Benjamin Péret

Le Grand jeu, 1928

 

LE GRAND JEU, 1928

À André Breton

S’ESSOUFFLER

À Max Morise

Ah fromage voilà la bonne madame

Voilà la bonne madame au lait

Elle est du bon lait du pays qui l’a fait

Le pays qui l’a fait était de son village

Ah village voilà la bonne madame

Voilà la bonne madame fromage

Elle est du pays du bon lait qui l’a fait

Celui qui l’a fait était de sa madame

Ah fromage voilà du bon pays

Voilà du bon pays au lait

Il est du bon lait qui l’a fait du fromage

Le lait qui l’a fait était de sa madame

ATTENTION AU SIMOUN

À Picasso

La chaleur pousse du brasier de saules

arrache les herbes et les plumes de la cervelle du pirate

Le pirate est un homme de taille

qui envie les arbres à cause de leurs oiseaux

et roule sur les dunes comme une pierre à fusil

Il attend sur le rocher sévère

debout au milieu des merveilles

que la main s’éloigne comme la terre du navire qui la fuit

Il attend que les yeux de ses maîtresses

renaissent des glands qui les simulent

Il attend que les flocons de neige tombés à ses pieds

s’envolent comme des mouches

Il attend que la chair recouvre les squelettes

et les squelettes recouvrent la campagne

recouvrent la chair des héros au nez fendu par le rire

recouvrent les villes tourmentées par les ornements sacerdotaux

courent après les nuages qui se tordent comme des serpents

et fixent les miroirs obsédants

Pirate tu es un squelette et le plus pâle le plus fragile le

plus lumineux

celui dont les bergers disent les pieds dans l’eau

Voici un beau mariage Comme il semble l’aimer

Pirate tu es un squelette

un de ceux qu’on devine chaque jour

sous les apparences de la raison

un de ceux qui s’ennuient devant une fontaine

et demandent une danseuse jolie à rougir

nue sous un manteau de sel

LE MALADE IMAGINAIRE

Je suis le cheveu de plomb

qui tombe d’astre en astre

et deviendra la comète

qui te détruira dans un an et un jour

Maintenant il n’y a ni jour ni année

il y a une plante impeccable

dont tu voudrais être l’égal

Pour être l’égal des plantes

il faut être grand dans la vie

et solide dans la mort

Or je suis seul immobile et muet comme un astre

les pieds baignant dans les nuages

qui comme autant de bouches

me condamnent à rester parmi les êtres immobiles

désespoir des plantes

Pourtant un jour les liquides révoltés

jailliront vers les nuages

armes meurtrières

maniées par des femmes bleues

comme les yeux des filles du nord

Et ce jour-là sera dans un an et un jour

 

LES TEMPS RÉVOLUS

Le soleil de ma tête est de toutes les couleurs

C’est lui qui brûle les maisons

de paille

où vivent les seigneurs échappés des cratères

et les belles dames qui naissent chaque matin

et meurent chaque soir

comme les moustiques

Moustique de toutes les couleurs

que viens-tu faire ici

Il fait un soleil de chien

et la houle secoue les montagnes

maintenant que les montagnes

nagent sur une mer de lumière

une mer sans vie sans poids sans chaleur

où je ne mettrai pas le bout de mon pied

A TRAVERS LE TEMPS ET L’ESPACE

Attendre sous le vent et la neige des astres

la venue d’une fleur indécente sur mon front décoloré

comme un paysage déserté par les oiseaux appelés soupirs

du sage

et qui volent dans le sens de l’amour

voilà mon sort

voilà ma vie

Vie que la nature a faite pleine de plumes

et de poisons d’enfants

je suis ton humble serviteur

Je suis ton humble serviteur et je mords les herbes des nuages

que tu me tends sur un coussin qui

comme une cuisse immortelle

conserve sa chaleur première et provoque le désir

que n’apaiseront jamais

ni la flamme issue d’un monstre inconsistant

ni le sang de la déesse

voluptueuse malgré la stérilité d’oiseau des marécages intérieurs

LES OREILLES FUMÉES NE REPOUSSERONT PLUS

Jadis une banane habituée au chenil

sautait les haies de son cerveau

cataracte de poissons perdus dans la montagne

Jadis les plumes des nuages s’envolaient

si loin que nul navigateur

malgré la pluie de suie et les oeillades des nègres

ne les pouvait saisir comme un coquillage amoureux

Jadis les eaux salées dansaient

et les forêts des pauvres roulaient sur les versants

mais aujourd’hui que les fontaines blanches

ont jeté dans les vallons les doigts de leurs ancêtres

que les routes ont tué leurs 70 animaux

que les saisons s’ennuient comme des prisonnières

que les souffles usés des plantes de la mer

ont rejeté dans les cavernes de la folie

les enfants blonds du réséda

une femme les cheveux teintés par ses songes

se promène dans les déserts et regarde les puits

O puits de mes amies vous êtes des oiseaux

et les oiseaux de mon CŒUR vous entourent

Ils sont bleus verts rouges incolores et sans saveur

ils ont la forme de mes ongles

et sont aussi nombreux que mes chiffres

O puits de mes amies vous êtes des syllabes

qui courent le long des falaises

des liquides perdus dans un nuage sonore

et je vous attends au bord de la figure VII

où les anneaux de mes yeux s’enchaînent comme des fleurs

où le bruit de mes pas croît comme une catapulte

L’AVENIR EST AUX AUDACIEUX

Sous les pas de l’horizon

se creuse le puits d’amour

qu’on appelle vesce de moine

O puits qui rends visibles les étoiles à midi

et le soleil dans les cheveux des saisons

j’attends le jour simple comme un fruit

où légère une certaine Arcadie

descendant le long de l’horizon

offrira aux enfants de l’éclipse mortelle

son corps vierge et nu

marqué entre les seins d’un signe égalitaire

LES BEAUTÉS DU CIEL ET DE LA TERRE

Un grand monsieur aux cheveux salés

voulait être musicien

mais il était seul dans la vallée

avec trois accordéons

Le premier accordéon achevait de pourrir

Dans la simplicité de son âme

il aurait voulu être cheval

mais il y avait une lampe qui brûlait

qui brûlait

Le second accordéon tremblait

comme une maison au passage de sa sœur

C’est qu’il était une grande ville

qui trompait ses habitants
avec son maire

bête comme un pied de biche

Le troisième accordéon

aurait dévoré la terre et les oiseaux

s’il en avait eu l’envie

Mais c’était un sage

à la manière des orties

et il se contentait d’envier les animaux immobiles

Mais me direz-vous

le monsieur qui voulait être musicien

Il avait eu le temps de mourir

et le loisir de fumer

et c’était cette fumée qui montait de la terre vers les nuages

UNE TROMBE PAR TRIBORD

LE CASQUE DE L’INCONNUE

Le vent la voix des insectes

caressent la joue du mélomane mourant

L’un d’eux plus grand que les autres

saute d’une illusion à l’autre

avec un rire muet

qui glace les os livides des déments

Ils sont mourants eux aussi

et ils rient parce que le rire est leur dernière cartouche

et qu’ils veulent tuer un soupir éternel

Mais ils meurent

et leur mort change l’ordre des désirs humains

Un jeune homme pâle

dont les yeux électriques sont les phares des forêts

recueille leur poussière

Il en enduit son front qui devient un canon épouvantable

dirigé contre la destinée de chacun

Et c’est fini

les nuages lassés du ciel sont tombés sur la terre

qui achève de cracher ses derniers animaux

JÉSUS DISAIT A SA BELLE-SŒUR

Nous avons fait le fumier

pour les fumières

l’évangile pour le crottin

et le malin pour la mâtine

En ce temps-là

la terre avait la forme d’un sabot de cheval

et le reste était à l’avenant

Les tapis précieux

paraient les arbres les plus nobles

et les maisons antiques

tourbillonnaient dans le soleil et la pluie

Alors une dame passa

et découvrit son ventre

SAMSON

Or nous délégués par les sceptres

traversions les plaines lustrées de l’arachnéenne chance

Aussi loin que les yeux les plus vils pouvaient contempler

le triangle de sel

les poids du sommeil tombaient lourdement

Tombez poids

c’est grâce à vous que la nuit est plus blanche que l’ombre

et se revêt des robes ajourées de la montagne

Arrivez sources de ma main et réchauffez les ossements des

glaciers

Arrivez sources de ma main et gelez les regards assombris

car tout regard qui s’assombrit

se plongera demain dans les révérences des miroirs

et les collines se cacheront sous les rendez-vous

C’est que les collines connaissent le langage des révérences

et savent la valeur des soupirs outremer

que poussent les longs cheveux blonds des S

Collines asseyez-vous sur le poids mort des lac

car les larmes de vos pieds se perdent sur leurs bords

qui n’ont de limite que votre voix

si bouclée que s’y perdent les renards de vos oreilles

Ah si les collines voulaient se lier aux cygnes

que les nuages seraient rouges et promptes les floraisons

Hélas les collines s’en vont sur le chemin de sang

qui les mènera aux rocs de fumée et de torture

que protègent les mètres et les hôtels

Mais la colline n’est plus que le poteau du paysage

et le paysage n’est plus que le poteau de lui-même

Hé poteau Hé paysage Qu’attends-tu Voici le chien des

pentes

Sois la vague et le bourreau la lance et l’orée

et que l’orée soit l’étincelle qui va du cou de l’amante à

celui de l’amant

et que se perde la lance dans la cervelle du temps

et que la vague porte la poutre

et que la poutre soit une hirondelle

blanche et rouge comme mon CŒUR et ma peur

Mais l’hirondelle ne sera jamais le paysage à fleur de peau

qui se cache comme le vent sur ton doigt séché

qui se roule en boule dans les tuyaux de la neige

Mais que le paysage découvre la caresse des collines mordues

par les étoiles

et les ponts s’ouvriront comme des oranges

Mais jamais les étoiles ne suivront le sillage des poissons

étoilés

car leur mort est une question d’étoile

et les étoiles s’en iront désormais attaquer les bateaux

Bateaux vrilles feuilles onguents et chiffres

chiffres liqueurs visages pistes sourires bateaux et ail

pointes bateaux cheveux ours mon amour bateaux

Conduisez la reine au port herbe tremblante qui coule

comme une aiguille malgré son chas

conduisez la reine et son miroir

car la reine n’a pas de bateaux

la reine n’a pas d’aiguille

la reine n’a pas de miroir

LES BELLES MANIÈRES

À la lumière des cravates

on découvre les cœurs

et la saveur salée

des cheveux des servantes

Évente-toi si tu peux

le portier est aux hôtes

et les chats les chiens les cascades et les morts

Dans le port il y a un cerf malade

il a mangé des noix

Sa voix est chaude comme un astre

il regrette les autos des routes

et les poissons d’eau douce

Il a mangé des noix

des noix sans voix et sans chaleur

et sa peau se désole

comme une mine de charbon

LES JEUNES FILLES TORTURÉES

Près d’une maison de soleil et de cheveux blancs

une forêt se découvre des facultés de tendresse

et un esprit sceptique

Où est le voyageur demande-t-elle

Le voyageur forêt se demande de quoi demain sera fait

Il est malade et nu

Il demande des pastilles et on lui apporte des herbes folles

Il est célèbre comme la mécanique

Il demande son chien

et c’est un assassin qui vient venger une offense

La main de l’un est sur l’épaule de l’autre

C’est ici qu’intervient l’angoisse une très belle femme en

manteau de vison

Est-elle nue sous son manteau

Est-elle belle sous son manteau

Est-elle voluptueuse sous son manteau

Oui oui oui et oui

Elle est tout ce que vous voudrez

elle est le plaisir tout le plaisir l’unique plaisir

celui que les enfants attendent au bord de la forêt

celui que la forêt attend auprès de la maison

AVENTURES D’UN ORTEIL

Sors de l’urne

dit l’hortensia à son complice

Et toi de ton Hortense lui répond la mandoline

qui n’était mandoline qu’à la faveur d’un rayon de soleil

ou d’une pièce de vingt sous tombée la nuit dans un ravin

La pièce de vingt sous se dresse comme une reine

et dit aux rochers dont les lèvres tremblent

Le grand crime aura lieu demain

mais il n’y a pas de crime sans chapeau

il n’y a pas de crime sans étincelle

il n’y a pas de crime sans potasse

il n’y a pas de crime sans brebis

Et le grand crime n’aura pas lieu

car la terre est vide

les yeux se séparent des lunettes

et les ministres suppriment les corbillards

qui encombrent la voie lactée

RÉFORME

En traîneau sur la Néva

je glisse translucide

entouré d’hippocampes blancs

Petit cul pâle

que viens-tu faire ici

les casse-noisettes ont fermé leurs oreilles

les champignons poussent sur la fonte

Il n’y a plus que nous qui pensons aux gommes à effacer

SOUFFRE-DOULEURS

Robes courtes qui revenez

dites à l’essence des yeux

les détours sont inconnus au fond des nébuleuses

Les danses des métaux nus

jaillirent un matin du ventre d’un prélat

mais le calendrier accroupi sur le bateau

fiente dans la mer des jours décomposés

Des bancs de harengs saurs qui les avaient mangés

s’étalèrent en ligne de combat

et

bouche à bouche nous nageons depuis les temps primaires


FLAMME BLEUE


L’heure du rendez-vous arrive sous la poterne avec

quatre aiguilles en fibres de palmier Avons-nous oublié les

huit souvenirs que nous avons promis Non l’oiseau du

paradis s’est déplumé sur un front qui n’est pas le mien

Quelle occasion pour perdre ce baiser Anis del oso pourquoi

l’avez-vous teint Les soupirs de la chair fraîche ne sont

pas pour la vieille mousse j’en appelle aux éventails que

nous aimons pour leur cours limité par un bras de levier

facilement mesurable Sur notre route des gouttes de sang

coulant d’un vagin noir que nous voulons ignorer sont

là pour nous reprocher d’avoir écrasé un papillon du soir

sorti par l’une quelconque de nos narines

LE PLUS LOINTAIN VISAGE

C’était un bras de fumée qui s’agitait comme un soleil

Mais si le soleil est plein comme une outre

le bras s’éloigne de l’avenue

tel le boiteux que poursuit une fourmi

Si le soleil est un pied d’enfant

espère La clavicule rougit dans sa gaine

et la pomme s’envole vers l’hirondelle

Hélas l’hirondelle blanchit

sans se soucier du péril qui la menace

et la pomme usée comme un couteau d’amour

pleure en retournant aux fontaines noircies

Si le soleil s’ennuie dans son tombeau

nul époux ne caressera la route

nulle épouse ne secouera la pluie

mais sur la vierge ceinture de l’envolée

quelle main insensible signera BARBICHE

à l’heure où les eaux évadées de leurs prisons

diront au soleil mou

Tu es la barbiche et je suis le moineau

PIEDS ET POINGS LIÉS

Quand je serai le cheval de pierre

debout devant l’éternité

je demanderai aux divinités des plantes

le manteau de pluies indispensable aux voyageurs éternels

Aujourd’hui je suis dans le puits glacé

où pleurent les madones noyées par leurs larmes et la pluie

éternelle

qui recouvre les pensées des hommes

leurs souvenirs et leurs ambitions déjà flétris

par une main inexperte

et incolore comme l’eau d’une carafe

où vit cependant l’œil de ma bien aimée

couleur de citron et d’orage implacable

MES DERNIERS MALHEURS

À Yves Tanguy

270 Les bouleaux sont usés par les miroirs

441 Le jeune pape allume un cierge et se dévêt

905 Combien sont morts sur des charniers plus doux

1097 Les yeux du plus fort

emportés par le dernier orage

1371 Les vieux ont peut-être interdit aux jeunes

de gagner le désert

1436 Premier souvenir des femmes enceintes

1525 Le pied sommeille dans un bocal d’airain

1668 Le CŒUR dépouillé jusqu’à l’aorte

se déplace de l’est à l’ouest

1793 Une carte regarde et attend

Les dés

1800 Vernir il s’agit bien d’autre chose

1845 Caresser le menton et laver les seins

1870 Il neige dans l’estomac du diable

1900 Les enfants des invalides

ont fait tailler leur barbe

1914 Vous trouverez du pétrole qui ne sera pas pour vous

1922 On brûle le bottin place de l’Opéra

PORTRAIT D’ANDRÉ BRETON

Les gazelles ont caressé leur mémoire

Il en sort tout un équipage

avec de grandes dames sans yeux

un beau visage découvert

une voiture dont les oreilles écoutent écoutent écoutent et

meurent d’ennui

L’ennui cultivé en des serres inestimables

se développe en capitaine de forbans

J’en suis

PORTRAIT DE PAUL ÉLUARD

Les dents sombres montent sur les étoiles

Quelles étoiles

Une voix éclate sur le gazon meurtri

comme une fesse

Quelles fesses

Le vent couvre les cheveux des semences

Les semences passeront

mais tes nuages ne passeront pas

J’en ai un dans ma poche

qui s’élèvera jusqu’à ma bouche

alors je sourirai à tes étoiles

C’est gai hein

PORTRAIT DE GALA ÉLUARD

Il y a dans l’air un coup de revolver

tout seul

tant mieux

qui pleure

qui danse

et ainsi de suite

Il y a loin bien loin plus loin que tu ne penses

Une palme qui n’est pas dans une palmeraie

Une palmeraie où les animaux s’ennuient

ils t’attendent

PORTRAIT DE LOUIS ARAGON

Les bienfaits de la croissance

se constatent chaque jour

j’en suis témoin

et toi aussi

Maintenant tu as des mains dans les cheveux

et tes cheveux sont du verre

dont on fait les maréchaux

les capitaines au long cours

les cigares de luxe

et les wagons-lits

Bonjour mon petit

PORTRAIT DE MAX ERNST

Tes pieds sont loin

je les ai vus la dernière fois

sur le dos d’un cheval-jument

qui était mou qui était mou

trop mou pour être honnête

trop honnête pour être vrai

Le cheval le plus vrai

n’est jeune qu’un moment

mais toi

toi je te retrouve

dans les rues du ciel

dans les pattes des homards

dans les inventions sauvages

PORTRAIT DE ROBERT DESNOS

La crème du rivage

a guéri tes battements de CŒUR

Salu-e

As-tu vu la liberté

Elle couche avec l’égalité

Vilaine va

Et si elle ne s’ennuie pas

nous lui donnerons

un petit serpent de mer

qui couvrira ses épaules

unies comme les États-Unis de la fraternité

LES YEUX DU VENT

La banlieue est bleue

quand passe le juge

Si le juge n’était pas juge

on verrait un phénomène

Quatre veaux

debout sur un paratonnerre

et criant

Liberté Liberté chérie

Et madame répondrait

Chéri

et monsieur

Bibi

LA CHUTE DES CORPS

J’ai un poil dans la tête

Il n’y en a pas autant dans la carafe

J’ai une mouche dans le nez

il y en a deux dans la calèche

Tournez tournez la roue

pour hisser les mendiants au sommet des cheminées

Les femmes le regarderont

les enfants le tueront

Tournez tournez la roue

pour découper les Saint-Cyriens

Leur viande servira d’appât pour la pêche à Terre-Neuve

et l’année sera mauvaise

J’ai serré la main d’un idiot

et un myosotis pousse dans ma main

c’est qu’il fait chaud comme dans une conduite de gaz

où les hirondelles passent sans se retourner

de crainte d’être changées en becs Auer

Que les raies du plancher zigzaguent dans leur ivresse

ou que les échelles s’effondrent sur ceux qui les bravent

le bruit de la rue sera lourd comme le sac d’un bagnard

les passants désolés se boucheront les oreilles

et les crises de nerfs de leurs épouses enceintes

détruiront l’équilibre des tables dans les chambres des hôtels

LE SANG ET LES ARRÊTS

Petite vaisselle

aboutira

Beurre d’oiseau

grandira

Pelle de sel

patinera

Citron maudit

s mariera

Gazelle verte

s’éventera

Cigare de nuage

s’encanaillera

Grande poussière

se développera

Manège de soie

dormira

Patère mélancolique

se balancera

Groseille fauve

flambera

Flamme solide

tressaillera

Carte à oreilles

bourgeonnera

Mais le jeune explorateur qui les mains vides franchit

l’enceinte où le premier né les pieds joints le CŒUR avide

et la cervelle cousue ravive l’incident lointain qui rendit

impossible l’élection de la meule souveraine

Ainsi elle se pose jambes en l’air épaules lointaines et

mains partout mains multipliées par le détour et le roman

découvert sous le chapeau

On bout on trempe dans la rue comme dans un baquet

d’acide on se gonfle comme une aubergine on s’assoupit

comme une bûche qui brûle on se meuble comme une cuvette

Alors le marbre glisse le long des jambes mortes et s’étale sur

l’équateur comme une petite flaque sonore

UN MALHEUR NE VIENT JAMAIS SEUL

Les grues sont tombées sur l’amiante

avec leurs mains de poutres

gonflées de gaz étoilés

Un peu plus nous étions seuls

et c’eût été dommage

un lendemain de fête

Ce n’est pourtant pas gai

Une fête non plus

mais Jeanne d’Arc est heureusement morte

et les péniches coulées font l’amour avec elle

Un amour de cheval

qui ferait rire un Turc

À bas les moineaux

LES ENFANTS RIENT MAIS QUE FONT LEURS PARENTS

Souple corvette de mon CŒUR

l’acide te dévore

Faute de veau on fauche le foin

mais

souple corvette de mon CŒUR

ménage le sel

le sel te dévore

Souple corvette de mon CŒUR

prends garde

on construit des maisons

un peu partout

sur le sable des moulins

sur le ventre des femmes

et les enfants naissent

sous les yeux des tortues

Prends garde

souple corvette de mon CŒUR

voici l’époque de la moisson

A UN VIRAGE EN S

La jeune femme

assise

sur les grandes neiges de je ne sais pas quoi

découvre le plus simple courage

s’enveloppe d’un manteau de pieds

léger comme un chapeau d’été

Un carillon hollandais

à la place de son sexe

capte les dernières rumeurs de la ville

Si elle mourait

les premières pudeurs du berger

tomberaient sur l’étang

qui en serait sali

et le cortège des sourds et des débiles

rongerait les derniers éléments

NUAGE

Tombe pain d’épices

les blessés sont loin

les plantes sont mortes

et les malades respirent à peine

LA SEMAINE PALE

Blonde blonde

était la femme disparue entre les pavés

si légers qu’on les aurait cru de feuilles

si grands qu’on eût dit des maisons

C’était je m’en souviens un lundi

jour où le savon fait pleurer les astronomes

Le mardi je la revis

semblable à un journal déplié

flottant aux vents de l’Olympe

Après un sourire qui fila comme une lampe

elle salua sa sœur la fontaine

et retourna dans son château

Mercredi nue blême et ceinte de roses

elle passa comme un mouchoir

sans regarder les ombres de ses semblables

qui s’étendaient comme la mer

Jeudi je ne vis que ses yeux

signaux toujours ouverts pour toutes les catastrophes

L’un disparut derrière quelque cervelle

et l’autre fut avalé par un savon

Vendredi quand on aime

est le jour des désirs

Mais elle s’éloigna en criant

Tilbury tilbury ma flûte est perdue

Va-t-en la rechercher sous la neige ou dans la mer

Samedi je l’attendais une racine à la main

prêt à brûler en son honneur

les astres et la nuit qui me séparaient d’elle

mais elle était perdue comme sa flûte

comme un jour sans amour

Et j’attendais dimanche

mais dimanche ne vint jamais

et je restai dans le fond de la cheminée

comme un arbre égaré

LE COURAGE DU SERPENT

Ainsi sont mortes les nervures

après avoir été

boxeurs peintres yachtmen

Elles étaient bien solides et bien tristes

les nervures

et mentaient comme un seul homme

l’homme aux bretelles

qui vit dans les solitudes

semées de balais

et de sculptures anciennes

Un jour elles oublièrent

et le mal se greffa

sur leur plus beau cartilage

c’était écrit

Le plus beau cartilage soupira

et se colla sur leur menton

Nom de dieu

VILLAGE SENTIMENTAL

40 découvertes pour 40 orteils

1 orteil par découverte

1 catastrophe par souvenir

1 conseil par côtelette

Tout cela pour le bonheur d’un rajah

un rajah somnolent

amateur de moutarde

inconnu du papier et voleur de savon

Il a vendu la chemise

du centenaire de Pasteur

DEVENU VIEUX LE DIABLE SE FAIT ERMITE

Louis-Philippe est grand pour son âge

Donne-lui quelques sous

son chapeau sera trop petit

Donne-lui deux cravates

il mentira tous les jours

Donne-lui une autre pipe

sa mère pleurera

Donne-lui une paire de gants

il perdra ses chaussures

Donne-lui du café

il aura des ampoules

Donne-lui un corset

il portera un collier

Donne-lui des bretelles

il soignera des souris

Donne-lui un battoir

il montera en avion

Donne-lui un potage

il en fera une statue

Donne-lui des lacets

il mangera des groseilles

C’est Monsieur Louis-Philippe

qui vit de pilules et de buvards

mange sa mère

et perd l’heure en marchant

MA MAIN DANS LA BIÈRE

À Jacques Prévert

Le pendu est un pirate

qui avait des dents

qui avait des os

qui avait des os

avec de l’eau dedans

Puis il courut comme un serpent

sa mâchoire se détendit

sa langue monta sur son œil

Alors les sauterelles et les oignons

les bananes et les colliers

sortirent de sa poche un à un

Bonheur bonheur disaient-ils

sa bouche est la sœur de ma bouche

et il fait bon marcher dans la rue des Anesses

LE DERNIER DON JUAN DE LA NUIT

Le quarante-deuxième pose son urine sur le canapé

Dansez voltigez les biroutes

Dépêche-toi j’ai envie de dormir

EDMOND ROSTAND

SIMPLEMENT

À Marcel Duhamel

Son cul sur son épaule

la tête basse les yeux en l’air

il parcourt le monde

et fume sa pipe à l’envers

O jours sans demi-lune

cirages fromages cartonnages

que faites-vous des animaux inférieurs

Les œufs aux aigrettes de soie

sèment des lacs d’encre bleue

guident sa mémoire

L’âme faible la chair forte le cul léger

il vole avec les papillons

la queue en l’air

DEUX PETITES MAINS

Sur le CŒUR de la rue en gouttes d’eau

les bananes brodent des épingles

cuvent des orties

La robe de sang de la danseuse

tombe sur les pieds

du monsieur son amant

qui rit et qui s’efforce

qui s’efforce de couper un arbre

avec des dents de poissons

une échelle sur la jambe

C’est le pape

AS DE PIQUE

Je veux voir les choses éternelles qui fleurissent comme

les cigarettes que je fume dans la nostalgie des atlas de

dix ans La symétrie des châteaux intérieurs se divulgue aux

regards des explorateurs blancs J’irai à tâtons dans la

chambre pleine de girafes chercher le manuscrit que j’ai

composé avec des morceaux de cervelle fraîche achetés au

rabais Parmi les musiciens que je connais j’ai vu un jeune

homme qui savait les thèmes des symphonies d’aérolites

Les camions automobiles et les grues respectueuses des

quais annoncent Demain vaudra un jour de l’heure

Les boulangers vous disent que c’est faux

Mais les acteurs supputent les bravos

J’arriverai pour déjeuner en 1919

Auras-tu ta tête neuve

Celle qui est jeune sait bien que c’est demain

Alors laissez-moi avoir le désir de quelques meurtres

dans les descentes solennelles des ascenseurs Ne me dites

pas non les alcools pourront peut-être me vieillir de quelques

jours Je verrai des incendies fastueux Celui de Rome

était-il beau Une botte de paille Enlever la croûte terrestre

comme celle d’un pâté Je vous accrocherai pour vous descendre

dans un bain de feux follets Un bâton dans la bouche

vous fera sourire Je ne veux pas de l’eau qui fait oublier

Mes instants futurs sont des chênes du Japon Autant de

gestes que de microbes dans une goutte d’eau Le vent le

CŒUR humain la colonne de mercure Inusable tout cela

Le CŒUR sur la main et la main sur le sein gauche

Les crottes vertes sont tombées

Et changées en crottes jaunes

Il n’y a plus que des mains de Chinois

qui recherchent leurs poignets

sur le sol et dans nous-mêmes

Mais les moignons cachés au fond des poches

Les feront courir jusqu’à la fin de l’hiver

Il y a des toiles d’araignée partout Très bon pour les

plaies cela dit-on mais les fossés sont bordés d’épines où

germent des baies noires J’en ferai de l’encre et j’écrirai

sur la poussière de la route

TOUTES LES ÉTOILES SONT AU GIBET DEPUIS LA MORT DES PLÉSIOSAURES

Et personne ne passera plus sur la route parce que les

lettres seront des mitrailleuses hystériques Je partirai à

cheval sur des cerveaux d’aliénés Et si je ne vois personne

je ferai des alligators avec tous les animaux du chemin Je

traînerai ma troupe en larmes vers les cités paisibles et

sur leur passage ce sera l’ère des grands cataclysmes Si je

vais sur l’océan je charmerai tous les poissons et les pêcheurs

me maudiront car les poissons seront centenaires pour avoir

fait trois fois le tour du globe

Je partirai Sept lieues d’un coup de pédale

Un grand bock d’espace s’il vous plaît

Anguille de route à rouler dans l’estomac

Poteaux indicateurs vous êtes des éventails

Il faut franchir des kilomètres morts

Tous ceux que tu as tués

viendront dans ton sommeil

te jeter du haut du ciel de lit

leur tête sur les jambes en 1919

Et demain

DEMAIN

Jamais les oiseaux verts ne seront des oiseaux rouges

Jadis

Un citron dégorgeait des châteaux en Espagne

Que mon docteur montait en bateaux plats

Pourtant je préférais une souris

Je changerai les métaux prisonniers des formes Et si

quelqu’un dans ma prison me donne une figure de chien

méchant j’aurai les flammes du foyer dans les yeux Les

orgues des rues déroulent des écheveaux d’opéras Je les

débrouillerai pour les chanter dans l’allégresse

Les amourettes des bouteilles d’encre et des porte-plumes

Baromètres ennemis des lois

Sans lois

Et vive le vagabondage spécial

À ma voix les étoiles se jetteront dans les eaux noires

On en retrouvera cachées au fond des puits et l’on reconnaîtra

les temps prédits Si les yeux d’une femme inconnue

cherchent à savoir ce qui sort des doigts du hasard tu lui

opposeras des miracles inattendus La joie comme la peine

se mesurent au centigramme Je connais la balance

Comme une poire

Un tatouage sur la main

J’affirme qu’un suicide est plus beau qu’un traité de paix

Je joue aux dés

Ma vie ou ce château qui n’est pas né

Taisez-vous le fusil est un oiseau des îles

Apprendrai-je à chanter ma victoire inutile parce que le désir

ne fait pas de miracles

Une pendule qui hésite entre minuit et une heure du

matin heure des becs de gaz infatués de leur éclat volé aux

cadrans solaires Vivre la vie impersonnelle des sèves et des

minéraux Avant je veux qu’une femme que je n’ai jamais

vue remue du doigt l’eau immobile d’un aquarium pour

que les poissons croient à la fin du monde Un coup de

revolver comme un salut Monsieur les plateaux sont parallèles

au niveau de la mer On m’évente avec des plumes de

paon Quels yeux Du mercure dans un dé à coudre

Deux lampes dans un grenier vide

ou bien

des airs mangés par les souris

Rien les lampes sont noyées dans la cave

J’aime les séjours dans les vitres verdâtres on fait des

rencontres insoupçonnées Manières de comédie La poignée

de mains du bull de la cour m’est moins agréable qu’une

grosse émotion enroulée autour du bras Une piqûre de

moustique est un billet pour le palais des Glaces A chaque

coup de pied je suis frappé dans la poitrine Pour la

dernière il faut se servir des bras Il est difficile de revenir

sur ses pas comme les tramways jusqu’ à 1 2 1 1 1 1

1 1 1 2 2 2 2
AZZEZ

MÉMOIRES DE BENJAMIN PÉRET

À Marcel Noll

Un ours mangeait des seins

Le canapé mange l’ours cracha des seins

Des seins sortit une vache

La vache pissa des chats

Les chats firent une échelle

La vache gravit l’échelle

Les chats gravirent l’échelle

En haut l’échelle se brisa

L’échelle devint un gros facteur

La vache tomba en cour d’assises

Les chats jouèrent la Madelon

et le reste fit un journal pour les demoiselles enceintes

LE QUATRIÈME DANSEUR

À Roland Tual

Comme il dansait dans son pantalon

Un œuf sortit de la cuisine

à pas lents

comme une étoile un photographe

Jusqu’au lendemain il sortit

Jusqu’au lendemain il dansa

avec un collier

avec une musette

et la barbe lui poussa

tout au long de son pantalon

tout autour de la cuisine autour de la cuisine

qui n’est peut-être pas née

LA MORT DU CYGNE

A R.G.

Un sexe sur un drapeau

peau peau peau de tes fesses

trottait comme un lapin

pin pin pin de hibou

du soir jusqu’au matin d’été

té té té téléphone au bon dieu

Mais l’été est funeste aux hiboux

Les hiboux du bon dieu

n’ont pas de fesses

pas de fesses et pas de malheurs

Ils vivent avec les lapins

et les bas de laine

l’été

L’été les fesses sont pâles

à cause des malheurs des hiboux

Les hiboux sans cervelle

trottent sur les drapeaux

et déchirent des sexes

Un sexe déchiré

c’est une croix désirée

Un drapeau sans sexe

est une pauvre moustache

Pauvre comme un hibou sans fesses

A NOUS DEUX

À Janine Kahn

Il s’appelait Villiod

D’une main il caressait la route

et de l’autre il tourmentait la mer

Drôle de quidam

que celui dont l’œil fermé

semblait toujours attendre la lune

Un matin il dansait sur une palme

et chantait Je suis celui que tu hais

regarde la forêt

La forêt comme un œil nu

attendait que mousse le vin

et il voulut ouvrir un bec

Le bec cria Cocorico

et Villiod mourut dans un salon

LA FEMME A CHOSE

Saint-Raphaël se promène en souliers de paille

un quinquina dans les narines

un quinquina avec une cravate

une cigarette sur sa main

Sa main devient un tonneau

un chien dans les environs

Il part avec les comestibles

C’est son affaire

VOYAGE DE DÉCOUVERTE

Il était seul

dans le bas du seul-seul

Un seul à la seule

il seulait

Ça fait deux seule

deux seuls dans un bas-seul

Un bas-seul ne dure pas longtemps

mais c’est assez quand on est seul

dans le bas du seul-seul

26 POINTS A PRÉCISER

À André Masson

LA GRANDE MISÈRE DES DERNIERS CAILLOUX

À Simone Breton

C’est qu’il découvrit l’Amérique et les jupons

les pancartes et les bonnes sœurs

C’est que toutes les migraines se soutiennent

autour de sa grandeur ensoleillée

 

Le président des achats vend le 13 pour le 15

use ses moustaches comme du verre

mange comme un chat

pisse comme un hôtel

 

À l’heure où le plus jeune carburateur

emploie ses derniers joncs

pour le dernier garçon

La femelle se cache dans un drapeau

autour d’un ventre

sous des lunettes

LE(A) CÉLÈBRE CAVALIER(ÈRE)

Poule et poule

voici l’ampoule

qui sourit en pensant à Horace

Oh fille d’agave

oh pieds de coton

tu auras la vie sauve

car il te manque

un sexe frais pour être honnête

un cheveu pour être belle

Une pierre

et je penserai à toi

Un voyage

et je serai l’imbécile que tu sais

Et nous rirons bien quand même

PAR LE TROU DE LA SERRURE

Lève la tête et fais le mort

Quand tu t’en iras les pieds devant

les barreaux de la cage auront des ailes légères

qui battront la charge dans la cave

et les souffles humides des tapis usés

balaieront lourdement les cris suspects des volailles

Minuit sonnant dans la cheminée déserte

comme un rat aventureux

ranimera le timide sourire des casquettes neuves

qui voyageant dans l’ombre

regardent passer près d’elles les persiennes closes

qui n’ont jamais songé aux malheurs des serpents accroupis

devant les portes cochères

Ce sera la nuit et peut-être le jour

Les grands arbres seront morts

et les seins suspendus à leurs branches

se soulèveront régulièrement pour signifier leur sommeil

Tu n’en seras pas dupe comme les lames du parquet

mais riras bien haut pour effrayer les balcons

hardes mal lavées qui sèchent sans espoir de sécher

comme on meurt

blessé au coin d’un bois

et surveillé par les grands papillons blancs

chemises des herbes

 

Tout cela tout cela parce qu’un chien court après sa queue

et ne la retrouve pas

parce que les pavés sont sortis en rangs pressés et menacent

les rivières

parce que les plantes dépérissent dans des scaphandres

désaffectés

parce que l’eau ne s’égoutte plus entre les doigts

tout cela enfin parce que tu n’es plus qu’une figurine

découpée dans un billet de banque

IL N’A QU’UNE MERVEILLE SUR LA TERRE

Je ne pense à dieu

qu’en mangeant du chiendent

parce que dieu

a fait le chiendent à son image

qui est un mouchoir

Il suffit d’une goutte d’eau

tombant d’un nuage aussi ancien que Jules César

pour que la glace se fende de haut en bas

comme une orange

laquelle est faite à l’image de ma sœur

Entre parenthèses

ma sœur ne prêche jamais la miséricorde divine

car elle est divine

divine te dis-je

divine comme une mouche sur un arbre de quatre-vingt-dix

mètres de diamètre

divine comme une soucoupe de mica

divine comme un hippopotame de quatre siècles

divine comme un ivrogne sur le Mont-Blanc

divine comme moi qui suis son frère de temps en temps

Un jour je te dirai

ce qu’il faut faire d’un serpent

Aujourd’hui

donne-le à une femme de vingt-cinq ans

blonde de préférence

et tu verras deux serpents

Donne les deux serpents à un curé

et tu verras le pape

mourir d’une fluxion de poitrine

LE LANGAGE DES SAINTS

Il est venu

il a pissé

Comme il était seul

il est parti

mais il reviendra

l’œil dans la main

l’œil dans le ventre

et sentira

l’ail les aulx

Toujours seul

il mangera les asperges bleues des cérémonies officielles

 

LES ENFANTS DU QUADRILATÈRE

À Jacques Baron

Quand le soleil

descendra sur la terre avec sa moustache

nous ouvrirons les valises

et les fils des derniers rats

oublieront leur langage

Dans la chambre

les oranges rouleront jusqu’au soleil

Si quelqu’un demande l’heure

la dernière venue lui donnera sa bouche

comme un gant

et sans se souvenir de son père

lui dira qu’il n’y a pas de fleurs sans fumée

ni de pleurs sans colère

Ventre de ventre

mon ventre

ni pleurs sans colère

VERS L’OUEST

Mieux vaut se coudre les mains

que de rire aux anges

Mieux vaut changer de montre

que de hurler à la lune

BIENSÉANCE

La voiture était pleine d’eau

qui couvrait la mouture mangée par la monture

C’était un beau diamant

taillé en forme de voiture

C’était celle de la tortue

LES CHEVEUX DU VENT

Accours du fond des troncs ô sable

pauvre sable des revenants

toi qui sauves les mains

et leurs attributs

Le sang cravaté de nuages

pour le plaisir des dames

pour le plaisir des orgues

botté crotté

n’a plus d’image

Il est presque nu

et son sourire

est fonction de la chaleur

 

QUATRE ANS APRÈS LE CHIEN

À Pierre Unik

Ici commence la maison glaciale

où la rotondité de la terre n’est plus qu’un mot

aussi léger qu’une feuille

dont la nature importe peu

Dans la maison glaciale danse

tout ce que le mouvement de la terre ne peut pas empêcher

de danser

toute la vie impossible et souhaitée tant de fois

tous les êtres dont l’existence est improbable

Là le temps équivaut au partage d’un empire

à une longue marche de Lilliputiens

à une cataracte de 1.800 mètres de hauteur

Passons aux actes

Une jeune femme entre dans la maison glaciale

fend un escalier dans toute sa longueur

et le couvre de fumier

un fumier d’étoiles rongé par des dollars

Elle passe sa main sur ses yeux

et la Liberté éclairant le monde est la place de l’escalier

Elle crie tempête jure

à tel point que l’air en est bouleversé

Les oiseaux nécrophages

qui sont peut-être des insectes

tombent du plafond

s’enfoncent dans le sol

et vont se fixer pour toute l’éternité

au centre de la terre

qui en est tout émue

C’est alors qu’apparaît la maladie du sommeil

Le sommeil des arbres excite les vagues lubriques

et l’amour bondit comme un chien hors de sa niche

Autrement dit les vagues n’ont pas la force la foi qui soulève

les montagnes

Je leur prête mon sexe et tout est dit

et nous sommes tous très satisfaits

Une heure plus tard je le serai moins

car je marcherai sur ma barbe

La maison glaciale s’est déplacée

comme un tremblement de terre

et un caractère énergique

voici qu’à la chaleur communicative des banquets

un nouvel aspect des montagnes

doit son existence à une impropriété de termes

Il n’en faut pas plus pour qu’un savant

un savant authentique à ce qu’on dit

crie au miracle

Dans toutes les classes de la société

on ne songe plus qu’à jouir avec tous ses organes

Un député qui joua un rôle dans l’Affaire

affirme qu’il jouit par les poumons

Je veux bien le croire

quant à moi je monte dans un arbre

qui porte la tour Eiffel dans son ombre

et dont les racines ont vomi le soldat inconnu

De là j’aperçois la maison glaciale

dans le bec d’une tourterelle

Est-ce la paix ou la guerre

Vite un taxi un aéroplane un cheval

Ca y est je suis arrivé

et mes jambes deviennent extraordinairement fortes

C’est qu’elles s’allongent outre mesure

Je suis un arbre immense qui couvre la terre de son ombre

Ah vous pouvez rigoler maintenant

vous n’êtes pas près de voir la lumière du soleil

Le soleil est une éclipse qui dure toute une époque géologique

et les enfants de l’époque ne s’en rappellent pas la couleur

Ceux pour lesquels la maison glaciale de leurs cheveux

est une chambre d’amour

ont le bonheur aux lèvres

mais lorsqu’ils perdent leurs lèvres

ils s’ennuient tellement

qu’ils envient la vie des insectes adultes

C’est alors que je passerai

un rocher dans les mains

attendant que l’oiseau de la résurrection

se pose lourdement sur mon épaule

La droite ou la gauche

PARTIE DOUBLE

L’onagre de paille

pour la course à l’orage

se range devant les taxis de feutre

Le jockey

cerise molle et gutta-percha

pendule aux quatre coins

car il n’aime pas la pipe du majordome

Tout cela rend un son bizarre

PREUVE FORMELLE

Sais-tu mourir sans la permission du nageur

si tu réponds oui

tu es l’homme annoncé par la loi

l’audacieux aux lèvres d’éléphant

le menteur éprouvé par le fer et le feu

le savant démoniaque qui changera le monde en filet de sang

l’enfer de poix où tomberont les êtres miraculeux

que tu rencontres chaque soir en sortant du théâtre

mine de sel

avenue décorée de fleurs sauvages

orage sexuel

pour décourager les conquérants de la Grande Roue

LE MARIAGE DES FEUILLES

L’homme découvre la poésie circulaire

Il s’aperçoit qu’elle roule et tangue

comme les flots de la botanique

et prépare périodiquement son flux et son reflux

O saints que n’êtes-vous ceints de seins sains

Votre seing figurerait une main de pouces

agitée d’un tremblement alcoolique

O saints qu’avez-vous sur la main

Est-ce une main plus petite

que recouvre une autre main plus petite

et ainsi jusqu’à la consommation des mains

La poussière s’agite dans sa solitude

Elle veut que le silence qui l’entoure

se peuple de fantômes ailés

aux voix de troncs pourris

de femmes légères comme la dame blanche

de vieillards descendus de la montagne

en proie aux neiges éternelles

des grandes montagnes molles

où tournent virent et plongent

les chaussons de danse

AVEZ-VOUS DU WHISKY

Lente fumée bleue où s’attardent tes pas

mer sobre

Salut poisson d’évangile

toi qui naquis dans la main d’une voluptueuse

et mourus sous les regards d’un roi

La tombe s’ouvrira pour laisser passer une bannière

La bannière suivra la rive gauche du canal

jusqu’à la jambe humaine

qui sépare l’amour de la mort

Elle portera cette jambe sur le sommet de la montagne

qui cessera de cracher des glaïeuls

pour devenir un troupeau d’hermines

Et dans le ciel nocturne

peuplé des scolopendres

une barre de fer maniée par un sultan

broiera pendant l’éternité des têtes étincelantes

HONOREZ VOS MORTS

À Raymond Queneau

Dans la main

il y a la hache

dans la hache

il y a le chapeau la tête le cou les pieds

et le souvenir des intestins

Il y a aussi

le courage des petites lumières

qui ne craignent pas la contagion

Il y a encore un tremblement nerveux

C’est la contagion

et une pente abrupte

qui pourrait cacher des oies

mais elle n’en cache pas

car à droite

il y a une tache grasse

c’est de l’huile

MYSTÈRE DE MA NAISSANCE

À Colette Tual

Et quand je lui ai répondu 19

il m’a répondu 19

22 si tu as le temps d’être riche

30 et 40 pour la comédie en deux temps

50 pour ton sale anniversaire

100 pour les commodités du printemps

Pour le reste je suis pâle et hypnotique

mais occupez-vous de vos pavés cher docteur

et laissez à l’eau claire le soin de devenir de l’eau sale

LE MEILLEUR ET LE PIRE

Un enfant sérieux par la force des choses

attendait la naissance d’un animal

son frère

en expliquant les miracles de la mer

Lorsque le soleil se leva

sur une montagne de verveine

qui était une femelle désirable

il se fit à travers la campagne

un grand bruit de vaisselle brisée

qui présageait l’approche d’un fléau

Une montagne de verveine

La montagne n’attendait qu’un souffle

venu de l’océan Pacifique

comme l’écho d’un désastre

pour remplacer le soleil

Et l’enfant cessa d’expliquer pour prédire

Alors se révéla chez les cruels les sanguinaires et les inassouvis

un grand désir de vins et de poison

Les uns partirent à la recherche de la fleur

qui n’éclôt qu’à la bonne époque chez les femmes parfaites

les autres voulaient faire un caillou

avec du sang et des larmes

Les uns et les autres disparurent dans l’océan Pacifique

près d’une île de phosphore

pour avoir confondu

les femmes spirituelles avec le souvenir du temps

et les plaisirs des sauvages

LES OSSEMENTS S’AGITENT

Lorsque du cerveau jaillit la palme sombre

l’oiseau mangeur de bananes

la lumière qui tombe comme des paupières de sommeil

le cheval et son cavalier s’agitent séparément

et crient j’ai faim

Une langue de sang passe le long de leurs nerfs

de leurs yeux coulent les poisons aimés du genre humain

les poisons que les femmes iront chercher sur les montagnes

les frissons qui passent avec la rapidité de l’éclair

sur ceux qui seront malades

les frissons de la rue qui sent le chien

Lorsque du cerveau jaillit la palme sombre

La main se pose sur la plante ou sur l’homme qui n’a qu’une

dent

et la voix incolore sort du rocher de feu

Elle ordonne

Maintenant tu vivras sur la mer

comme les fumées des peuples assemblés

La lumière tombe comme des paupières de sommeil

et dix millions d’oiseaux au plumage ensanglanté

s’abattent sur l’arc de triomphe

L’ARDEUR DÉSESPÉRÉE

Si le vent le permet

le désespoir ravagera les contrées saines

voisines de l’arc-en-ciel et du pôle de soie

la contrée où les visions des hyménoptères se concrétisent

où l’espoir des uns anime l’ardeur sexuelle des autres

où le passé comme une douleur périodique

qui stimule l’énergie des insectes à carapace de verre

O soupirs insectes d’avenir

je vous attends dans l’ombre que vous connaissez

pour vous confier des secrets qui vous donneront à réfléchir

des secrets si fluides qu’ils couleront entre vos doigts

comme les minutes entre les cuisses d’une jolie femme

et le sommeil des insensés

au soleil

à midi

CŒUR DÉCROCHÉ

Danser sur le neuf de CŒUR

lever le pied de l’échafaud

passer et repasser le long des colonnes montantes

voiler d’un crêpe la terrine de foie gras

découvrir une racine dans sa tasse de café

élever trois mouches dans l’abbaye de Westminster

envoyer une carotte par la poste

dresser l’arbre généalogique d’un bec de gaz

s’égarer dans le tuyau de la pompe

voilà les plaisirs réservés au grain de poussière qui détraque

les machines parfaites

les machines qui s’agitent comme des poissons

 

Les fusils aimantés de l’espèce des ombellifères

pendaient aux persiennes closes

leurs canons engagés dans les fentes

menaçaient les multiples serpents de l’ombre

ceux qui s’enroulent autour des bicyclettes

et ceux qui flottent le soir comme des mains tendues d’une

rive à l’autre

Mais qu’une rive s’égare au cours de ce voyage

et tout est perdu comme dans une cloche à plongeur

Le coup partit

Le rayon de soleil qui passait à travers un prisme ne se

reconnut pas à la sortie

Il y eut un son de cloche étouffé

suivi du bruit sourd d’un paquet de linge qui tombe dans

un puits

Et ce fut tout

Mais une roue remplaçait la main partie avec la rive

J’IRAI VEUX-TU

Il était une grande maison

sur laquelle nageait un scaphandrier de feu

Il était une grande maison

ceinte de képis et de casques dorés

Il était une grande maison

pleine de verre et de sang

Il était une grande maison

debout au milieu d’un marécage

Il était une grande maison

dont le maître était de paille

dont le maître était un hêtre

dont le maître était une lettre

dont le maître était un poil

dont le maître était une rose

dont le maître était un soupir

dont le maître était un virage

dont le maître était un vampire

dont le maître était une vache enragée

dont le maître était un coup de pied

dont le maître était une voix caverneuse

dont le maître était une tornade

dont le maître était une barque chavirée

dont le maître était une fesse

dont le maître était la Carmargole

dont le maître était la mort violente

Dites-moi dites-moi où est la grande maison

L’ENNEMI SECOUE SES PUCES

Personnage étranger

aux yeux d’écorce et d’amandes amères

tu es forcené sale pauvre et décadent

tu ouvres la bouche pour avaler tes chaussures

tu ouvres la bouche pour vomir le paysage

et le paysage te ressemble

Vous vous promenez bras dessus bras dessous

à la recherche d’une épingle de nourrice

celle qui a piqué un vieillard

dont la barbe métallique

l’habillait comme le meilleur tailleur

vous vous promenez de l’est à l’ouest

en croquant du sucre

pour apaiser vos sens qu’excite un soleil sexuel

À quoi est-ce que ça ressemble docteur

au tétanos ou à l’influenza

À un fromage ou à un merle

À un merle

le merle s’envole en sifflant

J’ai du bon papa dans ma papatière

J’ai du bon papa etc.

 

Et tout le monde est content

sauf moi

car j’ai une sangsue sur l’œil

L’ÉVOLUTION D’UNE JOLIE FEMME

C’était je m’en souviens un homme couleur de feu

Ses pieds dans un feu de paille

flambaient comme un soleil couchant

et ses mains inaltérables

étranglaient la dernière sœur de la dernière vierge

D’un arbre naît la femme

l’impénétrable aux yeux feuilles

qui lui demande de s’endormir

Il sait bien que s’il s’endort

il ne sera plus que flamme que dis-je fumée

et son étreinte se resserre

autour du cou qui brille comme un miroir

Le miroir voudrait être le cou

Il n’y a pas de désir qui tienne

Une goutte d’eau tombe sur ma tête

et j’en suis ébloui

LA VRAIE VIE

Un œil de daim

me promet une plaque de tôle

me donne un journal

et me coupe un bras

Je cours droit devant moi

autant que je puis m’en rendre compte

comme un poil de barbe emporté par le vent

Demain

je serai ce flocon de neige que tu envies

ce flocon de neige

qui deviendra grand

ce flocon de neige

qui ressemble à un chien

lors de la saison printanière

 

LES ODEURS DE L’AMOUR

S’il est un plaisir

c’est bien celui de faire l’amour

le corps entouré de ficelles

les yeux clos par des lames de rasoir

Elle s’avance comme un lampion

Son regard la précède et prépare le terrain

Les mouches expirent comme un beau soir

Une banque fait faillite

entraînant une guerre d’ongles et de dents

Ses mains bouleversent l’omelette du ciel

foudroient le vol désespéré des chouettes

et descendent un dieu de son perchoir

Elle s’avance la bien-aimée aux seins de citron

Ses pieds s’égarent sur les toits

Quelle automobile folle

monte du fond de sa poitrine

Vire débouche et plonge

comme un monstre marin

C’est l’instant qu’ont choisi les végétaux

pour sortir de l’orbite du sol

Ils montent comme une acclamation

Les sens-tu les sens-tu

maintenant que la fraîcheur

dissout tes os et tes cheveux

Et ne sens-tu pas aussi que cette plante magique

donne à tes yeux un regard de main

sanglante

épanouie

Je sais que le soleil

lointaine poussière

éclate comme un fruit mûr

si tes reins roulent et tanguent

dans la tempête que tu désires

Mais qu’importe à nos initiales confondues

le glissement souterrain des existences imperceptibles

il est midi

D’UNE VIE A L’AUTRE

Sur une roue tourne l’azur

O Azur qu’as-tu fait des cheveux blancs de la baronne

La baronne était une salve d’artillerie

qui crépitait à tout moment pour empêcher les citoyens de dormir

Ceci pour le bonheur des citoyennes

Qui rendaient leur âme à une colonne de porphyre

en chantant

Hurrah Hurrah

Hurrah pour les chiens galeux

Hurrah pour les pavés de bois

Hurrah pour les femmes gelées

Hurrah pour le paradis dans la cave

Hurrah pour la Mésopotamie

Hurrah pour les éprouvettes

Hurrah pour les pendus

Hurrah pour les facteurs

Hurrah pour les automobiles

Hurrah pour les incendies

Hurrah pour les pelotes de laine

Hurrah pour les prisonniers

Hurrah pour les Arabes

Hurrah pour les satyres

et s’endormaient dans une feuille de fraisier

sans respirer

sans réfléchir aux conséquences de la chute d’une brique

dans une mare

alors que le soleil

pied de zèbre

se pose sur les cheminées des Alpes

avec la légèreté d’une robe qu’on quitte

pour ne pas susciter de caprices chez les falaises bleues

qui se tordent

comme un serpent devant un puits de mine

UN OISEAU A FIENTÉ SUR MON VESTON SALAUD

À Pierre Naville

Main vide et pied levé

le bon enfant sur deux assiettes

mourait d’envie de rire d’un cheval

solitaire

de la lune

de la rousse

Au lieu de mourir

il aurait pu rire

il préféra cogner comme un sourd

sur l’arbre le plus proche

L’arbre miaulait

T.S.F. T.S.F.

La T.S.F. le mordit au pied droit

et un ours à la main gauche

Comme il était jeune

il n’en mourut pas

On le décora

on en fit un ambassadeur

Paul Claudel

CHARCUTONS CHARCUTEZ

À Suzanne Muzard

Sur la carte il y a des lignes

qu’on appelle des golfes

Les enfants y mettent des grenouilles

que leurs parents vont chercher

pour leur apprendre la vie

la civilisation

et leur faire connaître leurs devoirs envers la patrie

Inutile de dire que les grenouilles s’en foutent

Un jour ou l’autre

un soldat

et une fermière

feront l’amour devant leurs poules

Elles en mourront

et sur leurs tombes naîtra un petit cul sec

qui saura danser le boston

Ce sera la punition

 

Un soldat et une fermière

Changement de viande réjouit le cochon

le cochon de chameau

le chameau de tramway

le tramway de papier

Si un bandit passait par là

vous verriez les yeux du soldat

se dilater comme un ballon captif

et les mains de la fermière

se couvrir de fermiers

Mais cela ne sera ne sera pas ne sera pas

et c’est dommage

ILS ÉTAIENT DE CONNIVENCE

Que dit l’arc-en-ciel du vagin

au petit sauvage

habillé de vert-de-gris

Le vagin était nu

comme le sauvage

Il n’avait plus l’âge de mentir

moins encore de gémir

moins encore de chatouiller

le nombril du village voisin

Hé hé

Ce n’est pas prudent

pensait le village voisin

Sait-on jamais

si du nombril

les derniers couvercles

aillent jaillir comme un mâle

sans être précédés d’une lanterne

qu’est-ce qui ne rirait plus

UNE FEMME FATALE

Sur la Normandie qui pleure des larmes de cire

une feuille de thuya s’est posée

qui tremble à tous les vents des ports déserts

Elle est pauvre

elle est jaune

elle la sœur d’une dame aux yeux de sapinière

qui se tient à droite des pendus

la main sur le CŒUR

Un sourire large comme une goutte d’eau

flotte devant elle

et se perd dans la nuit

LA DOUCEUR DU FOYER

La dame toussait toussait

le monsieur pâlissait

leur fils les doigts dans le nez

attendait l’apparition d’un bec de gaz sur sa poitrine

La dame toussait

depuis qu’elle avait vu

une femme blonde

fendre un rocher

avec un rasoir céleste

Si le monsieur pâlissait

c’était que le ciel le lui avait ordonné

en jonchant la terre de plumes de colibri

un colibri ainsi déplumé chanta

J’ai une queue

nom de Dieu

j’ai une queue

Alors un grand souffle

fait de baleines de parapluies parfumées

passa sur la terre salée

comme la bénédiction d’une marchande de programmes

et trois colombes blanches

marquées d’une croix rouge

s’envolèrent du Mont-Blanc

LES MORTS ET LEURS ENFANTS

À Denise Kahn

Si j’étais quelque chose

non quelqu’un

je dirais aux enfants d’Édouard

fournissez

et s’ils ne fournissaient pas

je m’en irais dans la jungle des rois mages

sans bottes et sans caleçon

comme un ermite

et il y aurait sûrement un grand animal

sans dents

avec des plumes

et tondu comme un veau

qui viendrait une nuit dévorer mes oreilles

Alors dieu me dirait

tu es un saint parmi les saints

tiens voici une automobile

L’automobile serait sensationnelle

huit roues deux moteurs

et au milieu un bananier

qui masquerait Adam et Eve

faisant

mais ceci fera l’objet d’un autre poème

EN DEUX TEMPS ET TROIS MOUVEMENTS

Le vieux chameau désorganisé

dit à la demoiselle des P.T.T.

Une petite chaise s. v. p.

La demoiselle voulait une étoile

L’étoile voulait des bas de soie

Alors la demoiselle

le poing à la hauteur de toutes les circonstances

découvrit les cactus et les aima

Ce n’était pas sérieux

car les cactus aiment les alcools

et se rient des demoiselles

qui veulent des étoiles

LA CHAIR HUMAINE

Une femme charmante qui pleurait

habillée de noir et de gris

m’a jeté par la fenêtre du ciel

Ah que la chute était grande ce jour où mourut le cuivre

Longtemps la tête pleine de becs d’oiseaux multiformes

j’errai alentour des suaires

et j’attendais devant les gares

qu’arrive le corbillard qui en fait sept fois le tour

Parfois une femme au regard courbe

m’offrait son sein ferme comme une pomme

Alors j’étais pendant des jours et des jours

sans revoir la nuit et ses poissons

Alors j’allais par les champs bordés de jambes de femme

cueillir la neige et les liquides odorants

dont j’oignais mes oreilles

afin de percevoir le bruit que font les mésanges en mourant

Parfois aussi une vague de feuilles et de fruits

déferlait sur mon échine

me faisait soupirer

après l’indispensable vinaigre

Et je courais et je courais à la recherche de la pierre folle

que garde une jambe céleste

Un jour pourtant plein d’une brumeuse passion

je longeais un arbre abattu par le parfum d’une femme

rousse

Mes yeux me précédaient dans cet océan tordu

comme le fer par la flamme

et écartaient les sabres emmêlés

J’aurais pu forcer la porte

enroulée autour d’un nuage voluptueux

mais lassé des Parques et autres Pénélopes

je courbai mon front couvert de mousses sanglantes

et cachai mes mains sous le silence d’une allée

Alors vint une femme charmante

habillée de noir et de gris

qui me dit

Pour l’amour des meurtres

tais-toi

Et emporté par le courant

j’ai traversé des contrées sans lumière et sans voix

où je tombais sans le secours de la pesanteur

où la vie était l’illusion de la croissance

jusqu’au jour éclairé par un soleil de nacre

où je m’assis sur un banc de sel

attendant le coup de poignard définitif

La crue du fleuve prédispose ses rives obscures

aux plus obscurs désirs

La faim avec ses lèvres de volcan

viendra ensuite dans un rayon de soleil

arc-en-ciel de l’espoir et de l’erreur

demander des comptes au plus humble citoyen du pays

Que lui répondra-t-il

si ce n’est que la matière est plastique comme un calorifère

que la vie est le miel des animaux malfaisants

que les massacres continueront tant que durera la vie

tant que les enfants morts-nés se trouveront sur le passage

d’Apollon

LE SANG RÉPANDU

La cendre qui est la maladie du cigare

imite les concierges descendant l’escalier

alors que leur balai tombé du quatrième étage a tué l’employé

du gaz

cet employé semblable à un insecte sur une salade

L’oiseau guette l’insecte et le balai t’a tué employé

Ta femme aura des cheveux blancs comme le sucre

et ses oreilles seront des traites impayées

impayées parce que tu es mort

Mais cet employé que n’avait-il les pieds en forme de 3

que n’avait-il le regard lucide d’un magasin de gants

que n’avait-il pendant sur l’abdomen le sein desséché de sa

mère

que n’avait-il des mouches dans les poches de son veston

Il eût passé humide et froid comme une potiche brisée

et ses mains eussent caressé les verrous de sa prison

Mais le soleil de sa poche avait mis sa casquette

QU’IMPORTE

Que l’eau s’écoule comme un lampion

et je la rattraperai une nuit devant la mairie

à l’instant où une étoile filante

la seule de cette nuit-là

m’apprendra qu’une catastrophe a eu lieu au kilomètre 1 000

Dans le train il y aura un sauvage

un vrai avec des moustaches de fumée emportée par le vent

Il y aura aussi une amazone

et tous deux se retrouveront côte à côte sur le ballast

Ils se féliciteront l’un et l’autre d’être sains et saufs

et se regarderont comme on regarde une forteresse en ruines

s’écrouler du haut d’une colline dans la vallée

en renversant un grand nombre de voitures chargées d’oranges

L’année prochaine la fleur d’oranger sera pour rien

et il y aura aussi beaucoup de malades

Jusqu’aux arbres qui seront épileptiques

et secoueront leur écorce sur les fiancés

Un petit bateau passe au fil de l’eau

mais ce n’est pas une étoile filante

il est traîné par un noyé

dont les longues dents effraient les poissons qui jaillissent

comme des baïonnettes

se jettent dans des poitrines transparentes

et repartent vers d’autres poitrines

Mais le noyé sort de l’eau et flotte comme un drapeau rouge

Il claque des mains et des dents

son testament est dans une bouteille qui sort de sa bouche

comme un oiseau de son œuf

En souvenir de leur rencontre le sauvage et l’amazone se

marieront

dans la mairie d’un petit village inondé

et ce sera la barque traînée par le noyé qui les conduira

au maire

lequel leur fera le speech d’usage en mangeant du cirage

LE GENOU FENDU

L’épaule indifférente

et la bouche malade

sont tombées sur les épines

comme les roses

Un œil les regarde

et s’envolera bientôt

à moins qu’une lumière

ne sorte de l’eau

avec une carpe

pour que tous les poils s’envolent vers le pôle

LE PIRATE ME DÉVORE

Maintenant que le bouchon s’est envolé vers d’autres cieux

il faut se couper les pieds

et les offrir en hommage à la première tomate mûre

À vrai dire c’est un hommage ou une injure

L’avenir décidera

Aujourd’hui je suis assis sur un arbre millénaire

qui me donne d’excellents conseils

parce qu’il est millénaire

Une vieille femme me demande l’aumône

et je lui donne une cervelle de chevreuil

en lui disant

Dieu vous rendra un sabot

Je ne suis pas jeune non plus

mais je ne suis pas millénaire

c’est là mon tort

si j’étais millénaire j’entendrais les soupirs des écorces mûres

des savates de plomb et des derniers coups de fusil

qui tueront les derniers esclaves des derniers animaux insensibles

SANS PRÉCÉDENT

Longues moustaches et larmes d’hydrogène

voilà l’animal féroce qui désole les mécaniques

Aujourd’hui

il se tord auprès d’une demoiselle et d’un violon

Le violon sent la rue et les poissons

et s’éloigne de la demoiselle

comme la balle du fusil

Et l’animal se tord toujours

et le violon arrive à Toronto

Il défonce un gratte-ciel rempli de colibris

qui s’envolent jusqu’à Panama

où ils bouchent le canal

Et la demoiselle seule et triste

coupe des oranges pour une vieille sorcière

qui a planté des dés à coudre

dans une coupe à champagne

les dés ont fleuri

Ils abritent une légion de moustiques

qui se croient aux ballets russes

quoique la saison soit terminée

et dansent une danse mystique

à l’ombre d’un parapluie

Oh mademoiselle vous pleurez des larmes de caoutchouc

qui blessent votre concierge

Votre concierge s’ennuie dans sa loge de cire

Elle attend un pneumatique

envoyé par le grand bananier du pape

Il fait le tour de l’Afrique

pour chasser les canards sauvages

Hélas hélas il n’a rencontré qu’un scorpion électrique et

sacré

qui vivait dans une mandoline

Maintenant sur les rives glacées des lacs de serpents

il pêche mélancolique et muet

un citron qui ne le consolera jamais

d’avoir perdu un jour acide

plein de jambes de femme et de poils obscènes

une ombre sans douleur

qui tournait autour d’un arbre sans vertu

SOUS UNE PLUIE BATTANTE

La grande armée sur un plateau

sur un plateau

coupait du zinc

coupait du zinc

Elle en fit un cheval blanc

pour Henri IV

pour Henri IV

mais il mettait la poule au pot

sans arracher les poils

de son cheval blanc

Si son cheval était blanc

c’est que le pape l’avait voulu

Si le pape l’avait voulu

c’est qu’il était nègre

Comme un mineur

Mais aucun mineur ne donna de cheval blanc à Henri IV

parce qu’on était au mois d’août

parce qu’il était nègre

parce qu’ils n’étaient pas le pape

et parce qu’ils n’avaient pas de cheval blanc

COU TORDU

À Michel Leiris

Qu’il s’élance le ruisseau solidifié par les grandes branches

du vent

qu’il s’élance du haut de la cathédrale de hannetons

qu’il s’élance sans crainte

car la crainte est attelée au buffet vermoulu des chaleurs

moites

et son appel ressuscitera la grande muraille des têtes coupées

et la poussière la poussière aux ailes tordues par ses courants

intérieurs

n’hésitera pas à s’envoler

pour courir la chance d’un internement dans les racines de

l’armée

quitte à s’évader à l’instant où les hommes

fatigués par leurs méditations sur les spasmes de l’horizon

tombent avec le bruit d’un nuage heurtant les poissons de

ses rêves

et lui offrent l’alcôve de leurs floraisons intenses

Qu’il s’étonne donc ce ruisseau aux écailles de cuivre

et que son élan le porte à l’orée de cette forêt liquide

dont les yeux étincelants me regardent

et me répètent sans arrêt

 

La fumée s’échappe de ton CŒUR

et ce n’est pas celle d’une maison blanche dont les volets

sont clos à cause de la nuit

Découvre le père de la fumée

et ton rire secouera les vertigineuses cohortes des rails perdus

par les fantômes

LA BOTTE AUX LUMIÈRES

Elle est pleine d’un coton léger

qui s’envole au moindre bruit

qui crépite au moindre vent

qui s’ennuie à la moindre pluie

et qui tue pour le moindre désir

 

Cela ne peut pas continuer ainsi

Il tombe sur les pieds de mon voisin

une mousse de nuages qui est verte

Ce sont des épinards

Il tombe sur la tête de ma voisine

des cailloux de fourrure

dont elle fait ses délices

Ce sont des souris

PLEIN LES BOTTES

L’oreille des lampes écoute les feuilles tomber dans le sel

Le sel aujourd’hui a la forme de son sein

et danse danse

Il dansera tout le jour et la nuit ne l’arrêtera pas

il dansera toute la nuit et le réveil des pierres ne l’arrêtera

pas

il dansera ainsi jusqu’à ce que les chevaux de frise meurent

comme meurent les glaciers et les neiges

Pourtant lorsque la nuit me regardera doucement comme

un CŒUR

les chevaux de frise sentiront leurs os se gonfler

les voiles les emporter sur des routes douteuses

où se traînent les cerveaux des reptiles sacrés

L’un d’eux dont la main s’allonge vers le porte-manteaux

du charbon

sourira au passage des chevaux de frise

Et cependant ils passeront

Ils passeront si longtemps que leur souvenir se perdra

comme un chien dans la mer

comme un doigt dans un gant

comme une oreille dans un coquillage

etc. et mille fois etc.

car etc. c’est la nuit des borgnes qui s’allonge comme un

caoutchouc

et revient les frapper au visage

Il est vrai que leur visage est mort puisqu’ils sont borgnes

et que pour eux la nuit est morte puisqu’elle s’allonge

Mais le jour aux doigts de tulipe

le jour dont les soupirs disparaissent dans les caves de

l’araignée

le jour enfin dont les regards tombent comme des fruits

le jour pour eux n’est plus qu’un petit bateau d’enfant

isolé dans une baignoire

et ils auront beau faire jamais la baignoire n’aura les oreilles

d’un veau

jamais la baignoire ne cassera de noix à midi

jamais la baignoire ne tuera un chat

jamais la baignoire ne fera de veuves

car la baignoire est morte

la baignoire est morte comme le pain qui n’a jamais vécu

le pain qui est condamné à mort avant d’être pain

comme l’eau est condamnée à mort avant d’être eau

L’ARÊTE DES SONS

Rien qu’un cri d’arbre mort

suffit pour l’insensible bonheur

Rien qu’un soleil de plâtre

sur les routes de flamme

me donne le vertige

et je suis semblable aux insectes sonores

qui couvrent les membres des martyrs

et leur valent une toison d’or

qui n’est désirée que par les athlètes invisibles des mines

blanches

Si je leur ressemble c’est que la vie est pleine de coquilles

de soupapes d’échappement

et de virages sur des plaques de verre

tournant à l’inverse de la terre

La terre à ces moments-là s’allonge

dans son ennui

et tremble comme une feuille morte

La chaleur disparaît dans les manteaux des pèlerins

et la pluie s’éloigne

à la suite des navigateurs aux oreilles de bronze

Une grande roue tourne dans un vide bleu

et trois éléphants pêchent des requins

Une femme les yeux loin de la terre

et de ses falaises nacrées

s’élève lentement

rose épanouie

UNE ILE DANS UNE TASSE

Les siècles de charbon les lanternes de colle sèche

les pertes de temps les chutes d’eau

se succèdent et se perdent dans l’allée grise qui mène aux

îles sanglantes

Il n’y a pas plus de temps que d’eau

pas plus d’eau que d’éponges

et les feuilles tombent au fond des têtes obscures

Parfois un oiseau passe comme une main gelée

et comprime lourdement les gorges haletantes

les gorges qui frémissent aussi parce que les méduses hantent

les corridors

en hurlant si lugubrement que les raz-de-marée ne se retiennent

plus de joie

et le cri qui s’en échappe alors

brûle les opéras et les cimetières

déchire le voile des mariées

qui n’ont plus aucune gêne à se montrer nues puisqu’elles

sont mariées

et rend aphones les bêtes multicolores

qui vivent et se multiplient

dans le vin blanc

C’est le signal tant attendu par les frères du corail

qui cuvent leur ivresse dans les gares

où les chiens enragés concentrent leur colère

Lorsqu’ils reconnaîtront les moellons qui les entourent*

 

les moellons enragés

ils se lèveront comme cette feuille de papier

qui craint le feu comme son ombre

et se jetteront l’un à l’autre

les os qui nuisent à leur légèreté

puis comme le soupirail sera trop étroit pour leur immense

orgueil

ils s’enfonceront dans la terre comme des projectiles délirants

 

N’ATTENDEZ JAMAIS

Misère Le cheval sent reverdir le bois de ses veines

et son cavalier tache l’horizon comme un drapeau

Il est minuit et les chats dévident des pelotes de laine sur

un cadavre

pendant que les vaches meuglent après le chef de gare

Il est minuit et le chef de gare maigrit dans son cachot

Il lèche le mur pour s’évader

et délivre les graffiti de leur prison

C’est un naufrage

La jeune fille étreint la queue d’un requin au lieu du cou

de son fiancé

C’est un tremblement de terre

et l’Opéra est projeté dans le marché de la Villette

C’est l’exécution de Louis XVI

et la tête du supplicié rebondit sur celle de son épouse

qui s’évanouit

Lèche le mur chef de gare

Lèche le mur sans t’évader

LA LUMIÈRE DANS LE SOLEIL

La petite nudité s’ennuie

dans son mil bateau roux

Elle s’allonge comme la mer

comme ses cheveux

Elle demande à la pluie et au beau temps

une ramure de scies

et une corde d’évangile

avec de grandes chandelles de maisons

Elle est si jeunesse et si beauté

que la suie grande coquine

s’approche d’elle avec ses mains de cygne

nettoyées par l’alcool et les vents

Mais la pluie sourit au beau temps

qui caresse les poils des montagnes

et tous deux s’entendent pour chasser les vallées

qui vivent de feuilles et de poussière

de pierres et de bâtons

CHIEN ET CHAT

Dans le sentier des mains gelées glissent les oriflammes

Ils sont gris bleu vert rouge et ont la forme de mon visage

car je les ai faits semblables à mon rire

qui éclate dans la mousse comme une pierre qui s’envole

Et les pierres s’envolent chaque jour comme les ouvriers s’en

vont à leur travail

car ils s’envolent pour travailler

et leurs usines sont dans les nuages

et les nuages sont vieux comme les escaliers qui mènent aux

oranges de laine

et que montent et descendent les albatros de ma tête

Albatros c’est grâce à vous que ma tête me coupe les pieds

et que mes pieds sont de pâles vierges

maigres comme un dieu

Albatros Albatros si ma tête n’était pas en vous

elle aurait au moins la forme de votre bec

et mes ongles seraient dans votre bec

car ce sont eux qui ont fait ma tête

comme la terre fait l’eau

et comme l’eau use les cordes des arcs mal tendus pour la

circonstance

Et les arcs les arcs mon dieu se noient dans la plaine submergée

qu’on appelle As tu vu ces idiots

La plaine est tellement submergée qu’elle n’est déjà plus

plaine

mais main

Encore un peu et elle sera ventre

puis torse

Enfin je reconnaîtrai son visage semblable à une forêt

LE QUART D’UNE VIE

I

À l’intérieur

le catalogue vendait des huîtres vivantes

qui pleuraient et qui chantaient

sur un air américain

II

Les feuilles qui sont tombées

ont emporté les deux taxis

Les taxis ont renversé les sémaphores

Les sémaphores tombés

le lait ne coulera plus

car les moustaches tombées

ne repousseront plus

III

Nous sommes plus heureux que la mousse

la mousse n’a pas de cheveux

et nous portons des chapeaux

Pauvres chapeaux aux ailes couvertes de givre

la fumée des cigarettes vous excite

mais le pétrole

le pétrole sournois qui vide les ostensoirs

est plus léger à vos reins

que les chaînes d’aluminium

IV

Croupissez regards des sulamites

Il pleut Il neige

Sous le soleil qui nous déteste

les chiens mangent la merde

les ceinturons s’enrichissent des sabots des vieux

chevaux

qui les oreilles percées

le ventre lumineux

vendent leurs chemises aux portes des églises

sans se soucier des cachalots et des zébus

Joli mois d’août c’est le mois des zébus

Les zébus ont trop bu

bu bu bu et boira

boira qui voudra

mais ce n’est pas moi qui le voudrai

C’est trop laid le cervelet

qui sans sourire court à la chapelle

téléphoner aux parfumeurs

V

C’est un jour saint un jour sacré

un jour sacré à l’hôtel

Vivent les atlas sous les bateaux

VI

Plutôt que périssent les cannibales

nous démolirons les pianos

nous interdirons les vendanges

nous arrêterons les marées

VII

Couverture des étoiles

le vent roule des motocyclettes

Il ne croit pas à l’eau salée

et symbolise les aspirations des peuples

comme la guerre

comme les vêtements

VIII

La cavalerie n’est pas loin

et les oscillations non plus

IX

Vers le ciel de juillet

montent les fourrures ovipares

Le serrurier militaire

invente le contrepoint

nécessaire à la nourriture des abeilles

X

L’éléphant sans moteur

naquit sans scandale

Absalon-la-main-verte lui sourit

et rangea les lis de ses viscères

sur un poteau

sur une épingle

Guetté par le scorbut

il sera veuf un jour

où la couleur changera comme la chaleur

XI

Noble CŒUR songe au collodion

qui les pieds dans ses cheveux

s’ennuie s’ennuie s’ennuie

comme un bouquet de lilas

dans une valise

XII

Miroirs des balcons

les balcons sur les citernes

évitent les avirons

invitent les kangourous

visitent les ailes des moulins

et meurent comme les zouaves

sans océan et sans chaussettes

Ainsi soit-il

XIII

Le visage roulé dans la farine

le tropique du Capricorne est dans ma main

qui tremble

qui s’amincit et s’allonge

qui roule

et s’en va très loin sous un arbre

comme un rat malade

XIV

Vins et cheminée

allons nous-en

Nos pieds ont leurs épingles

et les veaux leur mystère

Sans ministre ni harpon

allons nous-en

XV

Il est temps de vous marier

si vous craignez la pluie

vieux monastère sans ceinture

plaques grises

coton de malheur

XVI

Alors de la gouttière

un membre mal fermé

dont le nom mal brossé

dégoulinait sur un poisson

s’enflamma sans dégoût

Sa destinée fut courte comme une sueur

Ma sœur

as-tu vu ma pipe

Ma pipe est morte

et mon grand œil est sans saveur

LA PÊCHE EN EAU TROUBLE

I

Aux gants les mains

Aux innocents les gants

Aux gants les mains pleines

Avec les petites fleurs de manganèse étoilé

les arêtes pulmonaires

qui voyagent sous l’arc-en-ciel

de midi à midi

II

L’homme pâle comme une cloche

célèbre comme une tortue

sans effort

sans douleur ni lumière

alluma son orteil

et devint chaste

III

Oui mais vive le rouge

cria la sorcière car il défend

Et les jeunes filles enceintes demanderont des rossignols

Et les vieillards malades apprendront la physique

IV

Avec les nerfs des dentelles

les Suédois nourrissent les serpents

qui font croître leur famille

Avec des cadavres de crème

Ils s’envolent volent volent volent volent volent

V

La main du mystère est dans ma poche

et le mystère dans un aérostat

tourne sur l’étoile de son ventre

Ses cheveux sont des cadeaux de mariage

Un oignon autour de sa ceinture assure sa virginité

Pentagone de l’âme

Beurre

© Mélusine 2011
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