaisir négatif de l'usage prévu, et récompensé. Rien d'absurde ne vient plus troubler ce visage calcaire, ni le regard, ni le tourment. Enfin c'en est fait des architectures hantées, l'habitant sera chez lui sous ce portique, il trouvera la paix dans ce désert de murs. Tout se mesure à l'utile, l'emploi resplendit au moindre moellon, et si quelque souvenir au delà de l'immédiat mensonge aux intempéries et à la destruction ramène ce lieu bâti aux proportions aujourd'hui lyriques de l'usine et du hangar, il est permis de se demander si ce n'est pas, pure convulsion du pragmatisme, une sorte de déification nécessaire du travail et de ses modes, un principe fortifié par sa carence, et comme un sanglot du ciment armé, l'hystérie des matériaux dans leur adaptation aux conventions de l'homme, à ses calculs intéressés, à ses terreurs.

Cet état de confusion où l'esprit ne retrouve plus sa nourriture, cette trahison des demeures, la préférence donnée au confort de l'instinct sur le confort de l'intelligence, toute signification reniée, un pareil bouleversement comment l'homme l'eût-il permis, lui qui imagina les Sphinx, s'il l'eût envisagé dans l'abord ? Mais c'est qu'il avait prêté la main à l'apparition d'un concept, qu'il ne réalisa pas dans ses développements inéluctables, qu'il admit, et dont le voici en 1925 le jouet. " L'art décoratif " se présentait comme une classification commode, où l'on voyait surtout l'occasion d'élever des artisans modestes et méconnus à la considération qu'un peuple assez barbare réservait aux musiciens et aux vélocipédistes. Cela flattait un principe de démocratie idéale.

Avec quelle rapidité cette simple distinction est-elle devenue une affaire d'état, et l'état l'a-t-il travestie en notion philosophique, c'est ce que révèle l'exposition de Paris. Et personne qui fasse la critique de cette notion, qui montre qu'elle n'est point pure, toute emmêlée au contraire de considérations sociales, qu'elle embrasse au hasard toutes les pénombres de l'art et du commerce, tous les compromis hypocrites qui permettent la tromperie dans des marchés où tour à tour une table n'est plus une table mais un dieu, puis une table tout de même fière de ses pieds et de ses rallonges. Dans cette grande foire, personne qui ne veuille avoir travaillé pour l'éternité, et du même coup pour les

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commodités quotidiennes. " C'est beau, et puis c'est bien conditionné. " L'hypothèque sur l'avenir est immédiatement monnayable. Désormais on s'entend sur le sens pécuniaire du mot moderne, et qu'on nous laisse la paix avec la peinture et son train, d'où l'utilité est absente. Bientôt, aujourd'hui même, on ne peindra plus que pour aller avec un ameublement. L'usage roi. Le style et la discipline refont par ce détour imprévu une entrée de music-hall qui ne me porte pas à sourire. Le Grand Art, Dada vous avait donné à penser là-dessus. Mais la Décoration ! Eh bien moi, je préfère après tout le Grand Art.

Que l'homme se limite ; qu'il prenne à son aise ses airs de roseau pensant, ses airs penchés de roseau pensant ; qu'il préfère, les yeux baissés, s'adonner à des guéridons à regarder le ciel et apprivoiser les étoiles : c'est toujours le positivisme qui triomphe avec l'appui officiel et les coups de chapeau du ministre. Il paraît qu'on ne pourra faire disparaître les bâtisses de l'exposition qu'avec de la dynamite. Qu'on en garde un peu pour la statue d'Auguste Comte, place de la Sorbonne. Il nous faut faire maison nette d'un esprit domestique qui s'est répandu depuis cinquante années dans les villes et les coeurs. À l'office, je vous prie, les décorateurs et les savants timides. Nous n'avons pas assez de nos carrefours et de notre vie, nous n'avons pas assez de tout l'univers pour le génie ambitieux, inutile et dévorateur.

LOUIS ARAGON.

* * *

Le Paradis perdu

I

ULYSSE PRÉCHACQ

Les hommes ne sont pas tous entachés de péché originel. Il est des privilégiés qui possèdent une âme innocente et des sens vierges. Tels autrefois furent le douanier Rousseau et J.-P. Brisset, tels sont, aujourd'hui, les peintres Miro et Dédé Sunbeam, les poètes comme Benjamin Péret et Ulysse Préchacq, à ceux-là sont réservées les visions de l'Eden et la parfaite félicité du coeur, ils marchent jour et nuit sur les gazons du rêve, la pureté de leur âme transforme l'univers à leur approche. À côté des peintres et des poètes maudits, ils sont les peintres et les poètes bénis. Ils sont les élus quand les autres sont les initiés. Leur naissance est un miracle et leur vie une perpétuelle illusion. Sont-ils réels seulement ? Les plus terribles catastrophes peuvent s'abattre sur eux, elles ne suscitent pas la pitié. Leur présence provoque cette forme de l'extase vulgairement appelée " Rire aux Anges ", même si la maladie et le malheur ont posé sur eux leurs mains ténébreuses. Souffrent-ils ? En dépit de leurs plaintes lyriques, rien n'altère la joie perpétuelle de leur esprit. Au jour du jugement dernier, si j'ose me servir d'une pareille image, ils seront témoins et non pas accusés. Rien en eux du Prométhée. Byron ni Rimbaud ne sont leurs cousins. Par delà les siècles ils retrouvent le pur idéal des Évangiles et des contes de fées. Les circonstances de la vie se modifient autour d'eux en forme de charmes. Ulysse Préchacq, facteur convoyeur dans les Basses-Pyrénées, parle le langage des fleurs. Quelles que soient les persécutions de la vie, il conserve cet accent fabuleux de sagesse qui caractérise les poèmes de Sous le charme Olympien. Aussi bien est-ce un sage. Sa vision de l'univers lui permet de tout rapporter aux petits événements de son existence montagnarde. Il lui paraît, et combien a-t-il raison, que le poilu inconnu ne pouvait s'exprimer autrement que lui, avoir d'autres soucis que les siens et par là évoque, à son insu peut-être, le grand et terrible égoïsme de l'homme devant la mort. C'est encore elle, la mort, qui lui inspirera ce poème sur sa mère qu'il semble avoir aimée toujours avec la confiance de l'enfant (1).

(1) EXTRAIT D'UNE LETTRE DU 12 JANVIER 1925

" Je suis en effet, mon cher poète, à tout moment et à chaque instant un livre ouvert et vivant de ma brochure Sous le Charme olympien (du nom de ma mère Olympe). Mais vous allez me dire comment j'ai composé ma brochure, je n'en sais trop rien, si c'est Dieu ou le diable qui me les a inspirées (ou qui me l'a inspirée) ou une passion véhémente ou l'imminence de ma cause (démêlés avec mon administration ou je ne suis coupable, en effet, ni en fait, ni en droit), ou un foyer érogène des plus intenses ou un piège.

FIN DE LABEUR

Elle n'est plus, cette femme, cette mère courageuse et douce. Durant sa vie elle fut aimable et obligeante pour tout le monde.

Elle n'est plus cette femme, cette mère, affable et compatissante qui se faisait un contentement à épandre les Écritures autour d'elle.

Elle n'est plus cette femme, cette mère aux idées droites, larges et inébranlables. Je me rappelle il y a quelque trente ans, une personne et pas des plus petites, lui dit un jour : " Non seulement, Madame, dans votre modestie, vous êtes savante, mais il faudrait que toutes les femmes fussent républicaines comme vous. "

Elle n'est plus cette femme, cette mère serviable. Que de fois on a eu recours à sa diplomatie sans apprêt, sans fard et si naturelle que ses obligés louaient son intelligence et son merveilleux entregent.

Elle n'est plus cette femme, cette mère, à l'esprit inépuisable, au coeur d'or. Cette sagesse, pour les siens et pour son entourage, elle la tenait de ses dons naturels, ennoblie par la lecture assidue et quasi-quotidienne des Écritures, dont elle faisait son aliment de joie, de consolation, d'espérance et d'amour, talents qu'elle se complaisait à répandre autour d'elle, à la grande satisfaction des personnes qui les écoutaient.

Elle n'est plus cette femme, cette mère chérie. Maintes fois, elle prodiguait des paroles d'encouragement là où était le découragement même. Elle ne laissait personne dans le doute, mais dans une meilleure détermination vers le bien ; en cela, elle était aidée par la facilité de ses facultés et par la puissante et consolante nourriture biblique, dont elle partageait les bienfaits d'une façon ineffaçable dans le coeur des personnes avec lesquelles elle conversait, et aucune ne s'est plainte de ses dons de l'esprit, puisque chaque personne y trouvait une ascension vers le bien, dis-je, le mieux dire et le mieux faire.

Elle n'est plus cette femme, cette mère gracieuse. Sa voix douce et pénétrante attirait tous les coeurs son attitude simple, correcte et avenante, était partout la bienvenue ; sa parole persuasive amollissait un coeur de pierre.

Elle n'est plus, cette femme, cette mère au regard si doux, aux traits si fins, au caractère toujours égal ; et quand sur la terre d'exil, tu dépêchas un messager, celui-ci, étonné et ravi de sa connaissance biblique, dit, dans son exhortation écoutée silencieusement et attentivement par quelques personnes bénévolement venues, cette fin de phrase : " Il faudrait se tenir toujours près du bien, c'est-à-dire près du Seigneur. "

Elle n'est plus cette femme, cette mère majestueuse. Sur sa couche funèbre, elle a conservé la même sérénité ; elle meurt, l'âme tout inondée de joie, ayant ces derniers mots sur les lèvres : " Dès le matin, Seigneur, mon âme te recherche. "

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" En te perdant, j'ai tout perdu, ma brune ; heureusement, ma bien-aimée, tu m'as laissé l'amour. "

" Reste avec nous, cousine. Reste avec nous, cousin, le Seigneur, reste avec nous toujours. "

Ulysse PRÉCHACQ, à Lembeye (Basses-Pyrénées).

Aussi bien nulle littérature, nulle rhétorique ne souillent-elles ces poèmes inspirés par l'émotion spontanée et la pureté absolue d'un coeur primitif. Ulysse Préchacq est si bien pénétré par la poésie qu'il n'imagine pas le moyen de lui échapper. Tout ce qu'il dit, tout ce qu'il écrit est poésie et, naturellement, est-il amené à publier dans son recueil, à côté de poèmes proprement dit des lettres, voire même des lettres administratives. Et combien il a raison. L'accent de la correspondance n'est pas moins savoureux que celui de ses vers où tout, jusqu'à la forme, lui est propre. On en jugera par la lettre publiée ici qui prouve que tout est lyrisme dans son imagination.

Je relisais dernièrement, dans les Marges, un misérable article d'un pauvre homme, M. Jean Saltas. Celui-ci, encore qu'il ait eu l'honneur de collaborer avec lui s'est révélé comme le moins compréhensif des amis de Jarry. Dans l'article en question, il tentait de déprécier l'admirable Rousseau en contant comment, d'après lui, M. Ubu, un petit matin, lui révéla la peinture. Vraie ou fausse, cette histoire ne peut modifier le jugement porté sur l'oeuvre du douanier. Mais ce qui est parfaitement discutable, c'est l'opinion portée sur la Révélation. Pour ma part peu m'importe qu'elle prenne l'apparence d'une mystification. En dépit de la lourde blague des unanimistes, J.-P. Brisset est un étonnant écrivain. Que ce soit les langues de feu de la Pentecôte, surgissant dans un ciel d'apothéose, que ce soit un buisson ardent, que ce soit le génial bicycliste Alfred Jarry arrêtant sa machine sur le pont de la Concorde, l'homme de foi n'hésite pas. Seul le sceptique discute l'apparence. L'inspiré croit à l'essence de la Muse et non à sa forme.

Parce qu'il est continuellement accompagné par les Muses, étranges comme la Fatalité, parce qu'il obéit à leurs ordres sacrés, Ulysse Préchacq prend place parmi les bienheureux de la Poésie pure.

ROBERT DESNOS.

UNE LETTRE D'ULYSSE PRÉCHACQ

25 décembre 1924.

MON CHER POETE,

J'ai bien reçu votre lettre par laquelle vous m'apprenez que votre ami, M. Duhamel, vous a remis une de mes brochures. Sous le Charme Olympien.

Votre lettre me fait voir également que vous avez fait l'analyse et la synthèse de la dite brochure et en fin lettré que vous êtes, vous me dépeignez votre satisfaction à tirades enflammées ; ce qui, sous votre plume, m'encourage.

Mais malheureusement je ne mérite pas les éloges dithyrambiques que vous me prodiguez dans votre lettre d'une loyale, franche et choisie littérature.

Je ne puis, en effet, vous envoyer aucun écrit inédit ; ou plutôt mes inédits sont trop romanesques au point de vue administratif " lettre administrative " et n'intéresseraient aucune revue. Je lutte avec mon droit contre la force aveugle. " Si vous voulez accepter un poste moindre, nous nous en sortons victorieusement, ce sera par votre esprit et votre intelligence que vous reviendrez dans votre ancienne situation " (Section paloise, Ligue des Droits de l'homme, 1911). Mais il va y avoir une amnistie dans laquelle je suis innocent comme l'enfant qui vient de naître.

Mais je m'aperçois que je pousse votre curiosité. Mon cas (immérité et illégal en fait et en droit) est pire que si je m'étais galvaudé nuit et jour ; pire que si j'avais pris mon service (de commis des postes) suivant mon bon plaisir ; pire que si j'avais enfoncé la caisse (travaux forcés à temps) ; pire que si j'avais violé le secret professionnel (punition également travaux forcés à temps) ; pire que si j'avais fait grève ; pire que si j'avais été un fomenteur de grève ; pire que si j'avais attenté à la sùreté de l'état. Et alors allez-vous vous dire ? Injustice monstrueuse qui dure depuis 20 (vingt ans). Je ne connais pas de corsaire qui soit plus injustement puni et tout cela à cause de la malveillance et de ma défense trop longue et trop littéraire. " Tes rapports sont très bien faits ; ta défense magnifique ; par un raisonnement méthodique tu réduis à néant les accusations portées contre toi " m'écrit un collègue.

Voilà donc déjà des inédits ; sous la plume d'un journaliste et d'un littérateur émérite comme vous, vous avez des articles à savourer sous votre plume énergique et consciencieuse.

Je vous remercie donc, cher Monsieur, de l'intérêt tout particulier que vous me témoignez et je vous demanderais. si telle est votre bienveillance, de vouloir bien me trouver à Paris un imprimeur éditeur de ma brochure qui est couronnée d'une dédicace de M. Léon Bérard, alors ministre de l'Instruction publiqne (lettre du 8 mars 1923). " J'ai été particulièrement touché de l'hommage que vous avez bien voulu me faire de quelques-unes de vos oeuvres ; c'est avec le plus grand plaisir que j'en ai pris connaissance et je tiens à vous adresser mes très sincères félicitations. " La lettre porte comme référence : " Vous servir pour la réponse du timbre S.P.C.L. " ultérieurement plus de réponse. Avec mes regrets pas de photo-graphie à pouvoir envoyer.

Votre tout dévoué et remerciements sincères et anticipés.

ULYSSE PRÉCHACQ.

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Léon Trotsky : Lénine *

* Librairie du Travail, 96, quai de Jemmapes (10e).

À certaines allusions qui ont été faites ici-même et ailleurs on a pu croire que d'un commun accord nous portions sur la Révolution russe et sur l'esprit des hommes qui la dirigèrent un jugement assez peu favorable et que, si nous nous abstenions à leur égard de critiques plus vives, c'était moins par manque d'envie d'exercer sur eux notre sévérité, que pour ne pas rassurer définitivement l'opinion, heureuse de n'avoir à compter qu'avec une forme originale de libéralisme intellectuel, comme elle en a vu et toléré bien d'autres, d'abord parce que cela ne tire pas à conséquences, du moins à conséquences immédiates, ensuite parce qu'à la rigueur cela peut être envisagé, par rapport à la masse, comme pouvoir de décongestion. Il n'en est pas moins vrai que pour ma part je refuse absolument d'être tenu pour solidaire de tel ou tel de mes amis dans la mesure où il a cru pouvoir attaquer le communisme, par exemple, au nom de quelque principe que ce soit, – et même de celui, apparemment si légitime, de la non-acceptation du travail. Je pense en effet que le communisme, en existant comme système organisé, a seul permis au plus grand bouleversement social de s'accomplir dans les conditions de durée qui étaient les siennes. Bon ou médiocre, en soi défendable ou non au point de vue moral, comment oublier qu'il a été l'instrument grâce auquel ont pu être abattues les murailles de l'ancien édifice, qu'il s'est révélé comme le plus merveilleux agent de substitution d'un monde à un autre qui fut jamais ? Pour nous, révolutionnaires, il importe peu de savoir si le dernier monde est préférable à l'autre et, du reste, le moment n'est pas venu d'en juger. Tout au plus s'agirait-il de savoir si la Révolution russe a pris fin, ce que je ne crois pas. Finie, une révolution de cette ampleur, si vite finie ? Déjà les valeurs nouvelles seraient aussi sujettes à caution que les anciennes ? Allons donc, nous ne sommes pas assez sceptiques pour en rester à cette idée. S'il se trouve parmi nous des hommes qu'une pareille crainte laisse encore hésitants, il va sans dire que je m'oppose à ce qu'ils engagent avec eux, si peu que ce soit, l'esprit général dont nous nous réclamons, qu ne doit rester tendu vers rien tant que vers la réalité révolutionnaire, qui doit nous y faire parvenir par tous les moyens et à tout prix.

Libre, dans ces conditions, à Louis Aragon de faire savoir à Drieu La Rochelle, par lettre ouverte, qu'il n'a jamais crié : Vive Lénine ! mais qu' " il le braillera demain puisqu'on lui interdit ce cri " ; libre aussi à moi et à tout autre d'entre nous de trouver que ce ne serait pas une raison suffisante de se comporter ainsi, et que c'est faire la part trop belle à nos pires détracteurs, qui sont aussi ceux de Lénine, que de leur laisser supposer que nous n'agissons de la sorte que par défi. Vive Lénine ! au contraire, et seulement parce que Lénine ! On entend bien qu'il ne s'agit pas du cri qui se perd, mais de l'affirmation toujours assez haute de notre pensée.

Il serait fâcheux, en effet, que nous continuions en fait d'exemple humain, à nous en rapporter à celui des Conventionnels français, et que nous ne puissions revivre avec exaltation que ces deux années, très belles d'ailleurs, après lesquelles tout recommence. Ce n'est pas dans un sentiment poétique, si intéressant soit-il, qu'il convient d'aborder une période même lointaine de révolution. Et j'ai peur que les boucles de Robespierre, le bain de Marat ne confèrent un prestige inutile à des idées qui, sans eux, ne nous apparaîtraient plus si clairement. Violence à part – car c'est bien cette violence qui parle le plus éloquemment pour eux – il est toute une part de leur caractère qui nous échappe ; aussi nous rattrapons-nous sur la légende. Mais si, comme je le crois, nous sommes avant tout à la recherche de moyens insurrectionnels, je me demande, en dehors de l'émotion qu'ils nous ont donnée une fois pour toutes, je me demande pratiquement ce que nous attendons.

Il n'en est pas de même des révolutionnaires russes, tels qu'enfin nous parvenons à les connaître un peu. Voici donc ces hommes de qui nous avons tant entendu médire et qu'on nous représentait comme les ennemis de ce qui peut encore trouver grâce à nos yeux, comme les fauteurs de je ne sais quel encore plus grand désastre utilitaire que celui auquel nous assistons. Voici que dégagés de toute arrière-pensée politique, ils nous sont donnés en pleine humanité ; qu'ils s'adressent à nous, non plus en exécuteurs impassibles d'une volonté qui ne sera jamais dépassée, mais en hommes parvenus au faîte de leur destinée, de la destinée, et qui se comptent soudain, et qui nous parlent, et qui s'interrogent. Je renonce à décrire nos impressions.

Trotsky se souvient de Lénine. Et tant de claire raison passe par-dessus tant de troubles que c'est comme un splendide orage qui se reposerait. Lénine, Trotsky, la simple décharge de ces deux noms va encore une fois faire osciller des têtes et des têtes. Comprennent-elles ? Ne comprennent-elles pas ? Celles qui ne comprennent pas se meublent tout de même, Trotsky les meuble ironiquement de menus accessoires de bureau : la lampe de Lénine à l'ancienne Iskra, les papiers non signés qu'il rédigeait à la première personne et plus tard... enfin tout ce qui peut faire le compte aveugle de l'histoire. Et je jurerais que rien n'y manque, en perfection ni en grandeur. Ah ! certes ce ne sont pas les autres hommes d'État que par ailleurs se garde lâchement le peuple d'Europe qui pourraient être vus sous ce jour !

Car la grande révélation de ce livre, et je ne saurais assez y insister, c'est que beaucoup des idées qui nous sont ici les plus chères et desquelles nous avons pris l'habitude de faire dépendre étroitement le sens moral particulier que nous pouvons avoir, ne conditionnent nullement notre attitude en ce qui regarde la signification essentielle que nous entendons nous donner. Sur le plan moral où nous avons résolu de nous placer, il semble bien qu'un Lénine soit absolument inattaquable. Et si l'on m'objecte que d'après ce livre, Lénine est un type et que " les types ne sont pas des hommes ", je demande quel est celui de nos raisonneurs barbares qui aura le front de soutenir qu'il y a quelque chose à reprendre dans les appréciations générales portées çà et là par Trotsky sur les autres et sur lui-même, et qui continuera à détester vraiment cet homme, et qui ne se laissera en rien toucher par son ton de voix, qui est parfait.

Il faut lire les brillantes, les justes, les définitives, les magnifiques pages de réfutation consacrées aux Lénines de Gorki et de Wells. Il faut méditer longtemps sur le chapitre qui traite de ce recueil d'écrits d'enfants consacré à la vie et à la mort de Lénine, en tous points dignes du commentaire, et sur lesquels l'auteur exerce une critique si fine et si déses-pérée :

" Lénine aimait à pêcher. Par une journée chaude il prenait sa ligne et s'asseyait sur le bord de l'eau, et il pensait tout le temps à la manière dont on pourrait améliorer la vie des ouvriers et des paysans. "

Vive donc Lénine ! Je salue ici très bas Léon Trotsky, lui qui a pu, sans le secours de bien des illusions qui nous restent et sans peut-être comme nous croire à l'éternité, maintenir pour notre enthousiasme cet inoubliable mot d'ordre : " Et si le tocsin retentit en Occident, – et il retentira, – nous pourrons être alors enfoncés jusqu'au cou dans nos calculs, dans nos bilans, dans la N. E. P. mais nous répondrons à l'appel sans hésitation et sans retard : nous sommes révolutionnaires de la tête aux pieds, nous l'avons été, nous le resterons jusqu'au bout. "

À . BRETON.

Pierre de Massot : Saint-Just ou le Divin bourreau

Pierre de Massot s'attache à évoquer les figures les plus terribles de l'Histoire, les ombres dont on ne parle qu'à voix basse, de peur qu'un éclat de voix ou un geste maladroit provoque le couperet de la guillotine ou la capture par surprise au petit matin.

Traîtres et espions, terroristes qui semblent jouer, saboteurs, réprouvés, révoltés de toutes sortes, tous ceux qui baissent les paupières pour cacher un regard aussi pur mais aussi mystérieux que la nuit où tout est possible, tous ceux pour lesquels " le rouge n'a pas dit son dernier mot ", auxquels nul n'osa jamais demander un sacrifice parce qu'ils ont tout sacrifié devant cette liberté absolue qui consume leur corps et leur esprit, Pierre de Massot ne songe qu'à nous les montrer, qu'à les exalter, pour jeter un discrédit nouveau sur toutes les vieilles conventions morales.

Après ce Saint-Just, ce sera le tour d'Etienne-Marcel et de Bazaine, " il arrive que certains êtres prédestinés tracent sur la trame incolore des jours une grande lueur mystérieuse à laquelle pour toujours restent fixés les yeux des hommes. Au centre de cette nuit dans laquelle nous consentons à vivre, ces lueurs parallèles constituent une ligne idéale du ciel à l'enfer : une ligne pourpre dont le point final est happé par la main des démons. "

P. E.

P. 30

REVUE DE LA PRESSE

Ainsi il faut que tout se sache. Que l'esprit le plus bas soit le seul juge, que le coeur de l'homme soit dévoilé. Ils n'ont jamais pu cacher leur peur et, revêtus de leur morale, de leur ventre, de leurs maximes imbéciles et dégradantes, ils étalent leur boue et leur venin autour des chercheurs d'absolu.

La pourriture de leurs organes se couvre toujours d'un beau pavillon. Leurs journaux, le plus infâme s'appelle La Liberté et les articles qu'il intitule La Liberté ou la Mort ne roulent que sur de stupides plaisanteries de léopards et de piqueurs.

Masquant les mots et leur esprit, ils ont porté l'hypocrisie et la bêtise à la hauteur d'un art et le lecteur, impatient de se rendre à son travail, se fait lâchement complice de leur corruption.

Mais l'esprit se venge. Tout scandale, toute violence est contre eux, puisqu'ils ont renoncé à savoir quel en était le but et la cause. Ils n'en connaîtront que le pouvoir,

Bandits de Cormeilles, vous riiez quand la foule exaspérée, hideuse, criait : à mort !

" Enfin la porte du bureau s'ouvre à nouveau et leur livre passage. Un cri énorme s'élève : – À mort !

Ils se regardent, tous trois et, soudain, on les voit rire. À ce moment, la fureur populaire ne connaît plus de bornes. Les hommes, les femmes invectivent et hurlent. Alors, on assiste à cette chose inouïe. Pierson écarte la bâche de l'auto, sa tête apparaît un instant : – Vos gueules ! dit-il.

C'en est trop. "

Riez sous la guillotine qu'on inventa pour le supplice des ennemis de la liberté. Elle a connu bien des vainqueurs qui, comme vous, avaient rendez-vous, depuis toujours, avec la Veuve. Les autres, ils ont été surpris, ils gémissent et se confessent, pleurent, supplient et montrent leur véritable face.

Les curés sont aussi des assassins et les pires. Treize enfants ont été noyés par leur faute et les parents ne se font pas justice. Confiez donc vos enfants aux prêtres. Maintenant " ils sont calmes et bien sages. L'un d'eux, qui devait faire dimanche prochain sa première communion, ne pensait certes pas à pareille fin ".

Par contre, les avorteuses sont dénommées " faiseuses d'anges " et condamnées comme telles, comme si c'était un crime de faire des anges,

L'héroïque Pologne, la Pologne du Père Ubu, a fait fusiller quatre révolutionnaires, mais le gouverneur de la Martinique a été assassiné.

Pendant que les marins du Courbet passent en conseil de guerre parce qu'on leur donnait une nourriture avariée, le congrès socialiste repousse sans vergogne toute provocation à la fraternisation et à la désobéissance des combattants du Maroc.

Parce que le gouverneur d'un village druse avait perdu son chat, il menaça de frapper les habitants d'une amende de 500 livres sterling si l'animal n'était pas retrouvé. Ceux-ci, indignés, allèrent trouver le général Sarrail qui les jeta à la porte. La révolte était déclenchée.

Mais les rédacteurs de tous nos journaux bien pensants reçoivent d'Allemagne une lettre non affranchie. La curiosité l'emportant, ils s'empressent de payer les 2 fr. 30 que leur réclame le facteur. Ils ouvrent la lettre anxieusement et trouvent six cartes postales illustrées et en couleurs, représentant l'armée française en déroute.

Braves Allemands !

P. ELUARD ET B. PÉRET

(À suivre)

Correspondance.

J'ai lu au hasard des journaux le récit des incidents Saint-Pol-Roux. Je vous devine tous un peu frémissants et peinés sans doute parce que cet éclat a dû vous découvrir bien des coeurs à détester, des cerveaux à maudire. C'est le moment de vous dire combien je me suis attaché à suivre vos. efforts et qu'il me sera très agréable un jour d'avoir ma part des injures qu'on vous adresse. Un instinct secret m'a toujours guidé sans doute, puisque je n'ai jamais accepté de faire partie d'une société d'anciens combattants. Je ne suis même pas inscrit à l'office des mutilés. Peut-être sentais-je qu'il allait s'établir dans ces milieux une manière de religion, terriblement vivace, puisqu'elle regroupe dans une idée qui a ses dévots toutes les vanités puériles d'homme qui n'auraient rien été et à qui une blessure, ou le souvenir d'un esclavage peut donner l'illusion qu'ils se sont affirmés. Nos pensées sont pures et ne font pas une ombre sur le ciel vierge. Tous les gueux de lettres ameuteront toujours les chiens contre les Paul Eluard et les Breton. Je pense à Jean-Jacques Rousseau lapidé par un peuple absurde. Mais les cris, l'ordure cernent ce massif rose et naguère consumé de soleil où contre toutes les ombres ameutées se dresse déjà cette pâle lumière que nous ne pouvons pas saisir, dont nous ne pouvons même pas dire la couleur adorable, mais qui nous tire les larmes des yeux. La haine, nous attendions la haine pour nous rapprocher encore. Je connais le fond de la souffrance où l'on se perd, où l'on oublie. C'est là qu'il est enivrant de se ressouvenir que l'action désespérément poursuivie n'a de but qu'elle-même, qu'on ne saurait même pas lui donner un nom, qu'on n'est guidé dans son accomplissement que par les huées. Voici, certes, une circonstance où mon coeur est venu en aide à mon esprit. Je n'ai jamais si bien compris le sens que vous donnez au mot de " révolte ".

Nihilisme, anarchie. Comment les sots ne comprennent-ils pas que ces mots, qui leur déplaisent, sont suspendus à leurs détestables royaumes et ne font que nous désigner confusément à leurs seuls yeux, à l'extrême pointe de leurs appétits, de leurs repos, de leurs sommeils ? que les cris dont ils prennent ombrage se sont souillés au contact des institutions auxquelles nous sommes obligés de les opposer, et que notre véritable parole, si nous pouvions la proférer, les confondrait dans une boue noire, de perles, de voitures de mauvais baisers ?

Comme j'aurais voulu me trouver près de vous, avec mes bons poings d'autrefois, et ce coeur violent de combattant que j'ai rapporté, moi, tout aussi fort de la guerre, mais plus nu, lavé dans les matins de sang où je vous jure bien qu'il y avait des étoiles, ivre de sadisme, de peur et d'amour. J'aurais voulu me trouver près de, vous tous pour éprouver quelle joie ajoute au mouvement animal de frapper, le dégoût des faces consacrées, la haine des têtes qui font à Paris tant d'absurdes guirlandes. Je m'amuse tous ces jours-ci à tirer de quelques faces ardoises les mêmes sales reflets qui durent vous entourer de menaces. J'ai vu des yeux montrer des éclairs rouillés comme d'un couteau retourné dans une poche, et tous les plis graisseux des bouches à prières trahir les hauteurs de boue où peut continuer de battre le coeur humain. Etre idiot selon le monde porte déjà une haute joie ; et voilà que je sens à quels enivrements m'expose l'attitude de refus où je me crispe depuis si longtemps.

Joë BOUSQUET

* * *

Antibes, le 2 septembre 1925.

MON CHER AMI,

Nous sommes quelques hommes qui proclamons que la vie telle que la civilisation occidentale l'a faite, n'a plus aucune raison d'exister, qu'il est temps de s'enfoncer dans la nuit intérieure afin de trouver une nouvelle et profonde raison d'être ; mais aussi qu'il est nécessaire de participer à la lutte de classes.

Or, peut-on se demander plus longtemps comment la concevoir ?

Je crois que pour tout homme qui veut la révolution vivante toute forme ancienne d'insurrection, par exemple, la Révolution française, ne peut à aucun degré, le fixer et qu'il est amené nécessairement à considérer que le seul bouleversement social valable en ce temps, est la Dictature du Prolétariat telle que l'ont conçue et rendue-virtuelle Karl Marx et Lénine.

Une fois pour toutes, je romps avec la " bohème révolutionnaire " au dehors et en moi-même.

André MASSON.

* * *

Limoux (Aude), 28-7-25.

MONSIEUR LOUIS ARAGON (1),

(1) Voir Révolution Surréaliste, n° 4, page 30, note 1.

Vous, vous préférez garder les " vaches " ? À votre aise.
J. DELTEIL

À la vôtre, Joseph.
L. À .

P. 31

LA RÉVOLUTION D'ABORD ET TOUJOURS !

Le monde est un entre-croisement de conflits qui, aux yeux de tout homme un peu averti, dépassent le cadre d'un simple débat politique ou social. Notre époque manque singulièrement de voyants. Mais il est impossible à qui n'est pas dépourvu de toute perspicacité de n'être pas tenté de supputer les conséquences humaines d'un état de choses ABSOLUMENT BOULEVERSANT.

Plus loin que le réveil de l'amour-propre de peuples longtemps asservis et qui sembleraient ne pas désirer autre chose que de reconquérir leur indépendance, ou que le conflit inapaisable des revendications ouvrières et sociales au sein des états qui tiennent encore en Europe, nous croyons à la fatalité d'une délivrance totale. Sous les coups de plus en plus durs qui lui sont assénés, il faudra bien que l'homme finisse par changer ses rapports.

Bien conscients de la nature des forces qui troublent actuellement le monde, nous voulons, avant même de nous compter et de nous mettre à l'oeuvre, proclamer notre détachement absolu, et en quelque sorte notre purification, des idées qui sont à la base de la civilisation européenne encore toute proche et même de toute civilisation basée sur les insupportables principes de nécessité et de devoir.

Plus encore que le patriotisme qui est une hystérie comme une autre, mais plus creuse et plus mortelle qu'une autre, ce qui nous répugne c'est l'idée de Patrie qui est vraiment le concept le plus bestial, le moins philosophique dans lequel on essaie de faire entrer notre esprit (1).

(1) Ceux mêmes qui reprochaient aux socialistes allemands de n'avoir pas " fraternisé " en 1914 s'indignent si quelqu'un engage ici les soldats à lâcher pied. L'appel à la désertion, simple délit d'opinion, est tenu à crime : " Nos soldats " ont le droit qu'on ne leur tire pas dans le dos. (Ils ont le droit aussi qu'on ne leur tire pas dans la poitrine).

Nous sommes certainement des Barbares puisqu'une certaine forme de civilisation nous écoeure.

Partout où règne la civilisation occidentale toutes attaches humaines ont cessé à l'exception de celles qui avaient pour raison d'être l'intérêt, " le dur paiement au comptant ". Depuis plus d'un siècle la dignité humaine est ravalée au rang de valeur d'échange. Il est déjà injuste, il est monstrueux que qui ne possède pas soit asservi par qui possède, mais lorsque cette oppression dépasse le cadre d'un simple salaire à payer, et prend par exemple la forme de l'esclavage que la haute finance internationale fait peser sur les peuples, c'est une iniquité qu'aucun massacre ne parviendra à expier. Nous n'acceptons pas les lois de l'Economie ou de l'Echange, nous n'acceptons pas l'esclavage du Travail, et dans un domaine encore plus large nous nous déclarons en insurrection contre l'Histoire. L'Histoire est régie par des lois que la lâcheté des individus conditionne et nous ne sommes certes pas des humanitaires, à quelque degré que ce soit.

C'est notre rejet de toute loi consentie, notre espoir en des forces neuves, souterraines et capables de bousculer l'Histoire, de rompre l'enchaînement dérisoire des faits, qui nous fait tourner les yeux vers l'Asie (2). Car, en définitive, nous avons besoin de la Liberté, mais d'une Liberté calquée sur nos nécessités spirituelles les plus profondes, sur les exigences les plus strictes et les plus humaines de nos chairs (en vérité ce sont toujours les autres qui auront peur). L'époque moderne a fait son temps. La stéréotypie des gestes, des actes, des mensonges de l'Europe a accompli le cycle du dégoût (3) C'est au tour des Mongols de camper sur nos places. La violence à quoi nous nous engageons ici, il ne faut craindre à aucun moment qu'elle nous prenne au dépourvu, qu'elle nous dépasse. Pourtant, à notre gré, cela n'est pas suffisant encore, quoi qu'il puisse arriver. Il importe de ne voir dans notre démarche que la confiance absolue que nous faisons à tel sentiment qui nous est commun, et proprement au sentiment de la révolte, sur quoi se fondent les seules choses valables.

(2) Faisons justice de cette image. L'Orient est partout. Il représente le conflit de la métaphysique et de ses ennemis, lesquels sont les ennemis de la liberté et de la contemplation. En Europe même qui peut dire où n'est pas l'Orient ? Dans la rue, l'homme que vous croisez le porte en lui : l'Orient est dans sa conscience.

(3) Spinoza, Kant, Blake, Hegel, Schelling, Proudhon, Marx, Stirner, Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Nietzsche : cette seule énumération est le commencement de votre désastre.

Plaçant au-devant de toutes différences notre amour de la Révolution et notre décision d'efficace, dans le domaine encore tout restreint qui est pour l'instant le nôtre, nous : CLARTE. CORRESPONDANCE, PHILOSOPHIES, LA REVOLUTION SURREALISTE, etc., déclarons ce qui suit :

1° Le magnifique exemple d'un désarmement immédiat, intégral et sans contre-partie qui a été donné au monde en 1917 par LÉNINE à Brest-Litovsk, désarmement dont la valeur révolutionnaire est infinie, nous ne croyons pas votre France capable de le suivre jamais.

2° En tant que, pour la plupart, mobilisables et destinés officiellement à revêtir l'abjecte capote bleu-horizon, nous repoussons énergiquement et de toutes manières pour l'avenir l'idée d'un assujettissement de cet ordre, étant donné que pour nous la France n'existe pas.

3° Il va sans dire que, dans ces conditions, nous approuvons pleinement et contresignons le manifeste lancé par le Comité d'action contre la guerre du Maroc, et cela d'autant plus que ses auteurs sont sous le coup de poursuites judiciaires.

4° Prêtres, médecins, professeurs, littérateurs, poètes, philosophes, journalistes, juges, avocats, policiers, académiciens de toutes sortes, vous tous, signataires de ce papier imbécile : " Les intellectuels aux côtés de la Patrie ", nous vous dénoncerons et vous confondrons en toute occasion. Chiens dressés à bien profiter de la patrie, la seule pensée de cet os à ronger vous anime.

P. 32

5° Nous sommes la révolte de l'esprit ; nous considérons la Révolution sanglante comme la vengeance inéluctable de l'esprit humilié par vos oeuvres. Nous ne sommes pas des utopistes : cette Révolution nous ne la concevons que sous sa forme sociale. S'il existe quelque part des hommes qui aient vu se dresser contre eux une coalition telle qu'il n'y ait personne qui ne les réprouve (traîtres à tout ce qui n'est pas la Liberté, insoumis de toutes sortes, prisonniers de droit commun), qu'ils n'oublient pas que l'idée de Révolution est la sauvegarde la meilleure et la plus efficace de l'individu.

GEORGES ALTMANN, GEORGES AUCOUTURIER, JEAN BERNIER, VICTOR CRASTRE, CAMILLE FÉGY, MARCEL FOURRIER, PAUL GUITARD, G. MONTREVEL.

CAMILLE GOEMANS, PAUL NOUGÉ.

ANDRÉ BARSALOU, GABRIEL BEAUROY, EMILE BENVENISTE, NORBERT GUTERMANN, HENRI JOURDAN, HENRI LEFEBVRE, PIERRE MORHANGE, MAURICE MULLER, GEORGES POLITZER, PAUL ZIMMERMANN.

MAXIME ALEXANDRE, LOUIS ARAGON, ANTONIN ARTAUD, GEORGES BESSIERE, MONNY DE BOULLY, JOE BOUSQUET, PIERRE BRASSEUR, ANDRÉ BRETON, RENÉ CREVEL, ROBERT DESNOS, PAUL ÉLUARD, MAX ERNST, THÉODORE FRAENKEL, MICHEL LEIRIS, GEORGES LIMBOUR, MATHIAS LUBECK, GEORGES MALKINE, ANDRÉ MASSON, DOUCHAN MATITCH, MAX MORISE, GEORGES NEVEUX, MARCEL NOLL, BENIAMIN PÉRET, PHILIPPE SOUPAULT, DÉDÉ SUNBEAM, ROLAND TUAL, JACQUES VIOT.

HERMANN CLOSSON.

HENRI JEANSON.

PIERRE DE MASSOT.

RAYMOND QUENEAU.

GEORGES RIBEMONT-DESSAIGNES.

* * *

Une lettre du Cardinal Dubois

Sous la forme d'une " lettre à un catholique de Paris " le cardinal Dubois répond à des objections qu'aurait soulevées l'appel qu'il a fait à ses diocésains en faveur de l'emprunt. Il y dit, notamment :

" Je vous entends. Souscrire à l'emprunt, c'est, pour les catholiques, apporter de l'argent à un gouvernement qui n'a pas leur confiance, qui n'a rien renié d'une législation hostile à l'Eglise, qui, même aujourd'hui, sanctionne l'application de lois spoliatrices ; qui ne nous a donné aucune garantie pour l'avenir ; qui ne réagit pas suffisamment contre les partis extrêmes, partisans d'une révolution... Telles sont les principales objections. Je ne prétends pas qu'elles soient sans fondement.

Il est regrettable, en effet, que la paix religieuse – condition essentielle de la paix sociale – n'ait pas obtenu jusqu'ici des garanties suffisantes ; les catholiques de France, auxquels le gouvernement fait appel en ce moment, méritent d'être mieux traités dans leur propre pays : le redire, ce n'est offenser personne, c'est simplement réclamer les droits qui finiront bien un jour par triompher.

Mais là n'est pas la question. À quoi bon récriminer quand il s'agit du salut de la France ? C'est la France qui a besoin de notre concours ; c'est à la France que nous le donnons...

Que l'emprunt ne réussisse pas, un nouveau ministère – socialiste, celui-là – prendra le pouvoir. Ce sera le commencement d'une désorganisation sociale et religieuse dont il est impossible de prévoir les désastreux effets ; un pas de plus, et peut-être décisif, vers l'oppression sanglante dont nous menacent ceux dont le programme est " Révolution d'abord et toujours ". Est-ce cela que vous voulez ?...

" Dieu d'abord ", dans le plan religieux auquel tout se ramène, et " France... d'abord " dans le plan social où se pose et où se doit résoudre la question présente. "

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AVIS à MM. les Curés

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Écrivez ou téléphonez à FICHET S. À ., 1, rue du Grütli, GENEVE

(Journal de Genève 3 septembre 1925.)

Voilà ce qu'en quinze mois le Cartel a fait de la France : la guerre au Maroc et en Syrie, le défaitisme à l'intérieur, la banqueroute à nos portes, l'anarchie triomphante, l'insolence des révolutionnaires, la capitulation des pouvoirs publics et la résignation de l'élite.

La France est mûre pour la révolution. Ou pour le coup d'Etat.

Camille AYMARD.

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(Liberté, 17 septembre 1925.)