MÉLUSINE

titre de la revue La Révolution Surréaliste

LA RÉVOLUTION SURRÉALISTE N°3, 15 AVRIL 1925

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À Table

Quittez les cavernes de l’être. Venez. L’esprit souffle en dehors de l’esprit. Il est temps d’abandonner vos logis. Cédez à la Toute-Pensée. Le Merveilleux est à la racine de l’esprit.

Nous sommes du dedans de l’esprit, de l’intérieur de la tête. Idées, logique, ordre, Vérité (avec un grand V), Raison, nous donnons tout au néant de la mort. Gare à vos logiques, Messieurs, gare à vos logiques, vous ne savez pas jusqu’où notre haine de la logique peut nous mener.

Ce n’est que par un détournement de la vie, par un arrêt imposé à l’esprit, que l’on peut fixer la vie dans sa physionomie dite réelle, mais la réalité n’est pas là-dessous. C’est pourquoi, nous, qui visons à une certaine éternité, surréelle, nous qui depuis longtemps ne nous considérons plus dans le présent, et qui sommes à nous-mêmes comme nos ombres réelles, il ne faut pas venir nous embêter en esprit

Qui nous juge, n’est pas né à l’esprit, à cet esprit que nous voulons dire et qui est pour nous en dehors de ce que vous appelez l’esprit. Il ne faut pas trop attirer notre attention sur les chaînes qui nous rattachent à la pétrifiante imbécillité de l’esprit. Nous avons mis la main sur une bête nouvelle. Les cieux répondent à notre attitude d’absurdité insensée. Cette habitude que vous avez de tourner le dos aux questions, n’empêchera pas au jour dit les cieux de s’ouvrir, et une nouvelle langue de s’installer au milieu de vos tractations imbéciles, nous voulons dire des tractations imbéciles de votre pensée.

Il y a des signes dans la Pensée. Notre attitude d’absurdité et de mort est celle de la réceptivité la meilleure. À travers les fentes d’une réalité désormais inviable, parle un monde volontairement sibyllin.

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REVES

Collombet, 10 ans :

Un squelette vint me dire : Je veux te prendre parce qu’il y a longtemps que tu vis, petit. Je vais prendre une fourche pour t’emporter chez le diable. Arrivés chez le diable il n’y avait pas assez de place pour moi. Le diable dit : Puisqu’il n’y a pas assez de place, je vais t’avaler. Dans le ventre du diable j’ai vu plein de petits enfants. Mais le diable dit : Je ne peux plus respirer. Et il me dit : Sors de mon ventre, petit monstre. Et maintenant, va-t’en sur la terre. Le squelette revint me dire qu’il fallait que je me réveille. Mon rêve était fini.

Duval, 11 ans :

Une fois j’ai rêvé que j’étais dans ma chambre. Tout à coup mes bottes glissent sur le parquet, montent au mur. Quand elles furent tout en haut du mur, je leur crie : Envoyez-moi des cartespostales. Et quand elles furent montées, tout à coup je vois dans le mur des diables rouges avec de longues oreilles. Ils me bousculaient, ils sautaient sur le lit. Il y en a un qui s’assit sur le fauteuil. Le fauteuil se retourne vers le mur et le diable rouge est porté dans le mur, et les autres dans le parquet. Le dernier grimpe au mur. Je prends un torchon que je lui jette. Il le prend et s’en va.

Lazare, 11 ans :

Un jour j’ai rêvé qu’un chien était venu me chercher pour tuer des rats. J’ai pris un sabot et j’ai tapé sur un rat qui fut tué. Alors le chien a pris le rat et il l’a enterré dans la terre et il mit des fleurs jaunes et des roses fanées et il l’arrosait avec le besoin qu’il avait (1).

(1) Ces trois rêves d’enfants nous sont communiqués par M. J. Baucomont.

Max Morise :

J’assiste à un banquet donné en l’honneur du Surréalisme. De nombreuses tables sont dressées sur une vaste prairie. Un personnage qui joue le rôle d’André Breton, mais qui ressemble à la fois à Nikita Balieff, à Joë Zelli et au violoniste-chef du célèbre jazz-band espagnol des " Fusellas ", actuellement en tournée à Chamonix, circule parmi les convives et fait le boniment avec une exubérance toute méridionale. Son discours est continuellement ponctué d’exclamations telles que : " Nous autres Russes… Vous allez voir comment les Russes… À la russe… etc., etc. " Il roule l’R du mot Russe d’une façon menaçante et prononce l’u : ou. Vers la fin du repas, on distribue des fusils aux assistants et on les enrôle de force pour leur apprendre à faire l’exercice. Mais il y a quelques récalcitrants et je vois l’un d’eux entraîner quelques hésitants en élevant de vives protestations ; quelqu’un dit, à côté de moi : " Toujours ce Rigaut, il ne peut donc pas se tenir tranquille. " Cependant le bonimenteur, après avoir expliqué que le fascisme sera vaincu par un fascisme plus fort, un fascisme dans la manière " russe ", nous présente le fusil d’un modèle nouveau et étonnant qu’on distribue aux troupes : on a supprimé la crosse, comme acessoire inutile, et on l’a remplacée par une seconde baïonnette, perfectionnement dont il est facile de concevoir l’importance. Puis le bonimenteur essaye cette arme en tirant en l’air ; une belle fusée mauve s’élève à quelques mètres et retombe en décrivant une gracieuse parabole, à la grande joie du général et de son état-major. Le général est un personnage ventru en uniforme d’opérette, doué d’un prodigieux crâne en carton de forme pointue et couronné de quelques cheveux roux. On apporte ensuite un canon qui lance une fusée mauve plus belle que la première. Mais ce n’est rien encore : voici qu’on apporte une superbe pièce d’artillerie de taille gigantesque et de forme mal définie, mais à coup sûr bizarre ; le canon en est plusieurs fois coudé. Il a pour projectile une sphère transparente et mauve bien entendu, semblable à une bulle de savon, qui s’élève peu et vient retomber sur le crâne pointu du général où elle éclate. " Cela vaut mieux qu’un boulet de canon ", dit celui-ci avec satisfaction. En passant devant une cage où est enfermé un mouton, le bonimenteur se disculpe d’une fausse accusation portée contre lui par le général : " W… est crevé, dit-il. Vous croyiez que c’était moi qui l’avais crevé. Eh bien, pas du tout, c’est le mouton. Et le mouton, savez-vous qui l’a pris ? Eh bien, c’est le renard. Et le renard ? Eh bien, c’est le lion qui l’a pris. Et le lion ? Eh bien, c’est la nausée. " Pendant ce discours, les personnages du rêve se sont effacés et j’entends une voix qui conclut : " Parfaitement, parfaitement, acquiesça le général, sans même se demander quel pouvait être cet étrange animal. "

Antonin Artaud :

C’était un cinématographe aérien. Du haut d’un aéroplane immuable on cinématographiait l’envol d’une mécanique précise qui savait ce

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qu’elle faisait. L’air étant plein d’un ron ron lapidaire comme la lumière qui l’emplissait. Mais le phare parfois ratait l’appareil.

À la fin, nous ne fûmes plus que deux ou trois sur les ailes de la machine. L’aéroplane pendait au ciel. Je me sentais dans un équilibre odieux. Mais comme la mécanique se renversait, il nous fallut faire un tour dans le vide en nous rétablissant sur des anneaux. À la fin l’opération réussit, mais mes amis étaient partis ; il ne restait plus que les mécaniciens ajusteurs qui faisaient tourner leurs vilbrequins dans le vide.

À cet instant, un des deux fils cassa :

– Arrêtez les travaux, leur criai-je, je tombe !

Nous étions à cinq cents mètres du sol.

– Patience, me répondit-on, vous êtes né pour tomber

Il nous fallait éviter de marcher sur les ailes de la machine. Je les sentais pourtant résistantes sous moi.

– C’est que si je tombe, hurlai-je, je savais bien que je ne sais pas voler.

Et je sentis que tout craquait.

Un cri : " Envoyez les lancets ! "

Et immédiatement j’imaginai mes jambes saisies par le coup de rasoir du lasso, l’aéroplane quitter mes pieds, et moi suspendu dans le vide, les pieds au plafond.

Je ne sus jamais si c’était arrivé.

II

Et immédiatement, j’en arrivai à la cérémonie matrimoniale attendue. C’était un mariage où on ne mariait que des vierges, mais il y avait aussi des actrices, des prostituées ; et pour arriver à la vierge, il fallait passer un petit fleuve, un cours d’eau hérissé de joncs. Or les maris se renfermaient avec les vierges et les entreprenaient immédiatement.

Une entre autres, plus vierge que les autres, avait une robe à carreaux clairs, des cheveux frisés. Elle fut possédée par un acteur connu. Elle était petite et assez forte. Je regrettai qu’elle ne m’aimât pas.

La chambre dans laquelle on la mit avait une porte qui fermait mal, et à travers la fente de la porte j’assistai à son abandon. J’étais d’ailleurs assez loin de la fente, mais de tous les gens qui étaient dans la salle nul autre que moi ne s’occupait de ce qui se passait dans la chambre. Je la voyais déjà nue et debout, et j’admirais comment son impudeur était enveloppée de fraîcheur et d’une espèce de décision résolue. Elle sentait très bien son sexe, mais comme une chose absolument naturelle et normale à ce moment-là : elle était avec un jeune mari. Et donc nous la poursuivîmes en bateau.

III

Nous étions trois en robe de moine, et comme suite à la robe de moine, Max Jacob arriva en petit manteau. Il voulait me réconcilier avec la vie, avec la vie ou avec lui-même, et je sentais en avant de moi la masse morte de ses raisons.

Auparavant, nous avions traqué quelques femmes. Nous les possédions sur des tables, au coin des chaises, dans les escaliers, et l’une d’elles était ma sœur.

Les murs étaient noirs, les portes s’y découpaient nettement, et laissaient percer des éclairages de caveaux. Le décor tout entier était une analogie volontaire et créée. Ma sœur était couchée sur une table, elle était déjà grosse et avait beaucoup de manteaux. Mais elle était sur un autre plan que moi-même dans un autre milieu.

Il y avait des tables et des portes lucides, des escaliers. Je sentis que tout cela était laid. Et nous avions mis des robes longues pour masquer notre péché.

Or ma mère arriva en costume d’abbesse. Je redoutai qu’elle n’arrivât. Mais le manteau court de Max Jacob démontrait qu’il n’y avait plus rien à cacher.

Il avait deux manteaux, l’un vert et l’autre jaune, et le vert était plus long que le jaune. Ils apparurent successivement. Nous compulsâmes nos papiers.

Paul Eluard :

1

Au lieu d’une fille, j’ai un fils. Il s’est tiré une balle dans la tête, on l’a pansé, mais on a oublié de lui enlever le revolver. Il a recommencé. Je suis à table avec tous les gens que je connais. Soudain, quelqu’un que je ne vois pas arrive et me dit : " Ton fils s’est tiré sept balles dans la tête, mais il n’est pas mort. " Alors seulement, un immense désespoir m’envahit et je me détourne pour qu’on ne me voie pas pleurer.

2

Je feuillette Le Journal littéraire, d’ordinaire sans intérêt. Le numéro que j’ai dans les mains contient de nombreuses photographies de généraux et de camps d’Afrique. À la dernière page une grande photographie intitulée : " L’Armée française " représente trois soldats, l’un derrière l’autre ; mais, entre le premier et le second se trouve ma femme habillée à la mode excentrique de 1900 et qui tient à la main une ombrelle ; sur le côté un général Boër avec une longue barbe,

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une redingote et un chapeau haut-de-forme. J’apprécie vivement.

3

G… a été coquette avec son voisin ; elle a même été jusqu’à lui proposer sa photographie et son adresse – sur un ton méprisant il est vrai. Nous sommes alors devant la gare du Nord. Je tiens un pot de colle et, furieux, j’en barbouille le visage de G…, puis je lui enfonce le pinceau dans la bouche. Sa passivité augmente ma colère, je la jette en bas des escaliers, sa tête résonne sur la pierre. Je me précipite et constate qu’elle est morte. Je la prends alors dans mes bras et pars à la recherche d’une pharmacie. Mais je ne trouve qu’un bar qui est à la fois bar, boulangerie et pharmacie. Cet endroit est complètement désert. Je dépose G… sur un lit de camp et m’aperçois qu’elle est devenue toute petite. Elle sourit… Ma douleur ne vient pas de sa mort, mais de l’impossibilité de pouvoir la rendre à sa taille normale, idée qui m’affole complètement.

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Ce jour-là, je reçois, dans un jardin comme je les aime, diverses notabilités, notamment la Présidente de la République, une grande femme très belle, à peu près à l’image conventionnelle de Marianne. Nous nous promenons avec sa suite dans des allées bordées de buis et d’ifs très bien taillés. Au bout d’une allée, une grande porte composée dans sa surface de plusieurs autres portes, une dorée, une rouge, une noire, une verte et, au milieu, la plus petite, blanche. Tous les gens qui m’accompagnent ont chacun une clef différente. Je dois deviner quelle est la bonne, sinon tout le monde s’en ira. Je propose de la jouer aux cartes. Refus. Et ce n’est plus la Présidente, mais le Président de la République que j’ai à mes côtés. Il s’en va. Je l’accompagne poliment.

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Une jeune femme d’apparence très malheureuse vient me voir à mon bureau. Elle tient dans ses bras un enfant nègre. Nous ne parlons pas, je cherche comment cette femme assez jolie mais si pauvre peut avoir un enfant de cette couleur. Mais soudain elle s’avance vers moi et m’embrasse sur la bouche. J’ai alors l’impression, mais seulement l’impression, de tout comprendre.

6

C’est sur un trottoir de Paris, dans une rue déserte, que je la rencontre. Le ciel, d’une couleur indécise, me donne le sentiment d’une grande liberté physique. Je ne vois pas le visage de la femme qui est de la couleur de l’heure, mais je trouve un grand plaisir à ne pas détacher mes regards de l’endroit où il est. Il me semble vraiment passer par les quatre saisons. Au bout d’un long moment, la femme défait lentement des nœuds de rubans multicolores qu’elle a sur la poitrine et sur le ventre. Son visage apparaît alors, il est blanc et dur comme le marbre.

Pierre Naville :

I

Je me promène en compagnie de personnes indistinctes qui sont celles que précisément je cherche. Nous arrivons à une place d’où s’échappent de petites rues bordées de maisons très bruyantes ; il fait une couleur d’aquarium. À l’entrée d’une de ces rues se tient une barrière de personnes, puis, à quelque distance, une autre. Dans l’espace vide entre ces deux foules, il y a sur la droite un comptoir derrière lequel se trouve une femme (?) sans particularité aucune, qui explique quelque chose. Sur le comptoir, une verge coupée longitudinalement, semble servir de sujet de conversation. Sur la gauche, on emmène un homme défaillant. Tous sont vêtus de couleurs très claires. L’atmosphère est calme. Bien que placé loin derrière tout le monde, je vois très bien tous les détails de la scène. On dit : " C’est qu’il a voulu… " Cette phrase m’excite beaucoup. Je me jette dans la maison à droite ; au sous-sol, il y a un dancing ; à mon entrée, toutes les femmes, très fardées, et qui se ressemblent étrangement, se lèvent. L’orchestre joue, tout cherche à m’entraîner. Mais je désire indistinctement quelqu’un. Je remonte. Au premier étage, même scène. Les femmes se ressemblent toujours toutes. La maison occupe tout le champ de mon inquiétude. Et les personnes qui me suivaient, qui sont celles que je cherche, sont quelque part ici. Il me semble avoir cru reconnaître la voix de S. B.

II

Un homme jeune, vêtu assez pauvrement, est debout contre un des piliers soutenant la ligne du métropolitain qui passe boulevard Pasteur. Comme je le croise, il m’arrête et me questionne sur la technique de la peinture ; je lui donne tous les renseignements que je suis capable de lui fournir et je m’apprête à continuer mon chemin. Mais il me retient en disant à peu près : " Et puis, je dois vous dire aussi, j’aime une femme, mais elle me repousse… " Il a l’air navré, et je suis pressé de m’éloigner. Avant de le quitter, et pour paraître compatir à son chagrin, sans doute, je lui demande son nom : " À l’occasion, nous pourrons nous revoir ", ajouté-je. Il me répond : " Werther ". À l’ouïe de ce nom, j’entre dans une violente colère, mais je reste sur place à gesticuler en disant : " Ah non, par

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exemple ! s’appeler Werther et s’occuper de technique picturale ! Ah ça c’est un peu fort, vous vous appelez Werther et vous vous mêlez de cela ! "

Raymond Queneau :

Je suis à Londres, dans une des rues les plus misérables de la ville. Je marche rapidement en me demandant comment se dit urinoir en slang. Je passe devant une gare qui me paraît être avec évidence celle de Brompton Road. Dans la rue, une femme chante en français : C’est jeune. Je traverse ensuite un pont sur la Tamise, devenue excessivement petite et sur laquelle cependant naviguent quantité de navires d’un très fort tonnage. Des marins martiniquais hissent une barque sur le pont. L’animation est extraordinaire. Je me trouve alors, avec trois amis, J. B. P., L. P. et V. T. Ce dernier prétendant n’être pas encore assez " à sec " donne à chacun de nous un billet de cinq francs et une pièce de cinq centimes. Nous passons devant un magasin où sont exposées des antiquités orientales et des fétiches nègres. J. B. P. fait des passes magnétiques devant la vitrine en disant : " Il n’y a pas d’époque tertiaire. " Nous nous trouvons ensuite à la foire des Batignolles qui est d’ailleurs avenue de Clichy. Nous voulons entrer dans un musée anatomique, mais nous ne pouvons rien voir tant la foule est grande. Je veux acheter des bonbons, mais ce que je prenais pour des pastilles d’eucalyptus ce sont des cristaux d’un métal récemment découvert. À ce moment, P. me reproche de ne plus lui écrire ; et, aussitôt, je me trouve seul dans une rue, où l’embarras des voitures est considérable. La foule crie : " Ce sont les curés qui encombrent les rues. " Cependant, je n’en vois aucun. J’essaie en vain de traverser ; une femme me prend le bras et me dit : " Matrice hypercomplexe. "

Jacques-André Boiffard :

Nous roulons L. A., M. M. et moi à bicyclette vers le château du Marquis de Sade. Bientôt nous quittons la route pour suivre une voie de chemin de fer. Les rails deviennent de bois et très larges si bien que maintenant nous roulons dessus. Un écart inusité que je n’avais pas aperçu entre deux rails me précipite dans un trou à côté de la voie. Tandis que mes amis poursuivent leur chemin et que j’essaye de me hisser hors de l’eau où je suis plongé jusqu’à mi-corps, je me trouve dans un appartement du château, devant une armoire, à côté de la fidèle domestique du marquis de Sade qui est mon oncle, choisissant dans un coffret des montres et des tabatières lui ayant appartenu.

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GLOSSAIRE : J’Y SERRE MES GLOSES

A

AMERTUME – la mer s’abreuve d’écume. Je hume la mer.
ANNEAU – l’angoisse pend à nos naseaux.

C

CADAVRE – le cadenas s’ouvre : c’est Le Havre, cadastre de nos lèvres.
CALICE – un cilice de pétales.
CHEVELURE, huche des vœux voleurs de chair.
CIEL – si elle ? où elle ? ré-elle ou irré-elle ?
CLOISON – le cloître ou la prison, une loi.
CUISSES – acuité des ciseaux nus, lisses.

D

DÉCIMER – détruire les cimes.
DÉFINIR, c’est disperser. Dilemme de la démence.
DENSITÉ – dents serrées : les pierres de la cité. Dans quel site serons-nous ressuscités ?
DOMINER : délire dérisoire, dédale déchiré.

E

ECLIPSE – ellipse de clarté.
ECLOSION – écluses rompues, si nous osions !
ENIGME – je gis dans la géhenne. Est-ce une digue ou une dîme ?
ENSEVELI – serai-je bientôt lié dans les sèves ?
ENTRAILLES – l’antre du corps, et ses broussailles.
EPAVES – elles pavent la mer.
ERE – l’air que nous respirons, notre aire d’action.
ETAU – les ais, sans le couteau.
ETINCELLE – éteinte et célée sitôt ailée.
EVASION – hors du vase, vers Eve ou Sion !

F

FANTOME – enfanté par les heaumes.
FÉCONDER – profondeur des fées, te seconder et te sonder…
FIANCÉE – au fil des ans défi lancé.
FIEVRE – la sève monte, je me défie de ses lèvres.
FILIGRANE – les fils de nos organes nous lient, granules.
FLAMME – l’âme s’effile comme une lame.
FLEUVE – fleur neuve des rives.
FLORAISON, hors des raisons fletries, le flot de braise…
FOUDRE – le feu en poudre, quant va-t-il sourdre ?
FROID – fixe et roide.

G

GLACE – mirage qui craque. Il nous enlace.

H

HORLOGE – hors du cadran l’heure abrogée.
HUMAIN – la main humide, moite. L’as-tu connue, cette main ?

I

INGÉNU – le génie nu.

J

JEU – le feu de joie, la joie du feu.

L

LANGAGE – bagage lent de l’esprit.
LANGUE – la gangue des ailes, comme la lampe en est la hampe.
LÉGENDAIRE – j’entasse les pierres d’antan, dures ou légères.
LUCIDE – Lucifer de l’épée, quel suicide ?
LUXURE – l’usure du luxe charnu erre.

M

MARBRE, – arbre immuable des veines.
MÉTAMORPHOSES – maladie métaphysique des morts.
MIGRATION – migraine des oiseaux.
MINERAL – nerf durci par les râles, pierre terminale.
MURAILLES – mûres, elles se marquent de failles et de craquelures.

N

NOMBRE – l’ombre niée.

O

ORBE – courbure, l’aube des ovaires.
ORIGINEL – les os rigides naissent : je les hèle.
OSSATURE – eaux-mères saturées, déposez les structures !

P

PERSPECTIVE – l’œil perce, lumière active.

R

RACINES – sinuosités originaires des races.
RAVIN – V entr’ouvre son raVin, sa ValVe ou son Vagin.
RÉVOLUTION – solution de tout rêve.
ROSAIRE – l’érosion des prières.
RUMEUR – brume des bruits qui meurent au fond des rues.
RUSE – elle rase les murs, elle est ma muse.

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S

SAVEUR – c’est la douceur des laves.
SCEAU – sang et eau.
SÉPULCRE – urne qui sépare, je m’y épure.
STRATAGEME – étages ingénieux, stratifiés.
SUBSTANCE – suc d’existence.
SUICIDE – idée sûre de sursis.

T

TRAJECTOIRE – trace jetée : ton histoire.
TEMPORAIRE – l’horaire des tempes m’apeure.
TRONE – nos crânes le haussent, outre les zones.

V

VERTICALE – l’envers des trêves cervicales.
VÉGÉTAL – jet d’alvéoles.
VERBIAGE – herbage des mots sans vie.
VERSEAU – la mort découvre le verso des êtres.
VERTIGE – tige, vers quel litige ?
VOL – V bat de l’aile. Il a la forme d’un oiseau.
VOUTE – route incurvée, si haute !

Y

Y – fourches caudines de la mort. J’y suis lance.

(À suivre.)

Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations mutuelles. C’est dans ce but d’utilité qu’ils rédigent des dictionnaires, où les mots sont catalogués, doués d’un sens bien défini (croient-ils), basé sur la coutume et l’étymologie. Or l’étymologie est une science parfaitement vaine qui ne renseigne en rien sur le sens véritable d’un mot, c’est-à-dire la signification particulière, personnelle, que chacun se doit de lui assigner, selon le bon plaisir de son esprit. Quant à la coutume, il est superflu de dire que c’est le plus bas critérium auquel on puisse se référer.

Le sens usuel et le sens étymologique d’un mot ne peuvent rien nous apprendre sur nous-mêmes, puisqu’ils représentent la fraction collective du langage, celle qui a été faite pour tous et non pour chacun de nous.

En disséquant les mots que nous aimons, sans nous soucier de suivre ni l’étymologie, ni la signification admise, nous découvrons leurs vertus les plus cachées et les ramifications secrètes qui se propagent à travers tout le langage, canalisées par les associations de sons, de formes et d’idées. Alors le langage se transforme en oracle et nous avons là (si ténu qu’il soit) un fil pour nous guider, dans la Babel de notre esprit.

Michel LEIRIS.

Oui voici maintenant le seul usage auquel puisse servir désormais le langage, un moyen de folie, d’élimination de la pensée, de rupture, le dédale des déraisons, et non pas un DICTION-NAIRE où tels cuistres des environs de la Seine canalisent leurs rétrécissements spirituels.

ANTONIN ARTAUD.

* * *

J’ai dit à X. : N’est-ce pas, faites des pièces, mais faites-les, n’est-ce pas, de toutes pièces, faites-les en coup de vent, faites-les en coup de feu, faites-les en coup de silex, que vos personnages aient des mains de silex, et que quand ils se touchent les mains, il en sorte de la lumière.

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Nous sommes du bois dont on fait les squelettes.

* * *

Le surréalisme ne comprend rien à quelque chose.

* * *

Le cinéma est la mise en œuvre du hasard.

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La diction surréaliste est trouvée.

* * *

Attention à l’inaccessible.

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Cet homme, tous ses actes un jour né pourront qu’être pris à charge contre lui, et il le sait.

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PAMPHLET CONTRE JÉRUSALEM

Les Juifs nous ont toujours donné le spectacle de l’autoflagellation. Ce sont eux qui racontent les histoires les plus méchantes sur Israël. Ce sont eux qui se ridiculisent, qui s’accusent, qui se condamnent. Drumont petit vieillard, vous n’avez pas su y faire.

Peut-être alors pourrai-je avec plus de liberté qu’eux exprimer mon admiration pour le caractère sacré de leur mission et dénoncer, dans un écrit qui n’est pas antisémite, toute l’horreur que j’éprouve pour un nationalisme naissant, toute l’espérance que je mets en eux pour faire échec à une certaine désertion de l’esprit.

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Si l’Amérique avait été découverte (au sens où les descendants de Colomb l’entendent) par l’ouest, c’est-à-dire du côté du Pacifique, par des navigateurs orientaux, au lieu de l’être par des occidentaux du côté de l’Atlantique, sans doute n’aurions-nous pas à signaler le péril couru par l’esprit du fait que l’Asie, citadelle de tous les espoirs, est attaquée à l’ouest et à l’est. Le continent américain aurait alors été une forteresse avancée, infranchissable pour les hommes à cervelles étroites du vieux monde (comme ils disent, parlant de ce nid de guêpes, verrue de l’Asie, l’Europe).

À l’heure actuelle, la question de prendre parti dans la grande querelle de l’esprit et de la matière ne permet plus l’indifférence. Des contreforts du Thibet aux vallées grasses des fleuves colorés, aux plaines à éléphants, aux marais d’alligators, de l’Himalaya à Coromandel, de l’Amou Daria à Sakkaline, des âmes profondes sentent venir comme un océan la tempête, l’épidémie occidentale. Qu’on ne s’y trompe pas. Le Japon se contamine, s’européanise. La Russie balancée entre ses deux fragments antagonistes n’a pas affirmé sa volonté dans un sens spirituel. Partout ailleurs tout fait échec au danger, mais pour combien de temps ? Sans fracas la bataille de l’Afrique se livre ardemment. Qu’aucune défection ne se produise parmi les défenseurs du nœud de l’univers pour lesquelles il importe de prendre parti au nom de l’infini et de l’éternité !

Parmi les races d’Orient la race juive semble avoir reçu mission spéciale. Déléguée chez les ennemis, ne sont-ils pas, consciemment ou non, les serviteurs de l’esprit primitif. Race étrange. C’est un de ses individus que la chrétienté adore, crucifiés par ses compatriotes.

Les mystiques peuvent sur ce terrain poétique spéculer sur les étranges circonstances de la Passion, il n’en reste pas moins que, sans lyrisme pourtant légitime, les Juifs se sont introduits en Occident à la suite de Jésus. Une nouvelle fois la mer Rouge s’est entr’ouverte pour une conquête magnifique, mais les persécuteurs ont-ils notion de la noyade à laquelle ils sont prédestinés. Sur l’océan, le berceau de Moïse rencontre un puissant paquebot et l’air est plein de tempêtes surnaturelles en instance d’éclater.

Quel est donc leur rôle à ccs batteurs d’estrade du futur Tamerlan, quel vent les pousse, ces nouveaux Spartiates, à la suite du Léonidas crucifié et passés de la défensive à l’attaque ?

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Quoiqu’ils subissent en apparence l’influence du pays où ils vivent, l’atmosphère se transforme là où passent les Juifs. On ne les voit sans doute pas à la tête des révoltes, proclamant les vérités nécessaires à la naissance des Révolutions, mais, dans la foule, regardez ces nez busqués, ces cheveux ondulés, ces regards de velours. Issus des ghettos et des paisibles boutiques, ceux qu’on put croire acharnés à la seule poursuite de l’argent se révèlent les piliers anonymes de l’insurrection. Ils ouvraient les portes des franc-maçonneries du XVIIIe siècle aux esprits inquiets, ils sortirent au premier boulanger pendu en place de Grève, stimulant l’ardeur populaire et laissant sur leurs comptoirs luisants d’usure les trébuchets à peser l’or. Saint-Merry les vit derrière la barricade fameuse ; les plaines blanches de Sibérie, les isbas de Russie les abritèrent eux et leurs bombes ; le siècle dernier vit la destinée s’emparer de l’un d’eux et rappeler aux Français qu’ils devaient se reconnaître et se compter derrière les deux bannières ennemies du Territoire et de la Liberté.

D’autres, chargés de besogne moins évidente, laissent à leurs frères l’ingrate besogne d’agent provocateur de l’esprit. Et ce sont des banquiers et ce sont des ministres exagérant encore l’infamie de la classe ennemie qui les accueille. L’or entre leurs mains semble doué d’une vie de reptile, les Bourses oscillent sur leurs fondations néo-classiques, les cours des Rio Tinto et des mines de pétrole deviennent de sûrs instruments de démoralisation.

Emigrants falots insensibles aux coups du sort, oiseaux de passage des ports humides, usuriers en lévites noires de Fés et de Nijni-Novgorod, Monsieur le baron de Rotschild, Monsieur Dreyfus (d’autres disent capitaine), marchand de vodka et de poisson fumé de la rue des Rosiers, par des moyens différents, à votre insu peut-être, vous poursuivez le même but, vous participez à la même cause.

Enfants perdus ! enfants maudits ! l’Arabe

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crache à votre passage et vous êtes le rempart de La Mecque, le bouddhiste vous méprise et vous défendez le Gange, Lhassa vous est interdite et vous êtes parmi les serviteurs des Lamas, idées blanches dans un ciel blanc.

Fable cependant que ces haines politiques et utiles au bon accomplissement de la tache qui vous est assignée. Qu’il vous déteste ou qu’il vous défende, l’Occident est en proie aux pensées élevées que votre sillage entraîne ; vous êtes un élément de désordre chez l’ennemi de l’Orient ; les passions contre lesquelles plusieurs millénaires de civilisation méditerranéenne se sont élevés renaissent plus profondes et capables de pousser les humains aux déterminations extrêmes. Vous êtes les plus méprisés et les sacrifiés parmi les soldats de l’Asie, les bataillonnaires isolés à la merci des progroms et des lâches vengeances et cependant vous n’avez jamais faibli, jamais votre activité ne s’est ralentie.

Et cependant, voici que, né de la Société des Nations, un mouvement sentimental pousse vers la reconstruction de Sion et la fondation d’un Etat juif aussi ridicule et artificiel que la Pologne. Alors tous ces impurs, tous ces cerveaux mêlés qui affaiblissaient l’Europe au profit de l’Asie retourneront au pays sacré, portant avec eux la pire des maladies de l’esprit, le scepticisme contracté durant cette expédition de deux mille ans en pays ennemis. Le trouble qu’ils portent là où ils vont ils le porteront à la vallée étroite du Jourdain, aux rives tragiques de la mer Morte. Cette force se retournera contre ce qu’elle a mission de défendre en devenant le poste avancé des nations de l’ouest et autrement dangereux que les colonies anglaises et françaises. Les Rotschild en subventionnant l’expédition sioniste, vont à l’encontre du génie de la race.

Je sais bien qu’ils sont rares ceux qui désertent et partent retrouver le fameux mur des lamentations ou des littérateurs imbéciles ont cru voir en quelques vieillards l’esprit d’Israël retournant à son berceau. L’échec d’une pareille tentative ne fait heureusement aucun doute. Le Monaco-Monte-Carlo du Levant n’a pas encore ouvert son casino et, si les réactionnaires n’ont pas encore poussé à la roue du vieux char biblique, rien n’indique dans leur attitude un déplaisir ou une inquiétude. Tout au contraire, il faut voir en ce quasi silence une marque de joie. Ces bons politiques se frottent les mains ! leur territoire sera peut-être évacué.

Mais un courant est créé. Il ne faut pas qu’ils prennent d’importance. Il faut que les Israëlites restent en exil tant que la cause occidentale ne sera pas perdue, tant que ne sera pas écrasé cet esprit latin, grec, anglo-saxon, allemand, qui est la plus terrible menace contre l’esprit.

De Paris à Rome, de Londres à New York, d’Oxford à Hambourg, la maladie devient chaque jour plus agressive. La vieille Sadique de Genève prétend séquestrer l’âme. Les dernières libertés sont menacées. Droit à l’opium, droit à l’alcool, droit à l’amour, droit à l’avortement, droit de l’individu à disposer de lui-même, voilà ce que les sinistres bonzes de la Société des Nations sont en train de ruiner (1).

(1) À signaler aussi cette femme des lettre à ne pas fréquenter qui, d’éléguée à cet aéropage, a pour mission de combattre la li ttérature obscène (!)

Et c’est au moment où le monde a besoin des trente deniers sacrés, conservés par vous, que vous prétendez fuir ! L’idée seule d’une retraite possible doit vous révolter contre les faibles et les lâches parmi vous. Le jour approche, votre jour. Cette fois, c’est une question de vie ou de mort, pour to ut ce qui vaut d’être vécu et défendu.

Les trente deniers de Judas n’ont pas été donnés en vain. Vous les avez conservés pour racheter les rares qui valent la peine d’être sauvés. Ne les gaspillez pas à défricher des terrains sentimentaux.

C’est un trésor que tout l’or du monde ne pourrait servir à vous racheter.

ROBERT DESNOS.

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(André Masson).

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Lettre aux Recteurs des Universités Européennes

MONSIEUR LE RECTEUR,

DANS LA CITERNE ÉTROITE QUE VOUS APPELEZ " PENSÉE ", LES RAYONS SPIRITUELS POURRISSENT COMME DE LA PAILLE,

ASSEZ DE JEUX DE LANGUE, D’ARTIFICES DE SYNTAXE, DE JONGLERIES DE FORMULES, IL Y A À TROUVER MAINTENANT LA GRANDE LOI DU CŒUR, LA LOI QUI NE SOIT PAS UNE LOI, UNE PRISON, MAIS UN GUIDE POUR L’ESPRIT PERDU DANS SON PROPRE LABYRINTHE. PLUS LOIN QUE CE QUE LA SCIENCE POURRA JAMAIS TOUCHER, LA OU LES FAISCEAUX DE LA RAISON SE BRISENT CONTRE LES NUAGES, CE LABYRINTHE EXISTE, POINT CENTRAL OU CONVERGENT TOUTES LES FORCES DE L’ETRE, LES ULTIMES NERVURES DE L’ESPRIT. DANS CE DÉDALE DE MURAILLES MOUVANTES ET TOUJOURS DÉPLACÉES, HORS DE TOUTES LES FORMES CONNUES DE PENSÉE, NOTRE ESPRIT SE MEUT, ÉPIANT SES MOUVEMENTS LES PLUS SECRETS ET SPONTANÉS, CEUX QUI ONT UN CARACTERE DE RÉVÉLATION, CET AIR VENU D’AILLEURS, TOMBÉ DU CIEL.

MAIS LA RACE DES PROPHETES S’EST ÉTEINTE. L’EUROPE SE CRISTALLISE, SE MOMIFIE LENTEMENT SOUS LES BANDELETTES DE SES FRONTIERES, DE SES USINES, DE SES TRIBUNAUX, DE SES UNIVER SITÉS. L’ESPRIT GELÉ CRAQUE ENTRE LES AIS MINÉRAUX QUI SE RESSERRENT SUR LUI. LA FAUTE EN EST À VOS SYSTEMES MOISIS, À VOTRE LOGIQUE DE 2 ET 2 FONT 4, LA FAUTE EN EST À VOUS, RECTEURS, PRIS AU FILET DES SYLLOGISMES. VOUS FABRIQUEZ DES INGÉNIEURS, DES MAGISTRATS, DES MÉDECINS À QUI ÉCHAPPENT LES VRAIS MYSTERES DU CORPS, LES LOIS COSMIQUES DE L’ETRE, DE FAUX SAVANTS AVEUGLES DANS L’OUTRE-TERRE, DES PHILOSOPHES QUI PRÉTENDENT À RECONSTRUIRE L’ESPRIT. LE PLUS PETIT ACTE DE CRÉATION SPONTANÉE EST UN MONDE PLUS COMPLEXE ET PLUS RÉVÉLATEUR QU’UNE QUELCONQUE MÉTAPHYSIQUE.

LAISSEZ-NOUS DONC, MESSIEURS, VOUS N’ETES QUE DES USURPATEURS. DE QUEL DROIT PRÉTENDEZ-VOUS CANALISER L’INTELLIGENCE, DÉCERNER DES BREVETS D’ESPRIT ?

VOUS NE SAVEZ RIEN DE L’ESPRIT, VOUS IGNOREZ SES RAMIFICATIONS LES PLUS CACHÉES ET LES PLUS ESSENTIELLES, CES EMPREINTES FOSSILES SI PROCHES DES SOURCES DE NOUS-MEME, CES TRACES QUE NOUS PARVENONS PARFOIS À RELEVER SUR LES GISEMENTS LES PLUS OBSCURS DE NOS CERVEAUX.

AU NOM MEME DE VOTRE LOGIQUE, NOUS VOUS DISONS : LA VIE PUE, MESSIEURS. REGARDEZ UN INSTANT VOS FACES, CONSIDÉREZ VOS PRODUITS. À TRAVERS LE CRIBLE DE VOS DIPLOMES, PASSE UNE JEUNESSE EFFLANQUÉE, PERDUE. VOUS ETES LA PLAIE D’UN MONDE, MESSIEURS, ET C’EST TANT MIEUX POUR CE MONDE, MAIS QU’IL SE PENSE UN PEU MOINS À LA TETE DE L’HUMANITÉ.

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L’AMOUR DES HEURES, LA HAINE DU POIVRE

Un clou, deux clous, trois clous et voici notre maison bâtie. Devant elle se dresse une épée de sucre qui, sous l’influence d’un rayon de soleil, tend à devenir un monde nouveau, une planète de feuilles sèches dont le désir de rotation autour d’un couple de hérons, se manifeste pas un léger hululement qui est le signal du départ pour les 48 coureurs engagés dans la course de Paris à l’étoile polaire en passant par tous les nouveaux cinémas des capitales européennes. Les voici partis ; mais, tandis que dans les courses que nous voyons de temps à autre dans les forêts de sel, les coureurs disparaissent un à un comme des gouttes de rosée, cette fois-ci ils se multiplient à mesure que croît la distance qui les sépare de leur point de départ, sans que, pour cela, diminue celle qui les sépare de leur but. Et voici que, maintenant, leur taille devient de plus en plus élevée, si bien qu’on ne tarde pas à les confondre avec les monuments publics, puis avec les arbres des forêts, puis avec les falaises et les montagnes, puis avec l’ombre des montagnes et les voici disparus. Ils ne sont pas morts comme on pourrait le croire, mais ils sont devenus les cinq doigts de ma main qui écrit VÉROLE à l’usage de mes contemporains. Ceux-ci n’en sont pas surpris car ils savent quel usage les architectes font de la vérole, mais moi qui l’ignore je suis obligé d’attendre l’arrivée de Nestor qui répand devant moi les trésors de son intelligence sous forme de dragées remplies de fourmis, lesquelles n’ont rien de plus pressé que de sortir de leur abri pour dévorer ma chaussure, neuve par la grâce de Dieu.

– Eh bien, Nestor, qu’attends-tu pour me parler de la vérole ?

Nestor. – Un jour que je contemplais, avec toute l’attention qui convient à un pareil examen, une porte-fenêtre qui s’agitait faiblement sous la poussée du parfum des roses tapissant un parterre voisin, je vis la vitre se couvrir d’inscriptions chinoises que je ne comprenais pas. Un chien aboya si près de moi que mon fauteuil fondit sous moi comme si l’émotion lui avait coupé les jambes et je me trouvai étendu sur le dos – comme un hanneton – au milieu d’une tarte aux abricots qui s’attendait à un tout autre accueil de ma part et se vengea de mon inconvenance en me lançant au visage un jet de sulfate de cuivre, en sorte que je fus obligé de tenir, pendant un laps de temps que je puis évaluer à cinq années au moins, le rôle d’un cep de vigne atteint de phylloxera. Je n’en fus pas plus satisfait que cela et manifestai hautement mon mécontentement en m’obstinant à produire des haricots verts sautés au lieu du raisin qu’on attendait de moi.

Au bout de cinq ans donc, une ancre de marine tombant près de moi sur un champignon qui ne survécut pas à cet accident, me rendit ma forme humaine, non sans la modifier sensiblement ; par exemple, je n’avais plus que quatre orteils à chaque pied ; par contre j’avais trois testicules dont un, celui du milieu, qui avait la forme, la couleur et les dimensions d’une framboise. C’est alors que l’idée de la vérole se présenta à mon esprit : un dé à jouer dont le chiffre :- : seul était visible se planta devant mes yeux avec l’intention de s’y maintenir envers et contre tous. Néanmoins, vous devez bien penser que la volonté d’un dé à jouer ne compte pas devant celle d’un homme que n’effraye aucun péril, même pas l’idée d’un lacet de chaussure tournant au-dessus de sa tête à la vitesse de 75 nœuds à l’heure. En un clin d’œil, je fis de ce dé la paupière du macaroni. Mais, je vous le demande, que restera-t-il des paupières du macaroni et même du macaroni lorsque les pluies d’hiver et les vents de l’univers auront décoloré son visage ? Peut-être n’en subsistera-t-il même pas une graine de plafond ! Et alors, que voulez-vous qu’il advienne des rochers de céramique qui marquent l’entrée des forteresses où

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se terrent les zouaves vérolés qui veulent éviter de rencontrer les esclaves du violoncelle et les maris des farandoles qui dévastent les océans, estropient les requins, volent les carapaces des tortues et chassent les colombes de leur colombier pour y installer des perruques. Les zouaves sont d’anciennes fougères que la fantaisie du lacet de chaussure à affublées d’un pantalon bouffant pour les différencier des mandolines et des timbres-poste. Ils s’en vont par les plaines incultes pêcher, pour les bonnes d’enfant, des souris blanches dans la gueule des saumons, lesquels se prêtent très aimablement à cette opération qui satisfait leur désir de parfum. L’un d’eux, un zouave plus vérolé que les autres, au regard de moustache, s’éloigne de ses compagnons. C’est qu’il recherche l’essence de la bière et la profondeur des mers pendant les tempêtes. Il passe le long d’un fleuve large comme la main qui chavire des plumes de perroquet. Il en conclut qu’il traverse l’Amérique du sud et s’attend à rencontrer, quelques mètres plus loin, un bagnard occupé à compter les serpents de la forêt vierge. Il ne rencontre pas de bagnard, mais une barrière de défenses d’éléphants. Il la franchit et marche maintenant sur un tapis de brioches. Il ne doute plus que ce tapis le conduise à un sofa où se prélasse quelque jeune fille, jolie comme le feu, solitaire et nue qui ne demande pas mieux que de faire l’amour avec une orchidée isolée du reste du monde et ignorante au point de ne pas connaître la couleur de ses fleurs. Mais l’orchidée n’aime pas la jeune fille. Elle ne songe qu’à la vérole, son amie. Le zouave, homme d’esprit simple dont la vie n’est qu’une lente reptation autour des chevilles d’une musulmane, lui répond par un bâillement qui ne le satisfait pas. Pour se faire comprendre, elle entame les louanges de la vérole :

L’orchidée. – Zouave à la tête oblique, au crâne transparent comme la mer, toi qui naquis une nuit sur un lit de café gelé, toi dont la mère quitta tout exprès le cou d’une girafe pour te mettre au monde, tu ne connais pas la vérole, la vérole qui descend du singe. Sache donc qu’un jour une cartomancienne qui prenait un bain vit apparaître une paire de lunettes dans sa baignoire, au-dessus de ses pieds. Elle sursauta et les lunettes glissèrent à la surface de l’eau, parcourant la baignoire en tous sens. En même temps elle sentit ses seins la quitter et les vit aussitôt à la surface de l’eau, verts, délicieusement verts. L’inévitable se produisit : les lunettes rencontrèrent les seins qui, secoués d’une colère folle, bondirent hors de la baignoire.

O migraine ! ô course folle ! Les seins frappent un guerrier nègre qui garde l’appareil à douches si léger que la cartomancienne craignait qu’un souffle d’air la fît s’envoler. Et le guerrier dahoméen n’est plus qu’une addition immense des nombres de nombres de dix chiffres dont le total forme le mot : VÉROLE.

BENJAMIN PÉRET.

* * *

Il faut se faire une idée physique de la révolution.

ANDRÉ MASSON.

* * *

Nous avons moins besoin d’adeptes actifs que d’adeptes bouleversés.

ANTONIN ARTAUD.

* * *

De divers espoirs que j’ai eus, le plus tenace était le désespoir.

LOUIS ARAGON.

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DÉCADENCE DE LA VIE

Mme de Librétoile n’ose plus rentrer chez elle. Elle a peur des voiles d’étoile qui pendent mystérieusement jusqu’à terre. Une petite main grande tout au plus comme une idée de rêve lui tend mystérieusement ses doigts. Ils sont opale et elle a peur de la virginité qui est l’égale de la mort. Son mari l’oiseau-lyre chasse les pintades des nuages. Il sait que les nuages bleus contiennent des femmes adorables aux yeux verts, tandis que les nuages blancs contiennent des penseurs inouïs et des fleurs et les nuages roses des larmes et les nuages pâles des perles d’amour et les nuages mauves des lèvres de prophètes, mais les nuages noirs, les nuages du froid et du sang, sont les seuls qui contiennent les pintades étranges au geste parfait, celles qu’il veut pour expérimenter son besoin d’amour !

Ce sont de larges rêves que ceux que l’on fait en marchant dans les laves brûlantes du monde. Par instant jaillissent des météores hurlants, des êtres profanés de la souffrance ou des fantômes de femmes frêles et souriant quand même en souvenir de leur premier baiser – Un être jeune et plein de mystère. – Elles profilent leur ombre avec de grandes ombrelles faites par les ruisseaux et les violettes plus loin que toutes les dimensions connues. Une voix était près d’elles, plus près que l’oiseau-lyre :

" La Première rencontre de ces deux enfants de la poussière eut lieu dans le parc près des pois de senteur. Elle était grave comme ces femmes glacées sur la couverture des livres. Lui sentait grandir des désirs d’infini, tremblant au milieu de l’année de ses premières promiscuités.

L’infini, voyez-vous, monte sans lever les mains, alcyon de malheur, plus pur que le pain. À la première source, les anges achètent leur repas du soir ; pour ma part, je me nourris de moutarde en marchant sur la mer comme l’écume. Fatalité !

Le monde ouvre ses portes comme un manteau de fourrure. Une femme, un beau soir sur cette route d’algues, me parlait de clarté, mais ses yeux étaient pâles sous le volet de ses sourcils. La belle maison que cette main saignante au milieu de la mer. Pour frapper à sa porte j’ai une main de jade, car je gagne ma vie à perdre les sous de mon amour. Plus de détresses à craindre, plus de vices à soigner. Je n’ai jamais rien compris aux mots magiques des étoiles.

Je descends dans un monde bas comme le râle… "

Plus loin un cheval rouge buvait dans la lune les larmes du cheval d’argent qui n’était pas encore rentré.

Ce ne sont plus aujourd’hui les larmes qui vous empêchent de marcher, mais c’est la vie, l’étrange vie avec ses façades de métal et de fleurs. O Hommes de la lumière, Hommes de foi, comprenez-moi !

Je me suis promené toute la nuit dans cette rue maudite aux innombrables prophètes, cette rue qui est tout simplement maudite comme mes pas et comme mon pauvre cœur, ce dernier vestige de ma triste et médiocre existence. Ce bar sanglant ouvre son râle à mon désespoir. Voici les échafauds de chevelure que j’aime, ces nuques ciselées par des cheveux gris, ô parfum merveilleux de cette chair de femme absolument obscène. Vous tous alcools du jour au genre de madones, mes petites maîtresses à l’œil d’incendie !

Mais le plus terrible, ô peut-être, le smoking de mon ami sur le violon mon âme cet instrument désaccordé.

Cette chère atmosphère de fantômes à trois heures du matin et ces sourires crucifiant ma folle passion parmi les crachats.

O jamais, jamais ! Ma tête, ô ma tête !

Ici un personnage commence à pleurer. Tandis

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que reluit le soleil neuf des flammes de bougie dans l’antre phénoménal des glaces brisées au fond des souterrains d’une vallée lointaine. Il tremble, il s’émeut de ces sourcils qui régissent les merveilles du ciel. Un personnage qui se promène dans une forêt de jeunes filles. Ce sont tout simplement les fleurs de mes étoiles.

* * *

J’élève le débat s’il s’agit de l’amour. Ce n’est pas le premier visage pour lequel j’ai tourné les yeux, cette aurore boréale, cette aimable cendre au miel d’œillet et les doigts du soleil ces larves flétries d’un cœur maussade !

Nous sommes toujours le soir. Cherchant une élégance de folie j’avais envoyé à cette femme mes rêves dans du papier de soie ! Mes beaux rêves adorables et majestueux, Madame de Librétoile, nous en sommes restés là !

Mon ami habite un palais correct dont il fait les honneurs avec amertume. Nul repos ne trouble l’émotion de ces marbres. C’est la belle maison du désespoir à face de chien.

Il n’y a pas de journées qu’il ne médite sur l’ennui, car il n’est pas dans sa douceur des ricanements secs comme des bris de couteaux. Il porte un monocle qui lui renvoie à chaque minute l’image de sa destinée.

Destinée ! Destinée ! guide téméraire, as-tu donc jamais suivi les routes de roseaux le long des étangs de folie où sont ces petits poissons multicolores des innombrables plaisirs. Mais le plaisir lui-même, n’est-il pas couvert d’abcès, avec son manteau de nuage et ses ailes de vipère.

Le plaisir, n’avons-nous donc jamais su ce que c’est ?

* * *

Aujourd’hui 10 février 1925. Il ne s’est rien passé…

Je suis sorti dans une rue boueuse et tourmentée avec un éclair de défi dans toute ma personne et personne ne m’a répondu.

Au coin d’une impasse sordide, il y avait bien une femme adorable… Elle était habillée d’herbes folles et de myosotis et toute sa majesté renfermait la lumière, la lumière véritable, la seule lumière indispensable qui n’est pas l’imbécile lumière solaire qui trouble les rêves miraculeux, c’est-à-dire qu’elle était l’amour ! Elle était l’amour en personne avec ses étincelles de lavandes fraîches, belle matinée rieuse à l’affût des ruisseaux rêveurs. Elle était impassiblement belle, la seule route qui pouvait me convenir évidemment.

Aujourd’hui 10 février 1925, je suis devenu fou de malheur.

Ces jours-ci, l’existence nous a apporté son fracas quotidien. Les îles aux diamants bleus que nous rencontrons dans nos forêts vierges sont devenus d’inacceptables problèmes et tous les monocles des fils de la nuit sont brisés.

Nous sommes devant le procès de l’existence des choses mécaniques.

Nul n’abordera à cette rive de médiocrité s’il n’est auparavant muni de vêtements douteux. Mon vaisseau n’y abordera pas !

Mon vaisseau transporte de doux êtres pensifs. Il n’y a rien de plus agréable que ces personnages de légende à fleur de peau. Nous allons contre toute espèce de dégoût, amoureux de l’amour. Les cris qui surgissent derrière les vagues sont ceux des foules immondes qui refroidissent le cœur, mais à l’horizon que nous touchons du doigt il y a une petite lueur d’espoir et nos doigts deviennent de fictifs chemins ou de jolies majuscules sur lesquels vole l’absinthe en troupeau.

Mme de Librétoile vogue elle aussi dans ses diamants et dans ses robes majestueuses à traîne de nuit. Elle me fait des signes du haut d’un péristile de neige.

(À suivre).

JACQUES BARON.

Et cette lampe de chair et de bronze qu’on ne rencontre qu’en haut des rues, quand les maisons s’écartent pour mieux entendre l’air.

DÉDÉ SUNBEAM.

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Adresse au Pape

Le Confessionnal, ce n’est pas toi, ô Pape, c’est nous, mais, comprendsnous et que la catholicité nous comprenne.

Au nom de la Patrie, au nom de la Famille, tu pousses à la vente des âmes, à la libre trituration des corps.

Nous avons entre notre âme et nous assez de chemins à franchir, assez de distances pour y interposer tes prêtres branlants et cet amoncellement d’aventureuses doctrines dont se nourrissent tous les chatrés du libéralisme mondial.

Ton Dieu catholique et chrétien qui, comme les autres dieux a pensé tout le mal :

1° Tu l’as mis dans ta poche.

2° Nous n’avons que faire de tes canons, index, péché, confessionnal, prétraille, nous pensons à une autre guerre, guerre à toi, Pape, chien.

Ici l’esprit se confesse à l’esprit.

Du haut en bas de ta mascarade romaine ce qui triomphe c’est la haine des vérités immédiates de l’âme, de ces flammes qui brûlent à même l’esprit. Il n’y a Dieu, Bible ou Evangile, il n’y a pas de mots qui arrêtent l’esprit.

Nous ne sommes pas au monde. O Pape confiné dans le monde, ni la terre, ni Dieu ne parlent par toi.

Le monde, c’est l’abîme de l’âme, Pape déjeté, Pape extérieur à l’âme, laisse-nous nager dans nos corps, laisse nos âmes dans nos âmes, nous n’avons pas besoin de ton couteau de clartés.

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Adresse au Dalaï-Lama

Nous sommes tes très fidèles serviteurs, ô Grand Lama, donne-nous, adresse-nous tes lumières, dans un langage que nos esprits contaminés d’Européens puissent comprendre, et au besoin, change-nous notre Esprit, fais-nous un esprit tout tourné vers ces cimes parfaites où l’Esprit de l’Homme ne souffre plus.

Fais-nous un Esprit sans habitudes, un esprit gelé véritablement dans l’Esprit, ou un Esprit avec des habitudes plus pures, les tiennes, si elles sont bonnes pour la liberté.

Nous sommes environnés de papes rugueux, de littérateurs, de critiques, de chiens, notre Esprit est parmi les chiens, qui pensent immédiatement avec la terre, qui pensent indécrottablement dans le présent.

Enseigne-nous, Lama, la lévitation matérielle des corps et comment nous pourrions n’être plus tenus par la terre.

Car, tu sais bien à quelle libération transparente des âmes, à quelle liberté de l’Esprit dans l’Esprit, ô Pape acceptable, ô Pape en l’Esprit véritable, nous faisons allusion.

C’est avec l’œil du dedans que je te regarde, ô Pape, au sommet du dedans. C’est du dedans que je te ressemble, moi, poussée, idée, lèvre, lévitation, rêve, cri, renonciation à l’idée, suspendu entre toutes les formes, et n’espérant plus que le vent.

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TEXTES SURRÉALISTES

MAX MORISE :

Sources de l’Oubanghi, gonflement des péripatéticiennes dont le ventre porte le foetus mercenaire, simulation du désespoir, exécutions arbitraires de meurtriers bienfaisants, lys purs, chacals rôdants, férocité des hiéroglyphes, borborygme de l’estomac de Jéhovah, dynasties perverties par de longs siècles de triomphe et des crimes innombrables, lutteurs musclés, saucissons d’Arles, fidèles sectateurs de l’amour et de la damnation, filles-mères, Caligulas à la longue barbe et à l’œil petit, tritons et naïades, marmitons et filles de cuisine, jaguars indomptés des mers océaniennes, loufoques et scarabées, catholiques et cathareux, formes indécouvertes de la loi de la gravitation universelle, pôles, je vous porte en mon cœur. Vous êtes les engoulevents rapaces qui arrachent aux entrailles des demi-dieux la fièvre du doute qui y déroule son interminable et majestueuse procession. Vous êtes les échalas où s’enlacent les haricots verts de mon aspiration. Vous êtes météores. J’engage les hommes dépourvus de sens commun et lâches à se dévêtir des vêtements de boue séchée qu’ils portent en guise de gilet de flanelle et à se prosterner. L’époux tuera l’épouse, le fils sodomisera le père, et le vaccin châtiera l’enragé. Le flot des carapaces vermeilles commence à couler. Le lit de la Seine déborde du suc gastrique des faux prophètes. Le tonnerre a des bornes, les fromages sont accouplés aux biques, et les desseins de la Providence ne sont plus de mise. Il y a une différence capitale entre la guerre et la superstition : cette différence, c’est le poulpe aux yeux bleus, c’est le zèbre du désert, c’est la figure succulente, c’est l’Indo-Chine tout entière avec ses filles, avec ses collines, avec ses soubresauts, ses pâtisseries et ses limaçons ; c’est aussi le fond de mon palais et le seuil de mon oesophage, avec ses capitales, avec ses divinités de bois et de beurre frais, avec ses généraux à la poitrine fécale. La joute commence ; j’entre en lice et je tire un coup de revolver dans la direction du Président de la République, qui par bonheur n’atteint que le Président du Sénat. Il est mort, mais la joute continue et il ne reste qu’une heure avant le coucher du soleil. Les pigeons voyageurs se hâtent. Leur vol se fait plus lent et soudain leurs ailes se figent. Quel est ce bruit de coups de poings que j’entends sur ma nuque ? Quelle est cette voiture hermétiquement close qui passe devant mes yeux ? Où vont ces régiments en marche ?

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Mais, douleur, ma main s’est consumée et du tas de cendres sort un pingouin grotesque qui ne porte aucun insigne.

D. L. :

Je suis allée dans une chanson verte qui bleuisait de champaradis. J’y ai trouvé une gloriole en chemin qui, en m’offrant le bras, cognait un écureuil de cire. Il avait une patte de lièvre et jonglait glorieusement son avant-scène au singe-métaphore. Cirque de fantaisie, le Champaradis fleurissait sa baignoire et alla la promener en furibonde de contrebande. Chemin faisant il fut assailli par l’éléphantimage, qui, après une lutte au bord de la quelconque route s’en alla en faisant frénétiquement des signes de croix. Le paradis quitta alors le champ terrestre et se vaporisa en ce lieu qu’on sait, et comme pour être du ridicul-sauvage. D’avant tout est en écharpe de léopard l’éléphant-image s’ignora du lendemain au lendemain et toujours plus vite de manière qu’il ne resta finalement plus qu’une seule veille translucide et burlesque qui fut nommée " Beige des Prés ". Des baisers en cascade et au rouleau de phonographe y figuraient et noblement vinrent s’agenouiller devant l’étrange Baiehistoire qui vient d’être racontée.

Bleudivoire et Satinlouche étaient deux copaincopine. Ils sont nés tous deux un lundi : ce qui n’est pas suffisant. Bientôt ils iront en fuite ensemble pour mieux se quitter, car Satinlouche aime le vinaigre et Bleudivoire la messe. Chemin chemine, par vagabond et par Montrouge, la vieille chicane qui revient encore et l’innombrable saut du diable s’écorche les cuisses pour s’agraffer un pan de nuage le long des hanches. Pour tout cela n’est pas une excuse et mieux vaudrait escalader le ciel carrément et avec franchise. Mais trop de malveillance et d’éternels retours en toutes ces nuits innombrables balançent toujours ma cervelle échaffaudée et pour ce qui est de la vanité, Satinlouche l’a prise en une telle affection que les chauves-souris s’en battent en duel. Néanmoins les cascades vermoulues d’une autre sphère reparaissaient constamment devant mes fenêtres isolées et l’irréprochable oubli vint les fermer violemment. Si vite la funèbre destinée de ces deux ètres nés un lundi vient s’accrocher à la mienne et je suis encore à les traîner chacun d’une main.

* * *

La suppression de l’esclavage

Les peuples qui luttent pour leur indépendance, quand ils auront sauvé leur sol, leurs traditions, leurs coutumes et leur religion, s’apercevront qu’ils sont capables de se débarrasser de tous leurs maîtres, étrangers ou nationaux. Le goût de la liberté vient en combattant pour elle. Beaux civilisateurs, depuis Jésus jusqu’à ce jeune et brillant aviateur, gaulois devant des têtes coupées, la fin de votre règne marquera le début de l’émancipation totale de l’homme et de l’esprit. La suprématie de l’Europe ne s’appuie que sur les armes et la croix, la croix au service des armes, mais les hommes dominés ne montrent aux conquérants qu’un masque impassible derrière lequel la pensée se nourrit d’elle-même, avec toute la force de la haine. Des brutes, mais des brutes plus dangereuses encore pour vous que vos pires évangélistes puisqu’elles ne sont sensibles qu’à elles-mêmes et que vous portez en vous le néant dans lequel elles vous précipiteront.

Comment voudriez-vous que les plus stoïques d’entre ces esclaves supportent éternellement les cruautés imbéciles de la décadence blanche : en Egypte et aux Indes, les Anglais ont passé toute mesure et la révolte gronde, tous les intellectuels s’insurgent contre l’Angleterre ; en Indo Chine le blanc n’est qu’un cadavre et ce cadavre jette ses ordures au nez du Jaune ; à Java, le Hollandais bouffi vante le nombre de ses domestiques, mais de temps à autre on l’égorge et l’on garde pieusement le souvenir de Pieter Erberveld qui, déjà en 1722, rêva d’une hécatombe générale ; partout en Afrique l’homme est plus battu qu’un chien ; quand on libéra les esclaves de la Martinique et de la Guadeloupe, quand ceux-ci massacrèrent sans pitié les colons, brulèrent tout, l’armée eut peur et n’intervint pas ; on suit au Maroc l’exemple de la campagne de Chine : l’ordre est donné de tirer sur les laboureurs qui ensemencent aux environs des postes et de ne pas spécifier le sexe et l’âge en indiquant le nombre des dissidents tués ou blessés ; partout des missionnaires et des soldats, des corbeaux et des chacals, les uns couvrant les autres de leurs ténébres, mais partout aussi des révoltes, des incendies, des empoisonnements, partout des attentats et des complots. Anglais, Français, Hollandais, Italiens, Espagnols, peuples des grandes mers, peuples d’Extrême-Occident, ce n’est pas en tout cas dans vos colonies que vous trouverez un refuge quand la masse de l’Orient fondra inexorable sur vous, la masse de votre Orient, de ces pays sans colonies plus libres, plus forts et plus purs que vous : l’Allemagne, la Russie, la Chine. Ce jour-là toutes les banques du Christianisme seront fermées, le signe de l’aube remplacera au ciel et dans les esprits le signe du supplice, aucune parole ne sera plus soumise à la matière et les hommes de toutes couleurs seront absolument libres sous le regard adorable de la liberté absolue.

PAUL ELUARD.

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L’EUROPE ET L’ASIE

L’Orient rêve et respire dans une substance vitale dans laquelle l’homme et le monde de sa conscience sont plongés une fois pour toutes : hors du temps et d’une manière absolue ! Tandis que nous, en Europe, nous pensons même à ce qu’il y a derrière le monde, à la " métaphysique " comme " processus historique ", donc temporel en somme. Nous en parlons en usant de désignations telles que : esprit mondial, volonté mondiale, conscience mondiale, énergie. Mais toujours au moyen d’expressions comprenant l’action, et par là, le changement : image de notre propre existence active, toujours agitée, tendant toujours vers un but. Même Shopenhauer et Spinoza, les deux penseurs les plus contemplatifs de l’Europe ont cherché dans la réalité du monde moins une Essence au delà du temps et de l’action, qu’une Vie temporelle et agissante.

…Selon tout ceci, il nous semble que la pensée de l’Orient (comme une femme aimante s’abandonne intimement) se serre contre le cœur de la nature, tandis que la conscience de l’homme occidental est tendue et menaçante en face d’elle, toujours aux aguets et cherchant par quels moyens il pourrait en " trouver la clé " et être mis en état de l’imiter, de la corriger même ; puis toute la vitalité bariolée de l’Europe n’aboutit finalement qu’à l’apparition fantomatique de la Machine qui, comme un vampire, un fantôme spiritualisé de ce qui est vivant, se met à engloutir la vie. Car notre art constructeur et créateur lui aussi, est comme la synthèse de la chimie, purement " artificiel ", relevant d’avance de décompositions mécaniques, de morcellements, anatomisants de la vie.

C’est pour de telles raisons que nous ne comprenons pas l’adoration naïve des symboles simples et grands de la nativité, de la conception, de la fertilité, de la vie et de la mort. Et nous ne comprenons pas que l’Orient place sa vénération dans les hommes qui n’ont absolument rien fait, rien accompli, rien écrit, mais qui, ainsi que Bouddha et Laotse, ne vécurent de tous leurs sens que de la contemplation de l’immuable vivant. : immobiles, saints, sans CONDUITE DANS L’EXISTENCE, sans actions. Tandis que nous, nous trouvons notre justification, souvent même notre excuse dans l’activité. C’est justement parce que nous sentons ce que nous avons perdu que nous nous acharnons, plus pauvres de vie, sur la conception : " vie ". Dans la toute jeune philosophie européenne les formules favorites de tous les oracles sont en ce moment les dénominations telles que : vie, philosophie de la vie, contemplation immédiate, évidence adéquate, puissance de vie, intuition de l’élément vital. Et dans l’Europe actuelle il n’est rien qu’on n’entende autant rabâcher que ce chant repoussant à la louange de la vie de Fichte :

" Rien n’a de valeur et de signification que la vie. Tout ce qui est pensée, poésie, science n’a de valeur que par un rapport quelconque entre elles et la vie, qu’elles en découlent ou qu’elles comptent y aboutir. "

* * *

En écrivant ceci, je sais très bien que mon contemporain qui le lit (si un contemporain le lit) aura immédiatement quelque chose de bien plus intelligent à dire sur ce même sujet, et que navré, je devrai reconnaître, demain, qu’un professeur de philosophie aura déjà plus amplement expliqué, un poète mieux formulé ce qui me semblait créé par moi avec le sang de mon corps. Car il n’y a pas de production qui ne soit, comme telle, immédiatement surpassée. Mais l’homme, le porteur de toute cette productibilité, de tout ce savoir ? Les rapports entre ses " œuvres positives " et la vie qui les engendre et les porte sont si vagues, que même le meilleur de notre culture est plutôt su, appris, compris que vécu et souffert. C’est pour cela que " ceux qui produisent " chez nous font pour ainsi dire un jour férié en travaillant et une telle affaire d’état de leurs œuvres. Nous demandons qu’un livre nous exalte, qu’un tableau nous fasse oublier, les " œuvres " doivent nous délivrer de la réalité. Tant que la grande idée universelle du catholicisme sut créer pour l’Europe une atmosphère commune, une simple beauté naissait de l’aride vie quotidienne. Tandis qu’à présent l’un est romantisme et l’autre lutte pour la puissance, et l’homme européen " fait " des valeurs. Une des plus belles odes d’un poète allemand commence par ces mots :

" Déjà arrive l’heure pénible de la naissance

Où il naît de lui-même, l’homme instable. "

Mais c’est là justement le crime des " hommes productifs " ; dans leurs œuvres ils se font naître au lieu de se révéler. La nature même de toute vie créatrice exige qu’elle s’offre elle-même d’une manière simple et innocente ; mais la formation, la création, le travail conscient n’augmente que lui-même au delà de la nature et fait paraître de soi plus que le sang vivant ne donne, comme les chats aiment manger plus qu’ils ne sont lourds. Ces hommes d’Europe ont leurs talents, leurs adresses, leurs capacités, leur érudition et leurs techniques comme on naît avec un os surnuméraire. L’un en a ; l’autre n’en a pas. Ces célèbres imbéciles aimeraient surtout se barricader derrière leur art ou leur science, de

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manière que l’homme vivant soit simplement une " personnalité " empirique " avalée par la production objective ". La misère de cette " culture " est qu’elle extorque de l’âme la puissance et la production comme on fait fleurir en hiver du lilas dans une serre. Ces célèbres imbéciles s’imaginent que par leurs œuvres ils justifieront leur personne. Les machines de l’Europe ont plus d’esprit que ceux qui les construisent. Les livres de l’Europe sont plus nobles que ceux qui les ont écrits. Qu’on se garde de regarder de près un de ces " travailleurs " ! Et c’est ce qu’ils nomment leur objectivité.

Ils perdent toute valeur pour eux-mêmes en s’adonnant constamment à des œuvres et des valeurs objectives. Car il est bien entendu qu’ils pourraient tous aussi bien faire autre chose. Et même si ce sont des rêveurs ou des mystiques ; alors ils rêvent devant un public et disent des oracles sur la place du marché. Qu’on regarde les visages de ces penseurs, de ces artistes d’aujourd’hui ! Ne pourrait-on pas, dans certaines limites, tous les interchanger, les prendre les uns pour les autres ? Ils deviennent martials quand le canon gronde et pieux quand les cloches sonnent.

Il est caractéristique pour toute la science et la philosophie européenne, qu’elles restent toujours enracinées dans le grand mensonge humain de la " causalité ".

NOUS VOULONS CONNAITRE LA RÉALISATION, LE FAIT ACCOMPLI, LES CAUSES RÉELLES DES CHOSES ET PAR LA MEME NOUS PERDONS DE VUE LEUR VIE, TOUTES NOS SCIENCES DISSOLVENT LE MONDE EN UN NÉANT DE RELATIONS.

Le soi-disant évolutionnisme n’est autre chose que la plus faible et dernière infusion du christianisme devenu européen. La réformation mondaine de Luther était la seconde infusion. Mais depuis, la foi chrétienne est devenue de plus en plus optimiste-progressiste. " Conception satisfaisante ", ce qui veut dire : religion qui peut s’accorder avec les affaires européennes ; ceci est le but reconnu et cependant secret des sciences européennes et rien ne démontre plus clairement la décadence de la pensée philosophique que le fait suivant : même les cerveaux qui pensent reconnaissent la faculté d' " agir d’une manière satisfaisante " comme un critérium de vérité ; comme d’ailleurs l’Européen croit résoudre la question de la vérité du bouddhisme ou du nihilisme en prouvant qu’avec le bouddhisme ou le nihilisme en Europe la vie deviendrait impossible.

* * *

La sagesse de l’Asie est invinciblement pessimiste. Dans des milliers d’ouvrages, elle a approfondi les connexions inséparables de la maturité spirituelle avec la souffrance. Elle pénètre la dépendance réciproque de la connaissance et de la douleur et SAIT QUE LA CONSCIENCE EST FONCTION INALTÉRABLE DE LA DÉTRESSE. Son enseignement le plus profond (le plus profond de toute la terre) est celui de la Dukha-Satya des Indes : tout savoir est éloignement d’une petite douleur, chaque douleur la porte d’une nouvelle perfection, l’augmentation du jugement présume une augmentation de déceptions ; la connaissance est désillusion ; conscience : arrêt de la vie. En der nier lieu l’esprit est un impasse. ET CONNAISSANCE PARFAITE – DÉTOURNEMENT DE LA VIE.

Cette philosophie n’est pas européenne.

THÉODORE LESSING.

(Trad. de l’allemand par Denise Lévy.)

* * *

Je les ferai revenir à l’usage des cordes nouées.

LAO-TSEU.

Dans la haute antiquité, lorsque l’écriture n’était pas encore inventée, les hommes se servaient de cordelettes nouées pour communiquer leurs pensées.

PAUL KLEE.

Paroles parcimonieuses de l’avare.

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Lettre aux écoles du Bouddha

VOUS QUI N’ETES PAS DANS LA CHAIR, ET QUI SAVEZ À QUEL POINT DE SA TRAJECTOIRE CHARNELLE, DE SON VA-ET-VIENT INSENSÉ, L’AME TROUVE LE VERBE ABSOLU, LA PAROLE NOUVELLE, LA TERRE INTÉRIEURE, VOUS QUI SAVEZ COMMENT ON SE RETOURNE DANS SA PENSÉE, ET COMMENT L’ESPRIT PEUT SE SAUVER DE LUI-MEME, VOUS QUI ETES INTÉRIEURS À VOUS-MEMES, VOUS DONT L’ESPRIT N’EST PLUS SUR LE PLAN DE LA CHAIR, IL Y A ICI DES MAINS POUR QUI PRENDRE N’EST PAS TOUT, DES CERVELLES QUI VOIENT PLUS LOIN QU’UNE FORET DE TOITS, UNE FLORAISON DE FAÇADES, UN PEUPLE DE ROUES, UNE ACTIVITÉ DE FEU ET DE MARBRES. AVANCE CE PEUPLE DE FER, AVANCENT LES MOTS ÉCRITS AVEC LA VITESSE DE LA LUMIERE, AVANCENT L’UN VERS L’AUTRE LES SEXES AVEC LA FORCE DES BOULETS, QU’EST-CE QUI SERA CHANGÉ SANS LES ROUTES DE L’AME ? DANS LES SPASMES DU CŒUR, DANS L’INSATISFACTION DE L’ESPRIT.

C’EST POURQUOI JETEZ À L’EAU TOUS CES BLANCS QUI ARRIVENT AVEC LEURS TETES PETITES, ET LEURS ESPRITS SI BIEN CONDUITS. IL FAUT ICI QUE CES CHIENS NOUS ENTENDENT, NOUS NE PARLONS PAS DU VIEUX MAL HUMAIN. C’EST D’AUTRES BESOINS QUE NOTRE ESPRIT SOUFFRE QUE CEUX INHÉRENTS À LA VIE. NOUS SOUFFRONS D’UNE POURRITURE, DE LA POURRITURE DE LA RAISON.

L’EUROPE LOGIQUE ÉCRASE L’ESPRIT SANS FIN ENTRE LES MARTEAUX DE DEUX TERMES, ELLE OUVRE ET REFERME L’ESPRIT. MAIS MAINTENANT L’ÉTRANGLEMENT EST À SON COMBLE, IL Y À TROP LONGTEMPS QUE NOUS PATISSONS SOUS LE HARNAIS. L’ESPRIT EST PLUS GRAND QUE L’ESPRIT, LES MÉTAMORPHOSES DE LA VIE SONT MULTIPLES. COMME VOUS, NOUS REPOUSSONS LE PROGRES : VENEZ JETEZ BAS NOS MAISONS.

QUE NOS SCRIBES CONTINUENT ENCORE POUR QUELQUES TEMPS À ÉCRIRE, NOS JOURNALISTES DE PAPOTER, NOS CRITIQUES D’ANONNER, NOS JUIFS DE SE COULER DANS LEURS MOULES À RAPINES, NOS POLITIQUES DE PÉRORER, ET NOS ASSASSINS JUDICIAIRES DE COUVER EN PAIX LEURS FORFAITS. NOUS SAVONS, NOUS, CE QUE C’EST QUE LA VIE. NOS ÉCRIVAINS, NOS PENSEURS, NOS DOCTEURS, NOS GRIBOUILLES S’Y ENTENDENT À RATER LA VIE. QUE TOUS CES SCRIBES BAVENT SUR NOUS, QU’ILS Y BAVENT PAR HABITUDE OU MANIE, QU’ILS Y BAVENT PAR CHATRAGE D’ESPRIT, PAR IMPOSSIBILITÉ D’ACCÉDER AUX NUANCES, À CES LIMONS VITREUX, À CES TERRES TOURNANTES, OU L’ESPRIT HAUT PLACÉ DE L’HOMME S’INTERCHANGE SANS FIN. NOUS AVONS CAPTÉ LA PENSÉE LA MEILLEURE. VENEZ. SAUVEZ-NOUS DE CES LARVES. INVENTEZ NOUS DE NOUVELLES MAISONS.

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(ANDRÉ MASSON).

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(ANDRÉ MASSON).

La revendication du plaisir

Le cristal, les veines du bois et de la lumière, et la lumière même des alcools nécessaires à une existence prophétique, les musiques trop légères pour que nous les maudissions, les étoiles achetés à des prix dérisoires, les perles nées des jeux de l’air avec la peau des femmes, toutes ces exigences font la moelle de nos sens, ce ruisseau où nous déversons le sang pur des rêves.

Nous n’aimons que la neige et le feu, les tourmentes glacées du pôle, les victimes encore chaudes de l’espoir, les arêtes vives de flammes ou d’eau qui rongent notre ossature. Nous n’aimons que la neige et le feu de la chair, vraie densité de notre esprit. Le cours des astres dirige nos pas comme ces battements fiévreux d’artères quand un regard ou un breuvage parsème nos yeux d’aiguilles.

Les belles couleurs nous charment. Il en est qui sont pareilles aux multiples yeux de l’amour, au reflet du crime sur la lame d’un couteau, aux pas d’une vierge impure sur le miroir étrange de la mémoire. Ces couleurs, nous en parons la citadelle de nos membres, quand nos mains voudraient être des faux ou des coups de feu. Nous les brassons avec notre esprit boursouflé d’amertume, nous les serrons dans nos bras après les moments d’ivresse. Nous les bouleversons pour établir des barricades, afin d’empoisonner l’air avec notre éternité. Entre les pôles de la lumière et de l’obscurité, les larmes jaunes de la vie préparent les couleurs de la mort.

Il n’y a que les couleurs tragiques, celles qui se lovent comme les serpents entre les lianes de l’atmosphère. Il n’y a, disons-nous, que ces pigments solaires qui puissent nous prendre sang et eau. Lorsque les rues sont la proie de l’électricité, toutes les annonces rapaces nous attirent. Nous devenons phosphorescents, et ce n’est pas la lèpre. Pour ne pas leur faire honte nous tentons de porter des vêtements idéaux. Nous regardons bien en face les sphynx à tête d’épingles. Nous déjouons les complots des banquiers enfermés dans leur Bourse maussade, ceux-là qui ne lisent l’avenir que pour les besoins croupis de leurs Marchés et qui se permettent d’insulter la face du ciel au nom de leur richesse d’ordure. Prairie mouvante et molle où tous les reptiles sont tapis, nous te défions ! Nos pas sont assez purs pour échapper à tes traquenards. Nos fronts sont assez hauts pour émerger même si nous sommes engloutis et nos chevelures

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surnageront toujours pour te jeter de mauvais sorts !

Les femmes que nous aimons, corbeaux, vous les avez volées. Dans les cavernes mobiles de vos autos vous les tenez prisonnières de par la dégradation universelle. Pourceaux vendus ! Chiens prostitués ! Vous êtes les égoutiers du ciel. Tout ce quevous touchez se change en excréments. Et ces femmes adorées, nous ne les reconnaissons plus dès qu’elles vous appartiennent.

Nous réclamons celles qui de droit nous reviennent, les amies luxueuses qui portent nos couleurs, – en vertu d’une seconde de regret qui passa parfois dans leurs yeux, – au nom de l’amour essentiel que seuls nous savons traîner dans notre ombre.

Car nous valons mieux que vous, mieux que la vie de verre brisé, mieux même que l’instant fatal où notre bouche et notre éternité ne feront que deux lèvres.

JACQUES BARON ET MICHEL LEIRIS.

* * *

Description d’une Révolte prochaine

Issus de l’Est ténébreux, les civilisés continuent la même marche vers l’Ouest qu’Attila, Tamerlan et tant d’autres inconnus. Qui dit civilisés dit anciens barbares, c’est-à-dire batards des aventuriers de la nuit, c’est-à-dire ceux que l’ennemi (Romains, Grecs) corrompit. Expulsées des rives du Pacifique et des pentes de l’Himalaya, ces " grandes compagnies ", infidèles à leur mission, se trouvent maintenant face à ceux qui les chassèrent aux jours pas très lointains des Invasions.

Fils de Kalmouck, petit-fils des Huns, dépouillez un peu ces robes empruntées aux vestiaires d’Athènes et de Thèbes, ces cuirasses ramassées à Sparte et à Rome et apparaissez nus comme l’étaient vos pères sur leurs petits chevaux, et vous, Normands laboureurs, pêcheurs de sardines, fabricants de cidre, montez un peu sur ces barques hasardeuses qui, par delà le cercle polaire, tracèrent un long sillage avant d’atteindre ces prés humides et ces forêts giboyeuses. Meute, reconnais ton maître ! Tu croyais le fuir cet Orient qui te chassait en t’investissant du droit de destruction que tu n’as pas su conserver et voici que tu le retrouves de dos, une fois le tour du monde achevé. Je t’en prie, n’imite pas le chien qui veut attraper sa queue, tu courras perpétuellement après l’Ouest, arrête-toi.

Rends-nous compte un peu de ta mission, grande armée orientale devenue aujourd’hui Les Occidentaux.

ROME ? Tu l’as détruite, d’un coup de vent ou du glaive de ton allié Brennus. Rome ? Tu l’as reconstruite, tu lui as même emprunté ses lois (Droit romain, comme disent tes vieillards des tribunaux) et tu lui as donné un Pape pour bien détourner l’esprit d’Orient de son but.

ATHENES ? Celle-là, tu l’as partagée comme de l’étoffe et tu as modelé tes visages sur les visages de ses statues brisées.

Tu as même détruit en passant THEBES et MEMPHIS, mais tu te gardas bien de leur prendre quoi que cela soit. Tu ne ris pas si fort quand on te parle de Touk ank Amon.

Quand l’arrière-garde rejoignit le gros de la foule, à ta tête Charles Martel, tu la combattis, comme aux Champs Catalauniques tu te heurtas aux archanges d’Attila. Les langues que tu parles sont celles de tes anciens adversaires. Depuis une petite vingtaine de siècles tu laisses des rhumatismes historiques gagner tes membres. Il est temps que tu demandes aux hommes du Levant le mot d’ordre que tu as perdu. La route que tu suis, malgré la rotondité de la terre, ne te montrera jamais que le couchant. Rebrousse chemin (1)…

(1) Ainsi devais-tu faire quand, arrivé aux rives de l’Atlantique, après avoir ruiné le monde gréco-latin, tu transformas les bivacs en cités.

Mais quoi ? Il me semble que tu te prends au sérieux ?

Ce tapis vert ? Ces messieurs impotents, cette stupide femme de lettres ? Société des Nations, comme tu dis, en omettant, naturellement, de dire à quel capital : dix millions de cadavres frais et ce qu’il faut pour entretenir les stocks. O diplomates véreux assemblés pour rendre impossible toute guerre examinons un peu votre travail de cochons.

Il me semble que votre Société a surtout pour but la lutte contre la liberté.

En vertu de quel monstrueux principe de conservation de l’espèce, admettez-vous encore que vos associés condamnent l’avortement. Du côté du crime, l’amour s’éveille et prépare ses couteaux ; il se pourrait qu’avant peu, et en son nom qui n’a jamais signifié Paix, il y ait du sang de répandu.

En vertu de quel droit interdisez-vous l’usage des stupéfiants (2) ? Bientôt, sans doute, ô gribouilles, condamnerez-vous à mort ceux qui tenteront de se suicider sans y réussir. J’entends,

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il faut des soldats pour vos généraux et des contribuables pour vos finances.

(2) Il n’est pas inutile de signaler ici la conduite de certains mouchards bénévoles : J.-P. Liausu, Marcel Nadaud, qui mènent une immonde campagne de délation dans la presse. Plus que tous autres ceux-là ont droit au mépris intégral. En l’espèce, ces " messieurs " se conduisent comme des fripouilles accomplies.

N’est-il pas odieux, en tous cas, ce contrôle exercé sur la façon de vivre et de mourir par ceux mêmes qui sont prêts à exiger le " sacrifice de la vie ", " l’impôt du sang " pour une cause que personnellement je réprouve. Le soin de ma mort et de ma vie n’importe qu’à moi ; la patrie ? je vous demande un peu qu’est-ce que cela signifie maintenant ?

Cette même haine de l’individu et de ses droits vous a conduit à réglementer la " littérature pornographique ". Bonne occasion pour la vieille pucelle rancie qui représentait la France et les paralytiques qui représentaient les autres pays de se frotter le nombril par la pensée. Admirable spectacle : une femme de lettres, au seins tombants, discutant, avec quelle science, du crime de ces livres qui lui rappellent que voici long-temps déjà que sa décrépitude éloigne d’elle les amants vigoureux (1).

(1) La vague de pudeur chère aux journalistes n’est pas imaginaire. Elle fut la première manifestation de cet état d’esprit vulgaire qui a détourré de son sens le mot : morale, pour n’y plus voir qu’une distinction utilitaire entre un " bien " problématique et un " mal " arbitraire.

Société des Nations ! vieille putain ! Tu peux être fière de ton œuvre. Demain, par les forêts et les plaines des soldats encadrés de gendarmes revolver au poing, s’entretueront de force. Ces mêmes soldats que tu fis naître à coups de lois et de décrets. Demain, l’Amérique protestante plus imbécile que jamais, à force de prohibition, se masturbant seulement derrière ses coffres-forts et la statue de la Liberté, aura puissamment secondé l’effort du Conseil des Prud’hommes européens.

Alors l’amant lyrique et le sage se diront que le temps de la révolte de l’esprit contre la matière est venu. Le mot d’ordre primitif enfin retrouvé, surexcitera la poignée des derniers survivants à l’inquisition utilitaire. Ce que sera cette révolte spontanée, casernes et cathédrales en flammes, ou prise de pouvoir irrésistible dans un monument public : devant une table, à tapis vert, un président de République, légion d’honneur en sautoir, et ses ministres en veston emmenés par des insurgés corrects, peu importe. Ce qui importe, c’est le régime auquel aboutira ce renversement des pouvoirs.

J’ai toujours méprisé ces révolutionnaires qui, pour avoir mis un drapeau tricolore à la place d’un drapeau blanc, s’estimaient satisfaits et vivaient tranquillement, décorés par le nouvel Etat, pensionnés par le nouveau gouvernement.

Non, pour un révolutionnaire, il n’y a qu’un régime possible :

LA RÉVOLUTION, c’est-à-dire LA TERREUR

C’est l’instauration de celle-ci qui m’intéresse et son avènement seul aujourd’hui me fait encore espérer la disparition des canailles qui encombrent la vie. L’atmosphere infernale actuelle aura raison des plus nobles impulsions. Seule la guillotine peut, par des coupes sombres, éclaircir cette foule d’adversaires auxquels nous nous heurtons. Ah ! qu’elle se dresse enfin sur une place publique la sympathique machine de la délivrance. Elle sert depuis trop longtemps aux fins de la crapule.

Assassins, bandits, forbans, vous fûtes les premiers révoltés. Le parti immonde des honnêtes gens vous a consacré au dieu de la lâcheté et de l’hypocrisie. Ce que je n’aurai sans doute jamais le courage d’accomplir, vous l’avez tenté et vos têtes coupées, roulées par quelque invisible océan, s’entrechoquent ténébreusement, quelque part dans un coin de l’âme universelle.

Souhait puéril, enfantillage risible, il me plaît à moi de l’imaginer, ce " grand soir " tel qu’il sera.

Avec ses caravanes d’officiers enchaînés conduits vers l’estrade.

Avec vêtements noirs décorés de sang caillés, les diplomates et les politiciens décapités entassés au pied des réverbères. Et la trogne de Léon Daudet, et la tirelire creuse de Charles Maurras, pêle-mêle avec le gros muffle de Paul Claudel, celui de cette vieille connaissance, le maraischal de Castelnau, et tous les curés, oui tous les curés ! Quel beau tas de soutanes et de surplis, révélant des cuisses décharnées par le pou de corps de la luxure hypocrite et les sergents de ville, éventrés au préalable et ces messieurs " en bourgeois " châtrés, et les femmes de lettres depuis la Noailles jusqu’à Jean Cocteau, savamment martyrisées par les bourreaux que nous saurions si bien être.

Ah ! retrouver le langage du " Père Duchesne " pour te célébrer, époque future. Je ne parle pas des réductions à entreprendre dans le matériel des musées et des bibliothèques, mesure accessoire où le plus radical sera le mieux.

Mais l’épuration méthodique de la population : les fondateurs de famille, les créateurs d’œuvres de bienfaisance (la charité est une tare), les curés et les pasteurs (je ne veux pas les oublier, ceux-là), les militaires, les gens qui rapportent à leur propriétaire les portefeuilles trouvés dans la rue, les pères cornéliens, les mères de famille nombreuses, les adhérents à la caisse d’épargne (plus méprisables que les capitalistes), la police en bloc, les hommes et les femmes de lettres, les inventeurs de sérums contre les épidémies, les " bienfaiteurs de l’humanité ", les pratiquants et les bénéficiaires de la pitié, toute cette tourbe

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enfin disparue, quel soulagement ! Les grandes Révolutions naissent de la reconnaissance d’un principe unique : celui de la liberté absolue sera le mobile de la prochaine.

Toutes ces libertés individuelles se heurteront Par sélection naturelle l’humanité décroîtra jusqu’au jour où, délivrée de ses parasites, elle pourra se dire qu’il existe des questions autrement importantes que la culture des céréales.

QU’IL EST TEMPS ENFIN DE S’OCCUPER DE L’ETERNITÉ.

ROBERT DESNOS.

* * *

Beaux-Arts

Je ne connais du goût que le dégoût.

Maîtres, maîtres chanteurs, barbouillez vos toiles.

Plus personne n’ignore qu’il n’y a pas de peinture surréaliste. Ni les traits du crayon livré au hasard des gestes, ni l’image retraçant les figures de rêve, ni les fantaisies imaginatives, c’est bien entendu, ne peuvent être ainsi qualifiées.

Mais il y a des spectacles.

La mémoire et le plaisir des yeux : voilà toute l’esthétique.

Songez que, de cette manière, l’esprit en est venu à n’admettre que des figures invariablement rectangulaires : les coins, les bords d’un tableau, l’équilibre, la hauteur et la largeur, etc.

* * *

Comment se fait-il que ce qu’on nomme la littérature s’alimente presqu’uniquement de l’amour, et que les mots trouvent si facilement leur compte dans cet abandon, tandis que les arts plastiques en sont sevrés, ou qu’il n’y transparaît que voilé d’une façon très ambiguë ? – Il n’y a vraiment pas d’équivalent du nu dans les livres.

* * *

Le cinéma, non parce qu’il est la vie, mais le merveilleux, l’agencement d’éléments fortuits.

La rue, les kiosques, les automobiles, les portes hurlantes, les lampes éclatant dans le ciel.

Les photographies : Eusèbe, l’Etoile, Le Matin, Excelsior La Nature, – la plus petite ampoule du monde, chemin suivi par le meurtrier. La circulation du sang dans l’épaisseur d’une membrane.

S’habiller, – se dévêtir.

PIERRE NAVILLE.

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Douze phrases de Réveil

– Moisi sourire de Voltaire – Yorick adieu !

Au blond giron d’Ophélia

Salvatio et spes, spes, spes unica !

– Mer de Hùmboldt inchangée

Tycho quarante brasses de pénombre

Arzachel sans infra-rouge jusqu’à Jeudi.

– Farrago et chacal vert

O souffle Chihili !

– Pie-mère assoupie où rêve le lichanore

Coma et départ

Adieu au devoir terrestre.

– Elément 7, Intégral 120

Mort ?… Oui, mais non, point et virgule

La phrase continue.

Eucharistie à l’Universel.

Adhésion at Multiple.

– Berneval sur Bar-el-Loth

Nâvre mais crânes-cailloux pour Sébastien Melmoth.

– La têté s’écarte du linge

Le temporal gris géographiquement s’incurve et tourne

La regénèse déjà s’élabore au sous-ventre

Le signal bref ultime à la mère s’est figé

La glaise lourde d’un spectre neuf colle au visage

La limace du rouge durcit.

– Autour de la mort Monnaie

Monnaie autour de l’autruche de la Mort.

– Cadavre sitôt, zinc-sonnerie au verso.

Sans lassitude et très disposé maintenant

À commencer le voyage cosmique, il sait que si

L’amour éthérique vient à manquer, il mourra.

– Couturière à implantation artificielle instrumentale de Globe road Cephastreet 42 rétrécit de gré à gré les gants for winter time.

Curieux s’abstenir. Goûts raffinés, free and easy sans ricence.

Arleston dit qu’elle préconise (sic)

Splendidement sa rue et qu’on doit aller à Holborn pour trouver mécanique pareille.

– Adorneur de sa sainteté secrète

Furtif ascète voluptueux

Padoubni très bas prononcera : " bakkalonm ".

Au vortex-cylindre chair revomie.

Sa vioque a clamsé. Alas Mamaï !

– Crâne-oursin, sexe-gastéropode, diaphragme et foie-carapace tortue, lèvres-limaces, cœur-méduse prisonnière ; toujours la chère et fraternelle identité terrestre ; mais, 11 bis rue Verniquet, très tard dans le toit extase des lucarnes vers le ciel vert.

L’Hérétique aussi est vivant.

MAURICE BÉCHET.

P. 29

Lettre aux Médecins-Chefs des Asiles de Fous

MESSIEURS,

LES LOIS, LA COUTUME VOUS CONCEDENT LE DROIT DE MESURER L’ESPRIT. CETTE JURIDICTION SOUVERAINE, REDOUTABLE, C’EST AVEC VOTRE ENTENDEMENT QUE VOUS L’EXERCEZ. LAISSEZ-NOUS RIRE. LA CRÉDULITÉ DES PEUPLES CIVILISÉS, DES SAVANTS, DES GOUVERNANTS PARE LA PSYCHIATRIE D’ON NE SAIT QUELLES LUMIERES SURNATURELLES. LE PROCES DE VOTRE PROFESSION EST JUGÉ D’AVANCE. NOUS N’ENTENDONS PAS DISCUTER ICI LA VALEUR DE VOTRE SCIENCE, NI L’EXISTENCE DOUTEUSE DES MALADIES MENTALES. MAIS POUR CENT PATHOGÉNIES PRÉTENTIEUSES OU SE DÉCHAINE LA CONFUSION DE LA MATIERE ET DE L’ESPRIT, POUR CENT CLASSIFICATIONS DONT LES PLUS VAGUES SONT ENCORE LES SEULES UTILISABLES, COMBINE DE TENTATIVES NOBLES POUR APPROCHER LE MONDE CÉRÉBRAL OU VIVENT TANT DE VOS PRISONNIERS ? COMBIEN ETES-VOUS, PAR EXEMPLE, POUR QUI LE REVE DU DÉMENT PRÉCOCE, LES IMAGES DONT IL EST LA PROIE SONT AUTRE CHOSE QU’UNE SALADE DE MOTS ?

NOUS NE NOUS ÉTONNONS PAS DE VOUS TROUVER INFÉRIEURS À UNE TACHE POUR LAQUELLE IL N’Y A QUE PEU DE PRÉDESTINÉS. MAIS NOUS NOUS ÉLEVONS CONTRE LE DROIT ATTRIBUÉ À DES HOMMES, BORNÉS OU NON, DE SANCTIONNER PAR L’INCARCÉRATION PERPÉTUELLE LEURS INVESTIGATIONS DANS LE DOMAINE DE L’ESPRIT.

ET QUELLE INCARCÉRATION ! ON SAIT, – ON NE SAIT PAS ASSEZ – QUE LES ASILÉS LOIN D’ETRE DES asiles, SONT D’EFFROYABLES GEOLES, OU LES DÉTENUS FOURNISSENT UNE MAIN-D’ŒUVRE GRATUITE ET COMMODE, OU LES SÉVICES SONT LA REGLE, ET CELA EST TOLÉRÉ PAR VOUS. L’ASILE D’ALIÉNÉS, SOUS LE COUVERT DE LA SCIENCE ET DE LA JUSTICE, EST COMPARABLE À LA CASERNE, À LA PRISON, AU BAGNE.

NOUS NE SOULEVERONS PAS ICI LA QUESTION DES INTERNEMENTS ARBITRAIRES, POUR VOUS ÉVITER LA PEINE DE DÉNÉGATIONS FACILES. NOUS AFFIRMONS QU’UN GRAND NOMBRE DE VOS PENSIONNAIRES, PARFAITEMENT FOUS SUIVANT LA DÉFINITION OFFICIELLE, SONT, EUX AUSSI, ARBITRAIREMENT INTERNÉS. NOUS N’ADMETTONS PAS QU’ON ENTRAVE LE LIBRE DÉVELOPPEMENT D’UN DÉLIRE, AUSSI LÉGITIME, AUSSI LOGIQUE QUE TOUTE AUTRE SUCCESSION D’IDÉES OU D’ACTES HUMAINS. LA RÉPRESSION DES RÉACTIONS ANTISOCIALES EST AUSSI CHIMÉRIQUE QU’INACCEPTABLE EN SON PRINCIPE. TOUS LES ACTES INDIVIDUELS SONT ANTISOCIAUX. LES FOUS SONT LES VICTIMES INDIVIDUELLES PAR EXCELLENCE DE LA DICTATURE SOCIALE ; AU NOM DE CETTE INDIVIDUALITÉ QUI EST LE PROPRE DE L’HOMME, NOUS RÉCLAMONS QU’ON LIBERE CES FORÇATS DE LA SENSIBILITÉ, PUISQU’AUSSI BIEN IL N’EST PAS AU POUVOIR DES LOIS D’ENFERMER TOUS LES HOMMES QUI PENSENT ET AGISSENT.

SANS INSISTER SUR LE CARACTERE PARFAITEMENT GÉNIAL DES MANIFESTATIONS DE CERTAINS FOUS, DANS LA MESURE OU NOUS SOMMES APTES À LES APPRÉCIER, NOUS AFFIRMONS LA LÉGITIMITÉ ABSOLUE DE LEUR CONCEPTION DE LA RÉALITÉ, ET DE TOUS LES ACTES QUI EN DÉCOULENT.

PUISSIEZ-VOUS VOUS EN SOUVENIR DEMAIN MATIN À L’HEURE DE LA VISITE, QUAND VOUS TENTEREZ SANS LEXIQUE DE CONVERSER AVEC CES HOMMES SUR LESQUELS, RECONNAISSEZ-LE, VOUS N’AVEZ D’AVANTAGE QUE CELUI DE LA FORCE.

P. 30

IDÉES

La réalité est l’absence apparente de contradiction.

Le merveilleux, c’est la contradiction qui apparaît dans le réel.

* * *

L’amour est un état de confusion du réel et du merveilleux. Dans cet état les contradictions de l’être apparaissent comme réellement essentielles à l’être.

* * *

Où le merveilleux perd ses droits commence l’abstrait.

* * *

Le fantastique, l’au-delà, le rêve, la survie, le paradis, l’enfer, la poésie, autant de mots pou rsignifier le concret.

* * *

Il n’est d’amour que du concret.

* * *

…Et puisqu’ils tiennent à écrire, il leur reste à écrire une métaphysique de l’amour.

* * *

Pour répondre à une certaine objection au nominalisme, forcer les gens à remarquer ce qui passe au début du sommeil. Comment l’homme alors se parle, et par quelle insensible progression il se prend à sa parole, qui apparaît, se réalise, et lorsqu’enfin elle atteint sa valeur concrète, voilà que le dormeur rêve, comme on dit.

* * *

Le concret c’est l’indescriptible : à savoir si la terre est ronde, que voulez-vous que ça me fasse ?

* * *

Un homme que la psychologie déconcerte.

* * *

L’inventeur du mot physionomiste.

* * *

Dieu est rarement dans ma bouche.

* * *

Il y a un style noble, quant à la pensée.

LOUIS ARAGON.

P. 31

L’ACTIVITÉ DU BUREAU DE RECHERCHES SURRÉALISTES

Le fait d’une révolution surréaliste dans les choses est applicable à tous les états de l’esprit,
à tous les genres d’activité humaine,
à tous les états du monde au milieu de l’esprit,
à tous les faits établis de morale,
à tous les ordres d’esprit.

Cette révolution vise à une dévalorisation générale des valeurs, à la dépréciaation de l’esprit, à la déminéralisation de l’évidence, à une confusion absolue et renouvelée des langues,
au dénivellement de la pensée.
Elle vise à la rupture et à la disqualification de la logique qu’elle pourchassera jusqu’à extirpation de ses retranchements primitifs.
Elle vise au reclassement spontané des choses suivant un ordre plus profond et plus fin, et impossible à élucider par les moyens de la raison ordinaire, mais un ordre tout de même, et perceptible à l’on ne sait quel sens…, mais perceptible tout de même, et un ordre qui n’appartient pas tout à fait à la mort.
Entre le monde et nous la rupture est bien établie. Nous ne parlons pas pour nous faire comprendre, mais seulement, à l’intérieur de nous-mêmes avec des socs d’angoisse, avec le tranchant d’une obstination acharnée nous retournons, nous dénivelons la pensée.
Le bureau central des recherches surréalistes s’applique de toutes ses forces à ce reclassement de la vie.
Il y a toute une philosophie du surréalisme à instituer, ou ce qui peut en tenir lieu.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’établir des canons, ses préceptes.
Mais de trouver :

1° Des moyens d’investigation surréaliste au sein de la pensée surréaliste ;

2° De fixer des repères des moyens de reconnaissance, des conduits, des îlots.

On peut, on doit admettre jusqu’à un certain point une mystique surréaliste, un certain ordre de croyances évasives par rapport à la raison ordinaire, mais toutefois bien déterminées, touchant à des points bien fixés de l’esprit.
Le surréalisme, plutôt que des croyances, enregistre un certain ordre de répulsions.
Le surréalisme est avant tout un état d’esprit, il ne préconise pas de recettes.
Le premier point est de se bien placer en esprit.
Nul surréaliste n’est au monde, ne se pense dans le présent, ne croit à l’efficacité de l’esprit-éperon de l’esprit-guillotine, de l’esprit-juge, de l’esprit-docteur, et résolument il s’espère à côté de l’esprit.
Le surréaliste a jugé l’esprit.
Il n’a pas de sentiments qui fassent partie de lui-même, il ne se reconnaît aucune pensée. Sa pensée ne lui fabrique pas de monde auquel raisonnablement il acquiesce.
Il désespère de s’atteindre l’esprit.
Mais enfin il est dans l’esprit, c’est de l’intérieur qu’il se juge, et devant sa pensée le monde ne pèse pas lourd. Mais dans l’intervalle de quelque perte, de quelque manquement à lui-même, de quelque résorbption instantanée de l’esprit, il verra apparaître la bête blanche, la bête vitreuse et qui pense.
C’est pourquoi il est une Tête, il est la seule Tête qui émerge dans le présent. Au nom de sa liberté intérieure, des exigences de sa paix, de sa perfection, de sa pureté, il crache sur toi, monde livré à la desséchante raison, au mimetisme embourbé des siècles, et qui as bâti tes maisons de mots et établi tes répertoires de préceptes où il se peut plus que le surréel esprit explose, le seul qui vaille de nous déraciner.

ANTONIN ARTAUD.

Ces notes que les imbéciles jugeront du point de vue du sérieux et les malins du point de vue de la langue sont un des premiers modèles, un des premiers aspects de ce que j’entends par la Confusion de ma langue. Elles s’adressent aux confus de l’esprit, aux aphasiques par arrêt de la langue. Que voilà pourtant bien des notes qui sont au centre de leur objet. Ici la pensée fait défaut, ici l’esprit laisse apercevoir ses membres. Que voilà des notes imbéciles, des notes, primaires comme dit cet autre, " dans les articulations de leur pensée ". Mais des notes fines vraiment.
Quel esprit bien placé n’y découvrira un redressement perpétuel de la langue, et la tension après le manque, la connaissance du détour, l’acceptation du mal-formulé. Ces notes qui méprisent la langue, qui crachent sur la pensée.
Et toutefois entre les failles d’une pensée humainement mal construite, inégalement cristallisée, brille une volonté de sens. La volonté de mettre au jour les détours d’une chose encore mal faite, une volonté de croyance.
Ici s’installe une certaine Foi,
mais que les coprolaliques m’entendent, les aphasiques, et en général tous les discrédités des mots et du verbe, les parias de la Pensée.
Je ne parle que pour ceux-là.